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Les récentes démissions de chefs d’État font naître un espoir prudent sur le continent africain

vendredi 23 février 2018 à 16:48

Street art au centre-ville de Nairobi au Kenya en 2014 Photo de Pernille Bærendtsen. Utilisée avec permission.

Comme l'a si bien dit en son temps le premier ministre britannique Harold Wilson, une semaine est longue en politique. Et rien ne pourrait le confirmer davantage que les événements récents en Éthiopie et en Afrique du Sud.

Après des mois de pression sur les gouvernements au pouvoir dans les deux pays, leurs chefs d’État ont démissionné : Jacob Zuma [fr] de la République d'Afrique du Sud et Hailemariam Desalegn [fr] du poste de Premier ministre de la République fédérale démocratique d’Éthiopie en tant que président du Parti du Peuple révolutionnaire éthiopien Front Démocratique (EPRDF). Les chutes de Zuma et Desalegn, bien que provoquées par des circonstances différentes, ont enflammé le discours et l'espoir d'un changement démocratique dans de nombreux pays africains ayant des dirigeants autoritaires.

Zuma, le quatrième président de l'Afrique du Sud, était au pouvoir depuis 2009. Il a démissionné le 14 février 2018 de la présidence d'une nation qui était prête pour sa sortie depuis des années. Cible éternelle des allégations de corruption, Zuma a néanmoins survécu à de nombreux votes de défiance du parlement. Sa sortie forcée la semaine dernière a été voulue et exécutée par son parti, le Congrès national africain (ANC), qui lui a donné un ultimatum : démissionner ou faire face à un nouveau vote de confiance. Voyant sa fin, Zuma a donné une longue interview surprise à la télévision nationale, SABC, dans laquelle il a affirmé qu'il n'avait rien fait de mal.

Quelques heures plus tard, il cèdait, démissionnant “en tant que président de la République avec effet immédiat”. Matamela Cyril Ramaphosa [fr], l'un des hommes les plus riches d'Afrique du Sud, a été nommé président de l'ANC, annonçant dans son discours initial : “nous vivons une nouvelle aube”.

L’Éthiopien Desalegn [fr] a hérité d'une situation compliquée lorsqu'il a pris le pouvoir en 2012 après la mort du Premier ministre Meles Zenawi [fr]. Zenawi s'était accroché au pouvoir en utilisant les moyens les plus répressifs tout en promouvant l'idée d'un “État développementaliste” uniquement préoccupé par la croissance économique. De son prédécesseur Desalegn a également hérité du “Plan directeur intégré d'Addis-Abeba”, qui a étendu les limites de la capitale éthiopienne jusqu'au territoire du peuple Oromo, le plus grand groupe ethnique du pays, longtemps marginalisé par le Front populaire de libération du Tigré. Même si Desalegn lui-même appartient à un groupe ethnique minoritaire, il faisait partie d'un gouvernement qui ne servait pas les intérêts de la plupart des Éthiopiens.

L'Éthiopie a été marquée par des manifestations depuis 2015 contre l'emprisonnement massif de politiciens, de militants et de journalistes, y compris les blogueurs du collectif Zone 9 [fr]. Les régions d'Oromia et d'Amhara, les plus peuplées d'Éthiopie, ont été le centre de protestations soutenues et de nombreuses victimes, et les troubles s'étaient étendus au reste du pays. Au début de 2017, une commission parrainée par le gouvernement a révélé que plus de 700 personnes avaient été tuées lors d'une répression violente des manifestations . Ce gouvernement a réagi en imposant l'état d'urgence pendant dix mois. Quelques semaines avant sa démission, en janvier 2018, Desalegn a annoncé que son gouvernement libérerait les prisonniers politiques. Jusqu'à présent, les accusations contre 7 000 personnes ont été soit abandonnées, soit amnistiées.

On ignore encore qui prendra la relève de Desalegn, ou si son départ apportera un changement significatif, car la structure du parti qui a maintenu la répression est toujours intacte.

Zimbabwe

Les départs de Zuma et de Desalegn surviennent à peine trois mois après que le Zimbabwéen Robert Mugabe [fr] a été chassé après 37 ans de pouvoir par son vice-président, Emmerson Mnangagwa [fr] bénéficiant du soutien des militaires. Le changement a été réalisé par l'armée et le relais a été confié à un ami de Mugabe, mais il s'agissait néanmoins d'une étape importante, permettant aux Zimbabwéens de s'organiser et de réclamer des changements lors des prochaines élections prévues pour cette année.

A qui le tour ?

Togo

Les citoyens togolais descendent dans les rues depuis août 2017 et les manifestations [fr] n'ont pas diminué. Le peuple s'est mobilisé en réponse à un appel d'une coalition de 40 partis de l'opposition demandant que le président démissionne, car son mandat actuel, le troisième, viole la constitution du pays.

Faure Gnassingbé [fr] détient le pouvoir au Togo depuis 2005 lorsqu'il a succédé à son père Eyadéma Gnassingbé, qui a été président de 1967 à 2005. En novembre 2017, des milices armées dénommées “comités d'autodéfense” par le gouvernement ont été mandatées pour exercer des représailles contre les manifestants, suscitant une grande source d'inquiétude parmi les observateurs de la politique togolaise et les défenseurs des droits de l'homme. L'escalade de la violence a été invoquée par le gouvernement comme une raison pour suspendre le droit des citoyens à manifester, ce qui n'a fait qu'alimenter la colère de l'opposition.

Encouragement dans les rues de Kibera à Nairobi au Kenya avant les élections. Photo de Pernille Bærendtsen. Utilisée avec permission.

