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Une pièce de théâtre pour adolescents interdite par les autorités russes pour incitation à des «relations familiales non traditionnelles»

jeudi 21 mars 2019 à 21:20

La fameuse loi “anti-gay” a fait une nouvelle victime.

Devant l'ambassade de Russie à Helsinki, en Finlande. Le 7 septembre 2013, un groupe de militants a peint les bandes du passage piéton aux couleurs de l'arc-en-ciel pour protester contre la législation anti-LGBT russe, notamment les interdictions de “propagande homosexuelle”. Flickr, Murmur, sous licence CC3.0.

[article d'origine publié le 15 mars 2019]  “Les roses et les bleus”, une pièce de théâtre pour adolescents sur les stéréotypes sexistes, a été interdite par les autorités locales à Komsomolsk-sur-l'Amour, dans l'extrême-orient russe.

Les médias russes ont rapporté que la directrice de la compagnie Yulia Tsvetkova avait été interrogée par une unité de police anti-extrémisme, de même que les acteurs de son collectif amateur, des adolescents âgés de 13 à 15 ans.

La pièce devait être jouée dans le cadre d'un festival de théâtre militant appelé Tsvet Shafrana (La couleur du safran), abordant divers sujets tels que le harcèlement à l'école, le Printemps de Prague et l'e pacifisme. Le festival a été annulé, suite à l'interdiction et à la perte de lieu de représentation.

“Les roses et les bleus”, pièce montée par le groupe d'activiste Merak, a suscité un vif intérêt des autorités locales qui y voyaient une activité dangereuse et subversive promouvant “la haine contre les hommes et les relations familiales non traditionnelles”, a déclaré Tsvetkova à Takie Dela, un site d'information caritatif. Au même moment, le festival perdait le lieu censé les accueillir, puis un second deux semaines plus tard. Ces annulations ont envoyé un signal clair à Tsvetkova. Les autorités ne comptaient pas autoriser le festival.

Les “relations familiales non traditionnelles” font écho à la formulation d'une loi récente contre la “propagande de l'homosexualité auprès des mineurs”. Ces dernières années, cette loi a été utilisée presque exclusivement contre les groupes de défense des droits des homosexuels, de l'égalité des sexes et de l'éducation sexuelle. Les accusations de “propagande gay” peuvent attirer énormément l'attention et la pression des législateurs locaux, des autorités de protection de l'enfance et des autorités scolaires, ainsi que de l'unité anti-extrémisme de la police – comme ce fut le cas dans l'affaire Tsvetkova.

Yulia Tsvetkova, une enseignante et militante féministe, a déclaré qu'au cours de son interrogatoire, les policiers l'ont confrontée à des extraits imprimés de ses publications sur les réseaux sociaux concernant l'éducation sexuelle dans les écoles, le féminisme et l'homosexualité.

Elle a réfuté avoir exposé les jeunes acteurs de la troupe à un quelconque contenu LGBT, en expliquant :

«Розовый и голубой — типичные “женский” и “мужской” цвета, вот и все, — объяснила Юлия.​ — Постановка именно об этом, и название для нее придумал один из актеров, ребенок 11 лет».

Le rose et le bleu sont considérées comme des couleurs typiquement “masculines” et “féminines”, c'est tout. C'est de ça qu'il s'agit dans la pièce, et son titre a été suggéré par l'un des acteurs, un enfant de 11 ans.

Tsvetkova a également déclaré que la police agissait suite à trois lettres anonymes de dénonciation contre elle, toutes écrites dans le même langage stéréotypé faisant écho aux termes de la loi interdisant “la propagande de relations familiales non traditionnelles”.

La Russie a récemment adopté une série de lois socialement conservatrices et les “valeurs traditionnelles” sont régulièrement mentionnées dans les discours et déclarations politiques. Ces lois ont été utilisées pour poursuivre en justice des activistes, des sites de sensibilisation à la santé et des médias en ligne, entrainant des amendes et des blocages de sites web – sans parler des campagnes intensives de haine menées sur les réseaux sociaux et des autres formes de représailles publiques.

L'anthropologue brésilienne Lilia Moritz Schwarcz : “Le racisme est le boulet qui freine notre république”

jeudi 21 mars 2019 à 21:06

L'anthropologue Lilia Moritz Schwarcz. Photo: Leonor Calasans/Université de São Paulo, Image utilisée avec autorisation.

Selon les statistiques de 2018, presque 72 % des victimes d'homicides au Brésil sont noires (Pt). En 2016, le total des morts violentes avait atteint  61.283. Ce chiffre stupéfiant est l'équivalent de la moyenne annuelle du nombre des victimes dans la Syrie déchirée par la guerre, comme l'affirme l'anthropologue Lilia Moritz Schwarcz dans sa lutte pour mettre en évidence le problème du racisme dans son pays.

Professeure à l'Université de São Paulo et professeure invitée à la Princeton University, Lilia Moritz Schwarcz est une historienne et anthropologue mondialement reconnue pour son travail sur la mise en lumière de l'héritage laissé par le passé esclavagiste du Brésil.

