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Enfin un mur pour unir les gens, et non les séparer

lundi 14 mars 2016 à 23:16
Wall of kindness in Peshawar. Photo by: Serve Mankind Facebook Page

Mur de générosités à Peshawar. Photo : Page Facebook ‘Serve Mankind’

A travers l'Histoire, les murs ont été symboles de séparation, de ségrégation et de division. Un nouveau phénomène appelé les “murs de générosités” (Deewar-e-Meherbani) fait tout le contraire. Pour faire face aux froides températures, les Iraniens ont lancé des campagnes de charité pour les sans-abri et les personnes dans le besoin en construisant des “murs de générosités”. Les murs sont équipés de portemanteaux accrochés sous le message, “Prenez un vêtement si vous en avez besoin. Sinon, donnez-en un”. La campagne iranienne pour fournir des vêtements aux personnes dans le besoin s'est transformée en une avalanche de dons, de manteaux, de chapeaux, de pantalons et de vêtements chauds.

Ce qui débuta à Mashhad, en Iran, atteint désormais la Chine et le Pakistan. Voici quelques-unes des images et des histoires des murs de générosités qui vous réchaufferont le cœur.

Iran : Là où tout commence

Tout débuta un jour de neige à Mashhad :

Même si les photos n'en sont que plus pittoresques, l'hiver est particulièrement difficile pour ceux qui n'ont pas d'abri. Lentement, le mot-clic  دیوارمهربانی# (mur de générosités) a commencé à être alimenté par des photos tandis que les citoyens prennent en main l'aide apportée aux nécessiteux :

Mur de générosités #Kerman situé dans la rue Khajoo, avant le croisement à Khajoo, sur la gauche #yalda à #Kerman

#murdegénérosités

Mur de générosités à Shahsavar, à côté de la mosquée du quartier de Shahsavar

Ensuite : La Chine

Il n'a pas fallu longtemps avant que les photos des “murs de générosités” en Chine commencent à apparaître sur les réseaux sociaux. Les textes chinois indiquent que les vêtements sont destinés aux “personnes dans le besoin” :

“Murs de générosités” à Chengdu, en Chine. C'est dans cette ville que Mme Gibbs est allée à l'université.👍

La ville de Liuzhou, en Chine, met en place un mur de générosités pour aider les sans-abri pendant l'hiver.

Les murs de générosités d'Iran arrivent en Chine. Une réussite diplomatique évidente de la part de l'Iran.

Le Pakistan s'y met

Ismat Ali et Maria Waqas, enseignants au Bahria College à Karachi, ont annoncé leur projet de créer leur propre mur de générosités :

So, my dear friends and family…I come to you again. This time in collaboration with my senior, Ma'am Ismat Ali. We are starting a wall of kindness in karachi. Area will be mentioned later. Please donate generously your clothing or shoes that are just sitting in your cupboards and can help the needful. Truly grateful. Let's begin 2016 with a new heart!!
Posted by Mariya Waqas on Tuesday, December 29, 2015

Chers amis, chère famille… je reviens vers vous encore une fois. Cette fois-ci, c'est en partenariat avec ma supérieure, Madame Ismat Ali. Nous lançons un mur de générosités à Karachi. Le quartier sera précisé plus tard. SVP, donnez les vêtements et les chaussures qui traînent dans vos placards et pourraient être utiles aux nécessiteux. Nous vous en sommes très reconnaissantes. Commençons 2016 dans la générosité !!!

Wall of Kindness in Karachi. Photo Courtesy: Wall of Kindness Facebook Page

Mur de générosités à Karachi. Photo avec la permission de la page Facebook ‘Wall of Kindness Pakistan’

Les habitants de Peshawar et Lahore ont également mis en place des murs de la générosité dans leurs villes. A Peshawar, des membres de l'ONG Serve Mankind ont écrit :

Une femme accroche des vêtements sur un mur de générosités à pahse 3 Hayatabad #Peshawar. Vu aujourd'hui.

Mur de générosités : grand élan pour aider ceux qui ont besoin de vêtement. SVP, apportez vos vêtements . Hayatabad phase 3, Peshawer.