Ceux qui s'accrochent

Ouganda

Les Ougandais ont salué la nouvelle des démissions de Zuma et de Desalegn, tout comme ils l'ont fait l'an dernier pour la chute de Mugabe, avec à la fois excitation et nostalgie, beaucoup se demandant quand viendra le tour de leur propre pays. Le président Yoweri Museveni [fr] est au pouvoir depuis 32 ans et ne montre aucun signe de relâchement. À la fin de 2017, il a signé l'amendement constitutionnel controversé populairement connu sous le nom de projet de loi limite d'âge, qui supprime l'âge maximum pour les candidats à la présidentielle. Ayant levé la clause limitative du mandat présidentiel, Museveni, âgé de 73 ans, s'est positionné pour participer aux prochaines élections présidentielles.

La gouvernance corrompue et basée sur le favoritisme de Museveni a eu un impact énorme sur l'Ouganda, où l'âge médian de la population est de 15 ans. La loi sur la limite d'âge était fortement contestée dans le pays, mais avec des incitations financières et un peu d'intimidation, son parti, le National Resistance Movement (NRM), majoritaire au parlement, a défié la volonté du peuple.

Guinée Équatoriale

À la fin de 2017, un coup d'État a échoué [fr] contre Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, qui occupe la présidence de la Guinée équatoriale depuis 39 ans. Mbasogo a attribué ce complot à des opposants soutenus par des puissances étrangères non spécifiées. Bien que la Guinée équatoriale, riche en pétrole, ait le revenu par habitant le plus élevé d'Afrique [fr], la pauvreté et la répression persistent. Le fils de Mbasogo, Teodoro Nguema Obiang Mangue, est le vice-président du pays.

Les despotes du continent aux petits soins les uns pour les autres

La Guinée équatoriale a accordé l'asile à l'ancien dictateur gambien Yahyah Jammeh [fr], qui a démissionné en 2016à contrecœur de la présidence après avoir été défait lors d'une élection.

Le gouvernement Mbasogo a survécu à la tentative de coup d'État de 2017 grâce largement à l'intervention de l'Ouganda. Le président Museveni aurait envoyé des troupes pour renforcer la sécurité après le coup d'État. L'armée ougandaise a déclaré que les troupes faisaient partie d'une mission renouvelable d'un an en vertu de l'accord sur le statut des forces avec le gouvernement de Mbasogo. Ces jours-ci, Mbasogo fréquente l'Ouganda, notamment lors de jours fériés importants.

Un changement ici, une rechute là

Tanzanie

“Il y a un vent fort de changement en Afrique”, a twitté Zitto Kabwe, leader du parti d'opposition tanzanien Alliance pour le changement et la transparence (ACT) le 15 février, évoquant les démissions de Zuma et Desalegn. La tendance à s'accrocher au pouvoir est également présente en Tanzanie, mais ici elle concerne moins les individus que le parti Chama Cha Mapinduzi (CCM), qui domine la politique depuis l'indépendance en 1961.

Bien que Julius Nyerere [fr], le père fondateur du pays, ait créé un précédent en démissionnant volontairement en 1985, le CCM reste au pouvoir et son règne sous l'actuel président John Magufuli [fr] est devenu de plus en plus autoritaire.

Alors que Magufuli a rejeté un appel à étendre ses mandats à plus de deux. Il semble que plus la position du CCM est contestée – par exemple, par des élections plus compétitives – plus le parti et le gouvernement s'acharnent à réprimer ces contestations. Depuis les élections de 2015, l'opposition tanzanienne a la vie dure, elle a vu l'interdiction des rassemblements de l'opposition et l'étouffement des médias indépendants par un mélange de sanctions contre certains d'entre eux et d'intimidation et de punition des citoyens pour des critiques contre le président. D'éminents politiciens de l'opposition ont été séduits par l'offre de nouveaux postes gouvernementaux de haut niveau. Le vendredi 16 février à Dar es-Salaam, un jeune étudiant aurait été tué par une balle perdue et plusieurs autres auraient été blessés alors que la police dispersait un rassemblement de l'opposition.Tant directement qu'indirectement, de telles actions contribuent à créer une atmosphère d'intimidation, d'auto-censure et de peur d'exprimer des opinions dissidentes sur les dirigeants du pays.

Poing fermé lors d'un rassemblement de l'opposition en Tanzanie en 2012. Photo de Pernille Bærendtsen. Utilisée avec permission.

Nigeria

Au Nigeria, Muhammadu Buhari [fr], 73 ans, a été élu président en 2015 au milieu d'une vague d'espoir. L'”énorme bonne volonté” qui a présidé à son ascension au pouvoir a été presque entièrement épuisée par ce que certains Nigérians perçoivent comme des “échecs flagrants” de la part de son gouvernement. Le leader nigérian a été décrit comme “favorisant son village et son clan” dans ses nominations à des postes publics. La réponse inefficace du gouvernement à la violence communautaire entre éleveurs et agriculteurs dans les États d'Adamawa, Benue, Taraba, Ondo et Kaduna a également été critiquée comme “inadéquate, trop lente, inefficace et, dans certains cas, illégale”. Selon Amnesty International, 700 personnes ont perdu la vie depuis l'année dernière.

C'est la toile de fond sur laquelle deux anciens chefs d’État nigérians ont demandé publiquement à Buhari de ne pas briguer un second mandat. Le premier mandat de quatre ans de Buhari expire le 29 mai 2019, avec des élections présidentielles qui auront lieu début 2019. Dans une lettre publique, l'ancien président Olusegun Obasanjo [fr] a souligné que Buhari n'était pas seulement clanique mais surtout qu'il n'avait pas la capacité de “discipliner les membres égarés de sa cour népotique”. Obasanjo conseille à Buhari de prendre “de descendre dignement et honorablement du cheval” parce que “avec une santé chancelante et la fatigue, gérer les affaires du Nigeria occupe 25 heures par jour 7 jours sur 7. “De même, l'ancien chef d’État militaire, Ibrahim Babangida, a publiquement conseillé au président Buhari de ne pas se faire réélire parce que “il arrive un moment dans la vie d'une nation, où l'ambition personnelle ne doit pas l'emporter sur l'intérêt national.” Babangida a déclaré que le Nigeria du 21ème siècle doit “puiser dans l'ingéniosité de la jeune génération”.

