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Histoires d'immigrants : une vie de chaque côté de l'Atlantique

jeudi 29 octobre 2015 à 22:28
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Natalia Carruego a quitté son pays, l'Argentine, il y a une dizaine d'années et vit maintenant au Royaume-Uni, où elle élève ses enfants à la manière sud-américaine. Photographie : Ana Hernández.

Voici la cinquième des rencontres composant la série d'interviews qui explorent les expériences de Latino-Américains ayant quitté leur pays d'origine en quête d'opportunités nouvelles, que vous pouvez lire ici. L'interview qui suit a été publiée à l'origine sur le blog d'Ana et en annexe de ce blog dédié aux interviews. À cette occasion, Ana converse avec Natalia Carruego, une Argentine qui a quitté son pays il y a un peu plus de dix ans. Pour Natalia, cette expérience a entraîné une vie coupée en deux, divisée par l'Océan Atlantique.

Natalia Carruego est née à Buenos Aires. Dans un village nommé Quilmes, celui de la bière. Mais elle a grandi à Temperley, à environ dix kilomètres de là, dans la zone Sud du grand Buenos Aires.

Lorsque Natalia, qui était danseuse, a eu 16 ans, elle a décroché une bourse pour partir danser à Tenerife, en Espagne. Mais la force familiale l’a retenue en Argentine jusqu’à la vingtaine, époque durant laquelle elle s’est décidée à tenter sa chance pour elle-même. D’abord à Madrid, puis à Levante. Avec les années, Natalia la danseuse allait étudier l’enseignement primaire et la logopédie.

“J’ai voyagé de l’Argentine vers l’Espagne parce que j’avais toujours été intéressée par l’Europe. Je suis venue à l’aveugle, et si je l’avais su, je ne serais peut-être pas venue. J’ai quitté l’Espagne pour le Royaume-Uni après avoir vu l’entreprise où je travaillais faire faillite. ”.

Pour Natalia, émigrer “fait ressortir le meilleur et le pire de chacun. On connaît la personne dans toute sa puissance. On réagit de manière différente, les amis de toujours ne sont pas là, il y a de la distance, de la pression et la croyance selon laquelle un travail qui ne nous plaît pas est une passerelle pour arriver là où l’on veut aller. C’est dur.”

Le prix à payer pour vivre loin est élevé. Tu laisses beaucoup de choses derrière toi, parmi elle les affections. Parce qu’en émigrant, il n’y a pas que toi en cause : tu conditionnes toute ta famille. Ce n’est pas une décision qui ne concerne que toi. De manière directe ou indirecte, tu es un peu juge de tous, et à partir de ce moment-là, tu auras des grands-parents absents, des oncles et tantes, des parents absents. Des amis, des cousins et des neveux qui ne sont pas présents.

Et bien que les liens soient véritables, poursuit-elle, “c’est très difficile de vivre avec le cœur partagé. Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à ma famille. Comme ce serait bien s’ils pouvaient être là pour voir ceci ou cela, cela aurait été si beau s’ils n’avaient pas raté le premier mot prononcé par ma fille.”

Dans les années 1990, quand Natalia était adolescente à Buenos Aires, les choses étaient différentes. “Il n’y avait pas l’insécurité de maintenant, les populations et les commerces étaient moins importants, la politique elle-même était différente. Maintenant, il n’y a pas de politiques inclusives, on n'arrive pas à contenir autant d’inégalité sociale. De plus, il y a le manque de tolérance et la corruption énorme, mais dans le même temps, le gouvernement de (Cristina) Kirchner dit avoir réussi l’égalité sociale, bien que les faits démontrent le contraire. Il y a des zones avec des écoles fermées, et il faut savoir voir que l’Argentine, ce n’est pas seulement Buenos Aires.”

On a également commencé à appeler les choses par leur nom. “Aujourd’hui, la violence de genre est la violence de genre. La chaîne perpétuelle existe, et l’homosexualité continue d’être cachée dans un pays où l’on est obligé de voter, où l’on te pénalise si tu ne le fais pas. Tu dois te présenter. Un pays dont la fonction du gouvernement est de diviser, où les réunions de famille finissent en disputes, où il faut éviter telle ou telle conversation. Un pays où l’on tue le procureur fédéral la veille de son témoignage.” Un pays que, malgré tout ou peut-être grâce à tout cela, Natalia aime. Avec lequel elle ne cesse d’être en contact grâce aux réseaux sociaux, à la TV Argentina Online (TN.com) ou aux journaux comme La Nacion et Clarín.

