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Au-delà de l'image : Comment les photographes espagnols Albarrán Cabrera expriment l'expérience à travers des photos

jeudi 11 avril 2019 à 16:25

Entretien : Photographie, art, mémoire et poésie japonaise

"The Mouth of Krishna" series Pigments, Japanese paper and gold leaf. 2013

Série « La Bouche de Krishna ». Tirage pigmentaire sur papier japonais Gampi et feuille d'or. 2013

Pour les photographes espagnols Anna P. Cabrera et Angel Albarrán [en anglais comme tous les liens ci-dessous], le temps, la mémoire et la beauté constituent les trois principaux piliers de leurs approches professionnelle et émotionnelle de l'art.

Signées sous le nom de « Albarrán Cabrera », les œuvres audacieuses du couple se distinguent sur le marché concurrentiel actuel de la photographie par l'utilisation d'une large gamme de procédés et de matériaux, y compris le tirage au platine, au palladium, au cyanotype et à la gélatine argentique. Ils ont aussi développé des procédés qui intègrent le papier gampi japonais et la feuille d'or dans leurs impressions pigmentées.

« Tout cela ne sert qu'un but précis : pour jouer avec l'expérience du spectateur nous souhaitons avoir beaucoup plus de paramètres que l'image elle-même, » disent-ils. « La texture, la couleur, la finition, les teintes et même les contours du tirage peuvent fournir des informations supplémentaires au spectateur. » 

Albarrán et Cabrera ont exposé leurs œuvres aux États-Unis, en Espagne, au Japon, en Suisse, aux Pays-Bas, au Liban et en Italie, entre autres. Leur dernière exposition, « Subtle Shadows of Bamboo on Bamboo »(Ombres subtiles de bambou sur bambou’), s'est terminée le 10 mars 2019 à Anvers, en Belgique. En avril 2019, les photos de Albarrán et Cabrera seront exposées par la galerie IBasho au salon de la photographie AIPAD à New York et également par la galerie Esther Woerdehoff au salon d'art contemporain Art Paris [en français].

Dans une interview accordée à Global Voices, Albarrán (né en 1969, à Barcelone) et Cabrera (née en 1969, à Séville) ont évoqué leurs méthodes de travail, leur vision du monde et les secrets du travail en couple.

Omid Memarian : Les notions de mémoire et d'identité occupent une place prépondérante dans votre photographie. Quel est votre lien personnel avec ces thèmes et comment sont-ils représentés dans votre œuvre ?

Anna : Tout ce que nous sommes n'est que mémoire. Lorsqu'il s'agit de tout ce qui a trait à la science, vous vous inspirez de ce que les scientifiques ont déjà découvert pour comprendre le monde. En ce qui concerne l'identité, vous êtes qui vous êtes à cause de vos souvenirs. Vous êtes votre premier anniversaire, vous êtes les souvenirs de votre mère, vous êtes les souvenirs de vos jours d'école. Vous êtes tout cela. Même la façon dont nous conceptualisons le temps pour comprendre la réalité est basée sur la mémoire. Ceci se révèle plus évident chez les personnes qui souffrent de perte de mémoire. Car pour eux, le temps n'existe pas.

Série « La Bouche de Krishna ». Tirage pigmentaire sur papier japonais Gampi et feuille d'or. 2016

Nous espérons que nos photographies provoquent des associations subconscientes chez les spectateurs en fonction de leurs souvenirs. Nous préférons même que le spectateur interprète la photographie d'une manière totalement différente de ce que nous avions imaginé au début. Ainsi, ils se créeront leur ensemble d'opinions.

La mémoire constitue la trame de toute notre série de photos. « The Mouth of Krishna » (‘La Bouche de Krishna’) en est le cœur. Elle résulte de tout ce qui nous avons appris jusqu'ici. Elle est liée à la façon dont nos souvenirs maintiennent la cohérence de notre réalité, dont nous catégorisons ce que nous percevons et comment nous le relions.

De temps en temps, nous nous rendons compte que certains concepts gagnent en importance et ceci génère donc un nouveau portfolio. Ainsi, « C'est toi ici » réfléchit sur l'identité et la façon dont il est créé à partir de nos souvenirs.

Le « Kairos » est un concept qui analyse la façon dont les humains perçoivent le temps. Le temps ne constitue pas quelque chose de tangible. Il s'agit seulement d'une propriété de l'univers. Nous créons le concept du temps grâce à nos souvenirs, et nous le divisons entre le passé, le présent et le futur.

