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Comment des fakes publiés par des médias russes arrivent à berner tout le monde

mercredi 30 novembre 2016 à 23:59
Modernity Britain: Opening the Box, 1957-1959, David Kynaston. Edited by Kevin Rothrock.

“Ouverture de la boîte”, David Kynaston. Illustration Kevin Rothrock.

Ce billet a été initialement écrit en russe et publié sur le site web Noodleremover.news. Une version en anglais a ensuite été publiée sur Global Voices le 12 septembre 2016.

Cette histoire typique des médias d'information russes s'est produite récemment : elle montre parfaitement comment naissent les fausses nouvelles, comment elles se propagent, qui est derrière, et qui les croit.

Le 25 août, l'agence Interfax rapportait l'histoire suivante :

США-ТРАМП-ПАРАЛИМПИАДА-РОССИЯ
25.08.2016 18:50:40 MSK
НОВОСТИ ИНТЕРФАКСА
Трамп осудил решение o недопуске российских паралимпийцев до Игр × Рио – СМИ
Москва. 25 августа.
Кандидат в президенты США от Республиканской партии Дональд Трамп подверг критике решения Международного паралимпийского комитета (МПК) по недопуску российских спортсменов на Паралимпиаду-2016 в Рио-де-Жанейро и Спортивного арбитражного суда (CAS), отклонившего апелляцию Паралимпийского комитета России. “Решение о недопуске российских паралимпийцев принимали полные кретины, которые и есть настоящие инвалиды. Как объяснить то, что спортсмены из России, где были скандалы с применением допинга, выступали на Олимпиаде в Рио, а все российские паралимпийцы, с которыми не было допинговых скандалов, выступать не будут? Вымещать свою никчемность на сильных душой и телом людях с ограниченными возможностями из России — это ли не подлость и низость?”, — приводит слова Трампа Би-Би-Си.

USA-TRUMP-PARALYMPIADES-RUSSIE
25.08.2016 18:50:40 MSK
INTERFAX NOUVELLES
Trump condamne la décision d'interdire les athlètes russes de Jeux olympiques à Rio – médias

Moscou, 25 août. INTERFAX — Le candidat à l'élection présidentielle pour le Parti républicain Donald Trump a critiqué la décision du Comité paralympique international (IPC) d'interdire aux athlètes russes l'accès aux Paralympiades de 2016 à Rio de Janeiro et de la Cour d'arbitrage du sport, qui rejette la demande en appel du Comité paralympique russe. “Cette décision d'exclure les athlètes russes est le fait de crétins complets – ce sont eux les vrais handicapés. Comment expliquer que les athlètes russes, mis en cause par le scandale du dopage, aient pu être en compétition aux JO de Rio, et que les athlètes paralympiques russes qui, eux, n'étaient impliqués dans aucun scandale ne puissent pas concourir ? Prendre pour victime de son incompétence des gens atteints de sévères déficiences mentales et physiques, n'est-ce pas honteux et bas?” Des propos de Trump rapportés par la BBC.

L'anecdote s'est aussitôt retrouvée dans les tops de l'agrégateur de news du moteur de recherche Yandex.

Reports about Trump's fictional remarks spread far and wide in Russia's news media. Image: Yandex Novosti

La fausse déclaration de Trump reprise immédiatement et très largement par les médias d'infos russes. Image: Yandex Novosti

On aura plus vite fait de citer les médias qui n'ont pas repris cette anecdote de Trump volant au secours des athlètes paralympiques russes, et ce sont (à porter au crédit de mes anciens collègues) RIA Novosti et RT (Russia Today). [NDLT : RT a pourtant repris ces propos, en France tout au moins, dans un court article publié sur le site fr.sputniknews.com, avant de faire état d'une «fausse déclaration».]

Mais voilà le hic : Donald Trump n'a jamais rien dit de tel, ni la BBC rapporté ces propos. C'est ce qu'a découvert Danila Galperovich, correspondant de “Voice of America”, en passant un simple coup de fil au rédacteur en chef d'Interfax. Lequel a publié aussitôt le rectificatif suivant:

АННУЛИРОВАНИЕ

Просьба аннулировать сообщение со слаг-лайном США-ТРАМП-ПАРАЛИМПИАДА-РОССИЯ и заголовком “Трамп осудил решение о недопуске российских паралимпийцев до Игр в Рио — СМИ”, вышедшее на ленту в 18:50:40 МСК как выпущенное ошибочно. Приносим извинения подписчикам.

ERRATUM: Merci de supprimer la brève USA-TRUMP-PARALYMPIADES-RUSSIE titrée “Trump condamne la décision d'interdire les athlètes russes de Jeux olympiques à Rio – médias” parue par erreur sur le fil d'infos Interfax à 6:50 p.m. le 25 août 2016. Toutes nos excuses à nos abonnés.

L'histoire a été ensuite largement diffusée, l'erreur maintes fois commentée. Maintenant, venons-en à ce que j'ai pu, pour ma part, remarquer. La source de cette fausse information est un site web que je ne connais que trop. Les soi-disant propos de Trump en faveur des athlètes paralympiques russes ont fait leur première apparition sur Oppps.ru (“Optimist”) — l'un des favoris de longue date du Noodleremover [littéralement «Anti-raconteur de salades», sorte de «Hoaxbuster» russe].

Ce n'est certes pas la première fois qu'une intox venue du site “Optimist” se fraie un chemin jusque dans les fils de “vraies” news. J'ai déjà écrit plusieurs articles sur ce sujet. A chaque fois, la méthode est exactement la même, et à chaque fois, malheureusement, ça marche : Oppps.ru pond une “news” contenant une citation haute en couleur d'un personnalité quelconque, avec le nom d'un média réputé (et le plus souvent étranger). Généralement, il s'agit de la BBC (parfois de la Deutsche Welle), et pour plus de crédibilité, ces fausses news sont le plus souvent agrémentées de la signature d'un correspondant réel à Moscou.