Son vaste corpus d’œuvres comprend entre autres une “biographie” du Brésil de 800 pages, qui couvre 500 ans de l'histoire du pays, co-écrite avec Heloisa Starling, et une chaîne YouTube très populaire où elle étudie les problèmes contemporains les plus pressants du pays. Son nouveau livre, sur les racines historiques de l'autoritarisme au Brésil, sortira en mai 2019.

Alors que Stefan Zweig, auteur du célèbre essai Brésil: Terre d'avenir”, s'émerveillait à l'occasion du voyage qu'il fit dans le Nord-Est du Brésil en 1936, sur la “démocratie raciale” qu'il voyait régner dans le pays, Lilia Schwarcz a démontré comment les plaies d'environ 400 ans d'esclavage étaient toujours ouvertes aujourd'hui.

Un récent rappel du problème racial du Brésil a eu lieu le 14 février, jour où un agent de sécurité a tué un adolescent noir désarmé dans un supermarché de Rio de Janeiro. L'incident fut enregistré par un téléphone portable et massivement partagé sur les médias sociaux.

Pour comprendre comment le racisme s'est conceptualisé au Brésil, et comment il est resté enraciné dans la société, Global Voices a interviewé Lilia Moritz Schwarcz par téléphone. L'interview qui suit a été adaptée dans un but de brièveté et de clarté.

Global Voices: Dès que l'annone du meurtre d'un adolescent noir par un agent de sécurité dans un supermarché s'est répandue, une grande partie du public s'est plaint que l'affaire n'ait pas eu le même écho que pour un chien qui avait été battu à mort, toujours dans un supermarché, en décembre. Comment peut-on expliquer ça ?

Moritz Schwarcz: Está gerando, eu vi muita reação. Eu acho que o que explica a pouca reação por parte de alguns setores é isso que chamamos de racismo estrutural. A gente chama de racismo estrutural porque ele pode ser percebido na área da saúde, na área da educação, na área da moradia, do transporte, do lazer, nos índices de mortalidade. Um racismo que é de fato estrutural, ele é tão enraizado, que ele passa a ser naturalizado pela sociedade, no sentido de que a sociedade não se comove mais. Dito isso, acho que estamos mudando. Acho que não são mais tão invisíveis como eram.

Moritz Schwarcz: Si, si, on commence à en voir, j'ai vu beaucoup de commentaires là-dessus. Je pense que ce qui explique le peu de réactions de la part de certains secteurs est à mettre sur le compte de ce que l'on appelle le racisme structurel. On l'appelle structurel parce qu'on peut le percevoir dans le secteur de la santé, de l'éducation, du logement, du transport, des loisirs, dans les indices de mortalité. Un racisme qui, de fait, est structurel, car il est tellement enraciné, que la société l'a intériorisé, dans le sens où elle ne s'en émeut plus. Cela dit, je trouve que nous sommes en train de changer. Je pense que ces problèmes ne sont plus aussi invisibles qu'avant.

GV: Vous voulez dire intériorisé dans le sens où la société s'est créé des éléments de langage qui justifient la violence contre les victimes ?

Moritz Schwarcz: Nós sabemos que temos índices de violência contra jovens negros nas periferias, como é o caso que vimos agora, de genocídio. Eu faço uma comparação em um livro que vou publicar em maio. Os índices de morte no Brasil são índices da guerra na Síria. O que é a invisibilidade? A população brasileira já pensa: olha, essa pessoa, com essa idade, com esse cabelo, com essa cor, já explica tudo. Não explica! É dessa maneira que a naturalização age. Você acha que é tão natural, que não é preciso nenhuma comoção mais forte. Esse é o lado perverso desse racismo estrutural.

Moritz Schwarcz: Nous savons parfaitement que nous avons des taux de violences contre les jeunes noirs dans les périphéries, comme le cas dont nous venons de parler, qui s'apparentent à ceux d'un génocide. Je fais cette comparaison dans un livre qui sera publié en mai. Les taux de mortalité, au Brésil, sont les mêmes que ceux de la guerre en Syrie. L'invisibilité qu'est-ce que c'est? [c'est quand] la population brésilienne pense : Regarde, cette personne, avec cet âge, ce genre de cheveux, cette couleur, ça explique tout. Non ! Ça n'explique rien! C'est ainsi que l'intériorisation agit. On pense que c'est si naturel [qu'une personne de couleur noire soit assassinée], qu'il ne faut pas s'en émouvoir plus que ça. Voilà le côté le plus cruel et pervers de ce racisme structurel.

GV: Pendant les jours qui ont suivi le meurtre de Pedro Henrique (l'adolescent noir), on a pu voir de nombreux Brésiliens noirs qui partageaient leurs témoignages de ce qu'était vivre avec cette éternelle suspicion. Est-ce que nos forces de sécurité ont toujours eu cette posture envers la population noire? 

