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La Russie, la Chine et la conquête de la «souveraineté numérique»

samedi 17 décembre 2016 à 21:38
Russian President Vladimir Putin and Chinese leader Xi Jinping. Source: Kremlin.ru, CC 2.0

Le président de la Russie Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping. Source: Kremlin.ru, CC 2.0

Le dernier week-end d'octobre, des officiels et des acteurs de premier plan de la médiasphère de Russie et de Chine se sont rencontrés à Guangzhou pour un forum russo-chinois des médias internet, le premier de l'histoire. Les participants se sont mutuellement félicités de l'amélioration de la coopération entre les médias traditionnels et numériques, ainsi que de leurs efforts communs pour lutter contre les tentatives des «médias occidentaux» de contrôler la sphère informationnelle. Alexeï Voline, vice-ministre de la Communication et des Médias de la Fédération de Russie, a donné une conférence sur les questions de cybersécurité, qui inquiètent les deux pays. Son discours était axé sur la sécurité internet et le développement de «l'invulnérabilité des systèmes de communication et d'information». «Il est indispensable de garantir la stabilité du fonctionnement et l'invulnérabilité de notre segment internet face aux actions extérieures», a-t-il déclaré.

Depuis la création de l'Organisation de coopération de Shanghaï  (OCS) en 2009, les responsables russes et chinois débattent souvent d'initiatives conjointes dans le domaine de la cybersécurité. Ce degré de coopération relativement élevé a été officialisé dans le contexte du renforcement de la coopération russo-chinoise, en 2014 et 2015 ; les deux pays ont signé en mai dernier un accord précisant leurs positions respectives quant à une coopération dans la domaine de la cybersécurité. Selon les signataires, cet accord a pour objectif de limiter l'emploi des technologies de l'information pour «s'immiscer dans les affaires intérieures d'un gouvernement, troubler l'ordre public, ou déstabiliser la situation intérieure sur les plans politique et socio-économique».

Souveraineté numérique

Cet accent mis sur la souveraineté numérique reste le principe central de la cyberpolitique des deux pays même si, sur cette question, la coopération s'avère fluctuante. La réalisation des points de l'accord de 2015 concernant «la non-agression» a achoppé, en partie à cause de formulations équivoques, mais surtout parce que le cyberespionnage chinois perdure. En 2016, il a atteint un degré sans précédent — le Kaspersky Lab (une société spécialisée dans la sécurité informatique) fait état de 194 cyberattaques chinoises rien que sur les sept premiers mois de l'année, contre 72 pour l'année 2015. Ces attaques avaient pour cibles les services gouvernementaux, les industries de la défense et de l'espace aérien, mais aussi les entreprises liées aux technologies nucléaires. Sans compter la probabilité que ces chiffres soient sous-évalués : l'attaché de presse du Kaspersky Lab a confié à Bloomberg que seules 10 % environ des entreprises qui sont ses clientes faisaient remonter des informations sur le piratage dont elles sont victimes à leur réseau de sécurité.

Source: Flickr, Open Democracy

Source: Flickr, Open Democracy

Malgré ces attaques, la Russie et la Chine continuent à coopérer dans le domaine de la cybersécurité, du moins publiquement. En avril s'est tenu à Moscou le premier forum russo-chinois sur les questions de sécurité des TIC, suivi quelques mois plus tard du forum russo-chinois des médias internet de M. Voline. De plus, d'après le vice-ministre des Affaires étrangères Oleg Syromolotov, les représentants du ministère des Affaires étrangères et des services de renseignement consultent les responsables chinois des questions de cybersécurité deux fois par an. Quoi qu'il en soit, cet échange n'équivaut pas à des accords de fond.

Jelezniak : Il faut absolument garantir la souveraineté numérique de la Russie

Une souveraineté numérique qui évoque à bien des égards le concept russe de «démocratie souveraine [en anglais]», utilisé pour justifier le droit de la Russie de restreindre certains principes démocratiques au nom de la «stabilité» et de la souveraineté dans les affaires intérieures. De la même façon, la cybersouveraineté conteste l'approche américaine dominante quant aux normes de la gestion numérique. Du point de vue de la Russie et de la Chine, le gouvernement doit avoir des pouvoirs plus étendus sur internet, et la cyberactivité se place sous la juridiction des gouvernements, non dans le monde supraétatique des données.

