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#FreeSaeed: Six ans derrière les barreaux pour un développeur Web iranien

samedi 11 octobre 2014 à 12:49
Image de la campagne #FreeSaeed.

Image de la campagne #FreeSaeed.

Le 4 octobre 2014, le développeur iranien d'outils Web et de contournement Saeed Malekpour aura passé six ans derrière les barreaux pour avoir créé un logiciel open source utilisé par d'autres pour transférer des images pornographiques sur Internet. Le jour anniversaire de son arrestation, des activistes et des blogueurs ont lancé une opération-tweets dans le cadre d'une campagne de libération placée sous le mot-dièse #freeSaeed.

Résident permanent au Canada, Saeed était retourné en Iran en 2008 pour se rendre auprès de son père mourant lorsqu'il a été accusé de porter atteinte aux idéaux islamiques du pays et à la sécurité nationale au moyen d'actions de propagande à l'encontre du système. Malekpour a témoigné qu'il ignorait comment son programme et son code avaient été utilisés et développés par d'autres personnes, du fait de sa distribution sous forme de code open source

Aux termes d'un jugement qui, selon Amnesty, a été expédié en 15 minutes, Saeed a été condamné à mort sous les chefs de “corrupteur de la terre.” En décembre 2012, la condamnation à mort de Saeed a été commuée en détention à perpétuité. 

Après une période passée en cellule d'isolement, Saeed a déposé des aveux, qu'il a par la suite révélé avoir été soutirés sous la contrainte, sous la torture et les interrogatoires conduits par les Gardiens de la révolution. Au cours des mois qui ont suivi, la télévision officielle iranienne a diffusé à plusieurs reprises sa “confession” pour les crimes qui lui sont reprochés. 

Gissou Nia, avocate défenseur des droits humains et porte-parole dans le cadre de la campagne en vue de la libération de Saeed, a résumé, dans un email adressé à Global Voices, les implications plus larges de cette affaire pour les programmeurs en Iran : 

The arrest and ongoing imprisonment of Saeed Malekpour shows that all Iranian freelance web programmers are vulnerable to potential legal trouble as they cannot know for certain which sites their codes have been used on. Should they face the misfortune of having a code they created used on a website deemed obscene by the Iranian authorities (and where the backend is being monitored by the IRGC) they can face adverse legal consequences.

[...]

In a sense, Saeed is the ‘sacrificial lamb’ of the IRGC's war on the online space. The Iranian Cyber Army was formed in 2008 and Saeed was arrested shortly after its creation, presumably to set a deterrent example for others.

L'arrestation et l'actuelle incarcération de Saeed Malekpour montrent que tous les programmeurs Web iraniens indépendants sont désarmés face à l'incertitude juridique que représente l'impossibilité de prévoir quels seront les sites qui utiliseront leur code. S'ils ont la malchance d'avoir créé un code qui est finalement utilisé sur un site Web jugé obscène par les autorités iraniennes (et dont l'infrastructure est sous la surveillance des Gardiens de la Révolution Islamique d'Iran), ils s'exposent à subir des conséquences juridiques négatives.

[...]

Il apparaît que Saeed est “l'agneau sacrificiel” de la guerre des Gardiens de la Révolution menée contre l'espace en ligne. La Cyberarmée iranienne a été formée en 2008 et l'arrestation de Saeed est intervenue peu de temps après, selon toute vraisemblance pour faire un exemple dissuasif pour les autres.

D'autres personnes proches de l'affaire estiment que cette arrestation résulte d'une ignorance concernant la culture et la nature de la programmation de logiciels. Le blogueur et ingénieur informatique iranien Arash Abadpour (connu sous le pseudo Arash Kamangir) a expliqué à Global Voices, dans un email : “La situation de Saeed illustre le caractère arbitraire du système. Il y a certes eu des précédents, mais cette affaire est l'une des plus amères. La bureaucratie et la machine judiciaire du système sont largement ignorantes des aspects techniques et ont tendance à voir de la conspiration dans toutes les activités.”

