PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Le Kirghizistan aime toujours sa lutteuse éliminée à Rio

dimanche 21 août 2016 à 11:50

Après avoir échoué à remporter la médaille de bronze lors d’un combat de lutte qui lui semblait à portée de main, Aisuluu Tynybekova a pourtant été accueillie en héroïne par une majorité d’internautes kirghizes qui ont suivi sa sortie des Jeux Olympiques de Rio.

Que ce soit au Brésil ou à Londres, Tynybekova était considérée comme l’un des meilleurs espoirs de médaille de ce petit pays d’Asie Centrale.

Lorsqu’elle affronte Sakshi Malik, le 18 août dernier, les Kirghizes imaginaient que la deuxième médaille de bronze du pays serait assurée – après que l’haltérophile Izzat Artykov est également monté sur le podium la semaine précédente (une médaille finalement retirée pour dopage).

Seule la déception fut de mise après que Tynybekova eut perdu un combat âprement disputé, dans lequel elle mena 5-0 avant que Sakshi Malik ne l’emporte finalement 8-5, mettant fin à la disette de médailles de l’Inde.

Une star inhabituelle

La lutte demeure un sport-clé au Kirghizistan, dont l’héritage remonte au passé nomade de la population kirghize.

Tynybekova a toutefois dépassé tous les stéréotypes sexuels dans une discipline dominée par les hommes pour devenir la lutteuse la mieux classée, toute catégories confondues, un fait qui n’a pas été ignoré des Twitterazzi.

La moitié du pays est constituée de types aux oreilles en chou-fleur [des blessures fréquentes dans les sports de contact], mais seule une femme a atteint les demi-finales. Bravo Aisuluu Tynybekova !

Aisuluu: Woman power !

Mais Tynybekova n’est pas un ange.

Une accusation d’agression, qui a eu lieu dans un souterrain à Bichkek, capitale du pays, a menacé sa participation aux derniers Jeux Olympiques de Londres, où elle a été éliminée rapidement, contre toute attente.

Dorénavant âgée de 23 ans, Tynybekova a développé son jeu et est restée éloignée de tout ennui depuis la rixe dont elle affirme ne pas être à l’origine.

La lutteuse est quasiment certaine de concourir aux prochains Jeux Olympiques en 2020, et aura de nouveau sur ses épaules tout le poids des attentes du Kirghizistan.

“Il m'a dopé”

La pression deviendra encore plus forte sur Tynybekova pour amener des breloques supplémentaires alors que le pays n’en compte que trois depuis son indépendance, et qu’un autre espoir, l’haltérophile Izzat Artykov, est devenu le premier athlète de ces Jeux déchu de sa médaille pour cause de dopage.

Artykov a frénétiquement démenti les accusations de dopage, et a affirmé dans une interview à l’Agence France-Presse qu’un haltérophile français aurait « ajouté des produits dopants » dans sa nourriture ou sa boisson – il a été testé positif à un stimulant appelé strychnine.

Un ancien chef de l’équipe s’est lamenté quant au court-termisme inhérent aux actions du staff de l’haltérophile sur Twitter :

Ils disent qu’ils ne connaissaient pas la strychnine ! Bien sûr qu’ils connaissaient ! Les entraîneurs voulaient simplement gagner. A n’importe quel prix ! Nous sommes déshonorés devant le monde entier !

Le Secrétaire Général du Comité National kirghize, qui a déclaré qu’il ferait appel de ces accusations de dopage, faisait partie des quelques figures publiques ayant critiqué Tynybekova.

Il a ainsi affirmé qu’elle avait « donné la victoire » à son adversaire Malik, un commentaire qui a suscité une vague de colère sur les réseaux sociaux.

Après le choc causé par le scandale de dopage d’Artykov, de nombreux fans ont remercié Tynybekova d’avoir pris le chemin le plus long mais également le plus honnête vers le podium, en dépit du regret d’avoir loupé le coche cette fois-ci.

Recette pour une publicité kirghize parfaite : des chevaux, un paysage de montagne et une belle fille

samedi 20 août 2016 à 23:38
Screenshot from full-length advert uploaded on Shoro's Youtube channel.

Capture d'écran du clip publicitaire posté sur la chaîne Youtube de Shoro.

La boisson Maksym Shoro, produite par le leader des boissons non-alcolisées du Kirghizistan ex-Soviétique Shororo, n'est pas du goût de tous, mais ceux qui apprécient les boissons salées fermentées l'aiment vraiment.
 