Cyberenvie

Entre la Russie et la Chine, plus qu'une union, c'est un mariage d'intérêt qui reflète leur priorité commune : la stabilité du régime. Du côté russe, cela équivaut peu ou prou à envier le contrôle presque total [en anglais] qu'exerce la Chine sur son cyberespace national. Ce qui se voit tout particulièrement avec la façon dont la Russie s'intéresse à la surveillance du trafic internet. Dans un entretien avec Gazeta.ru, Andreï Kolesnikov, directeur du Centre de coordination du domaine national de l'internet, fait remarquer que les tentatives de surveillance, par exemple, l'inspection approfondie des paquets (Deep packet inspection, DPI), bien ancrée dans l'infrastructure chinoise de l'internet, fait l'objet d'une attention particulière en Russie. Il suppose aussi que des mesures plus ciblées, par exemple des attaques du type man-in-the-middle (MitM en anglais, HDM pour «homme du milieu» en français), que la Chine mène avec succès pour contourner le cryptage, peuvent éveiller l'attention des fonctionnaires du gouvernement russe. Compte tenu de l’attitude hostile de la Russie envers le cryptage des données des utilisateurs, de tels instruments sont sans doute particulièrement attractifs pour le gouvernement.

D'autres représentants du secteur russe des technologies de l'information notent que, bien que la Russie accentue son contrôle sur l'internet, la mise au point d'un système comparable au «Grand pare-feu» chinois serait extraordinairement coûteuse, et s'avérerait compliquée pour des raisons politiques et financières. Alexeï Oskine, directeur de la division technique de l'accompagnement dans l'entreprise russe de cybersécurité ESET, pointe une hausse du niveau de surveillance et de censure, même si elle diffère du modèle chinois. «Notre pays avance dans la même direction que la Chine», déclare-t-il, tout en précisant que la Russie «ne copie pas la version chinoise du pare-feu». Ce serait trop coûteux et trop compliqué d'un point de vue technique: «Bloquer l'adresse d'un web site est une chose, filtrer et analyser les informations envoyées en est une tout autre».

Vidéo: La «Ligue pour un internet sécure», qui joue un grand rôle dans la construction du dialogue russo-chinois sur la cybersécurité, explique comment communiquer sur les sites qui font la propagande du terrorisme et du séparatisme.

Cyber-anti-américanisme

Ce partenariat stratégique entre deux Etats représente plus qu'un simple échange de connaissances. C'est un mouvement qui va contre la norme établie au début du siècle selon laquelle internet serait un terrain privilégié pour la liberté d'expression. La cypercoopération russo-chinoise dans le domaine de la cybersécurité se base, en somme, sur une opposition aux principes américains de gouvernance de l'internet.

La notion de souveraineté numérique s'efforce de soumettre les technologies aux Etats, et non l'inverse. La diffusion de sentiments anti-américains et les soupçons de collusion entre les entreprises et les gouvernements occidentaux n'ont fait qu'alimenter ce besoin de souveraineté numérique. En mai 2016, Sergueï Jelezniak considérait que l'utilisation d'un logiciel interne représentait une étape cruciale pour assurer la souveraineté numérique de la Russie. Des personnalités publiques russes, particulièrement dans le secteur des technologies de l'information, tel Igor Achmanov, entrepreneur connu et mari de Natalia Kasperky (ancien directeur exécutif de Kaspersky Lab), développent la même idée.

Cela ne signifie pas que la Russie ait peur de la pénétration d'internet ou de la diffusion des technologies numériques sur son territoire. Cela signifie, en revanche, que la Russie est à la recherche d'un partenaire pour instaurer des bases légales nationales, puis vraisemblablement internationales garantissant qu'internet est au service du gouvernement, et non de ses opposants. Comme le fait remarquer l'auteur du livre «L'illusion du net» Evgueni Morozov, «la plupart des gouvernements autoritaires ont déjà acté la montée en puissance inéluctable de la culture internet ; ils n'ont pas d'autre choix que de trouver des voies pour la mettre en conformité avec leur propre storytelling, ou bien de prendre le risque de voir leur propre storytelling façonné par d'autres». Medvedev se fait l'écho de cette opinion dans une interview de 2015 au journal chinois «Jenmin Jibao» («Le quotidien du peuple»):

Политика и политики должны опережать технический прогресс и находить своевременные решения прежде, чем технологии породят новую реальность.

La politique et les hommes politiques doivent devancer le progrès technologique et prendre des décisions en temps opportun, avant que les technologies n'engendrent une nouvelle réalité.

