PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Un peintre syrien réinvente les puissants de ce monde en réfugiés vulnérables

mercredi 12 juillet 2017 à 14:25

‘La file d'attente’ par Abdalla Al Omari. Photo extraite de sa page Facebook page. Utilisée avec sa permission.

C'est l'image du réfugié “vulnérable” dominante dans la couverture médiatique que le peintre syrien Abdalla Al Omari a souhaité inverser, en montrant au monde à quoi ressembleraient les responsables politiques si leur chance venait à tourner.

Ainsi est née “The Vulnerability Series“.

Il l'a initialement présentée à Bruxelles, capitale de la Belgique, en 2016 quand il y a obtenu l'asile, et une deuxième fois à Dubaï, où l'exposition a pris fin le 6 juillet 2017.

“Angela” huile et acrylique sur toile, 200×150 cm, The Vulnerability Series, exposée jusqu'au 08/03/2017 au CcStrmbeek, Belgique

Omari a expliqué ses motivations pour la série :

J'avais beau en savoir très peu sur le monde intérieur de ces dirigeants, les innombrables heures intimes que j'ai passées avec eux m'ont appris plus que je ne pouvais imaginer. Avec la même facilité que tout ce qui vaut d'être défendu peut se retrouver sans défense, les moments où on est absolument dépourvu de pouvoir peuvent vous donner des super-pouvoirs.

L'idée était de briser leur image de puissants. Il a détaillé sur son blog comment il en est arrivé à se prendre de pitié même pour le président syrien assiégé Bachar el-Assad, dont les troupes sont régulièrement accusées de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité :

Même moi j'ai eu de la compassion pour (ma version d’) Assad. Dans cet univers en apesanteur, nous n'avons que notre vulnérabilité à quoi nous raccrocher. Ce vent invisible alourdit notre poitrine, et pourtant, mystérieusement nous remet à nouveau debout. Je me suis persuadé que c'est l'arme la plus puissante que possède l'humanité, tellement plus puissante que la trace dans nos mémoires collectives des jeux d'influence, des cratères de bombes et des impacts de balles. La vulnérabilité est un cadeau dont nous devrions tous nous réjouir.

Dans un entretien avec le site belge De Afspraak, Omari dit que ce “sentiment étrange d'empathie” s'étend à d'autres personnages politiques :

Chaque jour je me réveillais en leur présence et sur mes murs.. Et à un moment j'ai eu cet étrange sentiment d'empathie envers eux à force de les voir depuis si longtemps. Et cet état de vulnérabilité, à vous regarder, les yeux dans les yeux tout le temps, à vous dire nous sommes vulnérables’, nous sommes faibles, même eux, je me suis dit ‘ouah, je pourrais même avoir de l'empathie pour eux’.


Outre Assad, la série montre les Présidents étasuniens Barack Obama et Donald Trump, russe Vladimir Poutine, français Nicolas Sarkozy et François Hollande, iranien Mahmoud Ahmadinejad, turc Recep Tayyip Erdogan, le Premier Ministre britannique David Cameron, la Chancelière allemande Angela Merkel et le Président égyptien Abdel Fattah el-Sissi.

“Je désirais personnellement les voir dans la peau de réfugiés, de personnes vulnérables pour les visualiser dans leur état vulnérable parce qu'ils ont l'air si parfaits, si divins”, expliquait-il à De Afspraak.

Son image abondamment reprise de Trump en réfugié s'est inspirée de l'histoire du réfugié syro-palestinien Abdul Halim Attar.

Attar, originellement du camp de Yarmouk à Damas, et l'un parmi les plus d'un million de réfugiés syriens à avoir fui au Liban, a été très médiatisé avec cette image de lui vendant des stylos à bille dans les rues de Beyrouth, sa fille sur le bras. La petite fille que porte Trump est habillée comme la fille de l'artiste.

‘The Vulnerability Series’ d'Abdalla Al-Omari, via Facebook. Utilisée avec sa permission.

Il a aussi reproduit la tristement célèbre photo des habitants de Yarmouk attendant une distribution de nourriture en 2014 :

L'oeuvre d'Omari a obtenu une très grande attention en ligne. Une vidéo d'AJ+ a été vue plus de 12 millions de fois. Il y confie que “ces dirigeants ont une part de responsabilité dans le déplacement des Syriens. Peut-être ressentiront-ils ce que c'est que d'être vulnérable.”

Mary Scully, qui a été candidate indépendante socialiste à la présidence des USA, a suggéré de pousser un pas plus loin les portraits imaginaires des dirigeants mondiaux :

Il y a une manière encore préférable de faire leur portrait : en uniformes de prisonniers après leurs procès pour crimes contre l'humanité.