Après plus de deux décennies de succès sur le marché local – la boisson est presque aussi ancienne que ce pays d'Asie centrale lui même – elle peut maintenant être achetée dans les pays voisins du Kirghizistan et en Russie, où plus d'un million de migrants kirghizes vivent et travaillent.
 
Mais Shoro a gardé l'identité nomade associée à son pays d'origine, comme le montre la dernière publicité de l'entreprise. Ci dessous, la publicité entière ainsi qu'une traduction du message de l'entreprise posté sur Facebook pour marquer son arrivée : 

 

Однажды рано утром смелый джигит на своем верном коне поскакал на соседнее джайлоо. Слышал он, что живет здесь прекрасная девушка, которая пленила сердца многих баатыров.

Есть у кыргызов старинная игра – кыз куумай. Если джигит догонит девушку, то сможет поцеловать ее. Если нет – девушка ударит его камчой. А всадник опозорится перед народом.

Но если джигит понравится девушке, она может сама незаметно поддаться ему. Ведь не зря твердили наши предки: не проси быстрого коня, а проси доброго пути.

“Максым Шоро” – напиток кочевников.

Un jour, de bon matin, un courageux Kirghize caracolait sur son fidèle destrier vers la prairie voisine. Il avait appris qu'une belle jeune fille qui avait conquis le coeur de bien des combattants, y avait vécu.
 
Au Kirghizistan, il y a un ancien jeu – le Kyz Kuumai. Si le jeune homme parvient à attraper la jeune fille, alors il l'embrassera. Sinon, la jeune fille le frappera avec un fouet, et le cavalier perdra la face devant tous.
 
Mais si le jeune homme plaît à la jeune fille, elle peut se donner discrètement à lui (la jeune femme dans la publicité ralentit et demande au cavalier :  “Jeune homme, est ce la première fois que vous montez à cheval ?”). Après tout, comme nos ancêtres disaient toujours, ne demande pas un cheval rapide, demande un voyage sans danger.
 
Maxim Shoro, la boisson des nomades.

En France, n'oublier ni les attentats, ni les actes d'héroïsme

vendredi 19 août 2016 à 11:00

Depuis dix-huit mois l'Europe connaît une vague d'attentats qui a attisé les tensions sociales et mis au coeur de beaucoup de débats la religion et l'immigration, plus particulièrement en France. Tandis que la question qui semble monopoliser l'attention des médias est de savoir s'il faut autoriser ou interdire le port du burkini à la plage, des actes qui mériteraient davantage de faire l'actualité passent à la trappe —des actes d'exception plus propres à renforcer le tissu social que des histoires de tenues de bain. Global Voices revient sur plusieurs histoires d'héroïsme de gens ordinaires lors des dernières attaques de masse sur le sol français.

L'attaque du 14 juillet à Nice

Franck, the hero of Nice - photo posted on twitter by @Pabliteau

Franck, le héros de Nice. Photo: Twitter / @Pabliteau

Franck, 49 ans, est père de deux enfants. Lorsque Mohamed Lahouaiej Boulhel a foncé avec son camion dans la foule rassemblée à Nice pour le feu d'artifice de la fête nationale, il roulait en scooter à proximité, et a assisté au début de la tragédie. Voilà ses mots pour raconter ce qui s'est passé :

On a pris la Promenade au niveau des Bosquets. On avançait tranquillement. En fait, je voulais aller au feu d’artifice, mais on est parti trop tard. Alors j’ai dit à ma femme, ce n’est pas grave allons manger une glace sur le Cours Saleya. On a senti un mouvement de foule venir dans notre dos. On a entendu des cris et des voitures se mettaient en travers. Ma femme m’a dit: ‘Arrête-toi, il y a un truc qui ne va pas’. Et le temps de se retourner, on a vu la foule courir dans tous les sens, comme si elle fuyait quelque chose. C’est alors que l’on a vu le camion arriver.

Nous, nous étions au milieu de la route. Il y avait peu de voitures. Je devais rouler à 60 km/h. Je n’ai même pas eu le temps de regarder dans mon rétroviseur. Et là, il m’a doublé à fond. Il roulait sur le trottoir. J’ai en tête les images des corps qui volaient de partout. J’ai tout de suite compris. J’ai alors décidé d’accélérer. Ma femme, derrière moi, me tirait le bras et me demandait où j’allais. Je me suis arrêté. Je lui ai dit: dégage! Et j’ai accéléré à fond.

