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Grèce : Le désespoir des sans-papiers en rétention

lundi 22 avril 2013 à 11:08

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur l'Europe en crise.

[Les liens sans mention de langue sont en anglais] Des histoires de désespoir ont émergé sur Twitter, lorsque des personnalités politiques, des journalistes et des militants anti-racistes ont visité un centre de rétention à l'intérieur du commissariat de police de Drapetsona dans la ville du Pirée, où une centaine de migrants clandestins sont entassés dans l'obscurité et dans des conditions indignes.

Un des détenus a dit n'avoir pas vu le soleil depuis des mois ; un autre a tenté de se suicider.

L'auteur de ce billet faisait partie du groupe qui a visité le centre de rétention proche d'Athènes le 6 avril 2013, et décrit ici les conditions de vie des migrants à travers ses tweets, en présentant des témoignages d'autres visiteurs du centre, #GreekGuantanamo, comme il est appelé sur Twitter.

Manifestation contre les conditions inhumaines de rétention des migrants à Drapetsona. Photo de l'auteur

Plus de 60.000 migrants ont été retenus dans les commissariats de police depuis que des rafles baptisées “Xenios Zeus” (par dérision, le nom du dieu grec de l'hospitalité) ont démarré en août 2012. 4.000 seulement ont été formellement arrêtés.

Depuis les années 1990, la Grèce est devenue un point apprécié d'entrée et de transit dans l'UE, pour des centaines de milliers d'immigrants clandestins d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient.

Les mouvements fascistes, anti-immigration, dont le parti néo-nazi “Aube Dorée”, élèvent de plus en plus la voix dans un pays à l'économie affaiblie et au chômage élevé. Selon certains chiffres, les immigrants clandestins représentent aujourd'hui 10% de la population grecque.

Pour la deuxième fois en deux mois, une délégation a visité ce même commissariat de police pour enregistrer les conditions de vie imposées aux migrants sans-papiers qui n'arrivent pas à satisfaire aux exigences réglementaires grecques de ressources.

Le déclic pour la plupart des visiteurs de la délégation a été la lettre circonstanciée [grec] de George Karystinos, un membre du Front Antifasciste du Pirée, qui avait fait partie de la première délégation à visiter ce commissariat et y avait constaté les conditions de détention. Ce qu'il décrivait était épouvantable : une centaine de détenus dans un espace de 70 mètres carrés, dont certains depuis plus de 9 mois.

Des migrants faisaient la grève de la faim depuis la tentative de suicide d'un des leurs, un Palestinien de 28 ans, à cause des conditions qui y régnaient, et à leurs dires ils étaient battus par les policiers pour les faire renoncer.

Lors de la première visite, un des détenus a voulu s'auto-mutiler devant la commission d'enquête, afin de montrer son désespoir. George Karystinos écrit [grec] :

Le commandant de police a annoncé que le détenu qui s'était blessé, de même que le Palestinien qui avait tenté de se suicider, allaient être remis en liberté. Quel message est-ce là ? Vous devrez faire une tentative de suicide pour être relâché, et si vous avez de la chance, vous survivrez dans un hôpital.

Recent photo from the Drapetsona precinct detention. No windows, no outdoors. Photo posted by @eleniamorgos on Twitter

Photo récente du local de rétention de Drapetsona. Ni fenêtres, ni extérieur. Photo publiée par @eleniamorgos sur Twitter

Notre visite a coïncidé avec une manifestation devant le centre. Les utilisateurs de Twitter présents à la manifestation ont rapporté la présence massive de policiers à l'extérieur du commissariat [grec] :

@Cyberela: Εχουν κλείσει τα ρολά του ΑΤ. 3 σειρές απο ματ. #greekGuantanamo

@Cyberela: Les volets du commissariat sont fermés. 3 rangées des forces spéciales de police. #greekGuantanamo

J'étais aussi à l'extérieur du commissariat, sur le point d'y pénétrer en tant que membre de la commission, et tentais de rapporter les événements sur son compte Twitter @WonderMaS:

@WonderMaS: A l'extérieur du commissariat de police de Drapetsona avec le Front Antifasciste du Pirée, Amnesty International, et deux députés, Dritsas et Lafazanis qui viennent juste d'en sortir.