Natalia, qui vit à Bristol, au Royaume-Uni, assure qu’elle élève ses filles à la manière sud-américaine : elle ne les laisse pas boire d’alcool, ne les autorise pas à sortir habillées d’une jupe dont la longueur fait qu’on ne peut pas appeler cela une jupe, et elle n’acceptera pas non plus qu’elles quittent la maison à 16 ans, comme beaucoup d’adolescents britanniques le font. Et pour rien au monde elle n’emmènerait une petite fille de six ans se faire une manucure. “Tout ça, non.”

Elle ne veut rien de tout cela, et ne veut pas non plus mourir au Royaume-Uni. “J’aimerais rentrer”, dit cette Argentine à qui l’on a posé il y a quelques jours une question qui l’a bouleversée : Où aimerais-tu te téléporter ?

À la maison. Je me suis vue en Argentine, avec ma famille et mes amis. Je me suis vue avec tous ceux à qui j’ai interdit d’aller à l’aéroport chaque fois que je partais, parce que c’est bien plus difficile s’ils viennent, parce qu’après chaque moment d’adieux, je pense : “Est-ce que nous nous reverrons ?” Parce qu’il se passe quelque chose et je ne suis pas là. Je n’arrive à rien, même si je suis heureuse parce que nous nous aimons en ligne, mais on a besoin du physique. Me disputer avec ma maman, mon papa, nous prendre dans les bras ensuite. Les réunions de famille avec l’asado argentin me manquent. Parce qu’ici, au Royaume-Uni, ce sont des adieux perpétuels. Tu fais connaissance avec des gens, tu t’investis et ils finissent par partir. Comme si tous n'étaient que de passage.”.

Natalia, qui est à la fois nostalgie et joie, ne cesse de penser que quand ses filles grandiront et seront grandes, la roue tournera de nouveau. “Elles ici et moi là-bas.”

Des Chinoises manifestent en Corée du Sud pour des interventions ratées de chirurgie esthétique

jeudi 29 octobre 2015 à 13:18

Pendant les vacances de la Semaine dorée qui vont de la fin septembre au début octobre, des femmes chinoises se sont déplacées à Séoul en Corée du Sud pour manifester dans la rue contre des interventions de chirurgie esthétique mal faites.

Dans les “ratés” de cette chirurgie, on peut citer, entre autres : des mandibules tordues, des yeux ou des paupières asymétriques, des déviations des fosses nasales, des muscles faciaux sous tension. Ces femmes expliquent qu'elles ont été subtilement poussées par des médecins à se soumettre à cette chirurgie sans rien savoir de la qualité des équipements et locaux utilisés ou de la qualification des chirurgiens.

Selon les médias chinois ces femmes affirmeraient que l'hôpital les aurait enfermées dans une chambre obscure et aurait confisqué leur passeport. Enfin,  elles auraient été arrêté par la police.

En Chine il est illégal de manifester pour obtenir la reconnaissance ou la compensation d'un préjudice. Mais en Corée du Sud, ces femmes ont pu le faire légalement et certaines ont fait plusieurs fois le voyage à Séoul pour défiler devant les hôpitaux.

 Une industrie florissante

Depuis l'autorisation de la chirurgie esthétique en Chine en 2001, cette activité économique a connu une croissance de plus de 40 pour cent par an pendant les 15 dernières années. En 2012 , les Chinois ont dépensé 300 millions  de yuans (environ 47,2 millions de dollars) en chirurgie plastique. Le secteur emploierait plus de 20 millions de personnes. Mais au moins 70% des gestes de chirurgie esthétique sont pratiqués  dans les instituts de beauté sans la moindre autorisation

Entre 2009 et 2010, plus de 3,4 millions d'interventions de chirurgie esthétique ont été faites en Chine et l'on relèverait actuellement  20 000 plaintes.

En 2018 le marché de la chirurgie plastique vaudra dans les 850 millions de yuans (environ 137 millions de dollars), la nouvelle génération étant plus ouverte à l'idée de la chirurgie esthétique et tout à fait disposée à  partager en ligne les résultats des opérations.

