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Idrissa Diallo : De la sépulture anonyme au symbole de la lutte des personnes migrantes en Espagne

dimanche 25 février 2018 à 18:10

Lamine Sarr, membre du Syndicat populaire des vendeurs ambulants de Barcelone, lors de la cérémonie pour la campagne #PlaçaIdrissa, devant la statue d'Antonio López, le 13 janvier 2018. Photo: Fotomovimiento (CC BY-NC-ND 2.0).

Jusqu'à récemment, le corps sans vie d’Idrissa Diallo, un jeune Guinéen, se trouvait dans une niche anonyme d'un cimetière de Barcelone, et la fiche de police de son décès était sous à clé et inaccessible. Pourtant, sa mémoire reste vivante pour ses proches, comme pour beaucoup d'individus et de collectifs de Barcelone qui n'ont jamais eu l'occasion de le connaître et qui veulent aujourd'hui qu'une place de la ville porte son nom.

Idrissa Diallo a été l'un de ceux qui ont réussi. A 21 ans il a accompli ce haut fait qu'est la traversée des frontières en direction du nord, avec à chaque fois plus de pièges, plus de murs, plus de barbelés, plus d'yeux et d'armements pour les garder. Après un long voyage depuis la Guinée, tel Ulysse, Idrissa arriva sur le territoire européen en sautant la clôture dans la ville nord-africaine de Melilla, qui est un territoire administratif espagnol. Mais le système a voulu que le voyage d'Idrissa se termine tragiquement par sa mort, le 6 janvier 2012, dans un Centre d'Internement d'étrangers (CIE) de Barcelone. Il y était détenu à cause de sa “situation administrative irrégulière”, comme tant d'autres migrants malheureux en Europe, dans l’attente d'être rapatriés sous la contrainte.

Après son décès sous la garde de la police, la justice espagnole classa l’affaire sans imputer la moindre responsabilité aux autorités. Le dossier policier a été bloqué et rendu inaccessible depuis, bien que les groupes locaux de défense des droits humains, en l'absence d'information sur la cause de sa mort, pointent une possible négligence médicale. Pour comble de cette accumulation de négligences institutionnelles, la famille d'Idrissa n'a jamais été informée officiellement de sa mort, en contravention avec les procédures établies pour ces cas, et jusqu'à il y a un an ignorait où se trouvait sa dépouille.

Sur la piste d'Idrissa, à la recherche de sa famille et de ses restes

Dans le cadre du documentaire “Idrissa, crónica de una muerte cualquiera [Idrissa, chronique d'une mort ordinaire]”, la productrice indépendante Metromunster, en compagnie de l'artiste guinéenne Nakany Kanté, s'est rendue à Tindila (Guinée), le village natal d'Idrissa, à la recherche de sa famille. Cette visite, qui eut lieu en juin 2016, fut pour la famille la confirmation que le jeune homme était mort à Barcelone. En 2012, le frère d'Idrissa en Guinée reçut un appel d'une avocate l'informant du décès, mais l’État espagnol ne les contacta jamais de façon officielle, comme l'a dénoncé Yasi, la mère, dans une conversation avec la productrice :

Fins ara, no han tornat a trucar, no ha arribat el cos i no n'hem tingut cap notícia més. Van tapar la seva mort com si no hagués passat res. Això fa mal. És com si no hagués mort ningú. Que no arribés el cos em va causar molt dolor. Dic a la policia i al govern que em va fer molt mal.

Jusqu'à aujourd'hui, ils n'ont pas téléphoné, le corps n'est pas arrivé et nous n'avons reçu aucune annonce de plus. Ils ont caché sa mort comme s'il ne s'était rien passé. Ça fait mal. C'est comme si personne n'était mort. De n'avoir pas reçu le corps m'a causé une grande douleur. Dites à la police et au gouvernement que cela m'a fait beaucoup de mal.

Quasi cinq ans après la mort d'Idrissa, en décembre 2016, une enquête menée par La Directa, un média collaboratif, est arrivé à localiser la niche anonyme où se trouvaient ses restes mortuaires, à quelques mois de la date à laquelle le cimetière de Monjuic à Barcelone s'apprêtait à les transférer dans une fosse commune pour libérer de la place.

ENQUÊTE Nous avons découvert où est le corps d'Idrissa Diallo, mort au CIE il y a cinq ans : dans une niche anonyme [du cimetière] de Montjuic.

Grâce à cette découverte, et en poursuivant avec le documentaire en mémoire d'Idrissa, la productrice Metromunster s'apprête à retourner en Guinée le mois prochain, cette fois avec le corps sans vie du jeune homme, qui sera exhumé et rendu à sa famille.

Mobilisation citoyenne en mémoire d'Idrissa

La mort d'Idrissa Diallo a suscité la création de la plateforme Tanquem els CIE (“Fermons les CIE”) en 2012. Depuis lors, Tanquem els CIEs est une des plateformes en pointe du militantisme contre les rouages du système de contrôle migratoire espagnol et, par extension, européen.

En juin 2017, après la localisation des restes du jeune Idrissa, Tanquem els CIEs a organisé une cérémonie au cimetière de Montjuic à Barcelone de pose d'une pierre avec son nom dans la niche où il était inhumé.

Tanquem els CIEs pose une pierre dans la niche où était inhumé le jeune Guinéen après sa mort au CIE en l'an 2012.

Six ans après sa mort, Idrissa s'est transformé en un symbole du combat pour les droits des migrants dans l’État espagnol. Aujourd'hui, la ville qui l'a vu mourir se mobilise pour rendre hommage à sa vie, et celle de tant de ses semblables, au travers d'une campagne citoyenne promue par Tanquem els CIEs et Metromunster et qui veut donner le nom d'Idrissa Diallo à une de ses places.

