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Vingt-six ans après Moscou, la folie du premier McDonald’s saisit la Sibérie

lundi 11 juillet 2016 à 21:36
McDonald's restaurant in Moscow. Photo: Adam Baker / Flickr / CC 2.0.

Le restaurant McDonald's de Moscou. Photo: Adam Baker / Flickr / CC 2.0.

Un quart de siècle plus tôt, pouvoir acheter un hamburger-frites emballé dans du papier translucide orné d'un “M” couleur or était un luxe à Moscou. Le 1er janvier 1990, quelque 30.000 Moscovites s'alignaient en une file d'attente mémorable devant le premier McDo de l'Union Soviétique, qui ouvrait sur la prestigieuse Place Pouchkine de la capitale.

Si la plus grande chaîne mondiale de fast-food n'excite plus guère les habitants de la Moscou d'aujourd'hui, McDonald's continue à se frayer de nouvelles voies ailleurs en Russie, et à provoquer des ruées qui rappellent la frénésie de son inoubliable première apparition en URSS. Le mois dernier, c'est à Barnaoul, cité de 600.000 âmes dans le sud de la Sibérie, qu'un restaurant de la chaîne a ouvert pour la première fois ses portes. Une foule, surtout d'adolescents, a patienté devant plusieurs heures à l'avance.

Sur les médias sociaux russes, les internautes ont été nombreux à se demander—mi-amusés, mi-inquiets—si la folie McDonald's à Barnaoul signalait le “retour des années 1990”.

Voilà revenues les années 1990. Ceux qui en voulaient le retour, réjouissez-vous. #Barnaoul #McDonalds

D'autres ont plaisanté que ceux qui se gaussaient de McDonald's et les gens qui ont fait la queue n'étaient que des envieux dépités d'être arrivés trop tard pour être en bonne place dans la file d'attente.

Et alors Barnaoul s'est scindé en deux camps : ceux qui ricanent du McDonald's sur les réseaux sociaux, et ceux dans la file d'attente pour l'ouverture

Vu le statut d'icône du capitalisme américain de McDonald's, des utilisateurs de Twitter se sont délectés d'un peu de politisation, en adaptant le mème “KrymNash” (“La Crimée est à nous”) au débarquement de la chaîne étatsunienne de restauration rapide dans le sud de la Sibérie :

Les maudits Amerloques ont occupé Barnaoul et sous la menace des armes ont rassemblé les habitants en file d'attente devant un McDonald's ! Barnaoul est à nous !

Embourgeoisement à la sauce sibérienne

Les médias ont peiné à expliquer l'apparent engouement de Barnaoul pour McDonald's, qui pour les Russes de Moscou a un goût de réchauffé, puisqu'ils y ont goûté dès 1990. Le site web d'information the Village est même allé interroger des sociologues et des psychologues, qui ont conclu que McDonald's, avec sa séduisante “ambiance occidentale” est en phase avec la culture jeune du pays. A en croire ces spécialistes, McDonald's, dans les provinces russes, bénéficie aujourd'hui du facteur “cool” que des chaînes comme Starbucks ont réussi à exploiter dans les quartiers embourgeoisés de nombreuses villes européennes. (Starbucks, soit dit en passant, n'est pas encore arrivé en Sibérie.)

La jeunesse de Barnaoul a visiblement voulu afficher sa consommation de la nourriture et de la marque McDonald's, en agrémentant ses photos du restaurant sur Instagram de mots-clés de la vie ordinaire tout droit sortis du marketing viral de la firme elle-même, comme (en russe) #été, #ville, #j'adore, #superjournée, #humeurd'été, #bonheur, #selfie, et #sourire.

Сегодня этот день войдёт в историю ведь я попробывала еду в макдаке!#макдональдс #арина #лето #Барнаул

A photo posted by @sonya_kuzm on

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La journée d'aujourd'hui entre dans l'histoire j'ai essayé le manger du MacDo ! #McDonalds #Arina #été #Barnaoul

Beaucoup de jeunes femmes qui ont dîné au McDonald's de Barnaoul ont partagé des selfies avec des légendes insistant sur le fait que faire attention à la santé et à la beauté ne devait pas exclure un plaisir coupable occasionnel.