Pour le rattraper, il fallait slalomer. Entre les gens, vivants et morts. J’étais à fond. Je ne pouvais freiner que de l’arrière car j’avais la poignée bloquée. Je me souviens même de crier dans le casque. Je criais à la mort en fait… Je n’avais que l’arrière du camion dans les yeux. J’étais déterminé à aller jusqu’au bout. Je voulais à tout prix l’arrêter. J’étais dans un état second mais à la fois lucide. Je suis donc parvenu à me mettre sur sa gauche, mon objectif était d’atteindre la cabine.

J’étais sur les marches au niveau de la fenêtre ouverte. Face à lui. Je l’ai frappé, frappé, et frappé encore. De toutes mes forces avec ma main gauche même si je suis droitier. Des coups au visage. Il ne disait rien. Il ne bronchait pas

Aymeric et Sam Monrocq, un couple qui habite la Normandie, ont monté un site de financement participatif pour acheter un nouveau scooter à Franck. L'appel a levé 25.466 euros. Franck a utilisé moins du tiers de la somme pour acquérir un nouveau scooter, et a fait don du reste à des hôpitaux, des associations locales, et à d'autres projets d'intérêt général.

Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris

Ludovic Boumbas as published on twitter by his friend @chilavertlille

Ludovic Boumbas, photo sur Twitter de son ami @chilavertlille

Ludovic Boumbas avait 40 ans et était un ingénieur en informatique de Lille. Il était attablé au café-bar La Belle Equipe à Paris lorsque les terroristes de Daech ont ouvert le feu sur le restaurant. Son amie était assise avec lui, alors il lui a fait un rempart de son corps pour la protéger des balles. Ludovic est mort sur le coup, son amie a aussi été atteinte mais a survécu. Ludovic est originaire de la République du Congo. Ses amis se souviennent affectueusement de lui :

Des amis ont décrit M. Boumbas comme quelqu'un aimant les gens et les voyages. “C'était juste une des bonnes, très bonnes personnes de la vie”.

Nicolas Cantinat, 37 ans, et Julien Galisson 32 ans, ont eu la même réaction dans la fusillade que Ludovic, pour faire bouclier à leur entourage lorsque les tirs ont retenti. Nicolas et Julien sont tous deux morts de leurs blessures. Au Bataclan, scène du pire carnage de cette nuit, Sébastien, un jeune homme de 34 ans d'Arles, tentait d'échapper à la fusillade meurtrière lorsqu'il vit une femme enceinte suspendue à une fenêtre. Elle suppliait les gens au-dessous de l'attraper si elle lâchait prise. La fenêtre était à 15 mètres du sol. Sébastien raconte la suite :

 À l'une d'elles, était suspendue une femme enceinte qui suppliait les gens en bas de la réceptionner si elle sautait. En bas aussi c'était le chaos. Je suis passé par l'autre fenêtre et je me suis accroché à une bouche d'aération. À 15 mètres du sol. J'ai tenu cinq minutes puis la femme enceinte, qui n'en pouvait plus, m'a demandé de l'aider à revenir à l'intérieur. C'est ce que j'ai fait.

La scène a été entièrement enregistrée sur vidéo :

La prise d'otage du 9 janvier 2015 à Paris

Lassana Bathily est Malien. Il travaillait au supermarché Hyper Cacher à Paris lorsque Amedy Coulibaly, un affilié de Daech, entra avec un fusil et tua quatre personnes avant de prendre les autres en otage. Lassana dissimula au moins six personnes et un bébé dans la chambre froide du magasin, dont il ressortit seul pour parlementer avec Coulibaly. Voici une vidéo de son témoignage immédiatement après l'épreuve :

Pendant l'attaque, Yoann Cohen, collègue de Bathily au supermarché, tenta de désarmer l'assaillant. Coulibaly le tua d'une balle dans la tête. Le père de Yoann est algérien, et sa mère, tunisienne.

Ces individus ordinaires ont été pris par surprise dans la tragédie, et ils ont réagi de façon instinctive et altruiste. De fait, il y a eu de multiples autres actes de bravoure lors de ces attentats, depuis ce policier s'attaquant seul à tous les assaillants du Bataclan jusqu'à tous ceux qui ont ouvert leurs portes aux noctambules en déroute.

Face aux discours populistes de plus en plus bruyants et au climat de peur qui semble balayer une grande partie de l'Europe (et notamment la France), garder à l'esprit ces histoires d'altruisme et de sacrifice est plus vital que jamais.