Touche finale à ce souhait de réparation historique, le choix s'est précisément porté sur la place qui porte aujourd'hui le nom d'un esclavagiste notoire du XIXe siècle : Antonio López.

Nous recueillons les signatures pour réaliser un acte de réparation et de mémoire pour Idrissa et toutes les personnes migrantes qui souffrent et on souffert du racisme et de la violence institutionnelle. Rapprochez-vous d'un des points et signez. Disons adieu à Antonio, bonjour Place Idrissa !

Sur sa page web, la plateforme explique les raisons de la campagne.

El seu, és un cas oblidat més entre el de tants africans i africanes anònims que són i han estat víctimes de les polítiques colonials practicades pel nostre país des de fa segles i que han desembocat en el sistema de control migratori actual. Idrissa, però, no va morir al mediterrani ni travessant la tanca de Melilla com tants d'altres, va morir a Barcelona. Com a veïns i veïnes de la ciutat li devem una explicació a la seva família i un acte de reparació. Un homenatge, en definitiva, que es faci extensiu a totes les persones que, des de fa més de 500 anys són víctimes dels negocis que han enriquit Occident gràcies a l'espoli de les ex-colònies.

Son cas fait partie de tous ces Africains et Africaines anonymes et oubliés qui sont et ont été victimes des politiques coloniales pratiquées par notre pays depuis des siècles, et qui ont abouti au système de contrôle migratoire actuel. Pourtant, ce n'est pas en Méditerranée ou en franchissant la clôture de Melilla qu'Idrissa est mort comme tant d'autres, c'est à Barcelone. En tant que ses voisins et voisines de cette ville, nous devons une explication à sa famille et un acte de réparation. Un hommage, en définitive, qui s'étende à toutes les personnes qui, depuis plus de 500 ans, sont victimes des négoces qui ont enrichi l'Occident grâce à la spoliation des ex-colonies.

Et de poursuivre :

Si Antonio López és un símbol d'aquests negocis, Idrissa Diallo podria convertir-se en el símbol de les incomptables víctimes anònimes que porten segles patint el racisme institucional.

Si Antonio López est un symbole de ces négoces, Idrissa Diallo pourra se convertir en symbole des innombrables victimes anonymes qui subissent depuis des siècles le racisme institutionnel.

En ce moment, la collecte des signatures se poursuit en divers lieux de la ville de Barcelone, tandis que sont mises en place différentes actions en mémoire d'Idrissa et en faveur de l'initiative. On peut suivre les activités de la campagne sur Twitter avec les mots-dièses #AdéuAntonio et #PlaçaIdrissa, ou sur la page web de Tanquem els CIEs.

Plaque au nom d'Idrissa Diallo à l'endroit où se trouvent ses restes, posée durant un hommage rendu le 14 juin 2017 dans le cimetière de Montjuic, à Barcelone. Photo: Fotomovimiento (CC BY-NC-ND 2.0)

La pollution dans la région d’Ahwaz en Iran devient mortelle

dimanche 25 février 2018 à 14:17

Image: domaine public de Pixabay.

[Billet d'origine publié le 14 février. Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais]

De violentes tempêtes de sable ont à nouveau recouvert la semaine dernière la région d'Ahvaz en Iran. Les gens suffoquent sous des niveaux de poussière atmosphérique atteignant 57 fois la limite de sécurité fixée par l'Organisation mondiale de la santé. Fin janvier, les informations annonçaient que les habitants s’entassaient dans les hôpitaux [ar] de la région à prédominance arabe, qui est désespérément pauvre malgré le fait qu'elle abrite plus de 95 % des ressources pétrolières et gazières perçues par l'Iran, et se plaignaient de graves problèmes respiratoires et d'essoufflement. Entre le 21 et le 25 janvier, trois personnes sont décédées de maladies respiratoires graves.

La zone est recouverte d'un épais smog de sable et la visibilité est inférieure à 200 mètres. Le gouvernement a suspendu les vols à destination et en provenance des aéroports régionaux et a fermé des écoles, des bureaux et des banques dans cette province autrefois luxuriante.

En 2013, la ville d'Ahvaz, capitale de la région, était en tête de la liste des villes les plus polluées du monde établie par l'Organisation mondiale de la santé. Selon ce rapport, la moyenne de l’indice de qualité de l'air d'Ahvaz était de 372 – la moyenne mondiale est d'environ 71 – soit « dangereux ». C'était la seule ville de la liste avec une valeur moyenne supérieure à 300. Dans son rapport sur la situation de l'époque, l'Organisation des nations et des peuples non représentés (UNPO : Unrepresented Nations and Peoples Organization) a écrit que « la désertification causée par le détournement des cours d'eau et l'assèchement des marais, et par les usines de traitement du pétrole, de la pétrochimie, des métaux, du sucre et du papier à Ahvaz et dans les environs sont les facteurs qui y ont contribué ».

Plus de quatre ans plus tard, la situation à Ahwaz reste inchangée et le groupe le plus touché est celui des Arabes ahvazis autochtones, qui font depuis longtemps l'objet de discriminations de la part des gouvernements iraniens successifs.

Les taux élevés de pollution s'expliquent par la désertification accélérée de la région, due à l'assèchement massif des cours d'eau et des marais en raison du vaste projet de construction de barrages et de détournement des cours d'eau initié par Hashemi Rafsanjani, qui est devenu président en 1989. Le projet a vu des millions de litres d'eau détournés des rivières de la région vers d'autres parties de l'Iran et a intensifié les taux régionaux déjà élevés de pollution et de dégradation de l'environnement. Les tempêtes de poussière se mélangent aux nuages continus de pollution suffocante que les raffineries et les usines pétrochimiques de la région (dont aucune ne fait l'objet de réglementation ou de surveillance en matière d'environnement) rejettent dans l'atmosphère, à quoi s'ajoute la pollution produite par le brûlage de la canne à sucre.

