PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Djibouti au cœur de la lutte contre le djihadisme

mardi 2 juin 2015 à 09:39
Djibouti Corporal Darojo Daher via Africacom CC-BY-20

Djibouti: Le Caporal Darojo Daher via Africacom CC-BY-20

Djibouti, petit Etat aux confins de l'Afrique et de la péninsule arabique, joue un rôle majeur dans la lutte occidentale contre le djihadisme. A la fois terre d'accueil pour les bases militaires étrangères, au premier rang desquelles celle des Etats-Unis, et pour les populations réfugiées, yéménites notamment, le pays de la corne africaine est aujourd'hui de plus en plus prisé.

Djibouti est un territoire nourri de paradoxes. Encerclée par l’Érythrée, l'Ethiopie et la Somalie, la République Djiboutienne, l'un des plus petits Etats du continent, n'en demeure pas moins l'un des plus convoités, aujourd'hui, par les plus grandes nations. Présidé par Ismaël Omar Guelleh depuis 1999, la ligne politique du pays est plutôt pro-américaine, même si la population assume de moins en moins cette allégeance. Les Djiboutiens commencent à voir d'un mauvais œil la lutte contre le djihadisme – celui d'al-Qaïda comme de l'Etat islamique (EI) – qui s'éternise et craignent de voir fleurir sur leur territoire des attaques terroristes comme au Yémen voisin. C'est là le second paradoxe : l'Etat de la corne de l'Afrique est la plaque tournante de la lutte contre le djihadisme régional, qui le fait pourtant vivre.

Djibouti, plaque tournante de la lutte contre le djihadisme

De par sa position géographique – à l'extrémité est du continent africain et à quelques encablures seulement du Yémen et, par extension, du Moyen-Orient – Djibouti, terre d'accueil de nombreuses bases militaires internationales, est prisé par toutes les nations qui entendent jouer un rôle dans la région. Tandis que le groupe al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), réputé comme la branche la plus dangereuse du mouvement fondé par Oussama ben Laden, et Daesh multiplient les actes terroristes, les grandes nations se bousculent pour y installer leurs équipements militaires et troupes armées.

Si la présence de Paris est, de loin, la plus ancienne – Djibouti a obtenu son indépendance de la France en 1977 mais collabore depuis avec celle-ci –, l'importance de l'Etat africain s'est accrue avec les attentats du 11-Septembre. Les Etats-Unis, installés depuis 2002, ont reconduit en 2014 leur bail pour dix ans, moyennant une somme de 40 millions de dollars par an ; le Pentagone projette de dépenser plus d'un milliard de dollars sur les vingt-cinq prochaines années pour agrandir leur camp. Le président Obama explique pourquoi :

There’s a significant presence of soldiers from Djibouti who are participating in the multinational force that has been able to push back al-Shabab’s control over large portions of Somalia

Il y a une forte présence de soldats  Djiboutiens qui participent à la force multinationale qui a été capable de repousser Al-Shabab en Somalie.

Après la France, les Etats-Unis, donc, mais également le Japon et l'Allemagne, c'est au tour de la Chine de « réclamer » son attache à Djibouti. Si la requête de Pékin est motivée par des raisons essentiellement économiques – tandis que son influence grandit d'année en année dans la région –, la forte présence de groupes djihadistes au Moyen-Orient n'y est pas tout à fait étrangère. Le gouvernement de Xi Jinping souhaite ainsi sécuriser son approvisionnement en pétrole, alors que les djihadistes de Daesh ont la mainmise sur d'importantes ressources d'or noir entre la Syrie et l'Irak.

Djibouti, terre d'accueil des réfugiés

Si la présence étrangère à Djibouti fournit au gouvernement d'Omar Guelleh une manne financière importante – environ 200 millions de dollars –, la population en voit rarement la couleur. De quoi attiser, en tout cas, un profond ressentiment des Djiboutiens à l'égard des forces internationales présentes sur leur territoire. Pourtant, celui-ci est également synonyme de terre d'accueil pour les réfugiés des nombreux conflits alentours. Tandis que les djihadistes – qu'ils soient issus des rangs d'AQPA, de Daesh, d'Ansar Allah, le mouvement chiite qui sévit actuellement au Yémen, ou même des islamistes somaliens Shebab – multiplient leurs actes de barbarie dans la région, les réfugiés arrivent en masse à Djibouti. Le pays est, par exemple, l'un des rares à accueillir les populations qui fuient le Yémen.