"The Mouth of Krishna" series Pigments, Japanese paper and gold leaf. 2016

Série « La Bouche de Krishna ». Tirage pigmentaire sur papier japonais Gampi et feuille d'or. 2016

OM : Vous avez passé beaucoup de temps au Japon. Comment cette géographie particulière se rattache-t-elle à votre vision du monde de l'art et de la culture ?

Angel : La culture japonaise est très importante pour nous et notre œuvre. Cette culture, comme beaucoup d'autres, est l'objet de nombreux stéréotypes et d'immenses incompréhensions. Au début, vous pouvez tomber dans le piège de son esthétisme et de sa philosophie. Mais une fois que vous étudiez sa langue, sa population et son histoire, vous découvrez la réalité de ce pays : les bonnes, les mauvaises et les horribles choses, comme n'importe quel pays. Et pourtant, il y a encore quelque chose de fascinant : le Japon nous offre une interprétation complètement différente de la réalité par rapport à notre conception occidentale. Nous vivons tous dans le même monde, mais il est interprété à partir de points de vue multiples et totalement différents.

La symétrie et la perfection obsèdent le monde occidental. Nous comprenons la beauté façonnée par des lois universelles, en accordant une grande importance à l'idéal et à l'éternel. L'esthétique japonaise est en revanche très différente. Elle voit la beauté dans l'éphémère, l'imparfait, le rustique et la mélancolie. Elle aspire à ce qui n'est pas éternel, qui est légèrement brisé, modeste et fragile.

OM : L'aspect esthétique de votre travail est très audacieux. Dans un monde où les représentations classiques de la beauté ont été écartées, comment votre œuvre est-elle accueillie dans le monde ?

Anna : La beauté est un sujet très complexe. Il est non seulement difficile de définir la beauté, mais également de l'avoir pour sujet. La beauté inquiète beaucoup les gens sérieux. Il ont peur que la beauté fasse oublier ce qu'est vraiment la vie. Mais comme l'a dit le philosophe Alain de Botton a déclaré : « Nous avons besoin de jolies choses près de nous non pas parce que nous risquons d'oublier les mauvaises choses, mais parce que des problèmes terribles pèsent si fort sur nous que nous risquons de sombrer dans le désespoir et la dépression… L'art qu'un pays ou qu'une personne appelle « beau » donne des indices vitaux sur ce qui manque. »

Nous ne recherchons pas consciemment la beauté dans notre travail. À travers le mystère de l'inconnu nous cherchons à expérimenter la beauté de la découverte.

Série « La Bouche de Krishna ». Tirage pigmentaire sur papier japonais Gampi et feuille d'or. 2016

OM : Vous avez fait des photographies animalières à la fois en Europe et au Japon. Quelles différences observez-vous dans ces deux séries d’œuvres ?

Angel : En tant qu'occidentaux, nous sommes surpris et stupéfiés par l'interprétation esthétique et philosophique du monde que l'Orient a développé. Cela semble très différent des nôtres. Pourtant, les écoles de pensée occidentales et orientales sont toutes deux nées à la même époque. En étudiant les penseurs grecs pré-socratiques de l'école de Milet, nous pouvons trouver dans leur ligne de pensée une inspiration commune avec la culture orientale : la nature.

La pensée orientale, et plus particulièrement la pensée japonaise, n'a pas perdu ce contact ancestral avec la nature, et l'a maintenu pendant toute l'évolution de sa culture. Les idéaux et les concepts de l'esthétique japonaise sont principalement influencés par la religion. Dans le shintoïsme comme dans le bouddhisme, les dieux ne sont pas les créateurs de la nature. La nature est une entité avec une individualité. Dans notre tradition occidentale, le concept judéo-chrétien de créateur ou de Dieu a brisé ce lien et nous a séparés des idéaux esthétiques traditionnels de la Grèce antique.Le sens de termes tels que Wabi-sabi, Miyabi, Shibui ou Yuugen existait à l'origine dans notre culture occidentale, mais ils n'ont pas évolué comme dans la culture japonaise. Nous nous réjouissons que cette racine commune soit présente dans notre travail : en général, les spectateurs ne peuvent pas faire la différence entre les images prises au Japon et celles prises dans d'autres pays.