Quant à Lahore, les habitants ont utilisé Twitter pour faire passer le message.

“Mur de générosités” près du parc Jam e Sheeren, marché Firdous, à Lahore.
SVP, donnez vos vêtements à ceux qui en ont besoin :-)

Le mur de générosités à #Lahore est sité près du parc Jam e Shereen, marché Firdous. SVP donnez pour une bonne cause et aidez ceux qui en ont besoin :-)

Ce n'est pas tout…

Les Iraniens distribuent également de la nourriture. Voici une boulangerie qui donne du pain aux sans-abri et aux personnes dans le besoin. Le message sur la boîte dit : “Le pain est gratuit pour ceux qui ne peuvent pas payer”.

Le mur de générosités est arrivé à la boulangerie.

Je voulais simplement dire, ce dernier Tweet concerne une boulangerie en Iran. Il est écrit “Du pain pour ceux qui ne peuvent se le permettre”… pensez-y.

Regards croisés sur les conditions de vie dans les prisons en France et à Madagascar

dimanche 13 mars 2016 à 21:38
capture d'écran d'un reportage vidéo sur les prisons à Madagascar

capture d'écran d'un reportage vidéo sur les prisons à Madagascar et le risque de peste

Les conditions dans les prisons dans le monde varient beaucoup de par le monde. Nous nous concentrerons sur 2 pays et ferons un comparatif de l'existant entre Madagascar et la France. De nombreux blogs et médias sociaux informent sur les conditions de détention dans ces 2 pays. Ils décryptent les politiques pénales et pénitentiaires, ainsi que leurs effets sur le terrain. Ces sites  donnent la parole aux témoins quotidiens de la prison : les détenus et leurs proches venant au parloir, les professionnels et intervenants en détention.

Les conditions carcérales sont bien évidemment considérablement différentes entre les deux pays mais on retrouve plusieurs thématiques communes. A Madagascar, plusieurs sites dépictent la vie dans les prisons malgaches. Virginie de Galzain est une photojournaliste indépendante qui a longuement documenté la vie des prisonniers malgaches à Antananarivo de 2005 à 2012. Elle écrit à ce propos:

Des espaces surpeuplés datant le plus souvent de la colonisation, des odeurs d’urine qui vous prennent à la gorge et vous imprègnent à peine la porte des “dortoirs” franchie, la menace récurrente de la peste en raison d’une forte présence de rats(voir vidéo ci-dessous) et de puces, un nombre important de décès faute d’alimentation suffisante et de soins, des droits humains non respectés… Telle est la situation insupportable des prisons de Madagascar

Virginie ajoute:

Les prisons sont surpeuplées. Les détenus dorment à même des sortes de longues banquettes superposées et composées de planches en bois plus ou moins disjointes dont la longueur, bien inférieure à celle d’un homme, ne permet pas de s’allonger. C’est en plus souvent là qu’ils mettent leurs rares effets personnels. Entassés les uns contre les autres, ils doivent parfois faire des tours de sommeil faute de place pour tous. Une des “chambres” de cette prison fait 35 mètres de long et quelques mètres de large. 229 détenus y sont enfermés de 5 heures du soir à 6/7 heures du matin.

Capture d'écran de la vidéo de Médecins du Monde sur les prisons à Madagascar via Youtube

Capture d'écran de la vidéo de Médecins du Monde sur les prisons à Madagascar via Youtube

Le passif négligeant de Madagascar sur le maintien des prisons et la cohérence de son système judiciaire ne date pas d'hier. Un des bagnes le plus tristement célèbre de l’ile se trouve à Nosy Lava. Ce bagne était destiné aux prisonniers politiques et criminels récidivistes. Avec les changements successifs de régime et les oublis de l'administration, de nombreux prisonniers sont oubliés dans le bagne ignorant si il y aura une fin à leurs sentences. Voici leur histoires dans un reportage signé Régis Michel:

En France, la situation de la population carcérale n'est pas aussi critique qu’ à Madagascar mais de nombreuses questions persistent quant à la désagrégation des conditions de vie. En 2012, la France avait officiellement 57 408 places en prison pour 67 373 personnes écrouées détenues.