Après que le député Dritsas, du parti Syriza, eut négocié avec le commandant du centre le nombre de personnes admises à l'intérieur, nous sommes entrés et j'ai tweeté :

@WonderMaS: Viens juste de sortir du commissariat de police à Drapetsona, Pirée. Les immigrants y vivent comme des animaux, mangent deux fois par jour, premier repas à 16h #rbnews

@WonderMaS: Un immigrant m'a dit ne pas avoir vu le soleil depuis des mois #rbnews

Un membre du Front Antifasciste du Pirée a tweeté [grec] :

@eleniamorgos: Δεν σταματάει η κράτησή τους όταν περάσει ο νόμιμος χρονος, λόγω γραφειοκρατίας του αλλοδαπών

@eleniamorgos: Leur rétention ne prend pas fin même lorsque la durée assignée a expiré, à cause de la bureaucratie (du ministère de) l'Immigration.

@eleniamorgos: 2. Δεν παρέχεται ιατρική περίθαλψη όταν νοσούν ή κάνουν απεργία πείνας

@eleniamorgos: Ils ne reçoivent pas de soins médicaux quand ils sont malades ou font la grève de la faim

Le patron du centre a aussi tenu à faire savoir qu'ils faisaient de leur mieux pour améliorer les conditions de rétention, avec peu ou pas de moyens du Ministère. Teseris nous a dit qu'il doit apporter des médicaments de chez lui pour pallier les déficiences du servicce.

@WonderMaS: Le commandant du commissariat, Teseris, dit que ce n'est pas un endroit approprié pour détenir les gens pendant des mois, seulement pour 2-3 jours #rbnews

Certains des détenus m'ont dit qu'il n'y a pas de véritables installations sanitaires, et parfois ils n'ont pas de savon. D'autres, que les officiers de police ne sont pas tous polis avec eux, même s'ils ne les frappent pas. La plupart n'ont pas d'avocats ni de contacts extérieurs, et ceux qui bénéficient d'une aide juridique ont dit qu'il n'y avait aucune avancée dans leur situation.

Ils paraissaient en majorité désespérés, et me regardaient comme si j'étais leur seul espoir.

En jetant un coup d'oeil dans leurs cellules, j'ai remarqué de la lessive suspendue à des cordes à linge. Malgré tout leur inconfort, ils s'efforcent tout de même de garder leur prison en ordre, un fait qui rappelait que ces personnes viennent de foyers et familles qui leur ont appris à être civilisées et à chérir la dignité. Pour certains c'est peut-être leur quête de dignité qui les a amenés à ces conditions de vie.

La psychologue qui les suit a insisté sur la perte d'espoir vécue par ces détenus :

Abatzidi Dionusia, psychologue au service de police de Drapetsona, a dit que ces personnes sont désespérées

Certains des détenus ont dit aux délégués qu'il n'y avait pas de violence physique ; cette fois, du moins, comme l'a souligné un militant [grec] :

@Cyberela: Το ότι δεν διαπιστώθηκαν ξυλοδαρμοί στους κρατούμενους στη σημερινή επίσκεψη δεν σημαίνει ότι ξαχάσαμε τους προηγούμενους. #greekGuantanamo

@Cyberela: Le fait qu'il n'y ait pas de signes de coups administrés aux prisonniers antérieurement à la visite d'aujourd'hui ne veut pas dire que nous avons oublié les autres #greekGuantanamo

Un des détenus nous a aussi dit que depuis la première manifestation et visite de l'extérieur, des choses ont bougé, “ils ont réparé nos lumières, les lampes avaient été éteintes pendant des jours”. D'autres visiteurs ont confirmé :

@Cyberela: Δριτσας: οι κινητοποιήσεις έχουν βοηθήσει την κατάσταση των συνθηκών. Οι χώροι αυτοί είναι για κράτηση το πολυ 48ωρου #greekGuantanamo

@Cyberela: [Le député de Syriza] Dritsas : la mobilisation a aidé. Ces installations sont prévues pour une rétention de 48 heures au maximum #greekGuantanamo

Quelques jours après la visite, M. Dritsas a annoncé [grec] une enquête parlementaire, exigeant du Ministre de la Protection du Citoyen l'annulation du programme “Xenios Zeus” de rafles de migrants, qui a pour conséquence évidente des violations en série des droits humains.