"The Mouth of Krishna" series. Pigments, Japanese paper and gold leaf. 2018

Série « La Bouche de Krishna ». Tirage pigmentaire sur papier japonais Gampi et feuille d'or. 2018

OM : Quels sont les principaux éléments qui influencent votre travail et la manière dont vous observez l'environnement et les objets ?

Angel : Plusieurs types d'artistes dans différentes disciplines : photographes, peintres, écrivains et scientifiques, nous ont toujours fortement influencés. Nous façonnons notre vision de la réalité à partir des connaissances issues de la littérature, de la philosophie, des sciences, de la linguistique, de l'architecture, de la musique et des arts en général. Notre travail est guidé par l'apprentissage. La photographie nous aide à comprendre notre réalité. Pour nous, les photographies sont comme des notes visuelles dans un carnet. Ces notes sont prises avec un état d'esprit spécifique et reflète notre structure mentale face à la réalité. Peu à peu, avec le temps, nous réexaminons notre travail et cela nous donne davantage d'idées et perspectives, de la même manière que vous le feriez avec un carnet de notes ou un journal.

OM : Quels sont les concepts ou thèmes similaires qui suscitent l'intérêt de vos publics des différents continents pour suivre et apprécier vos œuvres ?

 Anna P. Cabrera and Angel Albarrán. Curtesy of the artists.

Anna P. Cabrera et Angel Albarrán. Avec l'aimable autorisation des artistes.

Anna : Les êtres humains utilisent leur système sensoriel pour aller au-delà du monde physique et dans le royaume de l'esprit. Nous interprétons les informations que nous recevons et nous créons ainsi notre perception du monde qui nous entoure. L'espace et le temps sont, en fait, des concepts créés par des êtres humains pour comprendre notre réalité. Nous travaillons avec des thèmes et des concepts qui sont universels, qui sont communs à la plupart des êtres humains, quelles que soient leur origine, leur culture ou leur religion.

OM : L'art est extrêmement personnel et nous voyons vos deux signatures dans vos œuvres. Comment votre travail représente-t-il vos visions et caractéristiques personnelles ? Comment se déroule votre processus de collaboration ?

Angel : Travailler séparément est inconcevable. Nous vivons ensemble et partageons des traits communs. Nous travaillons individuellement chaque fois que nous sortons pour prendre des photos. C'est-à-dire que chacun d'entre nous dispose de son propre appareil et travaille indépendamment de l'autre. Nous nous rendons ensemble sur place avec notre équipement. Mais chacun de nous se concentre et œuvre seul. Une fois à la maison, nous regroupons nos images et nous travaillons dans une chambre noire ou avec l'ordinateur sans chercher à savoir qui a réellement pris la photo.

Anna : Travailler en duo ne présente pas d'inconvénients. Car d'une part travailler chacun de notre côté, nous est inconcevable. Et d'autre part, d'un point de vue logistique, collaborer ainsi se révèle très pratique. À deux, nous captons ainsi plus d'images et sous des angles différents dans le même laps de temps que le ferait une personne seule. Si l'un d'entre nous a un problème avec la caméra, l'autre peut aider. Si l'un de nous deux est bloqué, nous pouvons nous parler pour se concentrer à nouveau. Ce ne sont là que quelques avantages, parmi tant d'autres.

Le processus créatif s'avère très stressant. Les créateurs doivent tout le temps prendre des décisions à propos de tout. Et comme nous le savons tous, personne n'a la bonne réponse à tout. En tant que créateur, vous n'avez personne vers qui vous tourner pour vous aider.

La crise politique en Albanie va-t-elle retarder les négociations d'adhésion à l'Union européenne ?

jeudi 11 avril 2019 à 15:47

La résolution de la crise politique, préalable aux négociations d'adhésion ?

Un des slogans de l'opposition albanaise : “Non au gouvernement des voleurs et oligarques”. Photo : Parti démocrate d'Albanie, destinée à utilisation publique.

Alors que leur pays est embourbé dans une crise politique depuis déjà des mois, les Albanais se demandent si l'impasse va faire obstacle à la décision de l'UE d'entamer les pourparlers susceptibles de déboucher sur l'adhésion au bloc de ce pays balkanique.

Depuis février 2019, 58 des 62 députés d'opposition du Parti démocrate et du Mouvement social pour l'intégration ont démissionné suite aux révélations de la Voix de l'Amérique et du Réseau balkanique de journalisme d'investigation sur la collaboration suspectée de hauts responsables publics avec le crime organisé dans une combine d'achat de voix aux élections de 2017.