Vaguelettes de cynisme ou d’espoir ?

L'humeur sur le continent est à l'espoir, d'une part, à la retenue évidente et au scepticisme de l'autre. Les gens se souviennent des dures leçons du Printemps arabe, où les tyrans ont été remplacés par une nouvelle batterie de tyrans, quand des pays ne se sont pas entièrement effondrés, comme dans le cas de la Libye, où une brève période de contestation a provoqué une fracture du pays. Alors que le changement de gouvernement de 2016 en Gambie a été accueilli avec joie, il y a une désillusion grandissante avec l'actuel président Adama Barrow [fr], qui a succédé au dictateur Jammeh. Après seulement une année au pouvoir, Barrow a illégalement détenu [fr] un professeur d'université pour avoir critiqué son administration.

Au Kenya, de même, les changements de dirigeants n'ont pas entraîné de changements dans le système ni le renouvellement des cliques dirigeantes. La récente réélection d'Uhuru Kenyatta à la suite d'une vigoureuse décision de la Cour suprême du pays d'annuler sa victoire précédente est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles les citoyens africains restent sceptiques. En tant que président, Kenyatta a lourdement censuré les réseaux de télévision pour des raisons politiques au mépris des ordonnances des tribunaux, des actes sans précédent depuis la dictature démocratique de Daniel Arap Moi. Il a également expulsé des opposants politiques, une action qui rappelle la période coloniales lorsque beaucoup de chefs africains ont été contraints à l'exil pour désobéissance. Kenyatta aura probablement du mal à conserver sa légitimité jusqu'à la fin de son mandat.

Même si les dirigeants changent, la contestation du pouvoir se poursuit face aux inégalités croissantes au sein des pays africains. Il faut du temps pour démanteler les systèmes construits par les dirigeants et les régimes répressifs et construire de véritables démocraties. Le processus est rarement linéaire, tantôt il avance et tantôt il recule. Le départ de Jacob Zuma n'aboutira ni à la fin abrupte de la corruption ni n'ouvrira des opportunités si nécessaires pour la jeunesse noire sud-africaine, mais c'est un pas en avant. En Éthiopie, entre-temps, il reste à voir ce que signifie le départ de Desalegn, notamment pour le rôle du TPLF et la lutte pour le contrôle du pays face aux soulèvements dans différentes régions fédérées.

Mais à bien des égards, le cynisme n'arrive pas à rivaliser avec l'espoir né dans de nombreux pays africains où des hommes forts exercent toujours le pouvoir. Zuma a été expulsé à la suite d'une prise de conscience démocratique croissante en Afrique du Sud. Et le ressentiment en Éthiopie a coalisé pour le genre d'action collective qui est essentielle à la “créativité destructrice” qui aide les institutions à se développer dans des cultures démocratiques stables. Ce sont des signes palpables d'espoir.

La police tunisienne s'en prend aux journalistes qui couvrent les manifestations anti-austérité

vendredi 23 février 2018 à 15:36

La police anti-émeute à Tunis le 6 février 2013. Photo : amine Ghrabi (CC BY-NC 2.0)

La riposte excessivement sécuritaire des autorités tunisiennes aux récentes manifestations contre l'austérité mettent la liberté de presse en danger.

Pendant tout le mois de janvier, des manifestants à travers la Tunisie ont protesté dans les rues contre les hausses de taxes qui font monter les prix sur un large éventail de biens et services, entre autres les services de téléphonie et d'internet, et les produits agricoles importés.

Ces hausses découlent du budget de 2018, qui instaure une augmentation de 1 % de la taxe sur la valeur ajoutée et accroît les droits de douane. Le budget impose aussi de nouveaux impôts, comme la taxe de sécurité sociale de 1 % sur les salariés et les employeurs, et une taxe de séjour sur les nuits d'hôtel pour les clients.

Si la majeure partie des manifestations étaient pacifiques, quelques unes ont dégénéré, avec des actes de pillage et de vandalisme. Un manifestant a été tué le 8 janvier, supposément renversé et écrasé par une voiture de police. Officiellement, il serait mort de suffocation après avoir inhalé des gaz lacrymogènes. Des centaines de manifestants, parmi lesquels des militants qui distribuaient des tracts réclamant des réformes économiques, ont été arrêtés.

Dans un tel climat de tension sociale, où le rôle des médias indépendants est crucial pour dissiper la désinformation et faire connaître les revendications légitimes des protestataires, les autorités tunisiennes harcèlent les journalistes et sont critiquées par les défenseurs des droits. Des organismes de défense des libertés comme le Syndicat national des Journalistes tunisiens (SNJT), Reporters sans Frontières, Amnesty International et le Club des Correspondants nord-africains ont condamné la multiplication des attaques de journalistes par les policiers.

Dans son rapport mensuel de janvier 2018, le Syndicat des Journalistes tunisiens a documenté 18 cas d'abus commis contre des journalistes dans le pays pendant ce mois. Ces abus, agressions, gardes à vue et confiscations de matériels, étaient pour la plupart des tentatives de la part des forces de sécurité de contrôler le libre flux de l'information en entravant le travail des médias. Le rapport a établi qu'au total, policiers et membres des syndicats de policiers étaient responsables de 11 violations sur les 18 documentées.

Journalistes interrogés et mis sous surveillance

Le syndicat et les autres groupes de défense des droits ont documenté plusieurs cas où les policiers ont interpelé et interrogé des journalistes en relation avec leur couverture des manifestations. Peu après le début des troubles, la police tunisienne a interrogé deux journalistes français, Michel Picard et Mathieu Galtier. Michel Picard, un journaliste indépendant, a été brièvement gardé à vue le 14 janvier alors qu'il suivait la visite du président Beji Caid Essebsi dans un quartier populaire de Tunis. Les policiers lui ont demandé s'il travaillait avec d'autres reporters, photographes ou cameramen.