Le photographe Stefanos Koufopoulos a publié sur le blog Dromografos un portfolio sur la manifestation de Drapetsona. L'auteur pour Global Voices Asteris Masouras a relu le présent article et collecté des informations sur Storify.

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur l'Europe en crise.

Un annuaire de l'enseignement aux Philippines

lundi 22 avril 2013 à 00:40

Le leader étudiant philippin Cleve Arguelles a élaboré [en anglais] une liste complète des comptes de médias sociaux liés à l'éducation aux Philippines. Le répertoire comporte les plus grandes universités du pays, les comités et les publications d’étudiants, les comptes des organismes gouvernementaux et ceux des responsables de l'enseignement.

Les Gabonais se battent contre les crimes rituels

dimanche 21 avril 2013 à 21:02

L'émission de la chaîne de télévision Canal Plus, l'Effet Papillon, a mis un coup de projecteur sur la tragédie des crimes rituels au Gabon. Les crimes rituels au Gabon consistent à croire que prélever un organe d'une personne vivante permet à une autre personne de se renforcer. Ces crimes ont déjà endeuillé des familles entières et traumatisent tout le pays. Depuis mai 2012 au Gabon, l’observatoire national de la démocratie suggère la mise en place d’une commission chargée de recenser tous les cas depuis 22 ans et prône le classement de cette catégorie de délits en crimes contre l’Humanité. Les Gabonais sont donc à la pointe dans ce combat.

Manifestations contre les crimes rituels au Gabon - capture d'écran de la vidéo garenghem sur YouTube

Manifestations contre les crimes rituels au Gabon – capture d'écran de la vidéo garenghem sur YouTube

Alors qu’une grande procession pour manifester contre ces crimes avait eu lieu au mois de janvier à Lambaréné, le combat a pris une nouvelle tournure notamment grâce aux réseaux sociaux lorsque le 19 mars dernier, le corps d’une fillette a été retrouvé abimé sur une plage de la capitale Libreville. Sur Twitter les mots clés #OpGabon et #SOSGabon ont servi à dénoncer ces crimes horribles et réclamer justice pour les victimes.

Sur Africamix « la Case à palabres », Olivier Herviaux écrit :

C'est l'un des actes les plus marquants de la barbarie et de l'obscurantisme des sociétés humaines, l'un de ceux qui nourrissent tous les fantasmes, en Afrique, en Occident et ailleurs. Nous sommes bien Au cœur des ténèbres, comme l'écrivait Joseph Conrad.

Emmanuel Kouassi qui fait un dossier sur les crimes rituels sur son blog « politique et autres » explique :

Le crime. En droit, c’est le fait de donner la mort ou d’ôter la vie à quelqu’un. Il est, par conséquent, considéré comme un homicide, un acte prémédité.

Et le crime rituel? C’est un crime qui est commis sur la base d’un certain nombre de pratiques, soit traditionnelles ou religieuses, soit culturelles ou mystiques. Dans tous les cas, le crime rituel, est commis dans le but d’utiliser une partie de l’organe du corps humain, pour des sacrifices ; ou, tout simplement, pour des rituels. C’est, malheureusement, à cette pratique que s’adonnent certaines personnes pour, selon plusieurs interlocuteurs, devenir riches. Leurs principaux conseillers : les marabouts ou féticheurs. A chacun son marabout ou féticheur. Souvent, paradoxalement, ce sont les mêmes. Qui exigent la tête, la langue, le sexe, les ongles…le cœur ou les cheveux de l’être humain, femme comme garçon. Pour préparer la potion…magique. Le plus souvent, les personnes convoitées sont les albinos et les handicapés physiques.