Un collectif, Prison Insider, souhaite se mettre en place pour monter un observatoire des conditions de détention à travers la France et le monde. Dans le cadre de son crowdfunding, les responsables du projet expliquent le concept de leur idée et le pourquoi de cette initiative:

Le projet est de centraliser toute l’info sur les prisons du monde et la rendre accessible au plus grand nombre. L’information existe mais est disséminée dans de multiples sites sur les prisons. Il reste très difficile d’accéder à une information vulgarisée et dans sa langue. Il y a trois types de besoins auxquels Prison Insider veut répondre :

-Un besoin d’informations-service. Pour savoir, par exemple, comment rendre visite à un détenu ? comment lui faire parvenir de l’argent ?…
-Un besoin d’informations documentaires. Dans le but de connaître les conditions de détention : combien de détenus par cellule ? sont-ils correctement nourris ?…
-Un besoin d’un espace pour agir. Pour alerter ou témoigner sur ce que les proches vivent.

Un aspect méconnu de la difficulté des vies en prison est décrit en détail par l'observatoire international des prisons:

Il n'existe en prison qu'un seul lieu, non surveillé, où sont autorisées les relations sexuelles : les unités de vie familiales (UVF). Avoir accès à ces unités est un droit, pour tout détenu. Pourtant, seulement 36 établissements pénitentiaires sur 188 en sont équipés. Les pratiques des personnels pénitentiaires sont toutefois très variables. Une ancienne surveillante raconte que les agents en poste au parloir doivent « le vouloir pour vraiment voir.” [..] il y a des surveillants plus compréhensifs, ils ne font pas de ronde pendant les parloirs ». Certains choisissent de ne rien dire : « Une fois, un surveillant nous a surpris. Mais de la façon dont j’étais habillée, il n’a rien pu voir. Il a juste compris. Il est ensuite parti, rien de plus. Certains surveillants ferment les yeux à partir du moment où c’est discret ». Réussir à voler quelques moments d’intimité dépend ainsi du bon vouloir de chaque surveillant.

Au quotidien, les détenus s'organisent aussi pour maintenir une vie sexuelle quand ils partagent une cellule. Voici un témoignage d'un détenu:

À une époque, j’étais dans une cellule de cinq personnes, on était entassé. Les codétenus avaient mis en place une organisation spéciale. Chacun pouvait avoir la cellule pour lui tout seul pendant quelques heures. Ils m’ont dit : “ Tu ne fais pas n’importe quoi en cellule, interdit d’avoir des pulsions la nuit, etc. En revanche, une fois dans la semaine, on te laisse tout seul et tu fais ce que tu veux, on ne veut rien savoir.”

De nombreuses associations aident à aider le quotidien des détenus et à faciliter la réinsertion. La Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) explique dans un guide les actions menées par celles-ci pour favoriser la réinsertion et éviter la récidive:

La peine judiciaire s’accompagne trop souvent d’une peine sociale ; elle ne doit pas être un moyen de régulation sociale, par le biais de la mise à l’écart des personnes condamnées. Les coûts individuels et sociaux de l’incarcération dus aux ruptures qu’elle provoque (perte de travail, ruptures familiales, perte de logement, désinsertion sociale) par rapport aux effets escomptés, passent malheureusement au second plan et demanderaient à être mieux évalués.

Une syrienne se demande : suis-je capable de tuer quelqu'un?

samedi 12 mars 2016 à 22:45
This 2012 photograph shows a Syrian boy holding anti-aircraft rounds up to the camera and smiling in the newly liberated town of Marayan in northern Syria. Photograph by Syria Freedom, shared on flickr and used under (CC BY 2.0

Cette photo de 2012 est celle d'un jeune syrien qui montre en souriant à la caméra une série d'obus anti-aériens, Marayan dans le nord de la Syrie. Photo de  Syria Freedom, partagée sur flickr sous CC BY 2.0

Ce billet fait partie d'une série spéciale d'articles par la blogueuse et militante Marcell Shehwaro, décrivant la vie en Syrie pendant la guerre qui se poursuit entre les forces loyales au régime actuel, et ceux qui veulent le renverser.