D'après le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), ils seront plus de 15 mille Yéménites à traverser le golfe d'Aden pour venir se réfugier à Djibouti dans les six prochains mois.

Il est certain que cela va mettre la pression sur l'Etat. C'est un petit pays qui doit déjà faire face à la sécheresse, à un fort taux de chômage et une grande pauvreté.

alerte le porte-parole du UNHCR, Frederic Van Hamme.

Une situation économique qui a entrainé, depuis des années, le développement d'un commerce assez particulier quoi que toujours d'actualité : le passage de clandestins de la corne de l'Afrique vers la péninsule arabique. Seulement, avec le conflit yéménite, les passeurs ont stoppé leur activité et les populations s'entassent à Djibouti. Le pays, qui est l'une des clés de la lutte contre le djihadisme dans la région, pourrait ainsi s'écrouler, eu égard à la trop forte affluence et à la mauvaise situation économique, si les forces étrangères présentes n'agissent pas.

Cet article a été rédigé par Alassane Ndoumbè, auteur basé à Dakar.

L'effet boomerang : Pourquoi le chef des forces spéciales du Tadjikistan a rejoint l'EI

lundi 1 juin 2015 à 13:40
Halimov in the clip.

Halimov sur son clip. Capture d'écran d'une vidéo supprimée ultérieurement.

Le Tadjikistan ex-soviétique, où la menace de l'extrémisme religieux et du terrorisme a contribué à justifier les excès de répression contre les musulmans pratiquants, est sous le choc après avoir appris que le chef de la section réputée des forces spéciales de la police — formée à la lutte contre les terroristes — a apparemment rejoint le groupe radical E.I.

D'après les chiffres officiels, près de 400 ressortissants tadjiks combattent dans les rangs de l'E.I., un rejeton d'Al Qaida parvenu à contrôler de larges pans d'Irak et de Syrie en usant de tactiques délibérément violentes, meurtrières et liberticides.

Dans la vidéo de 12 minutes publiée au soir du 27 mai, Gulmurod Halimov, 40 ans, a déclaré avoir fait défection pour le groupe par désaccord avec la politique du Ministère tadjik de l'Intérieur, qui “n'autorise pas à prier et porter le hijab islamique” dans ce pays d'Asie Centrale à prédominance musulmane.

Outre qualifier de chiens le président et le ministre de l'intérieur tadjiks et promettre de “revenir pour les massacrer”, Halimov dit s'être formé tant en Russie qu'aux USA, traités de pays infidèles dans sa diatribe.

Certains craignent que l'apparition, spectaculairement couronnée par son tir au fusil à lunette sur une tomate, de cet homme promu colonel pour services émérites il y a trois ans, fasse de lui une icône pour de futurs combattants tadjiks de l'E.I..

Le gouvernement, en attendant la publication imminente d'une déclaration officielle sur la défection de Halimov, a bloqué les médias sociaux sur lesquels la vidéo a été partagée le 28 mai, de même que Asia Plus, l'agence d'information tadjique qui a couvert la première l'affaire.

Edward Lemon, un chercheur de l'Université d'Exeter qui piste les combattants tadjiks en Syrie et Irak a tweeté :

C'est le film le mieux fait d'un combattant tadjik d'EI. Sans surprise, ils ont rapidement utilisé Halimov à des fins de recrutement.

‘Les ministres vont communiquer depuis le territoire d'EI”

Au Tadjikistan, les lecteurs ont condamné le colonel.

Aziz a écrit sous un article de l'agence d'information locale Asia Plus :

Ну и дурак он. Таких дураков,разумеется, среди нас немало, но беда в том что одного из них руководство МВД назначило на такую высокую ответственную должность – командира ОМОН.

C'est un imbécile. Ce genre d'imbéciles, nous en avons pas mal, mais le malheur est que la direction du Ministère de l'Intérieur a nommé l'un d'eux à un poste de responsabilités aussi élevé – commandant des OMON [la police spéciale].

La plupart ont accusé la politique de l'Etat d'être à la racine de l'attrait de l'EI pour certains Tadjiks.