 

Toujours sur Africamix la Case à palabres Olivier Herviaux poursuit :

Depuis plusieurs années, le crime rituel fait régulièrement la « une » des journaux, notamment au Gabon. Le 3 mars 2005, deux corps d'enfants sont retrouvés, mutilés, sur une plage de Libreville. L'un des corps est celui d'un des fils de Jean-Elvis Ebang Ondo, âgé de 12 ans. Quelques mois après le drame, Jean-Elvis Ebang Ondo fonde l'Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR).

Le site de Reporters Sans Frontières précise :

Les crimes rituels sont liés aux croyances animistes présentes au Gabon, et visent à renforcer les pouvoirs de fétiches en mutilant vivants des hommes, femmes ou enfants, qui doivent mourir de douleur. Commandités par des personnalités politiques, ces meurtres sordides sont particulièrement fréquents en période électorale ou à la veille d’un remaniement ministériel, et restent bien souvent impunis.

 

Une marche de protestation était prévue le 13 avril mais :

La fin de non-recevoir du ministre gabonais de l’Intérieur, Jean François Ndongou, essuyée par l’Association de lutte contre le crime rituel (ALCR) et les «Gabonais du Net» quant à la demande d’autorisation pour une marche pacifique qui avait été programmée pour le 13 Avril dernier, a été respecté à Libreville.

Devant ce refus la diaspora a pris le relais de la protestation :

Une semaine après la protestation des Gabonais de Lyon pour dire «non aux crimes rituels», le relais a été passé à ceux de Paris et du Canada qui ont également exprimé leur soutien aux nombreuses familles endeuillées et saisi l’occasion pour interpeller les autorités gabonaises qui semblent ne pas partager la même sensibilité face à ce phénomène qui tente d’intégrer le registre du «normal» et du «simple accident».

Devant ce tollé le gouvernement autorise enfin l'Association de Lutte contre les Crimes Rituels (ALCR), à défiler pacifiquement dans la capitale gabonaise le 11 mai prochain. Les crimes rituels ne sont pas le fait du seul Gabon, l'ensemble de l'Afrique noire est concernée par ces meurtres rituels.

 

Un festival d'art urbain met en valeur un quartier de Porto Rico

dimanche 21 avril 2013 à 19:35

[Les liens mènent à des pages en espagnol sauf mention contraire.]

Le quatrième festival annuel d'art urbain Santurce es Ley (Santurce est Loi), un événement pendant lequel des artistes plasticiens, de scène et musiciens se rassemblent pour créer de l'art de rue dans le quartier de Santurce, s'est tenu durant le week-end des 5-7 avril.

Dans les dernières décennies, ce qui était auparavant parmi les plus importants centres urbains de Puerto Rico—un centre de culture et de commerce bouillonnant—s'est graduellement détérioré en un des quartiers les plus délabrés de la capitale San Juan. Les bâtiments vides abondent ; les trottoirs sont en mauvais état ; et un coup d'œil même rapide révèle une profonde inégalité sociale.

Ces dernières années, des efforts ont été faits pour revitaliser Santurce, le plus connu d'entre eux étant probablement arteSanturce, une alliance d'institutions culturelles. Mais ces initiatives, qui incluent de tout, des activités communautaires de plein air à des projets commerciaux, culturels et immobiliers, sont pour la plupart centrées sur l'une des artères principales de Santurce, l'Avenue Ponce de León. De plus, le côté négatif de ces développements sont la gentrification et la relocation et l'élimination de communautés entières.

Santurce es Ley est la création de l'artiste Alexis Busquet [anglais]. Cette année, le point central était la Calle Cerra (Rue Cerra), une rue qui joue un rôle clé dans l'histoire de l'industrie musicale de Puerto Rico. Aujourd'hui, Calle Cerra accueille de nombreux membres de la communauté dominicaine, qui sont très marginalisés dans le pays. Pendant l'événement qui a duré tout le week-end, elle s'est transformée en Mecque de Porto Rico pour les peintures murales. Ci-dessous se trouvent quelques unes des photos prises par l'auteur en marchant le long de la Calle Cerra dans les jours suivant le festival.

