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Qu'est-ce qui cloche dans l'interprétation par les médias traditionnels des résultats des référendums à Taïwan ?

mardi 22 janvier 2019 à 14:37

A Taïwan, les candidats doivent aller sur les marchés et parler aux gens dans la rue pour montrer qu'ils prennent à cœur les intérêts de leurs électeurs. On appelle ça ‘balayer les rues’. Photo:  Chia-Chi Jessica Hung, publiée avec son autorisation.

Taïwan en a fini avec ses élections de mi-mandat et sa flopée de référendums le 24 novembre 2018. Plusieurs médias traditionnels occidentaux ont interprété les résultats comme une victoire pour la Chine et un retour au conservatisme ; un type d'analyse qui ne tient cependant pas compte de la dynamique politique interne de Taïwan. On va tenter ici de clarifier le tableau en apportant aux lecteurs davantage de contexte politique sur les élections et les résultats des référendums.

Le revers a été évident pour le Parti démocrate progressiste (DPP) qui n'a remporté que 6 sur 22 des municipalités et comtés. La Présidente Tsai Ing-wen a reconnu sa responsabilité dans le recul électoral et a démissionné de la direction du parti le jour même.

Le vote aux référendums multiples a consisté en 10 questions touchant entre autres aux droits des LGBTQ et au mariage pour tous, au choix entre “Taïwan” ou “Taipei chinois” dans les événements sportifs internationaux, au développement de l'électricité nucléaire. Le tableau ci-dessous détaille les résultats des référendums :

Référendum Taïwan, 2018

Résultats des référendums de 2018. Capture d'écran de Wikipédia

La Chine, gagnante des élections à Taïwan ?

Bon nombre d'organes des médias traditionnels ont vu dans la Chine la grande gagnante des élections de cette année à Tawan, puisque le parti nationaliste Kuomintang (KMT) a obtenu la majorité. le KMT, actuellement dans l'opposition, est considéré comme le parti politique favori des dirigeants chinois car il poursuit traditionnellement un resserrement des liens économiques avec la Chine. Baohui Zhang, professeur à la Lingnan University de Hong Kong, a même écrit une tribune sur CNN faisant valoir que les résultats électoraux étaient un revers pour la politique étrangère des États-Unis et suggérant un réajustement de leur politique chinoise.

Figure 1. Votes pour les conseils municipaux. Données de la Commission électorale centrale.

Figure 2. Utiliser ‘Taïwan” pour participer aux JO. Orange : ‘non’ Bleu : ‘oui’. Données de la Commission électorale centrale. Les pourcentages sont calculés en divisant les votes ‘oui’ et ‘non’ par le total des suffrages exprimés valides.

Une analyse qui fait erreur en supposant que soutien des électeurs au KMT égale soutien à la Chine. Beaucoup de gens pensent qu'une meilleure relation avec la Chine, conduisant à une reprise des contacts diplomatiques suspendus quand Mme Tsai Ing-wen a accédé à la présidence, serait bonne pour Taiwan sur le long terme. En fait, certains analystes, comme le sociologue Thung-Hong Lin, voient dans le recul du DPP dans les urnes la conséquence de mesures impopulaires comme la réforme des pensions d'anciens combattants plutôt qu'un sentiment positif de l'opinion pour la relation entre les deux rives du détroit.

Le résultat à la question olympique reflète mieux le sentiment public à l'égard de la Chine.

Êtes-vous favorable à la participation de Taïwan à tous les événements sportifs internationaux, y compris les Jeux olympiques de Tokyo en 2020, en tant que Taïwan ?

Pendant des années les athlètes taïwanais ont participé sous le nom “Taipei chinois” sous la pression de la Chine qui revendique l'île comme territoire chinois. Au scrutin de novembre, une majorité de 55 % a voté pour conserver le nom “Taipei chinois” (Figure 2). Un choix synonyme de préférence pour le statu quo de peur que le changement de nom ne compromette le droit des athlètes taïwanais à participer aux compétitions internationales.

Si certains médias voient dans cette défaite une victoire pour la Chine, il ne faut pas oublier que, malgré des décennies de menaces de la Chine, 45 % des votants ont tout de même voté pour un changement de nom — un choix compris comme une déclaration d'indépendance de Taïwan. Sans compter que les sondages continuent à montrer la préférence de nombreux Taïwanais pour l'indépendance de Taïwan.