Chroniques d'une Vénézuélienne inquiète : les cicatrices de l'Histoire

mercredi 12 juillet 2017 à 13:30

Pour mon ami et pour beaucoup d'autres comme lui, le Venezuela n'est rien d'autre que l'exemple manifeste de la rupture de l'essentiel de ce qui définit un pays, ce vivre-ensemble dans la différence qui peut tenir une société et peut-être, une interprétation culturelle. Qu'est-ce que le Venezuela aujourd'hui? Qui sommes-nous, nous les Vénézuéliens qui avons survécu à ce désastre historique ?

Il y a quelques jours, un de mes amis de toujours m'a dit qu'après avoir émigré, il avait découvert qu'il détestait être Vénézuélien. C'est exactement l'expression qu'il a employée. Je suis restée sans trop savoir quoi dire, à regarder son visage dans la fenêtre de Skype avec une vague sensation de panique et d'amertume.

— C'est… très dur.

— C'est la vérité. Il suffit de quitter le pays pour comprendre à quel point on est minables.

J'ai cligné des yeux, la gorge nouée par la peur et la rage. Mon ami a semblé remarquer mon malaise, et il est parti d'un hochement de tête compréhensif.

— Je sais que tu ne me comprends pas.

— Ce que je ne comprends pas, c'est cette idée de pays-catastrophe ou de pays-chaos qui va avec notre nationalité, notre histoire, ce que nous sommes. Ce n'est pas que je nie ce qui se passe ici, je ne le fais jamais. Mais ce que tu me dis, ça va plus loin.

— Tu es plus nationaliste que tu ne le croyais ?

La question me fait enrager et en même temps, éveille en moi du découragement. Un étrange mélange de sentiments qui est intimement lié à la manière que j'ai encore de comprendre le pays et surtout, de le vivre et de le comprendre. Une sensation de pure angoisse me prend à l'idée que le Venezuela, le pays où je suis née et où j'ai grandi, soit devenu une espèce de symbole de la douleur, de la frustration et de la déception qui frappe la majorité des Vénézuéliens. Comme si ce gentilé —cette abstraction confuse et personnelle qui nous définit en nous rattachant à une idée plus large du lieu que l'on fait sien— était lui aussi brisé et perdu, comme tant d'autres choses qui pouvaient définir notre identité. Il l'est peut-être, ai-je pensé anxieusement. Peut-être qu'être Vénézuélien a cessé d'être une idée de ce que nous sommes pour devenir quelque chose qui ressemble davantage à une peur, à un miroir de tous les petits malheurs qui pèsent sur nos épaules.

— Ça n'a rien à voir avec le nationalisme, ai-je répondu, mais c'est que je trouve injuste de faire l'amalgame entre la crise que nous vivons et le regard qu'on porte sur nous-mêmes. C'est une idée extrême qui nous pousse à mépriser tout ce que peut être le Venezuela, au-delà de la crise qui nous frappe. C'est ça que je veux dire.

— Cette crise, c'est nous, me dit mon ami presque avec résignation. Tu ne t'en rends pas compte ? Ce n'est pas juste un système politique qui s'est révélé être une arnaque historique, c'est aussi qu'il y a une résignation générale, une acceptation de ce qui nous arrive qui est directement liée à ce qu'est le Venezuela, et à ce qu'il est devenu ces dernières années. Ne viens pas me dire que le Vénézuélien n'y est pour rien dans cette crise. Que ce n'est pas son laisser-aller, son manque de sens des responsabilités, son indifférence qui ont plongé le pays dans le gouffre où il est. On ne peut pas être aussi naïf !

Je ne suis pas naïve. Mais vous voyez les choses sous un autre jour quand la crise fait partie de votre quotidien. Que ce soit à cause de la peur qui vous suit partout, ou du sentiment tenace de frustration et de vulnérabilité, il n'est pas facile de comprendre pleinement la situation globale du pays quand il faut y faire face tous les jours. Cependant, l'idée que nous sommes responsables de ce que nous vivons pour la seule raison que nous ne savons pas comment l'affronter me semble scandaleuse. Oui, je reconnais que je n'ai peut-être pas une vision très concrète ni très élaborée du monstre politique et économique auquel on a affaire. Je reconnais que certains fuient la réalité, ou ont une vision simpliste de la situation de plus en plus compliquée dans laquelle nous sommes. Mais il y a une différence entre notre perception des choses —et de la façon dont elles nous affectent— et le fait que ce que l'on endure vienne mettre à bas tout le reste. Et aille jusqu'à nous confisquer notre mémoire historique.

