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“En Espagne, on a créé le meilleur système pour se vacciner contre le racisme : on le nie.”

jeudi 20 juillet 2017 à 19:34

Image prise sur Pixabay, publiée sous licence CC0, domaine public.

Cet article a été écrit par Aitor Gorrotxategi Cortina, un avocat établi à Madrid. Il a été publié dans sa version originale sur le site Afroféminas, une communauté virtuelle de femmes noires de langue espagnole. Il a été adapté et publié sur Global Voices avec l'autorisation des gestionnaires du site et dans le respect de ses règles éditoriales.

On a réussi. Après des siècles de lutte antiraciste, il n'y a plus de racisme en Espagne. Ce sont des faits isolés. En dehors d'une petite minorité, les gens ne sont pas racistes en Espagne.

On va exporter notre recette dans d'autres pays comme les États-Unis (regardez-moi ce Donald Trump, les pauvres) ou la France (la candidate aux présidentielles, Marine Le Pen, a eu beaucoup de voix, mais quels fascistes !).

On regarde des films comme “Mississippi Burning” ou “Twelve Years a Slave”, et on se dit : ces sales ploucs de sudistes, quels connards ! On pense au Ku Klux Klan ou aux meetings du parti d'extrême droite français, le Front National, et on croit qu'on est différents, qu'on vaut mieux qu'eux.

Parce que nous, on n'est pas racistes. Pas du tout. On dit des trucs comme : les racistes sont une minorité. Des gens âgés, de la vieille école, ou ces groupuscules d'extrême droite qui pullulent dans certaines villes espagnoles. Autrement dit, des fascistes.

Qu'est-ce que ça change, que les nazis et les racistes aient le champ libre sur les réseaux sociaux ? Qu'est-ce qu'on en fait, des problèmes indéniables de discrimination dans de nombreux établissements scolaires du pays, du manque de perspectives, des inégalités d'accès à l'emploi, des persécutions policières, du rejet de toutes parts, des énormes poches de pauvreté, de la chosification, de la condamnation à l'invisibilité, etc ? Qu'est-ce que ça peut bien faire, que sur les terrains de sport espagnols on lance sans arrêt des huées racistes ? Ou qu'il existe en Espagne des lieux comme les CIES (les Centres d'internement des Étrangers), où sont enfermés contre leur volonté des milliers d'immigrants illégaux coupables d'être à la recherche une vie meilleure, avec l'approbation de la majorité des citoyens? Qu'est-ce qu'on en fait, des centaines d'agressions racistes (selon les chiffres officiels) qui ont lieu chaque année ?

En Espagne, le racisme ne frappe pas ouvertement, il est subtil. C'est un manque d'empathie. On accuse généralement la victime d'exagérer, ce qui est tout à fait logique dans un contexte de négation du racisme. Ça ressemble beaucoup à ce qu'il s'est passé historiquement pour d'autres discriminations. C'est tout de suite la même histoire : ils ne veulent pas s'intégrer.

S'intégrer, dans ce système, ça veut dire se taire et ne pas déranger.

Il n'y a pas longtemps, j'ai lu ce qu'avait écrit un certain “Nadie” [Personne], en réponse au commentaire d’un post d'”Afroféminas” (j'avoue, je suis abonné au blog) sur Guillen Balboa, le premier maire noir de l'île Majorque, qui vient d'être nommé à la tête d'un village. Il disait :

En réalité, au sens strict du terme, la société espagnole n'est pas raciste, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de racistes en Espagne, bien sûr, mais dans l'ensemble, les Espagnols ne sont pas favorables au racisme, et ce type de discrimination n'existe pas dans notre loi.

Une société raciste, c'est celle des États-Unis, quand les Noirs devaient s'asseoir au fond du bus, ou même bien avant, à l'époque de l'esclavage. C'est ça, une société raciste, par définition celle qui, en montrant du doigt un groupe ethnique, discrimine et pourchasse ceux de ses membres qui ne sont pas de la même “race”. Une société raciste, c'est celle de l'Afrique du Sud pendant l'apartheid.