Russie : Nouveau scoop érotique de tabloïd dans la campagne des législatives

mercredi 17 août 2016 à 14:36
Polina Nemirovsky (left) and Maria Baronova. Photo: Facebook

Polina Nemirovsky (là gauche) et Maria Baronova. Photo: Facebook

Life.ru, le top du top (ou le tréfonds, c'est selon) des tabloïds russes qui s'attaquent aux personnalités politiques, vient de publier des photographies piratées montrant Maria Baronova, une candidate d'opposition à la Douma d'Etat, dans l'intimité en compagnie d'une autre jeune femme.

Le site web se contente d'indiquer que les images ont été envoyées par un utilisateur anonyme de son application d'agrégation d'informations “LifeCorr”. Les photos montrent Baronova et son actuelle directrice de campagne Polina Nemirovskaya en train de s'embrasser, seins dénudés. Baronova s'est refusée à commenter publiquement les photos divulguées, mais elle aurait apparemment et effectivement dit à Life.ru qu'elle “reparlerait [volontiers] de sa poitrine” sitôt terminée sa campagne pour un siège au Parlement russe.

Baronova a surmonté de gros obstacles au début de ce mois pour enregistrer sa candidature, et recueilli près de 15.000 signatures pour participer en indépendante au scrutin. Elle est l'une des 18 candidat-e-s adoubés par le mouvement politique “Russie Ouverte”, qu'a créé l'oligarque déchu du pétrole, devenu dissident politique, Mikhaïl Khodorkovsky. Pour rassembler les signatures nécessaires à l'enregistement de sa candidature, Baronova a mobilisé une armée de quelque 400 collaborateurs de campagne. Elle aurait aussi contracté un prêt personnel de 2 millions de roubles (27.700 €) pour financer sa campagne.

Baronova dispute un siège dans la circonscription centrale de Moscou, où elle affrontera Nikolaï Gontchar, le candidat du parti au pouvoir “Russie Unie”, et Andreï Zoubov, labellisé par les partis démocratiques “Yabloko” et “Parnas.” (En mars 2014, après l'annexion de la Crimée par la Russie, Zoubov s'était gagné une certaine notoriété parmi les critiques du Kremlin en perdant son emploi à l'Université après avoir signé un éditorial comparant le rapt territorial par Moscou à l'annexion des Sudètes par les Nazis.)

La présence de deux libéraux démocrates dans la même circonscription moscovite a amené des partisans de Zoubov à accuser Baronova d'être une candidate de diversion, autorisée par le Kremlin afin de fragmenter le vote d'opposition. Le célèbre activiste anti-corruption Alexeï Navalny a ainsi laissé entendre hier sur Twitter que les photos avec Nemirovskaya divulgué rendaient “évident” que Baronova est une “spoiler” envoyée pour écarter Zoubov de la Douma. (Piotr Verzilov, le mari de la leader des Pussy Riot Nadiejda Tolokonnikova, a promptement ironisé sur l'exigence de Navalny que Baronova abandonne la course).

Si Baronova est restée quasi silencieuse sur les photos divulguées, Nemirovskaya ne s'est pas gênée pour parler de l'affaire sur les médias sociaux. Elle a révélé sur Twitter que Life.ru l'avait déjà contactée pour lui demander de commenter les images qui lui étaient parvenues. Nemirovskaya affirme que ses comptes de médias sociaux et de messagerie instantanée ont été piratés il y a quelques mois. Dans un tweet hier, elle posait pour une photo aux côtés du président de Parnas et ex-Premier Ministre russe Mikhaïl Kassianov, visé cet été par une machination avec caméra cachée qui exposait sa relation extra-maritale avec une employée de Parnas.

Juste au cas où, je posterai moi-même mes photos avec Kassianov.

Les photos avec Baronova, aurait indiqué Life.ru à Nemirovskaya, auraient été tirées d'un iPhone 4—un smartphone que Nemirovskaya dit ne pas avoir utilisé depuis bien quatre ans. A en croire Olga Borissova, amie proche de Nemirovskaya et autre membre de l'équipe de campagne de Baronova, les photos remontent à un an. Borissova, qui a contribué par le passé à RuNet Echo, a refusé de donner plus de détails.

Ailleurs sur les médias sociaux, l'humour potache propre à Internet s'est mis en surchauffe. Par une étrange coïncidence, deux autres femmes clivantes du microcosme politique moscovite—Xénia Sokolova, la nouvelle rédactrice en chef d'Esquire russe, et Lessia Ryabtseva, ex-adjointe principale à la radio Echo de Moscou—ont annoncé leur collaboration pour l'élection de septembre sur la campagne de la Douma sortante. Les informations soudaines sur ces quatre femmes—qui toutes sont actives dans la vie publique et ont, à un moment ou à un autre, mis à l'avant-plan leur sens de la mode et leur apparence physique—ont activé tous les commentaires masculins usuels sur l'Internet, qui ont généreusement alterné entre réflexions de voyeurs sur les séduisantes jeunes femmes posant ensemble sur des photos, et blagues misogynes à foison sur les femmes qui se mettent sous les feux des projecteurs publics en Russie.