Colectivo Fibra

Installation artistique de Colectivo Camiseta (La CoCa).

Sin agricultura, no hay comida

Cette année, le sujet de l'agriculture a fait écho tout au long de la  fête de Santurce es Ley.

Huerto urbano en la Calle Cerra.

Une ferme urbaine sur la Calle Cerra.

Mural en el huerto urbano creado para esta edición de Santurce es Ley.

Une peinture murale dans la ferme urbaine créée pour le festival de cette année.

Además de tener un mural atractivo, este espacio abandonado ahora cuenta con un vivero de plantas, algo bastante inesperado cuando lo descubrí.

En plus d'être une peinture murale attirant le regard, cet espace abandonné abrite désormais une pépinière, quelque chose que je ne m'attendais pas à trouver.

Colectivo Basta

Cette peinture murale, l'une des plus impressionnante de l'exposition urbaine, semble être une métaphore du capitalisme portoricain. Par Colectivo Basta.

Otro mural interesantísimo en la Calle Cerra.

Une autre peinture murale intéressante sur la Calle Cerra.

Un detalle de la fachada de un edificio con el símbolo de Santurce. (Antiguamente, Santurce se llamó San Mateo de Cangrejos.)

Détail de la façade d'un bâtiment avec le symbole de Santurce.  (Historiquement, Santurce était appelé San Mateo de Cangrejos, le mot espagnol pour crabes.)

Malgré l'accueil favorable du festival d’art de Santurce, il a aussi reçu des critiques. L'un des arguments les plus forts était que les gens qui vivent dans le quartier ne participent pas aux activités artistiques et ne sont pas représentés, la majorité étant des immigrants de la République Dominicaine. Daniel Nina, qui écrit pour El Post Antillano, s'exprime ainsi :

Tendríamos que pensar esta convocatoria de Santurce es Ley como un proceso a democratizar. Me pregunto, para la quinta edición en el 2014, ¿cuántos de los artistas serán dominicanos, de ahí mismo, de la comunidad de la pobreza y la desesperanza? A los organizadores les pedimos que tomen nota. Inventen un Santurce es Ley que sea representativo de la diversidad cultural de la región, y no exclusivo de unos afortunados que por razón de ser intocables, invaden comunidades a su predilección.

Nous devrions penser à Santurce es Ley comme une opportunité pour une plus grande démocratisation. Je me pose des questions à propos de la cinquième édition en 2014 ; combien d'artistes seront dominicains, vraiment de là, d'une communauté pauvre et désespérée ? Nous demandons que les organisateurs prennent note. Créez un Santurce es Ley qui soit représentatif de la diversité culturelle de la région et non pas seulement des quelques fortunés qui, parce qu'ils sont considérés irréprochables, envahissent les communautés à leur gré.

Les organisateurs ont répondu aux critiques sur Facebook. Le défi a été lancé, mais nous devrons attendre l'année prochaine pour voir si les organisateurs ont la volonté de le relever. Vous pouvez voir d'autres photos des peintures murales réalisées durant le festival ici et ici.

Toutes les photos sont de l'auteur.

Les blessures psychologiques de l'activisme numérique

dimanche 21 avril 2013 à 15:29

Le mouvement des Verts iraniens a commencé en 2009 quand des citoyens iraniens ont accusé les fonctionnaires du gouvernement de falsifier le résultats du scrutin des élections nationales.  Des citoyens et activistes sont descendus dans la rue pour protester, et se sont aussi appuyés sur les réseaux sociaux comme Twitter pour diffuser leurs messages et coordonner leurs actions. Quand le gouvernement iranien a cherché à contrôler les informations des médias sur ce qui se déroulait en Iran, ces activistes ont alors utilisé les nouveaux médias pour contourner les sites censurés et partager textes, photos, vidéos, pour une plus large diffusion vers le monde, souvent avec l'aide de personnes vivant dans d'autres pays. 