De plus en plus de Chinois aisés choisissent d'aller en Corée du Sud, pays reconnu comme la meilleure destination asiatique pour la chirurgie esthétique du fait de la qualité des équipes médicales. En 2014, 56 000 femmes chinoises sont allées dans ce pays pour, au moins, une petite intervention.

” Le visage est un héritage des parents”

Néanmoins, tous les patients ne sont pas satisfaits des résultats de l'intervention esthétique. On peut voir de graves ratages si le médecin n'a pas la compétence requise. Quand l'annonce de ces manifestations est arrivé en Chine, ce thème est devenu très suivi dans la section ‘Huati’  du réseau social très populaire Weibo (voir post Des victimes de chirurgie plastique ratées manifestent à Séoul).  Pourtant, les commentaires vont surtout dans le sens de la critique de cette chirurgie à la demande et aussi des réactions de ces femmes. Le sens et la signification des manifestations publiques ne s'est pas vulgarisé en Chine aussi vite que l'industrie de la chirurgie esthétique. Beaucoup d'internautes sont accrochés à l'idée que notre corps est avant tout un cadeau de nos parents:

你们整容前你妈妈知道吗?你们对的起她吗?这不是瞎搞吗?

Est-ce que ta mère a su que tu t'étais fait refaire le visage? Tu n'as pas peur de leur faire de la peine? Pourquoi vas-tu manifester?

为啥要抗议?自己愿意花钱整容,又没有被人强迫 本来整容就是有很大风险的,愿意投资就要有能承担风险的心理

Pourquoi ces manifestations? Elles ont dépensé leur argent dans un lifting du visage que personne ne les a obligées à faire! La chirurgie plastique est à haut risque, elles devraient être prête à assumer ce risque!

人的容貌是父母所给,老天所给,为什么要去改变

Le visage d'une personne est un cadeau des parents et de Dieu. Pourquoi serait-il nécessaire de le changer ?

广告做的好,就以为真的做的好。为甚就不相信爹娘最好呢!真是可怕的悲哀。我的土地上,为甚有越来越多的虚妄的植物?

Pourquoi as-tu fait confiance à ces annonces?  Pourquoi n'as-tu pas confiance en tes parents, c'est tellement triste !  Pourquoi les gens de ce pays sont-ils devenus aussi vaniteux ?

 Le gouvernement devrait intervenir !

Par ailleurs, d'autres utilisateurs plus compréhensifs suggèrent que les autorités interviennent dans cette querelle.

某些大陆的网友太可恶了,说什么活该之类的废话。我想说的是,爱美之心人皆有之。人家自己的事情不需要你去干涉或者你去发表什么活该之类的言论,更不需要某些人去讲什么身体发肤受之父母之类的大道理。现在最重要的就是,希望你们大陆所谓的有关部门可以与南韩方面进行交涉处理~

Il y a des internautes qui sont très cruels. Tout le monde a envie d'être beau, qu'ils s'occupent de leurs affaires et gardent pour eux leurs commentaires. Je ne vois pas pourquoi on devrait sortir des histoires du genre : ” la chair, les cheveux, la peau viennent des parents…..” Le plus important aujourd'hui est d'inciter les autorités chinoise à résoudre ce litige avec leurs homologues sud-coréens.

真实的就应该讨回公道,爱美之心人皆有之,这么伤害为了变美而甘愿承受皮肉之苦的人真的应该受到惩罚,个人认为应该放到国际的层面上解决~~

Si les établissements n'avaient pas d'autorisation d'opérer, les manifestantes doivent demander une compensation du préjudice. Tout le monde souhaite être beau, ceux qui en profitent et font des dégats doivent être punis.

Partir pour pouvoir revenir : un Dominicain en Espagne

mercredi 28 octobre 2015 à 22:35
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Jesús Antonio García, le “potier” de Ciudad Real. Photographie prise par l'auteure.

Voici la première d'une série d'interviews qui vont à la découverte des expériences de Latino-Américains qui quittent leur pays en quête d'opportunités nouvelles. Dans ce post, Ana Hernández converse avec Jesús Antonio García, un homme d'affaires de République Dominicaine qui vit en Espagne. Cette interview a été publiée à l'origine sur le blog d'Ana et dans le journal en ligne El Crisol de Ciudad Real.