Едем лакомиться фастфудом #макдональдс #диетазадолбала #хочужрать #лето #любовь

A photo posted by Катя Германович (@thegermanovich) on

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Nous partons nous régaler de fast food :) #McDonalds #Fatiguéedurégime #Jeveuxbouffer #Eté #Amour

Comme tous les ados du monde

Les adolescent.e.s russes, et particulièrement ceux et celles de Barnaou, peuvent bien être des retardataires à la table du fast food à l'américaine, les rituels autour du McDo suivis sur les réseaux sociaux sont étonnamment similaires à ceux qui s'observent dans le monde entier. Selon les spécialistes des médias Andrew L. Mendelson et Zizi Papacharissi, les ados de par le monde utilisent les médias pour documenter avec rigueur leurs virées sur les routes, leur fréquentation des chaînes de fast-food, et leur présence aux soirées.

La psychologue Susan Albers indique que l'on ne poste pratiquement jamais des photos d'amis à des endroits comme le McDonald's pour parler de ce qu'on a mangé : il s'agit bien plus de l'ego de l'individu, et de communiquer l'importance sociale de la personne, voire un appel à l'aide (si, par exemple, les habitudes alimentaires décrites sont dangereusement malsaines).

La consommation ostentatoire affichée le mois dernier à Barnaoul rentre dans les schémas décrits par Mendelson, Albers, et autres. Le même comportement aurait peut-être été observable à Moscou en 1990, si des plates-formes comme Instagram avaient existé pour les jeunes partageant un repas entre amis. Ces photos des premiers hamburgers et milkshakes authentiques d'Union Soviétique n'auraient pas manqué d'être un succès viral.

Américains ou apatrides? Des milliers d'adultes dans les limbes juridiques de l'adoption

lundi 11 juillet 2016 à 14:06
Ella Purkiss as a child when she was brought to Dallas as an international adoptee from South Korea. Now she's 62 and will take her oath for US citizenship. Credit: Courtesy of Ella Purkiss

Ella Purkiss enfant, quand elle a été emmenée à Dallas suite à son adoption depuis la Corée du Sud. Elle a aujourd'hui 62 ans et va prêter le serment de citoyenneté américaine. Crédit : autorisation de Ella Purkiss.

L'article de Maura Ewing a été publié sur le site PRI.org le 1er juillet 2016, et est reproduit ici au titre d'un accord de partage de contenu.

En janvier, après treize mois d'attente, Ella Purkiss a enfin été reconnue légataire de son mari décédé. Elle dit que si cela avait duré ne serait-ce qu'un mois de plus, elle aurait été expulsée de son mobile-home à Pahrump dans l'état du Nevada.

Vendredi prochain, après avoir vécu 60 ans aux États-Unis, elle obtiendra enfin la nationalité américaine.

Purkiss a 62 ans et a été adoptée en Corée du Sud en 1956, lorsqu'elle avait deux ans. Pendant toutes ces années, elle a pensé qu'elle était citoyenne américaine — c'est ce que ses parents adoptifs lui avaient dit. Elle a voté aux élections, a fait partie de jurys et a travaillé comme électricienne et coiffeuse.

Elle a donc été surprise lorsqu'elle a appris, deux mois après le décès de son mari en 2014, qu'elle ne pouvait recevoir les allocations de la Sécurité sociale du fait de sa nationalité. Comme elle le disait à PRI en décembre, ses parents adoptifs n'ont pas rempli correctement les documents administratifs quand ils l'ont amenée aux États-Unis.

Elle ne peut pas demander à ses parents ce qui s'est passé car ils sont tous deux décédés. Selon elle, il est possible qu'ils n'aient pas compris la procédure administrative, ou bien qu'ils n'aient pas voulu payer les frais associés. Quoi qu'il en soit, elle est restée dans l'incertitude.

“Si vous ne pouvez pas croire vos parents, qui pouvez-vous croire ?” demande-t-elle. “J'étais un enfant pouvant se retrouver dans la rue et je suis maintenant une senior pouvant se retrouver à la rue. En quoi l'adoption m'a-t-elle aidée ?”