Moritz Schwarcz: O Brasil foi o último país a abolir a escravidão nas Américas, depois de Estados Unidos, Cuba, e Porto Rico. Se pensarmos que recebemos quase metade dos africanos e africanas que saíram do seu continente de origem, se pensarmos que a escravidão estava tão disseminada que não havia território no Brasil onde não tivesse escravos, a gente vai pensando que um sistema que pressupõe a posse de uma pessoa por outra pessoa já produz uma sociedade muito violenta. Violenta por parte dos senhores, que compunham uma minoria que tinha de oprimir e controlar uma maioria, e também por parte dos escravizados e escravizadas. Desde a época da escravidão, o Estado criou aparatos de repressão às manifestações dessas populações. Nós sabemos que a polícia dá mais flagrantes em negros, quer dizer, as batidas se dão sobretudo com negros. Não vemos negros circularem em alguns espaços de sociabilidade brancos. Eles são abordados em shoppings. O fato de não repararmos que existem espaços de sociabilidade distintos, são facetas disso que chamamos de racismo estrutural.

Moritz Schwarcz: Le Brésil fut le dernier pays d'Amérique à abolir l'esclavage [en 1888], après les États-Unis, Cuba et Porto Rico. Si on pense que nous avons reçu presque la moitié des Africains et des Africaines qui ont été arrachés à leur continent d'origine, si on pense que l'esclavage était tellement disséminé qu'il n'existait pas de territoire au Brésil où il n'y avait pas d'esclaves, on commence à penser qu'un système qui présuppose la possession d'une personne par une autre peut en effet produire une société très violente. Violente de la part des propriétaires qui étaient une minorité devant opprimer et contrôler une majorité mais aussi de la part des hommes et des femmes réduits en esclavage. Depuis l'époque de l'esclavage, l'État a mis au point toute une organisation de répression des manifestations de ces populations. Nous savons que la police surprend plus de noirs en flagrant-délit, c'est-à-dire qu'elle arrête plutôt les noirs. On ne voit pas de noirs circulant dans les espaces sociaux dédiés aux blancs. Ils sont arrêtés et contrôlés dans les centres commerciaux. Le fait que nous, les blancs, ne notions pas l'existence de ces environnement sociaux différents est un aspect de ce que l'on appelle le racisme structurel.

GV: Qu'est-ce qui est unique dans le racisme tel qu'il est vécu au Brésil ?

Moritz Schwarcz: O fato de o Brasil ter convivido por tantos anos com um sistema que foi abolido com uma lei curta e conservadora, que não previu a inclusão [dos negros libertados]. Isso criou uma espécie de racismo à brasileira que, todos os racismos são ruins, mas o nosso acomoda a ideia de inclusão cultural com absoluta exclusão social. Isso também fez com que os brasileiros dissessem, durante muito tempo, que aqui não havia preconceito, que vivíamos em uma espécie de democracia racial, quando acontecia o oposto. Esse tipo de preconceito retroativo produz mais dificuldades no que se refere à construção de movimentos sociais, de inclusão, de sociedade, porque se supõe que não existe o preconceito.

Moritz Schwarcz: Le fait est que le Brésil ait vécu pendant toutes ces années avec un système qui avait été aboli par une loi succincte et conservatrice, qui n'avait absolument pas prévu d'inclusion sociale [des noirs récemment libérés], a créé ce type de racisme si particulier au Brésil. Tous les racismes sont mauvais, mais le nôtre repose sur l'idée d'une inclusion culturelle sans aucune inclusion sociale. Cela a mené un grand nombre de Brésiliens à croire, pendant très longtemps, qu'ici, il le racisme n'existait pas, que nous vivions dans une espèce de démocratie raciale, alors que c'était tout le contraire. Ce type de déni ne facilite pas l'émergence de mouvements sociaux, d'inclusion, de société, parce que l'on part du principe qu'il n'y a pas de problème.

GV: Nous sommes aujourd'hui dans un nouveau contexte, celui d'un gouvernement qui propose un package de lois anti-crime qui, selon les experts, va octroyer aux autorités le droit de traiter encore plus durement certaines communautés. D'un autre côté, le gouvernement entonne la rhétorique du “nous sommes tous égaux”. 

Moritz Schwarcz: Essa ideia da igualdade universal só existe se partisse do mesmo patamar. O que não existe. É preciso que existam políticas de ação afirmativa, que não são para sempre, mas a ideia é que é preciso desigualar para depois igualar. Como é que em um país que é campeão em desigualdade social, em concentração de renda, de terra, como você transporta um conceito se a situação é absolutamente distinta? O Brasil entrou tarde na discussão dos direitos civis, no final dos anos 1970, começo dos anos 1980, graças ao ativismo negro, indígena, das mulheres, das mulheres negras, que mostram que é balela legislar igualdade em um país tão desigual quanto o Brasil.

Moritz Schwarcz: Cette idée d'égalité universelle ne peut exister que si tout le monde part du même niveau. Ce qui n'est pas le cas.  Il nous faut des politiques d'action affirmative, qui ne seraient pas éternelles, mais menées par l'idée qu'on doit d'abord différencier pour ensuite promouvoir l'égalité. Comment introduire un tel concept dans un pays champion du monde de l'inégalité sociale, de la concentration des terres et des revenus? Le Brésil est entré très tard dans le débat sur les droits civils, à la fin des années 70, début des années 80, grâce à l'activisme des noirs, des indiens, des femmes, des femmes noires, qui ont démontré combien il était insensé de légiférer sur l'égalité dans un pays aussi inégalitaire que le Brésil.