— Le Venezuela était un terrain d'expérimentation idéal pour un type comme Chávez, qui lui a permis de faire précisément ce qu'il a fait, insiste mon ami. Tu ne le vois pas ? Chávez a pris la rancœur sociale, la jalousie et le laisser-aller vénézuéliens et il en a fait une arme politique. Désormais, c'est bien de haïr, c'est bien de montrer du doigt et de stigmatiser l'autre. Le chavisme s'est emparé de la haine et il en a fait quelque chose de rentable.

Mon ami a émigré il y a dix ans, fuyant à la seule idée que le chavisme puisse faire quelque chose dans le pays. À l'époque, celui-ci gardait encore un semblant de normalité, une apparence trompeuse de démocratie perfectible. Mais il était déjà assez clair que les décisions d'un leader charismatique et irresponsable étaient en train de nous mener vers la crise dévastatrice qui, dix ans après, s'est insinuée partout. Je me souviens de la dernière conversation que nous avons eue avant qu'il quitte le pays, la peur qu'il avait rien qu'en imaginant ce qu'un système mis en échec et basé sur le contrôle pouvait occasionner. Et, bien plus inquiétant, en pensant à ce que pouvait signifier qu'une bonne partie de la population ait sincèrement donné son vote, et plusieurs fois, à une classe dirigeante obsédée par l'idée de construire un projet politique sur les ruines du pays.

— Le communisme n'épargne personne, m'avait-il dit, et au Venezuela, encore moins. Le Vénézuélien est en train de creuser sa propre tombe, sa propre interprétation du socialisme étatique. Et il le fait parce qu'il comprend le pays comme un projet.

Il allait me falloir dix ans pour comprendre cette phrase. Pour en accepter la portée et pour subir les conséquences directes d'un projet politique dont le principal objectif est le contrôle, par l’État, de tous les pans de la vie des citoyens. Une autocratie fondée sur la haine, l'exclusion et la condamnation de la différence. Malgré tout, je ne peux pas admettre qu'on fasse du pays —compris comme entité et comme vision d'avenir— le «coupable» d'une situation intenable. Que la déception historique causée par le chavisme se traduise par une attaque contre ce que le Venezuela a été, ce qu'il est et surtout, ce qu'il peut être.

— Tu n'y crois pas parce que pour toi, tout ça, c'est normal : c'est l'opportunisme du Vénézuélien [la viveza criolla, un trait connu de l'idiosyncrasie vénézuélienne qui consiste à tirer profit sans vergogne de chaque situation, au mépris des règles et de la société], sa dépendance vis-à-vis de l’État, sa vulgarité et sa grossièreté. Tu as accepté l'idée que le pays appartient forcément à cette vieille tradition qui assimile le pouvoir à la soumission. Une âme d'esclave, disent certains commentateurs. Et j'ai fini par le croire. Il existe une lecture du pays basée sur la tricherie, l'affrontement et la haine. C'est indéniable, et la situation empire, elle est de plus en plus inquiétante. Que crois-tu que c'est, le chavisme, à part le reflet du pire de nous-mêmes?

Tout le raisonnement de mon ami pourrait sembler insultant et arrogant si une sincère inquiétude ne perçait pas dans sa voix. Oui, peut-être que le dilemme ne naît pas seulement de l'idée du pays comme un projet à quatre mains, mais de cette vaine tentative d'accepter ce que peut être le Venezuela en partant de ce que nous sommes. Pour mon ami et pour beaucoup d'autres comme lui, le Venezuela n'est rien d'autre que l'exemple manifeste de la rupture de l'essentiel de ce qui définit un pays, ce vivre-ensemble dans la différence qui peut tenir une société et peut-être, une interprétation culturelle. Qu'est-ce que le Venezuela aujourd'hui ? Qui sommes-nous, nous les Vénézuéliens qui avons survécu à ce désastre historique ? Je n'en sais rien, ai-je pensé en essayant de retenir mes larmes, et peut-être que cette incertitude est ce qu'il y a de plus douloureux dans une situation qui empire chaque jour, qui repousse toujours les limites de l'insoutenable.

— Le Vénézuélien a créé le chavisme à son image, et non l'inverse comme on le pense généralement, conclut mon ami, et il le fait d'une voix sourde et peinée. Qu'est-ce que le chavisme, en réalité ? C'est la traduction de chacun des défauts et des souffrances des Vénézuéliens en politique. C'est la logique rentière élevée au stade d'un dangereux impôt politique. C'est ce climat de haine latent que le Vénézuélien a toujours porté sur lui comme un stigmate. Si le chavisme reste en place, c'est parce qu'une bonne partie des Vénézuéliens est incapable de combattre ses propres malheurs. Parce que le chavisme, c'est l'incarnation du monstre à l'intérieur du monstre. Une idée très complexe de la façon dont nous nous comprenons, et dont nous acceptons ce qu'est notre pays. Le Venezuela était un pays chaviste avant même la naissance de Chávez.