Le sentiment anti-LGBTQ a-t-il conduit à un virage à 180° sur le mariage pour tous ?

Il est indéniable que les résultats de plusieurs référendums en lien avec le mariage pour tous ont déçu les défenseurs des droits des LGBTQ. Pour autant, les résultats ne peuvent être assimilés à un rejet pur et simple du mariage des couples de même sexe — une erreur faite par bon nombre d'organes des médias traditionnels comme CNN.

Le droit au mariage entre partenaires de même sexe est garanti par la Cour constitutionnelle de Taïwan, et aucun référendum ne peut renverser une telle décision. La formulation du référendum sur le mariage de même sexe vise la législation sur le mariage dans le Code civil :

Êtes-vous favorable à la limitation du mariage aux couples entre hommes et femmes dans le Code civil ? (Majorité de 72,48 % pour)

Êtes-vous favorable à la mise en place d'une Union civile fournissant une protection légale aux couples de même sexe vivants ensembles qui ne sont pas soumis aux règles du mariage du Code civil ? (Majorité de 61,12 % pour)

Êtes-vous favorable à ce que la partie Code civil consacrée au mariage garantisse aux couples de même sexe le droit de se marier ? (Majorité de 67,26 % contre)

Les résultats du référendum montrent qu'une majorité de votants préfèrent une autre panoplie de procédures légales pour protéger les couples mariés de même sexe, comme l'union ou le partenariat civils, aux dispositions actuelles du code civil sur le mariage. Autrement dit, ces électeurs sont d'accord pour protéger les droits des LGBTQ, mais sans vouloir modifier les règles du mariage dans le code civil.

Le mouvement vers l'acceptation de l'égalité de droits pour la communauté LGBTQ continue à progresser : pour la première fois dans l'histoire taïwanaise, deux candidates lesbiennes, Lin Ying-meng et Miao Poya, ont remporté des élections municipales.

La victoire des pro-nucléaires ?

La formulation du référendum sur l'énergie nucléaire est :

Êtes-vous favorable à l'abrogation de l'article 95, paragraphe 1, de la loi sur l'électricité, selon lequel “toutes les installations de production d'énergie nucléaire doivent être mises hors service d'ici 2025 ?

La question vous laisse perplexe ? Il n'y a pas que vous. Ce référendum porte sur la flexibilité pour une extension de l'utilisation du nucléaire au-delà de 2025.

Une majorité de votants s'est déclarée pour l'abrogation de l'article 95, ce qui signifie qu'ils ne veulent pas exclure l'électricité nucléaire du mix énergétique du futur. Pour autant, c'est loin d'être la victoire dépeinte par de nombreux médias occidentaux, dont cet article de Forbes.

Le référendum donne effectivement plus de choix aux Taïwanais pour quand les trois centrales nucléaires actuelles seront mises hors service. Néanmoins, si Taïwan décidait de reporter la mise hors service de ces trois centrales nucléaires, un nouveau référendum pourrait être requis. Et si Taïwan a l'intention de poursuivre la construction d'une quatrième centrale nucléaire, il faudra assurément un nouveau référendum. Taïwan a déjà planifié son nouveau modèle énergétique. Lorsque la nouvelle centrale électrique au gaz commencera prochainement à produire de l'électricité, les inquiétudes sur le déficit énergétique seront apaisées, et le mouvement pro-nucléaire perdra probablement son élan.

En conclusion, le mécontentement envers le DPP au pouvoir lui a fait perdre l'élection, sans que cela signifie une préférence explicite des électeurs pour la Chine. Il reste beaucoup de chemin à faire pour que Taïwan donne authentiquement des droits égaux à la communauté LGBTQ, mais le mariage des couples de même sexe est désormais garanti par la constitution taïwanaise et ne peut être ôté. Le vote pour l'électricité nucléaire comme source d'énergie possible ne vaut pas échec des mouvements opposés au nucléaire.

@ActLenguas : Simona Mayo et la défense du mapudungun, du 21 au 28 janvier 2019

lundi 21 janvier 2019 à 14:05

Simona Mayo.

En 2019, nous avons décidé d'inviter différents hôtes à piloter le compte Twitter @ActLenguas et à partager leur expérience sur la revitalisation et la promotion de leur langue natale. Simona Mayo nous explique ce qu'elle a l'intention de discuter pendant sa semaine, du 21 au 28 janvier.