GV: Et comment envisagez-vous ces questions au vu du package proposé par le gouvernement pour lutter contre le crime ?

Moritz Schwarcz: O país é muito violento, não só contra negros, mas que pratica feminicídio, campeão em estupros. É um país onde a violência se apresenta de uma forma disseminada. Acho que esse foi um governo eleito em cima do clamor correto dos brasileiros por mais segurança, por menos violência. Se de um lado é preciso isso, é preciso tomar muito cuidado com o tipo de medida que vai se estabelecer. Eu não sou especialista nessa área, mas a ideia da livre defesa, em um país como o nosso, num país em que um dos grandes medos da população é a polícia, segundo pesquisa recente, que tem números da população encarcerada imensos, não se pode legislar sobre a violência sem pensar com que país você está lidando.

Moritz Schwarcz: Le Brésil est un pays très violent, et pas uniquement envers les noirs, il est aussi en tête de liste pour les féminicides et les viols. C'est un pays où la violence est présente sous forme disséminée. Je pense que ce gouvernement a été élu à la faveur d'un cri tout à fait justifié des Brésiliens pour plus de sécurité, pour moins de violence. Si d'un côté nous en avons, bien sûr, besoin, il faudra faire très attention aux mesures qui seront prises. Je ne suis pas spécialiste dans ce domaine, mais l'idée de la légitime défense, dans un pays comme le nôtre, dans un pays où l'une des plus grandes peurs de la population est celle de la police, dont la population carcérale, selon une étude récente, est immense, on ne peut pas légiférer sur la violence sans garder à l'esprit le pays dont il s'agit.

GV: Y a-t-il une manière de changer la perception que la société brésilienne a des vies noires ?

Moritz Schwarcz: Claro que tem que ser respeitado o lugar de fala, mas acho que a sociedade brasileira também precisa de grupos brancos contra o racismo, porque é uma questão da vida brasileira. Transformar esses episódios em episódios politicamente relevantes é um papel que cabe a todos nós. Evitar que eles caiam no véu do obscurecimento, de uma sociedade que costuma baixar o véu sob essas questões. Acho que esse é um papel de todos nós.

Moritz Schwarcz: Il faut bien sûr prendre en compte le lieu d'où on parle, mais je pense que la société brésilienne a aussi besoin de groupes de blancs contre le racisme, parce que c'est une question qui concerne la vie brésilienne. Modifier ces épisodes en épisodes politiquement pertinents est un rôle qui nous revient à tous. Éviter qu'ils tombent dans l'oubli, d'une société qui a l'habitude de mettre toutes ces questions sous l'éteignoir. Je crois que c'est un rôle qui nous revient à tous.

GV: Peut-on le faire en ce qui concerne la mort de  Pedro Henrique ?

Moritz Schwarcz: Eu penso que sim, penso que estamos conseguindo finalmente dar visibilidade a esse problema. Penso que não existe sociedade democrática com racismo. O racismo é uma trava à nossa República, uma trava forte. Quanto mais a população brasileira, de forma geral, reagir a esses episódios de violência, quanto mais politizar esses crimes, melhor para todos nós.

Moritz Schwarcz: Je pense que oui, je pense que nous sommes arrivons finalement à donner une visibilité à ce problème. Je pense qu'il n'existe pas de société démocratique et raciste à la fois. Le racisme est un boulet pour notre République, un boulet lourd à porter. Plus la population brésilienne, dans son ensemble, réagira à ces épisodes de violence, plus elle politisera ces crimes, mieux ce sera pour nous tous.

Cylone tropical Idai : le sauvetage des animaux oublié dans cette catastrophe climatique

jeudi 21 mars 2019 à 18:06

Le changement climatique affecte les plus vulnérables, dont les animaux

Un chien errant se repose sur une plage de Vilankulo, province de Inhambane, Mozambique, mars 2006. Photo de E via Flickr/Creative Commons.

Le cyclone Idai a balayé du 4 au 16 mars quatre pays d'Afrique australes : le Zimbabwe, le Mozambique, le Malawi, et des parties de l'Union sud-africaine, causant la mort d'au moins 1.000 personnes uniquement au Mozambique, en déplaçant d'innombrables autres et détruisant des villages et villes entières. De nombreuses zones sont coupées du monde à cause de ponts emportés, ce qui complique les opérations de secours.

En pareils moments, quand la priorité est de sauver les vies humaines, les missions de sauvetage négligent souvent la situation des animaux. Les ravages du cyclone, eux, n'ont pas fait de distinction. Le changement climatique affecte les plus vulnérables, et les animaux ne font pas exception.

Alors que nous arrivent les tristes nouvelles du cyclone Idai, nous sommes maintenant catégoriques que la situation prend la dimension d'une injustice humaine et environnementale.

Les équipes de Médecins sans frontières rencontrent des difficultés pour atteindre Chimanimani à cause du réseau routier interrompu. Plusieurs ponts donnant accès à la région ont été détruits par le cyclone Idai au Zimbabwe. Les secours vitaux en sont retardés.

Quel plan de sauvetage des animaux ?