Le maintien en détention et les autres arrestations récentes de blogueurs et de net-citoyens ont vidé de leur sens le message d'une société et d'un Internet plus ouverts qui a dominé la couverture par les médias occidentaux de la campagne de l'actuel président Hassan Rouhani.

Malgré cette tendance généralement affligeante, de modestes victoires ont été remportées. La semaine dernière, les blogueurs de la technologie Narenji, qui avaient été arrêtés en novembre 2013, sur la base de charges indéterminées, ont été libérés sous caution.

Malgré la difficulté d'apprécier l'impact qu'ont pu avoir les campagnes en faveur de la libération des prisonniers sur ces arrestations, plusieurs activistes et analystes du système judiciaire iranien estiment que la pression internationale a souvent eu un impact sur la libération des personnes incarcérées.

Maryam Malekpour, la soeur de Saeed, qui réside au Canada, a expliqué au cours d'un entretien téléphonique accordé à Global Voices que Saeed venait d'être transféré à la section générale de la prison d'Evin. C'est la première fois depuis son arrestation qu'il est autorisé à passer des appels téléphoniques et à avoir des contacts. Elle explique :

“Il a été si seul, a été maintenu en isolement pendant si longtemps qu'il a besoin de parler. A propos de tout et de rien, de notre enfance, du passé, de ce qui se passe maintenant, et tout ce que je peux faire c'est lui parler et essayer de lui donner l'espoir qu'il sortira un jour. Je lui ai parlé des campagnes pour sa libération, et il n'arrive pas à croire que des gens s'intéressent à lui et parlent de lui. Il est réellement reconnaissant pour tous les efforts que les gens déploient pour sa libération. Il a été condamné à mort. Lui-même et sa famille ont vécu pendant si longtemps avec le spectre de sa mort. Tout ce qu'il espère, c'est une enquête équitable sur son affaire. Il n'y a aucune preuve à charge contre lui hormis les aveux qui lui ont été extorqués sous la contrainte.”

Gissou Nia souligne le fait que l'affaire Saeed doit faire l'objet d'une enquête indépendante. “Il a été torturé plusieurs fois, il n'a jamais eu de jugement équitable et il ne peut pas contacter son avocat. Tout ces facteurs rendent indispensable l'ouverture d'une enquête indépendante sur le traitement qui a été apporté à l'affaire Saeed. Entre-temps, il doit être libéré pendant la durée de l'enquête.”

Blog Action Day le 16 octobre prochain: si je dis #Inégalité, vous répondez…?

samedi 11 octobre 2014 à 12:07
Looking out across the bay at some of the most expensive land in the world. Image by Shreyans Bhansali (CC BY-NC-SA 2.0) https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/ Image by Shreyans Bhansali (CC BY-NC-SA 2.0)

Vue sur la baie de Chowpatty, Bombay, les terrains les plus chers au monde  Photo de Shreyans Bhansali sur Flickr le 9 janvier 2007. (CC BY-NC-SA 2.0)

Dites au monde ce que l'inégalité représente pour vous. Racontez votre histoire, partagez votre point de vue, échangez et soutenez vos idées. Jeudi 16 octobre, avec des milliers d'autres blogueurs, participez au Blog Action Day (journée d'action des blogueurs).

Blog Action Day 2014

Blogueurs, unissez-vous!

Depuis 2007, le Blog Action Day réunit tous les ans des blogueurs du monde entier pour faire émerger des sujets universels importants. Ensemble nous avons massivement envahi la blogosphère de milliers de posts sur l'eau, les changements climatiques, la pauvreté, la nourriture et le pouvoir du “nous”. C'est une initiative géniale qui a créé une action internationale, une communauté globale, et beaucoup de dialogue. Cette année encore, Global Voices Online est fier de compter parmi les partenaires officiels.

 Si je vous dis inégalité, vous répondez…?

Le mot inégalité peut évoquer énormément de concepts différents. Trop peut-être, c'est pour cette raison qu'il est crucial que l'on en parle haut et fort. Inégalité, c'est l'inégalité face à la santé, l'inégalité économique, l'inégalité entre les pays, l'inégalité face à l'éducation, l'inégalité raciale, l'inégalité des genres, l'inégalité sociale et beaucoup d'autres constellations d'inégalités. Faites part de votre point de vue et de votre expérience sur votre blog, et discutons de l'inégalité sous toutes ses formes.