Je continue à penser à ces mots pendant des heures, et cela durera sûrement des semaines. Avec un mélange de douleur et de peur difficile à expliquer. Quel regard et quelle interprétation porter sur sa responsabilité historique quand c'est ce que votre pays natal a de pire que le pouvoir a vu en lui ?

Dans la même série et du même auteur, lire aussi : Chroniques d'une Vénézuélienne inquiète : pour vous aider (à essayer) de comprendre le Venezuela

BNP Paribas soupçonnée de complicité dans le génocide des Tutsis au Rwanda

mercredi 12 juillet 2017 à 11:24

Capture d'écran du documentaire sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi -

Dans l'enquête sur le génocide des tutsis de 1994 au Rwanda, de nombreuses responsabilités internationales tant au niveau des gouvernements, en particulier la France, que d'entités supranationales, restent encore à éclaircir 23 ans après. Le combat pour les identifier et les traduire en justice continue donc malgré des ressources limitées et d'énormes obstacles d'ordre juridique et politique. En effet, trois associations de défense des droits humains ont déposé une plainte auprès du tribunal de grande instance de Paris, contre le groupe français BNP Paribas, en se constituant parties civiles sur le fondement de complicité de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.

Dans un communiqué de presse publié le 29 juin 2017, ces associations expliquent le motif de leur action dirigé contre le groupe BNP Paribas:

La banque aurait accepté de transférer en juin 1994, pendant le génocide et alors que l’embargo sur les armes avait été adopté par l’ONU un mois plus tôt, 1,3 million de dollars d’un compte de sa cliente, la Banque nationale du Rwanda (BNR), sur le compte suisse d’un courtier d’armes sud-africain, M. Ehlers.

Ehlers se serait alors rendu avec un commandant Hutu, M. Théoneste Bagosora, aux Seychelles, pour conclure, le 17 juin 1994, la vente de quatre-vingt tonnes d’armes, qui auraient ensuite été acheminées à Gisenyi au Rwanda, via Goma. Au cours de son audition devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), le colonel Bagosora a confirmé que des armes arrivées des Seychelles par Goma auraient servi à « donner un coup de main à Kigali »[1].

Force est de constater que la Banque Bruxelles Lambert (BBL) avait refusé la demande d’utilisation de fonds émanant de la Banque commerciale du Rwanda, se refusant de violer l’embargo. D’après le témoignage du détaché de la BBL au Rwanda, le milieu bancaire, qui avait déjà l’obligation de se renseigner auprès de leur client sur la destination des fonds en cas de circonstances inhabituelles, savait que « le gouvernement rwandais avait un besoin crucial d’argent. […] Il était évident pour tout le monde qu’ils devaient acheter des armes et munitions. Le Rwanda était sous embargo ». La BNP aurait été la seule banque à accepter ce transfert de fonds.

Ainsi, selon les nombreux témoignages et rapports d’enquête joints à la plainte, la BNP aurait eu nécessairement connaissance de la destination des fonds et conscience que ce transfert pouvait contribuer au génocide en cours.

C’est la première fois qu’une plainte est déposée sur ce fondement contre une banque en France.

Le site TRIAL International, une organisation non-gouvernementale qui lutte contre l’impunité des crimes internationaux et soutient les victimes dans leur quête de justice présente le commandant Hutu, M. Théoneste Bagosora, condamné à la prison à perpétuité par le TPIR le 18 décembre 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, Réduction de a peine à 35 ans de prison en appel le 14 décembre 2011, en ces termes:

Considéré comme le «cerveau du génocide» Bagosora aurait, en 1990 déjà, commencé à élaborer un plan dans l’intention d’exterminer la population civile tutsie et d’éliminer des membres de l’opposition et se maintenir ainsi au pouvoir. Selon l’acte d’accusation, ce plan comportait entre autres éléments le recours à la haine et à la violence ethnique, l’entraînement et la distribution d’armes aux miliciens ainsi que la confection de listes de personnes à éliminer. Dans l’exécution de ce plan, Bagosora et ses acolytes auraient organisé, ordonné et participé aux massacres perpétrés à l’encontre de la population tutsie et des Hutus modérés.