Rising Voices (RV): Pouvez-vous nous parler de vous ?

Soy Simona Mayo, Ngulumapu-Wallmapu (territorio Mapuche en Chile). Soy de la ciudad de Santiago de Chile y me dedico a la revitalización del mapudungun en espacios urbanos y a la investigación en relación a esta misma temática.

Je m'appelle Simona Mayo, et je viens de Ngulumapu-Wallmapu (le territoire mapuche du Chili). Je vis à Santiago du Chili, je me consacre à la revitalisation de la langue mapudungun dans les espaces urbains et conduis ma recherche sur ce sujet.

RV : Quel est l'état actuel de votre langue sur et en dehors d'Internet ?

El mapudungun es una lengua vital que hoy está fortaleciéndose a través de la generación de nuevos hablantes en Chile y Argentina. Gran parte de los habantes son personas adultas y ancianas y se necesita hoy que los jóvenes adquieran el mapudungun como segunda lengua con el fin que esta perdure.

Su presencia en el internet ha crecido en los últimos cinco años gracias a diversas iniciativas que han buscado posicionarla en las redes, como lo ha sido el caso de Kimeltuwe.

Le mapudungun est une langue vitale et qui est en train d'être renforcée par une nouvelle génération de locuteurs au Chili et en Argentine. La plupart des locuteurs actuels sont des adultes et des personnes âgées, et il est nécessaire que les jeunes gens acquièrent le mapudungun comme seconde langue pour qu'il puisse survivre.

La présence de la langue sur Internet a augmenté ces cinq dernières années grâce à plusieurs initiatives qui ont cherché à l'inclure dans les réseaux sociaux, comme Kimeltuwe.

RV : Sur quels sujets allez-vous communiquer sur @ActLenguas ?

En las actividades que se realizarán en el marco del año de las lenguas indígenas en Chile y Argentina por el mapudungun.

Je vais me concentrer sur les activités liées au mapudungun qui vont être réalisées dans le cadre de l'Année internationale des langues autochtones au Chili et en Argentine.

RV : Qu'est-ce qui motive votre militantisme linguistique pour le mapudungun ?

Principalmente apuntar a contribuir al proceso de generación de nuevos hablantes y a la difusión de la lengua en espacios donde su presencia es reducida. Esto con el fin de apuntar a entregar derechos lingüísticos a los hablantes y a los jóvenes a quienes se les negó el aprendizaje de la lengua mapuche como lengua materna por el contexto reciente de colonización en Chile y Argentina. Mi motivación es la justicia sociolingüística para mi pueblo.

Mon but principal est de contribuer à générer de nouveaux locuteurs et à diffuser la langue dans des espaces où elle a une présence limitée. L'objectif est d'accorder des droits linguistiques aux locuteurs et aux jeunes gens qui n'ont pas eu le droit d'avoir le mapuche pour langue maternelle, dans le récent contexte de colonisation au Chili et en Argentine. Ma motivation, c'est la justice sociolinguistique pour mon peuple.

Cinquante semaines, cinquante voix : les autochtones d'Amérique Latine défendent leurs langues

dimanche 20 janvier 2019 à 15:15

Illustration composite créée par Eddie Avila, avec l’icône de l'oiseau de Sara Novovitch, ES au Noun Project, la volute de Jer Clarke et un nuage de mots de Word It Out.

À partir du 14 janvier, des militants autochtones d'Amérique Latine animent à tour de rôle le compte Twitter @ActLenguas (Activisme linguistique). Cette campagne numérique est organisée dans le cadre de l'Année internationale des langues autochtones 2019 [fr] et fournit un espace pour que la diversité des voix de cette région du monde puisse raconter ses expériences sur la revitalisation de leurs langues.

Pendant les 50 prochaines semaines, 50 militants différents partageront leurs regards sur ce que leur langue natale signifie pour eux et pour leur communauté. Tous œuvrent à promouvoir l'usage de leurs langues dans des domaines modernes comme Internet, qui présentent de nombreux défis et opportunités. Leur activisme, lié à une histoire de longue date et des contextes contemporains qui affectent la vitalité des langues autochtones, comporte néanmoins un important volet dans la vie réelle.