Le 9 avril , 20 nouveaux députés d'opposition ont pris les sièges vacants, indique la Commission électorale centrale, au défi de l'appel au boycott lancé par leur direction.

Des milliers de personnes de tout le pays se sont jointes aux ex-députés dans une suite de manifestations de rue à Tirana, la capitale. Les manifestants exigent la démission du premier ministre Edi Rama et appellent à la formation d'un gouvernement de transition qui veillerait au bon déroulement de nouvelles élections parlementaires.

Le chef du Parti démocrate, principal parti de l'opposition, Lulzim Basha, twittait le 16 mars :

Pas de stabilité sans démocratie ! Les Albanais sont unis pour la liberté, la démocratie et les valeurs européennes. Non à l'impunité de Rama. Non au gouvernement des voleurs et criminels ! #L'Albaniecommel'Europe

M. Rama ne donne encore aucun signe de vouloir céder la place. Dans un discours récent en public, il a déclaré — sans évoquer directement les manifestations — que son gouvernement resterait en fonctions jusqu'en 2021, échéance normale des prochaines élections parlementaires.

L'Albanie, qui est membre de l'OTAN, est aux prises avec le mouvement de contestation à quelques mois seulement de l'annonce que doit faire le Conseil Européen de l'ouverture ou non des négociations d'adhésion.

Comme certains de ses voisins des Balkans de l'Ouest, l'Albanie est officiellement candidate à l'entrée dans l'Union européenne. L'UE exige des États postulants qu'ils remplissent un ensemble de conditions avant d'entrer dans le processus d'adhésion, comme la garantie de stabilité des institutions, la séparation des pouvoirs, et une économie de marché fonctionnelle.

Dans le cas de l'Albanie, une condition essentielle fixée par l'UE est que le pays mette en œuvre une réforme de la justice incluant, entre autres, la vérification [avant nomination] des magistrats.

Certains responsables de l'UE ont fortement désapprouvé la décision des députés d'opposition de renoncer à leurs mandats. Le député européen Knut Fleckenstein, qui est aussi le rapporteur du Parlement européen sur l'Albanie, a publié le 28 février une déclaration dans laquelle il dit que :

Boycotting the Parliament is in no respect a way out of political problems and is against democratic principles. Parliament is the forum where political disagreements should be addressed. I call on political responsibility from all parliamentarians to fulfill their duties and resume parliamentary work in the interest of the country and of its EU integration prospect, not with the next election in mind.

Boycotter le Parlement n'est à aucun égard une issue aux problèmes politiques, et va à l'encontre des principes démocratiques. Le Parlement est le forum sur lequel les désaccords politiques doivent être portés. J'en appelle à la responsabilité politique de tous les parlementaires pour qu'ils remplissent leurs devoirs et reprennent le travail parlementaire dans l'intérêt du pays et de sa perspective d'intégration dans l'UE, sans avoir à l'esprit la prochaine élection.

Pour autant, il n'apparaît pas encore clairement si la résolution du conflit politique sera une condition mise à l'ouverture des discussions d'adhésion à l'UE.

Parlant devant des représentants de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen le 2 avril, Johannes Hahn, le commissaire de l'Union européenne pour la Politique régionale et l'intégration européenne, a donné des signaux positifs sur la recommandation future par la Commission européenne d'ouvrir les négociation avec l'Albanie.

Il a déclaré (11:47:45) :

I expect, on the basis of what we have observed, that we will make a recommendation for North Macedonia and also for Albania that they should enter the preparatory stage for accession negotiations. And this will be done officially.

…et sur base de ce qu'on a pu observer, il est très probable que nous formulions une recommandation concernant la Macédoine du Nord et l'Albanie en préparation à des pourparlers d'adhésion. Je vous le dis très franchement, c'est envisagé.

Et il ajoute :

If our partners satisfactorily fulfill the criteria [for opening the negotiations], then is an issue of our credibility and our reliability. We also need to live up to our side of the bargain. When our partners meet the criteria for the beginning of accession discussions, then we need to react positively.

Si nos partenaires savent satisfaire à ces critères [pour l'ouverture des négociations], eh bien il y va de notre fiabilité, de notre crédibilité. Nous devons nous aussi être au rendez-vous. S'ils tiennent leurs promesses, nous devons tenir les nôtres. Si les conditions sont remplies par nos partenaires nous devons ouvrir notre porte et réagir positivement.