Rejoignez #Blogaction14

Pour participer au Blog Action Day, enregistrez votre blog sur le site de Blog Action Day – l'inscription est ouverte aux blogueurs de tous les pays et vous pouvez écrire dans toutes les langues. A l'heure où ce post est écrit 1032 participants de 108 pays se sont déjà inscrits. Sur Tweeter, surveillez #Blogaction14, et #Inequality,

 

Le 16 octobre, nous publierons la liste des posts des contributeurs de Global Voices dnas le monde – restez à l'écoute!

Le Myanmar veut interdire la vente d'alcool aux femmes

samedi 11 octobre 2014 à 00:18
A beer station in Hpa-An, Myanmar. Image under Creative Commons by Flickr user Axelrd

Une brasserie à Hpa-An, Myanmar. Photo sur Flickr de Axelrd Licence Creative Commons

[Liens en anglais] Les autorités du Myanmar (Birmanie) étudieraient la création de zones à Yangon et Mandalay — les deux plus grandes villes du pays — où il serait interdit aux femmes d'acheter des boissons alcoolisées. Les chiffres de l'Organisation Mondiale de la Santé pour 2009 ont beau classer le Myanmar à la dernière place en Asie du Sud-Est pour la consommation d'alcool, avec seulement 1,5 % de consommateurs chez les femmes et 31 % chez les hommes, beaucoup affirment que les choses sont en train de changer. 

Le blogueur Aung Htin Kyaw écrit à propos de cette tendance : 

Alors que la Birmanie s'ouvre sur le monde extérieur, les moeurs sociales semblent se relâcher. Ainsi, j'ai remarqué sur les médias sociaux une augmentation des jeunes birmans (souvent de mon âge ou moins âgés), amis comme membres de la famille, qui boivent de façon décontractée en société.

Beer advertising in Yangon, Myanmar. Image licenced under Creative Commons by Flickr user markku_a

Publicité de bières à Yangon, Myanmar. Photo sur Flickr de markku_a, licence Creative Commons

 Wagaung, commentant le billet de Aung Htin Kyaw, abonde en son sens : 

La société de consommation — et notamment la consommation ostentatoire vue sur Facebook — l'encourage inévitablement, et c'est ainsi qu'on commence à voir des femmes birmanes, jeunes et moins jeunes, un verre de vin à la main, presque comme un signe de prestige ou une façon d'être à la mode.

A ce jour, un seul journal de langue birmane a fait état des propositions d'interdire aux femmes de boire dans certains endroits. La blogueuse MadyJune estime que le sujet n'a pas été présenté équitablement :

Même avant que cette information sorte, les médias locaux ont ciblé les buveuses en utilisant l'image de femmes assises dans des brasseries pour illustrer les articles sur l'augmentation de la consommation d'alcool dans le pays.

Je ne défends pas l'alcool. En fait, je déteste l'alcool et n'en supporte pas la puanteur, mais il est injuste de restreindre les femmes de boire de l'alcool juste parce que nous sommes des femmes. Je pense que c'est notre choix de boire ou non et personne n'a le droit de nous le dicter.

Selon la Ligue des Femmes de Birmanie, les hommes continuent à dominer de nombreux aspects de la société birmane. L'index 2012 de l'OCDE du genre dans les institutions sociales place l'égalité de genre au Myanmar au 44e rang sur 102 pays non-membres de l'OCDE — au même niveau que la Guinée-Bissau et le Vietnam. 

Malgré son désaccord avec la possible interdiction, MadyJune croit que peu de femmes partageront son opinion :

Je doute que la totalité de la population féminine du Myanmar s'indigne de cette interdiction injuste. En fait, certaines d'entre elles (voire la majorité) pourraient même la soutenir.

Dans un autre billet, Aung Htin Kyaw explique que l'abstinence d'alcool est une partie essentielle de la morale du bouddhisme Theraveda, qui enseigne que l'alcool prédispose à un comportement dangereux pour les autres êtres vivants.