Ces cinq dernières années, Rising Voices (RV) est intervenu dans le militantisme numérique en aidant à organiser des réunions et des ateliers, en fournissant des micro-bourses et en soutenant des projets en Amérique Latine. RV est aussi à l'origine d'initiatives innovantes comme notre site de cartographie. Mais nous sommes convaincus que cette campagne est particulièrement importante, car elle permettra à tous ceux et celles qui la suivent sur Twitter d'entendre ce que les militants eux-mêmes ont à dire.

Les réactions aux appels à participation ont été extrêmement positives, et le planning de roulement est déjà rempli jusqu'à mai. Nous avons tout d'abord ouvert la participation à ceux et celles qui ont participé à l'une des réunions régionales, à un programme de micro-financement ou à d'autres activités de RV.

Les participants

Notre première hôtesse est la mixe mexicaine Yásnaya Elena Aguilar Gil, de l’État d'Oaxaca et dont le profil [fr] a été publié sur RV. Yasnana et sa collègue Tajëëw Díaz-Robles, qui animera compte Twitter plus tard dans l'année, font partie des architectes du concept de militantisme numérique en tant que stratégie de promotion d'une langue et d'attraction de nouveaux locuteurs. Ni la technologie ni Internet ne résoudront par magie le sérieux problème de la perte des langues, mais ils peuvent jouer un rôle important dans une stratégie englobant tous les aspects de la revitalisation d'une langue.

En octobre 2014, pendant qu'elles travaillaient avec la Bibliothèque Juan de Córdova d'Oaxaca, elles se sont associées avec RV pour organiser la toute première réunion nationale d'activistes numériques autochtones : celle-ci a rassemblé plus de trente personnes de tout le Mexique pendant trois jours d'échanges et d'apprentissage mutuel. Un réseau local de soutien et d'encouragement a vu le jour à l'issue de cette réunion. De nombreux participants à cette première rencontre animeront à leur tour la campagne @ActLenguas.

Depuis, des réseaux locaux ont vu le jour en Bolivie, au Pérou et en Colombie, ainsi que des projets locaux se concentrant sur une langue, ou un petit nombre de langues, dans une région spécifique. Les participants impliqués dans ces activités sont eux aussi représentés dans @ActLenguas.

Leurs histoires personnelles, leur travail acharné et leur dévouement ont construit les fondations de ces réseaux. Ils sont impatients de partager ces histoires avec tous ceux qui méconnaissent peut-être les langues autochtones d'Amérique Latine, mais aussi avec d'autres communautés autochtones et d'autres militants, qui trouveront dans leurs récits des échos de leur propre expérience, mais qui pourront aussi en apprendre davantage sur d'autres régions de l'Amérique Latine et de leurs situations uniques.

Parmi celles et ceux qui prendront les rênes du compte se trouvent :

La liste ci-dessus n'est qu'un échantillon de tous ceux qui témoigneront de leur travail crucial sur la langue dans toute l'Amérique Latine. Consultez la liste de roulement complète sur la page de la campagne, ainsi que les profils des contributeurs que nous publierons régulièrement.

Cette initiative a été inspirée par d'autres, telle que @IndigenousX, en Australie, et dont le fondateur Luke Pearson nous a donné d'importants conseils pendant notre préparation. Le compte Instagram de Global Voices, lui aussi géré par une rotation de membres de la communauté, a été une autre façon d'obtenir un aperçu de la diversité des vies de nos contributeurs.

Les tweets seront principalement écrits en espagnol et les langues natales seront soulignées, mais nous étudions les moyens d'organiser et de traduire les messages-clés afin d'amplifier ces interventions. Soutenez la campagne en vous abonnant à @ActLenguas tout au long de l'année et en republiant les messages qui vous inspireront. Nos hôtes ne demandent qu'à recevoir des retours et feront de leur mieux pour vous répondre.

Singularisée pour être fouillée dans un supermarché de Serbie, une star rom de l'opéra accuse le magasin de racisme

dimanche 20 janvier 2019 à 10:42
Nataša Tasić Knežević, photo by Dzenet Koko, used with permission.

Nataša Tasić Knežević, photo par Dzenet Koko, utilisation autorisée.

Les réseaux sociaux serbes ont été mis en ébullition lorsque la chanteuse d'opéra et superstar locale Nataša Tasić Knežević, qui est d'origine rom, a accusé un supermarché de la ville de Novi Sad de profilage racial, dans une diffusion en temps réel sur Facebook.