Mathieu Galtier, un reporter du quotidien français Libération, a été interrogé pendant une heure par des policiers le 11 janvier. Ils lui ont demandé le nom de ses sources à Tebourba, une petite ville à 30 km de la capitale où l'agitation a tourné à la violence et provoqué la mort d'un manifestant.

Le 7 janvier, la police a interpelé Nadim Bou Amoud, un reporter de Tunis Review, confisqué son appareil photo et son smartphone, et supprimé de ses appareils tout contenu récent se rapportant aux manifestations de la journée. Deux autres journalistes, Borhen Yahyaoui de radio Mosaïque FM et Ahmed Rezgui de radio Shems FM, ont eu leurs téléphones brièvement confisqués par un agent de police pendant qu'ils couvraient une manifestation à Kasserine.

Outre les gardes à vue, interrogatoires et menaces, les journalistes se plaignent également de pratiques de surveillance illicites. Le syndicat a reçu plusieurs plaintes de journalistes à propos du “retour de la surveillance policière dans leurs logements, sur les lieux de travail et de leurs mouvements”. Des allégations qui n'ont pas été démenties par les autorités. De fait, lors d'une audition du 29 janvier devant la commission de la sécurité et de la défense du parlement, le ministre de l'intérieur Lotfi Brahem a reconnu la mise sur écoutes du téléphone de Galtier, le reporter de Libération, parce que ce dernier aurait été en contact avec des “casseurs”. Ce que le journaliste a nié sur Twitter, disant qu'il n'avait parlé qu'à des gens sur le terrain à Tebourba.

Action des journalistes, double langage du gouvernement

Ces multiples attaques ont fait descendre les journalistes dans la rue pour un “jour de la colère le 2 février. Ils protestaient contre ce que leur syndicat a décrit comme une “politique systématique de ciblage des journalistes pour les vassaliser et les réduire au silence”, et pour les empêcher “[de] diffuser l'information, d'exposer la vérité, et de documenter les atteintes du gouvernement aux droits des citoyens à manifester pacifiquement”.

Le président du syndicat, Neji Bghouri, a également adressé une lettre ouverte au président de la république, au premier ministre et au président du parlement, leur demandant de prendre des mesures concrètes pour faire cesser l'escalade de la violence policière contre les journalistes de terrain, et de mettre fin aux politiques gouvernementales qui remettent en question le processus démocratique. Le syndicat a aussi l'intention de dénoncer la situation actuelle auprès du Rapporteur spécial de l'ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'expression et de l'inviter à venir enquêter en Tunisie.

Les responsables gouvernementaux ont réagi en réitérant leurs engagements pour les libertés de presse et d'expression. Trois jours après le “jour de la colère”, le Président Essebsi a reçu les dirigeants du syndicat et leur a renouvelé son engagement à protéger la liberté d'information et la sûreté des journalistes. Des paroles qui ont sonné creux après la conférence de presse quelques jours auparavant où M. Essebsi avait qualifié la presse en Tunisie de “trop libre”.

Au cours d'une rencontre avec le président du syndicat, le premier ministre Youssef Chahed a déclaré qu'une liberté d'information sans entrave est d'une importance vitale pour le processus démocratique du pays, et que son gouvernement tient à honorer ses engagements pour la liberté de la presse. La commission de la sécurité et de la défense du parlement et celle des droits et libertés von auditionner conjointement les représentants des syndicats des journalistes et des forces de sécurité en vue d'une relation de travail respectueuse entre police et médias.

Malgré les engagements réitérés pour la liberté de la presse, ce sont les actions du gouvernement tunisien (et son inaction) qui ont concouru à créer la situation actuelle. Quand les manifestations ont éclaté, au lieu de traiter à la racine les inquiétudes publiques, un certain nombre de responsables gouvernementaux ont choisi de s'en prendre aux médias. Le président Essebsi a accusé les journalistes et médias étrangers de “ternir l'image du pays” dans leur couverture des manifestations. Le ministre tunisien des Affaires étrangères a fait une déclaration similaire sur la couverture “non-professionnelle” des médias étrangers du mouvement de contestation.

En outre, le ministre de l'Intérieur a menacé de poursuivre quiconque jetterait le doute [dans les réseaux sociaux] sur les forces de sécurité, et a souhaité un cadre légal pour protéger des forces de sécurité et l'armée “des risques physiques auxquelles elles sont exposées”, sans proposer de remède aux agressions et menaces subies par les journalistes aux mains des forces de sécurité.

En réalité, le ministère de l'Intérieur pousse un projet de loi “sur la protection des forces de sécurité” qui restreindrait la liberté de presse, de parole et de réunion en criminalisant les propos considérés comme “dénigrant” la police.

Les revendications d'emplois, de justice sociale et de libertés étaient au cœur du soulèvement tunisien qui a renversé le régime de Zine El Abidine Ben Ali il y a un peu plus de sept ans. Si le pays a progressé en matière de libertés, notamment dans les domaines de la liberté de parole et de presse, la situation économique reste si désespérée que près de 1.500 manifestations à motif social ont été documentées dans l'ensemble du pays rien qu'en janvier 2018.

La réaction sécuritaire répressive qui veut criminaliser les protestataires et met en doute les motivations réelles de leurs revendications met les journalistes dans la situation délicate où ils sont traités avec suspicion — et attaqués et menacés en conséquence — chaque fois qu'ils contestent le narratif officiel, mettent en lumière les abus policiers ou donnent une voix aux protestataires.

#JusticeForAsifa : le meurtre d'une fillette choque le Jammu-et-Cachemire, mais pas les médias

vendredi 23 février 2018 à 09:08

Le texte sur le poster se traduit par: “Delhi… Ici les femmes ont peur de sortir de chez elles. Qui est responsable de cette peur intense ?” Image par Francois Decaillet sur Flickr. CC BY-NC-ND

Alors que le Pakistan se débattait pour traduire en justice les coupables du meurtre de Zainab Ansari, une fillette de sept ans, un autre crime atroce est survenu de l'autre côté de la frontière, choquant les habitants de l'état indien du Jammu-et-Cachemire, dans le nord du pays.