Taïwan craint de n'être qu'une monnaie d'échange pour Donald Trump face à la Chine

samedi 17 décembre 2016 à 17:35
Image from the Standnews, non-commercial use.

Image : Standnews, utilisation non commerciale.

Le président-élu Donald Trump a tweeté le 2 décembre que la présidente de Taïwan, Tsai Ing-Wen, lui a téléphoné pour le féliciter de sa victoire à l'élection américaine, rompant avec des décennies de protocole des Etats-Unis. Peu après, il interrogeait dans une interview : “Je ne sais pas pourquoi nous devons être liés à une politique d’une Chine unique, à moins que nous passions un accord avec la Chine pour obtenir d’autres choses, y compris sur le commerce”.

Comme l’explique à juste titre Wikipédia, la politique “d'une seule Chine” se réfère au concept selon lequel il n'existe qu'un unique Etat appelé “Chine” ; les pays qui souhaitent des relations diplomatiques avec la République Populaire de Chine doivent donc rompre toutes relations officielles avec la République de Chine (Taïwan) et réciproquement.

Sitôt après la diffusion de l'interview de M. Trump sur Fox News, la Formosan Association for Public Affairs, (FAPA, l'Association formosane des affaires publiques), une organisation à but non lucratif basée à Washington, avec pour objet l'édification d'un soutien mondial à l'indépendance de Taïwan, publiait une déclaration :

We at FAPA are heartened to see President-elect Trump challenge the outdated “One China Policy”. Taiwan has never been a part of the People’s Republic of China.

However, Taiwan’s right to self-determination and democracy should not be a bargaining chip. Using Taiwan in any sort of “deal” with China is against the very ideals on which our nation is founded.

Nous, FAPA, sommes encouragés de voir le président-élu Trump défier la dépassée “politique d'une seule Chine”. Taïwan n'a jamais été une partie de la République populaire de Chine.

Pour autant, le droit de Taïwan à l'autodétermination ne devrait jamais été une monnaie d'échange. Se servir de Taïwan pour quelque “marché” que ce soit avec la Chine est contraire aux idéaux mêmes qui fondent notre nation.

Cette déclaration reflète l'incertitude de nombreux Taïwanais qui se demandent si M. Trump ne fait qu'utiliser un levier pour négocier avec la Chine, ou s'il veut réellement réévaluer la relation américano-taïwanaise.

Ainsi, June Lin, chargée de programme politique à cette même Association formosane des affaires publiques, n’apprécie pas du tout que Trump aligne la “politique d'une seule Chine” avec d'éventuels accords commerciaux. Citant Trump, elle commente :

“I fully understand the ‘one China policy,’ but I don't know why we have to be bound by a ‘one China policy’ unless we make a deal with China having to do with other things, including trade.”
假裝很灑脫傲嬌 但交換條件講ㄉ蠻細ㄉ
「誰管你啊 ~除非你給我A跟B跟C,不然我才不理你ㄋ。」
如果這句話放在他的twitter大寫的字會是TRADE????
真的是好煩啊….

“Je comprends parfaitement la ‘politique d'une seule Chine’ mais ‘Je ne sais pas pourquoi nous devons être liés à une politique d’une Chine unique, à moins que nous passions un accord avec la Chine pour obtenir d’autres choses, y compris sur le commerce”.
Trump s'est voulu libre et simple, mais il est très clair sur le marchandage : ‘Qu'est-ce que ça peut faire [la politique d'une seule Chine] ?—Sauf si vous me donnez A, et B et C, je m'en ficherai complètement’.
Si ses propos étaient mis sur son compte Twitter, je suppose que le mot en capitales serait COMMERCE ????
C'est embêtant…

Alors que la géopolitique évolue en mers de Chine du Sud et de l'Est, les USA semblent se rapprocher de plus en plus d’un nouveau paradigme en manifestant leur puissance militaire. Sous l'administration du président Barack Obama, le gouvernement américain a renforcé ses liens stratégiques avec Taïwan. Le Congrès des Etats-Unis a voté en avril de cette année le Taiwan Relations Act (loi sur les relations avec Taïwan) et les “Six Assurances”, qui réaffirme la position de Taïwan comme “important partenaire” des USA.

En mai, lors du vote par la Chambre des Représentants du budget militaire pour 2017, un amendement donne instruction au Secrétaire américain à la Défense d'accorder à l'armée taïwanaise le statut d'observateur dans les manoeuvres de la marine appelées Rim of the Pacific Exercise (RIMPAC). S'ajoutant à cela, le 8 décembre, le Sénat des Etats-unis a adopté le projet de loi annuel de politique de défense, comportant une disposition recommandant la conduite d'échanges militaires annuels de haut niveau avec Taïwan.