Parmi les pays des Balkans occidentaux, seuls la Serbie et le Monténégro ont officiellement débuté les pourparlers d'adhésion avec l'UE, respectivement en 2014 et 2012. Pour la Serbie, l'amélioration des relations avec le Kosovo — dont Belgrade ne reconnaît pas l'indépendance — est sur la table.

L'Albanie et la Macédoine du Nord quant à elles sont en voie de commencer les pourparlers.

La Macédoine a fait un significatif pas en avant avec le changement de son nom en Macédoine du Nord, résolvant une querelle vieille de 27 ans avec son voisin membre de l'OTAN et de l'UE, la Grèce.

Poursuite des manifestations

Le plus récent rassemblement de l'opposition, tenu devant l'Assemblée nationale le 3 avril, n'a en rien perturbé les activités parlementaires.

L'opposition a pourtant affirmé qu'elle ne céderait pas jusqu'à la démission de M. Rama. On ignore d'autre part si le Parti démocrate participera aux élections municipales fixées au 30 juin.

Matthew Palmer, l'adjoint au Secrétaire d’État américain, était à Tirana les 8 et 9 avril, et y a rencontré le premier ministre Rama, les dirigeants de l'opposition Lulzim Basha et Monika Kryemadhi, ainsi que le président albanais Ilir Meta. Il a déclaré lors d'une rencontre avec les journalistes qu'il n'était pas venu pour négocier une solution à la crise politique, mais il a incité l'opposition albanaise à participer aux élections locales, selon une transcription publiée sur le site internet de l'ambassade des USA en Albanie.

Les manifestations ont attiré des sympathisants venus dans la capitale des quatre coins du pays, tandis que des habitants rapportent des perturbations à leurs habitudes dues aux fréquents barrages de rues et aux tirs occasionnels de lacrymogènes par la police. Certains ne soutiennent ni les manifestants ni le premier ministre, entre lesquels ils ne voient aucune différence.

Le prochain rassemblement est prévu le 13 avril devant les bureaux du Premier ministre.

Le Président Alpha Condé incite les militants de son parti à aller à l'affrontement

mercredi 10 avril 2019 à 22:49

Ces propos sont graves pour la paix en Guinée

Alpha Condé en 2012 au World Economic Forum. CC BY-SA 2.0

Alors que la constitution guinéenne n'autorise que deux mandats successifs, Alpha Condé, le président en place, vient d'annoncer qu'il comptait briguer un 3ème mandat, au mépris des lois du pays. De plus il n'hésite pas à faire appel à la violence pour réaliser son plan.  Dans une analyse publiée sur Horizon Guinée, Sonny Camara, journaliste basé à Conakry, rapporte ses propos lors du discours:

… je suis venu vous dire que je laisse mon manteau de président de côté. Je prends mon manteau de militant, car maintenant je suis prêt à la bataille contre ces gens… », «… Soyez prêts à l’affrontement… », «…Maintenant ce n’est pas le président qui sort mais c’est le militant… », «… Personne en Guinée ne m’empêchera d’aller devant le peuple pour lui demander ce qu’il veut… » « … Si c’est pour vous marcher sur les pieds, soyez prêts à marcher sur leurs pieds pour qu’ils sachent que vous n’avez peur de rien …»

Quelques mois après sa réélection en mai 2015, Alpha Condé avait  commencé à mentionner sa volonté de briguer un troisième mandat. En effet, Ibrahima Diallo, Directeur général de la radio ” Liberté FM” de Conakry signalait alors la dérive présidentielle sur Nouvelle de Guinée, en 2016:

Mais, à entendre Alpha Condé dire à l’opinion publique nationale et internationale que le «souverain peuple» de Guinée décidera ou non d’un troisième mandat pour lui sous – entend que celui qui voulait être la «synthèse» de feu Mandela et d’Obama pour son pays est «pire» que ses prédécesseurs qu’il a toujours combattus durant sa vie d’éternel opposant. Aujourd’hui, quand Koro dit «c’est le peuple qui décidera», il veut juste faire porter par le vaillant peuple de Guinée le mérite pour lui de briguer «un éventuel mandat» après les deux (2) consécutifs.

Il a commencé à baliser son chemin pour le 3ème mandat en prenant des mesures sensées lui éviter toute surprise. Parmi ces mesures, il y a la destitution du président de la Cour constitutionnelle Me Kéléfa Sall sans suivre la procédure légale. Amadou Tham Camara, reporter sur Guinée News pense que:

Après le travail de sape qui avait été fait à la CENI, c’est ainsi la deuxième institution constitutionnelle en charge des élections nationales qui vient d’être irrémédiablement fragilisée.