Le cyclone Idai démontre la nécessité pour les équipes de secours de prendre en considération les vies des animaux pendant les catastrophes de cette amplitude. Dans les quelques dernières semaines, animaux sauvages, d'élevage, aquatiques et de compagnie ont été touchés par la catastrophe. Les animaux abandonnés ont dû se passer de nourriture ou d'eau pendant des périodes prolongées, et se sont trouvés désorientés par la perte de leurs habitats naturels. Ils sont conscients de ce qui se passe mais restent à la merci des humains pour les sauver.

Si les sauveteurs se centrent sur la vie humaine, les êtres non-humains sont rarement pris en compte et considérés.

Des animaux domestiques périssent par milliers dans le cyclone Idai. La catastrophe frappe Chimanimani

Au Zimbabwe, l'organisation locale Twala Trust Animal Sanctuary a réagi en contribuant aux soins vétérinaires d'urgence et à l'alimentation du bétail et autres animaux sinistrés. L'objectif est d'intervenir pour le bien-être animal et de coopérer avec l'équipe de réaction d'urgence de la Zimbabwe Society for the Prevention of Cruelty to Animals (ZNSPCA, Société zimbabwéenne pour la prévention de la cruauté envers les animaux) dans la zone sinistrée. Il y a un besoin aigu d'articles comme la nourriture sèche ou en conserve pour chiens et chats, le fourrage, les pansements et couvertures.

ZIMBABWE : Le Twala Trust va se rendre mercredi dans la zone dévastée par le cyclone Idai, pour aider aux soins vétérinaires d'urgence et à l'alimentation du bétail et d'autres animaux affectés par la catastrophe. Nous allons…

Au milieu de la catastrophe, les Zimbabwéens ont exprimé sur les réseaux sociaux leur préoccupation pour le bien-être animal, et beaucoup tombaient d'accord que les animaux devaient eux aussi être évacués et secourus :

[1er tweet : Un gouvernement responsable aurait dû ordonner l'évacuation des écoles dès l'annonce de dizaines de morts au Mozambique et la prévision que le cyclone allait atteindre le district des montagnes de l'est].
Les autorités auraient dû évacuer personnes et animaux une semaine auparavant, car ils savaient que le cyclone Idai allait arriver et ses effets au Mozambique voisin ont été amplement rapportés dans les médias. C'est triste.

[1er tweet : Notre gouvernement savait-il qu'un cyclone arrivait ? Oui. Qu'a-t-il fait ? Rien, son PDG est en fait allé aux EAU en jet privé en mangeant des petits fours.
L'impact de ce cyclone aurait été minimisé avec une planification appropriée.
Hélas et malheureusement ils s'en fichent.]
Si on avait agi comme pour un cyclone, tous les bus de Zupco auraient pu être déployés pour évacuer tous les gens y compris les animaux, oui je parle des canards et des cochons d'Inde.

Il fait froid, tempétueux et violent dans l'est du Zimbabwe à cause du cyclone Idai, enfants, femmes et hommes en plus des animaux domestiques et sauvages sont en détresse, faisons notre part. Ce n'est pas à nous de dicter le résultat.

Le problème du cyclone Idai était connu au moins une semaine avant son arrivée, est-ce que le CPU [le service de la Protection civile] est allé sur place préparer, demander que les écoles soient fermées et évacuées. Organiser des abris, la mise en sécurité des personnes et des animaux domestiques, cartographier sa stratégie, etc. On sera d'accord que notre réaction est faible, apprenons et améliorons.

Les activistes de la cause animale encouragent les citoyens à se rappeler de ne pas abandonner les animaux pendant les opérations d'évacuation ou de sauvetage, et de penser à rechercher après coup les animaux blessés ou en détresse.

Regardless of their ‘worth,’ when something disrupts the ability to care for these animals, outside help is needed. The outside help currently needed is limited when it comes to rescuing, caring for, and sheltering animals because it has not been fully integrated into emergency management’s planning activities.

Indépendamment de leur “valeur”, lorsque quelque chose interrompt la capacité à prendre soin de ces animaux, une aide extérieure est nécessaire. L'aide extérieure actuellement nécessaire est limitée s'agissant du sauvetage, du soin et de la mise à l'abri parce qu'elle n'a pas été pleinement intégrée dans la planification de la gestion d'urgence.

Coupable : le changement climatique

Les scientifiques affirment avec insistance que le changement climatique a joué un rôle majeur dans la formation de ce cyclone et les inondations généralisées observées ces dernières semaines en Afrique australe. Le changement climatique va continuer à rendre les tempêtes comme celle-ci plus extrêmes et plus intenses. Souvent, ces catastrophes environnementales frappent ceux qui ont le moins contribué à causer le changement climatique.

“Le cyclone Idai est une claire démonstration de l'exposition et de la vulnérabilité de beaucoup de villes et cités de basse altitude à la montée du niveau des mers alors que l'impact du changement climatique va continuer à influencer et perturber les modèles météorologiques normaux” – le représentant du Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe

Cet article récent de Grist rappelle que le lien entre changement climatique et tempêtes tropicales ne peut plus être nié :

Cyclone Idai is not a natural disaster; the storm was made worse by climate change, centuries of colonialism, and continuing international injustices.

Le cyclone Idai n'est pas une catastrophe naturelle ; la tempête a été aggravée par le changement climatique, les siècles de colonialisme, et les injustices internationales ininterrompues.