Aujourd'hui, les enfants adoptés à l'étranger n'auront jamais ce problème. Depuis le vote du Child Citizenship Act par le Congrès américain en 2001, ils reçoivent automatiquement la nationalité américaine.

La loi s'applique rétro-activement à tous les enfants âgés de moins de 18 ans au moment du vote, mais Purkiss n'est pas concernée car déjà plus âgée. Les défenseurs de personnes adoptées estiment que 15 000 personnes sont ainsi devenues apatrides.

Purkiss a consulté des avocats sans trouver de solution. Elle a tenté de coopérer avec les bureaux de l'immigration et de la Sécurité sociale mais s'est retrouvée dans un cercle kafkaïen de renvois d'une agence d'état vers une autre.

Confrontée à la perte de son logement et sa possible expulsion vers un pays dont elle n'est pas non plus citoyenne, où elle ne connaît personne et dont elle ne parle pas la langue, elle a refusé d'attendre en silence. Elle s'est adressée aux médias et a écrit à de nombreux sénateurs pour leur demander de l'aide. Elle suppose que la pression médiatique a encouragé le sénateur du Nevada Dean Heller à faire accélérer sa demande de nationalité (le bureau de Heller n'était pas disponible au moment de la rédaction de cet article.)

Elle est nerveuse mais excitée de prêter serment vendredi prochain.

“J'espère que je m'y rendrai sans craquer”, dit-elle avec la voix traînante du Sud. “Dans un sens, je me sens comme un bébé, c'est comme le commencement d'une vie que je pensais vivre mais qui était un mensonge.”

Tout le monde ne se sent pas aussi téméraire que Perkiss avec la presse ou les législateurs. Lisa travaille comme consultante auprès de d'une entreprise californienne classée au Fortune 500 et a adoptée en Iran à l'âge de deux ans. Elle craint de perdre son emploi si elle fait trop de bruit. Elle a demandé de témoigner avec le pseudonyme qu'elle utilise pour des reportages comme celui-ci.

Quand elle a postulé à son emploi en 2007, elle a déclaré qu'elle était citoyenne américaine parce que c'était ce qu'elle croyait. Ce n'est que l'année suivante, lorsqu'elle a demandé un passeport américain, qu'elle a découvert qu'elle n'avait pas été naturalisée.

“Le premier rendez-vous avec l'avocate a été traumatisant”, dit-elle. “Elle a dit ‘S'ils le voulaient, ils pourraient vous déporter.’”

“Que pouvais-je faire ? Je ne parle pas la langue et je n'ai pas la bonne religion. J'étais effrayée, je ne savais pas quoi faire.”

L'avocate lui a suggéré soit de se marier à un citoyen américain, soit de ne rien dire, ce qu'elle a choisi.

En novembre 2015, la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar a proposé une loi pour combler cette lacune et accorder la citoyenneté aux enfants adoptés tels que Perkiss et Lisa.

“Du fait de leur absence de nationalité, les personnes adoptées se sont vues refuser l'accès à l'université et à l'emploi”, a écrit Klobuchar dans une déclaration que s'est procurée PRI. “Cette menace permanente à leur vie quotidienne est injuste et c'est pourquoi je veux obtenir l'appui de mes collègues des deux bords politiques.”

La proposition de loi est en cours d'examen. Emily Kessel, directrice du plaidoyer de l'organisation National Korean American Service & Education Consortium, explique que les législateurs sont inquiets à l'idée de travailler sur tout ce qui touche aux questions d'immigration au cours d'une année électorale.

“Je pense qu'il y a beaucoup de confusion sur le contenu de cette proposition de loi et un réflexe de rejet à son encontre”, dit Kessel. “Les personnes concernées sont désormais adultes. C'est peut-être pour cela que ce n'est pas considéré comme important. Mais nous rappelons aux gens qu'ils étaient des enfants [lorsqu'ils ont été adoptés] et que tous les enfants deviennent adultes.”

Pour les réfugiés du camp de Katsikas, l'horizon reste bouché

lundi 11 juillet 2016 à 11:45
A partly cloudy afternoon over Katsikas camp. Photo by Cristina del Campo Martín. Used with permission.

Nuages d'après-midi au-dessus du camp de Katsikas. Photo de Cristina del Campo Martín. Reproduction autorisée.