Un commentateur sur Asia-Plus, du nom de FG, a répondu à ceux qui ont condamné Halimov :

Господа комментаторы не будьте лицемерами. Причина такого поступка он сам сказал. Когда весь силовой блок страны снимают порнографичекий фильмы в целях очернения, унижения чести и достойнство человека. Воют против 1000 летней истории своей страны, указывают кому как одеваться, куда ходить, что кушать, что делать, кому поклянятся и тд. То естественно любой человек хочет выйти из такой тюрьмы любым путем. Причина элементарно, антиконститутционые деяния государственного аппарата.

Messieurs les commentateurs, ne soyez pas hypocrites. Il [Halimov] a dit lui-même les raisons de son acte … Quand tout le bloc de forces tourne des films pornographiques aux fins de diabolisation, de destruction de l'honneur et de la dignité humaine. Ils [le pouvoir] font la guerre à l'histoire millénaire de leur pays, indiquent comment s'habiller, où aller, quoi manger, qui révérer et ainsi de suite. Alors évidemment chaque individu veut sortir par tous les moyens de cette prison. La raison est élémentaire : les actes anticonstitutionnels de l'appareil.

Izzat Amon, un militant des droits humains des migrants tadjiks, a soutenu lui aussi que la supposée défection de Halimov pour l'EI est le produit des politiques du régime tadjik. Il a écrit sur sa page Facebook :

Я не оправдываю поступок полковника ОМОНа, но я его понимаю. Когда в стране процветает коррупция, местничество, непотизм и врет каждый кому не лень, то иного выбора не остается. Это и есть результат 25 летней политики правящей группы. Если так продолжится то скоро и министры выступят с видеообращением находясь на территории ИГ. Боритесь и дальше господа военные чиновники с хиджабом, бородой, азаном и другими исламскими атрибутами. Но это непременно обернется вам бумерангом.

Je ne justifie pas les actes du colonel des OMON, mais je le comprends. Quand prospèrent dans le pays la corruption, le localisme, le népotisme et quand tout le monde ment, il ne reste pas d'autre choix. Tel est le résultat de 25 ans de politiques des groupes dirigeants. Si ça continue ainsi, alors même les ministres vont bientôt communiquer par messages vidéo depuis le territoire de l'EI. Messieurs les fonctionnaires militaires, continuez votre combat contre le hijab, la barbe, l'Azan [appel à la prière] et autres attributs islamiques. Mais cela vous reviendra immanquablement comme un boomerang.

Rahmatillo Zoirov, à la tête du parti social-démocrate du Tadjikistan, un des rares partis d'opposition du pays, a dit à Asia Plus que le clanisme des nominations aux postes de gouvernement a pu être le motif qui a décidé Halimov à quitter son emploi, sa femme et leurs huit enfants pour rejoindre l'EI.

Zoirov a noté :

… Клановая кадровая политика, особенно в правоохранительной сфере и судебной системе, это мощный фактор дезориентации служащих не из клана, которые вынуждены делать соответствующие выводы… В основном многие просто увольняются, не видя для себя перспективы роста и продвижения по карьере.

La politique clanique des cadres, surtout dans la sphère du maintien de l'ordre et du système judiciaire, est un puissant facteur de démotivation des fonctionnaires extérieurs au clan, qui doivent en tirer les conclusions appropriées… En général, beaucoup démissionnent simplement ne se voyant pas de perspectives de développement et d'avancement de carrière.

Le Tadjikistan avait déjà bloqué des sites internet en rapport avec l'EI, notamment quand plusieurs ressortissants s'étaient filmés brûlant leurs passeports tadjiks et faisant allégeance au groupe, vidéo qu'ils ont postée sur YouTube. Des tentatives similaires pour contrôler la religion par des rasages forcés de barbes et des interdictions de hijab n'ont cependant pas encore été couronnés de succès.

L'Arabie saoudite a-t-elle bombardé le plus vieux barrage du monde à Marib, au Yémen ?

lundi 1 juin 2015 à 10:00

Des informations non confirmées annoncent que l'Arabie saoudite et sa coalition, qui bombardent le Yemen depuis plus de deux mois, ont ciblé le barrage de Marib, un barrage construit dans l'Antiquité.

