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Un universitaire musulman veut relier Israël et l'Indonésie par la connaissance de l'hébreu

mercredi 28 mars 2018 à 22:27

La couverture du dictionnaire hébreu-indonésien. Montage à partir des images gracieusement communiquées par Sapri Sale, utilisation autorisée.

L'hébreu pourrait-il être un fil partagé pour relier Israël et l'Indonésie, le plus grand pays à majorité musulmane dans le monde ? C'est ce que croit un érudit islamique.

L'universitaire musulman Sapri Sale, qui a étudié l'arabe à l'université égyptienne Al-Azhar au Caire, a voulu créer une meilleure compréhension entre Indonésiens et Israéliens en enseignant l'hébreu à des étudiants parlant le bahasa.

L'Indonésie et Israël n'ont pas de relations diplomatiques formelles. Dans les faits, Israël est souvent dépeint négativement dans les médias indonésiens à cause de sa politique vis-à-vis de la Palestine. En route pour sa visite d’État historique en Australie en 2017, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a été forcé d’éviter l'espace aérien indonésien. Est-ce qu'une chose aussi simple que la langue pourrait être la clé pour découvrir des points communs ?

Global Voices a demandé à Sapri Sale comment il en est venu à apprendre l'hébreu pendant qu'il étudiait l'arabe, ce qui l'a inspiré à enseigner l'hébreu en Indonésie, et les obstacles qu'il a affrontés pour écrire et publier le premier dictionnaire indonésien-hébreu.

Sapri Sale parmi ses étudiants à Jakarta. Photo gracieusement communiquée par Sapri Sale, utilisation autorisée.

Global Voices (GV): Tout d'abord, comment et pourquoi vous êtes-vous mis à apprendre l'hébreu ?

Sapri Sale (SS): Je veux que le monde sache que les Indonésiens ne sont pas tous des radicaux (musulmans). Notre pays est divers. Pour moi, la culture et la langue hébraïques ne sont pas différentes de la culture et langue arabes, et si l'arabe a sa place (en Indonésie) parmi les langues et la culture locale indonésiennes, alors l'hébreu a lui aussi un droit égal à l’existence dans ce pays.

En 1989, j'étais un étudiant en littérature arabe à l'université Al Azhar du Caire. Je m'intéressais beaucoup à la géopolitique du Moyen-Orient ; et je me suis rendu compte qu'Israël avait une image négative en Égypte. À l'époque, le traité de paix entre Israël et l’Égypte était déjà en place depuis près de dix ans. Et pourtant, les médias alimentent l'anti-sémitisme dans toute la population. J'ai refusé d'adhérer à la haine, et décidé que pour véritablement comprendre ce qui se passait, je devais apprendre l'hébreu afin de savoir sans préjugés ce qu'est au juste Israël.

Paradoxalement, malgré les relations diplomatiques égypto-israéliennes, mettre la main sur des livres en hébreu n'a pas été facile. Pensez, mon séjour avait lieu à l'ère d'avant Internet ; je n'avais aucune idée s'il existait un centre culturel israélien, et demander à l'ambassade d'Israël était trop intimidant. Un coup de chance m'a fait trouver des livres en hébreu et j'ai commencé à apprendre en autodidacte.

Après plusieurs années d'apprentissage de l'hébreu, j'ai découvert un centre israélien au Caire, et j'ai commencé à y suivre des cours en 1993. Un Égyptien appelé Amer m'a donné des cours particuliers. Sans surprise, au début ma présence paraissait bizarre, suspecte même, aux groupes israéliens du centre: je suis visiblement asiatique et, de plus, j'étais un étudiant d'Al Azhar. Il y avait 600 étudiants indonésiens au Caire, et j'étais le seul à développer un intérêt pour l'hébreu, la langue et la culture.

En 1996, je suis parti au Liban poursuivre ma carrière. Hélas j'ai dû arrêter totalement l'étude de l'hébreu, pour des raisons politiques. En 1999, j'ai trouvé un nouveau poste à la mission permanente à New York. Là-bas, libre de rallumer ma passion pour l'étude de l'hébreu, j'ai commencé en 2006 à ébaucher le dictionnaire bilingue indonésien-hébreu, après vingt ans d'étude de la langue.

GV: Parlez-nous du dictionnaire, et de quelques-unes des difficultés rencontrées pour faire publier ce travail de longue haleine ?

SS: C'est un dictionnaire bilingue de 450 pages de l'hébreu moderne et de l'indonésien. Il est un ouvrage de référence pour les Indonésiens désireux d'apprendre l'hébreu, et pour les locuteurs de l'hébreu désireux d'apprendre l'indonésien. C'est la réponse à ma vocation d'établir un pont entre l'Indonésie et Israël, linguistiquement et culturellement.