Le 17 janvier dernier, le corps battu et sans vie d'une fillette de huit ans, Asifa Bano, a été découvert dans une forêt aux alentours d'Hiranagar, dans le district de Kathua du Jammu et Cachemire. La presse locale rapporte qu'Asifa Bano aurait été violée puis torturée avant d'être tuée, et qu'il y avait des traces de morsures humaines sur son corps.

Asifa Bano avait été portée disparue une semaine avant que son corps soit enfin découvert. Les membres de sa famille ont expliqué à la presse locale avoir déposé un Premier rapport d'information (ou FIR) à la suite de sa disparition, mais que l'enquête policière avait été lente. La famille d'Asifa Bano fait partie de la tribu semi-nomade des Gujjar-Bakarwal.

Les autorités locales, citoyens et journalistes du Jammu-et-Cachemire ont tous dénoncé le meurtre atroce d'Asifa Bano et ont établi un parallèle avec celui de Zainab Ansari au Pakistan. Le public a aussi exigé que justice soit rendue à l'enfant.

Shujaat Bhukari, rédacteur en chef du Rising Kashmir au Cachemire, écrit :

When one wakes up to know about the horrendous news of kidnapping, rape and killing of 8-year old Asifa Bano in Kathua. This is gruesome beyond words. Sadly this savagery has no boundaries#JusticeforAsifa

Lorsque vous vous réveillez et que apprenez la nouvelle atroce du kidnapping, viol et meurtre d'Asifa Bano, 8 ans, à Kathua. Il n'y a pas de mots pour décrire cette atrocité. Malheureusement cette sauvagerie n'a pas de limites. #JusticeforAsifa

Nadir Ali, un résident local, réfléchit à l'incident et à l'état actuel de la société :

Soul of Jammu and Kashmir is in revolt.. 8-year-old daughter was raped and killed. Where are we heading??? Are we going backward into the future?? We all should stand together and give justice to Asifa's family.

L'âme du Jammu-et-Cachemire est en révolte.. Une fillette de 8 ans a été violée et tuée. Où allons-nous ??? Allons-nous vers le futur en arrière ?? Nous devrions tous nous unir et rendre justice à la famille d'Asifa.

Mehreen Syed, une étudiante en médecine originiaire du Cachemire, écrit :

Je n'ai littéralement pas de mot pour décrire ce que je ressens en ce moment… C'est un crime atroce et je veux que les responsables soient punis si sévèrement que plus jamais personne n'osera même penser à commettre un tel acte  #JusticeForAsifa#JusticeForZainabhttps://t.co/1rntcduMjL

— Mehreen Syed (@muzamilgurcoo) 19 janvier 2018

L'activiste social Guftar Ahmed a écrit :

#JusticeForAsifa Quand la justice sera rendue à Asifa  @MehboobaMufti@SushmaSwaraj . Arrivé à Kathua aujourd'hui organisé plusieurs manifestations dans le district pour Asifa  pic.twitter.com/ogCi5toFcD

— GuftarAhmed (@ahmedguftar00) 19 janvier 2018

Mais au niveau national, les réactions à l'incident ont été sporadiques, et beaucoup d'Indiens se sont abstenus de commenter ou d'organiser des manifestations contre ce crime odieux. Contrairement à d'autres meurtres insensés, il n'y a pas eu de marches, veillées à la bougie, ou de pétitions réclamant justice.

Les plus grands titres comme Zee News, Times Now et Republic, connus pour généralement prendre parti pour le gouvernement, n'en n'ont pas parlé. De telles histoires alimentent souvent des débats majeurs accompagnés de hashtags populaires ainsi que de éditoriaux, en particulier lorsqu'elles se passent en milieu urbain. Mais dans ce cas-ci, dans lequel la victime provient d'une région éloignée dans le Jammu-et-Cachemire et appartient à une communauté minoritaire, la réponse nationale a été relativement silencieuse.

Sur Facebook, le journaliste Majid Hyderi a critiqué les médias locaux qui n'ont pas couvert l'incident :

A local newspaper, which doesn’t report about the gruesome rape-and-murder of an eight-year-old-girl on its front page, can be appreciated as nothing but Pimp-Of-Journalism or Dalla-e-Sahafat. The tragedy of Gujjar girl, whose family isn’t resourceful enough to seek justice, gets fudged as a routine murder report on some inner page with no mention of rape.

Un journal local, qui ne rapporte pas un viol-et-meurtre horrible d'une fillette de huit ans sur sa première page, ne peut être considéré comme rien d'autre que du journalisme bas de gamme ou Dalla-e-Sahafat [nom d'un journal pakistanais, NdT]. La tragédie d'une fillette gujjar, dont la famille n'est pas assez riche pour demander justice, se retrouve fourré dans une page interne comme un rapport de meurtre quelquonque, sans même mention du viol.

Majid Hyderi a soulevé un autre point pertinent sur cet horrible meurtre et viol :

We all are silent because it wasn’t our daughter or sister or maybe she wasn’t from our community or tribe; she didn’t belong to the circle of influence that could awaken our souls.

Let’s not communalize the spine-shivering tragedy as being the case of a Hindu, Muslim, Sikh or Christians; Unless we humans wake up against such crimes as one voice regardless of religious or other beliefs, someone’s daughter will continue to fell prey.

As of now, let our heads hang in collective shame. Sorry, Asifa we did nothing for you because your rape and murder don’t serve our interests!

Nous sommes tous silencieux parce que ce n'était pas notre fille ou notre soeur, ou peut-être parce qu'elle ne faisait pas partie de notre communauté ou de notre tribu ; elle n'appartenait pas au cercle d'influence qui aurait pu éveiller nos âmes.