Assis sur le sol recouvert de nattes de sa tente et un bras reposant sur le lit de camp fourni par les militaires, Mohanad tire une longue bouffée de sa cigarette. « Nous ne sommes pas partis par choix. Nous avions une maison, un travail, une voiture. »

Son sourire narquois laisse transparaître des mois d'amertume et de frustration. « Et maintenant j'attends. Ça peut prendre des mois, ou des années, de ma vie. Je ne sais pas. »

« Ce n'est pas une vie – c'est de la survie. »

Début mars, dans l'espoir de trouver un lieu sûr pour fonder une famille, Mohanad a quitté son foyer près de la ville syrienne de Homs et, comme des centaines de milliers de personnes avant lui, il a traversé la Turquie, la Méditerranée et l'île de Lesbos pour se rendre en Grèce continentale. Aujourd'hui, il fait partie des quelques 800 personnes qui vivent dans le camp de Katsikas, un camp de réfugiés administré par l'armée à six kilomètres de la ville de Ioannina dans le nord-ouest de la Grèce. Un de la quarantaine de camps de ce type apparus dans le pays depuis l'hiver dernier.

En arrivant à Katsikas mi-avril, j'ai été immédiatement frappé par le contraste offert par l'environnement : des montagnes enneigées pittoresques aux contreforts vallonnés au premier plan surplombent l'horizon, alors que le camp est un océan poussiéreux de rochers déchiquetés et de rangées de tentes triangulaires identiques.

On attribue à chaque grande tente une combinaison lettre/numéro, et les rangées et sections des tentes correspondent aux communautés ethniques et linguistiques : Syriens-Palestiniens, Kurdes irakiens, Yézidis, Afghans, et ainsi de suite. Le temps dans la région est instable et très contrasté, passant d'un ciel bleu dégagé où le soleil darde ses rayons à de fortes pluies incessantes, souvent pour deux jours ou plus d'affilée.

Clothing hangs out to dry between tents in row A. Katsikas, northern Greece. Photo by author.

Des vêtements mis à sécher entre deux tentes dans l'allée A. Katsikas, dans le nord de la Grèce. Photo de l'auteur.

Lorsqu'elle est venue pour la première fois à Katsikas en mars dans le but de poursuivre son travail de bénévole en Grèce, María Peñalosa imaginait qu'elle aiderait essentiellement à distribuer du lait, des couches et autres produits de première nécessité dans le camp tout juste construit. « Nous étions sept pour 1200 réfugiés lors de notre arrivée, » se souvient-elle. « Tout le monde se gelait, et il n'y avait absolument rien dans le camp en-dehors des tentes elles-mêmes, sans [revêtement de] sol. Les gens n'avaient pas de chaussures, de chaussettes ou d'habits appropriés – la situation était désespérée. »

Après quelques semaines particulièrement agitées, une chaîne de soutien a commencé à se former. Quelques petites ONG sont arrivées à Katsikas, tout comme un nombre croissant de bénévoles et des dons de plus en plus importants de nourriture, de vêtements et autres produits de base venus de toute l'Europe. A l'exception d'un petite minorité de personnes séjournant sur le long terme comme c'est le cas de María, la liste des bénévoles évolue régulièrement et compte souvent autour de 40 personnes.

A Katsikas, les bénévoles sont parvenus grâce à leur créativité et à leur ténacité à améliorer les conditions de vie quotidiennes de ceux qui vivent au camp. Ils ont mis en place un système de distribution équitable pour les vêtements et les produits de première nécessité, ont organisé des cours de langue et des séances de cinéma en soirée, ont préparé des repas copieux pour compléter les rations militaires tout juste mangeables et aux apports nutritionnels insuffisants, et ont construit des espaces collectifs et des cabines de douche réservées aux femmes – et ce ne sont là que quelques-unes de leurs nombreuses initiatives.

Cependant, en dépit de ces efforts, les conditions de vie dans le camp demeurent précaires. Les tentes prennent l'eau lorsqu'il pleut et il y règne une chaleur étouffante lorsqu'il fait chaud ; les toilettes portables sont franchement insalubres ; le système d'assainissement est défaillant, et les flaques d'eau stagnante constituent un terrain propice à la multiplication des insectes. Les espaces collectifs pour les femmes manquent. Les enfants, qui représentent environ un tiers de la population du camp, sont particulièrement vulnérables aux maladies – et s'ennuient en permanence.