Le réchauffement mondial provoque des précipitations plus intenses. Idai a produit en quelques jours autant de pluies qu'en une année. La sécheresse régionale de ces dernières années durcit les sols et augmente le ruissellement. Le niveau des mers a aussi monté de 30,5 cm depuis cent ans, avec pour résultat évident que les inindations côtières s'étendent plus loin à l'intérieur des terres.

Scientifiques et militants de l'environnement avertissent que plus nous retardons l'action pour le climat, pire ce sera pour les humains, les animaux et la planète entière. L'étendue réelle de la dévastation et l'impact sur la vie humaine, animale et végétale reste à évaluer.

@DigiAfricanLang: Kọ́lá Túbọ̀sún, déjà une décennie au service du yorùbá et de ses locuteurs, du 20 au 26 mars 2019

jeudi 21 mars 2019 à 12:44

Photographie fournie par Kọ́lá Túbọ̀sún.

En 2019, dans le cadre d'une campagne de célébration de la diversité linguistique sur les réseaux sociaux, nous avons décidé d'inviter des militants linguistiques africains à piloter le compte Twitter @DigiAfricanLang et à partager leur expérience sur la revitalisation et la promotion des langues africaines. Kọ́lá Túbọ̀sún (@kolatubosun) nous explique ce qu'il a l'intention de discuter pendant sa semaine.

Rising Voices (RV) : Pouvez-vous nous parler de vous ?

My name is Kọ́lá Túbọ̀sún (I began to put diacritics on my name as a permanent feature in 2015 after we released the free tonemarking software for Yorùbá/Igbo for Mac and Windows). I am a linguist and creative writer (with interest in travel writing, journalism, and poetry). I’m currently a Miles Morland Scholar, working on a nonfiction book, while leading a team at YorubaName.com working on a couple of language, lexicography, and documentation tools, and another at Google working on Natural Language Processing.

Je m'appelle Kọ́lá Túbọ̀sún (j'ai commencé à mettre les accents sur mon nom de façon systématique en 2015, quand nous avons lancé un logiciel gratuit pour marquer la tonalité [fr] du yorùbá et de l'igbo sur Mac et Windows). Je suis linguiste et écrivain avec un intérêt pour les récits de voyage, le journalisme et la poésie. J'ai reçu la bourse Miles Morland, je suis en train d'écrire un livre tout en dirigeant une équipe à YorubaName.com sur des outils linguistiques de lexicographie et de documentation, et une autre chez Google sur le traitement automatique du langage naturel.

RV : Quel est l'état actuel de votre langue sur et en dehors d'Internet ?

Yorùbá, like most Nigerian languages suffered a setback with the economic downturn of the early eighties to late nineties. Publications ceased in the language, and most parents bought into the idea that exclusive English language education was the path to success, so they stopped speaking their languages at home.All of this, along with other forms of neglect by policy makers subsisted until the internet came to add insult to injury, so to speak. Not much was published online in the language until recently, with the arrival of the BBC Nigerian language services, and before then YorubaName.com, and a few other platforms. Online, it was hard to write the language because there were no (free) tools to apply diacritics to Yorùbá, which are important for disambiguation, but also because millennials who grew up with the deficiency in their knowledge of the language found no reason to use it. So we’re at a stage where I and many others believe that all our indigenous languages are threatened or endangered. I mean, we don’t even know how many people speak any of the languages we have.

Comme la plupart des langues nigérianes, le yorùbá a souffert de la crise économique des années 80 et 90. Les publications dans cette langue ont cessé. Beaucoup de parents ont adhéré à l'idée qu'une éducation exclusivement anglophone ouvrirait la voie vers le succès et ont arrêté de parler leurs langues natales à la maison. Tout ceci, couplé à d'autres formes de négligence par les décideurs, a subsisté jusqu'à ce qu'Internet vienne retourner le couteau dans la plaie, pour ainsi dire. Très peu de contenu a été publié sur Internet en yorùbá jusqu'à récemment, avec l'arrivée de la BBC en langues nigérianes et avant ça, avec YorubaName.com et quelques autres plates-formes. C'était difficile d'écrire pour Internet en yorùbá parce qu'il n'y avait aucun outil (gratuit) pour mettre les accents, qui sont important pour éviter toute ambiguïté, mais aussi parce que la génération Y, qui a grandi avec un faible niveau dans sa langue, n'a vu aucune raison de l'utiliser. Et donc aujourd'hui, nous sommes à un stade où moi et beaucoup d'autres croyons que nos langues autochtones sont menacées d'extinction. Je veux dire, nous ne savons même pas combien de gens parlent les langues que nous avons.

RV : Sur quels sujets allez-vous communiquer sur le compte @DigiAfricanLang ?

I plan to talk and think through some current challenges we have in language use, attitudes, and documentation on the continent; and share some progress in our work, and plans for the future. I also hope to meet people in other parts of the continent doing similar things, and engage in relevant conversations on our work and directions.