Des maisons basses et indépendantes. Des plafonds ouverts, clairs et dégagés. Des routes goudronnées, des avenues très fréquentées. Beaucoup de boutiques dans les rues. Des gens qui achètent, vendent, crient au croisement des rues de Duarte et de Paris comme l’avaient fait il y a quelque temps de cela les danseurs d’Enrique Iglesias dans son vidéoclip “Bailando“, tourné au coeur de Saint Domingue.

Des odeurs qui se mélangent et qui invitent à un difficile jeu d’identification : avocats mûrs, riz, haricots et beaucoup de veau. À trente kilomètres de là, Boca Chica, une bouffée d’oxygène, un espace naturel sur la côte Sud de l’île La Española. “Les rues de la capitale dominicaine sont trop fréquentées”, explique Jesús Antonio García, habitant de la capitale qui a acquis une propriété dans la ville espagnole de Ciudad Real, où il est connu sous le nom de “Alfarero” (potier), comme son commerce.

La poterie a besoin d’au moins deux éléments : un moule et un moulé, « et moi, je préfère les seconds parce que c’est Dieu qui me modèle », dit cet homme d’affaires âgé de cinquante-huit ans, qui se montre joyeux en souriant à peine.

Jesús Antonio, qui se bat tous les jours avec les mesures bureaucratiques et les formalités qui lui seraient étrangères dans son pays, parle maintenant de la République Dominicaine avec l’assurance que lui confère la distance :

Comme d'autres présidents d'Amérique Latine, Danilo Medina [Président de la République Dominicaine] encourage les petites et moyennes entreprises. Le gouvernement finance et se porte garant. Cela fait du bien. Surtout pour le tourisme et le commerce, où les investissements sont évidents. Ce sont les points forts de l'avenir de la République Dominicaine.

“Il s'agit de rendre les choses plus faciles et donner des opportunités”, explique avec conviction le propriétaire de “Alfarero”, entreprise dans laquelle il a voulu insuffler un peu de l'air que l'on respire dans son pays.

Mon point fort, c'est la vente de produits latino-américains, mais j'ai beaucoup de variété. Jusqu'à vingt services différents disponibles 24h/24 sans interruption. Photocopies, fax, Internet, cabine téléphonique, transfert d'argent et envoi de colis.

Bien que Jesús Antonio García déclare avoir le mal du pays, il admet se sentir bien en Espagne. Il se remémore comment il y a trouvé le bien-être :

Au début, je dormais dans la rue, toujours dans des parcs, mais je n'avais jamais peur car, quand on n'a rien, on n'a rien à craindre non plus. Les choses se sont améliorées ensuite. Avec beaucoup d'intérêt, un petit coup de pouce de ma soeur, des objectifs clairs, la foi, le courage et la persévérance, on arrive à atteindre de petites choses qui en amènent d'autres, plus grandes.

Il se définit lui-même comme honnête. Il ne ment donc pas en disant qu'après avoir tenté sa chance en Espagne, au Royaume-Uni, à Cuba, au Venezuela ou aux États-Unis, les choses peuvent s'améliorer, même si ce n'est pas facile du tout :

On peut arriver sans rien et obtenir quelque chose.

Il parle de l'Amérique Latine de loin, mais il assure qu'elle est en train de beaucoup se développer. “Son heure est venue, le quotidien là-bas est changeant et le mouvement te maintient en vie.”

Jesús Antonio, qui est arrivé en octobre, comme la saison des cyclones, a déjà passé trois ans en Espagne. Il partira au cours de la quatrième année. Il reviendra pour prendre sa retraite et se retirer de ses affaires personnelles, “qui demandent beaucoup de sacrifices” pour se lever de nouveau à l'aube et gagner sa vie sans pause jusqu'au soir, “quand la fête a déjà commencé”. L'”Alfarero” de Ciudad Real explique alors :

Je reviendrai pour être conscient des changements, parce qu'on ne perçoit pas toujours autant que lorsqu'on arrive soudainement. Pour cette raison, et parce qu'on revient toujours à ce qui a été.

Deux moitiés d'une vie : “Jamais je n'aurais osé être en Bolivie ce que je suis en Espagne”

mercredi 28 octobre 2015 à 22:34
Diana

“J'aurai passé la moitié de ma vie en Espagne et je ne trouve que de beaux mots pour en parler. Pareil pour la Bolivie.” Photographie personnelle de Diana. Publiée avec son aimable autorisation

Voici la troisième rencontre de la série d'interviews qui explorent les expériences de Latino-Américains ayant quitté leur pays d'origine en quête d'opportunités nouvelles, que vous pouvez lire ici. L'interview qui suit a été publiée à l'origine sur le blog d'Ana et en annexe de ce blog dédié aux interviews. À cette occasion, Ana converse avec Diana Dorado Cañellas, une jeune Bolivienne qui a quitté son pays il y a douze ans. Pour Diana, cette expérience a entraîné une vie en deux moitiés, dans lesquelles les ruptures de conventions et l'élargissement de la pensée occupent une place importante.