Les trois associations se sont unies à SumOfUs afin de lancer une pétition internationale en français, anglais et allemand pour exiger que les institutions financières soient tenues responsables de leurs implications dans des violations de droits humains. Lancée le 29 juin, cette pétition a déjà réuni plus de 154 000 signatures de la pétition interpellant le gouvernement Macron et les nouveaux députés.

Si les faits s'avérent prouvés, les trois associations trouvent que:

cette plainte permettrait de mettre en lumière la responsabilité éventuelle des investisseurs en matière de crimes de guerre, et plus largement en matière de violation de droits humains.

Au lendemain du début d’une nouvelle mandature, nous disposons d’un formidable moyen pour obtenir un renforcement de la responsabilité des banques, afin que tout individu ne puisse douter de la destination de son épargne. La loi sur le devoir de vigilance des multinationales, adoptée le 21 février dernier, appliquée aux banques, devrait éviter désormais l’implication des acteurs de la finance dans de telles violations.

Les responsabilités de ce groupe bancaire ne doivent pas cacher celles de la France, qui est soupçonnée par de nombreux témoins de l'époque d'avoir aidé les génocidaires dans leurs activités. Dans son livre “La France au cœur du Génocide des Tutsi”, disponible gratuitement en ligne, Jacques MOREL écrit:

La France a contribué à la formation et à la reconnaissance internationale du gouvernement qui a organisé les massacres. Elle a évacué ses ressortissants et s’est enfuie. Elle a paralysé toute action du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle en a obtenu un mandat qui, au prétexte de protéger les populations en danger, a permis la fuite de ses alliés pourchassés par le Front patriotique. Celui-ci, devant le refus des Casques bleus d’intervenir contre les massacres des Tutsi, a repris les armes et mis un terme à ce que les Nations unies ont reconnu comme le génocide des Tutsi.

Morel résume dans la vidéo ci-dessous les arguments présentés dans son livre:

Le Pape François, en recevant le Président Paul Kagame a reconnu les responsabilités de certains membres du clergé rwandais et imploré le pardon. Un jour la France aura-t-elle le courage d'en faire autant? Pour le moment, elle continue à faire la sourde oreille. Mais c'est sans compter avec la détermination des organisations de défense des droits humains.

C'est ainsi que l'association Survie a déposé, récemment, à Paris, une plainte contre des responsables politiques et militaires français pour “complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité”.

Même parmi les membres des forces armées françaises qui opéraient au Rwanda et même hors de ce pays, les langues commencent à se délier. L'ancien officier français de l’armée de terre lors du génocide, Guillaume Ancel, a affirmé sur France Info, “que ses supérieurs lui ont clairement demandé de “livrer des armes aux génocidaires dans les camps de réfugiés.”

 

Netizen Report : Travailler dans l'intérêt public devient de plus en plus risqué

mercredi 12 juillet 2017 à 10:16

Manifestation en Thaïlande contre la loi sur le crime de lèse-majesté. Photographie de Matthew Richards, Copyright @Demotix (12/10/2011)

Le Netizen Report de Global Voices offre un aperçu des défis à relever, des victoires obtenues et des tendances émergentes en matière de libertés numériques dans le monde.

Les risques associés au travail dans l'intérêt public, que ce soit en tant que journaliste, militant ou défenseur de la transparence et de la responsabilité gouvernementale, semblent augmenter partout dans le monde.

Le 5 juillet, la police turque a brusquement interrompu un atelier de formation sur les technologies de l'information à Istanbul et arrêté deux formateurs et huit défenseurs des droits de l'homme parmi les plus connus du pays. Elle a également confisqué leurs ordinateurs et téléphones portables. Les détenus n'ont pas encore été inculpés et seront maintenus en détention pendant sept jours, le temps que leurs dossiers soient évalués. Parmi les personnes arrêtées figure la directrice d'Amnesty International pour la Turquie, Idil Eser.

Le président de l'organisation, Taner Kilic, a d'ailleurs été renvoyé en prison il y a moins d'un mois. Amnesty International a immédiatement fait une déclaration au nom des détenus :

(Idil Eser's) incommunicado detention and that of the other human rights defenders attending a routine training event, is a grotesque abuse of power and highlights the precarious situation facing human rights activists in the country. Idil Eser and those detained with her must be immediately and unconditionally released.

La détention au secret (d'Idil Eser) et des autres défenseurs des droits de l'homme qui participaient à un atelier de formation ordinaire constitue un abus de pouvoir des plus grotesques et souligne la précarité des militants des droits de l'homme dans le pays. Idil Eser et les personnes détenues avec elle doivent être libérées immédiatement et inconditionnellement.