On peut se demander pourquoi imposer des restrictions spécifiques aux femmes, alors que la plupart des études convergent sur le fait que les hommes boivent significativement plus que les femmes au Myanmar ? Et le sort des zones envisagées reste incertain : si le Ministre de la Santé a déclaré en juillet 2014 envisager des restrictions à la consommation d'alcool en juillet 2014, des informations plus récentes ont montré que pour de nombreux députés, réformer la législation sur l'alcool n'est pas une priorité. 

Les débats sur les habitudes en matières de boisson illustrent les préoccupations dues à l'occidentalisation croissante dans les grandes villes du Myanmar. Même si ces zones ne devaient pas être crées à Yangon et Mandalay, l'idée même que la règle puisse être différente pour les hommes et les femmes montre que l'inégalité de genre devient un sujet de plus en plus litigieux dans une société birmane en évolution.

Immigration des enfants : de l'Equateur aux Etats-Unis, voyage en enfer

vendredi 10 octobre 2014 à 23:40

[Tous les liens mentionnés sont en espagnol]

Cet article a été écrit par Daniela Aguilar et a été publié à l'origine sur le site de Connectas en mai 2014.

La prima de Nohemí, Leonela, quién se quedó sin su compañera de juegos. Foto: Daniela Aguilar.

La cousine de Nohemí, Leonela, se retrouve sans ses compagnons de jeu. Photo Daniela Aguilar.

Des dizaines d’enfants équatoriens font route vers les Etats-Unis. Ils n’ont pas de visa et voyagent léger. Des individus –  appelés  'coyotes’ en Equateur, ‘polleros’ au Mexique – sont payés pour leur faire passer la frontière. Jusqu’à 20 000 dollars par personne. Les parents des enfants les envoient à l'étranger et sont prêts à payer ce qu’il faudra. Leurs enfants vont alors vivre la pire expérience de leurs jeunes vies. A certaines occasions, les petits ne peuvent partir et doivent rentrer chez eux ;  d’autres meurent en chemin, sans que la famille ne puisse être réunie une dernière fois.

Aux Etats-Unis, l'arrivée de milliers d’enfants qui traversent seuls la frontière – 90 000 cette année, selon le Département de la Sécurité Nationale – est considérée comme une crise humanitaire. Le phénomène a généré quelques réunions au sommet entre les autorités du Guatemala, du Salvador et du Honduras, d’où sont originaires la majorité de ces enfants. Le Secrétaire Général des Nations-Unies, Ban Ki-Moon, le Président américain Barack Obama et son homologue mexicain Enrique Peña Nieto se sont également exprimés sur le sujet lors d’une réunion avec le Secrétaire d’Etat du Vatican, le 13 août dernier. Tous affirment chercher une solution pour mettre un frein à cette situation.

Mais en Equateur, aucune autorité de premier plan n’a évoqué ce problème. Tous ont néanmoins mentionné le cas de Nohemí Álvarez Quillay, une fillette de 12 ans morte au Mexique, après avoir échoué dans sa tentative de rejoindre la frontière depuis la ville de Ciudad Juárez. Pour ce cas, des enquêtes ont été menées tandis que la Sous-Ministre des Transports María Landázuri, en déplacement au Mexique,  a « exigé » de son pays hôte qu’il fasse toute la lumière sur cette mort suspecte, survenue le 11 mars dernier. Les autorités ont présenté leurs condoléances et ont déploré cette tragédie. Même le Président  mexicain Rafael Correa, de passage à New York en avril, a donné l'accolade aux parents de l’enfant. Des parents en situation illégale et qui, comme beaucoup d’autres, ont poussé leur fille dans la gueule du loup.

Mais personne ne parle des autres enfants, plus nombreux qu’on ne le pense, qui quittent le pays. La justice n’enquête pas non plus sur ce phénomène, comme le reconnaît le Procureur de Cañar Romeo Gárate. Selon lui, la mort de Nohemí est « l’unique cas » de trafic d’enfants dont il se souvient.

