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A l'approche des élections en Guinée, l'opposition fait part de ses craintes

lundi 16 mars 2015 à 14:23
« Conakry palais du peuple ». Sous licence CC BY 2.5 via Wikimedia Commons -

« Conakry palais du peuple ». Sous licence CC BY 2.5 via Wikimedia Commons -

Les échéances électorales approchant à grand pas, l’opposition guinéenne appui fortement sur l’accélération pour l’organisation des élections communales et présidentielles. Les dernières élections présidentielles en 2010 ont vu la victoire d'Alpha Condé, opposant historique d'alors,  qui a remporté 52,5 % des voix au second tour de l'élection face à l'ancien premier ministre Cellou Dalein Diallo.

L'élection présidentielle de 2010  était historique à plusieurs égards car c'était la première fois que la Guinée, depuis son indépendance en 1958, pouvait élire démocratiquement son président. Le vote, sous le contrôle des observateurs internationaux, s'était déroulé dans le calme pour le premier tour (mais avec des incidents violents lors du deuxième tour) et vingt-quatre personnes étaient alors candidates à la magistrature suprême. 

L'impartialité de la commission électorale avait été remise en cause par les deux candidats au deuxième tour et la menace du vote communautaire planait. Certains observateurs redoutent les mêmes obstacles pour les élections à venir.  

« Cellou Dalein Diallo-Ancien Premier Ministre et Chef de file de l'opposition guinéenne » par Alpha Boubacar Bah — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons -

« Cellou Dalein Diallo- Ancien Premier Ministre et Chef de file de l'opposition guinéenne » par Alpha Boubacar Bah — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons -

L'opposition menace, au cas où ses préoccupations ne sont prises en charge  d’ici le 15 mars prochain, de manifester pour un report. Cette menace de battre le pavé est pris en compte, car depuis hier, les commissaires de la CENI à l’exception du rapporteur et du directeur des opérations (absents du pays pour des raisons de santé) sont à Kindia pour dire à l’opposition de mettre de l’eau dans son ‘’Djidjan’’ (vin dans le lexique local). 

Cet atelier de planification des opérations électorales devrait durer du 06 au 10 mars. Dans son discours, le président de la CENI a rappelé qu’il revient aux commissaires et personnel de la CENI de  mettre tout en œuvre pour répondre aux attentes d'un peuple qui n'aspire qu'à voter en toute quiétude, dans un cadre  électoral libre, transparent et équitable.

Parlant des efforts accomplis par la CENI, Bakary Fofana a mis en exergue entre autres résultats atteints, l'identification et la correction des anomalies portant sur la cartographie des bureaux de vote ainsi que les listes électorales elles-mêmes et l'implémentation au site central, des données collectées en vue d'assainir le fichier général des électeurs.  En outre, Bakary Fofana rassure que son institution relèvera le défi de l'organisation des élections transparentes inclusives et équitables.  Le président de la CENI se dit confiant de l'élaboration et la validation des chronogrammes opérationnels des élections locales et présidentielles.  Pour y parvenir, Bakary Fofana exhorte les membres de la CENI à agir dans le cadre d'une synergie interdépartementale. 

L'impérialisme russe triomphe sur le Net

lundi 16 mars 2015 à 12:57
Screenshot from "Why Putin Won't Send His Troops to Ukraine," YouTube.

Capture d'écran de “Pourquoi Poutine n'enverra pas ses troupes en Ukraine”, YouTube.

Avec près de 5 millions de vues en moins de deux semaines, la vidéo “Je suis un occupant russe” fait l'effet d'un travail léché. En tout trois minutes de mouvements tournants de caméra, de zooms avant et arrière sur fond d'incendies : le clip qui défend sans concession l'impérialisme russe peut s'enorgueillir d'une production d'une qualité impressionnante, et aussi de sous-titres en dix langues.

Comme la vidéo a l'air d'être produite par une grosse société de jeux vidéos, les suppositions vont bon train au sujet de ceux qui l'ont réalisée : rétribués par le Kremlin, ou du moins en relation avec lui. Le 4 mars, le studio à scandale qui fut à l'origine de la vidéo virale My Duck’s Vision, a même revendiqué le clip, en ajoutant qu'il avait été payé par le gouvernement russe (ce studio s'est fait connaître pour des productions comme ce court métrage de 2011 dans lequel on entend que les restaurants McDonald's sont en fait un réseau américain de bunkers secrets construits pour servir d'abris en cas de frappe nucléaire russe).