Diana Dorado, c'est un large sourire et une poignée de belles paroles. Quand elle doit parler de la Bolivie, son pays d'origine, elle choisit de le faire en mélangeant les deux caractéristiques. Pour expliquer comment est Santa Cruz de la Sierra, une des villes les plus peuplées de Bolivie, pas besoin de guide ! Il suffit de se souvenir du climat, de la nourriture et des gens.

Surtout des gens. Pour Diana, c'est l'élément clef pour ceux qui quittent leur pays d'origine :

Même si ça se passe mal au début, tu finis pas découvrir que ça ne dure pas longtemps. J'aurai passé la moitié de ma vie en Espagne et je ne trouve que de beaux mots pour en parler. Pareil pour la Bolivie. Et alors que c'est le contraire qui se passe aujourd'hui, que les gens d'ici envisagent d'émigrer [vers la Bolivie], je pourrais le recommander. Tu te sentiras bien parce que les gens te traiteront bien.

Diana est arrivée en Espagne à l'âge de quinze ans et à contre-coeur. Les différences qu'elle a rencontrées furent nombreuses. Vint d'abord la différence de climat :

On arrive de la chaleur quotidienne, et avec la vivacité que te donnent les bonnes températures, et on se retrouve dans un environnement plus froid, plus solitaire. Au début, tu n'as pas envie de rester. Ce que tu veux, c'est retourner en Amérique Latine, puis ce n'est plus le cas. On oublie cela ensuite et on commence à se sentir bien. […] Cette année-là, la première, j'ai fait la vendimia (les vendanges) avec l'idée de retourner en Bolivie avec l'argent gagné. Mais quand je l'ai eu en poche, me sont venues mille autres idées d'en profiter en Espagne.

Pour elle, qui a à peine vingt-huit ans, sa vie se compose de deux moitiés. Elle a passé presque le même temps ici en Espagne que là-bas en Bolivie. Mais elle n'envisage plus de repartir. Les habitudes se développent et les contrastes augmentent. Diana dit être heureuse en Espagne, à l'aise avec la majeure partie de sa famille qui vit près d'elle. Elle soutient aussi que les libertés qui apparaissent avec la sécurité sont nombreuses. Vivre loin de la violence urbaine qui domine de nombreuses rues de Bolivie est un avantage. “Ne pas pouvoir marcher seule dans la rue au petit matin, ça ne me manque pas.”

Diana raconte cependant que la vie qu'elle vivait là-bas était très “tranquille”. Du lycée à la maison, et de la maison au lycée :

Et le dimanche à l'église, même si cela émanait de ma propre volonté, parce que ma mère ne nous a jamais inculqué aucune religion que ce soit. C'est juste que j'étais comme ça. Aller là-bas était une balade avec mes frères et ma belle-soeur, parce qu'ils ne me laissaient pas y aller seule. Les choses ont cependant radicalement changé quand je suis arrivée en Espagne.

Diana se souvient qu'en arrivant, “on commence à penser davantage aux choses, on se pose davantage de questions sur tout et on commence à voir clairement quels sont nos idéaux” :
Évidemment, l'âge a une influence, mais j'ai toujours pensé que si j'étais restée là-bas, je n'aurais pas eu autant de liberté de penser. Ici, on voit les choses différemment. En ce qui concerne la sexualité, par exemple. Là-bas, jamais je n'aurais osé m'avouer à moi-même que je suis lesbienne. Je n'aurais même pas eu le courage de l'envisager… J'aurais choisi la lâcheté. Mais ici, on te donne l'opportunité d'être libre, de savoir avec certitude que tu ne fais rien de mal.

Et elle continue ainsi :

Là-bas, il est impensable de se déplacer seule au petit matin. Soit un homme t'accompagne, soit tu restes à la maison. Ici, on te donne l'opportunité d'être libre.