Dorénavant, pour le parti au pouvoir, il existe un boulevard pour avoir la majorité qualifiée des deux tiers des députés lors des élections législatives prévues au premier trimestre de 2019. Cette majorité étant la condition sine qua non pour entamer la révision de la constitution. C’est un pas de géant qui vient donc d’être franchi pour faire sauter le verrou constitutionnel qui bloque le nombre de mandat du président de la République à deux.

La “faute” de Me Kéléfa Sall, l'ancien président de la cour constitutionnelle, a été de mettre Alpha Condé en garde contre toute tentative de modification de la constitution, lors de sa prestation de serment en entamant son second mandat. Il avait déclaré:

La conduite de la nation doit nous réunir autour de l’essentiel. Ne nous entourons pas d’extrémistes qui sont nuisibles à l’unité nationale. Évitez toujours les dérapages  vers les chemins interdits en démocratie et en bonne gouvernance. Gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes car, si le peuple de Guinée vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant.

La réaction des guinéens a été vive. Lors d’une conférence de presse ce vendredi 29 mars 2019 à Conakry, organisée par des anciens membres du Conseil National de la Transition,  animée par le Collectif Ne Touche pas à ma Constitution, Boubacar Siddighy Diallo, l’un des conférenciers, a rappelé que la constitution guinéenne comprend deux parties formant un tout indissociable

A savoir celle regroupant l’ensemble des dispositions susceptibles de modification conformément à la procédure aménagée à cet effet et celle contenue dans les dispositions de l’article 154 réputées être les intangibilités de la révision constitutionnelle. Cette dernière partie constitue le verrou de la constitution la mettant à l’abri [de] tout tripatouillage éventuel dont les conséquences pourraient compromettre la paix et [la] stabilité de notre pays

Le chef de l'opposition Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée en marge d’une réunion de l’opposition républicaine a dit:

L’opposition Républicaine a réaffirmé sa disponibilité à former une coalition avec toutes les forces vives de la nation, pour s’opposer au recul démocratique et à la présidence à vie qu’Alpha Condé veut s’octroyer …

Sekou Koundouno, leader des Forces sociales de Guinée (FSG) fait savoir sur sa page Facebook:

Ces activistes de la société civile ont écrit aussi à la Procureure de la Cour Pénale Internationale pour lui demander «de garder un œil attentif sur notre pays et de prendre publiquement position afin d’éviter le chaos en Guinée».

Quelques citoyens Guinéens se sont aussi exprimés sur Twitter:

Le très populaire utilisateur de Facebook, Alimou Sow, préfère l'ironie comme commentaire, en faisant allusion aux bourrasques qui ont frappé Conakry la capitale dans la nuit du 2 au 3 avril:

Il paraît que dans la mythologie grecque Eole était le dieu des vents (d'où l'adjectif éolien). Alors à Eole la Guinée cette nuit pour emporter, non pas seulement des affiches démagogiques mais également ceux qui les posent et promeuvent le 3ème #Nambara [Problèmes]. Autant en emporte le vent. Bon #ennui

L’écrivain et économiste guinéen, Ibrahima Sanoh, a lancé depuis le 02 janvier, son mouvement Patriotes pour l’Alternance et le Salut pour s'opposer à une éventuelle volonté de l’actuel président Alpha Condé de briguer un troisième mandat en 2020.

 

A Barcelone, un ancien centre culturel est un refuge autogéré par et pour les personnes à la rue

mercredi 10 avril 2019 à 17:14

Les militants du “sans-logisme” développent le projet Okupa Casa Cádiz

L'image de la Casa de Cádiz, actuellement ‘occupée’. Photo : Pere Montiel, uttilisée avec autorisation.

Près de la touristique cathédrale de la Sagrada Familia, à Barcelone, un collectif de personnes sans abri occupe un immeuble connu sous le nom de “La Casa de Cádiz” [Cádiz ou Cadix est le nom d'une banlieue de Barcelone, NdT]. Leur souhait : le transformer en projet établi, pour apporter une solution immédiate aux urgences du logement et développer des activités d'intérêt social.