Children play on an improvised swing next to their tent in Katsikas. Photo by Cristina del Campo Martín. Used with permission.

Des enfants jouent sur une balançoire improvisée près de leur tente à Katsikas. Photo de Cristina del Campo Martín. Reproduction autorisée.

Et pourtant, Katsikas est loin d'être parmi les pires camps gérés par l'armée en Grèce. La presse a révélé l'état tout à fait déplorable de nombreux camps en Grèce continentale, surtout depuis que la police grecque a évacué l'immense camp de réfugiés improvisé d'Idomeni fin mai et réparti les milliers de réfugiés encore sur place sur de nouveaux sites officiels.

Au cours d'un autre après-midi dans la tente de Mohanad, celui-ci a évoqué une courte conversation qu'il avait eue sur WhatsApp avec une connaissance de Syrie actuellement bloquée dans un centre de détention sur l'île de Chios.

« Je suppose que je fais partie de ceux qui ont eu de la chance. »

Il fait référence à sa date d'arrivée en Grèce le 19 mars, un jour avant que l'accord entre l'Union européenne et la Turquie sur les réfugiés n'entre en vigueur et que les « points chauds » recensés sur les îles grecques au large des côtes turques ne deviennent des centres de détention fermés.

Bien sûr, aucune des vagues promesses ou des propositions ridiculement alambiquées de l'accord n'allait jamais se concrétiser, notamment parce qu'un grand nombre des mesures suggérées ne respectent pas la législation internationale sur les droits humains, et parce que l'idée de permettre aux citoyens turcs de voyager sans visa dans l'Union européenne dans un délai de trois mois n'a jamais vraiment été à l'ordre du jour. L'accord était une manœuvre politique évidente destinée à faire retomber la pression vis-à-vis des dirigeants européens accusés de ne rien faire ou presque pour gérer – ou, plus exactement, arrêter – le flot continu de réfugiés de la Turquie vers la Grèce.

An illustration by a refugee living at Katsikas camp shows the details of his journey to Greece. Photo by Andrew Huang, drawing by Kawa. Used with permission.

Une illustration réalisée par un réfugié du camp de Katsikas retrace les étapes de son périple vers la Grèce. Photo d'Andrew Huang, dessin de Kawa. Reproduction autorisée.

Cette stratégie politique grossière a de graves conséquences humaines. La notion clé de l'accord est celle-même qui continue d'inspirer les politiques migratoires dans l'UE et au-delà : la dissuasion. Rendez la vie de ceux qui arrivent de plus en plus exécrable, et ceux qui ne sont pas encore venus saisiront l'allusion et resteront chez eux ; offrez des conditions de vie sûres et dignes, et cela ouvrira les vannes. C'est une approche qui témoigne d'une absence totale de compréhension de la gravité de la situation en zone de conflit, et qui évacue toute référence aux droits humains et à la compassion la plus élémentaire.

Au cours des cinq semaines que j'ai passées en tant que bénévole à Katsikas, on m'a parlé des vies sacrifiées dans les villes qui sont devenues synonymes d'atrocités ignobles et de violence impitoyable : Raqqa, Mossoul, Sinjar, Palmyre, Alep. Pourtant, le fait de fuir certains des endroits les plus dangereux de la planète condamne aujourd'hui à des conditions de vie médiocres et un état d'incertitude perpétuelle à devenir fou ; le même principe de dissuasion est à l’œuvre.

Fin mai, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a annoncé qu'il allait collaborer avec le Service d'asile grec afin de débuter le pré-enregistrement des réfugiés dans les camps sur le continent, un passage obligatoire dans le processus extrêmement long de la demande d'asile en Grèce ou ailleurs en Europe. Fin juin, personne à Katsikas n'a encore pu entamer les démarches ; les dernières informations font état d'un démarrage mi-juillet, mais les prévisions officielles ne sont plus que rarement prises au sérieux. Dans cette procédure graduelle qui avance à pas de tortue, les réfugiés de Katsikas en sont toujours au stade initial. Alors que beaucoup abordent leur quatrième mois au camp et que l'été grec devient plus torride, ils continueront à être poussés à bout  – et au-delà. Pour eux comme pour près de 50,000 autres réfugiés bloqués en Grèce, l'horizon reste bouché.