Le Honduras, un tremplin vers le rêve américain

Depuis que les accords de visa entre le Honduras et l’Equateur ont été suspendus, les voyages sans retour ont explosé. Entre 2007 et 2013, la trace de 992 enfants a été perdue après qu’ils aient quitté l’Equateur pour le Honduras par avion. Les chiffres de LA HISTORIA, obtenus aux Archives Nationales des Données (Anda), font état d’un fort contraste entre les statistiques d’entrées et de sorties du territoire. 1286 enfants, âgés entre 0 et 14 ans, se sont rendus au Honduras durant cette période, mais seulement 294 d’entre eux sont revenus. Un chiffre qui augmente parmi les adolescents de 15 à 19 ans, dont 5 255 ne reviennent pas du Honduras.

ViajesinRetorno

Pour chaque enfant qui part, ce sont 20 adultes qui émigrent. C’est ainsi que pendant cette même période, 21 403 partants de plus de 20 ans ont effectué un voyage sans retour. La suppression du visa a été décidée pour « encourager le tourisme bilatéral », selon le Ministère des Affaires Etrangères. Cela n’a pas découragé les quelques 27 650 Equatoriens partis définitivement au Honduras entre 2007 et 2013 : 22 678 ont affirmé s’y rendre pour des vacances.

« Il faut légiférer sur cette situation pour éviter qu’elle n’empire, car il s’agit seulement d’un cadre légal dans lequel nous intervenons, l’Etat doit créer une politique plus directe pour résoudre ce problème », affirme Romeo Gárate, le procureur de Cañar.

Gárate a admis que le départ des mineurs, qui souhaitent rejoindre leurs parents, s’est intensifié ces trois dernières années. Le Honduras est l’un des nombreux chemins empruntés par les réseaux de trafiquants pour amener les Equatoriens à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. La Colombie est également l’une des voies d’accès utilisées par les Equatoriens, comme Nohemí Álvarez et deux autres garçons de 14 et 16 ans originaires de Cañar, déportés la semaine précédente, car en situation irrégulière.

L’Institut National de Migration (INM) fait également état de statistiques complémentaires quant à la présence d’Equatoriens à la frontière mexicaine. Rien qu’entre 2010 et 2013, 2 663 Equatoriens ont été placés en centres de rétention pour migrants, pour situation irrégulière. Le nombre de détenus augmente sans cesse. 177 d’entre eux étaient des enfants qui ont été renvoyés en Equateur. Selon le dernier rapport du Département de la Santé et des Services Sociaux des Etats-Unis et l’agence EFE, 96% des enfants qui sont partis ont franchi la frontière américaine, et 49 567 jeunes ont pu retrouver leurs familles.

La lápida de la tumba de Nohemí en el cementerio de El Tambo, provincia de Cañar (Ecuador). Foto: Daniela Aguilar.

L'épitaphe de la tombe de Nohemí dans le cimetière d'El Tambo, dans la province de Cañar (Equateur). Photo: Daniela Aguilar.

Tambo, la partie visible de l’iceberg

« En premier lieu, je dois vous dire que certains élèves qui devraient aller à l’école finissent par disparaître ». Ainsi commence l’intervention de Milton Correa, le proviseur du Collège El Tambo,  la dernière institution qu’ait fréquentée Nohemí Álvarez avant son départ.

Entouré par de vertes collines, le collège El Tambo a reçu l’année dernière 1042 élèves âgés d'entre 12 et 17 ans. C’est durant cette période qu’a été enregistrée une vague de migration infantile. 

Pour chaque absence inexpliquée, le tuteur responsable rapporte le fruit de ses recherches. « Sans me tromper, je peux vous affirmer que 40 élèves ont quitté le collège cette année. Certains sont partis, d’autres ont émigré ou ont essayé d’émigrer », assure Nube Chogllo, la conseillère de l’école qui rassemble les rapports des enseignants. « Nous savons qu’ils sont partis grâce à des informations obtenues par des parents, des amis ou des collègues. Ils nous disent : ‘il ou elle est au Nicaragua, à Guayaquil, au Mexique’, mais le temps passe, et certains franchissent la frontière, d’autres reviennent au bercail ».