Bien que la sortie de Trump sur Twitter ait été interprétée comme une réaffirmation plus décidée du partenariat stratégique, les Taïwanais s'inquiètent tout de même que Trump, homme d'affaires, ne se serve de Taïwan qu'à fins de négocier un meilleur accord commercial avec la Chine. Taïwan est un pays indépendant de facto, mais les autorités de Chine continental voient cela d'un autre oeil, et n'apprécient guère les prises de position qu'elles perçoivent comme une reconnaissance du gouvernement taïwanais.

Quel est au juste le statut de Taïwan ? Lire : Taïwan, pays véritable, île autonome, territoire perdu ou province chinoise ?

Qui plus est, certains Taïwanais étaient informés de la présence à Pékin de l'ancien Secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger au moment où Trump tweetait à propos de son entretien téléphonique avec la présidente taïwanaise. Pour ceux-ci, la conduite de Trump incarne la politique étrangère à la mode Kissinger, centrée sur l'imprévisibilité. Mais Taïwan pourrait-elle survivre sous une telle politique étrangère, celle-là même qui a vu les USA bombarder le Cambodge, le Laos et le Vietnam à la fin des années 1960 jusque dans les années 1970 ?

Jou Yi-Cheng, militant social et personnalité retraitée de la politique, a aussi des doutes sur les négociations à la hussarde de Trump avec la Chine :

新的美國對中對台政策,還需要一點時間鋪陳。外交政策圈的論述戰還未全面開打。川普先生的步調太快,把全世界趕著跑。川普先生的生意作風是先把標的物(貿易)講清楚,籌碼擺上來(台灣,一個中國政策),讓雙方(美中,沒有台灣)快速進入談判。[…]
外交還是要談理念、理想。利益是核心,但不能只談利益。虛虛實實,互相掩護。美國正當性會削弱。美國在全世界會有更多麻煩。

Le développement de la nouvelle politique américaine vis-à-vis de la Chine et vis-à-vis de Taïwan devrait prendre plus de temps. Le débat entre les décideurs de la diplomatie n'a pas encore débuté. M. Trump va vite et entraîne le monde entier en avant avec lui. Le style en affaires de M. Trump est de fixer clairement l'objectif (càd le commerce) et de mettre la monnaie d'échange (càd Taïwan, la politique d'une seule Chine) sur la table pour passer à la négociation bilatérale (entre les USA et la Chine mais sans Taïwan) aussi rapidement que possible. […]
La diplomatie doit traiter le concept et la vision. Le bénéfice est le centre, mais ne peut rester seul. Idéologie et intérêt concret vont de pair. [Sans le discours idéologique] la légitimité des Etats-Unis sera affaiblie, et les ennuis suivront.

Si Trump tente d'utiliser Taïwan comme monnaie d'échange, la Chine quant à elle n'a pas l'air de vouloir jouer. Les politiques chinois considèrent Taïwan comme l'un des intérêts essentiels de la Chine, impossible à marchander. Ils préféreraient en réalité négocier avec les Taïwanais un nouveau cadre pour les deux rives du détroit, car s'agissant de Taïwan ils ont bien plus à proposer (ou à faire pression).

Il se trouve pourtant des Taïwanais pour croire que la crise ouvre une opportunité même si Taïwan sert de monnaie d'échange dans des négociations sino-américaines. L'économiste Yu-His Liu écrit :

人生在世,不怕被人利用,只怕沒人要利用你。所謂交易,重點在於是否能互惠互利、各取所需。台灣人無須自我膨脹,但也無須失敗主義,盲目抗拒進場聽牌。與其如履薄冰,不如迎向改變。[…]我們要知道自己要甚麼[…]我們必須提醒自己,人不能用極惡或極善來二分,任何議題也不能用「全有或全無」做為行動方針。

Nous ne devrions pas avoir peur d'être utilisés par autrui si nous voulons survivre dans le monde. C'est quand personne ne veut vous utiliser que vous devez vous inquiéter. Quand on parle de conclure un accord, le plus important est de savoir si les deux côtés profitent de l'accord et obtiennent ce qu'ils veulent. Les Taïwanais ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers, mais il ne faut pas [non plus] succomber au défaitisme et refuser aveuglément d'entrer dans le jeu. Au lieu d'être peureux, prenons les changements avec sérénité. […] Il faut que nous sachions ce que nous voulons. […] Nous devons nous rappeler que nous ne pouvons pas tomber dans un manichéisme classant chacun en bon ou mauvais et laisser la  stratégie du “tout ou rien” guider nos actions.