Ces pseudos-news commencent par apparaître sur un site marginal ou spécialisé, avant de remonter vers de plus “grands” médias. Ce qui donne une chaîne complexe de légitimation de fausses infos: une brève publiée par un obscur site web est reprise par un site un peu plus connu, d'où elle remonte vers les médias nationaux ou, mieux, est reprise par un service de presse. Et quand une info émane du fil d'Interfax, Tass ou RIA, elle est considérée comme véridique a priori. Peu de gens vont avoir l'idée de vérifier ce que racontent les plus grandes agences d'information du pays. Voilà comment une information objectivement fausse se retrouve dans les tops news d'un site comme celui de la radio indépendante Echo de Moscou. Ou même sur le quotidien papier indépendant Vedomosti.

A la fin, quelqu'un aura l'idée de jeter un coup d’œil au site du média étranger, et va découvrir que la personnalité citée n'a jamais rien dit de tel, et n'a d'ailleurs peut-être même pas été interviewée par la première «source» mentionnée.

A ce point de l'histoire, Oppps.ru supprime la brève originale de son site, ce qui fait que la source d'origine est perdue. Mais j'ai appris à chercher où il faut. L'écriture est trop reconnaissable. Et bien sûr, c'est…

Image: Oppps.ru

Image: Oppps.ru

J'ai archivé ceci spécialement pour l'édification des staffs de rédaction où que ce soit dans le monde: http://archive.is/zVkN7 (J'ai utilisé, et je m'en excuse, un site web, archive.is, interdit en Russie par le -qu'il brûle en enfer- Roskomnadzor : ouvrir le lien avec Tor ou un autre réseau d'anonymisation.)

Ensuite, un employé des publications qui ont repris la fausse «information» va soit supprimer tranquillement la note, soit ajouter à la fin un démenti (les plus honnêtes font leurs excuses au lecteur, tels Interfax lui-même ou les «Vedomosti»), mais les moins scrupuleux ne se fatiguent pas (pourquoi supprimer quelque chose qui marche et fait du trafic). Sur le site des «Vesti», la brève est toujours là (en archives) sans aucune note ni démenti. «Vinovnik torjestva», le site du magazine «Sport soviétique» qui a, visiblement, a repris le premier «l'info» publiée sur oppps.ru, ne s'est même pas donné la peine de le faire. L'«info» avec la fausse citation et le lien vers une brève de la BBC qui n'existe pas est toujours disponible dans les archives du site quatre jours plus tard. Rien là qui dérange ni Yaroslav Karamov, qui signe l'article, ni ses supérieurs. S'excuser auprès des lecteurs pour une erreur, c'est contraire à leur dignité.

Celle qui s'en sort le mieux est la «Rossiskaïa Gazeta», qui a été l'une des premières à republier le fake. En ligne, l'histoire avec en gros titre “La critique du Comité paralympique par Trump est PEUT-ETRE un fake.” Mais bon sang de bois ! C'est un fake ou ce n'en est pas un !

A ce point-là de l'histoire, je souhaiterais partager mon expérience personnelle. Derrière cette pauvre brève d'Interfax avec son bandeau «ANNULATION» se cache un vrai drame professionnel, invisible pour les lecteurs. La brève n'était pas placée n'importe où sur le site, mais sur le terminal, le fil d'actu accessible non pas aux lecteurs, mais aux abonnés, c'est-à-dire les autres médias, qui paient l'agence pour recevoir les infos de leurs correspondants en premier. Ensuite, d'autres médias rachètent les dépêches d'agences, leur ajoutent des photos, les commentaires de leurs experts, et ainsi de suite. Et les grandes agences se livrent une concurrence féroce pour que leurs abonnés reçoivent la «BREAKING NEWS» en premier. Car même s'il y a 100 médias différents accrédités pour une importante conférence de presse, tout le monde citera ensuite l'agence de presse qui a publié la news sur son fil la première. C'est pourquoi, quand je travaillais pour RIA, il y avait un assistant spécial chargé de mesurer de combien de secondes RIA devançait Interfax et Tass et sur quelles infos. Le service de news était réputé pour sa remarquable réactivité.

Ce qui n'avait pas que du bon, naturellement. La chose la plus terrible pour un journaliste est d'écrire un article et d'avoir par la suite à se rétracter. Une agence de news est la source d'information principale non seulement pour ses lecteurs, mais aussi pour les autres publications. Donc s'il arrive qu'un fake se fraie un chemin jusqu'au terminal, il sera instantanément transmis à l'ensemble des médias, et tout le monde citera votre agence. C'est pourquoi à RIA, avoir publié un article qui exige un correctif est passible d'une pénalité de 10.000 roubles (environ 150 dollars US). Sans compter la honte publique, ça va de soi. Je ne sais pas comment ça se passe chez Interfax, mais je suppose qu'il y en a un qui a passé un mauvais quart d'heure après l'affaire de la brève Trump.

В интервью радиостанции «Говорит Москва» сотрудник агентства сообщил, что в «Интерфаксе» сожалеют о сложившейся ситуации.
«”Интерфакс” приносит извинения своим подписчикам», — сказал он.
Собеседник радиостанции также добавил, что опубликовавшего новость ожидает суровое наказание.
«Я поговорил в BBC, они сказали, что у них не было. И мы тут же ликвидировали всё это. Я ещё пока не разбирался. Я разберусь и накажу так, что людям будет плохо», — заключил он.

Interfax présente ses excuses après une dépêche reprenant une fausse déclaration de Donald Trump sur les Jeux paralympiques.

Dans une interview à la radio Ici Moscou, un représentant de l'agence a dit qu'Interfax regrettait l'incident. “Interfax présente ses excuses à ses abonnés”, a-t-il déclaré, ajoutant qu'une sanction sévère attendait le responsable.

“J'ai parlé à la BBC, et on m'a dit qu'ils n'avaient jamais eu vent de ces propos de Trump. Et nous avons immédiatement supprimé le tout. Je n'ai pas encore le fin mot de l'affaire, mais quand je l'aurai, le responsable sera sanctionné de telle façon qu'il s'en souviendra”, dit-il.