Les enseignants ont parfois tenté, sans succès, de convaincre un élève d’attendre la fin de l’année scolaire pour partir. Selon le proviseur M. Correa, le problème majeur vient des parents, qui organisent le voyage de leurs enfants vers les Etats-Unis. « Ce phénomène ne peut être endigué car ceux qui ne nous écoutent pas sont généralement les responsables de ces enfants », nous assure-t-il. « Je ne sais pas comment convaincre les personnes qui émigrent de ne pas mettre leurs enfants en danger », avoue Correa. Et il admet avec franchise que la réunification des familles doit être inversée. Si les parents atteignent une certaine stabilité économique et souhaitent vivre avec leurs enfants, alors ils pourraient revenir.

Parmi tous les élèves d’El Tambo tombés entre les mains des trafiquants d’enfants, Nohemí Álvarez est la seule dont on se souvient de la tragique disparition. Bien qu’elle n’ait pas terminé son année scolaire, la fillette a été automatiquement acceptée dans la classe supérieure. Il ne lui restait qu’un mois d’école avant qu’elle ne parte pour le nord. Nube Chogllo l’a rencontrée. Elle lui a seulement confié qu’elle avait déjà tenté sa chance mais qu’elle ne savait pas si elle recommencerait. La conseillère retient ses larmes en pensant à ce qu’a dû éprouver la petite. « Ah, si Nohemí pouvait parler, qu’est-ce qu’elle nous dirait ? », murmure-t-elle entre deux longues pauses. « Ce sont des mystères qui ne seront jamais résolus ».

La solitude de Leonela

Leonela a 12 ans, des cheveux raides et le teint hâlé. Elle passe ses journées à l’école et erre entre la plantation de riz qui sépare la maison en brique d’argile de ses grands-parents et celle en ciment construite par ses parents et ses oncles, tous en situation irrégulière aux Etats-Unis. Elle vit à El Rosario, une communauté indigène du canton d’El Tambo.

Peu de temps a passé depuis qu’elle a couru aux côtés de Wendy et Nohemí, ses cousines parties en début d’année avec des passeurs, afin de retrouver leurs parents à New York. Elle sait que Wendy est partie et que Nohemí est décédée durant son périple, mais ignore dans quelles circonstances. Aujourd’hui, Leonela se retrouve sans ses compagnons de jeu. 

Selon les rapports existants, durant leur voyage vers les Etats-Unis, les enfants sont parfois l’objet d’abus physique et sexuel. Exposés aux mafias de la prostitution infantile, ils peuvent également être victimes d’enlèvements dans le but d’extorquer une rançon à leurs parents. Ils portent toujours sur leurs ceintures ou bracelets les numéros de téléphone de leurs familles, et passent d’un ‘coyote’ à l’autre aux frontières. 

L’actuel code pénal équatorien, réformé en août dernier, condamne, outre les passeurs, « ceux qui sont en charge de la protection et de la garde des enfants et adolescents, que ce soient leurs parents, leurs grands-parents, leurs oncles, leurs frères et sœurs ou leurs tuteurs, ou toute autre personne qui facilite l’exécution de leur projet illicite ». Malgré tout, le gouvernement n’a mis en place aucun protocole pour empêcher ces dizaines de parents, qui vivent illégalement aux Etats-Unis, de payer pour faire venir leurs enfants. Le nouveau Code Pénal, approuvé par l’Assemblée Nationale, a supprimé ce paragraphe spécifique, dans la Section onze de la loi sur les Délits migratoires.

Nohemí Álvarez a été retrouvée pendue au rideau de douche d’une auberge mexicaine appartenant à la DIF (Système National pour le Développement Intégral de la Famille). Au Mexique, le trafiquant qui accompagnait la fillette a été remis en liberté. Il est de nouveau recherché. En Equateur, le Procureur a lancé une enquête préliminaire contre quatre personnes, deux étant actuellement détenues, et les deux autres étant sous le coup d’un mandat d’arrêt. Selon un fonctionnaire du parquet de Tambo, Nohemí a été agressée sexuellement. Une fin qui contraste avec l’épitaphe gravée sur sa tombe : « Une mort tranquille, pareille à un rêve de paix, mais son âme s’élève vers la demeure de la lumière éternelle ».