Hussain Albukhaiti l'a annoncé dans ce tweet :

Non confirmé : les bombardiers saoudiens viennent de toucher le barrage historique de Marib

Dans un second tweet, Hussain Albukhaiti a posté une photo de ruines, qu'il affirme être celles du barrage. Ce barrage hydraulique date du 8ème siècle avant J.- C. et est considéré comme une merveille d'ingénierie. C'est le plus ancien barrage au monde.

Barrage de Marib au Yemen, qui date du 8ème siècle avant J.-C., a été ciblé hier par bombardier saoudien, voir précédent tweet

 

Les destructions infligées aux infrastructures et au patrimoine historique du Yémen sont toujours inconnues. Nous rassemblons des informations sur cette page dans le cadre de Global Voices Checkdesk, un projet lancé en collaboration avec Meedan, pour croiser et vérifier des informations en ligne.

 

“Mon ennemi, mon frère” : l'histoire d'une amitié

lundi 1 juin 2015 à 09:16
Zahed Haftlang (à gauche) et Najah Aboud. Crédit : capture d'écran/Fathom Film Group

Zahed Haftlang (à gauche) et Najah Aboud. Crédit : capture d'écran/Fathom Film Group

Cet article et ce reportage radiophonique produit par Shirin Jaafari pour The World ont été initialement publiés sur PRI.org le 28 mai 2015. Ils sont republiés ici dans le cadre d'un accord de partage de contenus.

C'est l'histoire de deux appelés s'affrontant lors de la meurtrière guerre entre l'Iran et l'Irak, dans les années 80. L'un des deux, qui avait reçu l'ordre de tuer l'autre, n'a pu s'y résoudre. Plusieurs décennies après, cette décision d'épargner un ennemi trouvait un rebondissement inattendu — c'est cette histoire que raconte le film “My Enemy, My Brother, réalisé par Ann Shin.

Leurs routes se croisèrent lors de la bataille de Khorramshahr, au cours de laquelle Zahed Haftlang, sous l'uniforme iranien, trouva gravement blessé dans un abri le soldat irakien Najah Aboud. Zahed Haftlang avait reçu l'ordre de tuer tout soldat ennemi qu'il trouverait sur son chemin. la documentariste Ann Shin raconte : “Lorsque Zahed vit la photo de la femme de Najah et de son fils, qu'il avait trouvée dans la poche de l'homme qui était alors à sa merci, il n'a pas eu le coeur de l'abattre.”

C'est alors que Zahed Haftlang prit la décision d'épargner la vie de Najah Aboud.

Tous deux connurent par la suite la condition de prisonnier de guerre. Zahed Haftlang est resté, quant à lui, prisonnier pendant 17 ans, jusqu'en 2002.

Ann Shin raconte qu'il “a vécu deux vies parallèles”. Zahed Haftlang a souffert du syndrome de stress post-traumatique, puis, après une période pendant laquelle il est passé d'un job à l'autre, il a fini par trouver du travail dans la marine marchande. Pendant une traversée, il y eut une dispute, au cours de laquelle “il jeta à terre un objet [une photo de l'ayatollah Khomeini (n.d.t.)] sur le navire sur lequel il travaillait. L'officier le menaça ensuite : ‘Tu vas être jeté en prison dès que nous arriverons au port’ “, raconte Ann Shin.

Zahed Haftlang n'a pas pu supporter l'idée de retourner en prison. Il embarqua dans un autre bateau à Vancouver. “Il était très déprimé … et il a fait une tentative de suicide”, poursuit Ann Shin.

Il a fréquenté un centre de soutien pour les victimes de la torture, le centre VAST (Vancouver Association for the Survivors of Torture). Un jour, alors qu'il était dans la salle d'attente, le hasard a fait que Najah Aboud se trouvait là, au même moment. Ils ne se sont pas reconnus mais ont commencé à discuter sur l'Iran et l'Irak, puis ont évoqué la guerre, qui a coûté la vie à des milliers de personnes.

“L'un des deux demanda : ‘- Alors, tu as fais la guerre, toi aussi?’. ‘- Oui, j'étais à la bataille de Khorramshahr,’ fut la réponse, puis ‘- Oui, j'y étais, moi aussi'”, raconte Ann Shin.