Ne catégorisons pas cette tragédie effroyante comme un cas hindou, musulman, sikh ou chrétien ; la fille d'un autre continuera de devenir une proie à moins que nous humains, nous réveillons contre ces crimes, unis, quelle que soit notre religion ou autres croyances

Et maintenant, baissons la tête dans une honte collective. Désolés Asifa, nous n'avons rien fait pour toi car ton viol et ton meurtre ne servent pas à nos intêrets !

Au parlement du Jammu-et-Cachemire, le parti politique d'opposition, la Conférence Nationale (NC) a organisé une protestation contre le meurtre pendant que le parti au pouvoir a annoncé une enquête immédiate. Le ministre en chef du Jammu et de Kashmir, Mehbooba Mufti, a condamné l'incident et a lui aussi exigé une enquête rapide. Un jeune suspect de 15 ans a été arrêté par la police.

Indigné par l'incident horrible dans lequel une fillette bakerwal a perdu la vie. De tels incidents seront investigués sans délai & les responsables seront punis.

— Mehbooba Mufti (@MehboobaMufti) 18 Janvier 2018 

Crimes contre les femmes

Depuis ces dernières semaines, cet incident et un autre meurtre, ainsi qu’une série de dix viols dans la région du Haryana ont forcé le gouvernment et les médias à enfin se pencher sur le problème. Des centaines de femmes se sont fait aggresser par des voyous la veille du nouvel an 2017, donnant lieu à d'importantes manifestations dans tout le pays.

Le problème de l'Inde avec les viols et les crimes contre les femmes n'est pas nouveau. Le nombre de crimes contre les femmes a été en constante augmentation dans le pays depuis 2001, où 143.795 cas ont été reportés, jusqu'à 337.992 en 2014. Ces nombres ont augmenté de façon alarmante, car de plus en plus de femmes et de jeunes filles rapportent des cas d'agressions sexuelles, d'atteintes à la pudeur et viols.

En attendant, au Jammu-et-Cachemire, beaucoup se demandent pourquoi le meurtre d'Asifa n'a pas secoué la conscience des Indiens, et pourquoi ce crime n'a été que très peu couvert par les médias. Les règles et les normes qui dominent les lois et systèmes de gouvernance en Inde ont peut-être encore un long chemin à parcourir quant à la protection des droits et la sécurité physique de tous les Indiens, et en particulier des femmes et des filles.

Note de l'éditeur : un officier de la police spéciale (SPO) de 28 ans, Deepak Khajuria, a été arrêté le 9 février. Ce dernier a avoué avoir drogué la fillette pendant sa captivité et commis ce crime afin de propager la peur parmi les nomades, pour que ces derniers restent eloignés de Kathua, majoritairement hindoue. Deepak Khajuria faisait partie des policiers ayant participé à la recherche d'Asifa Bano.

Bulgarie : Les uns défilent à Sofia en l'honneur d'un général pro-nazi, les autres se rassemblent pour refuser le fascisme

jeudi 22 février 2018 à 09:12

Rassemblement anti-fasciste à Sofia de protestation contre la marche Lukov des néo-nazis. Photo de Ruslan Trad, CC BY.

Le 17 février était une journée animée à Sofia, la capitale de la Bulgarie : les partisans de l'extrême-droite ont défilé pour marquer le 75ème anniversaire de l'assassinat du ministre bulgare pro-nazi de la défense Hristo Lukov [en], et des contre-manifestants ont riposté par avance le même jour avec des condamnations du nationalisme et de la xénophobie.

La manifestation a montré que le pays qui exerce en ce moment la présidence de l'Union européenne est aux prises avec largement les mêmes questions visibles ailleurs en Europe, entre autres la banalisation des politiques néo-fascistes.

Depuis les seize dernières années, l’Union nationale bulgare (acronyme anglais BNS, lien en anglais) organise la Marche Lukov à travers les rues du centre de Sofia. Le journaliste canadien Michael Colborne explique :

The march, which will take place this Saturday, is in honour of Hristo Lukov, a Bulgarian general who led the pro-Nazi Union of Bulgarian National Legions, an organization that in a previous incarnation had a swastika in its logo. Lukov had close ties with Nazi leadership, including Hermann Goering, and was one of the fiercest advocates of Bulgaria’s Nazi-inspired “Law for the Protection of the Nation” that, among other things, forced the country’s 50,000 Jews to wear yellow stars.

Yet they insist there’s nothing anti-Semitic or Nazi-like about it.

Every year marchers from Bulgaria and beyond drape themselves in mourning black, hold torches and chant Lukov’s praises in unison as they wind their way through Sofia’s streets. The march ends at the home where Lukov was assassinated by Communist partisans in February 1943, where the marchers lay wreaths.

La marche, qui aura lieu ce samedi, est en l'honneur de Hristo Lukov, un général bulgare qui a dirigé l'Union des légions nationales bulgares, une organisation pro-nazie qui dans une vie antérieure arborait une croix gammée dans son logo. Lukov avait des relations étroites avec les dignitaires du nazisme, dont Goering, et a été l'un des défenseurs les plus acharnés de la loi bulgare “de protection de la nation” inspirée par les Nazis, qui, entre autres, a obligé les 50.000 juifs du pays à porter l'étoile jaune.

Et pourtant ils soutiennent que [leur marche] n'a rien d'anti-sémite ni de néo-nazi.

Chaque année des marcheurs de Bulgarie et d'ailleurs se drapent d'un noir de deuil, tiennent des flambeaux et chantent les louanges de Lukov à l'unisson en parcourant les rues de Sofia. La marche se termine devant la maison où Lukov a été assassiné par des partisans communistes en février 1943, avec un dépôt de couronnes de fleurs.

Dans son programme, la BNS, qui ne détient aucun siège à l'Assemblée Nationale bulgare, promeut l'intolérance envers l'immigration (“la Bulgarie aux Bulgares et l'Afrique aux Africains“), rejette l'actuelle démocratie pluraliste du pays, et appelle de ses vœux “un pouvoir fort dans un État centralisé”.