Serais-je capable de tuer quelqu'un?

Si quelqu'un m'avait posé la question il y a 5 ans, moi qui affichais sur mon bureau la phrase de Jésus à Pierre – “Remets ton épée à sa place car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée”- j'aurais immédiatement et naïvement répondu “Impossible! je n'ai ni la capacité ni l'envie de mettre fin à la vie de quelqu'un.” Sans réfléchir plus j'aurais probablement ajouté: “quelle que soit la personne et quelles que soient les atrocités qu'elle aurait pu commettre.”

On aime bien penser que l'on est quelqu'un de bien; on ne veut pas sentir la mort; on croit que l'on est des messagers de vie. On pense être sur cette planète pour la rendre meilleure. Que l'on est ici pour une noble cause. Que l'on est sur terre pour valoriser la vie des autres et s'enrichir à leur contact, pas pour  dénigrer ces vies et les supprimer. Il y a 5 ans je n'étais pas pour l'avortement ni pour la peine de mort. Je haïssais les armes et la violence et je pensais que l'amour pouvait tout changer.

Aujourd'hui, je ne sais plus en quoi je crois. C'est la guerre. Sur la ligne rouge entre la vie et la mort tout le temps. Soit on a un instinct de survie qui nous mène inévitablement à la mort de l'ennemi, soit on se rend. L'un des deux doit mourir pour que l'autre triomphe. C'est la violence qui redéfinit tout: nos espoirs, nos croyances et notre confiance au monde. Au tout début j'ai dû repenser les réponses à donner à de nombreuses questions violentes: Suis-je un assassin? Suis-je capable de tuer? Est-ce que je veux tuer?

“Il y a 5 ans je n'étais pas pour l'avortement ni pour la peine de mort. Je haïssais les armes et la violence et je pensais que l'amour pouvait tout changer. Aujourd'hui, je sais plus en quoi je crois.”

J'ai eu un premier choc quand ils nous on tiré dessus, nous un groupe de manifestants totalement pacifistes. Ils étaient là, ils nous ressemblaient en tous points sauf leurs rêves. Ils parlaient notre langue, certains venaient de la même ville que nous. J'ai dû accepter que le meurtrier est une personne comme moi. Peut-être que la veille nous étions au même endroit pour danser sur les mêmes musiques. Peut-être que, comme moi, le meurtrier était amoureux de la citadelle d'Alep. Peut-être qu'il avait rencontré sa petite amie dans un café ou à l'université. Comment tout d'un coup, sur un ordre du Sultan, a-t-il pu devenir un assassin? Comment cette volonté de tuer lui est-elle venue? Comment quelqu'un, qui ne paraît pas avoir tiré profit du système, peut se transformer en machine à tuer? Je voulais croire que je valais mieux que lui. Que personne ni aucune idéologie ne me pousserait à faire quelque chose comme cela.

La question s'est posée à nouveau avec l'assassinat de ma mère, et à nouveau quand j'ai été interrogée. Là j'ai souhaité la mort de celui qui m'interrogeait, surtout après qu'il a menacé de s'en prendre à ma famille. Je ne pouvais pas réellement dire si le monde aurait été meilleur si cette personne était morte. Je souhaitais sa mort et j'en avais honte. Est-ce que celle que j'étais devenue croyais que la mort de certains pouvait vraiment profiter au reste de l'humanité? Et que toute vie n'était pas “sacrée”? Et que la mort d'un seul pouvait sauver des milliers de vies? Naturellement, je souhaitais sans relâche la mort de Bashar Al Assad -j'en ai même rêvé souvent. Inconsciemment est-ce que je jouais le rôle de Dieu en décidant qui avait le droit de vivre et qui n'en avait pas le droit?  Sans aucun doute! J'étais entourée de merveilleux héros qui étaient morts à cause de la violence de gens et qui, je le pensais, avaient le droit de vivre. L'équation était très difficile. Comme j'ai changé! Et comme la maturité a changé en moi cette idée naïve et romantique que l'amour pouvait changer le monde.