A refugee at Katsikas camp takes a throw-in in a game of football on a nearby field. Photo by author.

Un réfugié du camp de Katsikas remet le ballon en jeu lors d'un match de football dans un pré avoisinant. Photo de l'auteur.

Le poème d'une femme pour les réfugiés syriens, dont son cousin, mort en Méditerranée

lundi 11 juillet 2016 à 11:32

[Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais]

Cet article, écrit par Jared Goyette et Steven Davy pour The World est initialement paru sur PRI.org le 19 novembre 2015. Il est republié ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Zena Agha, 23 ans, étudie à l'université de Harvard et s'adonne à la poésie orale. Elle comprend la crise des réfugiés plus intimement que la plupart de ses pairs.

Un an jour pour jour avant l’enregistrement de cette vidéo –le 16 novembre dernier – elle a appris que son cousin Amjad, qui vivait à Damas, avait trouvé la mort sur un bateau de migrants qui a probablement chaviré sur le trajet entre la Turquie et la Grèce.

Amjad occupait ses pensées, et c’est alors qu’elle a écrit ce poème, “la Mer est Grande”, qu'elle a présenté au forum de PRI sur la crise des réfugiés à la Harvard Kennedy School.

“Je pense qu'il est important d’évoquer cet événement et d’avoir cette conversation maintenant parce qu’il semble que les liens qui nous unissent  s’effilochent progressivement », déclare Agha. Je prévois de sombres périodes à venir, en particulier avec la question des réfugiés à Paris, et les plus vulnérables au sein de la société étant accusés, par inadvertance ou non, des faits, et n'ayant pas la possibilité de s'exprimer.”

Elle espère que le poème permettra aux auditeurs de réfléchir plus profondément à la crise des réfugiés, à la façon dont ils la comprennent et les poussera peut-être à agir.

“Si je peux provoquer cela chez les gens, les faire penser à la vulnérabilité [des réfugiés] et les aider réellement à franchir le pas, ce saut dans l'inconnu, loin de tout ca qu'ils connaissent” dit-elle. “Si je peux créer un lien d’empathie pour eux, à travers le poème, cela constituera vraiment une belle réussite. »

Le côté paternel de sa famille est d'origine palestinienne et installé à Damas depuis 1967. Son père est parti enseigner en Algérie puis a migré à Londres dans les années 70 avec 200 francs en poche. “Il y est allé fonder une compagnie maritime axée sur l'envoi de marchandises au Moyen-Orient. Ses deux frères et sa soeur sont restés en Syrie. C'est au cours de visites familiales qu'Agha, qui a grandi à Londres, a appris à connaître son cousin, Amjad.

Son père a dit qu’Amjad avait essayé de traverser la Méditerranée. Elle s'est effondrée quand elle a découvert qu’Amjad, comme tant d'autres, avait échoué.

“L'année dernière, j'ai pleuré sous la douche pendant longtemps. Et cette année j'ai pris une profonde inspiration après avoir produit le dernier jet [du poème], et j'ai pensé ‘ C’est moi, apportant ma contribution pour lui et pour tous les autres, donc à bien des égards, cela a eu un impact sur moi lors de l’écriture, cela a eu un impact sur moi lors de l'interprétation. Cela me cause beaucoup de chagrin si j'y pense, mais j'éprouve aussi un sentiment d'émancipation parce que sans leur lutte, je ne serais pas qui je suis. Et sans son histoire, je n'aurais pas la capacité d’essayer et de partager. Et c'est un rappel quotidien que je suis privilégiée et que je dois en faire bon usage.”

C'est une personne parmi beaucoup d’autres. Il n'est pas anonyme et sans visage, comme des centaines voire des milliers le sont, mais cela ne change rien à la situation. Il est dans mes pensées, ils sont tous dans mes pensées, mais je me dis aussi que ce pourrait tout aussi bien être moi. Il n’y a aucune différence dans notre sang, ni dans nos gènes et si je devais m'attarder sur l'injustice, cela me rendrait folle, et donc au lieu de cela, je l’écris et je l'interprète.”