Un utilisateur appelé Azuel a analysé la situation sur PTT, le système de panneau d'affichage électronique le plus populaire à Taïwan, et son commentaire fait écho au propos de Liu :

接下來每一步對台灣來說都是兢兢業業如履薄冰
台灣就是支點,可以被維持,也可能因為一點點的偏移而破壞整個平衡
算計是一定要每天都根據新的情況算下去的,沒有不會改變的季節
不過這起手的牌,在可見的時間範圍內算是好牌
河牌一張張掀開的時候,隨時要注意牌桌上所有對手的表情了

Taïwan a besoin d'être très, très prudent à chaque pas, nous marchons sur une fine couche de glace.
Taïwan est le pivot [de la balance]. Il peut tenir l'équilibre, mais une minime erreur de jugement peut défaire l'équilibre.
Il faut recalculer sur la base de la nouvelle situation que nous trouvons chaque jour. Il n'y a pas de saison immuable.
Pour résuler, cette première carte peut être considérée comme une bonne dans le futur prévisible, mais il nous faut observer attentivement les mimiques de tous les joueurs lorsque les cartes sont soulevées une par une.

Le féminisme culturel vous intéresse mesdames ? Venez et servez-vous !

samedi 17 décembre 2016 à 11:17
Imagen: Impreso de 1914 de Charles Dana Gibson. Perteneciente al Dominio Público.

Une estampe (1914) de Charles Dana Gibson. Domaine public

Le blogue OyeJuanjo, tenu par le jeune journaliste péruvien Juanjo Dioses, et réputé pour diffuser des textes et ressources à teneur éducative, a réuni dans un article 70 œuvres gratuites et téléchargeables sous le format PDF qui analysent et abordent différents phénomènes par l’intermédiaire de deux points de vue : les féminismes et la culture.

Parmi les textes publiés, on trouve des essais, des travaux académiques et des débats relatifs aux images du corps dans la culture et la politique, au cyberféminisme ou à une analyse de l’image des femmes dans les bandes dessinées. La peintre mexicaine et icône de la lutte des femmes, Frida Kahlo, est au centre de l’analyse de bon nombre de ces textes. Les signes de pouvoir et de contre-pouvoir sont également explorés par l’intermédiaire du corps et des associations présentes ou non sur Internet. En résumé, il s’agit d’un parcours à travers les intérêts du monde intellectuel au cœur des luttes de genre et de leurs environnements.

Au Paraguay, les filles les plus pauvres font des travaux domestiques d'esclaves pour accéder à l'éducation

jeudi 15 décembre 2016 à 15:38

Tina Alvarenga, qui a été “petite bonne” dans son enfance, retrouve la maison dans laquelle elle a travaillé pendant des années. Actuellement, Tina travaille pour la Défense des droits des enfants et recueille les témoignages des “petites bonnes” qui comme elle furent victimes de sévices et discriminations. Photographie de Cecilia Rojas, publiée avec l'autorisation de Kurtural.

Cet article est une version courte du travail réalisé par Kurtural et publié sur Global Voices avec autorisation des auteurs. Ce texte fait parti de la série Des vaches qui s'envolent, des écoles qui s'effondrent, qui sera également republié et réédité par Global Voices Amérique latine. 

[Tous les liens de cet article renvoient vers des pages en espagnol]

Tina Alvarenga a vécu huit ans dans une maison où il lui était interdit de manger avec la famille. Elle y est revenue des années après pour entendre la maîtresse de maison parler d'elle avec orgueil : “Elle est comme notre fille, la meilleure que nous ayons eu“. Mais Alvarenga n'a jamais été traitée comme une de ses filles dans cette maison. À partir de l'âge de dix ans elle fut leur “criadita”, la petite bonne de la famille. C'est le mot utilisé au Paraguay pour désigner plus de 46.000 garçons et filles qui sont obligés de travailler pour pouvoir aller à l'école.