Ils finirent par comprendre que Zahed Haftlang était le jeune homme qui avait sauvé la vie de Najah Aboud. “Ils commencèrent à crier et étaient pris dans un tourbillon d'émotions tel que les conseillers du centre ont cru qu'il y avait une dispute violente dans la salle d'attente”, ajoute Ann Shin.

Ce n'était pas une dispute — mais juste le sentiment de quelque chose d'incroyable… et une immense surprise.

Depuis ce jour, Zahed Haftlang et Najah Aboud sont devenus de proches amis, comme les événements qui suivirent l'ont démontré : Zahed Haftlang a dû subir une opération pour retirer un éclat d'obus qui était resté logé dans sa gorge. Najah Aboud était alors à son chevet. “Najah lui dit alors, ‘Tu es mon ange, tu m'as sauvé la vie il y a 20 ans, alors maintenant, ce que je fais pour toi, ce n'est vraiment rien du tout'” raconte Ann Shin.

Ann Shin, qui projette de de réaliser un long métrage sur les deux amis, précise que tous deux espèrent retourner dans leur pays. Najah Aboud a l'intention de partir à la recherche de sa femme et de son fils, qu'il a perdus depuis la guerre. Zahed Haftlang veut rendre visite à son père, dont un cancer a été diagnostiqué dernièrement.

Les femmes entrepreneurs prospèrent dans l'e-commerce chinois en expansion. Mais le patriarcat résiste

dimanche 31 mai 2015 à 16:27
"If you win woman in business - you win consumers." Jack Ma said in his speech at the Global Conference on Women and Entrepreneurship. Screen capture from Youtube.

“Si vous gagnez les femmes dans le commerce, vous gagnez des consommateurs”, a dit Jack Ma dans son discours à la Conférence mondiale sur les Femmes et l'entrepreneuriat. Capture d'écran de YouTube.

Alibaba, le champion chinois de l'e-commerce sur internet et mobile, a tenu sa conférence inaugurale mondiale sur les Femmes et l'entrepreneuriat les 20 et 21 mai à Hangzhou, avec plus de 500 intervenant(e)s de divers horizons.

Selon les mots d'Alibaba,

Le groupe Alibaba a permis à des millions de femmes de devenir des entrepreneurs dans le domaine en rapide expansion de l'e-commerce, et aujourd'hui, plus de la moitié de tous les vendeurs sur la Place de marché Taobao sont des femmes.

Jack Ma, le fondateur d'Alibaba, a prononcé le discours inaugural en mettant l'accent sur l'apport aux femmes par l'ère Internet d'opportunités sans précédent dans les affaires.

Mais Jack Ma al aussi affirmé son opposition tant au féminisme qu'au patriarcat :

我反对女权主义,我更反对男权主义,男女是两个不同星球的人,但是我们必须学会互相配合、互相欣赏、胡和尊重,一个看外面,一个看内面,不能说外面多了不起内部不行。[…]今天早上有嘉宾讲到,很多女性到最后很可悲,到后来像个女汉子,像个男人,其实很可悲。我觉得女人就是女人,女人的魅力一点不比男人差,这世界必须要保持阴阳平衡,我们中医讲叫阴阳不平衡,一定生病。

Je suis contre le féminisme, ou plutôt, contre le patriarcat. L'homme et la femme viennent de planètes différentes. Mais nous devons aprendre à travailler ensemble, à nous apprécier et respecter mutuellement. Un prend soin du dedans, un prend soin du dehors. On ne peut pas dire que le dehors est important et que le dedans l'est moins. […] Ce matin un orateur invité a dit que beaucoup de femmes font pitié en se transformant en nu-han-zi [femmes à l'allure masculine]. Se comporter comme un homme est vraiment pitoyable. Les femmes sont des femmes et leur charisme n'a rien à envier à celui des hommes. Nous devons trouver un équilibre dans ce monde. Dans la médecine chinoise, si le yin et le yang ne sont pas équilibrés, l'individu sera malade.

Les cercles féministes chinois, qui n'ont pas encore oublié l’arrestation de cinq jeunes militantes projetant une campagne en vue de la Journée Nationale des Femmes, ont fait savoir que le discours de M. Ma ne règle pas le problème de fond de l'égalité des sexes en Chine.