La vidéo “Je suis un occupant russe” est hébergée sur une chaîne YouTube qui appartient à un individu du nom d'Evguéni Jourov. Celui-ci a affirmé à “l'Echo de RuNet” que toutes les déclarations au sujet d'un lien quelconque du Kremlin avec la conception de sa vidéo étaient un “mensonge complet”. Il insiste sur le fait qu'il a réalisé cette vidéo tout seul, pendant ses loisirs, et que c'est sur ses propres deniers qu'il a rétribué un acteur professionnel pour la voix off. “Ces gens-là veulent détruire le ‘mythe’ du mec qui se met au service d'une ‘idée', dit Jourov. Ils veulent que mon travail passe pour une commande du gouvernement.”

Si Evgueni Jourov n'existe pas, et si son film est une production du Kremlin imitant le travail d'un activiste, il faut reconnaître que Jourov est allé assez loin pour démontrer la transparence de ses méthodes. Dans une vidéo mise en ligne en septembre 2014, il passe plus de dix minutes à expliquer dans les moindres détails comment il a utilisé le logiciel Camera Mapping pour transformer des photos en images 3D. La vidéo est même sous-titrée en anglais.

Que Jourov dise vrai ou non, sa vidéo sur YouTube fait de l'effet, d'autant que “Je suis un occupant russe” n'est que la plus récente sur sa chaîne. Il y en a neuf autres, dont l'une cumule plus de 3 millions de vues.

Depuis l'apparition des premiers clips en mai 2014, le message idéologique de Jourov s'est transformé à mesure que les événements dans l'est de l'Ukraine prenaient de l'importance. En juin 2014, il a mis en ligne une vidéo intitulée“Pourquoi Poutine n'enverra pas ses troupes en Ukraine”, dans laquelle il accuse les “généraux-patates de canapé” qui appellent le Kremlin à envoyer des soldats dans le Donbass (le narrateur de la vidéo affirme qu'il s'agit d'un piège tendu par les Etats-Unis pour servir de prétexte à déclencher la Troisième Guerre mondiale). Trois mois plus tard, cependant, dans sa vidéo suivante, intitulée “Pourquoi l'Amérique a besoin d'une grande guerre en Europe”» le ton change ; il y est dit que “tôt ou tard, la Russie enverra des troupes sur le territoire de l'Ukraine, mais [ce sera] pour éviter des millions de victimes”.

Interrogé sur ce qui a changé, Jourov répond que la stagnation de la “guerre civile en Ukraine” rend l'intervention des troupes russes inévitable. “Je fais partie moi aussi de ces ‘généraux-patates de canapé'”, avoue-t-il, ajoutant que ses vidéos s'appuient sur la lecture des travaux de “différents experts géopolitiques”. Jourov précise que ses principales influences sont l'un des leaders  du mouvement “Antimaïdan” Nikolaï Starikov ainsi que Sergueï Glaziev, conseiller de Vladimir Poutine et l'un des premiers fonctionnaires russes atteints par les sanctions [en anglais] des Etats-Unis après l'annexion de la Crimée.

Après le succès du clip “Je suis un occupant russe”, au moins trois associations ont diffusé la vidéo, en “rectifiant” le discours impérialiste de Jourov sur l'histoire russe. La réponse la plus regardée est celle des Forces d'information de l'Ukraine, son “armée Internet”. Bien que ces “Forces” soient sponsorisées par leur gouvernement, la qualité de leur vidéo est très inférieure.

Les réactions au “hit” de Jourov n'ont pas l'air de beaucoup l'émouvoir. Il a même reposté les trois vidéos sur la page de son groupe sur VKontakte, où il déclare que ces “opposants” visiblement, “chient des briques”.

Un fact checking du conflit dans l'est de Ukraine

lundi 16 mars 2015 à 09:21
Image by Bart van de Biezen on Flickr. CC BY-NC-SA 2.0.

Illustration de Bart van de Biezen с Flickr. CC BY-NC-SA 2.0.

Voici le premier article d'une série où notre site “RuNet Echo” s'entretient avec des responsables de projets mis en place pour vérifier les faits survenus dans l'est de l'Ukraine.

Alors que le conflit dans l'est de l'Ukraine se poursuit, une guerre de l'information entre la Russie et l'Ukraine fait rage sur Internet et dans les médias. Ces “batailles” de l'information sont pour la plupart liées au conflit lui-même et aux débats sur ses causes et ses conséquences historiques aussi bien que géographiques, mais il arrive que les deux parties s'abreuvent d'injures pour des motifs plus terre à terre.