Dans la vidéo, diffusée le 29 décembre sitôt après l'incident, Mme Tasić Knežević expliquait qu'alors qu'elle sortait du supermarché Maxi en même temps que plusieurs autres clients, le détecteur anti-vol a sonné. Alors que tes autres personnes étaient toutes autorisées à partir, les agents de sécurité du magasin lui ont dit de rester et ont procédé à sa fouille en public pendant que les spectateurs la houspillaient. Ils n'ont trouvé dans son sac à dos que des partitions musicales, des livres et un portefeuille.

Dans les premiers jours de janvier 2019, la vidéo disparut soudain de la plateforme de même que le profil de Mme Knežević. Bien qu'elle n'ait pas publiquement expliqué ce qui s'était passé, beaucoup supposèrent qu'elle s'était retirée d'elle-même pour désamorcer le tumulte. En à peine quelques jours, sa vidéo avait amassé plus de 60.000 vues, plus de 350 partages et quelque 700 commentaires.

Le portail d'information indépendant Buka a été le premier à rapporter l'incident, suivi par d'autres médias des Balkans.

Mme Tasić Knežević est soprano au Théâtre national serbe, situé à Novi Sad, la deuxième ville du pays. Auparavant, elle travaillait au théâtre de Belgrade Atelje 212. Elle est aussi choriste, et soliste de musique populaire, et chante souvent le répertoire de son patrimoine rom.

Dans la vidéo, Mme Knežević dit que le directeur du magasin s'est excusé auprès d'elle après qu'elle s'est plainte de ce mauvais traitement, mais qu'elle restait blessée par le harcèlement des badauds. Elle raconte qu'un vieil homme a crié qu'il “faudrait rapporter tous ces déchets”, signifiant que le personnel devait la jeter hors du magasin, sous-entendu parce qu'elle est Rom.

“On sait bien qui aime faucher par ici !” est une réplique du film Ko to tamo peva?” [Qui chante là-bas ?] sur les événements survenus le 5 avril 1941. 77 ans après, ce [cliché discriminatoire] n'a pas été déraciné de notre mentalité. La société [propriétaire des supermarchés Maxi] est belgo-néerlandaise mais les employés sont nos compatriotes ! Honte ! Solidarité avec la merveilleuse femme et artiste @NatasaTasicKnez.

Ko to tamo peva? est un film yougoslave de 1980 qui est devenu culte dans les Balkans. Dans le scénario, deux musiciens roms sont accusés à tort de vol et échappent de peu à une tentative de lynchage.

La maison-mère des supermarchés Maxi, Delez Srbija, a publié des excuses officielles le jour même. Et s'est dite “certaine que ceci resterait un incident isolé de réaction individuelle inappropriée et qu'il n'y aurait aucune situation similaire dans le futur.” La société a précisé qu'elle allait mener des actions de formation du personnel sur la conduite appropriée pour les suspicions de vol.

Le lendemain, Miloš Nikolić, le directeur du Service d'inclusion des Roms de Novi Sad, a officiellement condamné l'incident en ces termes : “Toute la recherche disponible montre que les hommes et femmes roms sont les groupes les plus discriminés dans notre pays. Nous devons travailler ensemble à changer cela !”

Le 31 décembre, la Vice-premier ministre serbe et présidente de l'Instance de coordination de l'égalité de genre Zorana Mihajlović a elle aussi dénoncé l'attitude du personnel du magasin Maxi comme “scandaleuse et condamnable.” Elle n'a annoncé aucune mesure concrète pour traiter de la question plus générale de la discrimination contre les personnes d'ascendance rom en Serbie.

Si Mme Knežević paraît avoir fermé son compte Facebook, peut-être pour désamorcer l'émoi, elle a conservé son compte Twitter. Le dernier de l'an, elle a publié un bref message relatif à l'incident.