Mais cela était moins obsédant que le fait de vivre sur la ligne de feu. Là où nous étions nous voyons l'armée, à quelques maisons de là où nous habitions. Nous avions choisi cet endroit car nous étions moins exposés aux bombardements aériens. Cette armée qui nous bombardait jour et nuit. Il y avait un poste de contrôle tout  près, et on les voyait boire le thé et on les entendait nous injurier dans leurs talkie-walkies. A Alep on les appelait “fists”. A la maison on maniait souvent l'humour noir en imaginant ce que l'on ferait si l'armée arrivait chez nous. Comme pour tout ce qui nous terrifiait, il fallait utiliser l'humour pour museler la peur. Un de nos amis nous a demandé de ne pas le réveiller si l'armée arrivait, et un autre nous a dit qu'il sauterait du balcon dans ce cas-là, et moi je leur dirais que j'avais été kidnappée par mes amis.

“A la maison on maniait souvent l'humour noir en imaginant ce que l'on ferait si l'armée arrivait chez nous. Comme pour tout ce qui nous terrifiait, il fallait utiliser l'humour pour museler la peur. Un de nos amis nous a demandé de ne pas le réveiller si l'armée arrivait, et un autre nous a dit qu'il sauterait du balcon dans ce cas-là…”

Un ami a dit qu'il prendrait une arme pour les tuer; un autre qu'il préfèrerait se faire exploser plutôt que se faire prendre vivant. Voici ce que les images de la mort sous la torture faisaient de nous. Pour ma part j'ai murmuré: je ne pense pas que je sois capable de commettre un meurtre. Il y a eu un silence et ils ont tous éclaté de rire à cause du “ton et de la formulation” que j'avais employés. L'un d'eux, avec un fort accent d'Alep a dit: Qu'est-ce que tu dis frangine? J'ai répété ma réponse avec la détermination de quelqu'un qui croit en la moralité de sa décision: Je ne tuerai pas!

On est alors partis dans des discussions sans fin, jusqu'à ce que l'un d'eux me demande: Et si le soldat menaçait de te tuer? J'ai répondu: Alors je mourrais. Je préfèrerais être la victime plutôt que l'assassin. Et il a poursuivi: Et si le soldat voulait me tuer? Qu'est-ce que tu ferais si tu pouvais me sauver? Qu'est-ce que tu ferais si le soldat se dirigeait vers la maison d'Aiisha pour la tuer? Aiisha était la fille des voisins qui venait souvent frapper à la porte pour nous demander des bouteilles plastiques. Elle était trop petite pour que l'on puisse la voir par le judas de la porte.

Je ne savais pas si j'aurais été capable de voler une autre vie, et je n'étais pas sûre que cette incapacité, en soi, ne soit pas une autre forme de meurtre. J'ai changé, je ne me reconnais plus. C'est peut-être une explication logique, ou j'ai tout simplement muri.

Il y a eu une escalade de la violence. Les scuds, les barils d'explosion, les roquettes, les obus, les amis morts sous la torture. Et avec toutes les histoires dont je me souvenais -ou non, car mon cerveau me préservait et supprimait certains souvenirs- la certitude que j'étais quelqu'un qui ni ne tuait ni ne voulait tuer s'émoussait au fur et à mesure. ISIS se déployait dans les zones libérées et commençait à enlever les journalistes un par un. importante contradiction fondamentale, on courrait alors demander protection à nos amis armés: nous voulions nous raccrocher à notre suprématie morale, qui dépendait en grande partie de la violence des autres, et non à la non-violence elle-même.

A ce jour, je ne comprends toujours pas cette guerre et ses équations meurtrières. Je ne sais pas si cette guerre fait ressortir ce qu'il y a de pire en nous ou si elle nous change. Celui qui pille la maison de ses voisins qui ont dû fuir, il ne l'aurait pas fait s'il n'y avait pas eu la guerre. Celui qui souhaite la mort de tous ceux qui ne partagent pas ses croyances religieuses ne savait pas qu'il avait toute cette haine au plus profond de lui.