A juste titre. On comprend bien que l'équipe de journalistes du bureau de news d'une grande agence ait pour mission d'écrire des articles plus vite que tout le monde, mais vérifier si Trump avait effectivement donné une interview à la BBC n'aurait pris qu'une ou deux secondes. La même chose s'est produite lors de la mort de Mikhaïl Gorbatchev, ou lorsque qu'une Ksenia Sobchak sous l'emprise de drogues s'est fait expulser de la conférence de presse de Poutine. Ou encore pour Maria Gaïdar enceinte de Mikheil Saakashvili.

Je n'invente rien. Toutes ces “infos” émanent du site Oppps.ru et ont, sous une forme ou une autre, fini par faire les gros titres de “vraies” agences d'infos. Au premier abord, Oppps.ru est typiquement une usine à contenus, un site poubelle sous WordPress qui siphonne les contenus des autres sites et recueille un certain nombre de visites d'internautes surfant à la recherche d'infos croustillantes. Mais une chose distingue Oppps.ru des milliers d'autres sites du même genre : son propriétaire s'est donné ce que l'on peut appeler une mission. Et il a une parfaite connaissance des méthodes des nouveaux médias et de la psychologie de leurs usagers. A côté de centaines de posts du genre “La meilleure recette de boulettes de viande” et du “Top 10 des aphorismes de Faina Ranevskaya”, il publie des contenus élaborés de main de maître, qui vont par dizaines se faire un chemin jusqu'aux vrais sites d'infos, voire jusqu'aux agences de news nationales.

Cette personne qui détient Oppps.ru, je l'ai rencontrée, et j'ai eu avec lui une curieuse conversation. Il a tenté de me convaincre que tout ce schéma n'est pas de son invention, que lui-même se contente de copier le contenu d'autres sites.

Алексей: Скажите, а вы сами новости пишете? У вас прямо редакция с сотрудниками?

Меня очень интересует ваша технология написания новостей, которые потом попадают в самые разные издания, вплоть до федеральных.

—: Все новости копипаст. Часть с украинского сегмента, часть с российского. Половина либерального, половина патриотичесткого.

Алексей: Но есть какое-то количество новостей, которые появляются именно у вас.

По одной и той же схеме: берется известный ньюсмейкер, берется западное или российское издание, настоящее имя корреспондента и так далее.

Про Ксению Собчак и Соломина с Эха, например.

—: Есть такое. Тут используется слабость поисковых систем. Дело в том, если делатъ новость по комментариям на каких-либо сайтах, то выводится сайт, при том, что сам комментарий был намного раньше.

Схема в основном украинская придумка. Они так и делают.

Alexei: Est-ce que vous écrivez vous-même vos articles? Avez-vous une vraie rédaction avec une équipe? Je voudrais réellement savoir comment exactement vous écrivez ces articles que l'on va retrouver ensuite sur d'autres publications, et même dans les médias nationaux.

—: Toutes ces news sont des copier-coller. Une partie vient du web ukrainien, une autre du web russe. La moitié sont issues de sites libéraux, l'autre moitié de sites nationalistes.

Alexey: Mais un certain nombre de ces news paraissent en premier sur votre site. Elles sont toutes taillées au même format: on prend une personnalité célèbre, une publication russe ou occidentale, le nom d'un correspondant qui existe réellement, et ainsi de suite. Par exemple Ksenia Sobchak et [Alexeï] Solomine de l'Echo de Moscou.

—: C'est un fait, de telles histoires existent. Ici, nous exploitons une faille des moteurs de recherche. Si vous écrivez un article [qui reprend] des commentaires parus sur certains sites web, les sites vont apparaître [dans les résultats de recherche] alors que l'article aura été enterré bien avant.

Cela ne m'a pas surpris, parce que la chaîne de toutes ces fausses infos aboutit à Oppps.ru — ce qui montre que le site pourrait vraisemblablement les écrire lui-même. Mais pourquoi?

—: Мне кажется каждый человек в отдельности должен самостоятельно научится думать и анализировать, а не верить всему тому, что пишут в тырнетах.

Алексей: Тут я с вами на 100% согласен.

Прям вот пожимаю обе руки

—: Поэтому нужно и проверять и читать 2 стороны

И читать посередине

Вообщем так))

Фейковые новости, как нам кажется нужны именно для того, чтобы человек не разучился думать самостоятельно.

Алексей: Я с вами полностью согласен в целях, но не уверен, что разделяю средства.

Информационного мусора сейчас более чем достаточно.

—: Ведущие СМИ мира разделяют.

На свете еще не родилась та газета или журнал, где 100% писали бы правду…

—: Je pense que chacun doit apprendre à à penser et à analyser par lui-même, et non pas croire ce qu'on lit dans les internets [sic].

Alexey: Là, je suis d'accord à 100%. J'applaudis des deux mains.

—: C'est pourquoi il faut lire et vérifier les deux côtés [de chaque histoire], et lire entre les lignes. C'est la base :) :) Nous pensons que les fakes sont utiles précisément pour que les gens n'oublient pas de penser par eux-mêmes.

Alexey: Je souscris totalement aux objectifs, mais je ne suis pas sûr d'être d'accord avec les moyens. Il y a bien assez de déchet comme ça dans la sphère de l'information.

—: Les grands médias internationaux sont pareils. Nulle part dans le monde vous n'allez trouver un journal ou un magazine qui va écrire la vérité 100% du temps.

Ainsi, le propriétaire d'un site qui commercialise de fausses nouvelles serait en fait au service d'une lecture critique et distanciée. Je ne peux pas dire, quoi qu'il en soit, qu'il ait été vraiment efficace quant aux buts visés: les mass médias et leurs lecteurs se font encore et encore avoir par des fausses informations.

L'évaluation critique des sources d'information est une compétence clé qui reste insuffisamment développée, le cas Interfax le montre bien. Ce qui fait enrager de nombreux lecteurs dans les sections de commentaires, qui disent —hé, en fait il s'avère que Trump est vraiment de notre côté.

Noodleremover remercie Danila Galperovich et Vasily Gatov, qui ont aidé à rédiger ce texte.