Un des moteurs de l'initiative, Lagarder Danciu, explique sur son blog que vacante depuis dix ans, la maison,partagée entre la mairie de Cadix et la banque Bancaja, est occupée depuis le 9 novembre 2018. Aujourd'hui elle est autogérée par les usagers eux-mêmes. Elle accueille des réfugiés, des seniors aux retraites insuffisantes pour payer un loyer, ou des familles expulsées de leurs logements.

Les défis du projet sont nombreux et complexes. Sur les dénonciations de certains voisins, la police s'est présentée à plusieurs occasions pour arrêter les travaux d'aménagement et pour des plaintes d'usurpation de propriété. Ce qui a pris le contre-pied du maire de Cadix, José María González, alias “Kichi“, connu pour ses penchants anticapitalistes, et défenseur des droits sociaux, écrit El Periódico.

Selon le média local Metrópoli Abierta, Danciu ne dissimule pas ses critiques ni des institutions ni des organisations. De fait, dans ce même média, il a souligné que les ONG “trafiquent au quotidien avec la pauvreté”, ce qu'elles chercheraient à compenser par des projets comme “Okupa Casa Cádiz”.

Or il se pourrait bien que le défi le plus important du projet résulte de ce qu'au milieu de tout cela, la mairie de Cadix a mis l'imeuble en vente.

L'heure du repas à la Casa de Cádiz. Les membres se retrouvent autour de la table. Photo : Pere Montiel. Utilisée avec autorisation.

Tâches quotidiennes et activités culturelles à “Okupa Casa Cádiz”

Sur sa chaîne YouTube, Danciu explique que les participant.e.s veulent que leur situation change, et les projets comme celui-ci donnent un espace où cela sera possible.

Il faut que soient exécutées les tâches usuelles comme la cuisine, le nettoyage ou la lessive. Un comité formé par les résidents eux-mêmes évalue ces activités qui apportent à ceux qui les effectuent des points pour poursuivre leur séjour :

La participation aux tâches de la maison est très importante à OkupaCasaCadiz. Consolider les habitudes et faire que les personnes sans logis s'approprient le projet. Les institutions nous traitent comme si nous étions incapables de faire quoi que ce soit.

Le projet documente ses activités sur un site web, un compte Twitter et sur la chaîne YouTube de Lagarder Danciu.

Dans le même temps, les résidents et les personnes proches organisent diverses activités. Par exemple, des “cafés philosophiques“, avec des lectures en groupe, et des ateliers artistiques et thérapeutiques, comme celui mentionné dans le tweet ci-dessous :

Atelier de peinture LandArt à OkupCasaCadiz. Personnes sans domicile apprenons à gérer nos émotions à travers l'art.

D'autres animateurs du projet ont expliqué à Global Voices qu'ont été mis sur pied des cours de catalan et d'espagnol pour les réfugiés politiques et économiques. Des concerts de musique alternative ont aussi lieu, comme celui du 23 mars dernier avec le groupe de hip hop “No somos tu rollo“:

Le duo de hip hop “No Somos Tu Rollo” se produit à Okupa Casa Cádiz. Photo : Pere Montiel. Utilisée avec autorisation.

Les revendications d'Okupa Casa Cádiz

Le Mouvement Okupa s'est fait connaître comme un mouvement social qui squatte les immeubles et les terrains vacants, sans autorisation de leurs propriétaires. En Espagne, le phénomène de l’ “okupación” a débuté à Barcelone dans les années 80. Le mouvement tirait sa source du “Squatting”, alors répandu à travers l'Europe démocratique et les États-Unis dans les années 70.

Tant pour le Squatting que pour le mouvement Okupa, le moteur principal est de répondre aux difficultés économiques, de dénoncer les restrictions au droit au logement et à l'accès à la propriété privée. Okupa Casa Cádiz ajoute à ces préoccupations la privatisation des services sociaux.

En particulier, les résidents de Casa Cádiz critiquent les services publics dont la gestion a été privatisée au moyen d'appels d'offres organisés par la mairie de Barcelone. Ils se réfèrent aux services sociaux de base et/ou spécialisés, comme par exemple les soins à domicile, ou ceux qui concernent directement les sans toit, comme les urgences sociales, qui bien que d'intérêt public sont confiées à des entreprises privées.

Un autre aspect relevant du projet est la dénonciation de la spéculation immobilière et de la violation du droit constitutionnel au logement. Beaucoup d'usagers du projet proviennent d'expulsions résultant de la forte spéculation et de la hausse démesurée des loyers.