Mes questions et mes doutes peuvent ne pas vous intéresser. Vous pouvez être sûrs, comme je l'ai été, d'être incapables, ou capables, de commettre un acte meurtrier. Mais ma question demeure: toute vie est-elle “sacrée”? Même celle d'un militant d'ISIS qui torture les autres à mort? La capitulation passive à votre assassin est-elle une autre forme de meurtre? Un suicide? En finir avec votre vie ou celles de ceux que vous étiez censé protéger? Est-ce le fait de côtoyer en permanence la mort, jusqu'à ce qu'elle devienne familière, et de supporter l'angoisse et le doute qui en résultent, qui me font répondre à ma question initiale En fait je ne sais pas?

Le bonheur en Ukraine, c'est sur cette carte interactive

samedi 12 mars 2016 à 20:26
Kyiv Sahara. Photo: Map Me Happy screenshot

Les dunes du Sahara de Kiev, dans la banlieue de la capitale, sont certainement un endroit heureux. Capture d'écran du site Map Me Happy.

Marasme économique, grèves de la faim, attaques militaires, [et affaires de dopage], voilà l'ordinaire que renvoie une recherche “Ukraine” sur Google News. Pas de quoi inciter à boucler sa valise pour des vacances dans ce pays. Il arrive aux Ukrainiens eux-mêmes de douter s'il vaut la peine de faire du tourisme dans la capitale Kiev, ou de projeter une excursion du week-end dans une autre grande ville ukrainienne.

Un collectif international de bénévoles vient de créer une carte en ligne des endroits d'Ukraine où on peut respirer le bonheur.

L'idée de Map Me Happy est de rendre les gens du cru tout comme les touristes amoureux à répétition de ce pays, en leur faisant aussi découvrir architectures et paysages intéressants d'Ukraine.

L'Ukraine, lieu où il fait bon vivre ?

Les créateurs de cette nouvelle carte interactive sont convaincus que cela ne va pas aussi mal en Ukraine que le laissent croire les grands titres de la presse. Si les provinces orientales sont certes embourbées dans une guerre larvée avec la Russie, le pays est si étendu (l'Ukraine est le deuxième pays d'Europe en superficie) que la tension est à peine perceptible quand on en parcourt les régions de l'ouest ou du centre. C'est ainsi que, pour donner aux voyageurs et aux habitants des idées d'endroits où se détendre et  sentir des ondes positives, la carte Map Me Happy est née.

Map Me Happy currently maps 15 cities in Ukraine.

Map Me Happy cartographie actuellement 15 villes d'Ukraine. Capture d'écran du site en construction.

“Map Me Happy mêle les intérêts de géographes et d'architectes. Nous avons en commun un grand intérêt pour l'environnement bâti et les réaction sociales qu'il provoque… Pour nous, les villes sont bien plus que de l'immobilier, des bâtiments, des infrastructures, du foncier, des usines ou des conceptions architecturales. Elles sont constituées des milliers de significations individuelles que les gens leur assignent, et des usages qu'ils en font”, expliquent les créateurs du projet Map Me Happy.

Crowdsourcer le bonheur

La carte est essentiellement une plate-forme de crowdsourcing qui permet à tout utilisateur inscrit de marquer comme “positifs” des endroits de tout le pays. La carte compte actuellement 328 lieux marqués, un nombre qui croît chaque jour. On peut aussi rechercher des endroits en utilisant des filtres tels que “pensée positive”, “ouïe positive”, “vision positive”, “odorat positif” et “toucher positif”. Ce qui permet de trouver des “espaces de bonheur” accordés à celui des six sens que l'utilisateur veut mobiliser.

Par exemple, si vous cherchez l'inspiration de lieux de pensée positive pour le week-end, la carte propose de se rendre sur l'Ile Trukhaniv, située non loin du centre de Kiev, pour une balade à vélo. Autre option, méditer dans les dunes du Sahara de Kiev dans les faubourgs de la ville, ou encore s'y rendre pour y faire des photos à couper le souffle.