Version publiée sur lahistoria.ec

En Guinée, les cœurs de Conakry et Télimélé palpitent malgré le virus Ebola

jeudi 9 octobre 2014 à 17:06

 

Jeune fille à Conakry par  Sebastián Losada - Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic

Jeune fille à Conakry par Sebastián Losada – Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic

L'épidémie du Virus Ebola fait rage et provoque la panique dans le monde entier. Les habitants de la région où l'épidémie a démarré sont mis sous surveillance  par les instances de santé internationales. Un des pays qui a subit de plein fouet l'épidémie du virus Ebola est la Guinée. La Guinée souffrait déjà de plusieurs maux socio-économiques avant l'épidémie. Pour autant, sa population continue à vivre et à affronter vaillamment le quotidien, malgré les risques, les chagrins et le regard suspicieux du reste du monde. Cette force de vie est illustrée par deux blogueurs ci-dessous:   

Alimou Sow, blogueur guinéen,  a décidé d'aller manger une pizza en compagnie de sa femme et de quelques amis dans un petit restaurant de la haute banlieue de Conakry, capitale de la Guinée.  Il raconte cette expérience du quotidien dans la capitale dans un style plein d'humour :

Vu de l’intérieur, le pays est comme ostracisé. Le vrombissement des avions dans le ciel de Conakry a considérablement diminué. Les étrangers ont fait leurs bagages, désertant les zones minières, les hôtels, les restos et … la bande passante sur Internet ! Depuis quelque temps, la connexion est devenue étonnamment fluide. Les téléchargements sont lénifiants. Vu de l’extérieur, sous le prisme des médias – nouveaux et anciens – toute la Guinée n’est qu’un océan d’Ebola. Beaucoup se sont barricadés de peur d’être contaminés. L’amitié, la solidarité et la convivialité ont laissé place à la suspicion et à la stigmatisation. Ebola va certainement faire son entrée dans les cursus de formation en relations internationales. L’épidémie a ouvert un nouveau chapitre pour cette discipline. Pourtant, nous vivons. Le cœur de Conakry palpite. Toujours le même chaos sur les deux principaux axes routiers : les mêmes taxis jaunes indélicats, les mêmes cadavres de Magbana chargés à ras bord, le même joli vacarme qui rythme la vie des habitants de ma capitale avec les klaxons qu’on pousse à fond, les invectives, les aboiements desCoxeurs qui arrondissent leur fin de journée par de petits larcins sur les passagers. Les marchés sont bondés, les cafés animés. Les rumeurs et les ragots, l’essence même des Conakrykas, vont bon train.

Cireass, aussi blogueur sur la Guinée, a choisi un ton plus direct pour s'exprimer sur l'épidémie et sur les challenges à surmonter pour sensibiliser la population :

S’il y a une grande erreur  que certains de nos compatriotes – ce n’est pas propre qu’aux Guinéens – ont commise dans la lutte contre la fièvre rouge, c’est bien d’avoir politisé une situation qui n’a rien de politique. Dès l’annonce de la présence de l’épidémie, ils ont nié catégoriquement son existence, sans chercher à comprendre quoique ce soit. Résultat : les installations de MSF à Macenta ont été saccagées par des gens qui criaient au mensonge [..] personne n’a intérêt à inventer une telle histoire. Ni les autorités guinéennes, ni les ONG et les organisations internationales ne pourraient tirer profit en inventant une épidémie effrayante comme celle-ci. Nous ne devons pas voir la politique derrière tout ce que nous entendons. Aujourd’hui à cause d’Ebola, la Guinée est complètement isolée sur le plan international. la meilleure façon pour nous de sortir de cette lamentable situation, c’est de combattre Ebola (ensemble), notre véritable ennemi. 

Il est aussi important de signaler que dans la course à la cure contre le virus, le fait que des agglomérations comme Télimélé, ont mieux résisté au virus que d'autres peut être porteur d'espoir et d'informations cruciales pour la recherche médicale.