Je veux réfléchir et parler de certains des défis actuels en ce qui concerne l'utilisation de la langue, les attitudes, et la documentation sur le continent. Je veux partager certains progrès faits dans nos travaux et nos projets pour le futur. J'espère aussi rencontrer des gens d'autres régions du continent qui font des choses similaires et nous engager dans des conversations pertinentes sur notre travail et la direction que nous prenons.

RV : Qu'est-ce qui motive votre militantisme linguistique pour le yorùbá ?

It started as being personal: I couldn’t put tone marks on words and on my name. And the more I probed, the more I realized that the people in charge of the web and other software applications never cared, because the innovations they worked with always needed to have commercial impetus. But now, having been in it for over a decade, I’m motivated for the community. There are thousands of people, and thousands of languages, that can be helped by the creation of digital tools and solutions. It has economic implications for us as a people. If you can use an ATM in a local language, then people who speak that language can put their money in the bank, and become part of the digital economic universe. If we can create tools for disabled people, which can speak to them in their local languages — or to which they can speak in the local language — then they feel more integrated in modern life, in society. So I’m motivated because language is life. Empowering our languages empowers us all. But most of all, I’m motivated by the pleasure I get from the work I do.

Ça a commencé de façon personnelle : je ne pouvais pas mettre les accents sur les mots ni sur mon nom. Et plus j'ai cherché, plus j'ai réalisé que ceux qui sont responsables du web et de logiciels s'en moquaient complètement : les innovations avec lesquelles ils travaillaient devaient toujours avoir une impulsion commerciale. Mais aujourd'hui, après plus d'une décennie, je suis motivé pour ma communauté. Des milliers de gens et des milliers de langues  peuvent bénéficier de la création d'outils et de solutions numériques. Il y a des implications économiques pour tout un chacun. Si vous pouvez utiliser un distributeur de billets dans une langue locale, alors les gens qui la parlent peuvent mettre leur argent à la banque et faire partie de l'univers économique numérique. Si nous pouvons créer des outils pour les personnes en situation de handicap et qui peuvent leur parler dans leurs langues natales (ou à qui ils peuvent parler dans leur langue natale) alors ils se sentiront plus intégrés dans la vie moderne, dans la société. Donc je suis motivé parce que la langue, c'est la vie. Donner du pouvoir à nos langues nous donne du pouvoir à nous tous. Mais avant tout, je suis motivé par le plaisir que je ressens dans le travail que je fais.

RV : Qu'espérez-vous pour votre langue ?

I hope it not only survives, but that it thrives — in as many domains as English and other world languages currently do.

J'espère qu'elle ne fasse pas que survive, mais qu'elle prospère, dans autant de domaines que l'anglais et d'autres langues du monde le font actuellement.

Censuré sur WeChat : la disparition de Ye Jianming, ancien président de CEFC China Energy

jeudi 21 mars 2019 à 12:09

Quand les gens disparaissent, les informations les concernant disparaissent aussi.

Capture d'écran prise de Youtube : View China.

Cet article a été écrit par l'équipe de WeChatscope, un projet de recherche dirigé par le Dr. King-wa Fu à l'Université de Hong Kong.

Avec plus de 1,08 milliard d'utilisateurs individuels, ainsi que plus de 20 millions de comptes publics enregistrés, WeChat a le plus grand nombre d'utilisateurs nationaux et la couverture la plus étendue de tous les services de médias sociaux en Chine. À ce titre, il est devenu une composante essentielle du lourd régime de censure chinois. 

En 2017, notre équipe de l'Université de Hong Kong a construit un système technique de « raclage » du web pour étudier la censure sur les pages accessibles au public de WeChat. Au cours de l'année 2018, nous avons suivi plus de 4000 comptes publics couvrant l'actualité quotidienne et conservé les articles censurés dans une base de donnée ouverte à tous : WeChatscope. Cet article est notre troisième partenariat avec Global Voices.

Personne en Chine n'est immunisé face à la «­disparition ». Côte à côte avec de nombreux citoyens, des milliardaires, des célébrités et des hauts fonctionnaires ont été soumis à de tels traitements.

En 2018, il y a eu un certain nombre de disparitions de personnalités bien en vue, dont l'actrice Fan Bingbing, le dirigeant d'église chrétienne Wang Yi, l'exploitant de casinos Yang Zhihui, le président d'Interpol Meng Hongwei et le milliardaire Ye Jianming. Ces personnalités publiques ont toutes disparu de force pour différentes raisons. Certains sont retournés à leurs train-train quotidien tandis que d'autres manquent toujours à l'appel.

Lorsque les gens disparaissent, les informations en ligne les concernant disparaissent également, via la censure.

Fan Bingbing était la personnalité la plus connue de ce groupe et, comme prédit, était l'un des dix sujets les plus censurés de WeChat en 2018. Mais à l'autre extrémité du spectre se trouvait Ye Jianming, un milliardaire peu connu du grand public qui a déclenché d'importantes vagues de censure. Tout comme Fan, son cas a été l'un des plus censurés de l'année sur WeChat.

Jusqu'à récemment, Ye Jianming était le président de CEFC China Energy Company Limited et de China Energy Fund Committee. L'entrepreneur a d'abord gagné en notoriété avec l'expansion fulgurante de son empire commercial et pour son patriotisme. Puis il a disparu. Peu de temps après, l'article d'investigation de mars 2018 de Caixin (un journal financier et économique de renommé), révèle que Ye est suspecté d'avoir commis des crimes économiques et a été placé sous enquête. L'article a été censuré quelques heures seulement après sa publication. La nouvelle a surpris la communauté de WeChat.