Deux jours plus tôt, le gouvernement militaire du Myanmar inculpait trois journalistes en ligne indépendants en vertu de la loi sur les associations illégales. Cette loi criminalise l'appartenance à une « association illégale » et prévoit une peine d'emprisonnement de trois ans pour les coupables. Les journalistes ont été arrêtés à la fin du mois de juin dans l'état du Shan, au nord du pays, alors qu'ils recueillaient des informations sur la production de drogues dans une région contrôlée par l'armée de libération nationale ta’ang, un groupe armé ethnique qui a longtemps été en conflit politique avec le gouvernement fédéral. L'audience des journalistes a eu lieu le 11 juillet 2017.

Les journalistes travaillent pour le site The Irrawaddy et l'organisation Democratic Voice of Burma [La voix démocratique du Myanmar], deux des rares médias indépendants à avoir abordé les questions politiques alors que le pays était encore sous dictature militaire. Le journal en ligne The Irrawaddy est un partenaire de Global Voices.

Kyaw Zwa Moe, le responsable de l'édition anglaise de The Irrawaddy, a signalé que l'arrestation des trois journalistes pourrait avoir un effet dissuasif sur la société :

The arrest and charges demonstrate that either Myanmar’s military leaders don’t understand the nature and purpose of the media, or that this was a deliberate act intended to frighten journalists away from covering sensitive issues that could lead to criticism of the armed forces.

L'arrestation et les accusations démontrent que soit les dirigeants militaires du Myanmar ne comprennent pas la nature et le but des médias, soit qu'il s'agit d'un acte délibéré visant à dissuader les journalistes de couvrir les questions délicates et susceptibles d'exposer les forces armées à la critique.

Des politiciens de l'opposition mexicaine ciblés par des logiciels espions

Le mois dernier, des groupes mexicains de défense des droits numériques ont rendu public de nombreuses preuves démontrant que leur gouvernement avait acheté et utilisé des logiciels espions de l'entreprise israélienne NSO Group pour surveiller des journalistes, des militants et des défenseurs des droits de l'homme. Un nouveau rapport technique du Citizen Lab de l'Université de Toronto a révélé que trois politiciens de l'opposition avaient également été ciblés, tous membres du Parti de l'action nationale (PAN), un parti socialement conservateur. Le président du Mexique, Enrique Peña Nieto, a qualifié ces allégations de « fausses » et a demandé une enquête au bureau du procureur général. Neuf des personnes ciblées ont déposé des accusations contre le gouvernement.

Au Venezuela, la censure des médias sociaux atteint son paroxysme dans un contexte d'agitation sociale

Facebook, Twitter, YouTube et Instagram, de même qu'un certain nombre d'autres plateformes de médias sociaux, ont été bloqués au Venezuela [fr] dans la soirée du 28 juin. Les blocages ont été mis en place par le biais des serveurs DNS [Service de noms de domaine] du fournisseur de services internet géré par l'État, CANTV. Ils ont été levés tard dans la soirée du 28 juin. En réaction, les Vénézuéliens ont échangé des conseils techniques [fr] sur la façon de contourner les blocages, notamment sur la manière d'utiliser des services de réseaux privés virtuels gratuits et de changer une adresse DNS. Les blocages semblent suivre un scénario semblable à d'autres cas de censure, comme l'inscription de 41 sites sur la liste noire au mois de mai, et interviennent au moment où des manifestations d'opposition mettent à rude épreuve le pays déjà aux prises avec de graves crises économiques, alimentaires et sanitaires.

Un sénateur philippin veut interdire les « fausses nouvelles »

Le sénateur philippin Joel Villanueva a déposé un projet de loi à la fin du mois de juin qui criminaliserait la « diffusion de fausses nouvelles dans un but malicieux ». Le projet de loi définit les fausses nouvelles comme étant « celles qui cherchent à semer la panique, le chaos, la division et entretenir la violence et la haine, ou celles qui font de la propagande dans le but de ternir la réputation d'une personne ou de discréditer celle-ci ». Le projet de loi contient des dispositions qui prévoient de lourdes peines d'emprisonnement pour ceux qui publient des « fausses nouvelles », mais également pour ceux qui les partagent, risquant de criminaliser les utilisateurs de médias sociaux qui ne comprennent pas entièrement ce qu'implique le simple fait de partager un article à des amis.