A bike ride on a Trukhaniv island not far from downtown Kyiv. Photo: Map Me Happy screenshot

Une promenade à bicyclette sur l'Ile de Trykhaniv non loin du centre-ville de Kiev. Capture d'écran de Map Me Happy.

Le lancement de la carte remonte à seulement un mois, aussi ses créateurs encouragent-ils activement chacun à rejoindre l'initiative et à ajouter à la carte davantage d'endroits heureux. Il suffit pour cela de compléter un court formulaire d'inscription ou de se connecter avec son compte Facebook.

Ce projet collaboratif a été créé par l'urbaniste ukrainienne Nastya Ponomaryova et des géographes de Roumanie, d'Allemagne et des Pays-Bas sous les auspices du Programme d'échange des directeurs culturels.

Un journaliste kurde risque la prison en Turquie pour des posts sur Twitter et Facebook

vendredi 11 mars 2016 à 13:11
On 26 July 2015, Turkish police special forces stormed Gazi Cemevi, a place of worship for Alawites, with tear gas and rifles at Istanbul’s Gazi neighbourhood. The operation aimed at confiscating the body of Günay Özarslan, who was killed in a police raid two days before --public funerals is a form of protest for the minorities in Turkey. Photo by Hayri Tunç.

Le 26 juillet 2015, les forces spéciales de la police turque ont attaqué Gazi Cemevi, un lieu de culte pour les alaouites, avec du gaz lacrymogène et des armes à feu dans le quartier Gazi d’Istanbul. L’opération visait la confiscation du corps de Günay Özarslan, tué durant un raid policier deux jours auparavant. Les funérailles publiques sont une forme de protestation pour les minorités en Turquie. Photo par Hayri Tunç.

Les organisations de défense des droits décrivent depuis longtemps la « trajectoire vers l’autoritarisme » en Turquie. L’histoire d’un journaliste kurde emprisonné illustre la situation difficile des deux catégories – la minorité kurde et les travailleurs du secteur médiatique – frappés par cette tendance.

Hayri Tunç, un journaliste kurde du site web indépendant Jiyan, risque des années en prison pour sept tweets, onze messages sur Facebook, et deux vidéos sur YouTube.

Sur la base du contenu des posts, un tribunal d’Istanbul l’a placé en février en garde à vue dans la prison de Silivri, sous les charges de « propagande terroriste », « complicité d'actes criminels », et « apologie d'actes criminels ».

Ces multiples charges pourraient lui valoir plus de 20 ans de prison s’il est reconnu coupable, pourtant, vu que Tunç n’a aucun casier judiciaire antérieur, la peine serait probablement inférieure.

Jusqu’à récemment, Tunç travaillait principalement sur l’investigation des histoires d’exclusion et de lutte dans les quartiers pauvres d’Istanbul où la minorité kurde est installée depuis des décennies.

En tant que journaliste-vidéaste, il excelle à la documentation des heurts entre les manifestants gauchistes et la police turque.

Des vidéos de son compte sur YouTube ont été vues par des milliers de spectateurs et utilisées par des chaines majeures comme RT, de Russie, et France 24.

Son compte Twitter joue le rôle d’une source indépendante d’informations pour ses 13.600 abonnés, grâce à ses reportages de l’autre côté du conflit kurde.

Pourtant, depuis l’été dernier, alors qu’un conflit jusque là de basse intensité entre le groupe kurde armé du PKK et l’Etat turc s’intensifiait pour se transformer en guérilla de grande envergure, le gouvernement turc impose une censure totale sur les médias kurdes avec l’interdiction de plus d’une centaine de sites web indépendants, y compris Jiyan.

(Avertissement : l’auteur du présent article est rédacteur chez Jiyan.)

Plusieurs journalistes kurdes de premier plan se sont trouvés parmi les cibles de demandes de suppression sur Twitter par le gouvernement turc, dont Hayri Tunç.