Ce que tu subis, c'est une société stupide avec 4 racistes authentiques et quelques petits racistes de pacotille. Des personnes qui ont des préjugés et ont les meilleures ou pires intentions du monde, et qui malgré tout, peuvent élire et élisent démocratiquement des hommes politiques noirs pour qu'ils exercent des fonctions publiques, par exemple dans une mairie. Ça ne semble pas te surprendre, tu t'imagines peut-être que tous ceux qui ont voté pour cet homme étaient noirs, mais la vérité c'est qu'ils ne doivent même pas représenter 1% d'entre eux. Eh non, désolé, ceux qui ont voté pour ce monsieur, c'était des hippies trop cool, des racailles, et ces racistes qui te rendent la vie impossible, à toi et à ton fils qui ressemble à un Blanc…

Le ton, c'est caractéristique, est condescendant. Le Blanc explique à la femme noire ce que c'est que le racisme, et il vient lui dire qu'elle est une fille aigrie qui a des hallucinations parce qu'elle pense, bien sûr, que tous les Blancs sont méchants. Toute cette tartine agressive répète le même refrain : c'est pas si grave. Tu vois le mal partout et tu es un peu ignorante, les deux à la fois. L'Espagne n'est pas raciste parce que regarde, il y a un maire noir dans un petit village, et on vous fiche la paix. C'est une question importante : ce sentiment qu'ont beaucoup d'entre nous qu'on leur fait une faveur, qu'on est bien bons. 

Nous les Blancs, on a un problème. On n'aime pas qu'on nous contredise. Ce qu'on ne subit pas, ou ce dont on n'est pas responsables, c'est secondaire. C'est pour ça qu'en Espagne, le racisme est un sujet sans importance.

En plus, on pense que s'il faut résoudre ces petits problèmes, n'est-on pas les mieux placés pour le faire ? On peut s'en charger, nous. On n'a pas la moindre idée de ce que c'est qu'être discriminé pour des raisons ethniques, religieuses ou à cause de son origine. Mais quelle importance. On veut être les sauveurs, nous.

Un exemple très clair : les politiques contre le racisme que les institutions mettent en œuvre. L'immense majorité des institutions qui s'occupent de ces sujets sont dirigées, à presque tous les échelons, par des autochtones, qui, évidemment, ne sont pas directement touchés par le racisme ou l'exclusion. Imaginez un homme à la tête d'une Maison de la Femme ou d'un bureau municipal en charge de l’Égalité. Ça existe, mais évidemment, à l'heure actuelle, ça fait déjà beaucoup grincer les dents. Ça devrait être la même chose pour les thèmes liés au racisme ou à l'immigration.

D'autre part, les politiques sont infantiles, quand elles ne sont pas agressives envers les collectifs qu'elles prétendent aider, ou alors, dans le meilleur des cas, inutiles.

En cherchant, pour mon travail d'avocat, des informations sur la plateforme barcelonaise “Antirumores”, un projet de prévention du racisme, j'ai trouvé la photographie d'un séminaire. Y avait-il un étranger ? Bon, je vais plus loin : y avait-il quelqu'un qui ne soit pas blanc ? Personne.

Ça, c'est le “complexe du Messie”, l'idée salvatrice. En fin de compte, même en aidant, on condamne à l'invisibilité. Même en essayant d'éradiquer un mal comme celui de la discrimination raciale et de la xénophobie, on y participe. Et, pire encore, on le fait sans s'en rendre compte, ce qui est encore plus néfaste, et met en évidence la permanence des structures sociales dans notre monde.

Je ne dis pas qu'il n'y ait pas de bonnes intentions, mais nous devons laisser la première place à ceux qui sont victimes du racisme et de l'exclusion. Ce sont des femmes et des hommes qui connaissent le problème mieux que personne qui doivent mener la lutte et être en première ligne. Ce ne sont pas des gens assistés qui ont besoin de représentants. Il se suffisent à eux-mêmes et ils ont toutes les cartes en main.

Moi-même, ça m'a posé problème d'occuper cette place qui n'est pas la mienne. Mais ici, je ne m'adresse pas aux lecteurs noirs d'”Afroféminas”, mais à ceux qui occupent la même place que moi dans la pyramide sociale qui, qu'on le veuille ou non, existe. La couleur de peau ou l'origine est un paramètre essentiel dans la répartition des privilèges sur cette pyramide.

Si tu es conscient que le racisme existe et que tu ne t'en soucies par vraiment, tu es complice. Je sais que ce n'est pas à toi que ça arrive, mais il y a sûrement d'autres souffrances qui ne te touchent pas et que tu ne supportes pas avec autant de désinvolture, et tu protestes, tu participes, ou tu fais quelque chose. Alors fais quelque chose, parce que, je suis désolé de te décevoir : ce qui arrive dans ce pays, mon pays, à ces “autres” qui ne sont pas comme nous, eh bien oui, c'est du racisme.