S’exprimant sous anonymat à cause des peurs de représailles du régime iranien, un lycéen ahvazi a déclaré à Global Voices : « Le brûlage avait lieu pendant la journée, mais qu’après que les Arabes ont protesté en scandant : « Nous pourrions acheter de l'eau potable, mais nous ne pouvons pas acheter de l'air pur ! » ils ont commencé à le brûler la nuit. Ce matin, le terrain de l'école était recouvert de plusieurs centimètres de cendres provenant du brûlage. J'ai déjà de l'asthme sévère, et ça aggrave mon état. »

La canne à sucre dans la région d'Ahvaz

La canne à sucre ne pousse pas naturellement en Iran, mais elle est cultivée dans la région depuis les années 1960. Pendant le mandat de Hashemi Rafsanjani, le gouvernement s'est lancé dans un ambitieux projet de culture de canne à sucre subventionné par l'État, qui a consisté à confisquer des milliers d'hectares de terres agricoles aux agriculteurs ahvazis que leurs ancêtres cultivaient depuis des générations. Des milliers de familles ont été plongées dans une extrême pauvreté lorsque leurs terres agricoles ont été transformées en vastes plantations de canne à sucre.

Ces efforts n'ont apporté que peu de bénéfices : le projet de canne à sucre s'est avéré économiquement désastreux, les importations étant beaucoup moins chères que la production locale. La plus grande préoccupation, cependant, est la pollution généralisée et la dévastation environnementale qu'elle a causées dans une région qui était autrefois le grenier à blé de la région du Golfe. Dans la région d'Ahvaz, dans des agglomérations comme Falahiyeh, Muhammarah et Abadan, des plantations massives de palmiers dont les produits étaient réputés au Moyen-Orient, ont été délibérément détruites ou laissées dépérir. La flore et la faune de la région sont également gravement menacées, car les zones humides de Falahiyeh et d'Haur Al-Azim sont presque complètement détruites.

Les raffineries de sucre appauvrissent l'approvisionnement en eau, déjà peu abondante, des rivières, pour leurs traitements gourmands en eau, et polluent les cours d'eau restants de la région en déversant dans les cours d'eau les produits chimiques non traités utilisés dans le processus de nettoyage et de raffinage du sucre. Cela rend l'eau en aval inutilisable et avec de fortes teneurs en sel, ce qui détruit les terres arables des agriculteurs ahvazis apauvris de la région.

Ensuite, il y a le brûlage de la canne à sucre, qui a lieu dans des plantations autour de la capitale ahvazi et d'autres villes de la région avant la récolte de mai à novembre. La fumée du brûlage de la canne à sucre est épaisse et lourde en raison de la densité de sucre et d'alcool qu’elle contient ; au lieu de dériver vers le haut, elle se rabat au-dessus du sol, causant des problèmes respiratoires et cutanés graves et parfois mortels au sein de la population.

Le lourd tribut sur la santé

A la fin du mois de janvier, on rapporte qu’au moins trois Arabes ahvazis seraient morts des suites de problèmes respiratoires causés ou aggravés par la grave pollution atmosphérique de la région. L'un d'entre eux, Kareem Abdul Khani, 43 ans, de la ville de Susa, qui souffrait d'asthme chronique, a été transporté d'urgence à l'hôpital Mafi de la ville le 21 janvier après s'être plaint de vertiges et de difficultés respiratoires dues à l’extrême pollution de la région, qui dépassait largement les niveaux habituels. Il est décédé le lendemain.

Le deuxième homme, Hamid Hamdian, 47 ans, originaire du district de Mollasani près d'Ahvaz, souffrait de maladie pulmonaire depuis un certain temps. Il est décédé subitement, emporté par une insuffisance respiratoire aiguë.

Le troisième homme, Ahmed Chenani, 34 ans, de Hamidieh, à 30 kilomètres à l'ouest d'Ahvaz, est décédé des suites de problèmes respiratoires chroniques dans la nuit du 25 janvier, après avoir été suffoqué par la pollution de l'air qui recouvre la zone. Les membres de sa famille qui l'ont emmené d'urgence à l'hôpital Golestan, dans la ville d'Ahvaz, ont déclaré que le manque d'installations de soins adéquates et la négligence du personnel médical ont contribué à son décès.

Les taux de cancer dans la région sont également en hausse. Un membre du personnel médical d'un hôpital d'Ahvaz qui, comme d'autres personnes interrogées, a souhaité rester anonyme, a déclaré qu'il y a dix ans, l'hôpital disposait de 40 lits largement sous-utilisés. Ces dernières années, l'hôpital a été envahi par des patients atteints de cancer.

Tout cela représente un coût énorme à payer, en particulier pour les Arabes ahvazis locaux, qui sont toujours privés de tous les emplois, sauf les plus ingrats, dans la canne à sucre et le pétrole – les deux industries qui font des ravages dans leur région d'origine – tandis que les Perses ethniques viennent d'autres parties de l'Iran et reçoivent des salaires élevés et des logements modernes et construits à dessein dans des colonies séparées. Bien qu'ils soient originaires de la région la plus riche d'Iran en termes de ressources, dans les faits, la majorité des Ahvazis vivent dans des conditions médiévales sous un régime d'apartheid.

Netizen Report : Des ONG mexicaines réclament une enquête indépendante dans une affaire de cyberespionnage

samedi 24 février 2018 à 18:47

Dessin de Doaa Eladl via Flickr, Web We Want ( CC BY-SA 2.0)

Le Netizen Report de Global Voices Advox offre un aperçu des défis, des victoires et des tendances émergentes en matière de droits numériques à travers le monde.