La version originale de ce texte, en russe, est disponible sur Noodleremover.news.

Comment les Emirats Arabes Unis ont échappé aux Printemps Arabes

mercredi 30 novembre 2016 à 20:45
une sombre réalité de graves violations des droits de l'homme se vit derrière les brillants gratte-ciel des EAU. Photo de L Constantino via Wikimedia (CC BY-SA 4.0)

Derrière les gratte-ciels étincelants des Emirats Arabes Unis, la sombre réalité de graves violations des droits de l'homme . Photo de L Constantino via Wikimedia (CC BY-SA 4.0)

Trois ans ont passé depuis que le gouvernement des Emirats Arabes Unis a poursuivi en bloc 94 opposants et militants qui réclamaient des réformes.

Depuis ce moment, le pays n'a connu aucune révolution du genre printemps arabe. Aucune protestation anti-gouvernementale n'a réussi à faire bouger le régime en place. Et la répression publique des défenseurs des droits de l'homme et des journalistes continue sans relâche.

Les arrestations, les disparitions forcées, la torture, les procès inéquitables, les expulsions et les révocations de citoyenneté sont des pratiques communes que les autorités des EAU déploient régulièrement pour réduire au silence les voix dissidentes et s'assurer que ce genre de soulèvement ne voie le jour à l'intérieur de leurs frontières.

Cette semaine, Amina Abdouli, 33 ans, est convoquée à la Cour Suprême Fédérale pour répondre à des accusations relatives à ses activités sur Twitter. Selon Amnesty International, elle est accusée :

…d'ouverture et tenue de deux comptes Twitter publiant des informations visant à inciter la haine et à troubler l'ordre public dans l'Etat ; de moquerie et nuisance à la réputation de ses institutions ; de publication de fausse nouvelle sur l'Arabie Saoudite, de faits de remarques désobligeantes envers un officiel égyptien dans le but de détériorer les relations d'Etat entre l'Arabie Saoudite et l'Egypte…

Répression institutionnalisée

Ces pratiques vont de pair avec les modifications à la loi autorisant largement et sans contrôle les poursuites contre les critiques de l'Etat dans la sphère en ligne. Le gouvernement des Emirats Arabes Unis a amendé en 2012 la loi de 2006 sur la cyber-criminalité en introduisant des peines sévères pour des actions légitimes de libre expression. La loi prescrit un emprisonnement et des amendes pour ceux qui publient en ligne des nouvelles, des bandes dessinées et des images “pouvant compromettre la sécurité nationale et les intérêts supérieurs de l'Etat, troubler l'ordre public” (article 28), et au contenu considéré “préjudiciable” à la réputation, au prestige et à la prééminence de l'Etat, de l'une de ses institutions, de son président, de son vice-président, des gouverneurs des Emirats, de leurs princes héritiers, des vices-gouverneurs des Emirats, de son drapeau officiel, de sa paix nationale, de son logo, de son hymne national ou d'un de ses symboles” (article 29).

Ceux qui appellent à “renverser, à changer le système de gouvernement de l'Etat, à s'en emparer, ou interrompre les dispositions de la constitution ou des lois en vigueur dans le pays, à s'opposer aux principes de base constituant les socles du système de gouvernance de l'Etat” risquent la prison à vie en vertu de l'article 30 de la loi.

L’utilisation des VPN pour contourner les restrictions gouvernementales et mener des activités non autorisées par les lois sur la cyber-criminalité du pays, est un crime passible d'emprisonnement et d'amende pouvant s'élever à 545.000 dollars.

Des lois floues sont utilisées pour étouffer la contestation politique, harceler les journalistes, bloquer arbitrairement les sites internet et cibler les activistes

Ces stratégies sont assorties de diverses réformes de régulation affectant les entreprises privées en ligne et offrant entre autres services la messagerie et la publication de contenu unique, cela facilite aux fonctionnaires la poursuite des individus pour leur activités en ligne, et restreint aux résidents les possibilités d'utiliser ces plateformes de manière privée.

The #UAE94 

Le 2 juillet 2013, la Chambre de la Sécurité d'Etat de la Cour Suprême Fédéralea condamné 69 des accusés à une peine comprise entre 7 et 15 années de prison . Les verdicts émis par la Chambre de la Sécurité d’ Etat ne peuvent faire l'objet d'aucun appel en vertu de la loi des Emirats Arabes Unis.

La Campagne internationale pour la Liberté aux EAU décrit le procès dans la vidéo suivante [légende: Le procès des 94 aux EAU entaché de graves manquements aux normes internationalement reconnues de procès équitable] :

La Commission internationale des Juristes et d'autres groupes de défense des droits humains ont dénoncé un procès non équitable selon les normes reconnues sur le plan international.

Ciblage des familles

Certains des effets les plus marquants de cette répression se ressentent au niveau des familles. Les parents des personnes critiquant le gouvernement souffrent en permanence des conséquences des activités en ligne de leurs proches.

Amina Abdouli n'est pas la seule personne de sa famille en procès cette semaine. Son frère Mosaab Abdouli va aussi se présenter au tribunal pour des allégations d'avoir rejoint le groupe armé rebelle en Syrie Ahrar al-Sham , une accusation qu'il a antérieurement contestée. Le père de Amina et Mosaab, Mohammed al-Abdouli, Chef du parti interdit Emirati Umma a été arrêté en 2005 et est resté en prison deux ans sans procès.

En 2013, il mourut en combattant avec le groupe armé Ahrar al-Sham en Syrie. Le 30 mai 2016, leur sœur de 18 ans, Moza ‘Abdouli, a été acquittée des accusations “d'injures aux EAU, à ses dirigeants, et à ses institutions” dans des tweets qu'elle a posté en mars 2015, lorqu'elle n'avait que 15 ans et pleurait la mort de son père.

Le cas de la famille al-Abdouli n'est pas isolé. L'année dernière, trois soeurs soumises à une disparition forcée par les autorités, ont passé trois mois en détention secrète pour avoir mené sur Twitter une campagne de soutien à leur frère prisonnier de conscience aux EAU dans le procès des 94 accusés.