Les Polonais dans la rue pour défendre l'indépendance de la justice contre les réformes du parti au pouvoir

mercredi 19 juillet 2017 à 20:20

Les habitants de Varsovie rassemblés devant le palais présidentiel. Photo : Anna Gotowska, CC-BY.

2017 marque pour la Cour Suprême polonaise le centenaire de sa création, mais au lieu de célébrations, les Polonais sont dans la rue pour défendre l'indépendance de la justice dans leur pays.

Le parti Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis un an et demi, n'a pas perdu de temps pour s'emparer du Ministère public, du Tribunal Constitutionnel, et enfin, le 12 juillet 2017, du Conseil national de la Magistrature, l'instance chargée des nominations et promotions des juges.

Et maintenant c'est la Cour Suprême qui se trouve dans le viseur du parti. Une panoplie de modifications législatives, présentées la semaine dernière et soumises par vote à une commission parlementaire le 18 juillet, rend possible une purge immédiate de l'intégralité du cadre des chambres d'appel de Pologne, composé de 83 hauts magistrats. Les congédiements interviendraient dès le lendemain de la promulgation de la loi. Les exceptions seraient de la compétence du seul ministre de la justice, lui-même membre de Droit et Justice. Le Conseil National de la Magistrature précité, dominé par le parti, pourvoira alors aux sièges vacants.

La Cour Suprême réaménagée deviendrait l'instance d'appel final sur toutes les affaires civiles et pénales. Le projet de loi prévoit aussi l'instauration d'une toute neuve Chambre disciplinaire au sein de la Cour Suprême, qui prendrait les décisions définitives en matière disciplinaire contre les magistrats de tout le pays.

Alors que le projet de loi était en débat, le 18 juillet, le président Andrzej Duda, un ancien membre du parti Droit et Justice, a créé la surprise en annonçant qu'il ne signerait pas la loi réformant la Cour Suprême tant que ne seraient pas intégrés ses nouveaux amendements au projet de loi sur le Conseil National de la magistrature adopté la semaine précédente. Ces amendements stipulent que les membres du conseil doivent être élus à une majorité parlementaire de trois cinquièmes, au lieu de la majorité ordinaire prévue par le projet de loi initial, ce qui rendra beaucoup plus difficile l'élection de leurs candidats par les représentants de Droit et Justice. Beaucoup n'en considèrent pas moins la nouvelle loi comme contraire à la constitution, et disent que la proposition du président, si elle était retenue, ne changerait rien à ce fait.

En réponse, les habitants de Varsovie et d'autres grandes villes polonaises sont descendus dans les rues pour exhorter le président à opposer son veto à la totalité du texte. Les rassemblements se situaient dans le droit fil des manifestations commencées pendant le week-end et devenues plus massives le jour où le parlement a examiné le projet de loi controversé.

Des milliers de gens debout avec des bougies devant la Cour Suprême de Pologne

Les manifestations ont été organisées par l’Association des magistrats polonais “Iustitia” et Akcja Demokracja (Action Démocratie) dans 33 villes de toute la Pologne.

La vidéo ci-dessous, prise par l'auteur le 18 juillet, montre les participants à Varsovie chantant l'hymne national polonais :


Dans celle-ci, des habitants de Varsovie crient “Nous voulons le veto ! Justice libre !”

Les mots-dièses lancés par Akcja Demokracja sont #ŁańcuchŚwiatła (“chaîne de lumière”), #wolnesądy (“Justice libre”) et #chcemyweta (“nous voulons le veto”).

Le rassemblement de Varsovie pour la démocratie et l'état de droit en Pologne continue… Les bougies symbolisent l'espoir en la liberté et un avenir meilleur.

Un débat houleux a duré jusqu'à presque minuit au parlement, l'opposition minoritaire essayant d'empêcher l'adoption de la loi sur la Cour Suprême. Le vote final est attendu le 19 juillet.

Censure post-mortem : les internautes chinois pleurent en silence la perte du prix Nobel Liu Xiaobo

mercredi 19 juillet 2017 à 09:32

Une installation artistique en mémoire de #LiuXiaobo réalisée dans le tunnel de graffitis de l'Université de Sydney par @badiucao.

Le 15 juillet, les cendres du militant pro-démocratie et critique littéraire Liu Xiaobo ont été dispersées en mer près de Dalian, dans le nord-est de la Chine, deux jours après qu'un cancer du foie l'a emporté.

Dans plusieurs interviews accordées à des chaînes de télévision hongkongaises, Liu Xiaoguang, frère du dissident, a exprimé « tous [ses] remerciements et [sa] gratitude envers le Parti communiste chinois » pour avoir traité le cancer de Liu Xiaobo et arrangé ses funérailles.