Le contrat est très simple: une famille nombreuse peu fortunée place son garçon ou sa fille mineure dans une autre famille plus à l'aise qui lui offre un toit, la nourriture et l'éducation. Ce que l'on ne dit pas, c'est que le garçon ou la fille fera des journées interminables de travail domestique, jamais payées, et qu'il ou elle pourra subi des mauvais traitements de toute nature sans que le pacte puisse être annulé. C'est ce qu'on appelle le criadazgo, une pratique qui persiste dans le pays malgré plusieurs dénonciations d'organisation des droits de l'homme, grâce à la tolérance complice d'une bonne partie de la société.

Après avoir terminé ses études universitaires, Alvarenga a travaillé pendant des années dans une organisation de défense des droits de l'enfance. Elle a rencontré des “petites bonnes”, recueilli des témoignages, rédigé des rapport, mené des enquêtes, des plaintes. Elle a essayé d'appeler les choses par leur nom, parce qu'il existe souvent un sentiment de gratitude bien installé au sein de ces petites employées, et qui est une garantie de silence.

“Le criadazgo repose sur une double illusion”, dit Alvarenga. D'un côté, celle d'une famille qui confie sa fille à d'autres personnes, croyant que par cela elle pourra terminer ses études, améliorer sa position sociale, devenir quelqu'un dans la vie. De l'autre côté il y a la famille qui reçoit la fillette et justifie son exploitation en estimant qu'elle offre à quelqu'un une opportunité sans laquelle il ou elle n'aurait pas pu étudier et même mourrait de faim

Les victimes du criadazgo 

Si la fillette est maltraitée, sa  famille ne le saura que bien des années après. Souvent, on n'arrive jamais à le savoir. Mais en janvier 2016, une histoire malheureuse a permis de mettre un visage sur un phénomène bien caché au coeur des foyers.

Carolina Marín a été admise à l'Hôpital régional de Caaguazú avec des traces attestant de coups violents et est morte peu après. Elle avait quatorze ans, elle était employée dans la maison de Tomás Ferreira, un ex-militaire, et de Ramona Melgarejo, fonctionnaire au service de l'état-civil. Elle vivait avec eux à Vaquería, une ville d'un peu plus de trois mille habitants située à environ deux cent cinquante kilomètres à l'est d'Asunción. En cette fin de janvier 2016, Ferreira avait frappé Carolina avec un bâton jusqu'à la tuer. Ce fut sa dernière punition.

Les médias diffusèrent cette nouvelle quelques jours plus tard, insistant sur le fait que la mineure assassinée était une “criadita”. Des organismes comme l'Unicef ou Callescuela [littéralement : rue école, NdT] firent retomber la responsabilité de cette mort sur la coutume bien enracinée du “criadazgo”qualifiant cette pratique de forme moderne d'esclavage. Des dizaines de personnes se mobilisèrent pour organiser des manifestations pour qu'il n'y ait jamais plus “d'autre Carolina” au Paraguay. Le nom et la photo de l'adolescente firent le tour des réseaux sociaux.

“Au Paraguay les vaches sont mieux répertoriées que les enfants”, dénonce Tina Alvarenga. Sans identité, un enfant est bien plus vulnérable. S'il n'est pas sur un registre, il n'est pas possible de contrôler dans quelle condition il vit.

La routine

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En plus de l'exploitation au travail, beaucoup de “petites bonnes” vivent isolées des autres filles de leur âge.

Tina Alvarenga avait dix ans quand l'usine où son père travaillait a fermé, le laissant sans travail. Tous ses frères se mirent à travailler pour ramener de l'argent à la maison, ils vendaient des bonbons dans la rue ou au marché. Ils ont pu ainsi continuer à aller à l'école. Elle seulement s'est retrouvée placée comme “petite bonne” à Asunción.

Dans la maison de ses patrons, Alvarenga travaillait entre quatre et six heures par jour, le temps qu'elle pouvait passer à étudier était chronométré. Elle se levait autour de cinq heures du matin pour préparer le petit déjeuner de ses employeurs. Elle devait maintenir la maison en ordre chaque jour de la semaine. Le vendredi par exemple elle nettoyait le réfrigérateur et la salle à manger, dépoussiérait les meubles et nettoyait le sol, ensuite seulement elle allait à l'école.

Quand les classes étaient terminées elle rentrait à la maison et avait un peu de temps pour étudier. Plus elle finissait vite, plus elle avait de temps libre, mais ce temps aussi été limité car elle devait préparer le dîner pour les “señores”. Alvarenga raconte qu'elle n'a jamais eu faim, mais que la nourriture était mesurée… elle avait plus facilement accès à la bibliothèque de la maison qu'au réfrigérateur.