Destin incertain

Malgré la poursuite de la procédure de vente de l'immeuble, la mairie de Cadix a intercédé et fait en janvier une offre de cession temporaire. Toutefois, les habitants de la maison regardent l'offre avec suspicion, puisqu'elle demande aux sans-abri de se constituer en association légale, ce qui les fait se sentir “contrôlés”, a expliqué Danciu au journal La Voz de Cádiz.

Le militant Lagarder Danciu pose avec Ronny. Photo : Pere Montiel, utilisée avec autorisation.

Une nouvelle proposition est en cours de négociation, consistant à “incorporer deux associations dans l'intermédiation et la négociation : l'association Carpa et l'Association nationale andalouse, avec lesquelles l'avocat des okupas s'est mis en contact”.

L'adjointe municipale aux Affaires sociales, Ana Fernández, a expliqué au journal de Barcelone La Vanguardia que le produit de la vente de la maison est nécessaire au budget de la ville : “Étant donnée la situation économique existante, il n'est pas possible que la municipalité de Cádiz laisse échapper la somme supposée [de la vente] d'un local avec ces caractéristiques”.

Ce Ouïgour tente de sauver d'un camp chinois « la maman la plus extraordinaire du monde »

mercredi 10 avril 2019 à 10:50

En quoi une bibliothécaire retraitée peut-elle bien menacer la Chine ?

Mirchad Ghalip évoque la détention de sa mère dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine. Capture d'écran d'une vidéo postée sur YouTube le 25 mars 2019.

[Article d'origine publié le 31 mars 2019. Sauf mention contraire, les liens renvoient à des pages en anglais.]

Mirchad Ghalip, un Ouïgour né en Chine, a réalisé une vidéo poignante pour sauver sa mère de 58 ans, Zumret Awut, de ce qu'il appelle un « camp de concentration » chinois.

Ghalip pense que Zumret Awut fait partie du million et plus de prisonniers qui sont détenus au sein du système dystopique des « camps de rééducation » au Xinjiang. Il dit aussi ne pas savoir avec certitude si elle est toujours en vie.

Sa mère a été arrêtée en 2017. C'est l'année où sont entrés en vigueur des contrôles stricts de la population, décrétés par le nouveau secrétaire du Parti communiste de la région du Xinjiang, Chen Quanguo. La Chine prétend que ces « centres de formation professionnelle » sont fréquentés par des volontaires et qu'ils ont été créés pour lutter contre le séparatisme et le radicalisme religieux.

L'émouvante vidéo de Ghalip montre parfaitement que tout un chacun, même s'il n'a jamais rien fait pour attirer l'attention du gouvernement, peut se retrouver dans ces camps. Pour être considéré comme à « rééduquer », il suffit d'avoir des liens avec d'autres pays. Or Mirchad Ghalip et sa sœur font leurs études à l'étranger.

Dans la région du Xinjiang, ceux qui n'appartiennent pas à l'ethnie han sont principalement des Ouïgours. Ces mêmes Ouïgours représenteraient la majorité des prisonniers des camps chinois. Il y a peu, beaucoup de Ouïgours vivant hors des frontières chinoises hésitaient pourtant encore à parler des souffrances de leurs proches au Xinjiang.

Le sort tragique des Kazakhes — le deuxième groupe ethnique non han — a réussi à attirer plus largement l'attention. Le mérite en revient surtout aux activistes du Kazakhstan, voisin de la Chine. La campagne #MetooUyghur [fr] a fait beaucoup pour rompre ce grand silence ouïgour qui, selon les paroles de Ghalip, « est exactement ce que veut le Parti communiste chinois ».

Pour autant, les Ouïgours ainsi que de nombreux musulmans originaires de la région se plaignent toujours du manque d’efforts diplomatiques pour régler la question du Xinjiang. L'Organisation de la coopération islamique, qui regroupe 57 États musulmans, a ainsi « salué les efforts déployés par la Chine pour prendre soin de ses citoyens musulmans ». Une déclaration faite dans le cadre d'une résolution adoptée lors du sommet des ministres des Affaires étrangères qui s'est tenu en mars. Voilà qui traduit de façon éclatante l'influence économique de la Chine sur les pays du monde entier.

Une diplomatie de cette nature ne laisse d'autre choix à Mirchad Ghalip et à ceux qui rencontrent les mêmes problèmes que d'élever la voix et de se battre plus âprement encore pour la liberté de leurs proches.

La base de données sur les victimes au Xinjiang est la principale ressource anglophone consultable sur les victimes de la répression en cours dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang.