PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Lettre d’une Cubaine à Donald Trump

lundi 26 juin 2017 à 23:38
"Havana". Photo by Flickr user Pedro Szekely. Used under CC 2.0 license.

« La Havane ». Photo de l'utilisateur Flickr Pedro Szekely, publiée sous licence CC 2.0.

Donald Trump :

Connaissez-vous la signification du mot dignité ?

Les mesures que vous avez annoncées vendredi 16 juin 2017, Président Trump, sont pathétiques. Aussi pathétiques que ce groupe de personnes qui se considèrent cubaines et se rassemblent autour du dirigeant d’un autre pays en le suppliant d’étouffer économiquement les leurs, que ceux qui crient Viva Cuba libre de l’autre côté du détroit de Floride ou que le membre du Congrès qui croit connaître le pays d’où sont originaires ses parents sans y avoir mis les pieds ou cet autre qui arrive à peine à prononcer le mot « liberté » avec la beauté et la facilité de l’espagnol. Elles traduisent un manque de respect pour le gouvernement cubain, pour le peuple cubain, pour moi.

Une absolue arrogance — un mot qui rime avec « ignorance » et ce n’est pas une coïncidence — caractérise votre présidence, prenant de nouvelles proportions le 16 juin 2017. Impossible de demander à un président incapable de comprendre les principes élémentaires du réchauffement climatique (particulièrement visible dans l’État où se situe sa propriété chérie) de saisir la complexité d’un pays comme Cuba. Un président qui s’est montré incapable de s’engager en faveur du futur de l’humanité ne saurait s’engager en faveur du futur d’une petite île des Caraïbes et de ses citoyens. Pourtant, cela aurait été extrêmement simple. Tout ce que les citoyens cubains demandent aux États-Unis, et ce depuis toujours, c’est le respect. Précisément ce qui a manqué le 16 juin dernier.

Au début de ma lettre, Monsieur le Président, je vous demandais si vous connaissiez la signification du mot « dignité ». Pour un dirigeant, faire preuve de dignité est chose aisée. Pas besoin de s’interroger sur que manger, où dormir ou ce que les enfants se mettront sur le dos. Ce sont les individus, pas les gouvernements, qui peuvent s’enorgueillirent d'être dignes, car ce sont eux qui doivent prendre des décisions difficiles. Je viens d’une famille pauvre et digne. Les membres de ma famille sont nés dans la pauvreté et la dignité, et le sont restés pour près de trois générations. Ils travaillaient comme enseignants de niveau primaire, bibliothécaires, assistants scolaires, techniciens, gardiens de troupeaux ou paysans. Quand, à 9 ans, ma mère m’a demandé ce que je souhaiterais étudier si j’entrais à l’université, j'ai répondu : « Tout sauf maîtresse, parce que je ne veux plus que nous soyons aussi pauvres. »

Les fenêtres de la chambre de ma mère ont été réglées avec l’argent de la vente de deux moutons orphelins nourris au biberon durant des mois. J'ai le même lit depuis 25 ans. Je me souviens de chacune de mes paires de chaussures de la première à la sixième, pas compliqué quand on n'en a eu que trois. Je peux vous parler de la première fois que j'ai vu un étranger jeter des bonbons depuis la fenêtre de sa voiture de location sur la plage de Guanabo, parce que je n’en avais encore jamais vu de si colorés. Je me souviens de chacun des livres lus de la septième à la neuvième, parce qu’ils m'ont sauvée de la Période spéciale [NDT : nom donné à la crise économique qui a suivi la chute de l’URSS].

Malgré toutes ces difficultés économiques, j’ai réussi, d’une manière ou d’une autre, à être heureuse. Les mangues, la saison des tomates et les montagnes qui entouraient ma maison m’ont rendue heureuse. J’ai inventé des milliers d’histoires pour tenter de donner un sens à cette pauvreté et la convertir en richesse spirituelle. Un jour, j'ai raconté à mes copains d’école qu’en traçant tout droit derrière ma maison à travers la montagne, il était possible d’atteindre la base navale de Guantanamo. Ce lieu, apprécié des pêcheurs cubains avant d’accueillir un camp de détention, me semblait proche à cause des nombreuses informations à ce sujet entendues et du mystère qui l’entourait. À mes camarades, je parlais des champs de mines, de la mer, du visage des soldats cubains, des visages américains, des maisons rurales. La pauvreté m’a appris l’imagination. Je ne pense pas que tous les enfants doivent connaître la pauvreté pour développer leur imagination. Ce que je veux dire, peut-être avec un esprit un peu tordu, c’est que nous avons appris à surmonter les obstacles que la réalité dressait devant nous.

Les rues de tout le pays sont emplies d’histoires semblables. Le 17 décembre 2014, Barack Obama [EN] a montré qu’une autre réalité était possible. Mais, pour être franche, nous avons appris à nous méfier et je suis convaincue que les mesures annoncées la semaine dernière ont surpris peu de Cubains. Nous avons appris à attendre le pire et à célébrer le meilleur, lorsqu’il se produit. Mais, c’est presque jamais le cas. Nous n’avons pas bénéficié de hausse des salaires, n’avons pas obtenu l’accès Internet nécessaire ; les réformes constitutionnelles demandées n’ont pas été engagées ; nous n’avons connu ni économie prospère ni socialisme durable, rien. Nous avons connu la réforme migratoire, la fin de la carte blanche, l’ouverture du secteur privé, la possibilité d’acheter et de vendre des voitures et des maisons, ainsi que quelques autres faveurs euphémiquement appelées réformes. Dans ces bras de fer entre citoyens et gouvernement, nous avons remporté des batailles, mais d’autres victoires, dettes séculaires d’un pays envers ses habitants, commencent à s'effondrer.

Répétez après moi, Monsieur le Président : « L’accès à l’éducation devrait être gratuit et universel. » Il ne s’agit pas d’une déclaration à la Bernie Sanders, mais d’un objectif que plusieurs pays infiniment plus pauvres que le vôtre ont réussi à atteindre. Répétez après moi, Monsieur le Président : « L’accès aux soins devrait être gratuit et universel. » Une autre manière non seulement pour Cuba, mais aussi pour Singapour, l’Irlande ou le Canada de ridiculiser votre pays. Une terrible conspiration internationale visant à placer les États-Unis dans une position inconfortable.