Le mouvement des Verts iraniens a constitué l'un des premiers mouvements sociaux de grande ampleur où les médias sociaux ont servi de plateforme pour la coordination et la communication entre activistes, ce qui a joué un rôle essentiel pour informer à l'international sur ce qui se passait sur place. L'article suivant est de Cameran Ashraf, un Iranien-Américain vivant aux Etats-Unis, qui a tout fait pour permettre la communication et l'échange d'informations entre activistes et manifestants durant cette période. Il décrit ici les conséquences psychologiques endurées suite à ce type d'activisme à distance. 

Green Movement demonstration in Iran, 2009. Photo by Jeff McNeill. (CC BY-SA 2.0)

Mon blog est silencieux depuis assez longtemps. Les raisons de ce silence sont expliquées dans le post que je m'apprête à écrire.

De 2009 à 2011, j'ai joué un rôle central en ce qui concerne l'aspect Internet dans le mouvement des Verts iraniens. Ceci m'a apporté beaucoup d'opportunités, comme de co-fonder AccessNow, l'attention des médias (y compris de ceux du gouvernement iranien) et des liens profonds avec des personnes partageant les mêmes opinions. Cela m'a aidé à canaliser mes passions et mon désir de faire le bien dans le monde, à comprendre bien mieux qui j'étais et comment je voyais le monde. Cela a aussi été psychologiquement désastreux, et a produit des effets que je cherche toujours à analyser.

Il existe différent types d'activistes numériques. Certains se concentrent sur Twitter et la diffusion d'informations. D'autres mobilisent sur Facebook. Quelques uns font des affiches, des vidéos de motivation, ou recrutent et font connaitre d'autres talents. Certains – et je m'inclus dans cette catégorie – fournissent un support technologique direct à des mouvements et activistes à l'intérieur du pays. Notre équipe procurait un hébergement sûr à des dizaines de sites web essentels, soutenaient des citoyens reporters et activistes influents à l'intérieur du pays et j'ai permis que puissent avoir lieu trois millions de téléchargements de vidéos depuis l'Iran, entre autres activités. J'étais sur le pont 24 heures sur 24 de 2009 à 2011 et je me souviens de n'avoir que rarement dormi plus de quatre heures par nuit.

Si je parais me vanter ou exagérer mon rôle, ce n'est pas le cas : ceci fait partie du processus de cicatrisation et de prise de conscience de la culpabilité de ne pas avoir fait assez, de ne pas avoir aidé assez, et de ne pas être assez. Il y a quelque chose dans le fait d'être partie prenante matériellement mais géographiquement distant qui pousse nos émotions jusqu'à leurs limites, au point où votre corps vit à l'heure d'un autre pays et la seule chose qui vous motive est la pureté de l'aide apportée elle-même.

On parle beaucoup d'activisme numérique et de la possibilité offerte par Internet d'aider à distance, mais on parle peu de son coût pour ceux qui aident effectivement. En raison de l'extrême proximité virtuelle, des sentiments intenses d'impuissance et de “ne pas faire assez” émergent. Vous faites ce que vous pouvez, au détriment de votre propre santé – les gens que vous soutenez et dont la sécurité en ligne dépend de vous sont là bas, face à tous les risques que vous ressentez par proximité. Vous avez conscience de la gravité de la situation, et en même temps de son absurdité, quand même de petites contrariétés, telles qu'être coincé dans un embouteillage, deviennent des moments extraordinaires où vous prenez conscience de ce qui est “vraiment important” dans le monde. Etre constamment concentré sur ce qui est”‘vraiment important” signifie que vous négligez souvent le côté banal de ce qui est “vraiment important” : votre santé mentale, les relations avec votre famille et vos amis, et du temps pour s'amuser et se détendre. Le plaisir de conversations normales, les absurdités de la vie quotidienne, le soleil, les étoiles, les câlins, tout se dissout lentement tandis que vous commencez à vivre la crise et les réalités d'autres personnes qui vivent à des milliers de kilomètres. Ces angoisses s'intériorisent et explosent sous forme de crises de colère, d'irritation, de violences verbales : c'est ce qui m'est arrivé.