En Espagne, la « loi bâillon » rapporte de grosses sommes à l'État

Il y a maintenant deux ans que la controversée loi de sécurité citoyenne, communément appelée « loi bâillon » (« Ley mordaza » en espagnol), est entrée en vigueur en Espagne. Cette loi restreint les libertés d'expressions et de réunion et, avec ses réformes du Code pénal, impose de lourdes amendes pour diverses infractions, dont la diffusion de photos ou de vidéos montrant des policiers, « le manque de respect » aux forces de l'ordre, l'utilisation des médias sociaux [es] pour organiser une manifestation et la participation à des manifestations « non autorisées ». Au cours des 18 mois qui ont suivi sa promulgation, l'État espagnol a infligé environ 286.000 amendes et perçu [es] plus de 131 millions d'euros. Bien que le Parlement espagnol soit divisé, une initiative est en cours pour réformer la loi, mais les militants [es] et les experts estiment [es] que les changements proposés sont insuffisants pour protéger la liberté d'expression.

La cour brésilienne se prononce en faveur de la satire

Dans une décision historique, la Cour supérieure de justice du Brésil a statué en faveur [fr] du site satirique Falha de Sao Paulo [pt], mettant fin à une bataille judiciaire de sept ans. Le site parodiait le nom et le contenu du journal Folha de S. Paulo. Le titre est d'ailleurs un jeu de mots sur les termes folha (« papier » en portugais) et falha (« échec »). Il a été créé pour attirer l'attention sur la couverture prétendument partiale que le Folha a consacré aux élections brésiliennes de 2010. La famille Frias, propriétaire du Folha de S. Paulo, a déposé une injonction 17 jours après la mise en ligne du site, déclenchant une longue bataille juridique sur le droit de parodie en vertu de la loi brésilienne sur le droit d'auteur. En fin de compte, la cour a jugé que la législation sur les brevets permettait la parodie et reconnaissait le droit à l'irrévérence et au divertissement. Les créateurs du site n'ont pas encore décidé s'ils allaient ou non remettre le Falha en ligne.

À lire également

 

Abonnez-vous au Netizen Report par courrier électronique

 

Ellery Roberts Biddle, L. Finch, Mong Palatino, Elizabeth Rivera et Sarah Myers West ont contribué à l'élaboration de ce rapport.

Le Guardian, les gardiens de troupeaux kenyans et les bons écolos blancs

mardi 11 juillet 2017 à 17:38

Un conflit de territoire entre pastoralistes et propriétaires de parcs animaliers à Likipia (Kenya) vu à travers le prisme des poncifs coloniaux

Des éleveurs avec leurs vaches à Laikipia. Photo de l'USAID disponible sous licence Creative Commons.

Des éleveurs avec leurs vaches à Laikipia. Photo de l'USAID disponible sous licence Creative Commons.

Le quotidien britannique The Guardian a récemment publié un article de Tristan McConnell, son correspondant au Kenya, intitulé “Who shot Kuki Gallman? The story of a Kenyan conservationist heroine. (Qui a tiré sur Kuki Gallman ? L'histoire d'une héroïne écologiste kenyane). McConnell tente de raconter l'histoire d'un conflit à Laikipia, un comté du nord du Kenya, à travers les yeux de Gallmann, surtout connue pour son autobiographie I Dreamed Of Africa (‘Je rêvais de l'Afrique’), adaptée au cinéma en 2000 avec l’actrice Kim Basinger.

Laikipia a fait la une des médias [fr] en raison de la migration, déclenchée par les conditions météorologiques difficiles, des éleveurs locaux et des dizaines de milliers de leurs vaches, chèvres et moutons, à la recherche d'eau et de pâturages. Les éleveurs qui migraient avec leur bétail ont franchi les clôtures et limites des parcs animaliers privés, qui représentent près de la moitié de la superficie des terres de Laikipia. Les politiciens, profitant des conflits historiques, ont encouragé les pasteurs. Leur invitation aux éleveurs à occuper de force les exploitations de tous les grands propriétaires fonciers noirs et blancs de la région a secoué Laikipia.

L'intention de McConnell de présenter Gallmann comme une héroïne se battant pour “protéger l'environnement” contre les hordes maraudeuses de pauvres locaux est tellement entachée de stéréotypes coloniaux qu'il est étonnant que The Guardian ait publié son récit sans en retoucher les termes.

Commençons par la description que l'article fait du paysage de Laikipia : “les ondulations de la savane, la forêt, les rivières sinueuses, les chutes d'eau, les collines rocheuses et les escarpements abrupts et épineux. La terre abrite des éléphants et des rhinocéros, des girafes, des zèbres et des antilopes, des chiens sauvages, des renards aux oreilles de chauve-souris et des lions.” C'est ici, poursuit l'article, que “des colons blancs, souvent britanniques, venaient cultiver du blé et élever du bétail au cours de la première moitié du 20ème siècle, avant l'indépendance.” L'a-historicisme de la description est gênant. Il suggère que Laikipia était une terra nullius, une immensité vide et non réclamée qui attendait que quelqu'un en fasse un bon usage. Ce qui, bien sûr, n'est pas le cas.