Néanmoins, les soutiens de Liu Xiaobo estiment que si ses cendres ont été dispersées en mer, c'est afin d'empêcher quiconque de se rendre sur sa sépulture et de rendre hommage au lauréat du prix Nobel de la Paix.

D'ailleurs, la plupart des amis de Liu n'ont pas pu assister aux funérailles. Sa femme, Liu Xia, en résidence surveillée depuis 2010, apparait sur les photos mais ses proches ont perdu le contact avec ellle.

Liu Xiaobo avait été condamné en 2009 à onze ans de prison pour « incitation à la subversion d'Etat » suite à son rôle dans la rédaction de la Charte 08, un manifeste appelant à des réformes démocratiques en Chine. Son travail en faveur des droits de l'homme fut récompensé par le Prix Nobel de la Paix en 2010.

Sur les médias sociaux, dont Weibo et WeChat, des chercheurs ont documenté une augmentation significative de la censure après la mort de l'activiste. Selon Citizen Lab, un groupe de recherche sur les droits numériques basé à Toronto, les discussions portant sur Liu Xiaobo et son œuvre ne sont plus tolérées.

Sur Facebook, l'universitaire hongkongais et chercheur pour Citizen Lab Lokman Tsui résume les conclusions tirées par l'organisation :

For WeChat, before his death, discussion of Liu was allowed as long as it did not touch on certain sensitive topics such as “Charter 08” or his medical care. After his death, any mention of his name in English and Chinese (both simplified and traditional) is enough to get messages blocked. His death is also the first time we see image filtering in one-to-one chat, in addition to image filtering in group chats and WeChat Moments [which is equivalent to Facebook's news feed].

For Sina Weibo, there already was a ban on searches for Liu’s name in English and Chinese (both simplified and traditional). However, after his death, his given name (Xiaobo) alone is enough to trigger censorship, showing increased censorship on the platform and a recognition that his passing is a particularly sensitive event. Nevertheless, there is also evidence suggesting there continues to be genuine user interest in producing and finding Liu-related content using alternative keywords.

Sur WeChat, avant sa mort, on avait le droit de parler de Liu Xiaobo tant que l'on n'évoquait pas certains sujets sensibles, tels que la « Charte 08 » ou ses soins médicaux. Depuis sa mort, une simple mention de son nom en anglais ou en chinois (simplifié ou traditionnel) suffit à ce que les messages soient bloqués. Son décès marque également la première fois que les images sont filtrées dans les conversations privées, comme c'était déjà le cas dans les conversations de groupe et les moments WeChat [qui ressemblent au fil d'actualité Facebook].

Sur Sina Weibo, les recherches sur le nom de Liu Xiaobo en anglais et en chinois (à la fois simplifié et traditionnel) étaient déjà interdites. Depuis sa mort, son prénom seul (Xiaobo) suffit désormais à déclencher la censure, démontrant ainsi un renforcement de celle-ci sur la plateforme et l'aveu des autorités que son décès constitue un évènement particulièrement sensible. Néanmoins, de nombreux exemples suggèrent que les utilisateurs continuent de produire et de trouver des contenus liés à Liu Xiaobo en utilisant des mots-clés alternatifs.

Pour la première fois, le partage d'images au sein d'une conversation privée a été bloqué. A gauche : un utilisateur canadien envoie une image représentant une chaise vide, symbole politique fort lié à Liu Xiaobo, à un ami basé en Chine. A droite : le destinataire ne peut pas voir l'image. Captures d'écran réalisées par Citizen Lab.

L'équipe de chercheurs estime que cette augmentation de la censure est autant due à « la peur des autorités de potentielles actions collectives » qu'à une tentative de « sauver la face ou éviter le ridicule ».

Le décès de Liu Xiaobo est un évènement politiquement sensible pour le Parti communiste chinois, le prix Nobel étant considéré comme l'un des dissidents les plus modérés de Chine, notamment en raison de son engagement de long terme en faveur de la lutte non-violente.

En 1989, il prit part aux manifestations pro-démocratie de la place Tiananmen, persuada les étudiants de se retirer lors de l'arrivée des troupes militaires,  mais resta à leurs côtés jusqu'au dernier moment. Ayant choisi de ne pas quitter le pays, il écopa d'une peine de deux ans de prison et continua de militer pour une transformation politique pacifique en Chine.

Des années plus tard, il est à nouveau emprisonné pour sa participation à la rédaction de la Charte 08. Dans son discours le plus connu, qu'il prévoyait de prononcer lors de son procès (ce qu'il n'a pas été autorisé à faire), il déclarait « Je n'ai aucun ennemi et aucune haine ».

Le Parti Communiste Chinois a maintenu l'état de santé de Liu Xiaobo sous silence jusqu'à la fin du mois de juin 2017, lorsque l'avocat de ce dernier a publiquement confirmé qu'il était en liberté conditionnelle pour raisons médicales afin de recevoir un traitement pour son cancer du foie, en phase terminale.

Dès lors, une campagne internationale appelant à la libération de Liu Xiaobo et de Liu Xia a pris de l'ampleur.

Lotte Leicht, Directrice du plaidoyer auprès de l'Union européenne pour Human Rights Watch, a twitté :

Cher Kofi Annan, votre collègue Prix Nobel, Liu Xiaobo, est en train de mourir. Il a une dernière volonté. Aidez-le, exhortez le gouvernement chinois à le libérer ainsi que sa femme Liu Xia.

L'ancien ambassadeur américain Curtis S. Chin espérait quant à lui que les autorités chinoises essaieraient de ne pas perdre la face en laissant Liu Xiaobo quitter le pays :

La Chine deviendra-t-elle le 1er pays depuis l'Allemagne nazie à laisser mourir un Prix Nobel de la Paix en détention ? [faisant référence à la mort de Carl Von Ossietzky en 1938]

Les autorités chinoises, loin de s'émouvoir de cette mobilisation, ont insisté sur le fait que Liu Xiaobo bénéficiait des meilleurs soins en Chine. L'organe de propagande du PCC, le Global Times, a même affirmé : « La Chine d'aujourd'hui est plus forte et plus confiante, et ne cèdera pas à la pression occidentale ».

Comme l'a souligné Citizen Lab dans son rapport, le pouvoir chinois a censuré tout débat public sur l'état de santé de Liu Xiaobo. Mais il a également manipulé et exercé un contrôle strict sur le récit de sa maladie et de sa mort :

To control the narrative around Liu’s illness, the CPC strictly regulated physical access to him. It denied his request to receive medical treatment overseas, despite repeated calls from NGOs and governments, including from German Chancellor Angela Merkel, who asked Beijing for a “signal of humanity for Liu Xiaobo and his family.” Beijing nevertheless resisted, saying he was already receiving the best possible care in China and citing Liu’s fragile health, disagreeing with the medical opinion of two foreign doctors who visited Liu and who deemed him strong enough to leave the country.

Afin de contrôler le récit qui était fait de la maladie de Liu Xiaobo, le PCC a fait en sorte que personne ne puisse l'approcher. Les demandes qu'il soit envoyé à l'étranger pour y être soigné ont également été rejetées, malgré les appels répétés d'ONG et de gouvernements, dont celui de la chancelière allemande Angela Merkel, qui a exhorté Pékin à faire preuve d’ « humanité pour Liu Xiaobo et sa famille ». Les autorités ont pourtant tenu bon, objectant que Liu Xiaobo bénéficiait déjà des meilleurs traitements en Chine et citant la fragilité de son état de santé, à l'encontre de l'avis de deux médecins étrangers ayant pu examiner Liu et estimant que son état lui permettait de quitter le pays.

Des preuves provenant de l'ambassade d'Allemagne ont par la suite fait surface, indiquant qu'un médecin allemand avait pu rendre visite à Liu.

Après la mort de Liu Xiaobo, les informations et images rendues publiques ont vraisemblablement été soigneusement sélectionnées. Sur les photos de ses obsèques, aucun de ses amis ne semble présent. Liu Xia a néanmoins dû remercier les agents des forces de sécurité en civil pour leur présence :

Des officiers de la sécurité d'Etat en civil font face à la famille de Liu Xiaobo lors de ses funérailles ; hier encore, certains d'entre eux prenaient des journalistes en filature.

Les remerciements télévisés du frère de Liu Xiaobo envers le Parti communiste sont un autre exemple de mise en scène médiatique soigneusement orchestrée :

Extrêmement triste de voir le grand frère de Liu Xiaobo, Liu Xiaoguang, tout faire pour louer le Parti et le gouvernement et même les remercier de leur humanité.

La dispersion des cendres de Liu Xiaobo en mer, le laissant ainsi sans sépulture, a été largement interprétée comme une manière d'éliminer sa présence et son influence en Chine :

Les cendres de Liu Xiaobo ont été dispersées en mer, probablement pour s'assurer qu'il n'ait aucune sépulture ni lieu de pèlerinage. Ses amis proches n'ont toujours pas pu joindre sa veuve.