Au Mexique, les allégations selon lesquelles des agences gouvernementales auraient utilisé un logiciel de surveillance pour infiltrer les téléphones portables de journalistes et de défenseurs des droits humains n'ont fait l'objet d'aucune enquête de la part du gouvernement mexicain, déplore un communiqué officiel des groupes affectés par le logiciel espion.

En juin 2017, un groupe d’experts a révélé qu'à 76 reprises, des journalistes et des défenseurs des droits humains avaient été ciblés par les attaques du logiciel espion Pegasus, vendu par la firme israélienne NSO Group. Ce malware permet de surveiller et d’accéder aux communications et activités du téléphone de la victime. Ces intrusions ont été documentées par Article 19, le Citizen Lab de l’Université de Toronto ainsi que les ONG R3D et SocialTIC, basées à Mexico.

Suite à la publication par le New York Times des conclusions de l'enquête, le Président mexicain Enrique Pena Nieto a demandé au cabinet du procureur général d'examiner ces allégations. Selon les organisations concernées, depuis juin 2017, les autorités n’ont jamais cherché à récolter des informations sur l’usage du logiciel, ni enquêté sur ses déploiements techniques ou interviewé des fonctionnaires formés à l’utilisation du logiciel.

Les organisations réclament à présent une enquête indépendante et soulignent l'absurdité de recourir au cabinet du Procureur Général, car il s'avère que l'agence est à l’origine même de l’achat du logiciel espion. Si le gouvernement mexicain n’a toujours pas mené d’enquête sérieuse de son côté, il a néanmoins demandé au gouvernement américain de se joindre à l'effort – une requête rejetée par les autorités des États-Unis.

Il s’agit du dernier développement en date d'une série de révélations et d’enquêtes sur l’usage de logiciels de surveillance au Mexique depuis 2013. Des responsables politiques réclamant le renforcement de mesures de santé publique ainsi que des experts enquêtant sur la disparition de 43 étudiants à Ayotzinapa ont également été victimes de cyberespionnage.

Un défenseur des droits humains bahreïni condamné à cinq ans de prison pour des tweets

Nabeel Rajab, éminent président du Bahrain Center for Human Rights, a été condamné à cinq ans de prison le 21 février pour avoir publié une série de tweets jugés « insultants envers les institutions nationales » et « insultants envers les pays voisins » par les procureurs. Dans ces tweets, Nabeel Rajab critiquait l'implication de l’Arabie Saoudite dans la guerre civile au Yémen et relayait des preuves de torture et de mauvais traitements dans la prison de Jaw au Bahrein publiées par Human Rights Watch.

Un dessinateur malaisien risque la prison pour avoir représenté le Premier ministre sous les traits d’un clown

Le dessinateur malaisien Fahmi Reza a été poursuivi et déclaré coupable d’avoir « mis en ligne de fausses communications » suite à la publication sur Facebook d'un dessin peint à la main du Premier ministre malaisien Datuk Seri Najib Razak grimé en clown. Dans un post relatif à l'affaire, il écrit :

« Avoir peint le portrait du Premier ministre sous les traits d’un clown malveillant était un acte de protestation contre ce gouvernement corrompu qui utilise le Sedition Act et d’autres lois draconiennes pour réduire au silence les voix de la dissidence. »

Il a été condamné à un mois de prison et à une amende de 30.000 ringgit malaisien, conformément à la section 233 du Multimedia and Communications Act de 1998. Son avocat prévoit de faire appel.

Un photojournaliste cachemiri dépasse les 150 jours en détention

Cela fait désormais 150 jours que le photojournaliste cachemiri Kamran Yousuf se trouve derrière les barreaux, depuis son arrestation en septembre 2017. Il a finalement été inculpé le 18 janvier pour « financement d’activités terroristes et anti-étatiques dans la vallée du Cachemire ». Son acte d’accusation mentionne également qu'il a manqué à son « devoir moral de journaliste » en décidant de ne pas couvrir les « activités sociales et de développement menées par le gouvernement local ou le gouvernement indien ».

Yousuf est devenu célèbre l'an dernier après que ses photos et vidéos de processions funéraires et de combats à jets de pierres sont devenues virales sur les réseaux sociaux, récoltant régulièrement des dizaines de milliers de vues et de partages. Le Conseil de la Presse indien a fait part de son inquiétude quant à sa détention, tandis que la Guilde des rédacteurs du Cachemire (Kashmir Editors Guild) ainsi que le Comité pour la protection des journalistes (Committee to Protect Journalists) ont appelé à sa libération.

Un citoyen macédonien poursuivi pour avoir posté des photos de policiers dans l'exercice de leurs fonctions

La police de Macédoine a porté plainte contre une personne ayant pris des photos d'officiers de police de service lors d'élections locales et les ayant postées sur Facebook. Le photographe a publié une trentaine de photos visant à documenter d'éventuelles irrégularités dans le processus électoral. Le tribunal de première instance de Gevgelija a jugé la personne coupable d’ « abus de données personnelles » et a prononcé une condamnation de trois mois de prison. La personne, restée anonyme, a fait appel de cette décision.

Des journalistes turcs condamnés à de la prison à vie

Six journalistes turcs ont été condamnés à des peines de prison à vie pour avoir « tenté de renverser l’ordre constitutionnel », alors que le jour-même le journaliste turco-allemand Deniz Yucel était libéré après un an derrière les barreaux sans aucune charge. Yucel avait été arrêté car soupçonné d’ « inciter à la haine et à l'inimitié raciale » et de « diffuser la propagande d'une organisation terroriste ». Sa libération intervient peu après la visite du Premier ministre turc en Allemagne. La Turquie compte actuellement 155 journalistes emprisonnés.