Il y a eu beaucoup de difficultés, comme vous pouvez l'imaginer. L'indonésien et l'hébreu sont des langues aux antipodes. j'ai souvent hésité pour apparier des mots. C'est là que ma connaissance de l'arabe est venue à la rescousse, car l'arabe et l'hébreu sont similaires. L'arabe est devenu ma référence pour traduire les mots hébreux en indonésien.

En 2016, une fois terminée l'écriture, j'ai dû affronter les refus. Les éditeurs à gros tirages n'avaient pas vraiment envie de tout ce qui pouvait être israélien, alors, naturellement, mon dictionnaire était rejeté comme hors de propos, invendable, et politiquement incorrect. Un jour, je suis tombé sur un éditeur indépendant de Yogyakarta, qui était prêt à faire le travail si je payais de ma poche l'impression. Mais je me suis trouvé devant un nouveau barrage pour enregistrer l'ISBN. Normalement, les ISBN sont attribués en moins d'un mois ; j'ai dû attendre trois mois pour obtenir celui de mon dictionnaire.

GV: Israël reste un sujet sensible. Avez-vous connu des situations inconfortables en tant que professeur musulman d'hébreu et auteur ?

SS: Cela m'est indifférent d'être moqué ou intimidé. Mes choix et mon travail m'ont fait surnommer par des cyniques ‘Sapri le Juif’. Ma famille élargie me fuit, mes anciens camarades d'Al Azhar me fuient. Ma femme, qui a suivi chaque version du dictionnaire depuis le premier jour, m'a fait gentiment remarquer que c'est du temps perdu. Mais je suis trop profondément dedans : 25 ans d'apprentissage et de pratique, il est trop tard pour arrêter maintenant.

Je suis aussi traité d'imposteur, on dit que mes travaux sont bidon. Aux ronchons, je dirai juste, de façon neutre, selon le dicton hébreu, que mon travail n'est ‘Ni par force, ni par puissance, mais par l'esprit.’

À ma famille j'ai dit que ce que je fais peut avoir des conséquences incertaines, mais que c'est quelque chose qui doit être fait.

GV: Si nous assistions à votre cours d'hébreu, à quoi pourrions-nous nous attendre ?

SS: Environ 70 % de mes étudiants sont des chrétiens et 30 % sont des musulmans. Beaucoup de mes étudiants chrétiens — universitaires pour la plupart — souhaitent mieux comprendre la Bible. Je m'attends à ce que dans le futur, il y ait plus d'étudiants des Pesantren (écoles coraniques). Ceux des Pesantrens ont un avantage car ils savent déjà lire les textes arabes, ils auront donc des facilités pour apprendre l'hébreu. Mes cours sont donnés à l’‘Indonesian Conference on Religion and Peace (ICRP, Conférence indonésienne sur la religion et la paix), le seul organisme disposé à m'accueillir. Les cours durent une heure et demie chacun. J'ai développé une méthode d'apprentissage pour mes compatriotes, leur permettant après huit séances de lire l'hébreu moderne et d'apprendre ensuite en autodidactes.

GV: Et vos prochains projets ?

SS: Oh, essentiellement écrire des livres. Ma grammaire de l'hébreu moderne est en route et sera prochainement prête à être mise sous presse. Je projette aussi la publication d'un autre livre : l'hébreu de conversation pour les locuteurs de l'indonésien.

Le dictionnaire hébreu moderne – indonésien est disponible sur commande directe auprès de l’auteur.

Top Manta : une marque, et aussi une victoire dans le combat des vendeurs ambulants de Barcelone

mercredi 28 mars 2018 à 17:24

Des membres du Syndicat populaire des vendeurs ambulants de Barcelone. Photo de: Playground Do (Utilisée avec autorisation)

La deuxième semaine de mars a été particulièrement tragique pour les vendeurs ambulants en Espagne, après la mort par arrêt cardiaque de Mame Mbaye, un homme d'origine sénégalaise qui tentait d'échapper à des policiers.

Ce fait tragique est néanmoins contrebalancé par deux événements prometteurs : la participation massive aux marches en soutien à Mbaye  et le succès de la campagne de crowdfunding permettant la création de leur marque, Top Manta [NdE: “manta” désigne, en espagnol familier, un paresseux ou bon à rien, et mantero, un vendeur ambulant] , qui vise à l'amélioration des conditions de vie du collectif de vendeurs ambulants à Barcelone.