Cependant, avec ses accords et ses désaccords, Diana est amoureuse de l'Amérique Latine et de ses complexités :

Je l'aime du début à la fin, aussi pour sa grande diversité, ce qui est cependant pour certaines personnes un motif de racisme. En Amérique Latine, tu peux rencontrer beaucoup de discrimination entre les habitants eux-mêmes. Quelque chose que je ne comprendrai jamais. En Europe, c'est différent. Il y a plus de racisme, mais pas cette lutte interne dont souffre l'Amérique Latine.

En ce qui concerne l'actualité, Diana se perçoit aujourd'hui un peu plus détachée de sa terre natale. La relation avec le quotidien de Bolivie se fait grâce à sa famille et aux portails numériques comme El Deber ou la chaîne Unitel, ou Facebook. Le témoignage de Diana est rempli de morceaux d'histoires d'Espagne et de Bolivie. Et de la perception des deux pays vus de l'extérieur. Dans l'expérience de cette Latino-Américaine se confondent les identités, et l'évolution continue. Dans son expérience, l'ici et l'ailleurs font partie de la même mosaïque et ne se réfèrent pas toujours aux mêmes éléments :

Cela fait douze ans que je vis loin de la Bolivie. Et même si cela peut paraître peu : pour moi, c'est la moitié de ma vie. Cependant, je suis fière et contente de dire que je suis Bolivienne. Même si je crois que, vu de loin, la seule chose que l'on connaisse de la Bolivie est La Paz, Sucre reste toujours reléguée au second plan. J'aime aussi le fait que la ville la plus haute du monde se trouve dans mon pays, que ce soit nous qui possédions le salar (désert de sel) le plus important, tout comme nous possédons plein d'autres choses en Bolivie qui sont déclarées Patrimoine de l'Humanité. Tout cela et le Majadito, bien sûr. Je n'oublie pas la nourriture de là-bas.

De la volonté d'améliorer sa collection d'identités : l'histoire de Cynthia, une jeune Péruvienne d'Italie

mercredi 28 octobre 2015 à 22:13
Cyntia Ramos Perú

Dans son expérience de vie et dans sa formation, Cynthia vit la complexité du processus sans fin de la construction d'identité : “Pour moi, c'est déjà difficile de conjuguer deux langues, deux pays. J'écris en italien mais je pense en espagnol. Quand on s'éloigne d'une quotidienneté, on perçoit plus clairement comment les choses changent.”

Voici la quatrième rencontre de la série d'interviews qui explorent les expériences de Latino-Américains ayant quitté leur pays d'origine en quête d'opportunités nouvelles, que vous pouvez lire ici. L'interview qui suit a été publiée à l'origine sur le blog d'Ana et en annexe de ce blog dédié aux interviews. À cette occasion, Ana converse avec Cynthia Lizeth Ramos, une jeune Péruvienne qui vit depuis vingt ans en dehors de l'Amérique du Sud. Elle se définit cependant comme “du Pérou”, où elle dit avoir acquis toutes ses valeurs, la base de ce qu'elle est aujourd'hui.

Cynthia Lizeth Ramos a 29 ans et cela fait vingt ans qu'elle a quitté le Pérou. Elle est née à Trujillo, où elle a vécu jusqu'à ses neuf ans. Tout a alors changé lorsque sa mère l'a emmenée vivre en Italie. Elle est bien revenue en visite au cours de toutes ces années, mais elle n'a toujours pas vu Lima ni le Machu Picchu avec l'idée que ce sont des lieux qui lui seront proches pour toujours. Après toutes ces années au loin, Cynthia calcule les distances comme tout Italien. Ainsi, le trajet entre Rome et Venise ressemble à celui entre Lima et Trujillo. Cynthia a aujourd'hui la double nationalité, une nouvelle langue et le coeur partagé.

Nous étions pauvres. Je n'ai pas eu une enfance avec des jouets modernes, je n'ai pas grandi avec un père et une mère. Il me manquait le père, parce que, comme cela peut arriver, il m'a abandonnée quand j'avais un an. Ma mère a dû partir en Italie parce qu'elle n'avait pas d'opportunités de travail au Pérou. J'ai grandi avec ma grand-mère, de qui je tiens toutes les valeurs que je possède aujourd'hui. Aussi, malgré toutes ces années passées au loin, je suis Péruvienne, je garde et je pratique mes racines au quotidien parce que j'ai mes valeurs. L'exemple que j'ai est celui que m'a donné ma grand-mère, celui d'être une personne humble, travailleuse et de surtout avoir le coeur ouvert aux situations bonnes et mauvaises qui arrivent dans la vie.