Un Espagnol risque la prison pour des tweets misogynes

Le 16 février, un homme âgé de 22 ans a été condamné à deux ans et demi de prison par la Cour Suprême espagnole pour avoir publié des tweets « incitant à la haine contre les femmes » en 2015 et 2016. Dans l'un des tweets incriminés, l'homme écrivait : « L'année 2015 va se terminer avec un total de 56 femmes assassinées, ce n'est pas un bon record mais c'est tout ce qu'on a pu faire, voyons si l'on peut doubler ce chiffre en 2016, merci. » Il avait précédemment été condamné à deux ans d'emprisonnement pour ces tweets ainsi que d'autres faisant l'apologie du terrorisme. Par la suite, la Cour Suprême a annulé la condamnation relative au terrorisme, estimant que les tweets étaient « d'ordre général », mais a durci la peine pour les messages misogynes.

Le Venezuela poursuit la collecte des données de ses citoyens — et les conserve de plus en plus longtemps

La Commission Nationale des Télécommunications du Venezuela a étendu la liste (déjà longue) des données personnelles requises pour accéder aux services téléphoniques dans le pays. Elle a également allongé la période durant laquelle les opérateurs pourront conserver ces données, allant de trois mois après la fin d'un contrat à cinq ans.

Cette nouvelle règle fait du Venezuela l'un des pays d'Amérique latine où la rétention de données est la plus longue, aux côtés de la Colombie. En plus de devoir fournir une preuve d'identité, une signature, leurs empreintes digitales et leur nom et adresse complets, les utilisateurs devront désormais renseigner leur adresse e-mail, être photographiés et enregistrer leurs empreintes digitales à l'aide d'un dispositif biométrique. La Commission stipule que les opérateurs téléphoniques devront numériser les données collectées, mais n'a pas précisé comment elles seraient protégées, se contentant de spécifier que les opérateurs et les services de sécurité de l’État définiraient eux-mêmes les conditions de conservation et de traitement des données adéquates.

Nouvelles études [en anglais et espagnol]

 

 

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Afef Abrougui, Ellery Roberts Biddle, Marianne Diaz, L. Finch, Rohith Jyothish, Rezwan Islam, Inji Pennu, Karolle Rabarison, Elizabeth Rivera, Juke Carolina Rumuat et Sarah Myers West ont contribué à l’élaboration de ce rapport.

#ThemToo: Les femmes syriennes disent les viols subis dans les prisons du régime

samedi 24 février 2018 à 18:35

Arrêt sur image du documentaire ‘Syrie, le cri étouffé’.

En décembre 2017, un documentaire français diffusé par la chaîne télévisée france 2 a révélé le témoignage d'un groupe de femmes ayant survécu aux viols et à la torture dans les prisons secrètes du président Syrien Bachar al Assad. Dans ce film de 72 minutes intitulé “Syrie, le cri étouffé“, les survivantes, qui sont à présent réfugiées en Turquie, Jordanie et à travers toute l’Europe, témoignent de leur arrestation et de la détention qui en résulte. Elles décrivent comment le régime syrien utilise le viol comme arme pour régler ses comptes avec les opposants et assujettir les communautés opposées à son pouvoir.

La diffusion de ce documentaire coïncide avec un moment crucial, initié par des victimes d'abus sexuels qui ont courageusement livré leur témoignage sur les réseaux sociaux sous le hashtag #MeToo. Ce vaste mouvement a été déclenché par le scandale du producteur hollywoodien Harvey Weinstein, qui a usé de son influence pour exercer un chantage sexuel sur une longue liste de stars hollywoodiennes. La nouvelle s’est répandue telle une traînée de poudre, entraînant une augmentation du nombre de victimes prenant la parole et faisant ainsi tomber célébrités et politiciens du monde entier de leur piédestal.

Dans un courageux mouvement sans précédent, deux femmes ont témoigné de leur terrible expérience, à visage découvert et en révélant leur véritable identité.

Dans la société patriarcale de Syrie où l'on blâme les victimes de violences sexuelles, évoquer ce sujet est un tabou bien ancré. En révélant publiquement ces épouvantables histoires, qui se déroulent dans un monde secret et obscur peuplé de tortures et viols et surnommé ”archipel de la torture” par le rapport Human Rights Watch de 2012 [en], ce documentaire a ébranlé la loi du silence qui pesait sur les les victimes et laissait ce terrible état de fait très largement passé sous silence.

Selon les estimations de l'ONU, des dizaines de milliers de personnes sont détenues par les forces de sécurité syriennes.

It was October..at night..I was sitting at the bedside pondering what will happen next…the door opens..three enormous men entered. I heard one ask another: ”Who is to start first?” My blood ran cold. What does that mean?

C’était en octobre…en pleine nuit…j’étais assise sur mon lit, me demandant ce qui allait m’arriver… quand soudain, la porte s’est ouverte et trois hommes énormes sont entrés. J’ai entendu l’un d’eux demander à l’autre : “Qui est le premier à commencer ?” Cela m’a glacé le sang. Que voulait-il dire ?

C'est alors que la voix d'une de ces femmes présentées dans le documentaire se brise, tandis qu’elle se remémore les terribles instants qui ont abouti à son viol, dans un des centres de détention bien connu de Syrie.
Arrêtée à un poste de contrôle militaire, dans le Sud de la ville de Daraa, pour avoir pris part à une manifestation pacifiste et contribué à l'action médicale après une répression par l'armée, la femme déclare qu’elle a été accusée de “transporter des armes à destination de terroristes”, une accusation régulièrement lancée contre les opposants du régime de Bachar al Assad.

Elle décrit comment, dans un premier temps, elle a été obligée d'assister au viol d'une femme prénommée Alwa, en guise “d’avertissement”, afin qu'elle comprenne bien le sort qu’il lui serait réservé si elle ne livrait pas toutes les informations qu’elle détenait.

Alwa's hands and legs were pinned down by three men, a fourth on top raping her. She was screaming. What an awful sight! Alwa was unmarried. The wedding dress, party, trills of joy, decoration…Everything she was robbed of came to my mind at that moment.