[Top Manta – des vêtements légaux faits par des gens illégaux : La première ligne de mode lancée par le Syndicat populaire des vendeurs ambulants de Barcelone] Le projet sur lequel nous avons tant durement travaillé est enfin là, celui qui nous permettra d'améliorer les conditions de vie des vendeurs et vendeuses ambulant(e)s, de continuer à lutter contre le racisme, et de partager notre savoir

Le projet a été mis en place par le Syndicat Populaire des Vendeurs Ambulants de Barcelone,  une association formée de migrants issus de divers pays d'Afrique, et ayant trouvé dans la vente ambulante une ressource économique alternative face aux obstacles administratifs que sont les lois permettant l'accès au travail.

Sous le slogan “Survivre n'est pas un délit”, le Syndicat créé en 2015 comme “une forme d'appui entre nous face à la dureté des conditions de vie au jour le jour des vendeurs de rue, et afin de nous défendre du racisme institutionnel, de la persécution et de la criminalisation”.

La création du Syndicat et de la marque Top Manta sont les fruits de plus d'une décennie de lutte, d'auto-gestion et de construction de réseaux de solidarité.

“Nous sommes des individus créatifs, avec des idées et des ambitions, comme vous”.

L'idée de créer Top Manta fut annoncée par le collectif en 2017,  avec une vidéo promotionnelle lancée sur Playground Do  et ayant déjà obtenu plus d'un million de vues. Dans celle-ci, Aziz Faye, porte-parole du Syndicat et tailleur professionnel, détaille comment, après huit années  sans emploi, il a découvert la dignité du travail de vendeur ambulant, malgré les harcèlements de la police, la discrimination et un salaire qui atteint à peine les 200 euros par mois.

Comment font-ils ? Comme l'explique Faye dans la vidéo : “c'est parce que nous avons beaucoup d'idées et beaucoup de richesses”.

Dans la vidéo, Faye médite sur la soudaine attention médiatique dont ils sont sujets, et qui contraste avec l'intense invisibilisation et le rejet émanant des images se répandant à leurs propos :

Hace poco hemos lanzado nuestra propia marca, la marca Top Manta (…) de pronto, la gente que nos ignoraba o rechazaba, nos tenía admiración. Los medios querían entrevistarnos, los diseñadores querían conocernos (…) ¿Qué había cambiado? Dos cosas. Primero se descubrió que no somos solamente inmigrantes ilegales, sino que somos individuos creativos con ideas y ambición, como tú. Segundo, empezamos a hablar el lenguaje del capitalismo.

Il y a peu, nous avons lancé notre propre marque, la marque Top Manta (…) tout à coup, les gens qui nous ignoraient ou nous rejetaient nous admiraient. Les médias voulaient nous interviewer, les créateurs nous connaître (…) Qu'est-ce qui avait changé? Deux choses. Premièrement, le public a découvert que nous ne sommes pas seulement des immigrants illégaux, mais aussi des individus créatifs avec des idées et de l'ambition, comme vous. Deuxièmement, nous avons avons commencé à parler le langage du capitalisme.

Sur sa page web, la marque Top Manta se décrit comme plus qu'un projet commercial:  un instrument de résistance et de revendication , une marque “collective, simple, rebelle et digne”, contre les frontières, le mépris et l'oubli.

En ce moment et après moins d'une semaine de présence, la campagne de crowdfunding pour financer la mise en marche du projet a déjà atteint son objectif minimum et continue d'augmenter.  Ceux qui participent peuvent choisir entre plusieurs récompenses, telles que des chemises et des chandails, créées par le collectif et produits de manière solidaire, juste et durable (l'envoi est possible en Europe, Amérique Latine et au Sénégal).

Vendeurs ambulants : solidarité face à la criminalisation, au racisme et à l'invisibilité

Selon un rapport de la Mairie de Barcelone, en 2016 il y avait 400 vendeurs ambulants en ville, la majorité d'entre eux en situation administrative irrégulière. Le rapport  dément également que derrière les vendeurs existent des mafias, qui seraient les ultimes bénéficiaires de leurs activités – une rumeur fort répandue dans la rue et sur les réseaux sociaux.

Grâce à la pression exercée par les différents collectifs de migrants, en 2010 la vente ambulante fut dépénalisée, devenant contravention. Mais, de nouveau en 2015, la controversée réforme du code pénal  menée par le gouvernement conservateur du Parti populaire (PP), requalifiait la vente ambulante en délit, sanctionné de peines allant de six mois à deux ans de prison.