Après tout, il s'agit de la “cause”. Ce mouvement qui mettra un peu d'ordre dans le monde, qui corrigera les injustices horribles dont vous êtes le témoin au quotidien. Elle vengera les amis arrêtés, torturés, ou tués. Vous vivez, respirez, mangez, ressentez, touchez tout ce qui a un rapport avec cela. Les moments passés loin de l'ordinateur sont utilisés pour passer des coups de téléphones, des textos, ou pour des réunions et l'organisation d'événements reliés à ce sujet. Mon corps était à Los Angeles, mais mon cerveau était en Iran.

Etre si connecté à quelque chose dont vous êtes (physiquement) déconnecté est, je crois, très traumatisant pour votre psyché. Tôt ou tard, on comprend les choses et votre esprit réalise qu'il a vu et lu une chose, et vécu une autre. A ce moment, ça arrive : vous plongez dans le noir. Disparaissez. Je n'ai rien dit à personne. J'ai arrêté de répondre aux mails, aux textos, au téléphone. Ce fut une dépression totale, dont je suis toujours en train de me remettre. A ce jour, je pose  mon téléphone portable de façon à ne pas en voir l'écran et la sonnerie est en permanence sur silencieux, car j'associe traumatismes et mauvaises nouvelles à cette sonnerie.

Je suis resté assis en silence pendant un an. Je voyais un thérapeute  mais gardais tout à l'intérieur de moi. Les quelques personnes auxquelles je me suis confié ne pouvaient comprendre que très vaguement, avec ce genre d'empathie que nous avons pour quelqu'un qui a perdu un être cher, mais alors que nous avons encore notre intégrité. Même si je ne l'ai pas réalisé à l'époque, un bon ami, qui est un activiste important, m'a dit cinq mots qui se sont lentement incrustés en moi. Tu as fait ton devoir.

C'était ça. Tu as fait ton devoir. Je me répétais ces mots – Tu as fait ton devoir - jour et nuit. C'était mon propre Mouvement Vert – un mouvement personnel qui revendiquait tout seul. C'était vrai, mais ce n'était pas une révélation. Cela ne m'a pas guéri, ni clos les choses. Ces mots ont ouvert une porte pour que je puisse voir ce que j'avais fait, et comprendre que j'avais fait ce que j'avais pu, depuis là où j'étais. J'avais fait mon devoir. J'avais répondu à la question que je me posais depuis juin 2009 : que direz-vous si vos enfants vous demandent ce que vous avez fait quand les Iraniens sont descendus dans la rue ? Je pouvais y répondre désormais, comme si je n'en avais jamais pris conscience auparavant : j'avais fait mon devoir. Je pouvais continuer à être impliqué dans l'activisme numérique, mais d'une manière plus gérable qui fait honneur aux causes que je soutiens, et à moi-même.

Chaque activiste numérique en relation à distance avec des activistes travaillant depuis leur pays éprouvera ces stress de façon différente. Le traumatisme de la crise à distance parlera à leur propre psychologie d'une façon unique, avec des répercussions uniques. C'est un aspect différent, et pourtant là aussi héroïque de l'activisme numérique, bien loin de et bien caché derrière des idéaux de confidentialité numérique, de sécurité, de démocratie, de droits humains. C'est un héroïsme personnel que peu voient et qu'une seule personne éprouve.

J'ai succinctement partagé mon histoire pour ouvrir un véritable dialogue sur la santé mentale et l'activisme numérique et j'aurais préféré le faire bien plus tôt, pour que cela fasse partie de la boite à outils et de la formation de tout activiste. Chaque activiste numérique aura un jour sa propre histoire, ses propres confessions à faire, qui leur permettront de continuer sur le chemin de la “normalité personnelle” et de l'intégrité mentale. Ceci est le début du mien.