Les mains et pieds d’Alwa étaient maintenus au sol par trois hommes, tandis qu’un quatrième était sur elle et la violait. Elle criait. C’était une vision d’horreur ! Alwa n’était pas mariée. La robe de mariage, la célébration, les youyous, la décoration…Tout se dont elle était dépossédée m’est apparu à ce moment.

Se livrant dans le noir et avec le visage couvert, la voix et le tremblement des mains de cette femme, de même que son agitation flagrante trahissent l'émotion qui la submerge  tandis qu'elle se remémore ces affreux souvenirs.

Son propre viol s’est déroulé à la célèbre 215e section de sécurité à Kafr Sousa, à Damas. Elle raconte :

Three monsters entered the room. The first started to unzip my jacket. He set off to forcefully remove my clothes. I was in denial as to what was happening. I was screaming…in so much pain…I felt my soul leaving my body. My whole world came tumbling down. I was stark naked when I woke up…the sheets were stained. I could not remember what happened…

Trois monstres sont entrés dans la pièce. Le premier a commencé à baisser la fermeture-éclair de ma veste, puis il a enlevé de force tous mes vêtements. J’étais en plein déni quant à ce qui était en train de se passer. Je hurlais…je ressentais une telle souffrance…J’ai senti mon âme sortir de mon corps. Tout mon monde s’écroulait. A mon réveil, j’étais entièrement nue… les draps souillés. Je ne pouvais pas me rappeler ce qui s’était passé…

Une fois, cinq hommes se sont relayés pour la violer.

With the fourth, I began to feel excruciating pain like I was in labor. I heard one tell another. ‘Go on, it's OK!’ I felt something unusual was happening. When I looked down, I saw a pool of blood underneath me. I tried to rise to my feet but I couldn't, at which point I lost consciousness.

When I woke up, I found myself in a hospital. A doctor told me that I suffered a stroke and lost a lot of blood. The nurse later told me that the doctor made them believe I was dead so that I can escape.

Au quatrième, j’ai ressenti une douleur insoutenable, comme si j’étais en train d’accoucher. J’ai entendu l’un d’eux dire à l’autre “Vas-y, tu peux !” J’ai senti que quelque chose d'anormal se produisait. Quand j’ai regardé, j’ai aperçu une mare de sang sous moi. J’ai essayé de me mettre debout, mais j’en étais incapable, c’est à ce moment-là que j’ai perdu connaissance.

Quand je me suis réveillée, je me trouvais à l'hôpital. Un médecin m’a informé que j’avais  eu un accident vasculaire cérébral et que j'avais perdu énormément de sang. L’infirmière m’a confié par la suite que le docteur leur avait fait croire que j’étais morte afin que je puisse leur échapper.

Parmi les autres survivantes victimes de viol, se trouvait Mariam Khleif originaire d’Hama, étudiante à l'université, employée et mère de quatre enfants. Lors de la répression du régime contre les manifestations se déroulaient dans sa ville natale, elle s’est engagée dans les opérations de secours au milieu d’un nombre ahurissant de morts et blessés, soignant ainsi les blessés dans une antenne chirurgicale à proximité. Mariam a été arrêtée par les forces de sécurité qui ont procédé à un raid dans sa maison peu de temps après que celle-ci eut rendu secrètement visite à sa famille qu’elle n’avait pas vue depuis quatre mois. Témoignant à visage découvert, Mariam décrit le déroulement de son arrestation :

They barged into the house, smashed the door and dragged me on to the street. Men stood watching with their faces cast down, unable to lift a finger.

Ils ont fait irruption dans la maison en enfonçant la porte et m'ont traînée dans la rue. Des hommes ont assisté à la scène en gardant leurs visages baissés, incapable de lever le petit doigt.

Elle fut conduite dans un véhicule blindé où cinq autres femmes étaient rassemblées, parmi lesquelles, Um Mustafa, âgée de 55 ans, qui fut battue à coups de poings et pieds durant tout le trajet les menant à la prison.

Mariam décrit l’inconcevable torture physique qu'elle a endurée et qui lui a causé une sévère insuffisance rénale.

I was hanged from the ceiling…My hands tied to the wall…severely beaten in an unimaginably brutal way.

J’étais suspendue au plafond… Mes mains attachées au mur…et violemment battue de la manière la plus brutale qui soit.

Pendant tout le déroulement des violences, était diffusée une musique chantant les louanges de Bachar al-Assad.

Au moment de décrire les tortures subies, sa voix s’est amenuisée avant qu'elle n'éclate en sanglots :

I thought that was all and they were done with torture. How naïve I was! Everything that happened up to that moment was nothing compared to what was to come…

When the night falls, they would pick beautiful detainees, take them to someone called Lt. Colonel Sulaiman from Tartous. His room had a door leading to another room, equipped with two beds and a table on which all kinds of alcohol were arrayed. He even invited friends to watch the rapings, one of them was a usual visitor called Colonel Jihad, who took part in raping women.

I watched them rape my friend. Another woman was seven months pregnant when they raped her. She had a miscarriage due to brutal rape and the kicks to her belly. I saw it with my own eyes. I was screaming hysterically. No one ever heard…

They would pour Arak [alcoholic spirit] on the bodies of women…

Je pensais que j’en avais terminé avec les tortures. Comme j’étais naïve ! Tout ce qui venait de se dérouler n’était rien en comparaison de ce qui m’attendait…

A la nuit tombée, ils sélectionnaient de jolies détenues pour les amener à un homme nommé lieutenant-colonel Sulaiman, originaire de Tartous. Sa chambre avait une porte donnant sur une autre pièce, meublée de deux lits et d'une table sur laquelle trônaient toutes sortes d’alcools. Il a même invité des amis à assister aux viols, parmi lesquels, un habitué des lieux, le colonel Jihad, qui a pris part aux viols.