Cette bibliothèque était bien fournie et appartenait au propriétaire de la maison, un militaire sympathisant du parti libéral, un opposant à la dictature de Stroessner (au pouvoir entre 1954 et 1989). Certains soirs, après dîner, le patron obligait Alvarenga a se tenir debout à ses côtés et lire les éditoriaux des journaux d'opposition comme “Sendero” ou “El Pueblo”. Il la poussait à ne pas croire ce que les médias officiels disaient sur le régime dictatorial. Il la trouvait intelligente mais n'avait aucune discussion avec elle. “Le monsieur avait trouvé quelqu'un qui l'écoutait parler politique”.

“Ils ne me laissaient pas souvent retourner dans ma maison, parce qu'ils disaient que je reviendrais avec de mauvaises habitudes.” Il parlaient du guarani, sa langue maternelle puisque sa mère était une indigène guarani. Ses patrons craignaient qu'elle perde l'éducation qu'ils lui donnaient. Elle était par ailleurs parfaitement consciente du fait que tout ce qu'ils lui donnaient était payé par son travail.

La discrimination était également transférée à l'école. “Une des choses dont on parle le moins est le harcèlement, l'accueil que subissent les criaditas quand elles vont au collège. Les autres enfants ont leurs parents, ils se rendent vite compte que vous ne les avez pas, que vous êtes une petite bonne, une criadita. Je ne pouvais inviter personne dans la maison où je vivais, je n'avais pas d'amis au collège ou chez mes voisins. Ce que j'ai le plus péniblement ressenti, c'est le fait de ne pas appartenir à un groupe pendant l'adolescence quand se forment les amitiés. L'isolement a été le pire de tout”, raconte Alvarenga.

Un système soutenu par la société

En janvier 2015, une femme publia ce texte dans un groupe  Facebook qui partage des annonces de demandes d'emploi pour nettoyage et garde d'enfants au Paraguay. Le groupe est administré par Pepa Kostianovsky, conseillère municipale de la ville d'Asunción.

Hola, necesito una compañerita para mi nena, para jugar con ella a la mañana y a la tarde. Para estudiar. Avisen por favor. Para el lunes si es posible.

Bonjour, j'ai besoin d'une petite compagnie pour ma petite fille, pour jouer avec elle le matin et le soir pour étudier. Me contacter SVP. Pour lundi si possible.

Cette annonce a reçu cinq ” j'aime” et plusieurs commentaires. Une femme de la ville de Ñemby dit qu'elle avait une petite de onze ans et donna son numéro de téléphone. Une autre femme, également de Ñemby, proposa sa nièce de quinze ans : “Elle aime les petits, et elle est très jolie”. Un troisième commentaire parlait d'une “fille de l'intérieur qui voulait travailler”. Devant la quantité de réponses, la rédactrice de cette annonce ajouta bientôt la précision  :

Amigas, conseguí una, voy a ver si me funciona. Muchas gracias, aviso otra vez cualquier cosa.

Mes amies, j'ai trouvé quelqu'un, je vais voir si ça marche. Merci beaucoup, 

L'affaire était close.

“Alors qu'au cours de notre histoire, nous avons été capable d'en finir avec des régimes comme l'esclavage, le cuñadazgo (l'intégration sociale des femmes par le concubinage), les encomiendas (privilèges), le mensú (sorte de servage agricole), il est inexplicable que nous continuions à accepter avec une complicité tacite la servitude à laquelle se trouvent confrontés tant de filles et de garçons, un système esclavagiste qui les expose à tous les abus ou exploitations possibles”, écrit Ortiz dans le prologue du livre Criaditas, Jusqu'à quand? Une série de témoignages d'ex criaditas. Les inégalités et une forme ostentatoire du pouvoir au Paraguay sont des indices pour comprendre la persistance de cette réalité sociale.

Un militant syrien des médias : “Horrible et effrayant, Alep est devenu une ville d'épouvante”

mercredi 14 décembre 2016 à 11:41
Gnaid, center, with his newborn daughter . Used with permission.

Gnaid, au centre, avec son nouveau-né et sa famille. Photo publiée avec autorisation.

“Alep vit et ne mourra pas !”

Voici ce qu'écrivait Gnaid, journaliste et vidéaste sur Facebook en annonçant la naissance de sa petite fille, son deuxième enfant, jeudi 24 novembre 2016.