Son compte est apparu trois fois parmi ces demandes selon les informations rapportées par Yaman Akdeniz, un activiste des droits numériques et professeur de droit à l’université Bilgi d'Istanbul, d'abord en août, puis en septembre, et encore une fois en janvier.

Cette persistance fait de la Turquie est devenue le premier censeur mondial sur Twitter.

Facebook est moins transparent sur les demandes des gouvernements, mais Tunç a rapporté qu’il a perdu l’accès à son compte plusieurs fois, tandis qu’Instagram a retiré ses photos qui témoignaient des heurts à Istanbul.

Mais les lorsque les requêtes répétées de censure du gouvernement ont échoué à le faire taire, notamment parce que Twitter n'obtempère normalement  pas aux demandes de suppression de contenus journalistiques, la police a perquisitionné sa maison en octobre et l’a mis en garde à vue sous les accusations d’être « membre d’une organisation terroriste » et d’avoir « diffusé la propagande terroriste ».

Il a même été accusé de « polythéisme » pendant un interrogatoire de police.

Il est évident que Tunç est en train d’être puni pour avoir rapporté sur le conflit en temps réel, avec des tweets comme celui-ci, de juillet 2015 :

YDG-H [l’organisation de jeunesse du PKK] a dit avoir lancé une opération pour libérer Alipaşa en Amed [le nom kurde pour Diyarbakır, dans l’est de la Turquie]

Un tweet qui a fourni une preuve visuelle de la guerre urbaine à venir, un mois seulement avant qu’un gouverneur turc déclare un couvre-feu dans la ville.

En décembre, il a montré dans une vidéo sur YouTube comment ces couvre-feux, durant des mois, dans l’est du pays avaient déclenché des heurts avec la police (à partir de 1:45) dans les quartiers kurdes d’Istanbul.

Tous ces éléments sont mentionnés dans l’inculpation, examinée par l'auteur, comme des preuves de « propagande terroriste » et de « soutien et glorification des actes criminels ».

Ceci n’est pas la première fois qu’un journaliste qui écrit sur le PKK est emprisonné en Turquie.

En août dernier, les journalistes de Vice News Jake Hanrahan, Philip Pendlebury, et leur collègue Mohammed Ismael Rasool, étaient détenus sous des charges de terrorisme similaires. Hanrahan et Pendlebury ont été expulsés tandis que Rasool a été mis en liberté sous caution après plus de quatre mois en détention.

Mais ce risque est quotidien pour les journalistes kurdes en Turquie.

Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), au moins sept journalistes kurdes étaient arrêtés en Turquie pendant ces trois derniers mois, et un autre est mort dans un sous-sol à Cizre, une ville kurde sous couvre-feu, tandis qu’il couvrait l'aide aux blessés pendant les violences.

Quant aux poursuites judiciaires en Turquie des journalistes sous les charges du terrorisme, le CPJ a écrit que « la formulation vague des lois antiterroristes et des articles du code pénal a permis aux autorités turques de faire l’amalgame entre les reportages sur les groupes interdits ou l’investigation des sujets sensibles et le terrorisme réel ou les autres activités anti-étatiques ».

Après la détention de Tunç, le CPJ a aussi averti que « la Turquie a récemment renoué avec sa pratique d’emprisonner les journalistes critiques en représailles à leur travail ».

Quand le nombre de sites web interdits en Turquie a dépassé les 100.000 en octobre dernier, les groupes de défense des libertés en ligne ont demandé au gouvernement turc de cesser la censure en ligne des agences de presse indépendantes et citoyens-journalistes.

Même avant le commencement de cette censure massive, ce gouvernement était le pire geôlier de journalistes pendant deux années consécutives, en 2012 et 2013.

Le cas de Hayri Tunç nous rappelle l’importance des journalistes indépendants pour la Turquie, et qu’il est crucial qu’ils partagent des informations sur les médias sociauxs. Pourtant, il montre aussi à quel point c’est facile pour le gouvernement turc de les censurer et emprisonner sans répercussions sérieuses de la part des partenaires occidentaux d’Ankara.

La première audience du procès Tunç aura lieu le 11 mars à Istanbul.