Cette pénalisation contribue à perpétuer la situation de vulnérabilité juridique des vendeurs. Le délit reste inscrit dans leurs dossiers et les empêche de pouvoir régulariser leurs situations administratives. En conséquence, obtenir un travail légal comme alternative à la vente ambulante devient de plus en plus difficile. C'est le cas de beaucoup de vendeurs ambulants, qui sont toujours “sans papiers” bien qu'ils vivent depuis plus de dix ans en Espagne.

Comme le signale le “Manifeste pour la dépénalisation de Top Manta” :

…cuando un mantero es condenado por vender, esto cierra de facto cualquier posibilidad de regularización futura debido al tema de los antecedentes penales. Esto es lo que llamamos criminalización de la pobreza.

…quand un vendeur ambulant est condamné pour vente, cela ferme de fait toute possibilité de régularisation future pour cause d'antécédents pénaux. C'est ce que nous nommons la criminalisation de la pauvreté.

Les initiatives comme celle de Top Manta  et leur acceptation par le public espagnol ouvrent la porte à un grand nombre d'espoirs et de possibilités. Cependant, chaque réussite sera bien maigre tant que ne sera pas confronté l'insidieux racisme social et institutionnel normalisé par les violences policières, et dénoncé avec insistance par le collectif: ” Cela fait longtemps que la violence exercée contre nous est vue comme naturelle (…) Nous avons des dizaines de camarades ayant des jambes et des mains cassées à la suite d'opérations policières”.

De fausses informations propagées en ligne sur l'élue de Rio et militante des droits humains assassinée Marielle Franco

mercredi 28 mars 2018 à 12:34

Les corps de Marielle Franco et son chauffeur Anderson Gomes ont été veillés à la Chambre des Conseillers de Rio de Janeiro. Le crime a soulevé l'indignation. Image: Jeso Carneiro/Flickr, CC BY-NC 2.0

Au milieu de l'indignation nationale qui a suivi le meurtre de la militante des droits humains et élue locale Marielle Franco, de fausses rumeurs sur sa vie privée et son militantisme ont été propagées sur l’internet brésilien.

Marielle Franco a été élue en 2016 conseillère municipale à Rio de Janeiro, avec le parti Socialismo e Liberdade (PSOL), par plus de 46.000 voix. Dans la nuit de 14 mars, elle a été tuée par balles à Rio de Janeiro alors qu’elle rentrait d’une réunion de des militants noirs. Elle était accompagnée par son chauffeur Anderson Pedro Gomes, également tué, et son attachée de presse Fernanda Chaves, qui a survécu.

Bien que des milliers de gens aient manifesté dans les rues de plusieurs villes du pays pour protester contre le meurtre de Marielle Franco, qui fait l'objet d'une enquête comme un assassinat, certains ont diffusé des rumeurs en ligne à son sujet.

Le 16 mars, une magistrate d'une cour d'appel de Rio de Janeiro, Marília de Castro Neves, a écrit un commentaire sur Facebook qui accuse Marielle d’avoir eu des liens avec le Comando Vermelho (Commando Rouge), la plus grande faction criminelle de Rio de Janeiro, et qui dit qu’elle était « un cadavre ordinaire comme n'importe quel autre ».

Image: la question est que cette Marielle n’était pas seulement une « militante » ; elle avait des liens avec des criminels ! Elle a été élue par le Comando Vermelho et avait rompu ses « engagements » pris avec ses sympathisants. Elle, plus que quiconque « loin de la favela », sait comment sont récupérées les dettes par les groupes avec lesquels elle avait des liens. Même nous savons cela. La vérité est que nous ne saurons jamais avec certitude ce qui a déterminé la mort de la conseillère, mais nous sommes sûrs que son comportement, influencé par son engagement politique, a été déterminant dans sa fin tragique. Toute autre chose sont les pleurnicheries de la gauche qui essaie d’ajouter de la valeur à un cadavre aussi ordinaire que n'importe quel autre.

Tweet: La magistrate a affirmé [au journal] Folha qu’elle ne connaissait pas Marielle et n’avait jamais entendu parler d’elle avant, et porte cette accusation en public contre Marielle. Dans tout autre pays la magistrate au minimum perdrait son emploi

Pourtant, avant qu'elle n'ait supprimé le commentaire, sa déclaration a été reprise par la presse traditionnelle, ce qui a déclenché une vague de désinformation d'une portée massive.

La Folha de São Paulo, le plus grand quotidien du Brésil, a rapporté le commentaire de la magistrate. Pourtant, le journal n’a évoqué la diffamation que dans le texte de l'article et non dans le titre, ce qui laisse une certaine ambiguïté ; cela pourrait laisser penser que l’approbation de la magistrate avait confirmé les rumeurs.