Selon les médias russes officiels, le Kremlin n'aurait pas envoyé un seul convoi de matériel militaire aux insurgés de l'est ukrainien. La ligne de Moscou, c'est que les véhicules et les armes dont disposent les séparatistes auraient été confisqués à l'armée ukrainienne. La partie adverse, Kiev, réaffirme au contraire régulièrement que la plupart de ces véhicules et armes sont fournis par la Russie, l'Ukraine n'ayant perdu que relativement peu de munitions et d'équipements.

Certes moins glamour que les spéculations géopolitiques, ce travail consistant à réunir des preuves de la présence militaire [russe] et à les confirmer ou infirmer est pourtant tout aussi important. Pour ce qui est des données en libre accès, l'immense majorité de ce qui est disponible l'est grâce à la participation citoyenne. “L'Echo de RuNet” avait rapporté quelques-unes de ces initiatives [en anglais], mais il existe un certain nombre de ces projets dédiés à la recherche de données et à la vérification des faits dans le cadre du conflit est-ukrainien.

Projets citoyens et initiatives privées de blogueurs tentent d'ouvrir une brèche dans le discours officiel des deux parties, afin de donner ne serait-ce qu'un petit aperçu de la situation telle qu'elle est. Il s'agit d'habitude d'une sélection de photos et de témoignages vidéo sur les armes et le matériel militaire présents dans l'est de l'Ukraine, avec leur géolocalisation et le sourcement des travaux de vérification, en vue de constituer un vaste corpus de données.

Les résultats et les conclusions diffèrent, mais les responsables de ces initiatives pensent que leurs méthodes sont plus honnêtes et vont plus loin que les lignes défendues par les médias officiels, tant ukrainiens que russes. Bien sûr, même s'ils se targuent de travailler à partir de preuves, cela ne suffit pas toujours à garantir que ces projets citoyens soient exempts de certains prismes pour traiter ce conflit.

Le recensement de la “guerre civile”

Lostarmour.info met en ligne une importante base de données sur le matériel militaire détruit ou confisqué, en grande partie ukrainienne, précise le site. Selon ses administrateurs, le projet est né de la colère contre les autorités ukrainiennes, qui tentent de minimiser les pertes militaires en Ukraine, et contre les “Républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk (RPD/RPL), qui tendent à “les surestimer largement”.

Avec l'aide d'une équipe de bénévoles et des commentaires reçus par crowdsourcing (partage de l'information), Lostarmour recense minutieusement les unités de matériel militaire détruites ou confisquées, tant côté ukrainien que séparatiste. L'équipe qui travaille avec cette base de données photo et vidéo compte aujourd'hui 10 personnes, complétées par quelques dizaines de bénévoles qui apportent des précisions en commentaires dans les sections concernées. Chaque entrée s'accompagne d'une photo ou d'une vidéo, mais vous ne trouverez pas de drapeaux russes sur le site – par contre, beaucoup de drapeaux de la RPD ou RPL.

Screenshot of the Lostarmour tank database.

Capture d'écran de la base de données de Lostarmour.info consacrée aux tanks.

Si Lostarmour a choisi le terme de “guerre civile” pour désigner le conflit entre Russie et Ukraine, c'est qu'il met l'accent uniquement sur l'armement ukrainien, le matériel (c'est-à-dire les unités soi-disant ukrainiennes confisquées par les séparatistes) étant catégorisé comme “détruit” ou “trophée de guerre”. Bien que cela n'aide pas à expliquer la provenance de certains équipements qui, selon les déclarations d'autres vérificateurs volontaires, seraient russes, Lostarmour soutient que son travail a une valeur historique et peut contribuer à un “contrôle objectif de l'information”. Les contributeurs du site espèrent aussi influer sur l'opinion des Ukrainiens et leur réponse à la question de savoir s'ils doivent se joindre à ce combat.

Самое главное – это раскрытие реального масштаба потерь военной техники на Донбассе перед населением Украины. Тут стоит отметить, что опираясь на фото и видеофакты, Lostarmour дает максимально консервативную оценку потерь, реальные потери значительно выше тех 700 единиц техники, внесенных в базу проекта. За каждой грудой искареженного [sic!] металла, как правило стоят жизни экипажей, и судьбы их семей.