Fini les voyages personnels des citoyens américains. Savez-vous à qui nuit cette décision ? En premier lieu, aux citoyens de votre pays, un pays qui se vante de sa liberté et permet à son gouvernement de limiter sa liberté de mouvement (inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme) et, en second lieu, au gouvernement des États-Unis. Quel type de puissance mondiale croit que permettre à ses citoyens de se rendre sur une île qui compte 11 millions d’habitants et un président nommé Castro ne servirait qu’à enrichir ce gouvernement ? Avez-vous déjà vu un membre du gouvernement cubain nettoyer les chambres de l’Hotel Saratoga, servir dans les nombreux restaurants ou tavernes de la Havane ou planter des aliments bio dont les Américains raffolent tant ? Avez-vous vu Raúl Castro vendre des souvenirs sur la Place de la Cathédrale, José Ramón Machado Ventura prendre le bus pour se rendre tôt le matin au travail, la maison de Ramiro Valdés en location sur AirBnb, Miguel Díaz Canel proposant une course aller-retour en taxi entre la ville et l'aéroport à un habitant du Kentucky ou Lázara Mercedes López Acea nettoyer des toilettes au Terminal 3 ? Je vais vous aider pour la réponse : c’est non. Ce ne sont pas uniquement les personnes mentionnées précédemment qui bénéficient de l’augmentation du tourisme américain sur notre île. Le gouvernement empoche une part, évidemment, vous devez le savoir en tant que dirigeant, mais cela bénéficie aussi aux citoyens lambda : la serveuse, le paysan, le chauffeur de taxi, la femme de ménage…

Vous n’avez même pas eu le courage de George W. Bush d’interrompre les transferts d’argent, les voyages et les visas. Vos mesures ne représentent rien de plus que des mesures de confinement visant à calmer Marco Rubio, votre adversaire lors de la campagne présidentielle, qui vous a ridiculisé à plusieurs reprises. Non qu’il soit spécialement brillant, mais parce qu'il est si facile de se moquer de vous. Vos mesures empestent la lâcheté. Elles ne forment qu’un écran de fumée, une distraction pour attirer l'attention de vos citoyens loin des réels problèmes de  votre pays. Et je ne fais même pas allusion au futur de votre pays, mais bien à son état actuel. Vos mesures, Monsieur le Président, sont le résultat d'une arrogance et d’un manque de respect politique. Si d’autres pays cèdent devant le vôtre, Cuba n’a jamais adopté cette position et ne commencera pas aujourd’hui. Peut-être que l’accord passé avec M. Obama est parti en eau de boudin, mais notre dignité reste intacte.

 

Une femme transgenre s'exprime sur les persécutions en Tchétchénie et la vie avant Kadyrov

lundi 26 juin 2017 à 15:35

Carte de la Tchétchénie, des fédérations et pays environnants. Auteur : Peter Fitzgerald. Creative Commons.

L'article suivant fut écrit par Aida Mirmaksumova et initialement publié sur OC Media. Il est reproduit ici dans le cadre d'un partenariat de partage de contenu.

Les personnes LGBTQ du Caucase sont confrontées à de nombreux obstacles : discrimination, violences physiques et sexuelles, chantage. Récemment, des militants ont découvert avec horreur des preuves de la persécution des homosexuels en Tchétchénie. Mais la menace qui pèse sur la communauté LGBTQ de ce pays ne s'est pas matérialisée du jour au lendemain. OC Media s'est entretenu avec une femme transgenre originaire de Grozny, qui a partagé avec nous certaines de ses expériences et nous a expliqué ce qui est en train de se passer dans la république.

Les droits des personnes LGBTQ en Tchétchénie se sont retrouvés sous les projecteurs mondiaux il y a quelques mois, après la diffusion de reportages sur l'enlèvement, la torture et le meurtre d'hommes homosexuels dans la république. Ces informations virent le jour grâce à Elena Milashina, journaliste pour Novaya Gazeta, qui révéla comment les autorités tchétchènes raflaient des hommes soupçonnés d'être homosexuels et les envoyaient dans des prisons secrètes à Argun.

« Vous avez accouché d'un monstre »

Sabrina (prénom d'emprunt) est une femme transgenre, née et élevée à Grozny. Elle s'est sentie femme depuis l'enfance. En atteignant l'âge adulte, elle s'est rendu compte qu'elle n'était pas en sécurité en Tchétchénie et a déménagé à Moscou. Après qu'un groupe de Tchétchènes ait découvert le changement de sexe de leur compatriote, une traque s'organisa pour la retrouver. Au final, craignant pour sa vie, elle déménagea aux États-Unis.

Sabrina: I worked as a volunteer at a human rights organisation. Once I was told that that someone needed my help. It was an acquaintance from Daghestan, a transgender woman. She had problems; she was in danger. I immediately took her in, because she didn’t have any money. While I was trying to help her, someone I considered a friend made copies of my documents and posted them all over the internet along with my phone number and photo, sending them to his Chechen affiliates with a following note: ‘So there are no men left in Chechnya that can remove this shame?’ After that, photos of my documents were widely spread across WhatsApp.

On October 10, 2015 I was attacked. I was taking shopping bags from the backseat of my car. I heard a man’s voice: ‘This is a gift to you from your uncle’.

When I looked around I felt something in my body, but there was no pain. Then I heard another sentence, but in Chechen: ‘How long are you going to disgrace the family, scum?’ I didn’t know this person. I remember that it was a young man, under 30. Then I lost consciousness. I woke up in the hospital. Apparently some women saw everything and began yelling. The man ran away. The women called an ambulance. I learned at the hospital that I had two stab wounds in my right lung.

Sabrina : J'étais bénévole dans une organisation de défense des droits de l'homme. Un jour, on m'a dit que quelqu'un avait besoin de mon aide. C'était une connaissance du Daghestan, une femme transgenre. Elle avait des ennuis, elle était en danger. Je l'ai immédiatement prise sous mon aile, car elle n'avait pas d'argent. Alors que j'essayais de l'aider, quelqu'un que je pensais être un ami fit des photocopies de mes documents d'identité et les publia sur internet, accompagnés de mon numéro de téléphone et une photo de moi, et envoya le tout à ses affiliés tchétchènes avec le mot suivant : « N'y a-t-il plus d'hommes en Tchétchénie pour nous débarrasser de cette honte ? » Après cela, des photos de mes documents furent largement diffusées sur WhatsApp.

Le 10 octobre 2015, je fus agressée. J'étais en train d'attraper mes sacs de courses depuis le siège arrière de ma voiture lorsque j'entendis une voix d'homme : « Un cadeau de la part de ton oncle ».

Lorsque je me suis retournée, j'ai senti quelque chose dans mon corps, mais ce n'était pas douloureux. Puis j'entendis une autre phrase, en tchétchène cette fois : « Combien de temps encore vas-tu humilier la famille, saloperie ? » Je ne connaissais pas cette personne. Je me souviens que c'était un jeune homme, de moins de 30 ans. Puis je me suis évanouie. Je me suis réveillée à l'hôpital. Apparemment, des femmes avaient tout vu et avaient crié à l'aide. L'homme s'est enfui. Les femmes ont appelé une ambulance. J'ai appris, une fois à l'hôpital, que j'avais été poignardée deux fois dans mon poumon droit.

OC Media : Dans quelle pièce vous ont-ils mise à l'hôpital, celle des hommes ou celle des femmes ?

Sabrina: I have old documents with my male name, but the doctor understood everything and put me in the women’s room. I am very thankful to him for this. When I first saw his name on the door, I was crazily afraid — a Muslim name, Caucasian. But he turned out to be a decent man. I am grateful for his attitude towards me.

I spent more than a month in hospital. Last February I received threats. They called me, relatives wrote to me, strangers, some unknown people. A nightmare began. Neighbours and some distant relatives were coming to my family. They were demanding that I move back to Chechnya to prove that this [the sex change] was all a lie. There were crazy demands. Some people said that I had to prove it by walking through the streets topless. Some people said that I had to speak on the official Grozny TV and say that I hadn’t changed my sex, that it was all slander and photoshop. How could I speak on TV with C-cup breasts?

Sabrina : Mes documents d'identité sont à mon ancien nom d'homme, mais le docteur a tout compris et m'a mise dans la partie pour les femmes de l'hôpital. Je lui en suis très reconnaissante. Lorsque j'ai vu son nom sur la porte pour la première fois, j'ai eu très peur : un nom musulman, caucasien. Mais il s'est avéré être quelqu'un de bien. Je lui suis reconnaissante pour son attitude envers moi.

J'ai passé plus d'un mois à l'hôpital. En février dernier, j'ai reçu des menaces. Ils m'ont appellée, des personnes de ma famille m'ont écrit, des étrangers, certaines personnes que je ne connaissais pas. Le cauchemar commença. Des voisins et des parents éloignés sont allés voir ma famille. Ils exigeaient que je revienne habiter en Tchétchénie pour prouver que cela [le changement de sexe] était un mensonge. C'étaient des exigences ridicules. Certaines personnes ont dit que je devais le prouver en marchant dans la rue torse nu. D'autres ont dit que je devais m'exprimer à la télévision officielle de Grozny et déclarer que je n'avais pas changé de sexe, que tout cela n'était que de la diffamation et du montage Photoshop. Comment aurais-je pu passer à la télévision avec un bonnet C ?

OC Media : Comment est-ce que votre famille a réagi à cette pression ?

Sabrina: They still cope with it. Some elderly people from the street approached my mum once. They told her: ‘You gave birth to a freak who disgraced not only your family, but the entire republic. We cannot touch you, because you are a pious woman, but you must leave’. Mum couldn’t take any more and put a noose around her neck. Luckily, neighbours came and saved her.

During that time I had to switch flats several times a day. I would move into one flat and in a few hours a car would park under the flat's windows with the number 95 numberplate, [from Chechnya], and tinted windows. After the third time I understood that something was wrong. My friends, human rights activists, checked the number plates; it turned out that they were looking for me.

Sabrina : Ils la subissent toujours. Des petits vieux vivant dans la même rue ont abordé ma mère un jour. Ils lui ont dit : « Vous avez accouché d'un monstre qui a déshonoré non seulement votre famille, mais la république entière. On ne peut rien vous faire car vous êtes une femme pieuse, mais vous devez partir. » Maman n'en pouvait plus, elle s'est passé une corde autour au cou. Heureusement, des voisins sont accourus et l'ont sauvée.

Pendant cette période, je devais changer d'appartement plusieurs fois par jour. Chaque fois que j'emménageais quelque part, une voiture avec des vitres teintées et le numéro 95 sur sa plaque d'immatriculation [indiquant une voiture en provenance de Tchétchénie] se garait sous ma fenêtre quelques heures après. Après la troisième fois, j'ai compris que quelque chose ne tournait pas rond. Mes amis, des militants pour la défense des droits de l'homme, ont vérifié la plaque d'immatriculation ; il se trouve qu'ils me poursuivaient.

OC Media : Comment avez-vous quitté le pays ?

Sabrina: Activists helped me. I don't want to say their names, for safety reasons, but I want to say that I remember everyone, they really helped me.

With their help I left the country, but something unbelievable happened. I still cannot understand how it was possible.

Right before my departure from Moscow, I purchased a new sim card in order to call my mother once I arrived. I bought it without registration, without documents, without anything. I broke my previous sim card and put it in the bin. I arrived and checked into my hotel. The number was registered to a stranger.

I put the sim card in my phone. I tried to call my mother through WhatsApp and at the same moment I received a message: ‘Do you think you are safe because you left the country? We have our people there who have already been notified which hotel you are in, and even about your room number. To assure you that we know, your room number is 115’. Can you imagine?! This was indeed my room number.

Sabrina : Avec l'aide de militants. Je ne veux pas dire leurs noms, pour des raisons de sécurité, mais je voudrais dire que je me souviens de tout le monde, ils m'ont vraiment aidée.

J'ai quitté le pays grâce à leur aide, mais quelque chose d'incroyable s'est produit. Je ne comprends toujours pas comment cela a pu arriver.

Juste avant mon départ de Moscou, j'ai acheté une nouvelle carte sim pour pouvoir appeller ma mère en arrivant. Je l'ai achetée sans enregistrement, sans documents d'identité, rien du tout. J'ai cassé ma carte précédente et l'ai jetée à la poubelle. Puis je suis arrivée, et me suis enregistrée à l'hôtel. Le numéro était celui d'un étranger.

J'ai mis la carte sim dans mon téléphone. J'ai essayé d’appeler ma mère via WhatsApp et j'ai reçu un message au même moment : « Tu penses que tu es en sécurité maintenant que tu as quitté le pays ? On a déjà donné le nom de ton hotel aux notres sur place, et même le numéro de ta chambre. Pour te prouver que nous ne bluffons pas, le numéro de ta chambre est 115. » Vous vous imaginez ?! C'était effectivement le numéro de ma chambre.

OC Media : Gardez-vous contact avec vos proches ?

Sabrina: Only with my mother and sisters. However we don’t discuss the sex change — this is a taboo. Traditional Caucasian moments are still inside me. No matter how strongly I want to, I cannot ignore this psychological barrier. I always say that while my mum is alive, I will do my best to do everything not to upset her. If we have a video chat, I do try to look like the person she remembers I was in the past, I mean in the male form. However it is very hard to do.

Sabrina : Seulement avec ma mère et mes sœurs. Mais nous ne parlons pas de mon changement de sexe, c'est un sujet tabou. J'ai intériorisé certaines traditions caucasiennes. Même si je le souhaite, je ne peux pas ignorer cette barrière psychologique. Je dis toujours que tant que ma mère sera vivante, je ferai de mon mieux pour ne pas la perturber. Lorsque nous avons des conversations vidéo, je fais de mon mieux pour ressembler à la personne qu'elle a connue dans le passé, c'est-à-dire sous forme masculine. Toutefois, c'est très difficile.

OC Media : Connaissez-vous la situation actuelle en Tchétchénie ? Savez-vous ce que font vos amis, ceux qui sont restés là-bas ?

Sabrina: I introduced a report in Washington last week. I needed fresh information about the situation in Chechnya for the report. I spoke with someone who spent a month and a half in Argun Prison. He said that now, during the month of Ramadan, they are not abducting and torturing people, but that everyone looks forward for the end of Ramadan, and he didn’t rule out that there will be a new wave [of persecutions]. Most likely, they will now bet on people’s relatives. I mean, they will probably summon their relatives [those of suspected queer people]; they will deal with the person, and then [the authorities] will demand proof that so-called ‘honor’ has been satisfied with blood.

Sabrina : J'ai présenté un rapport à Washington la semaine dernière. J'ai eu besoin d'informations nouvelles sur la situation en Tchétchénie pour ce rapport. J'ai parlé à quelqu'un qui a passé un mois et demi à la prison d'Argun. Il m'a dit que pour l'instant, pendant le mois du Ramadan, il n'y a pas d'enlèvements ou de torture, mais que tout le monde a hâte que la fin du Ramadan arrive et il n'a pas écarté la possibilité d'une nouvelle vague [de persécution]. Le plus probablement, ils vont maintenant miser sur les proches. Ce que je veux dire, c'est qu'ils vont sûrement convoquer les proches [de personnes présumées queer] ; ils s'occuperont de la personne, et ensuite [les autorités] exigeront la preuve que le soit-disant « honneur » a été lavé dans le sang.

OC Media : Y a-t-il encore des personnes homosexuelles dans ces prisons secrètes ?

Sabrina: According to an acquaintance of mine, there are not so many now. Mainly those who do not have rich relatives, or whose relatives have abandoned them to face Kadyrov’s trials. From what I understand they are being kept there in order to show them off later as terrorists. I mean, if they murder them, they will show their bodies on TV alleging that they attacked some village or military target. Do you understand? As if they were not just people who disappeared but went underground to become militants.

Sabrina : D'après l'une de mes connaissances, il n'en reste plus beaucoup. Il reste surtout des personnes dont les familles ne sont pas riches ou que leurs proches ont abandonnées, les laissant subir les procès de Kadyrov. D'après ce que j'ai compris, on les garde dans ces prisons pour pouvoir les présenter plus tard comme étant des terroristes. C'est-à-dire que s'ils les tuent, ils montreront les corps à la télévision en prétendant qu'ils avaient attaqué un village ou une cible militaire. Vous comprenez ? Comme s'ils n'étaient pas seulement des personnes qui ont disparues mais des personnes entrées dans la criminalité pour devenir des militants.

OC Media : Est-ce là une supposition ou avez-vous une source pour cette information ?

Sabrina: I am quoting a person, who spent a month and half at Agrun Prison. He says that several people who were kept in this prison disappeared after their beards had grown. There has been no news of them. They just took them. And this so-called Lord [Magomed Daudov, the Speaker of the Chechen Parliament, and close ally of Ramzan Kadyrov], this person, personally saw them at the moment they took these people. However, until now they have not been presented as bandits, there were no reports of this, but we suspect that such actions are possible. Otherwise why did they not allow these people to shave?

Sabrina : Je cite là une personne, qui a passé un mois et demi dans la prison d'Argun. Il a dit que plusieurs personnes qui y étaient prisonnières ont disparues après que leur barbe ait poussé. On n'a plus jamais entendu parler d'eux. On les a simplement emmenés. Et ce soit-disant Seigneur [Magomed Daudov, le président du parlement tchétchène, et proche allié de Ramzan Kadyrov], cette personne les a vus personnellement au moment où ils ont emmenés ces prisonniers. Toutefois, pour l'instant ils n'ont pas encore été présentés comme étant des criminels, il n'y aucun rapport indiquant cela, mais nous soupçonnons que ce genre d'actions est possible. Sinon, pourquoi leur interdire de se raser ?

OC Media : Savez-vous s'il y avait des persécutions de ce genre avant, des enlèvements de personnes ayant une orientation soit-disant « non traditionnelle » dans la république tchétchène ?

Sabrina: I always wore long hair. I had a bob cut when I lived in Chechnya. I think the whole of Grozny knew about me even before 2003 [when the Kadyrov regime came into being], when I lived in Grozny and I didn’t have any problems. Seriously! I never had problems even in 1998–1999, when Shariah Law was in force. On the contrary, it was much safer then than now. I mean Russia, which wanted to bring ‘civilisation’ to us, brought us a stone age in the end.

Sabrina : J'ai toujours eu les cheveux longs. J'avais une coupe au carré lorsque je vivais en Tchétchénie. Je pense que tout Grozny était au courant que j’étais transgenre même avant 2003 [au début du régime de Kadyrov], alors que je vivais à Grozny et je n'avais aucun problème. Vraiment ! Je n'ai jamais eu de problème, même entre 1998 et 1999, lorsque la charia était en vigueur. Au contraire, c'était bien plus sûr à l'époque que maintenant. C'est-à-dire que la Russie, qui voulait nous apporter la « civilisation », nous a plutôt ramené à l'âge de pierre.

OC Media : Comment est-ce possible avec la charia ?

Sabrina: My eyebrows were plucked, I had coloured eyelashes, tube-jeans, I wore short tops. The Ministry of Sharia Security never touched me. There was a spot in front of the Russian theatre in Grozny where every evening, especially on weekends, a whole bunch of people like me gathered. This was a small square with several benches, and the entire city knew about it, why men would come, young people, to meet up. We were never insulted. There is such an expression in Chechen language — Kharda ma Kharda — which means ‘do not laugh at someone else's misfortune’. They often tell this to children if they make fun of sick people.

Sabrina : Je m'épilais les sourcils, mes cils étaients maquillés, je portais des jeans moulants et des t-shirts courts. Le Ministère de la sécurité de la charia ne m'a jamais touchée. Il y avait un endroit devant le théâtre russe de Grozny où tous les soirs, surtout le week-end, tout un groupe comme moi se rassemblaient. C'était une petite place avec quelques bancs, et la ville entière était au courant, que des hommes y venaient, des jeunes gens, pour se rencontrer. Nous n'étions jamais insultés. Il y a une expression en tchétchène — Kharda ma Kharda — qui signifie « ne riez pas du malheur des autres ». On dit souvent cela aux enfants quand ils se moquent des gens malades.

OC Media : Alors tout le monde fermait les yeux, comme s'ils pensaient que vous étiez malade ?

Sabrina: Yes. They would never insult me, never chase me or beat me.

Sabrina : Oui. Personne ne m'a jamais insultée, pourchassée ou battue.

OC Media : Combien de temps a duré cette période de grâce ?

Sabrina: Before [Ramzan] Kadyrov came in. In 2005, when he was appointed Prime Minister [of Chechnya], he began to speak on television, talking about morality. He didn’t speak specifically about us, but mainly about the behaviour of women. However, you could feel in the city that people began to change. Those who used to smile and laugh, began looking at you questioningly. I left Chechnya in those years. But every time I went back home I would feel how the situation was worsening in the republic.

Sabrina : Jusqu'à ce que [Ramzan] Kadyrov arrive. En 2005, lorsqu'il fut nommé Premier Ministre [de Tchétchénie], il commença à s'exprimer à la télévision, en parlant de bonnes mœurs. Il n'a pas parlé de nous en particulier, mais surtout du comportement des femmes. Pourtant, on pouvait sentir dans la ville que les gens commençaient à changer. Ceux qui avant nous souriaient et riaient, commencèrent à nous regarder curieusement. J'ai quitté la Tchétchénie à cette période. Mais chaque fois que je rentrais à la maison, je pouvais sentir comment la situation se détériorait dans la république.

OC Media : Que faites-vous maintenant ?

Sabrina: I earn money as a waitress. I am not paid much — $700–800 a month — which is not much in the US. Apart from that I continue being an activist. Now I am responsible for 15 Muslim women. I communicate with them as kind of a psychologist. We organise tea drinking meetings, rallies, I go to the hospital with them, I help them to get food cards. I do all this absolutely free. I found these people myself. I was going through shelters. I am Muslim and I want to help those who need help.

Sabrina : Je travaille comme serveuse. Je ne suis pas payée beaucoup, entre 700 et 800 dollars par mois, ce qui n'est pas beaucoup aux États-Unis. En dehors de cela, je continue mon travail de militante. En ce moment, je suis responsable de quinze femmes musulmanes. Je communique avec elles comme une sorte de psychologue. Nous prenons le thé ensemble, nous organisons des rassemblements, je les accompagne à l'hôpital, et je les aide à obtenir des bons alimentaires. Je fais tout cela complètement gratuitement. J'ai trouvé ces personnes de moi-même, en visitant des refuges. Je suis musulmane et je veux aider ceux qui ont besoin d'aide.

OC Media : Portez-vous un hijab ?

Sabrina: Yes.

Sabrina : Oui.

OC Media : Beaucoup de gens pensent que les personnes gay, lesbiennes et transgenres ne peuvent pas être également des musulmans pratiquants…

Sabrina: This is silly. This is nature — religion has nothing to do with it. It’s the same thing as Chechens foaming at the mouth to prove that they do not have any gays. Daghestanis have them, Kabardians have them, and Russians have them too, the entire planet has them, but ‘Chechens — they don’t’. I came from there, it is unpleasant for me to hear this.

I meet so many men from the Caucasus here. Many of them — Muslim worshipers, who visit the mosque and fast during Ramadan — live with men.

You know, many people mix transgenderism with men who like men, and they think that people change sex so that they have more intimate opportunities, but this is wrong. This is a different thing, different psychology in fact, different attitudes to things. For me it is important that now I feel in my own shoes and I am not ashamed of my body. It is not important if you have a partner or not. I am sorry for the details, but it’s been more than a year since I had intimate relations with anyone. And I'm absolutely not upset about this — I just know that now I am myself.

Sabrina : C'est ridicule. C'est la nature, la religion n'a rien à voir avec ça. C'est la même chose que lorsque les Tchétchènes s'époumonnent à prouver qu'il n'y a pas d'homosexuels chez eux. Il y en a chez les Daghestanis, il y en a chez les Kabardes, et même chez les Russes, sur la planète entière, mais « chez les Tchétchènes, il n'y en a pas. » Je viens de là-bas, c'est désagréable pour moi d'entendre ça.

Je rencontre beaucoup d'hommes venant du Caucase ici. Beaucoup d'entre eux, des musulmans pratiquants qui vont à la mosquée et jeûnent pendant le Ramadan, vivent avec d'autres hommes.

Vous savez, beaucoup de gens confondent le transgenderisme avec les hommes qui aiment les hommes, et ils pensent que les gens changent de sexe pour avoir plus de possibilités intimes, mais c'est faux. C'est quelque chose de complètement différent, une psychologie différente en fait, et une attitude différente. Pour moi, l'important est que je me sente finalement moi-même et que je n'ai pas honte de mon corps. Avoir un partenaire ou non n'est pas important. Je suis désolée d'entrer dans les détails, mais cela fait plus d'un an que je n'ai pas eu de relation intime avec qui que ce soit. Et cela ne me dérange pas du tout, je suis simplement heureuse d'être enfin moi-même.

Arabie Saoudite : les immigrés éthiopiens pris au piège entre deux mauvais choix

lundi 26 juin 2017 à 10:33
Capture d'écran du rapport "Les Ethiopiens en Arabie Saoudite se plaignent de la lenteur de leur Ambassade" téléchargée sur Ethiotube.

Capture d'écran du rapport “Les Ethiopiens en Arabie Saoudite se plaignent de la lenteur de leur Ambassade” téléchargée sur Ethiotube.

Des milliers de travailleurs migrants éthiopiens en Arabie saoudite ont demandé au gouvernement éthiopien d'accélérer leur retour en les aidant à préparer les documents pour obtenir des visas de sortie, alors que ce pays du Golfe se prépare à expulser jusqu'à un demi-million d'Ethiopiens.

Il y a près de trois mois, le gouvernement saoudien a donné 90 jours à tous les travailleurs migrants sans-papiers pour quitter [fr] le pays.

L'Arabie Saoudite et le Qatar voisin sont parmi les quelques pays dans le monde qui forcent les travailleurs étrangers à obtenir des visas de sortie pour les quitter. Afin d'obtenir ces visas, d'autres documents doivent également être en règle.

Comme la chaine de télévision par satellite éthiopienne (ESAT) dirigée depuis l'extérieur du pays rapporte :

Étant donné que les autorités saoudiennes ont annoncé que les personnes ayant un statut illégal doivent quitter le pays, les immigrants éthiopiens dénoncent avec vigueur l'ambassade éthiopienne en Arabie Saoudite de ne pas les aider à retourner en Ethiopie.

Pourtant, environ une semaine avant la fin de la période de 90 jours et après des mois de retards bureaucratiques à l'ambassade éthiopienne en Arabie Saoudite, seuls 80.000 migrants ont pu obtenir les documents pouvant les aider à sortir légalement du pays.

Des quelque 400.000 #Ethiopiens sans-papiers vivant en #ArabieSaoudite, seulement quelques 80.000 “visas de sortie délivrés”; 11 jours avant l'expiration du délai

Environ 750.000 migrants éthiopiens vivent en Arabie Saoudite, dont une majorité importante sans papiers. 

Les Ethiopiens entrent en Arabie Saoudite par différents moyens. Certains voyagent en tant que travailleurs réguliers par avion mais plusieurs y entrent par des voies terrestres avec l'aide de contrebandiers. Il y en a aussi qui sont restés dans le pays après le pèlerinage islamique à La Mecque.

Jusqu'à présent, seulement 30.000 migrants ont été rapatriés en Ethiopie. Cependant, au rythme actuel, la plupart des migrants seront encore en Arabie Saoudite à la fin du délai concédé pour quitter le pays. Les autorités saoudiennes ont déclaré qu'elles allaient commencer à faire des raids et à expulser les travailleurs migrants le 30 juin.

En 2013, lorsque les autorités saoudiennes se sont engagées dans des opérations similaires, les migrants éthiopiens ont été victimes d'agressions physiques mortelles [fr]. Les travailleurs qui cherchaient à retourner en Éthiopie ont été enfermés dans des centres de détention improvisés sans nourriture ni abri adéquats.

Pendant les expulsions de 2013, les Éthiopiens ont utilisé les médias sociaux pour exprimer leur colère contre l'Arabie saoudite.

Malgré ces difficultés et les promesses du gouvernement éthiopien d'une réinstallation rapide, il y a des migrants qui ne veulent pas retourner en Ethiopie, où il y a peu d'opportunités économiques.

Nebiyu Sirak, journaliste citoyen basé en Arabie Saoudite, a déclaré :

Il est horrible que la plupart des Ethiopiens n'aient pas manifesté leur intérêt à rentrer chez eux malgré le risque de violence.

Vu l'inquiétude des travailleurs pour leur avenir, le gouvernement éthiopien s'est engagé à réduire de moitié le prix du billet d'avion pour le retour à la maison pour ceux qui volent avec Ethiopian Airlines, ainsi que des réinstallations et des emplois à leur arrivée. Cependant, la plupart considèrent que ce sont de fausses promesses.

Lettre d’une Cubaine à Donald Trump

lundi 26 juin 2017 à 10:24
« La Havana ». Photo de l’utilisateur Flickr Pedro Szekely, publiée sous licence CC 2.0.

« La Havane ». Photo de l'utilisateur Flickr Pedro Szekely, publiée sous licence CC 2.0.

Donald Trump :

Connaissez-vous la signification du mot dignité ?

Les mesures que vous avez annoncées vendredi 16 juin 2017, Président Trump, sont pathétiques. Aussi pathétiques que ce groupe de personnes qui se considèrent cubaines et se rassemblent autour du dirigeant d’un autre pays en le suppliant d’étouffer économiquement les leurs, que ceux qui crient Viva Cuba libre de l’autre côté du détroit de Floride ou que le membre du Congrès qui croit connaître le pays d’où sont originaires ses parents sans y avoir mis les pieds ou cet autre qui arrive à peine à prononcer le mot « liberté » avec la beauté et la facilité de l’espagnol. Elles traduisent un manque de respect pour le gouvernement cubain, pour le peuple cubain, pour moi.

Une absolue arrogance — un mot qui rime avec « ignorance » et ce n’est pas une coïncidence — caractérise votre présidence, prenant de nouvelles proportions le 16 juin 2017. Impossible de demander à un président incapable de comprendre les principes élémentaires du réchauffement climatique (particulièrement visible dans l’État où se situe sa propriété chérie) de saisir la complexité d’un pays comme Cuba. Un président qui s’est montré incapable de s’engager en faveur du futur de l’humanité ne saurait s’engager en faveur du futur d’une petite île des Caraïbes et de ses citoyens. Pourtant, cela aurait été extrêmement simple. Tout ce que les citoyens cubains demandent aux États-Unis, et ce depuis toujours, c’est le respect. Précisément ce qui a manqué le 16 juin dernier.

Au début de ma lettre, Monsieur le Président, je vous demandais si vous connaissiez la signification du mot « dignité ». Pour un dirigeant, faire preuve de dignité est chose aisée. Pas besoin de s’interroger sur que manger, où dormir ou ce que les enfants se mettront sur le dos. Ce sont les individus, pas les gouvernements, qui peuvent s’enorgueillirent d'être dignes, car ce sont eux qui doivent prendre des décisions difficiles. Je viens d’une famille pauvre et digne. Les membres de ma famille sont nés dans la pauvreté et la dignité, et le sont restés pour près de trois générations. Ils travaillaient comme enseignants de niveau primaire, bibliothécaires, assistants scolaires, techniciens, gardiens de troupeaux ou paysans. Quand, à 9 ans, ma mère m’a demandé ce que je souhaiterais étudier si j’entrais à l’université, j'ai répondu : « Tout sauf maîtresse, parce que je ne veux plus que nous soyons aussi pauvres. »

Les fenêtres de la chambre de ma mère ont été réglées avec l’argent de la vente de deux moutons orphelins nourris au biberon durant des mois. J'ai le même lit depuis 25 ans. Je me souviens de chacune de mes paires de chaussures de la première à la sixième, pas compliqué quand on n'en a eu que trois. Je peux vous parler de la première fois que j'ai vu un étranger jeter des bonbons depuis la fenêtre de sa voiture de location sur la plage de Guanabo, parce que je n’en avais encore jamais vu de si colorés. Je me souviens de chacun des livres lus de la septième à la neuvième, parce qu’ils m'ont sauvée de la Période spéciale [NDT : nom donné à la crise économique qui a suivi la chute de l’URSS].

Malgré toutes ces difficultés économiques, j’ai réussi, d’une manière ou d’une autre, à être heureuse. Les mangues, la saison des tomates et les montagnes qui entouraient ma maison m’ont rendue heureuse. J’ai inventé des milliers d’histoires pour tenter de donner un sens à cette pauvreté et la convertir en richesse spirituelle. Un jour, j'ai raconté à mes copains d’école qu’en traçant tout droit derrière ma maison à travers la montagne, il était possible d’atteindre la base navale de Guantanamo. Ce lieu, apprécié des pêcheurs cubains avant d’accueillir un camp de détention, me semblait proche à cause des nombreuses informations à ce sujet entendues et du mystère qui l’entourait. À mes camarades, je parlais des champs de mines, de la mer, du visage des soldats cubains, des visages américains, des maisons rurales. La pauvreté m’a appris l’imagination. Je ne pense pas que tous les enfants doivent connaître la pauvreté pour développer leur imagination. Ce que je veux dire, peut-être avec un esprit un peu tordu, c’est que nous avons appris à surmonter les obstacles que la réalité dressait devant nous.

Les rues de tout le pays sont emplies d’histoires semblables. Le 17 décembre 2014, Barack Obama [EN] a montré qu’une autre réalité était possible. Mais, pour être franche, nous avons appris à nous méfier et je suis convaincue que les mesures annoncées la semaine dernière ont surpris peu de Cubains. Nous avons appris à attendre le pire et à célébrer le meilleur, lorsqu’il se produit. Mais, c’est presque jamais le cas. Nous n’avons pas bénéficié de hausse des salaires, n’avons pas obtenu l’accès Internet nécessaire ; les réformes constitutionnelles demandées n’ont pas été engagées ; nous n’avons connu ni économie prospère ni socialisme durable, rien. Nous avons connu la réforme migratoire, la fin de la carte blanche, l’ouverture du secteur privé, la possibilité d’acheter et de vendre des voitures et des maisons, ainsi que quelques autres faveurs euphémiquement appelées réformes. Dans ces bras de fer entre citoyens et gouvernement, nous avons remporté des batailles, mais d’autres victoires, dettes séculaires d’un pays envers ses habitants, commencent à s'effondrer.

Répétez après moi, Monsieur le Président : « L’accès à l’éducation devrait être gratuit et universel. » Il ne s’agit pas d’une déclaration à la Bernie Sanders, mais d’un objectif que plusieurs pays infiniment plus pauvres que le vôtre ont réussi à atteindre. Répétez après moi, Monsieur le Président : « L’accès aux soins devrait être gratuit et universel. » Une autre manière non seulement pour Cuba, mais aussi pour Singapour, l’Irlande ou le Canada de ridiculiser votre pays. Une terrible conspiration internationale visant à placer les États-Unis dans une position inconfortable.

Fini les voyages personnels des citoyens américains. Savez-vous à qui nuit cette décision ? En premier lieu, aux citoyens de votre pays, un pays qui se vante de sa liberté et permet à son gouvernement de limiter sa liberté de mouvement (inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme) et, en second lieu, au gouvernement des États-Unis. Quel type de puissance mondiale croit que permettre à ses citoyens de se rendre sur une île qui compte 11 millions d’habitants et un président nommé Castro ne servirait qu’à enrichir ce gouvernement ? Avez-vous déjà vu un membre du gouvernement cubain nettoyer les chambres de l’Hotel Saratoga, servir dans les nombreux restaurants ou tavernes de la Havane ou planter des aliments bio dont les Américains raffolent tant ? Avez-vous vu Raúl Castro vendre des souvenirs sur la Place de la Cathédrale, José Ramón Machado Ventura prendre le bus pour se rendre tôt le matin au travail, la maison de Ramiro Valdés en location sur AirBnb, Miguel Díaz Canel proposant une course aller-retour en taxi entre la ville et l'aéroport à un habitant du Kentucky ou Lázara Mercedes López Acea nettoyer des toilettes au Terminal 3 ? Je vais vous aider pour la réponse : c’est non. Ce ne sont pas uniquement les personnes mentionnées précédemment qui bénéficient de l’augmentation du tourisme américain sur notre île. Le gouvernement empoche une part, évidemment, vous devez le savoir en tant que dirigeant, mais cela bénéficie aussi aux citoyens lambda : la serveuse, le paysan, le chauffeur de taxi, la femme de ménage…