La veille de la marche principale, les admirateurs de Lukov ont procédé à une parade d'intimidation, se promenant à travers le centre de Sofia, criant des slogans, fusées éclairantes et flambeaux à la main. La police n'est pas intervenue.

‘Pas de Nazis dans les rues !’

Le 17 février, un groupe de quelques 300 contres-manifestants s'est rassemblé aux alentours de midi dans le parc attenant à la Mosquée de Sofia et aux Bains minéraux centraux. Puis, passant par le Marché central, et la synagogue, ils ont marché en cortège jusqu'aux sièges des partis nationalistes, VMRO – Mouvement national bulgare et Ataka, qui participent au gouvernement.

Portant des banderoles disant “Pas de Nazis dans les rues !” les manifestants ont clamé leur solidarité avec les réfugiés et les minorités, et leur opposition au nationalisme et au capitalisme.

Plus de photos de la marche anti-fasciste en ce moment à Sofia.

En renfort des Bulgares, des participants sont venus de Grèce, d'Italie et d'Espagne. La police n'a pas permis aux contre-manifestants d'emprunter les rues du centre, invoquant des risques de sécurité dus aux heurts possibles avec les présents de la Marche Lukov, dont des groupes erraient déjà à travers la ville.

Des cadres de la marche anti-Nazis à Sofia quelques heures avant la marche Nazi appelée Marche Lukov

A un moment, les membres d'un groupe nationaliste allemand ont tenté de provoquer les contre-manifestants. De tels incidents se sont répétés plusieurs fois. La police a arrêté un agent provocateur.

Le journaliste canadien Michael Colborne était aussi présent et a publié une courte vidéo :

Une dernière vidéo, le cortège longe la Synagogue

La marche Lukov

Selon les estimations de la police, plus de 500 personnes y auraient été présentes, tandis que les organisateurs avaient dit en prévoir un millier.

La présence de groupes néo-nazis de Bulgarie et d'ailleurs en Europe était visible. Malgré cela, la BNS a nié les allégations que la marche était anti-sémite ou néo-nazie.

Selon la journaliste bulgare Mariya Petkova, 50 Allemands, 10 Français et quelques Suédois ont également participé à la marche Lukov :

Une famille dans une encoignure au passage de la marche Lukov, à Sofia ce matin. La fillette se bouche les oreilles.

Une dizaine de personnes d'une organisation française d'extrême-droite “Jeunes Nationalistes” se sont jointes à la marche Lukov de l'extrême-droite bulgare

Outre les 50 Allemands présents à la marche Lukov de Sofia, il y a aussi des gens de France, de Suède, de Hongrie

Chacun des principaux partis politiques de Bulgarie a condamné la marche Lukov, y compris les représentants des Patriotes-Unis (extrême-droite), bien que certains de leurs membres aient pris part à la marche dès le début. La maire de Sofia, Yordanka Fandakova, a tenté de l'interdire, mais les organisateurs l'ont assignée en justice et ont gagné.

En Iran, les « filles de la Rue de la Révolution » protestent contre le port obligatoire du voile

jeudi 22 février 2018 à 08:59

Femmes lors d'une manifestation contre le port du voile le lundi 29 janvier 2018. Assemblage de #دختران_خیابان_انقلاب images de Omid Memarian's Twitter post.

Billet d'origine publié le 30 janvier. Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais.

Une marée humaine, féminine, iranienne et contestataire est descendue dans les rues de Téhéran pour protester contre les lois imposant le port du voile.

Les photos de leurs manifestations ont largement circulé sur le net sous le hashtag #دختران_خیابان_انقلاب (traduit en anglais par #Girls_of_Enghelab_Street [“Les filles de la rue Enghelab” en français]). À la date du 29 janvier après-midi, au moins deux des six femmes apparaissant sur les photos ont été arrêtées.

Les manifestantes s'inscrivent dans les pas d'une Iranienne nommée Vida Movahed, arrêtée le 27 décembre 2017, après qu'une photo d'elle agitant silencieusement son voile au-dessus de sa tête nue dans la rue Enghelab de Téhéran (« enghelab” en persan signifie “révolution”) s'est propagée rapidement sur Internet. Mohaved a été relâchée le 27 janvier 2018.

À la suite de la révolution islamique de 1979 [fr], le voile (hijab) est devenu obligatoire en plusieurs étapes. La loi a d'abord été introduite en mars 1979 ; les Iraniennes, qui soutenaient à l'origine la révolution contre la monarchie, sont sorties dans la rue par centaines de milliers pour manifester contre ladite loi. L'année suivante, le voile est devenu obligatoire dans l'administration et la fonction publique jusqu'en 1983, date à laquelle il est devenu obligatoire pour toutes les femmes.

Flashback: manifestation anti-voile à Téhéran (Iran) en 1979, un jour avant que le régime théocratique commence à imposer par la force et la violence le port du voile aux femmes

La photo de la protestation de Movahed, se tenant sur un boitier électrique dans la rue Enghelab, est devenue virale dans le contexte d’une vague de manifestations antigouvernementales [fr] qui traverse le pays depuis le 28 décembre 2017.

Une femme dévoilée en Iran se dresse par défi lors d'un rassemblement anti-gouvernement. Nous devons maintenir l'attention de la communauté internationale. Il y a eu dans l'histoire récente des mesures répressives brutales par l’État. Nous ne pouvons laisser cela se reproduire. RT en utilisant #Iranprotests

Mais l'acte de défi de Movahed fut pris par erreur comme l'emblème des protestations dans tout le pays. En réalité, il s'agissait le 27 décembre 2017 de son acte de protestation, individuel et singulier, dans le cadre de la compagne White Wednesday [“Mercredi Blanc” en français], dans laquelle des Iraniennes publient en ligne des photos d'elles-mêmes portant du blanc et se débarrassant de leur foulard avec le hashtag #whitewednesday. Cela faisait partie du mouvement My Stealthy Freedom [“Ma liberté furtive”] fondé par la journaliste en exil Masih Alinejad contre le port obligatoire du voile par les femmes.