Osama al-Najjar est en train de purger une peine d'emprisonnement de trois ans pour avoir tweeté sur le traitement en prison de son père malade, lui aussi condamné dans le procès collectif des 94 aux EAU . Selon Amnesty International, al-Najjar est accusé de plusieurs faits parmi lesquels “l'instigation à la haine contre l'Etat ”, “la conception et la diffusion d'un site [au contenu] satirique, aux idées et informations diffamatoires” jugées préjudiciables aux institutions des EAU. Sa condamnation, qui a été prononcée par la Chambre de Sécurité de l'Etat de la Cour Fédérale Suprême en November 2014, ne peut faire l'objet d'appel.

Pas d'exceptions pour les étrangers

Fortement dépendante de la main d'oeuvre étrangère pour le maintien et l'impulsion de sa croissance économique, la population des EAU est constituée à 81% d'étrangers. Les membres de cette importante communauté d'expatriés, dominée par les travailleurs venant d’ Asie du Sud Est mais comprenant aussi des Européens, des Australiens, des Américains, et des nationaux de pays arabes, ont souvent des ennuis avec les lois et politiques répressives du pays.

Le journaliste jordanien Tayseer al-Najjar a été détenu durant neuf mois sans procès. Selon Human Rights Watch, les autorités l'ont interrogé sur un message Facebook de juillet 2014 qu'il avait publié avant de se rendre aux UAE pour travailler comme journaliste culturel pour le magazine local Dar. Dans son reportage, al-Najjar avait critiqué les agissements d'Israël à Gaza, et la destruction par les autorités égyptiennes des tunnels entre Gaza et l’ Egypte dans la péninsule du Sinaï.

Et ce ne sont pas seulement les activistes et les critiques du gouvernement qui doivent s'inquiéter de leurs publications et de leurs propos sur Internet, car le simple fait de partager un lien ou ou de jurer sur WhatsApp peut causer des ennuis judiciaires aux auteurs. Le 28 juillet, les autorités de Dubaï ont arrêté Scott Richards, un citoyen à la double nationalité britannique et australienne, pour avoir partagé sur Facebook un lien de collecte de fonds caricatifs pour des réfugiés en Afghanistan. Il risque une année de prison et une amende de 100.000 dirhams émiratis (USD $18.000), eu égard aux lois locales interdisant la levée de fonds et les dons aux organisations charitables étrangères sans obtention préalable d'une autorisation écrite officielle. L'année dernière, une Australienne a eu une amende et a été expulsée pour avoir publié sur Facebook une photo prise de son appartement, montrant une voiture garée à travers deux espaces de stationnement réservés aux conducteurs handicapés.

Ces incidents ont récemment poussé le Royaume-Uni à promptement mettre à jour son guide touristique, invitant ses ressortissants à ne pas publier de contenus critiquant les individus, les entreprises et le gouvernement, durant leur séjour aux EAU.

[Image : “Avant de vous rendre aux Emirats Arabes Unis, préparez-vous à renoncer à votre vie privée et à vos libertés !”] Le gouvernement britannique encourage l'oppression de la liberté d'expression aux EAU en conseillant aux voyageurs de ne pas publier de critiques sur les réseaux sociaux.

Les dirigeants des EAU se vantent souvent du niveau de vie élevé dont profitent leurs citoyens et les résidents expatriés. Le pays est classé 30ième au niveau mondial dans l'index de prospérité 2015, sur la base du revenu et du bien-être. Il existe même un ministère du Bonheur dans le gouvernement, et selon un sondage de 2016, les jeunes gens du monde arabe ont élu les EAU “meilleur pays” pour vivre et travailler pour la sécurité, la stabilité et les opportunités économiques qu'ils offrent. Toutefois, pour l'instant, les militants et opposants au gouvernement ne semblent pas apprécier le bonheur, le bien-être et la sécurité que les Emirats leur offrent.

Borgne, épouse, boxeuse : le destin de trois filles dans l'Inde moderne

mercredi 30 novembre 2016 à 19:58
International Day of the Girl Child is Empowering Adolescent Girls: Ending the Cycle of Violence. Image from Flickr by Ramesh Lalwani. CC BY 2.0

Photographie : Flickr / Ramesh Lalwani / CC BY 2.0

Cet article est une collection de textes parus à l'origine sur Facebook et publiés par Video Volunteers, une organisation internationale primée, centrée sur les médias communautaires et basée en Inde. Une version éditée est publiée ci-dessous dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Le 11 octobre fut la Journée Internationale de la Fille, dont le but est de mettre l'accent sur les difficultés rencontrées par les jeunes filles dans le monde. Les récits ci-dessous (extraits de reportages de journalistes-citoyens affiliés à la communauté Video Volunteers) illustrent les enjeux rencontrés par les filles en Inde.

Victime d'un tir policier au Cachemire alors qu'elle “regardait par la fenêtre de la cuisine”

Des douzaines de personnes ont été tuées par les forces militaires indiennes et des milliers d'autres ont été blessées lors de la montée des conflits dans la province administrative indienne du Cachemire en juillet dernier. Les forces armées indiennes sont accusées d'avoir utilisé des fusils à plomb sur des manifestants et même sur des spectateurs, causant des blessures graves.

Sadia was looking through the kitchen window when police shot her in the eye. Screenshot from video.

Sadia regardait par la fenêtre de la cuisine lorsqu'elle a été atteinte à l'œil par un tir policier. YouTube

Sania Tamanna, une fillette de 11 ans, a été touchée alors qu'elle se tenait près de la fenêtre, dans sa cuisine. Les plombs lui ont percé l'œil gauche, la laissant partiellement aveugle. Après trois opérations, les docteurs ne sont pas certains qu'elle retrouvera un jour la vue.

Est-ce le monde que nous imaginons pour nos enfants, un monde où ils ne sont même pas à l'abri dans leur propre foyer?

Afroza Mahed a rencontré Sania chez elle, à Ganderbal :

Au pays des épouses-enfants

L'Inde détient le record du nombre d'épouses-enfants : 240 millions, soit un tiers des épouses-enfants recensées dans le monde, selon une étude de 2014.