Cynthia affirme que laisser sa grand-mère fut le plus difficile. Cependant, elle assure aussi que tout ce qu'elle a appris à cette époque lui restera pour le reste de sa vie. Plus positive au fil des ans, elle ne peut aujourd'hui nier le fait qu'à distance, on accumule beaucoup d'autres caractéristiques qu'elle n'aurait pas atteintes si elle était restée dans son pays natal. Elle dit avoir aujourd'hui un esprit plus ouvert :

Souvent, je suis surprise parce que je compare les opinions que j'ai avec celles des jeunes de mon âge et je remarque qu'elles sont très différentes. La mentalité est différente, pour ne pas dire arriérée, parce que le Pérou s'améliore chaque année mais il y a pas mal de différences.

Après l'Italie, les expériences de cette jeune Péruvienne sont maintenant vécues à Bristol, au Royaume-Uni :

Mon parcours est la volonté de m'améliorer moi-même. L'acharnement à dire “ça, je peux le faire par moi-même, sans avoir besoin d'aide familiale, économique ou morale”. Il y a des moments où, naturellement, comme n'importe quel être humain, je pense “je ne peux pas le faire, je n'en ai pas les capacités”. Cependant, je finis par retourner la chose et je me dis : “si tout le monde le fait, je peux le faire aussi.”

Cet effort d'amélioration constante a donné l'élan à Cynthia pour quitter l'Italie et sa famille afin d'apprendre l'anglais. Son objectif est de s'éduquer, pas seulement de manière professionnelle pour les études qu'elle a faites en Relations Internationales, mais aussi en tant que future mère :

Il faut aussi penser au futur. Je me vois avec une famille, des enfants. C'est pour cela que j'essaie de m'améliorer pour pouvoir être un modèle. Si auparavant je n'arrivais qu'à éprouver que de la colère à cause du départ de ma mère pour un autre pays, tout est clair pour moi aujourd'hui. Je suis consciente du pourquoi et du pour quoi. Je sais que je le ferais, moi aussi. Pour mes enfants.

Cynthia fait dialoguer aussi les manières de fonder une famille qui viennent des cultures qui font partie de son identité actuelle, et elle réfléchit aux manières de créer des liens et de fonder une famille :

En Amérique du Sud, différentes générations vivent ensemble et avancent. Je vois là-bas des choses que je n'ai pas ressenties ailleurs. En Amérique Latine, je vois plus d'union au sein de la famille. Ou l'humilité qui, là-bas, est liée à la dépendance, contrairement à l'Italie, où l'on se construit une vie de famille de forme plus indépendante. Il y a plus d'égoïsme aussi.”

Bien que Cyntia Ramos n'ait plus d'amis au Pérou, elle ne se détache pas de son pays d'origine, et elle reste informée par l'intermédiaire de sa famille et des médias comme Marca Perú, Perú 21, et le quotidien El Comercio.

Malgré tout, elle soutient clairement que son retour au Pérou ne serait qu'une simple visite, en particulier à cause des conventions sociales qui existent avec la place des femmes :

Je pense que je ne me réhabituerais pas. Mes cousins sont très possessifs, ils sont machistes, la femme doit rester à la maison. Mais pour moi, tout cela n'existe plus. Je ne veux pas récupérer ça. Chaque fois que j'y suis retournée en visite, je n'ai pas pu aller dans le centre-ville seule. J'avais toujours un homme à mes côtés. C'est impossible pour moi aujourd'hui, je ne peux pas, tout simplement.

Néanmoins, son futur ne semble pas prévu non plus au Royaume-Uni.

Ce n'est pas que la vie soit dure ici, mais souvent, il faut savoir parler un anglais parfait pour pouvoir avancer, et cela rend tout difficile. Pour moi, c'est déjà difficile de conjuguer deux langues, deux pays. J'écris en italien mais je pense en espagnol. Quand on s'éloigne d'une quotidienneté, on perçoit plus clairement comment les choses changent. Je vois le Pérou changer, mais je suis consciente du fait qu'il manque d'outils. Lui manquent les opportunités que l'Europe a. Cependant, quoi qu'il en soit, chaque pays suis un processus différent.