Les organisations de défense des Droits de l'Homme comme Amnesty International ont commencé à défendre la libération de Movahed dès qu'il a été connu qu'elle avait été arrêtée peu de temps après sa pose sur le poste électrique de la rue Enghelab. Le 28 janvier, Nasrin Sotoudeh, une avocate spécialisée dans les droits de la personne, connue (et souvent persécutée) pour défendre les activistes et les membres de l'opposition, a annoncé sur sa page Facebook [per]  que Movahed avait été relâchée le jour précédent :

دختر خیابان انقلاب آزاد شد.
در مراجعه‌ای که برای پیگیری پرونده‌ی دختر خیابان انقلاب به دادسرا داشتم، مدیر دفتر گفت که وی آزاد شده است. خوشحالم که او دیروز به خانه برگشته است. امیدوارم با پرونده‌سازی قضایی، وی را که از حقی ساده و یقینی استفاده کرده است، مورد اذیت و آزار قرار ندهند. او هیچ کاری نکرده است تا مستحق تعقیب قضایی باشد. دست‌تان را از سر او کوتاه کنید.

La fille de la rue de la Révolution a été libérée.

Lorsque je suis retournée au bureau du procureur pour donner suite au dossier de la fille de la rue Enghelab, le procureur en chef m'a informé qu'elle avait été relâchée. Je suis heureuse d'entendre qu'elle est rentrée chez elle hier. J'espère que cette affaire judiciaire ne sera pas utilisée pour la harceler parce qu'elle a fait valoir ses droits. Elle n'a rien fait justifiant de poursuites judiciaires. Merci de ne pas poser vos mains sur elle [à destination des autorités].

Le jour après l'annonce de la libération de Movahed, plusieurs femmes l'ont imitée et sont venues se tenir debout sur le poste électrique de la rue Engheblab :

Une source bien informée a raconté à Campaign for Human Rights en Iran que Narges Hosseini, l'une des manifestantes de la rue Enghelab, a été arrêtée le 29 janvier. #Girls_of_Revolution

D'autres femmes ont pris des poses similaires, retirant leur voile dans différentes rues de Téhéran, et dans un cas à Ispahan, une ville du centre de l'Iran, selon une source collaborative reportée sur le site www.enghelabgirls.com [per]  de Nariman Gharib. Cependant, le symbolisme du premier acte qui se déroulait dans la rue Enghelab, la “la rue de la Révolution”, n'a pas été perdu dans les événements suivants.

Fait intéressant : la première manifestante, – alors anonyme -, le fit dans la rue de la “Révolution”. Et, elle obtient rapidement le titre de “fille de la rue de la Révolution”, ce qui se transforma rapidement en #دختران_انقلاب “filles de la Révolution” lorsque d'autres la rejoignirent.

L'après-midi du 30 janvier, plusieurs autres femmes avaient été aperçues dans Téhéran retirant leur voile, ainsi qu'un homme.

Puissant : un Iranien proteste contre l'obligation de porter le voile en imitant l'acte de défi des femmes.

Nouvelle photo à l'intersection des rues Vali Asr et Rasht [à Téhéran]

My Stealthy Freedom, qui organise les Mercredis blancs, la campagne à laquelle Movahed  participait lors de son acte de défi, a été fondé par Masih Alinejad. Alinejad et son mouvement sont controversés en Iran et parfois sujets à des campagnes de diffamation par les médias iraniens, et associés avec l'opposition active au sein du pays. Sur la page Facebook de “My Stealthy Freedom“, Alinejad accueille ceux qui attaquaient précédemment sa campagne mais qui désormais s'engagent dans la discussion et l'opposition au port obligatoire du voile à la lumière de the #Girls_of_Enghelab_street :

Our #WhiteWednesdays campaign has been making an unstoppable impact and we are more than overjoyed. We are gratified to realize that the compulsory veil is no longer something than can be easily dismissed. It has always been an important issue as it relates to women's freedom of choice. It is our most basic right. Our campaign has come a long way. We have also realized that people who attacked us yesterday are now onboard supporting our struggle. We warmly welcome them. We at my #StealthyFreedom do not judge people; our campaign is based on mutual respect.

Notre campagne #WhiteWednesdays a eu un impact que l'on ne peut arrêter et nous sommes plus qu'enchantées. Nous réalisons avec satisfaction que la question du voile obligatoire n'est plus quelque chose que l'on peut aisément refuser de considérer. Cela a toujours été un sujet important en raison de ses liens avec la liberté de choix des femmes. C'est notre droit le plus fondamental. Notre campagne a fait beaucoup de chemin. Nous avons également réalisé que des personnes qui nous attaquaient hier sont désormais à nos côtés soutenant notre combat. Nous les accueillons chaleureusement. Nous, à  #StealthyFreedom, ne jugeons personne ; notre campagne est basée sur le respect mutuel.

Une voix féminine notable, Zahra Safyari, s'exprime sur les réseaux sociaux iraniens en déclarant son soutien pour les #Girls_of_Enghelab_Street et le droit pour les Iraniennes de choisir de porter ou non le voile :

Je porte le tchador [fr] . J'ai décidé par moi-même de le porter, et non par la contrainte de ma famille, ni en raison de mon entourage ou de mes conditions de travail. Je suis très heureuse de mon choix mais je suis contre le port obligatoire du voile et je soutiens les #Girls_of_Enghelab_Street. En matière de religion et de voile, il ne devrait pas y avoir de contraintes.

Safyari tient à prendre ses distances avec les protestations de la part de Masih Alinejad ou avec n'importe quel mouvement visant à renverser l'ordre iranien :

#Girls_of_Enghelab_Street ne sont ni des révolutionnaires, ni des soutiens de Masih Alinejad, ni les bénéficiaires de sommes d'argent. Elles sont les filles de cette terre iranienne qui suivent leurs droits fondamentaux.