Chers amis, une situation très désagréable s'est produite il y a quelques jours, mais j'espère que toutes les situations de ce genre resteront en 2018 et qu'il n'y aura plus jamais d'événements similaires. Soyons tous des humains, c'est la seule bonne chose en ce monde. <3

Sous le gouvernement Peña Nieto, les journalistes mexicains subissaient menaces, meurtres – et espionnage numérique, concluent les enquêteurs

samedi 19 janvier 2019 à 23:48

Manifestation à Mexico contre l'assassinat de Javier Valdez (2017). Photographie de ProtoplasmaKid. Publiée sous licence Creative Commons 4.0

Plus d'un an après l'assassinat du journaliste et écrivain mexicain Javier Valdez [fr], non seulement l'affaire est loin d'être éclaircie, mais en plus elle prend un tour nouveau. Dès le lendemain de son décès, certains de ses collègues journalistes ont reçu sur leurs portables des SMS infectés par le logiciel espion Pegasus.

Javier Valdez était un journaliste engagé qui, entre autres, couvrait les histoires de corruption, d'impunité et de crime organisé pour le journal indépendant Ríodoce qu'il avait fondé à Culiacán dans l'état de Sinaloa (un territoire où s'affrontent le Cartel de Jalisco et le Cartel de Sinaloa [fr]). Le 15 mai 2017, Valdez est abattu de 12 balles en pleine journée, juste devant les bureaux de Ríodoce.

D'après la toute dernière enquête réalisée par la Red en Defensa de los Derechos Digitales (Réseau de défense des droits numériques) et un groupe d'ONG internationales, il ressort que Ismael Bojórquez, le directeur de Ríodoce, et son directeur de l'information, Andrés Villarreal, ont tous deux été victimes de tentatives de cyberattaques, via l'envoi de SMS sur leurs téléphones portables.

L'enquête, menée conjointement par les organisations Artículo 19 (défense de la liberté d'expression et d'information), Red en Defensa de los Derechos Digitales (R3D), SocialTIC (la technologie numérique au service du changement social) et le Citizen Lab [en] de l'Université de Toronto, démontre que les journalistes avaient été identifiés a priori comme des cibles à espionner par le biais du logiciel malveillant :

Les journalistes et les médias municipaux ont été la cible privilégiée des logiciels espions du groupe NSO utilisés par le gouvernement. Vous trouverez ci-dessous une liste des journalistes que @citizenlab a ciblés avec Pegasus.

Les tentatives de cyberattaques portées contre les collègues de Valdez ont suivi un processus similaire à celui d'autres attaques menées avec Pegasus. Les messages ont été reçus par SMS, et auraient été  envoyés par un service d'information très populaire appelé “Uno TV”.  Il était difficile d'en ignorer le contenu, notamment parce que les messages faisaient référence à l'assassinat de Valdez qui venait de se produire et à d'importants événements connexes.

À la fin de chaque message figurait un lien suspect qui, d'un simple clic, aurait immédiatement activé le logiciel espion. Ce qui aurait permis de surveiller toutes les informations hébergées sur l'appareil, et même de prendre le contrôle du micro et de la caméra.

Image tirée du rapport “Reckless VI. Des journalistes mexicains enquêtant sur les cartels, visés par un logiciel espion de NSO après l'assassinat de leur collègue. Citizen Lab 2018.

On en arrive à une triste conclusion concernant les cas documentés ces deux dernières années : il semble que le cyberattaquant soit le même. C'est la méthode utilisée pour l'attaque et le choix de la même infrastructure qui nous amènent à cette conclusion. En outre, notons que le programme a été utilisé dans des situations qui auraient affecté le gouvernement de Peña Nieto.

Il convient de noter que Pegasus est un outil sophistiqué vendu exclusivement aux agences gouvernementales. Le programme a été acheté par le gouvernement mexicain [es] en 2014 et 2015, soit-disant, pour combattre le crime organisé. Il s'en est ensuivi une série de révélations plus connues sous le hashtag #GobiernoEspía (Gouvernement-espion).

Dans les conclusions du rapport figure la liste toujours plus longue des affaires liées à l'utilisation du logiciel espion au Mexique. Face à ce phénomène, les organisations concernées par l'enquête et l'accompagnement de ces affaires, entre autres, ont demandé au nouveau gouvernement de diligenter une enquête indépendante sur ces incidents. Ils lui ont également demandé de mettre en oeuvre une réforme complète des modes d'acquisition et d'utilisation des systèmes de surveillance de la part du gouvernement :

With this seventh publication on abuses of NSO Group spyware in Mexico, Citizen Lab and our partners R3DSocialTic, and Article 19 have identified a total of 24 cases of abusive targeting by Mexico-linked NSO Group customers. Our previous investigations identified infection attempts against multiple journalistslawyersinternational investigatorspublic health practitionerssenior politicians, and anti-corruption activists.