J’ai assisté au viol de mon amie. Une autre femme était enceinte de sept mois quand ils l’ont violée. En raison de ce viol brutal et des coups de pieds reçus au ventre, elle a fait une fausse couche. Je l’ai vu de mes propres yeux. Je criais de façon hystérique. Personne n'entendait rien…

Ils versaient de l’arak [alcool spiritueux] sur le corps des femmes…

Mariam elle-même a été victime d’un viol collectif par quatre hommes, parmi lesquels figure le colonel Jihad. Elle décrit les séances de tortures quotidiennes que les femmes subissaient en prison le jour, auxquelles succédaient les viols durant la nuit.

Le viol : une arme de guerre

Une femme officier de Deraa, qui a servi huit ans dans les forces militaires de Bachar al Assad avant sa défection, déclare que les viols, au début, ne se produisaient qu’en centre de détention. En discutant avec elle hors caméra, elle a avoué que très vite, les viols sont devenus beaucoup plus systématiques : les femmes étaient violées aux postes de contrôle, dans les rues, dans les maisons devant leurs maris.

The regime used rape to humiliate the Syrian man. Women were detained to blackmail Syrian men. When a man is engaged in the revolution, his female relatives were detained as a blackmail tactic.

Le régime se servait du viol afin d’humilier les hommes syriens. Les femmes étaient mises en détention afin d’exercer du chantage sur ces derniers. Quand un homme s’engageait dans la révolution, les femmes de sa famille étaient détenues en guise de tactique de chantage.

Obéissant aux ordres des commandants militaires, les femmes proches parentes des opposants au régime de Bachar El Assad, étaient violées durant les raids. Les viols étaient filmés et les vidéos envoyées aux combattants afin de “détruire leur moral”.

Une femme récemment libérée a confirmé une nette augmentation du nombre de femmes détenues dernièrement, et notamment, celles en provenance des zones occupées par les rebelles, attribuant ainsi au régime l'intention de s'en servir comme moyen de négociation pour la libération des prisonniers détenus par l’opposition.

La stigmatisation sociale, blessure surajoutée

Le calvaire de ces femmes violées ne cesse pas pour autant après leur libération. Comme un second coup de couteau dans la plaie, la stigmatisation sociale attachée aux viols et abus sexuels rend leur vie presque impossible.

Tandis que les hommes ayant survécu aux détentions sont célébrés tels des héros, les femmes, quant à elles, ne reçoivent que peu ou pas de sympathie, et sont souvent blâmées pour avoir porté le déshonneur sur leur famille.

Selon une des femmes interrogées durant le tournage :

In a conservative Syrian society, like all Muslim societies, rape shakes basic Islamic values. It desecrates a sacrosanct thing that is a woman's body. It is hard for a Muslim society to reconcile itself to such thing, that's why utmost secrecy is enforced.

When the raped woman is a mother, the life of the entire family is upended.

Dans la société conservatrice syrienne, comme dans toute société musulmane, le viol ébranle les valeurs islamiques de base. Il profane le sacro-saint que représente le corps de la femme. Il est difficile dans une société musulmane de pouvoir reconstruire sa vie après une telle épreuve, c’est la raison pour laquelle le secret le plus total entoure ces agissements.

Quand la femme victime de viol est une mère de famille, la vie de la famille toute entière est bouleversée.

Pour une autre femme, la mort aurait été plus enviable que le viol :

My self-image was tarnished because of a bunch of monsters. Rape is much worse than death.

Many of the raped women were disowned by their families, stigmatized by society.

People tell us that we should not have allowed it to happen. How is that possible? It happened against our will.

L’image que j'ai de moi-même a été ternie par une bande de monstres. Le viol est bien pire que la mort.

Beaucoup de ces femmes violées ont été reniées par leurs familles et stigmatisées par la société.

Les gens nous disent que nous n'aurions pas dû permettre que cela arrive. Comment est-ce possible ? Cela s'est fait contre notre volonté.

Cette culture d’intolérance profite au régime, qui utilise les viols afin d’infliger le plus d’infamie et de déshonneur possible.

Fawziah Hussein al-Khalaf, une survivante du massacre d'al-Houla à Homs, parle également à visage découvert. La milice des chabiha a envahi sa maison. Elle a eu beau supplier ses bourreaux de la violer elle mais d'épargner ses filles, ses suplications sont restées sans effet. Elle a été violée ainsi que ses filles avant que les membres de la milice chabiha ne leur tranchent la gorge l’une après l’autre. Seule Fawziah et sa fille Rasha ont survécu au massacre. Submergées par la honte, elles n’ont, depuis, plus de vie sociale. Elles évitent les rassemblements et ne prennent jamais le bus.

Une ancienne prisonnière de la prison secrète “Afaq”, qui doit sa libération à un échange de prisonniers entre le régime et les partis d’opposition, déclare qu’elle a compté cinq suicides de femmes détenues violées, en l'espace de deux mois. “Les femmes violées sont prises en étau entre le poids du régime et la chape de plomb que représente la société” dit une femme originaire de Deraa.

Comme beaucoup d’autres femmes, Mariam est devenue réfugiée afin d'échapper aux stigmates qui pesaient sur elle et pouvoir ainsi démarrer une nouvelle vie. Des larmes coulent le long de ses joues lorsqu’elle exprime à quel point la Syrie lui manque. Elle explique que le sort qu’a subi Alwa fut bien pire que le sien. Sa mort suspecte laisse en effet supposer par beaucoup qu’elle a été tuée par son père.

I am now divorced with four children. I am a stranger here…I am nothing…a soulless body.

Je suis à présent une femme divorcée avec quatre enfants. Je suis étrangère ici… Je ne suis rien… un corps sans âme.