En 2013, le Ministère pour le Développement des femmes et des enfants a rédigé un plan d'action national pour lutter contre le mariage des enfants. Trois plus tard, le plan attend toujours d'être mis en œuvre.

Selon l'Unicef, quarante sept pour cent des filles en Inde sont mariées avant leur dix-huitième anniversaire.

A wife at 12, Mexiri from Odisha suffered domestic violence at the hands of her husband and in-laws. Screenshot from the video

L'histoire de Mexiri, épouse-enfant de l'Odisha. YouTube

Mariée à l'âge de douze ans, Mexiri (qui vient de l'Odisha) a subi la tyrannie de son mari et sa belle-famille. À quatorze ans, elle donne naissance à son fils et devient gravement anémique. L'enfant décède un an plus tard et malgré tout Mexiri est forcée à avoir un autre enfant dans l'année qui suit. À seize ans, elle donne naissance à un fils handicapé et est accusée de sorcellerie. À dix-neuf ans, elle vit aujourd'hui avec ses parents, sans aucun soutien financier de son époux ou de sa belle-famille. Son fils souffre de malnutrition et elle ne reçoit aucune aide publique.

Le mariage des enfants, la violence conjugale, les abus sexuels, des services médicaux insuffisants et le manque de soutien et d'accès aux aides financières publiquees sont des problèmes fondamentaux qui impactent des millions de jeunes filles et de femmes en Inde. La plupart sont touchées par plusieurs d'entre eux à la fois, et leur vie et celle de leurs enfants sont extrêmement difficiles.

Mais même dans ces circonstances, on trouve des démonstrations d'héroïsme (et des héroïnes) extraordinaires.

“Je suis une fille, et alors?” Tajamul, championne de kickboxing (huit ans).

Girls practicing kickboxing in Kashmir.

Des jeunes combattantes de kickboxing s'entraînent au Cachemire. YouTube

Quand Tajamul a décidé de faire du kickboxing, sont père a d'abord essayé de l'en dissuader en lui expliquant qu'il s'agissait d'un sport de combat dur et qu'elle risquait de se faire mal. La fillette a insisté, lui promettant de battre tous les garçons.

À sept ans, Tajamul a tenu sa promesse en remportant le titre du plus jeune champion national indien dans la catégorie des sous-juniors. En battant son adversaire de treize ans lors de la finale du Championnat national de 2015, elle a gagné le droit de représenter l'Inde lors du Championnat mondial de kickboxing, qui s'est déroulé en Italie en novembre.

Aujourd'hui, le père de Tajamul n'est pas seulement fier de sa fille : il espère que son exemple va changer la façon dont les sportives sont perçues au Cachemire, sa région natale. La jeune pionnière vient en effet de Bandipora, une ville reculée où les possibilités sont très limitées pour les filles.

En maîtrisant un sport de contact exigeant compétence, discipline, et beaucoup de force physique, Tajamul a brisé tous les stéréotypes du monde sportif sur les filles. Elle s'entraîne cinq heures par jour, tout en poursuivant ses études et la pratique de son autre passion : la danse.

Les correspondants communautaires de Video Volunteers sont originaires de communautés indiennes marginalisées et produisent des reportages sur des événements non-médiatisés. Ces reportages sont des “actualités racontées par leur protagonistes”. Ils offrent une vision ultra-locale des défis liés aux droits de l'homme et au développement mondial.

Les entreprises japonaises devront désormais offrir une évaluation du stress à leurs employés

mercredi 30 novembre 2016 à 12:39
Workers wait for the train home.

Un travailleur japonais attend son train pour rentrer après une longue journée au bureau. Photo de tokyoform sur Flickr.

Dans le contexte de la progression des problèmes de santé mentale liés au travail, le gouvernement japonais a révisé sa loi pour forcer les entreprises à offrir une « évaluation du stress » annuelle à leurs employés. Cette évaluation optionnelle s’ajoutera aux visites médicales annuelles que les entreprises sont déjà dans l’obligation de fournir.

L’évaluation du stress arrivera sous la forme d’un questionnaire à choix multiples de 57 questions. Il inclut des propositions telles que « J’ai une grande quantité de travail à faire » et « Je suis épuisé. » Ceux qui passeront l’évaluation ont le choix entre quatre réponses allant de « tout à fait » à « pas du tout. » Les employés sont encouragés à passer le test, bien que ce ne soit pas obligatoire.

Le but de l’évaluation

Comme l’a rapporté Yahoo News Japan, les évaluations du stress ont été introduites en réponse à la récente poussée des problèmes de santé mentale, dans le but de prévenir des maladies comme la dépression.

 うつ病の患者数も00年以降、大幅に増加している。[厚生労働省]は労働安全衛生法の一部を改正して企業にストレスチェックを義務付けた。50人以上の事業所では15年12月から毎年1回、医師や保健師による検査の実施が必要になった。ストレスが高い場合は医師の面接を受けて助言してもらうなど、メンタルヘルス不調を未然に防止する仕組みだ。

Le nombre de cas de dépression a sévèrement augmenté depuis 2000. Le ministère de la santé et de la sécurité sociale a révisé la loi sur la sécurité et la santé au travail pour forcer les entreprises de plus de 50 employés à offrir une évaluation annuelle du stress, qui devra être conduite par des médecins ou des infirmières de santé au travail à compter de décembre 2015. En faisant parler les employés au médecin, l’initiative vise à prévenir les problèmes de santé mentale au plus tôt.

A salaryman crosses the street

Un salarié traverse la rue. Photo de tokyoform sur Flickr.

Entreprises prises au dépourvu

Alors que la fin du mois de novembre marque la date limite pour la première évaluation annuelle, beaucoup d’entreprises restent à la traîne. TBS News rapporte :

 最初の期限は今月末までで、厚労省はパソコン用の無料ソフトを提供していますが、従業員1000人未満の企業で実施した割合は3割前後にとどまっているという民間の調査結果も出ています。

Avec la date limite à la fin du mois se rapprochant de plus en plus, le ministère de la santé a fourni aux entreprises des logiciels gratuits pour les aider à instaurer les évaluations du stress, mais d’après une étude conduite par une organisation privée, seules 30% des entreprises de moins de 1000 employés ont instauré ces évaluations à ce jour.