Avec cette septième édition concernant l'usage abusif de logiciels espions du groupe NSO au Mexique, Citizen Lab et ses partenaires R3D, SocialTic et Article 19 ont identifié un total de 24 cas de ciblage abusif par des clients du groupe NSO au Mexique. Nos enquêtes précédentes avaient permis d'identifier des tentatives de piratage contre de nombreux journalistes, avocats, enquêteurs internationaux, praticiens de santé publique, hauts responsables politiques et militants anticorruption.

‘C'est comme si on nous avait épinglé une cible sur la poitrine’

Correspondant de plusieurs médias comme l'AFP et La Jornada, mais aussi cofondateur de Ríodoce, Javier Valdez était aussi un écrivain prolifique qui avait écrit pas moins de neuf livres sur le trafic de drogue au Mexique, en situant toujours au centre de ses récits les histoires des victimes du trafic. Lauréat de nombreux prix, dont celui du Prix international de la liberté de la presse [fr] en 2011, accordé par le Comité pour la protection des journalistes [fr] (CPJ). À l'occasion de la cérémonie de remise, Valdez a déclaré:

Ahora en Culiacán, Sinaloa, es un peligro estar vivo y hacer periodismo es caminar sobre una invisible línea marcada por los malos que están en el narcotráfico y en el gobierno un piso filoso y lleno de explosivos. Esto se vive en casi todo el país. Uno debe cuidarse de todo y de todos; no parece haber opciones ni salvación y muchas veces no hay a quién acudir […] Esta es una guerra, sí […] por el control del narco. Pero nosotros, los ciudadanos, ponemos los muertos; y los gobiernos de México y Estados Unidos las armas. Y ellos, los encumbrados invisibles y agazapados dentro y fuera de los gobiernos, se llevan las ganancias…

Aujourd'hui à Culiacán, dans le Sinaloa, c’est dangereux d’être journaliste et d'être vivant, c'est comme marcher sur une ligne invisible tracée par les méchants [ceux qui sont dans le trafic de drogue et ceux qui sont au gouvernement], sur un sol raviné et plein d'explosifs. C'est ce qui se passe dans presque tout le pays. On doit se méfier de tout et de tous ; il ne semble pas y avoir de choix ni de salut et bien souvent on ne sait vers qui se tourner […] Oui, c'est une guerre […] pour le contrôle du trafic de drogue. Mais nous, les citoyens, nous fournissons les morts ; et les gouvernements du Mexique et des États-Unis fournissent les armes. Et eux, les hauts placés invisibles et les planqués à l'intérieur et à l'extérieur des gouvernements, ils se prennent les profits …

Ainsi, après plus de vingt ans de journalisme critique, Javier Valdez s'est imposé comme une référence au niveau national et international sur les sujets liés à la violence qui ravage le nord du pays.  On pensait que cela le protègerait, mais ça n'a pas été le cas.

Face à l'assassinat de Valdez, la corporation journalistique a exprimé sa profonde indignation, en manifestant, en dénonçant les faits et en faisant grève à travers tout le pays.

Ce lamentable épisode a aussi provoqué un point de rupture pour le journalisme mexicain, comme l'a décrit Froylán Enciso dans un texte pour le journal en ligne Horizontal:

Si matan a Javier Valdez, nuestro querido Javier, el más conocido, el más premiado, el más divertido, el más protegido del gremio: ¿qué puede esperar el resto? Es como si a todos nos hubieran puesto un blanco en el pecho.

S'ils ont tué Javier Valdez, notre cher Javier, le plus aimé, le plus primé, le plus drôle, le plus protégé de la profession : à quoi les autres doivent-ils s'attendre ? C'est comme si on nous avait épinglé une cible sur la poitrine.

Le gouvernement mexicain a un bilan épouvantable en ce qui concerne les droits de l'homme, et la situation dans laquelle se trouve le journalisme dans le pays est particulièrement tragique.

A ce propos, les organisations concernées par les affaires de #GobiernoEspía voient comme un fait positif que le président actuel, Andrés Manuel López Obrador, ait déclaré qu'il n'engagerait pas son pays dans ce genre de pratiques. Toutefois, ces déclarations ne suffiront pas à garantir la liberté d'expression si les crimes commis contre les journalistes restent impunis.