Malgré tout, Zeng Jinyan, amie de Liu Xiaobo, estime que l'héritage de ce dernier demeurera une source d'inspiration :

Je peux prédire que dans le futur, activistes et gens ordinaires se rendront en mer pour y honorer la mémoire de Liu Xiaobo.

Actuellement, Hong Kong pourrait bien être la seule ville chinoise dans laquelle les citoyens peuvent publiquement pleurer la perte de Liu Xiaobo :

Les contestataires de Hong Kong, aujourd'hui en deuil, se sont rassemblés devant le bureau de liaison chinois peu après l'annonce de la mort de Liu Xiaobo. Certains sont en larmes.

Le 15 juillet, des centaines de personnes se sont rassemblées lors d'une veillée funèbre à Hong Kong et ont réclamé la libération de Liu Xia, maintenue en résidence surveillée sans aucune charge :

Les participants sortent en masse du parc Chater Gardens, à Hong Kong, où se tient une veillée aux chandelles en l'honneur du lauréat du Prix Nobel Liu Xiaobo.

La mobilisation se poursuit en ligne, à suivre sur le hashtag #FreeLiuXia.

Des musiciens éthiopiens condamnés pour terrorisme à cause des paroles “incitatives” de leurs chansons

mardi 18 juillet 2017 à 18:12

Capture d'écran d'une des “chansons de résistance” virales de Seena du groupe Afan Oromo sur sa chaîne Youtube.

Sept producteurs et interprètes d'un clip musical prisé sur Youtube ont été condamnés pour terrorisme en juin dernier en Éthiopie pour avoir produit et mis en ligne sur Youtube du matériel audio-visuel “incitatif”.

Les membres du groupe ont été arrêtés en décembre 2016 et gardés en détention sans motif jusqu'au mois dernier.

Parmi les accusés on compte Seenaa Solomon, une jeune chanteuse qualifiée par les critiques musicaux de star montante à suivre. Les autres détenus sont le célèbre compositeur, chanteur et entrepreneur de musique Elias Kiflu, les deux vocalistes Gemechis Abera et Oliyad Bekele, et trois danseurs, Ifa Gemechu, Tamiru Keneni et Moebol Misganu.

C'est sa deuxième arrestation pour le danseur Moebol Misganu, qui a été arrêté en 2014 durant la manifestation étudiante dans la plus grande région d'Ethiopie, l'Oromia. Il a été relâché en 2016.

Depuis décembre 2016, Seenaa et ses collègues étaient gardés à Maekelawi— une prison réputée pour ses pratiques de torture, d'après les témoignages de ses anciens pensionnaires. Quelques instants après leur arrestation, le militant en ligne et directeur de télévision satellitaire de la diaspora Jawar Mohamed écrivit :

Le régime a intensifié sa guerre contre les artistes Oromo. Presque tous les chanteurs sont soit emprisonnés, soit forcés de fuir ou passer dans la clandestinité. Des studios ont été fermés et leurs matériels confisqués. Seena Solomon et Elias Kiflu, le duo connu pour ses chansons de résistance profondément dramatiques en sont les dernières victimes.

Le contexte politique litigieux dans lequel ces arrestations se sont déroulées s'est dégradé avec le plan du gouvernement éthiopien d'étendre Addis Abeba, la capitale du pays. En 2014, le EPRDF, le parti au pouvoir, annonça un plan d'agrandissement de la capitale vers les terres agricoles voisines de l'Oromia, la plus grande région d’Éthiopie qui est la terre natale du groupe ethnique le plus important, les Oromo.

Lorsque ce plan provoqua des protestations à grande échelle et une violente répression gouvernementale, les musiciens Afan Oromo (la langue de la région) commencèrent à devenir une source d'inspiration visible — et audible — pour les mouvements d'opposition. Le groupe de Seenaa Solomon produisit des vidéos-clips en Afan Oromo lors des manifestations étudiantes ayant agité le pays de 2014 à 2016, en créant quelque chose de comparable à un hymne pour le mouvement.

Dans son reportage sur l'arrestation des membres du groupe, la radio d'Etat Fana Broadcasting Corporation déclara que Seenaa et ses collègues étaient en train de produire des vidéo-clips, des poèmes et des interviews avec des adversaires du gouvernement en collaboration avec une organisation politique de la diaspora basée en Australie.

Selon leur acte d'accusation, leur contenu audiovisuel “encourageait” et “magnifiait” les protestations étudiantes et autres qui se sont déroulées entre 2014 et 2016.