Les évaluations du stress serviront-elles à quelque chose ?

Car celles-ci n'étant pas obligatoires, certains employés pourraient être réticents à se soumettre aux évaluations, et même si les médecins conduisant les entretiens peuvent donner à l’employeur des conseils inspirés des résultats (qui restent confidentiels), il ne tient qu’aux entreprises de créer de meilleurs environnements de travail.

Certains utilisateurs de Twitter se sont même plaints que, assez paradoxalement, le test en lui-même était stressant.

Je ne peux écrire nulle part : « Je me sens stressé après cette évaluation du stress. »

Travailler pour vivre ou vivre pour travailler ?

L’équilibre vie-travail est un concept un peu inhabituel au Japon, là où la loyauté envers son entreprise vient souvent en premier. Alors que les données de l’OCDE indiquent qu’en moyenne, les Japonais travaillent un nombre d’heures comparable à celui de leurs homologues dans d’autres pays développés, les États-Unis et Israël affichant davantage d’heures que le Japon en 2014, ces statistiques peuvent être trompeuses pour de nombreuses raisons.

D’abord, la majorité de la main d’œuvre au Japon est constituée de travailleurs à temps partiel. La libéralisation du marché du travail au Japon a amené un nombre croissant de femmes, de jeunes et de retraités à avoir un travail à temps partiel. Ces travailleurs à temps partiel, qui ne sont pas supposés travailler le même nombre d’heures que les travailleurs dans des postes à plein temps plus représentatifs du « salaryman », ramène la moyenne vers le bas.

Les travailleurs à plein temps, d’un autre côté, travaillent pendant de longues heures éreintantes. Un livre blanc datant d’août rapporte que près d’un quart des entreprises avaient des employés faisant plus de 80 heures supplémentaires par mois.

Un autre facteur important est le nombre d’heures supplémentaires qui ne sont pas comptabilisées (et qui ne sont pas payées non plus). Alors que les lois imposent des limites au nombre d’heures qu’un employé est autorisé à faire pendant une semaine, les entreprises contournent ce problème en faisant travailler leurs employés en dehors des heures de travail. Les jeunes employés en particulier sont souvent forcés à faire des heures supplémentaires non payées pour parvenir à garder leur emploi et la charge de travail excessive laisse souvent l’employé sans autre choix que de faire des heures supplémentaires, même si elles ne sont pas rémunérées.

Morning commuters packed into a crowded train.

Les usagers du matin entassés dans un train bondé. Photo de tokyoform sur Flickr.

« Karoshi » : la mort par surmenage

La mort par surmenage est si commune au Japon qu’il y a même un mot pour cela : karoshi (過労死). Le terme se réfère à des morts liés à des problèmes de santé tel que les crises cardiaques et les AVC résultant de longues périodes de grands stress, ou les suicides d’employés en surmenage.

En 2015, 93 suicides et tentatives de suicide ont été officiellement reconnues comme mort par surmenage.

« J’ai perdu toute sensation, excepté l’envie de dormir. »

Un cas notable est celui de la diplômée de l’Université de Tokyo, Matsuri Takahashi, qui s’est donné la mort à 24 ans, le jour de Noël, l’année dernière après avoir été forcée à travailler de longues heures difficiles pour le géant de la publicité Dentsu. Ce cas fait écho à un autre jeune employé de Dentsu, un homme, de 24 ans aussi, dont la mort a été attribué par la Haute Cour du Japon à des conditions de travail effroyables.

Takahashi a documenté sa fatigue grandissante et les insultes qu’elle a subi de la part de son chef sur Twitter :

- Ils ont encore décidé de me faire travailler samedi et dimanche. Je voudrais vraiment mettre fin à tout ça.

- J’ai perdu toute sensation, excepté l’envie de dormir.

- Mon chef m’a dit que je n’étais pas féminine du tout. Même si c’était juste pour rire, je n’en peux plus.

An exhausted businessman sleeping in the train.

Un salaryman exténué dort dans le train. Image de tokyoform sur Flickr.

Vous vous demandez sûrement pourquoi les employés en surmenage ne démissionnent pas tout simplement. Après que le suicide de Takahashi fut officiellement classé comme un cas de karoshi, une BD donnant une idée de l’état d’esprit de ces travailleurs déprimés et au bout du rouleau par une illustratrice surnommée Kona Shiomachi a circulé sur Twitter :

Pourquoi je ne pouvais pas « simplement démissionner » [Partie 1 sur 2]

Mes expériences passées et ce qui me passait par la tête à cette époque. Partagez si vous voulez.

La fois où je me suis presque tuée sans faire exprès.
À cette époque, je travaillais 90-100 heures supplémentaires (moins que bien des collègues). Chaque jour, je me précipitais pour prendre le dernier train.
« Ouf ! J’ai réussi. »
À aucun moment je n’ai souhaité mourir.
Mais à ce moment, debout sur le quai vide, une idée m’a traversé l’esprit.
« Si je fais un pas en avant, je n’aurai plus à aller au travail demain ! »

« Quand on travaille plus de 100 heures supplémentaires, on n’a plus le temps d’être avec sa famille, ses amis, son amant-e… On commence à penser : […] « Je ne sais pas pourquoi je vis cette vie. » »

Shiomachi explique que quand les gens sont à ce point débordés de travail, ils ne sont plus capables de prendre des décisions rationnelles, y compris changer de travail. « C’est presque impossible pour les travailleurs de faire une pause ou de quitter l’entreprise. Quand on est exténué à ce point, l’esprit évite de penser à ça, » dit-elle.