Par la suite, la page de droite Ceticismo Político (scepticisme politique) a publié un article intitulé « Une magistrate rompt avec le discours du PSOL et dit que Marielle avait des liens avec des criminels ».  Le Movimento Brasil Livre, également de droite et avec 2,5 millions d'abonnés sur Facebook, a partagé l’article, ce qui a contribué à la propagation de la fausse accusation.

Une étude menée par l’Université de São Paulo a souligné que Ceticismo Político, un petit site avec seulement 25.000 abonnés sur Facebook, était un nœud crucial dans le réseau des fausses nouvelles qui ont suivi la mort de Marielle. L’article a été partagé plusieurs centaines de milliers de fois sur Facebook et a fait plus d’un million de citations sur Twitter.

Le 16 mars également, Alberto Fraga, député fédéral des Democratas et membre des “bancs de la balle” – sobriquet du groupe parlementaire qui soutient le libre accès aux armes à feu pour les civils – a tweeté de fausses accusations similaires. Il avait supprimé le tweet après que son commentaire soit devenu viral.

Image: Voici le nouveau mythe de la gauche, Marielle Franco. Enceinte à 16 ans, ex-épouse de Marcinho VP, consommatrice de marijuana, défenseure d’une faction rivale et élue par le Comando Vermelho, elle avait récemment exonéré 6 membres, mais ce qui l’a tuée fut la Police Militaire.

Tweet : Alberto Fraga l’a supprimé [le tweet], mais je l’ai gardé

Plusieurs initiatives sont apparues en ligne pour lutter contre la machine de fausses nouvelles. Le PSOL, le parti auquel Marielle était affiliée, a créé un site pour réfuter ces mensonges et d’autres.

Une manifestation à São Paulo après le meurtre de Marielle Franco. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes brésiliennes. Image: Romerito Pontes/Flickr, CC BY 2.0

« Il faut travailler sur l’expression des «droits humains « au Brésil »

Les fausses accusations contre Marielle se sont basées sur une conception déformée des droits humains, une cause pour laquelle elle avait milité. Pour une partie importante de la population brésilienne, la défense des droits humains contribue à la montée en flèche du taux de criminalité dans le pays. Il y a une perception répandue que la solution se trouve dans des peines plus sévères.

Un sondage du centre de recherche Institut Datafolha, publié dans l'Annuaire brésilien de la sécurité publique de 2016, a indiqué que 57 % de la population était d’accord avec la maxime « un bon criminel est un criminel mort ». En même temps, 70 % était également d’accord avec la déclaration que « la police brésilienne exagère l’usage de la violence ».

Cette contradiction montre que le soutien pour des peines plus lourdes coexiste avec la perception que le système qui les met en œuvre est lui-même violent.

Ce sondage contraste avec un autre, mené par le Centre des études de la sécurité et la citoyenneté (Cesec) de l’Université Cândido Mendes, montrant qu'à Rio de Janeiro la déclaration « un bon criminel est un criminel mort » était reçue moins favorablement que dans celui de Datafolha, qui avait examiné les attitudes dans l'ensemble du pays.

Pourtant, l’enquête sur les habitants de Rio de Janeiro a aussi révélé que 73 % de ceux interviewés pensaient que la défense des droits humains est incompatible avec le contrôle de la criminalité, et que 56 % avaient la perception que ceux qui défendent les droits humains protègent les criminels.

Alors que l’approbation de la déclaration « un bon criminel est un criminel mort » varie, la conception des droits humains au Brésil est confuse. Dans une interview avec Nexo, la chercheuse Julita Lembgruber, qui a mené l'étude à Rio de Janeiro, a expliqué :

Há uma clara falta de compreensão sobre o significado do termo ‘direitos humanos’, pois outros percentuais da pesquisa mostram claramente que os entrevistados rechaçam o que está, na prática, contra os direitos humanos. Nós, que trabalhamos com essas questões, temos de receber isso [o rechaço de 73%] como um alerta, um aviso de que é preciso trabalhar a expressão ‘direitos humanos’ no Brasil, de maneira a divorciá-la definitivamente da ideia de que se trata de defender privilégios para bandidos

Il y a une confusion claire quant à la signification du terme “droits humains”, puisque d'autres questions du sondage montrent clairement que les personnes interviewées rejettent ce qui est, dans la pratique, contre les droits humains. Nous, qui travaillons sur ces questions, devons prendre ceci [le rejet à 73%] comme un avertissement, un signe qu’il est nécessaire de travailler sur l’expression « droits humains » au Brésil, afin de les dissocier définitivement de l’idée qu’il s’agit de protéger les privilèges des criminels.