Ils ne sont pas les premiers musiciens à subir de telles répressions. En janvier 2016, Hawi Tezera, un autre chanteur Oromo confortant et encourageant les manifestants dans ses chansons, était emprisonné. En février 2017, Teferi Mekonen, un chanteur Oromo affirmant l'identité culturelle Oromo et mettant en cause la légitimité du parti au pouvoir dans ses titres, fut arrêté. Hawi fut libéré plus tard, mais le sort de Teferi reste inconnu.

Comme la visibilité des chanteurs politiques s'est accrue, les autorités éthiopiennes ont intensifié leur répression sur les musiciens perçus comme proches de l'opposition. Mais cela n'a pas nécessairement rendu ces derniers moins visibles ou populaires. La musique de résistance continue de prospérer sur YouTube. Malgré le fait que ces auteurs soient en prison, la chaine YouTube du groupe de Seenaa Solomon affiche toujours un impressionnant nombre de vues de plus de 3.525.996.

Le vote populaire de rébellion du Venezuela

mardi 18 juillet 2017 à 11:06

Après plus de cent jours consécutifs de manifestations populaires, l'opposition et les mouvements de la société civile du Venezuela ont organisé un ‘plébiscite,’ un référendum populaire défiant l’Assemblée constituante officielle convoquée par le président Nicolás Maduro pour le 30 juillet 2017.

Ce référendum, tenu le 16 juillet, posait trois questions :
1) Est-ce que vous rejetez et refusez de reconnaître la réunion de l'Assemblée constituante proposée par Nicolás Maduro sans l'approbation préalable du peuple vénézuélien ?
2) Est-ce que vous demandez à la Force armée nationale et à tous les fonctionnaires publics d'appliquer et défendre la constitution de 1999 et de respecter les décisions de l'Assemblée nationale ?
3) Est-ce que vous approuvez la réforme des pouvoirs publics dans la conformité aux dispositions de la constitution, et la tenue d'élections libres et transparentes, ainsi que la formation d'un gouvernement d'union nationale pour rétablir l'ordre constitutionnel ?

Tout Vénézuélien de 18 ans et plus, inscrit ou nom sur les listes électorales pouvait voter, quel que soit son pays actuel de résidence.

Lors d'une conférence de presse, Carlos Ocariz, chef de la campagne du plébiscite, commentait :

En el extranjero fueron habilitados 667 puntos de votación, distribuidos en 602 ciudades de 100 países.

667 bureaux de vote ont été habilités à l'étranger, répartis dans 602 villes de 100 pays.

Et de détailler :

Este proceso va a tener distintos mecanismos de observación, entre ellos la de organizaciones nacionales e internacionales, y de personajes de la política internacional.

Le processus aura différents mécanismes d'observation, parmi lesquels ceux d'organisations nationales et internationales, et de personnalités de la politique internationale.

Parmi ceux qui ont répondu à l'appel, des citoyens vénézuéliens d'Arabie saoudite, du Chili, d'Australie, de Nouvelle Zélande, d'Allemagne et d'Oman. Voici quelques témoignages de votants à travers le monde.

La consultation populaire a déjà débuté en Arabie saoudite.

De longues files d'attente de milliers de Vénézuéliens au bureau de vote de la consultation populaire du 16 juillet au croisement de la rue 125b avec l'autoroute à Bogotá.

Voilà à quoi ressemble le bureau de vote de la consultation populaire à Santiago du Chili.

Les Vénézuéliens de Jamaïque font l'histoire. Consultation populaire du 16 juillet Le peuple décide Je suis avec le Venezuela

Des endroits les plus lointains, les Vénézuéliens participent à la Consultation Populaire : Chypre, Kenya, la Grenade

Info depuis Düsseldorf, Allemagne. Le lieu de vote a été établi dans un bar. Près de 150 votants, tous pour le ouiouioui.

Au Vatican … fête électorale

C'est comme ceci [à Barcelone] à 15h. Consultation populaire

Le lieu de vote le plus bizarre du plébiscite est Ioujno-Sakhalinsk, une ville russe sur une île au Nord du Japon sur la côte sibérienne.

Au Venezuela même, la Mesa de la Unidad Democrática (MUD, Table de l'unité démocratique) a installé 2.030 bureaux de vote, 14.404 isoloirs, et accrédité 42.272 assesseurs de vote dans tout le pays. S'y sont ajoutés plus de 80.000 bénévoles, selon une déclaration de Carlos Ocariz.