Voici d'autres poèmes qui évoquent la condition de réfugié :

La capitale du Kazakhstan tient son millionième habitant ? Rien n'est moins sûr

lundi 11 juillet 2016 à 11:12
Astana. A million strong.

Astana : un million d'habitant ? Photo Wikipedia.

Les chiffres et le monumental sont les marottes de Noursoultan Nazarbaïev, le dictateur âgé de 75 ans de la république ex-soviétique du Kazakhstan.

Prenons sa réélection non compétitive au poste de président en mars dernier, dans laquelle il a revendiqué une victoire record avec 97,7 % des voix et un taux de participation record de 95,1 %. Si cette élection devait être sa dernière – ce que certains prédisaient à ce moment-là sans que personne ne puisse en être sûr – il fallait que ce soit la meilleure.

Cette semaine, Nazarbaïev a encore joué au jeu des nombres en revendiquant de manière audacieuse que la capitale de la république, Astana – une petite ville provinciale qu'il a transformée grâce à la richesse pétrolière en hub des steppes ultra-moderne – avait atteint le million d'habitants. Dans un discours du le 4 juillet, deux jours avant la Fête d'Astana et 25ème anniversaire l'indépendance du Kazakhstan, l'autocrate vétéran a déclaré :

Хочу с большой радостью объявить, что сегодня родился миллионный житель Астаны. В семье Мухамедьяровых, она – воспитатель, он – электромонтер. Теперь Астана – город с миллионным жителем. Поздравляю вас!

C'est avec grand plaisir que j'annonce la nasissance aujourd'hui du millionième habitant d'Astana. Le bébé est né au sein de la famille Mukhamediarov. La mère est éducatrice et le père électricien. Maintenant Astana est un ville d'un million d'habitants. Félicitations !

Une dose de bonnes nouvelles au milieu des difficultés économiques montantes, ça ne peut faire que du bien. Malgré tout, l'affirmation de Nazarbaïev est contestable.

Selon le service national de statistiques, Astana comptait 862.750 habitants au début de l'année. En mai ils étaient 876.000. Les résidents de la ville classent habituellement la population dans le champ des 800 à 900.000.

Le décalage entre les chiffres officiels et ceux de l'autocratique premier magistrat du pays ont immédiatement suscité les boutades du très suivi utilisateur de Twitter Rinat Balgabaïev :

Juste avant la fête nationale est né le millionième habitant d'Astana ! Il ne nous reste qu'à mettre au monde tous les bébés du 800.000ème au 999.999ème !

Et encore :

Je regarde [notre nouveau maire] d'un oeil neuf. Depuis qu'il est arrivé, la fertilité est relancée !

Ou celui-ci :

Dans la capitale, même les enfants sont prévus au “Plan quinquennal de développement de la ville d'Astana 2016-2020″.

Astana, la deuxième capitale la plus froide du monde après celle de Mongolie, a certes une population en rapide augmentation, mais comme l'a fait remarquer un autre utilisateur de Twitter, une partie fait la navette avec l'ancienne capitale, Almaty, plus habitable et qui compte plus d'1,5 million de personnes.

De toute façon, même avec la marge d'erreur dans les modèles des statisticiens, il est peu probable que plus de 100.000 personnes aient déménagé à Astana dans les deux derniers mois, et la coïncidence serait trop belle si le millionième habitant avait vu le jour juste avant que la cité se congratule.

Il y a maintenant plus d'un quart de siècle que Nazarbaïev est la voix qui fait autorité au Kazakhstan, mais à l'approche de ses 76 ans, ses apparitions publiques se teintent de surréalisme, avec des déclarations d'homme politique ayant perdu le contact avec le quotidien de ses administrés.

Visiblement hanté par une place dans l'Histoire obérée par la chute des prix du pétrole et la stagnation économique dans la Russie voisine, il se peut que le président lui-même ne soit plus capable de distinguer la réalité de la fiction.

Ceci pendant que le reste du pays doit faire de son mieux pour suivre.

Le président a dit un million. Le président ne se trompe jamais.