Le surmenage peut mener à une sombre spirale de pensées négatives d’après Shiomachi : « Quand on travaille plus de 100 heures supplémentaires, on n’a plus le temps d’être avec sa famille, ses amis ou son amant, ou même de profiter de ses loisirs. Puis, on commence à penser : « Je ne sais plus pourquoi je travaille » et ensuite vient : « Je ne sais plus pourquoi je vis cette vie. » »

Commuters waiting for the train.

Des usagers attendent le train. Photo de tokyoform sur Flickr.

« Les entreprises noires »

La petite entreprise de publicité dans laquelle Shiomachi travaillait comme graphiste, et Dentsu, avec ses pratiques de management notoirement dures et ses longues heures supplémentaires, sont ce que certains appellent des « entreprises noires » ou burakku kigyou (ブラック企業). Le terme est généralement utilisé pour se référer à des entreprises ayant un système d’emploi basé sur l’exploitation extrême.

De nombreuses entreprises noires embauchent beaucoup de jeunes employés, tout juste diplômés de l’université, et les forcent à travailler dans de très mauvaises conditions. Heures supplémentaires excessives, injures et harcèlement sexuel ne sont pas rares dans les entreprises noires.

Le terme « entreprises noires » est né dans l’industrie de l’informatique dans les années 2000, et en 2012, un groupe de journalistes, d’activistes et de professeurs d’université ont formé un comité spécial pour créer les « Black Corporations Award » (NdT, Prix des entreprises noires) où le public peut voter pour l’entreprise la plus malfaisante de l’année. C’est maintenant un événement annuel. Les entreprises noires sont présentes dans divers secteurs ; les gagnants de l’édition 2015 comptaient une chaîne de supérettes, une entreprise de déménagement et une entreprise de gestion d’« école du soir ».

Il semble que le « Black Corporation Award » ait atteint son objectif d’éveiller les consciences aux pratiques déviantes des entreprises : le problème des entreprises noires reçoit de plus en plus d’attention ces dernières années.

Il y a même un compte sur Twitter, « Black Company Bot » (NdT, robot entreprise noire), qui génère des bon mots d’entreprises noires :

Je sais que c’est impossible, mais on te paie, alors fais-le.

C'est de sa faute s'il s'est effondré. Il ne prenait pas bien soin de lui-même.

C’est quoi le plus important pour toi : élever ton enfant ou ce travail ?

Bien que ces déclarations semblent déraisonnables et à la limite de la folie, elles reflètent de la vision du management dans certaines entreprises.

A frazzled salaryman doubled over on the floor of a train platform.

Un salaryman épuisé, recroquevillé par terre. Photo de Reuben Stanton sur Flickr.

On peut se féliciter que les pouvoirs publics essaient de mettre au pas les entreprises noires et d’endiguer dépressions liées au travail et karoshi avec des lois visant à réduire les heures supplémentaires et à introduire les évaluations du stress, mais ça ne fonctionnera que si les entreprises ont la volonté de changer. Avec un peu de chance, une plus grande prise de conscience apportera un progrès concret. Les vies de jeunes gens talentueux comme Matsuri Takahashi sont en jeu.

La cause numéro un du suicide est la dépression non soignée. La dépression peut être soignée et le suicide évité. Vous pouvez obtenir de l’aide grâce aux lignes téléphoniques d'aide anonyme pour les personnes suicidaires ou en crises émotionnelles. Visitez Befrienders.org pour trouver un N° de téléphone de prévention du suicide dans votre pays (pour la France voir ici).

« Bonne gouvernance » en Afrique : le Cap Vert en tête et l'Angola à la traîne

mercredi 30 novembre 2016 à 11:01
Mo Ibrahim, Addis Ababa (arquivo). Foto: Mo Ibrahim Foundation

Mo Ibrahim, créateur de la fondation qui porte son nom. Photo (archive) : Mo Ibrahim Foundation/ Flickr CC BY-ND 2.0

Parler de « bonne gouvernance» en Afrique n'est pas chose aisée, surtout quand il s'agit d'analyser comment les gouvernements sont évalués par leurs citoyens. C'est dans ce contexte que, depuis 2007, une initiative menée par la Fondation Mo Ibrahim appelée « l'indice Mo Ibrahim »existe. Il mesure chaque année la qualité de gouvernance des pays africains en recueillant des données dans différents domaines : ceux ci vont de l'éducation à la participation politique.

Cette année, les résultats furent présentés à Londres le 3 octobre et montrent des résultats très contradictoires au sujet de la « bonne gouvernance » des pays de langue officielle portugaise (PALOP). Malgré une tendance plutôt positive depuis 2006, l'Angola est descendu de la 43ème à la 45ème place sur un total de 54 pays.

« Nous ne pouvons pas le dire plus clairement : nous avons besoin de la paix en Afrique.

La détérioration des conditions de sécurité et l'état de droit de la dernière décennie ont provoqué une chute des indices de gouvernance dans toute l'Afrique. Nous avons besoin de la paix ! » Vous pouvez télécharger une copie de l'enquête de 2016 ici.

Situé à la 3ème place, le Cap Vert continue d'être le pays de langue portugaise le mieux placé, obtenant 73 points sur 100, et progressant ainsi de 1,9 points sur les 10 dernières années. Il est suivi par l'Île Maurice et le Botswana. Le rapport indique que l'Angola a obtenu un score de 39,2 ponts sur 100, score qui place le pays de José Eduardo dos Santos parmi les 10 pays aux pires résultats, parmi lesquels on retrouve la Somalie, le Soudan du Sud et la République Centrafricaine.

Maurice, Botswana, Cap Vert, Seychelles et Namibie sont les nations africaines les mieux gouvernées, dit la Fondation Mo Ibrahim.

Sao Tomé et Principe se trouve quant à lui à la 11ème place, avec une hausse de 2,9 points depuis 2007. Le Mozambique occupe la 21ème place, mais avec une chute de 1,8 points sur les dix dernières années. La Guinée-Bissau, avec une amélioration de 4 points, se retrouve à la 44ème place.
 La Fondation Mo Ibrahim a récompensé les anciens présidents du Mozambique et du Cap Vert, respectivement  Joaquim Chissano et Pedro Pires, pour leur “bonne gouvernance” en Afrique.