Les ex-présidents de quatre pays d'Amérique Latine sont venus au Venezuela participer au processus en tant qu'observateurs internationaux : le Colombien Andrés Pastrana, le Mexicain Vicente Fox, les Costa-Ricains Laura Chinchilla et Miguel Ángel Rodríguez, et le Bolivien Jorge Quiroga.

Le président de l'Assemblée nationale, Julio Borges, a indiqué que des organisations non-gouvernementales comme Transparencia Perú, Alianza Cívica de México et Participación Ciudadana de l’Équateur étaient aussi présentes comme observateurs.

Des Vénézuéliens dans le pays ont partagé des images de votants ravis de prendre part à cet événement démocratique.

Ma grand-tante exerçant son droit de voute au Venezuela.

Aujourd'hui on a vécu dans les rues une joie que les Vénézuéliens n'ont pas connue depuis longtemps.

Et OUI, OUI, OUI Venezuela. Tu seras l'avenir…

Sous-titres de la vidéo :
Pour ceux qui sont ici, oui.
Pour ceux qui veulent revenir, oui.
Pour le Venezuela, oui.
Nous voulons vous ramener, ensemble.
Il y en a plus, des bons comme nous.

Dans cette vidéo, un homme explique qu'il a échangé ses vêtements avec une amie qui ne voulait pas aller voter en robe courte.

C'est ce que j'ai vu de mieux aujourd'hui ! Hahahaha
Les Vénézuélienns sont impayables

Transcript de la vidéo :
Femme : Pourquoi tu es si beau ?
Homme : Parce que la fille avec qui je suis venu ici a dit qu'elle ne viendrait pas voter parce qu'elle était en robe courte, et je lui ai dit, “je vais échanger cette robe [avec toi], et allons voter !” Je lui ai donné mes habits et elle m'a donné la robe.
Femme : Avec un drapeau, et tout, bravo ! Bienvenue !
Homme : Pour un nouveau Venezuela, pour un beau Venezuela, pour un Venezuela qui ira loin… comme nous étions avant, libres ! Liberté ! Je n'en dirai pas plus aujourd'hui. Nous allons tous fêter, à partir de maintenant, ça ne sera rien purement la fête, il n'y aura pas assez de bière, pas assez d'eau-de-vie…

Mais le bonheur n'était pas total en ce jour de désobéissance civile. A Catia, un quartier traditionnellement chavista de Caracas, les votants étaient encerclés par des individus armés. Avant 16h heure locale, des miliciens affiliés au pouvoir de Nicolás Maduro se sont mis à tirer sur les votants. L'infirmière Xiomara Escot as été tuée, et au moins trois autres femmes ont été blessées. Le journaliste Luis Olavarrieta a été enlevé, et retrouvé plus tard, passé à tabac, dans un centre de soins. La rue où s'est produit l'incident s'est vidée, mais des gens ont décidé d'aller voter dans des zones voisines en bravant les menaces.

Ils menacent de mort des gens, tirent sur leurs enfants, tuent des personnes démunies. Mais le Venezuela civil répond par la vie dans les rues.

Les résultats officiels du plébiscite ont été annoncés à minuit, heure du Venezuela.

DERNIERE HEURE | VIDÉO – la MUD annonce le résultat officiel de la Consultation Populaire :
Au Venezuela : 6.492.381
A l'étranger : 693.789
Total : 7.186.170

Divers citoyens se sont rapidement félicités en ligne du succès de l'opération.

Nous avons réussi cela en 2 semaines d'organisation et 7 fois moins de bureaux de vote qu'un processus électoral normal.
We're on fire.

Quant à l'exercice de consultation, le portail numérique El Chigüire Bipolar commente dans un billet titré “Le pays est parfaitement capable de fonctionner sans dictature” :

También se demostró que somos profundamente democráticos, ¿no? Revisa tu Instagram para que veas: estemos donde estemos los venezolanos solo queremos votar. Votar hasta en las condiciones más difíciles. Hasta cuando las elecciones tengamos que organizárnoslas nosotros mismos. Votar y votar, aunque el gobierno nos niegue el derecho.

Cela a aussi démontré que nous sommes profondément démocratiques, non ? Vérifiez votre Instagram pour voir : où que nous soyons, nous Vénézuéliens voulons seulement voter. Voter, jusque dans les conditions les plus difficiles. Jusqu'à devoir les organiser nous-mêmes, ces élections. Voter et encore voter, même si le gouvernement nous en nie le droit.

Pour plus d'articles, lisez notre dossier spécial Venezuela.