Gnaid travaille pour le groupe médiatique militant Aleppo Today (Alep Aujourd'hui) qui diffuse une information quotidienne, et collabore aussi au Aleppo Media Center (AMC) dans la partie est de la ville d'Alep en Syrie. Il a une connexion internet intermittente via satellite et ne peut communiquer avec Global Voices que par cette voie. Il vit avec sa femme, son jeune fils, sa fille nouveau-née et deux personnes de sa famille.

Les deux enfants sont nés et grandissent sous le siège. La semaine dernière, Gnaid avait dit à Global Voices lors de plusieurs communications que les forces du régime syrien étaient à peine à deux kilomètres  de sa maison, et que la panique a saisi les civils et les professionnels des médias qui sont encore à Alep-est.

Au moment d'écrire cet article, les forces alliées du Président Bachar al-Assad contrôleraient presque tout Alep-Est, après leur avancée extrêmement rapide des derniers jours grâce aux bombardements russes et aux lourd renfort des milices appuyées par l'Iran. Depuis 2012, la ville est divisée entre la partie est tenue par les rebelles et la partie ouest aux mains du régime. Les premières bombes-barils larguées par le régime sur Alep datent de décembre 2013 , et depuis, toutes sortes d'armes ont été utilisées, des armes chimiques aux bombes à sous-munitions, ne laissant de la partie orientale de la ville que des ruines. Un siège impitoyable a alors été imposé par le régime en juillet 2016 avec l'objectif déclaré de reprendre Alep-Est en quelques mois.

Quand Gnaid et sa famille évaluèrent les possibilités de quitter Alep-Est, ils trouvèrent beaucoup d'obstacles. Aller en Turquie voisine est difficile, et les zones de Syrie tenues par le régime sont dangereuses pour les militants des médias, qui craignent arrestation, torture voire la mort. Gnaid constata que ce n'est qu'en se rendant avec un portrait d'Assad à la main qu'il avait une chance de survivre, mais sa fierté et sa dignité ne pouvaient l'accepter. Une trop grande humiliation pour lui, a-t-il dit à Global Voices. C'est ainsi que Gnaid et sa famille décidèrent de rester et de continuer à vivre à Alep-Est.

“Ce soir, les bombardements sont très intenses”, a dit Gnaid à Global Voices mercredi 7 décembre. “C'est horrible et effrayant, Alep est devenu une ville d'épouvante”. Il a accusé la communauté internationale de “manque d'humanité” :

Ma femme et moi n'avons pas de passeports. Nous ne pouvons pas voyager, mais nous pouvions nous maintenir en vie ici à Alep, même pendant le siège. Mais maitenant il faut une solution. C'est notre droit de vivre dans la dignité et la liberté, juste comme tout individu en ce monde. Mais malheureusement notre voix est couverte par le bruit des armes ! Un nombre énorme de gens ont perdu leurs maisons et sont chassés par la violence et les bombes. Notre quartier peut bien revenir au régime. Mais nous ne lâcherons pas notre terre ! Honte aux Nations Unies et à toutes les organisations internationales qui auraient pu sauver les blessés mais ont simplement refusé de le faire !

Gnaid a ensuite envoyé un nouveau message :

La situation est affreusement difficile. Je ne sais pas où rester. Je regarde les gens. Je ne veux pas partir. Je ne veux pas quitter Alep. Je suis fatigué, totalement épuisé. Mais il n'y a rien d'autre à faire pour moi que rester. Ici c'est chez moi. Il n'y a rien d'autre pour moi qu'Alep. Je ne sais plus quoi faire. C'est entre les mains de Dieu.

Finalement, jeudi 8 décembre, Gnaid envoya ce qu'il pensait être son ultime message.

Il y a une demi-heure les incendies ont commencé ici. Il y a une énorme panique. Surtout chez les enfants. C'est très difficile à présent. L'armée syrienne attaque avec des missiles. La bataille approche.

Heureusement, il a réussi à faire parvenir un bref message audio à Global Voices dans la matinée du mardi 13 décembre 13, disant :

Nous sommes sains et saufs Dieu merci. Nous continuons à attendre et voir venir.

Entre-temps, ses confrères du Aleppo Media Center ont mis en ligne une vidéo panoramique montrant les destructions à grande échelle dans le quartier d'Al Shaer à Alep-Est .

Pour Gnaid et sa famille, la communauté internationale ne fait rien pour arrêter le bain de sang. Le seul espoir qui reste, dit-il, est que lui et sa famille puissent sortir en sécurité vers les zones encore sous contrôle de l'opposition, pourvu que les avions de guerre ne finissent pas par les y poursuivre.