Réactions contrastées  à la diffusion du documentaire

Le documentaire a provoqué de vives réactions sur les médias sociaux avec de nombreuses personnes partageant la vidéo. Certains ont changé leur photos de profils en y substituant les photos des femmes apparaissant dans le documentaire.

Jean-Pierre Filiu, professeur d’études du Moyen-Orient à Science-Po, l’école parisienne des affaires internationales, a écrit un article pressant le Président français Emmanuel Macron de retirer au dictateur syrien la légion d’honneur française (la plus haute distinction civile française) de la même manière qu’il l’a fait pour le producteur hollywoodien Harvey Weinstein, rappelant au Président français ses précédentes déclarations parmi lesquelles il demandait la destitution et le procès de Bachar al-Assad pour crimes de guerre.

Des activistes syriens, libanais et français ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux, menée en tête par le philosophe français Frédéric Lenoir, en signant une pétition adressée au Président de la République, le pressant d’intervenir en faveur de la libération des femmes syriennes détenues.

Cependant, en dépit de l'indignation soulevée par le documentaire, beaucoup n'ont que très peu d'espoir quant à la possibilité d'aboutissement à des actions concrètes.

Anwar al-Bunni, directeur du Centre syrien des études et de la recherche juridique a un regard pessimiste sur les efforts déployés pour faire comparaître les responsables devant la justice.

The Syrian people now realize that pleas for the world to stop these violations are futile.

Les Syriens réalisent dorénavant que supplier le monde entier de faire cesser ces violations est futile.

Parlant sur Arabi 21, al-Bunni déclare que le régime syrien bloque toute avancée concernant ce dossier, bien que celui-ci soit considéré comme primordial.

The regime is using this file as a weapon. It is impossible to make progress as long as Assad remains in power.

Le régime utilise ce dossier comme une arme. Il sera impossible de faire des progrès aussi longtemps que Bashar al Assad restera au pouvoir.

La Russie et la Chine ont, de manière répétée, utilisé leur veto afin de bloquer toute résolution des Nations Unies contre le régime syrien, protégeant de cette manière leur allié contre d'éventuelles sanctions pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les séances de négociations ayant eu lieu entre le gouvernement syrien et l’opposition se sont soldées par l’absence d'une quelconque avancée sur la situation des détenus.

L’écoeurement que soulève cette inaction chronique, le pessimisme qui en résulte, se retrouvaient à travers les différents témoignages des femmes durant le reportage.

Pour Mariam :

I am convinced that people will see the documentary, look the other way and carry on with their lives as normal. For over five years, we have been calling on the West to push for the release of Syrian women. Nothing has happened.

This is a call for the women of the West…Do something to help Syrian women…

Je suis convaincue que les gens verront ce documentaire, détourneront le regard et continueront comme si de rien n'était. Cela fait plus de cinq ans que nous demandons aux pays occidentaux de plaider en faveur de la libération des détenues syriennes. Mais rien ne se passe.

C’est un appel aux femmes occidentales…. Faites quelque chose pour aider les femmes syriennes…

En Serbie, la censure frappe même une nécrologie

samedi 24 février 2018 à 13:34

La couverture de la deuxième édition du livre “Vučić i cenzura” (Vučić et la censure) du blog de l'auteur, Srđan Škoro. La caricature de la 4e de couverture est de Corax . Utilisé avec permission.

Le 21 février, un journal serbe a censuré une partie de la nécrologie d'un graphiste, dont une des dernières œuvres était un livre sur la censure.

L'Association des journalistes indépendants de Serbie (NUNS) a fermement condamné la censure de la nécrologie parue dans le quotidien Politika de son directeur artistique récemment décédé Darko Novaković (1949 – 2018).

Le quotidien a enlevé la partie de la nécrologie qui indiquait que “un de ses derniers livres était intitulé “Vučić et la censure “, et Darko a eu le courage de signer son travail de son nom et son prénom.”

La nécrologie, ainsi que le livre qui dérange sur le président serbe Aleksandar Vučić [fr], ont été écrits par Srđan Škoro, un ami de Novaković. En réponse à la censure, Srđan Škoro a déclaré :

„Nemam reči, zaista. Kad vlast ozakoni cenzuru, koja je zakonom zabarnjena, onda doživite da se cenzuriše i naslov jedne knjige iz oproštaja od kolege.“

Je n'ai pas de mots, vraiment. Quand un gouvernement légitime la censure, qui est en fait interdite par la loi, on peut alors la faire même sur le titre d'un livre et les derniers adieux à un collègue.

Le fils de Novaković a publié la nécrologie complète sur son site Web et a posté le lien et la photo de son père sur Twitter.

In memoriam – Darko Novaković

Dans leur réaction, les membres de l'Association des journalistes indépendants ont déclaré qu'ils étaient choqués, même si ces dernières années ils se sont “presque habitués à des exemples de censure béate et d'autocensure galopante … Une telle “révision” politique des nécrologies est inconnue même de [leurs] membres les plus anciens.

Un utilisateur de médias sociaux qui a partagé le lien de la nécrologie a comparé la situation actuelle en Serbie, sous le Parti progressiste serbe [fr], avec la répression qui avait lieu lorsque le pays était gouverné par la Ligue des communistes de Yougoslavie [fr], dirigé par Josip Broz Tito [fr].

Les progressistes ont commencé à censurer même les nécrologies. Une telle chose ne s'était jamais produite même pendant le régime de Broz.

NUNS [L'Association des journalistes indépendants de Serbie] condamne la censure d'un article in memoriam dans Politika.
L'UE et le reste du monde libre: “Alors, quoi de neuf en Serbie?”
Serbie: “Censure des nécrologies”
UE: “?!”
Serbie: “Vous n'avez encore rien vu.”