Laikipia était une terre traditionnelle du peuple Maasai et Samburu. C'est la violence – les armes, la coercition et la ruse qui ont poussé ces personnes dehors et créé le “vide” si apprécié des colons blancs. Laikipia n'est pas seulement l'habitat de renards et de chiens sauvages, c'est aussi une terre où vivaient des êtres humains qui respirent. Et les colons n'étaient pas des paysans inoffensifs cherchant à élever du bétail. Ils ont été soutenus par la puissance de feu et la machinerie coercitive de l’État colonial.

Selon l'article, Kuki Gallmann est arrivée au Kenya en provenance d'Italie en 1972, un peu tardivement pour entreprendre l'élevage en ranch, avec une pile de bagages expédiés à partir de Venise et une nostalgie romantique pour un endroit où elle n'avait jamais été. “Je suis totalement tombée amoureuse de Ol Ari Nyiro”, a-t-elle écrit, “et j'ai senti, c'est irrationnel et difficile à expliquer, que j'étais revenue chez moi et qu'il y avait une raison pour moi d'être là.”

N'est-il pas intéressant qu'il y ait de merveilleux endroits vides dans ce beau Kenya, attendant que quelqu'un en tombe amoureux ? Qu'on puisse atterrir dans un endroit où on n'était jamais allé, où “en tomber amoureux” pouvait procurer 88 000 acres de terres pour en faire un ranch ? L'oubli de la violence coloniale qui a rendu possible l'acquisition de ses terres par Gallman, et de son coût humain ainsi que social est frappant.

“Depuis de nombreuses années, mon objectif est de tenter de prouver que les gens et l'environnement peuvent survivre ensemble, il doit y avoir un équilibre”, explique Gallman l'écolo. Quelle révélation ! Sans les “écologistes”, semble suggérer l'article, nous Kenyans n'aurions jamais saisi ce fait. Le Sauveur blanc à la rescousse, encore une fois !

C'est insultant. Les Africains ont coexisté avec la faune pendant des millénaires. C'est pourquoi le continent a aujourd'hui une faune à conserver ! Pour l'Africain, la préservation de la nature n'était pas faite pour attirer l'attention des autres, comme l'ont noté les deux écologistes et journalistes Mordecai Ogada et John Mbaria. C'était ancré dans la vie ordinaire, dans la vie de tous les jours, sous la forme de tabous contre le massacre de certains animaux, et mis en oeuvre dans des rituels, des contes et des chants. Ce n'était ni la fascination post-industrielle exagérée pour la nature développée par les Européens à la suite de leur systématique et généralisé pillage et déprédationdu monde naturel au nom de “l'industrialisation”.

En raison de la violence actuelle, d'après les articles de McConnell, des ranchs ont été fermés et des propriétaires envisagent de vendre. Mais d'autres, Gallmann parmi eux, résistent. “Ils vont s'en lasser”, dit-elle. “Je sais que je serai plus résistante qu'eux. Il n'y a aucun doute dans mon esprit. ” “Ils”, ce sont les milices Pokot locales appauvries empiétant sur “l'environnement “. Ils se fatigueront. la patience de Kuki Gallmann l'emportera.

D'une certaine manière, Gallmann a raison. Ils se fatigueront. Ils sont démunis, appauvris et locaux, après tout. Leurs enfants auront faim et soif. Ils se retourneront les uns contre les autres. Ils seront à court de munitions. Il y aura des changements politiques. Et ils se disperseront.

Mais quelle cruauté de la part de quelqu'un qui attend qu'ils se dispersent, cèdent à la faim, à la soif et se battent entre eux avant de s'enfuir et disparaître. Ou au moins pour retourner à leur pauvreté, à leur condition de locaux et appauvris, mais sans bruit. J'éprouve de la peine quand je lis cela, la douleur de savoir que quelqu'un attend notre mort, notre silence, notre faim, notre soif et notre confusion.

Cela ne veut pas dire que le conflit de Laikipia n'est pas complexe ou qu'il y a des réponses faciles. Les changements climatiques provoquent des sécheresses plus fréquentes et plus sévères. Ajouter le mélange des pressions démographiques et de la politique, et ça devient explosif. Mais nous devons raconter les faits d'une manière juste. Présenter le conflit comme entre une noble reine de la protection de l'environnement et une foule sauvage de personnes démunies n'est pas seulement irresponsable et cruel. Ce n'est tout simplement pas la vérité.