Traduction révisée et revue par Suzanne Lehn.

Netizen Report: Les coupures de réseaux menacent les communautés en Syrie, au Venezuela et au Pakistan

mardi 27 mars 2018 à 12:07

Les habitants d'Afrin manifestent contre les opérations militaires turques le 19 janvier 2018. Photo par Voice of America Kurdish [Domaine public], via Wikimedia Commons.

Le Netizen Report d’Advox offre un aperçu des défis à relever, des victoires obtenues et des tendances émergentes en matière de libertés numériques dans le monde.

Avec Facebook et Cambridge Analytica à la une des média cette semaine, ce sont les fuites de données et surtout de données personnelles qui ont été au premier plan des préoccupations de nombreux internautes. Mais pour beaucoup d'autres à travers le monde, le plus grand obstacle à leurs droits en ligne est tout simplement l'accès à Internet.

Syrie

Lorsque des forces armées appuyées par la Turquie ont pris le contrôle de la ville d'Afrin, dans le nord de la Syrie, le 18 mars, les civils se sont retrouvés sans accès à Internet pendant plusieurs heures, puis ils ont rapporté que les connexions étaient très affaiblies. La guerre en Syrie a fait des ravages sur les réseaux de télécommunication, laissant de nombreux Syriens sans accès à Internet, parfois en raison de perturbations intentionnelles du réseau ou de blocage de sites Web par le gouvernement, mais dans d'autres cas à cause de destructions physiques causées par les bombardements.

Écrivant pour SMEX, Asser Khattib a expliqué que les habitants d'Afrin, qui se trouve juste au sud de la frontière syrienne avec la Turquie, ont de plus en plus recours à l'infrastructure Internet turque en raison de la dégradation des réseaux de leur propre pays.

“Les perturbations du réseau pendant les conflits violents, y compris la guerre syrienne vieille de sept ans, exacerbent les effets de celle-ci, rendant plus difficile l'accès aux services d'urgence, la documentation des violations des droits de l'homme et des crimes de guerre, ainsi que le maintien du contact avec les proches” a-t- il écrit.

Venezuela

Au cours des deux premières semaines de mars 2018, dix-sept États du Venezuela ont été touchés par des pannes d'Internet intermittentes ou prolongées. L'Institut pour la presse et la société (IPYS) a recueilli des informations sur les interruptions de service. Cette institution à but non lucratif rapporte que ces pannes, en conjonction avec des coupures d'électricité totales, causaient des dommages permanents aux réseaux de télécommunications du Venezuela.

Pakistan

Fin février, la Haute Cour d'Islamabad a déclaré que les coupures de réseaux mobiles étaient illégales. Mais après que la décision a été contestée par l'Autorité des télécommunications du Pakistan et le Ministère des technologies de l'information et des télécommunications, le tribunal a accordé aux requérants un sursis à exécution. Cette semaine, Digital Rights Monitor a reçu plusieurs signalements d'interruptions de réseaux mobiles dans certaines parties d'Islamabad et de Rawalpindi.

Cambridge Analytica a expérimenté dans les Caraïbes et en Afrique

Des journalistes du New York Times ont rapporté que la société de recherche et d'analyses de données Cambridge Analytica avait récolté les données personnelles et les profils de 50 millions d'utilisateurs américains de Facebook et les avait utilisées pour développer des techniques de ciblage publicitaire en vue de soutenir la campagne présidentielle de Donald Trump. Les analystes ont soutenu que le modèle d'affaires de Facebook était à blâmer, et ont exhorté les utilisateurs de Facebook à examiner à quelles applications ils avaient autorisé l'accès à leurs données.

L'article suggère également que Cambridge Analytica a mené des expériences à l'étranger, dans des pays des Caraïbes et d'Afrique où les règles de confidentialité sont moins restrictives qu'aux États-Unis et en Europe. La société a admis publiquement son travail au Kenya, où elle a travaillé pour le président sortant Uhuru Kenyatta en 2013 et lors des dernières élections très disputées. En 2013, Cambridge Analytica a mené 47 000 enquêtes sur le terrain, qu'elle a ensuite utilisées pour dresser un profil de l'électorat kényan. La stratégie résultante, que la société a décrite sur son site Web, était “basée sur les besoins (des emplois) et les craintes (de violences tribales) de l'électorat”, donnant à de nombreux Kenyans des inquiétudes [fr] que l'entreprise ait cherché à exploiter les tensions ethniques pour accroître les soutiens à la campagne de Kenyatta.