Le but principal, c'est de divulguer à la population ukrainienne l'échelle réelle des pertes en équipement militaire dans le Donbass. Il faut noter que Lostarmour, en s'appuyant sur des photos et des vidéos, aboutit à une conclusion qui minimise ces pertes, qui dans la réalité dépassent les 700 unités enregistrées dans la base de données. Derrière chaque tas de métal mutilé, il y a des régiments et le destin de familles entières.

Une carte du conflit “en direct”
Le projet dispose depuis plus d'un an de LiveUAMap , une carte documentant les événements notables liés à la crise ukrainienne. Pendant qu'une rédaction centralisée s'occupe de la maintenance du site, un gros travail de crowdsourcing est fait pour ajouter tout ce qui peut être digne d'intérêt à cette carte en constante évolution. Le site est accessible en vingt langues, dont l'anglais, le russe et l'ukrainien, et il a même désormais son application Android.

Le cofondateur et rédacteur en chef de LiveUAMap , Rodion Rojkovski, a confié à  ”l'Echo de RuNet” que la plupart des membres de l'équipe de base travaillent même pendant leurs loisirs. Un petit groupe de Web-designers travaille sur le site lui-même, tout en développant des projets comme la conception de bots dédiés à la recherche d'informations ou une application LiveUAMap pour Android. Trois rédacteurs principaux sont dévolus à la recherche, vérification et géolocalisation de l'information, ainsi qu'aux tâches de traduction. Un groupe plus ou moins permanent d'une dizaine de bénévoles se charge aussi de superviser les travaux d'autres bénévoles qui envoient des infos, corrigent les données et traquent les erreurs dans les cartes mises à jour.

Screenshot of the LiveUAMap main page.

Capture d'écran de la page d'accueil de LiveUAMap.

Selon Rojkovski, le site est financé en grande partie par Google Ads, et cet argent sert à verser une compensation à l'équipe de base et pour les frais d'entretien du serveur. Les bénévoles ne sont bien sûr pas payés, mais sont crédités (avec leur accord) sur les réseaux sociaux pour leur contribution.

L'objectif de LiveUAMap est d'utiliser des “sources de données Big Data” pour comprendre le conflit en cours et en tirer des leçons. Les journalistes citoyens apprennent vite, dit Rojkovski, reconnaissant qu'ils fournissent un gros travail pour améliorer la qualité de l'information qu'ils publient et la vérification des faits qu'ils présentent à leurs lecteurs.

Liveuamap.com does not identify with Russian state propaganda. But we also don’t subscribe to the methods of Ukrainian propaganda (e.g., the new Ministry of Info and its iArmy). We believe that Ukrainian strength is in truth, not propaganda. The real numbers of dead, MIAs [missing in action], POWs [prisoners of war] matter—one of our goals is to show the real situation on the map.

Liveuamap.com n'a rien à voir avec la propagande russe gouvernementale. Mais nous ne nous souscrivons pas non plus aux méthodes de la propagande ukrainienne (comme son nouveau ministère de l'Information avec son armée numérique). Le nombre réel de morts, de disparus, de prisonniers de guerre a une signification ; c'est l'un de nos objectifs : montrer sur une carte la situation réelle.

Askai's Twitter avatar.

Un avatar d'Askai sur Twitter.

Le traçage des engins russes
Un certain nombre d'Ukrainiens et de Russes ont consacré leur temps libre à l'étude de messages portant sur l'équipement militaire russe qui a traversé la frontière ukrainienne et se trouve sous le contrôle des séparatistes pro-russes dans l'est ukrainien. L'un des détectives les plus connus et les plus sérieux est l'usager anonyme de TwitterAskai, qui tient aussi un blog sur «LiveJournal», où il fait part de ses découvertes les plus importantes.

Askai est spécialisé dans le suivi de photographies traçant la route suivie par des tanks et autres engins militaires venus de Russie jusque sur les champs de bataille de l'est ukrainien.

Comme il a été dit très justement dans les commentaires, le “Pantsir-S1″ de Lougansk a emprunté la rue de la Défense.

— Askai (@askai707), 8 février 2015.

Askai a déclaré à “l'Echo de RuNet” qu'il ne pense pas que son travail joue un grand rôle dans la guerre de l'information, même s'il sait que certaines de ses découvertes les plus importantes ont été reprises dans les médias traditionnels. Si Askai fait toutes ces recherches sur la provenance de matériel militaire, c'est pour “comprendre ce qui se passe en réalité dans l'est de l'Ukraine, et de le partager avec ceux que les faits intéressent”. Même si son but initial n'était pas de combattre la propagande russe, il dit que c'est devenu indispensable car “la propagande ment, et les gens veulent savoir la vérité”.