Vous n’avez même pas eu le courage de George W. Bush d’interrompre les transferts d’argent, les voyages et les visas. Vos mesures ne représentent rien de plus que des mesures de confinement visant à calmer Marco Rubio, votre adversaire lors de la campagne présidentielle, qui vous a ridiculisé à plusieurs reprises. Non qu’il soit spécialement brillant, mais parce qu'il est si facile de se moquer de vous. Vos mesures empestent la lâcheté. Elles ne forment qu’un écran de fumée, une distraction pour attirer l'attention de vos citoyens loin des réels problèmes de  votre pays. Et je ne fais même pas allusion au futur de votre pays, mais bien à son état actuel. Vos mesures, Monsieur le Président, sont le résultat d'une arrogance et d’un manque de respect politique. Si d’autres pays cèdent devant le vôtre, Cuba n’a jamais adopté cette position et ne commencera pas aujourd’hui. Peut-être que l’accord passé avec M. Obama est parti en eau de boudin, mais notre dignité reste intacte.

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

L’Autorité palestinienne censure une nouvelle fois les sites internet de ses opposants et détracteurs

lundi 26 juin 2017 à 10:21

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas lors du Forum économique mondial de 2007. Les sites internet bloqués sont critiques vis-à-vis de son administration. Photographie du Forum économique mondial (CC BY-SA 2.0 )

Le procureur général de l’Autorité palestinienne (AP) a émis une directive ordonnant à une douzaine de fournisseurs d'accès à internet palestiniens présents en Cisjordanie de bloquer onze sites internet affiliés à des opposants politiques et détracteurs du président Mahmoud Abbas. 

La majorité de ces sites sont affiliés au Hamas, parti islamiste d'opposition et groupe de militants qui contrôle la bande de Gaza. Un autre serait lié à Mohammed Al-Dahlan, opposant d'Abbas et ancien membre du Fatah, dont il a été expulsé en 2011.

Ces sites ne seraient apparemment bloqués qu’en Cisjordanie, du fait des « règles de publication » interdisant la diffusion de fausses informations et la diffamation. Il reste difficile de déterminer quelles sont les « règles » sur lesquelles l’AP se repose pour émettre cette interdiction, mais la loi de 1995 sur la presse et les publications comporte plusieurs restrictions, générales et imprécises, à la liberté d’expression. À titre d’exemple, sont interdits les publications qui « contredisent les principes de… responsabilité nationale » et les documents « contraires à la morale » ou « susceptibles d’ébranler la confiance en la monnaie nationale ».

La directive a été émise le 12 juin dernier. Les Palestiniens qui résident en Cisjordanie expliquent qu’ils ne peuvent plus, depuis ce jour, accéder aux sites internet en question.

Parmi les sites concernés figure Amad.ps, l’agence de presse Shehab – associée au Hamas et « Voix du Fatah », connue pour ses relations étroites avec Mohammed Al-Dahlan. Hassan Asfour, éditeur en chef du site d’actualité Amad, a exprimé son opposition à la censure dans une tribune intitulée « Du site Amad jusqu’au procureur général de l’AP à Ramallah… La censure ne dissimulera pas vos scandales » :

والأخير له موقفه من الحريات والديمقراطية وممارسة الحقوق كافة في إطار الحياة وما تقتضيه، عبّر عنها مراراً وتكراراً للإعلام والوفود، حتى اعتقد السامعون أنه الحارس الأمين لوعاء الحريات وممارستها بأمن وأمان، ولكن بحجب (أمد للإعلام) تسقط التصريحات ويصدق الواقع.

Abbas s’est toujours présenté, auprès des médias et des délégations, comme un défenseur des libertés, de la démocratie et de l'exercice de l'ensemble des droits s'agissant de la vie et de ses exigences, et il a fini par convaincre ses auditeurs qu’il était le gardien des libertés et de leur plein exercice. Mais avec le blocage d’Amad, le bien-fondé de ses déclarations s’est effondré et la réalité a éclaté au grand jour.

Plusieurs organisations ont dénoncé la directive. Le Centre palestinien pour le développement et la liberté des médias (MADA) a publié une déclaration dans laquelle il appelle l'AP à retirer la directive, qu'il qualifie de violation de la liberté d’expression et de la Loi fondamentale palestinienne. Le Centre arabe pour la promotion des médias sociaux (7amleh) a également dénoncé cette directive dans une déclaration publiée le 16 juin :

نجد في هذه الخطوة تعارضا كاملا مع المواثيق والمعاهدات الدوليّة ، ومسّا عظيما في الحقوق الرقمية لشرائح من المجتمع الفلسطيني، حيث يحق لكل فلسطيني تمثيله هو وآرائه ضمن العالم الرقمي، كما يحق له أيضا إتاحة المجال أمامه للوصول إلى أيٍّ من المواقع الإلكترونية والمصادر المعلوماتية التي تخص اهتمامته وتضمن حقوقه في التعبير عن أفكاره وطموحاته.

[Nous] pensons que cette initiative est en totale contradiction avec les conventions et traités internationaux, et qu’elle constitue une violation majeure des droits numériques à tous les niveaux de la société palestinienne. Les Palestiniens ont le droit de voir leurs opinions représentées à travers le monde numérique, et d’accéder à tous sites internet et à toutes autres sources d'information électroniques pour lesquelles ils portent de l’intérêt et qui garantissent leurs droits d’exprimer leurs idées et ambitions.

Ce n'est pas la première fois que l’AP censure des sites internet. Des rapports signalent qu’en 2008, l’AP avait censuré un site internet en Cisjordanie nommé Dounia Al Watan, et basé à Gaza, qui dénonce la corruption au sein de l’AP, tandis qu'en 2012, ces derniers ordonnaient aux fournisseurs d'accès de bloquer huit sites, dont Amad.ps, également bloqué depuis la semaine dernière.