Ye Haiyin (@公民叶海燕), une féministe et militante bien connue en Chine, a commenté sur Weibo, le Twitter chinois :

从马云的讲话中,我看到阿里的一些理念。如:鼓励女性独立,放弃对男权的崇拜,认可女性的社会价值与贡献,帮助女性创业,成长。这简直就是女权主义的骨灰级同盟。但马云却在文字中说,他反对女权主义。我看了不禁哑然失笑,“亲,你是真的不懂女权吗?

Je vois dans le discours de Jack Ma une partie de la vision qui anime Alibaba : encourager l'indépendance des femmes, abandonner l'adoration aveugle des structures du pouvoir patriarcal, reconnaître la valeur et la contribution des femmes, et soutenir leur entreprenariat et développement. Il est totalement dans la ligne des féministes sous ces aspects. Mais il se proclame aussi anti-féministe. Quand je lis cette partie, je meurs de rire : Oh là là, tu comprends le féminisme ou pas ?

Huang tongtong, un célèbre critique des médias, a repris l'opinion de Ye et fustigé les “valeurs patriarcales non-dites” dans le discours de M. Ma :

什么叫“女权主义”?女权主义就是号召男女平等的主义,中国的国策就是男女平等,我不知道马云在反对什么样的女权主义?我只看到了男性商业领袖在依靠女性赚了大钱之后对于女性力量崛起深深的恐惧。

Que signifie le “féminisme” ? C'est un appel à l'égalité entre l'homme et la femme, politique officielle de notre pays. Je me demande pourquoi Jack Ma est contre le féminisme ? Ce que je vois, c'est la peur de Ma en tant que dirigeant masculin d'un pouvoir féminin croissant, qui s'est déjà tellement enrichi grâce aux femmes.

Le réseau féministe célèbre “Femmes et Nouveaux Médias” (@新媒体女性) a même produit une analyse contextuelle point par point du discours, qui démontre les stéréotypes de Ma sur les femmes.

Le scepticisme de nombreuses féministes chinoises n'a pas empêché le discours de M. Ma d'être généralement bien reçu et d'être cité à travers les plate-formes de médias sociaux.

L'utilisateur de Weibo “Mille herbes pas encore verdies” (@千草未萌_TxxZ) a commenté :

从昨天到今天看了好几篇文章,本来想认真写一下的,还是算了,就大致表个态:1.纵观全文,我认为马云对女性的赞美的确发自真心;2.但是他的思维的确带有男权色彩;3.但是这属于社会环境造就的局限性,可以理解;4.这样的人应该是可以(至少是尝试)沟通的,扣上帽子开喷显得过于激进。

J'ai lu quelques articles et voulu écrire sur le sujet. Mais j'ai renoncé, et je vais juste dire mon point de vue ici : 1. En lisant le texte jusqu'au bout, j'ai senti que les compliments de Ma pour les femmes viennent du fond de son coeur. 2. Mais sa pensée est profondément enracinée dans le patriarcat. 3. Néanmoins le problème découle de l'environnement et doit se comprendre dans ce contexte. 4. Nous pouvons au moins communiquer avec des gens comme Ma. L'étiqueter [de patriarcal] et le critiquer est exagéré.

Le boom de qui ?

Avec le boom de l'e-commerce, les femmes sont libérées de la discrimination de genre habituelle sur les lieux de travail en Chine, elles peuvent lancer leurs boutiques en ligne depuis chez elles et être leur propres patrons.

Ma Jiajia, une entrepreneuse de la génération Z connue pour sa hardiesse et son féminisme, est le fer de lance de ces femmes. Pour beaucoup, elle est inséparable du nom de son premier sex shop, Powerful, qu'elle a ouvert sitôt diplômée de l'Université en 2012. Comparé aux petits sex-shops, plutôt situés dans des zones décentrées et mal éclairées, son magasin est localisé dans un quartier huppé de Pékin, avec de grandes pièces lumineuses offrant un large choix de sex-toys variés.

“Pendant 5.000 ans d'histoire chinoise la femme a été un objet de consommation, de commerce. Aujourd'hui, les femmes doivent être les consommatrices, capables de consommer autrui aussi”, a-t-elle dit l'an dernier au New York Times.