Askai ne croit pas que la vérification des faits et les travaux d'enquête citoyens en général puissent jouer un rôle significatif dans le conflit, en particulier parce que la propagande et la manipulation, selon lui, se font à grande échelle : la télévision russe émet pour des millions de personnes, et des petits sites à audience limitée ne peuvent pas rivaliser. En outre, les objectifs ne sont pas les mêmes, ajoute Askai.

Пропаганда в России сочиняет истории о распятых мальчиках, играет на чувствах людей, не склонных к размышлению, подстрекает их взять в руки оружие.

У расследований и в сборе статистики же другая цель – информировать, предоставлять новые сведения.

La propagande russe invente des histoires de petits garçons crucifiés, joue sur les sentiments de gens peu portés à la réflexion, et les pousse à prendre les armes.

L'objectif des enquêtes et de la collecte des statistiques est tout autre : informer, apporter des renseignements nouveaux.

Dans l'antre de l'armée de trolls du Kremlin : Modèles, directives et posts rémunérés

dimanche 15 mars 2015 à 19:23
Entrance of the Savushkina, 55 "troll army" headquarters in St. Petersburg. Photo by Moi Region.

Entrée du quartier général de l’ “armée des trolls” 55, rue Savouchkina, Saint-Pétersbourg. Photo  Moï Region.

Ce n'est depuis longtemps plus un secret : une armée d'internautes russes rémunérés s'active dans un paisible quartier résidentiel du nord de Saint-Pétersbourg. Un article récemment paru dans Moï Region et la Novaïa Gazeta donne un aperçu encore plus révélateur du “nid de trolls” d'où sortiraient quotidiennement par milliers billets et commentaires  pro-Kremlin.

Andreï Sochnikov de l'hebdomadaire de Saint-Pétersbourg Moï Region a obtenu un ensemble de documents et un entretien d'un ancien employé de la bien connue Agence de Recherche de l'Internet, qui occupe plus de 400 personnes dans un immeuble anonyme sis 55 rue Savouchkina à Saint-Pétersbourg.

L’entretien confirme dans les grandes lignes ce que beaucoup savaient déjà des centaines d'agents qui gèrent collectivement des milliers de comptes de réseaux sociaux sur LiveJournal, Twitter et autres plate-formes. Ces utilisateurs produisent des posts pro-Kremlin, sur la base d'éléments de langage préétablis, et les mêlent à des entrées apolitiques sur la photographie, la mode, le sport, et autres sujets ordinaires. A part une rare mais brève vidéo en caméra cachée des rédacteurs Internet au travail, la partie la plus intéressante de l'article de Sochnikov est un cache de documents révélateur qui est une liste partielle de comptes LiveJournal opérés par les employés, ainsi que les éléments de langage fournis aux agents après l'assassinat du leader d'opposition Boris Nemtsov.

A rare glimpse inside the "troll army headquarters" of Savushkina 55. Screencap from a video posted by Andrei Soshnikov to YouTube.

Un rare coup d'oeii à l'intérieur du “quartier général de l'armée de trolls” du 55 rue Savouchkina. Capture d'écran d'une vidéo mise en ligne sur YouTube par Andreï Sochnikov.

Le travail d'internaute rémunéré n'est pas aussi facile qu'on pourrait croire, car l'Agence de Recherche d'Internet a des directives strictes et exigeantes pour les posts fabriqués.

Общие требования к написанию постов:
- ОБЯЗАТЕЛЬНОЕ использование ключевых слов в заголовке поста (в приоритете ключевики, выделенные жирным шрифтом непосредственно в данном ТЗ),
- ОБЯЗАТЕЛЬНОЕ использование ключевых слов в самом тексте поста,
- ОБЯЗАТЕЛЬНОЕ использование графических изображений или видеороликов, найденных на Youtube, по тематике поста (крайне приветствуется использование картинок, созданных командой Креативного отдела).
- Пост должен содержать не менее 700 символов для дневной смены, и не менее 1000 символов для ночной.
Если пост оформлен с несоблюдением одного из вышеуказанных пунктов, то он не будет засчитан.

Exigences générales pour l'écriture des posts :
- IMPÉRATIVEMENT utiliser les mots-clés dans le titre du post (les mots-clés prioritaires sont indiqués en gras dans cette instruction technique),
- IMPÉRATIVEMENT utiliser les mots-clés dans le corps du post,
- IMPÉRATIVEMENT utiliser les infographies ou vidéos trouvées sur YouTube sur la thématique du post (les images produites par le Département Créatif sont extrêmement bienvenues)
- Un post doit contenir au moins 700 signes pour l'équipe de jour, et pas moins de 1000 pour celle de nuit.
Les posts non conformes à l'un des points ci-dessus ne seront pas pris en compte.