La vice-présidence du Nicaragua met la pression sur les médias sociaux pour lutter contre les “fausses nouvelles”

La vice-présidente nicaraguayenne, Rosario Murillo, a annoncé qu'elle discutait avec le président de l'Assemblée nationale pour examiner la réglementation des réseaux sociaux au Nicaragua. Murillo a déclaré que les médias sociaux “influençaient négativement” les Nicaraguayens et qu'elle envisage de réviser le Code pénal, ainsi que les Codes de l'enfance et de la famille (TK), pour prévenir la propagation des “fausses nouvelles”.

Les propos de Murillo semblent annoncer des plans pour étendre la réglementation nicaraguayenne des médias à la sphère en ligne encore relativement ouverte. Les groupes politiques de l'opposition ont exprimé leur inquiétude que la proposition soit très probablement un moyen de faire taire les critiques contre le gouvernement.

Le Qatar intente un procès contre ses détracteurs aux États-Unis

Le gouvernement du Qatar poursuit en justice ses détracteurs aux États-Unis. Le 16 mars, le service de communication du gouvernement a intenté un procès auprès d'un tribunal de l’État de New York contre les administrateurs d'un site dénommé QatarExposed et des comptes de médias sociaux qui lui sont liés pour la publication de fausses nouvelles contre le gouvernement, a rapporté Reuters .

Les autorités russes menacent de fermer Telegram

Un haut tribunal russe a confirmé une demande du FSB, le service de sécurité de l’État, que l'application de messagerie Telegram partage ses clés de chiffrement avec les autorités nationales. Après avoir refusé de le faire, Telegram s'est vu infliger une amende et l'ordre de fournir les clés dans les 15 jours sinon il allait être bloqué dans le pays. Le fondateur Pavel Durov a affirmé que “les menaces de bloquer Telegram à défaut de fournir les données privées de ses utilisateurs ne porteraient pas leurs fruits.” L'application a été critiquée pour plusieurs problèmes de sécurité, y compris une infrastructure qui permet, en premier lieu, le stockage des clés ; ce que des applications de messagerie comme WhatsApp et Signal ne font pas.

Google requis de fournir des données de toutes les personnes s'étant trouvées dans une zone de scène de crime

Ma police de Caroline du Nord, aux États-Unis, a demandé à Google de fournir des données non seulement des suspects spécifiques dans une zone de crime, mais des téléphones mobiles de tous les individus dans ladite zone – dans un cas, une zone de 17 acres. L'entreprise Google n'a pas révélé si ellel s'était conformée ou non à cette demande.

YouTube espère que Wikipedia pourra l'aider à résoudre le problème de la désinformation

Susan Wojcicki, PDG de YouTube, a annoncé que la plate-forme vidéo proposerait bientôt de nouvelles fonctionnalités pour éviter la diffusion de fausses informations, notamment l’insertion de liens vers des pages Wikipedia à côté des vidéos qui soutiennent les “théories du complot”. L'espoir, semble-t-il, est que les normes de neutralité de Wikipédia aideront à fournir aux consommateurs des informations plus équilibrées sur le problème ou l'incident en question.

Cyberactivisme

Un projet de journalisme citoyen à Porto Rico travaille à diffuser des nouvelles sur la reconstruction après les passages des ouragans sur l'île. Par le biais d'une page Facebook dédiée appelée Information as Aid, une équipe de douze journalistes-citoyens travaille pour recueillir des informations sur les étapes de la reconstruction et les diffuser auprès d'autres habitants.

Nouvelles études [en anglais]

Universal Access and Service Funds: An Untapped Resource to Close the Gender Digital Divide - World Wide Web Foundation

World Trends in Freedom of Expression and Media Development – UNESCO

Final Report of the High Level Expert Group on Fake News and Online Disinformation – European Commission

Forbidden Feeds: Government Controls on Social Media in China – PEN America

Using Research in Digital Rights Advocacy: Understanding the Research Needs of the Internet Freedom Community – Internet Policy Observatory

Abonnez-vous au Netizen Report par courriel

 

Afef Abrougui, Ellery Roberts Biddle, Marianne Diaz, Mohammed ElGohary Rohith Jyothish, Karolle Rabarison, Talal Raza et Sarah Myers West ont contribué à l'écriture de ce billet.

“L'Afrique et la poésie de l'actualité”: le tchat de Global Voices sur Twitter pour la Journée mondiale de la poésie

lundi 26 mars 2018 à 11:30

Le Tchat sur Twitter de Global Voices-Afrique subsaharienne célèbre le 21 mars 2018, Journée Mondiale de la Poésie.