Le même jour que son article sur Ye, Caixin a également publié un reportage spécial titré “Investigation Casts Shadow on Rosneft’s China Investor CEFC” [non traduit, littéralement : « Une enquête jette de l'ombre sur l'investisseur chinois CEFC dans Rosneft »] sur son compte public WeChat. L'article plonge dans l'histoire de Ye Jianming, commençant à Fujian, sa ville natale. Il s'avère que Ye détient une carte d'identité de Hong Kong et qu'il a fondé CEFC alors qu'il avait une vingtaine d'années, en 2002. En 2014, l'entreprise se classait au 222e rang de la liste Fortune Global 500, avec un chiffre d'affaires avoisinant 43,7 milliards de dollars américains. En un peu plus de dix ans, elle est devenue la plus grande entreprise énergétique non étatique de Chine.

D'autres médias ont rapidement suivi la voie ouverte par Caixin et ont reproduit leurs propres versions sur WeChat. La plupart de ces articles furent supprimés le jour suivant et remplacés par une note indiquant « supprimé pour contenu illégal ».

Dans la base de données de WeChatscope, les articles censurés contenant « Ye Jianming » contiennent aussi les mots « profil discret » (低調), « mystérieux » (神秘), « relations politiques et financières » (政商關係), « CEFC » (華信), « magnat du pétrole » (石油巨賈) et « chasse au contexte » (起底).

La censure des contenus relatifs à Ye Jianming a pris de l'ampleur, poussant le terme dans les dix sujets les plus censurés de l'année sur WeChat.

Pourquoi les autorités chinoises sont-elles si avides de dissimuler l'identité mystérieuse de Ye Jianming et les origines de son entreprise ?

L'État s'empare de CEFC

Après la disparition de Ye, le groupe d'investissement public chinois CITIC a commencé à racheter les actifs à l'étranger de CEFC. Bien que CEFC soit enregistré en tant qu'entité privée, la société a toujours été un partenaire de choix et s'associait avec des entreprises publiques tel que China State Shipbuilding (constructions navales) et China Railway (chemins de fer), entre autres. Or la rapide tournure des événements suggère que la relation entre CEFC et le gouvernement chinois était plus profonde qu'on ne le pensait.

À l'international, la société a été examinée à la loupe pendant quelques temps pour ses acquisitions à travers le monde. Depuis 2015, CEFC passe de nombreux accords majeurs autant dans le privé que dans le public à l'extérieur de la Chine, investissant dans des projets d'infrastructure et achetant des actions d'entreprises au Tchad, en République tchèque, au Kazakhstan, en Géorgie et aux Émirats arabes unis.

En 2015, Ye Jianming est nommé « conseiller spécial » du président tchèque Milos Zeman. Peu de temps après, CEFC acquiert des parts dans une compagnie aérienne tchèque. La société achète également une brasserie, une société de médias, un club de football, et l'un des plus grands complexes de bureaux de Prague. En 2016, CEFC China Energy acquiert une participation de 35% dans trois blocs pétroliers au Tchad provenant de la compagnie nationale taïwanaise Chinese Petroleum Corp.

En février 2017, l'Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) [compagnie pétrolière nationale de l'émirat d'Abou Dabi] accorde à CEFC 4% d'intérêt (soit un peu plus de 3,2 millions de tonnes de pétrole par année) pour la concession pétrolière terrestre de la société, et cela pour 40 ans. En septembre de la même année, CEFC prévoit de prendre l'équivalent de 9 milliards de dollars américains de parts de Rosneft, le géant russe de l'énergie public. Cet accord n'a jamais pu voir le jour, à cause de l'implication présumée de Ye Jianming dans des crimes économiques.

Ces contrats, et le rapide rachat de la société par le gouvernement à la suite de la disparition de son président, laissent suggérer que la Chine utilisait activement CEFC pour s'engager dans la diplomatie économique. Les analystes suspectent que ces accords visaient à encourager les fournisseurs de services et entreprises du secteur public à investir dans l'ambitieuse et très médiatisée initiative chinoise des nouvelles routes de la soie. [一带一路 ‘la ceinture et la route, en anglais ‘One Belt, One Road’]

L'association politique de CEFC avec le gouvernement chinois est apparue plus nettement après l’arrestation par les autorités américaines en novembre 2017 de Patrick Ho Chi Ping, un ancien responsable du gouvernement de Hong Kong, à propos d'un stratagème de corruption impliquant les avoirs pétroliers de CEFC au Tchad et en Ouganda. Ho a finalement été condamné en décembre 2018. L'incident a part ailleurs attiré l'attention des médias internationaux.

En Chine, lorsque ces transactions ont été révélées, Ye Jianming était disparu, les actifs de CEFC ont été transférés au groupe public CITIC et les autorités de censure ont fait de leur mieux pour garder caché le secret de Polichinelle. Aujourd'hui encore, on ne sait toujours pas où se trouve Ye Jianming.