A côté de ces directives générales, des éléments de langage et mots-clés spécifiques pour des sujets variés —Ukraine, Union Européenne, USA, opposition russe, etc…—sont régulièrement distribués au personnel affairé. La liste fournie par Sochnikov des comptes LiveJournal opérés par des “trolls” confirme les conclusions de son article et révèlent d'innombrables posts se conformant à ces directives.

Un compte “faux-nez” typique est celui opéré par “Natalia Drozdova,” qui possède un blog LiveJournal (archive), un compte Twitter, une page Facebook, un profil Google+ et un compte VKontakte. Bien entendu, Natalia Drozdova n'existe pas, les comptes sont opérés par une employée appelée Tatiana Kazakbaïeva, selon les documents de Sochnikov ; mais “elle” s'intéresse aux “arts, [à] la psychologie, et [à] tout ce qui se passe dans le monde.” La plupart des posts de Natalia n'ont rien de spécial, tel celui (archive) sur le retrait par Facebook du statut “se sentir gros”, une série complète de parodies (archive) de Cinquante Nuances de Grey, et un post (archive) sollicitant des conseils après une altercation baroque avec un vigile de centre commercial sur l'introduction d'une poussette dans les toilettes.

Mais Natalia a aussi des opinions (archive) bien arrêtées sur la permission à l'Iran de poursuivre son programme nucléaire et se demande (archive) à haute voix si l'opposition russe a “sacrifié” Boris Nemtsov pour ses propres fins. Les réflexions de “Natalia Drozdova” suivent les directives établies par l'Agence de Recgerche d'Internet le 28 février, jour de la publication de son post sur Nemtsov.

Note technique divulguée du 28 février :

Техзадание от 28 февраля: «Основная идея: формируем мнение о том, что украинские деятели могут быть замешаны в смерти российского оппозиционера. < …> Смерть Немцова была неслучайной в условиях достижения минских договоренностей и возможного улучшения сотрудничества Украины и России. Теперь же Россия снова стала страной, к которой Запад проявляет негатив. Это явная провокация, направленная на всплеск недовольства представителей оппозиции, которые начнут призывы к митингам и шествиям с целью свержения власти».

Note technique du 28 février : “Idée principale : composer une opinion que des agents ukrainiens pourraient être mêlés à la mort de l'opposant russe. < …> La mort de Nemtsov n'a pas été fortuite dans les conditions d'application des accords de Minsk et la possible amélioration de la coopération entre l'Ukraine et la Russie. A présent la Russie est redevenue le pays envers lequel l'Occident se montre négatif. C'est une évidente provocation, visant à un sursaut de mécontentement des représentants de l'opposition, qui vont commencer leurs appels à des rassemblements et des cortèges en vue de renverser le pouvoir”.

post sur LiveJournal de “Natalia” le 28 février :

С утра сижу и читаю про обстоятельства убийства Немцова. И чем дальше, тем больше убеждаюсь: его банально принесли в жертву свои же. То, где он был убит Борис Немцов (у стен Кремля), с кем он в это время находился (модель из Киева Анна Дурицкая), способ убийства (не банальная авто- или даже авиакатастрофа, а огнестрельное ранение), а также то, что сама девушка, несмотря на множество выстрелов, не пострадала, говорит, что это была провокация. Провокация того, чтобы люди вышли на улицы и сотворили у нас в стране революцию ( о том, чем бы это закончилось – отдельный разговор).

Depuis ce matin je lis sur les circonstances du meurtre de Nemtsov. Et plus je lis, plus je suis convaincue : ce sont les siens qui l'ont simplement sacrifié. Le lieu où il a été tué (sous les murs du Kremlin), avec qui il se trouvait à ce moment (un mannequin de Kiev, Anna Douritskaïa), le procédé du meurtre (pas un banal accident de voiture ou d'avion, mais une blessure par arme à feu), et aussi le fait que la fille elle-même, malgré les nombreux coups de feu, ait été indemne, disent que c'était une provocation. Une provocation, pour que les gens sortent dans les rues et fassent la révolution dans notre pays (comment cela finirait, c'est une autre question).