Pour célébrer le 21 mars 2018, Journée mondiale de la poésie, l'équipe Afrique sub-saharienne de Global Voices a organisé sur Twitter une discussion sur le thème “L'Afrique et la poésie de l'information.”

En 1999, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science, et la culture (UNESCO) a décrété le 21 mars Journée Mondiale de la Poésie en déclarant: “la poésie réaffirme notre humanité commune en nous montrant que partout dans le monde les individus partagent les mêmes sentiments et aspirations.”

A travers le monde, des poètes, des acteurs culturels, des écrivains, des linguistes, et des passionnés des langues de partout vont célébrer la journée par des lectures, des discussions, des publications, des récitals et ateliers pour promouvoir et célébrer la force de la poésie à affirmer une humanité partagée.

Nwachukwu Egbunike, community manager Global Voices Afrique subsaharienne, va modérer la discussion avec les intervenants Amanda Leigh Lichtenstein (États-Unis /Zanzibar), Njeri Wangari Wanjohi (Kenya )et Dami Ajayi (Nigeria).

Poète et éicrivaine indépendante, Lichtenstein (@travelfarnow) a travaillé sur une multitude de projets de promotion littéraire à Zanzibar, en Éthiopie, et aux États-Unis. Wanjohi (@kenyanpoet) est une poète et journaliste kényane féconde. Ajayi (@ajayidami), est un médecin nigérian, qui a récemment publié son deuxième recueil de poèmes intitulé Le corps d'une femme est un pays. Egbunike, également du Nigeria, est un poète publié avec un nouveau recueil intitulé Blazing Moon. 

Le tchat a commencé à 19h (Heure Afrique de l'Ouest, GMT +2) le mercredi 21 mars sur Twitter en utilisant le compte Global Voices Afrique subsaharienne @gvssafrica. La conversation sera centrée sur les liens entre la poésie et le journalisme avec une attention spéciale sur le continent africain.

Les poètes, des gardiens ou des prophètes ?

Les poètes sont-ils juste des gardiens de la poésie ou sont-ils habités par une muse? Pour beaucoup, le poète est un serviteur de la beauté. Et encore, d'autres font valoir que le poète est un prophète.

A quoi servent des mots fins et fleuris lorsque les poètes et leurs communautés sont sous les jougs de la tyrannie ? Les poètes qui font cause commune avec les oppresseurs ne tirent pas parti de la poésie au service de l'intérêt général. Sur un continent où règnent des dictateurs, un poète scrutateur de la vérité n'est pas un luxe.

Peut-être que le poète est complexe : un vase de beauté de même qu'un agent de vérité.

La poésie peut-elle être au service du journalisme ? Dans un monde de grosses manchettes, comment la poésie peut-elle humaniser l'information ? Que peuvent apprendre les journalistes des poètes, de la poésie, et ‘de la pensée poétique’ ?

“La paix si possible, la vérité à tout prix” Image de Stone Town, Zanzibar. CrédIt photo: Pernille Bærendtsen. Usage sous autorisation.

L'Afrique et la poésie de l'actualité

Sur tout le continent africain, des organismes comme Chimurenga et Badilisha Poetry X-Change (Afrique du Sud), Soma: Leisure, Culture, and Learning (Tanzanie), Kwani Trust (Kenya), The Port Harcourt Book FestivalAke Book Festival, Lagos Book and Art Festival (Nigeria), Hargeysa International Book Fair (Somaliland) and Writivism (Ouganda) sont juste quelques exemples à travers le continent de structures vouées à la promotion de la langue, de la littérature, et d'une culture de lecture.

Les ateliers, les festivals, les lectures et publications, et les séminaires conçus pour revigorer la création de la culture littéraire à travers le continent ont connu une hausse au cours des dix dernières années. Les poètes et les écrivains reconnaissent activement le profond ancrage de la poésie sur le continent et son unique capacité de renforcement des démocraties, de remise en question du statu quo, et de plaidoyer pour la liberté d'expression.

Tout dernièrement, ‘la poésie et l'actualité’ a fait ses propres titres avec les médias et les organisations explorant les recoupements entre les deux: Script de Nieman: Poésie et Journalisme narratif et NPR: NewsPoet: Écrire le Jour en Vers.

Les journalistes continuent de revenir sur l'idée ‘du poète témoin’, en faisant ressortir des caractéristiques plus profondes, plus nuancées et émotionnelles des récits derrières les grands titres et les nouvelles de dernière minute.

Ce sujet et bien d'autres seront abordés durant la discussion sur Twitter de Global Voices Afrique sub-saharienne.

Note : Amanda et Nwach sont membres de la Communauté de Global Voices en tant que rédactrice et contributeur.