Au début de cette année, Ma Jiajia a lancé en grande pompe sa nouvelle entreprise, High, une appli mobile qui se veut “la communauté la plus populaire pour les femmes du XXIIème siècle”.

Ma Jiajia voit en High un espace en ligne sécurisé par lequel le le féminisme peut être renforcé dans la société :

所以High的应用场景就是,独立、先锋、年轻的女孩,在High里,聊两性关系、和自我成长。然后走到线下,成为朋友,但又不只是朋友,我们有共同的敌人,共同的梦想,共同想成为的样子,互相支撑,有教义有纲领,我们是一个族群、一个帮派。

Les filles indépendantes, avant-gardistes et jeunes sont le coeur de cible de High. Elles peuvent y converser librement de relations [amoureuses] et de développement personnel. Elles peuvent aussi être amies hors ligne. Mais elles sont plus que des amies : elles partagent des ennemis communs, des rêves et des visions, et se soutiennent mutuellement. Elles forment un communauté et une bande sous un manifeste.

总之High的宗旨就是,破解中国传统社会的“繁殖恋”,倡导双方真正的独立人格,抛弃捆绑、索取型的劣质关系,转为伴随、共生的共同。

La mission de High est de briser la relation traditionnelle fondée sur la “fixation avec reproduction” dans la société chinoise, de plaider pour une réelle indépendance individuelle, et de passer de la mauvaise relation qui, soit ne laisse aucun espace au conjoint soit exige trop de lui, pour un bon modèle qui favorise le compagnonnage et la croissance ensemble.

Le féminisme de Mme Ma, peu politisé et diffusé par l'intermédiaire du commerce en ligne, est plus compatible avec la société chinoise que les messages féministes émanant des autres mouvements de droits des femmes. Son esprit vif et sa douceur lui ont attaché une audience jeune. Mme Ma est invitée à de nombreux événements publics et forums d'affaires pour parler de changement de mentalité à l'ère Internet, voire de sexe et de désir.

Li Yinhe, une célèbre universitaire féministe, évoquait il y a plus de dix ans, en 2001, les défis qu'affrontent les féministes chinoises :

在我看来,女权主义与中国传统社会的冲突是双重的:一重是虚构的冲突;另一重是真实的冲突。虚构的冲突指的是人们假想了女权主义的形象:它是仇恨男人的,与男人为敌的;女权主义者都是丑女,都是嫁不出去的老姑娘,个个都被孤独的生活逼得变了态。另一方面,由于中国有几千年男权制统治的历史,女权主义与中国传统价值的冲突又是真实存在的。比如,仍然若隐若现的男女双重标准;比如人们对成功男人包二奶这类丑恶现象私下里的羡慕与赞许态度

Le conflit entre féminisme et société chinoise traditionnelle est double : en partie imaginaire, en partie réel. Du côté imaginaire, les gens se représentent les féministes aigries contre les hommes, et donc ennemies des hommes ; laides et devenues donc vieilles filles parce qu'elles n'ont pas réussi à se marier ; névrosées parce qu'elles vivent seules. Dans un pays retranché dans des millénaires de patriarcat, la valeur du féminisme est en conflit avec les valeurs chinoises traditionnelles. Certains disent que le critère dual masculin-féminin existe toujours aujourd'hui, et que les gens sont encore nombreux à accepter et admirer les hommes prospères qui ont des liaisons extra-conjugales.

Depuis dix ans, une nouvelle génération de féministes fait de gros efforts pour défendre l'égalité de genre, mais l'avenir paraît maussade tant la société en général persiste à refouler leurs valeurs.

Après la remise en liberté des cinq féministes chinoises arrêtées à la veille du 8 mars, un commentaire sur Foreign Policy soulignait le fait qu’ “[une] minorité non négligeable de commentateurs a tourné en ridicule la campagne de ces femmes, tiré à boulets rouges sur la totalité de la gent féminine trop exigeante, ou nié toute nécessité de féminisme en Chine”.

Le nombre croissant de femmes entrepreneurs dans le secteur florissant de l'e-commerce en Chine rend plus pertinente que jamais la question de savoir si l'économie en ligne réussira à bouleverser les relations de pouvoir dans la Chine patriarcale, ou si elle se bornera à renforcer le statu-quo.