L'expert de RuNet Anton Nossik, dans son commentaire sous l'article de Moï Region, note que tous les commentaires pro-Kremlin ne sont pas rémunérés, mais que ceux qui sont fabriqués sont faciles à déceler, ce qui signifie que les trolls payés ont peu d'impact sur les opinions politiques du lectorat.

Безусловно, далеко не все провластные комментарии в интернете – проплачены. Среди 70 млн пользователей рунета есть миллионы, кто, например, рад войне на Украине. От их постов и комментариев пахнет реальным нездоровьем, ущербностью, озлобленностью… А вот в записях, оставленных по методичке, живой человек не просматривается.

Evidemment, tous les commentaires pro-gouvernement sur l'Internet ne sont pas payés. Sur les 70 millions d'utilisateurs de RuNet il y en a des millions qui par exemple se réjouissent de la guerre en Ukraine. Leurs posts et commentaires fleurent le pathologique, la déficience, la méchanceté… Mais derrière les écrits composés selon la procédure on ne perçoit pas d'être humain.

La guerre de propagande en ligne reçoit presqu'autant de presse que la guerre réelle en Ukraine de l'Est, et la Russie paraît en position de force sur les deux fronts. L'Ukraine a essayé récemment de faire jeu égal avec l'armée de trolls russe en recrutant sa propre brigade d'internautes pour “combattre la propagande avec des faits et des preuves”. Cependant, comme le montre ce nouvel aperçu des lignes de front de la guerre en ligne de l'information, la partie russe est mieux dimensionnée, bien financée et plus disciplinée dans sa construction d'une chambe d'écho massive sur RuNet.

Istanbul à la merci d'une frénésie bâtisseuse ?

vendredi 20 février 2015 à 20:02
An installation exhibited at Istanbul Design Biennial. It writes "Construction, my dear Prohpet", and humorously criticized the ongoing construction thirst of the government.

“Construction, mon cher prophète”, moquerie de la fièvre bâtisseuse de l'AKP (parti de la Justice), le parti à tendance religieuse de Turquie. Largement diffusé sur Twitter.

En l'espace des dix dernières années, la Turquie s'est couverte de chantiers : autoroutes, ponts stratégiques, hôtels prétentieux et autres édifices sont érigés sans arrêt à travers tout le pays au nom du développement et de la prospérité économique. Istanbul, la plus grande ville de Turquie, est au coeur de cette frénésie. 

Les critiques font valoir que cette culture de la construction est devenue une forme de violence. Le bétonnage acharné d'Istanbul, disent-ils, menace forêts, sites d'intérêt historique et culturel et jusqu'à l'esprit même de la cité.

Ci-après, quelques-uns seulement des innombrables projets soulevant l'ire des habitants qui veulent recouvrer leurs espaces publics.

Espaces verts en danger

Parmi les plaintes les plus fréquentes des Stanbouliotes, il y a le manque de zones vertes dans la ville. En ce sens, des espaces plantés comme Validebağ et Emirgan revêtent une importance particulière pour les habitants. L'un comme l'autre sont actuellement menacés par les projets immobiliers en cours.

Validebag est l'une des plus grandes zones vertes protégées d'Istanbul, et abrite de nombreux animaux, dont des oiseaux migrateurs, et c'est aussi un des rares parcs restants dans la ville. Depuis l'année dernière les gens se battent contre le projet de construction d'une mosquée à l'intérieur des limites de Validebag.

En dépit d'une injonction judiciaire contre le chantier, la mosquée devient chaque jour plus visible. 

De plus, Validebag n'est pas le seul espace vert menacé. Récemment, TOKİ (l'Administration de la construction de logements) a annoncé la vente de 158.479 mètres carrés de terrains situés à côté de la forêt d'Emirgan pour l’édification d'un enième hôtel et centre commercial.

Citizens protest against Mosque construction at Validebag Grove

Manifestation contre la construction d'une mosquée à Validebag
le 2 novembre 2014. Photo Avni Kantan. Demotix ID: 6171532.

Le propriétaire de l'entreprise de bâtiment a tenté d'apaiser en expliquant que le chantier n'empiéterait ni sur la forêt ni sur la ligne d'horizon du Bosphore, sans être cru. 

L'heure est maintenant venue pour la forêt d'Emirgan après Validebag. Je veux seulement une Turquie qui protège et aime ses espaces verts. Est-ce trop demander ?

 Le projet Tarlabasi

En parallèle, de nombreuses parties d'Istanbul subissent un embourgeoisement agressif. De vieux quartiers ont été détruits pour faire place à des opérations commerciales lucratives.

Tarlabasi, à côté du célèbre quartier de Taksim, est dans ce cas. Ses bâtiments historiques et sa localisation centrale en font une des zones les plus recherchées d'Istanbul. En 2012, de nombreux habitants du quartier ont été contraints à déménager et vendre leurs maisons à bas prix lorsqu'une gigantesque restructuration du secteur a été lancée.

Tarlabasi area of Istanbul undergoes redevelopment project by Soultana Kabouridou. Demotix ID: 2684393.

Certaines parties du quartier de Tarlabasi à Istanbul subissent une rénovation agressive, tandis que d'autres sont délibérément laissées à l'abandon par les autorités municipales. Photo Soultana Kabouridou. Demotix ID: 2684393.

Ceux qui ont refusé l'indemnisation et s'obstinent à rester dans leur quartier subissent les coupures d'eau, d'électricité et de gaz, l'odeur des ordures non ramassées, et les menaces des fonctionnaires municipaux.

Laetitia Vancon, une photographe française qui a documenté les histoires des familles — pour beaucoup, de minorités ethniques à faibles revenus — explique :

Tarlabaşı, situé presque au centre de la ville, est une une énigme insolite dans les affres d'unbe volonté administrative d'embourgeoisement. Officiellement, c'est appelé un programme de réhabilitation – en réalité, c'est une rénovation et restructuration complètes, comportant la démolition des vieilles constructions, qui font partie du patrimoine architectural d'Istanbul, afin de laisser place à une nouvelle zone commerciale, avec centres commerciaux, galeries marchandes et hôtels.

En juillet 2014, les habitants de Tarlabasi ont gagné leur procès pour empêcher l'expropriation de leurs terrains et donner un coup d'arrêt à l'opération immobilière. Ahmet Misbah, le maire du quartier de Beyoglu et membre du parti au pouvoir AKP estime que de telles actions judiciaires empêchent la modernisation de la ville.

Les opposants au processus disent, eux, que cette modernisation profite surtout à l'élite fortunée qui a un intérêt financier dans ces projets, puisque la gentrification fait s'envoler les prix du foncier dans la zone.

On dirait que les seuls que la gentrification a laissés dans la pauvreté sont les habitants de Tarlabasi and Sulukule.

Avec la gentrification, les appartements à #Tarlabasi, qui coûtaient 50.000 livres il y a 10 ans, valent maintenant 2 millions de dollars.

Gentrification, Gentri-distribution : RENTE A ISTANBUL

Le cas de Tarlabasi est traité par le blog Istanbul Stories, composé d'articles sur les différents quartiers de la métropole.

Lieux historiques détruits

Si une partie de l'histoire d'Istanbul est sous protection de l'UNESCO, il en est aussi de vulnérables aux opérations immobilières. Des monuments historiques comme la gare ferroviaire de Haydarpasa perdent leur fonction d'origine pour être reconvertis en hôtels et centres commerciaux. 

Le cinéma Emek est le plus ancien et le plus prestigieux de Turquie. Il fait partie du complexe du Cercle d'Orient, en train d'être transformé en galerie marchande.

Le cinéma a été fermé en 2010, quand les autorités ont invoqué l'état de délabrement du bâtiment. Depuis lors, la lutte contre la démolition de l'Emek se poursuit. Tandis que l'entreprise de bâtiment qui opère sur le site affirme ne pas détruire le cinéma mais le surélever, beaucoup de gens n'y voient qu'un espace culturel de plus sacrifié sur l'autel du profit.

En 2014, un tribunal d'Istanbul a ordonné la suspension du chantier. Mais l’apparent accident du travail d'un ouvrier sur le site laisse supposer que le jugement n'est pas appliqué. 

A child carries a banner at the Emek Movie Theater Protest on April 5, 2014. Photo by Görkem Keser. Demotix ID: 4396772.

Un enfant porte une pancarte à la manifestation pour le cinéma Emek le 5 avril 2014.
Photo by Görkem Keser. Demotix ID: 4396772.

Le chantier illégal du cinéma Emek continue.

Le 5 février, le Conseil d'Etat turc, le tribunal administratif suprême du pays, a statué pour bloquer la mise en oeuvre de réglementations particulières de gentrification qui accordent des pouvoirs exorbitants à la TOKİ, l'institution de promotion et du logement.

Une décision qui a donné à beaucoup un espoir que la plus grande et plus sur-développée ville de Turquie puisse retrouver de l'air.