Marioupol, ligne rouge de l'Ukraine

mardi 16 août 2016 à 19:59
Tetrapods, normally used to build piers, have been used in Mariupol’s defense, and today are found around the city decorated with Ukrainian folk symbols. Mariupol, Ukraine, July 4, 2016. Photo: Ivan Sigal

Ces tétrapodes de béton, habituellement utilisés dans la construction de brise-lames, ont servi à la défense de Marioupol. On les trouve aujourd'hui disséminés dans la ville et ornés de symboles folkloriques ukrainiens. Marioupol, Ukraine, 4 juillet 2016. Photo: Ivan Sigal

La ville ukrainienne de Marioupol se trouve à 20 kilomètres de la ligne de front entre les séparatistes soutenus par la Russie et l'armée ukrainienne. C'est une ville en paix, mais à portée d'oreille des bruits de la guerre. Les combats entre les séparatistes et l'armée ukrainienne connaissent une escalade ces derniers mois, et les habitants de Marioupol peuvent entendre les tirs de mortiers et de missiles quand le vent souffle de l'est, depuis les bourgades de Chirokinie and Novotroïtskie sur le front.

Les Ukrainiens ont fait de la défense de Marioupol leur ligne rouge : il s'agit d'une cité portuaire avec une infrastructure de transport essentielle, l'accès à la mer d'Azov, et deux énormes aciéries assorites d'autres industries lourdes. C'est aussi la ville dont les Russes auraient besoin pour construire une voie terrestre vers la Crimée, propre à assurer la viabilité stratégique de leur prétention sur ce territoire.

Wall-size map of Mariupol, Mariupol, Ukraine, July 4, 2016. Photo: Ivan Sigal

Une carte murale de Marioupol, Marioupol, Ukraine, 4 juillet 2016. Photo: Ivan Sigal

Je passe une longue semaine à Marioupol, je marche dans la ville, prends des photos, et sonde les gens sur leur attitude envers le conflit, leur situation personnelle, leur compréhension de la menace. Je veux voir si je peux décrire et expliquer la pression psychologique et l'incertitude nées de la proximité avec le front, et les traces possibles de ces pressions dans le paysage.

Voici une guerre où s'entrelacent avec une particulière évidence rivalité d'information et violence physique, où désinformation et propagande brouillent les motivations, nient la violence indubitable, et cherchent à embrouiller tant les forces au combat que les populations ciblées. Cette guerre atypique voit prospérer les traces probantes sur les sources en ligne, de même que de la possible manipulation de ces preuves. Voici une guerre dans laquelle la confusion est clairement un élément stratégique plutôt qu'un effet. Le discours du brouillard de guerre, en d'autres termes, vise à légitimer l'idée de guerre de l'information. La rhétorique d'une “guerre hybride”, forme neuve de guerre—bien qu'elle n'ait rien de nouveau—crée précisément un environnement dans lequel les normes et lois internationales de la guerre peuvent elles-mêmes être mises au défi.

Avant la guerre, les habitants de Marioupol endossaient largement la culture et la langue russes, et ont même brièvement participé à l'action séparatiste en 2014 et 2015. Cette partie de l'Ukraine soutenait majoritairement Viktor Yanoukovytch aux élections, et la police locale a participé à sa tentative de maintien au pouvoir. Parallèlement, les conséquences de la guerre et de la politique sur la vie des gens sont difficiles à cacher. Faire partie de la Russie a pu avoir son attrait, mais appartenir à un demi-Etat paria ? Beaucoup moins.

Camouflage netting along Mariupol’s city beach obscures tank traps and a training area for Ukrainian military and civil defense forces. Mariupol, Ukraine, July 4, 2016. Photo: Ivan Sigal

Des filets de camouflage le long de la plage municipale de Marioupol dissimulent des fossés anti-chars et une zone d'entraînement pour l'armée ukrainienne et la défense civile. Marioupol, Ukraine, 4 juillet 2016. Photo: Ivan Sigal

Le résultat est une lassitude, un état fugace de dissimulation, et une réticence. Nombreux sont aujourd'hui les habitants à reconnaître les dangers d'être associés au mouvement séparatiste, et l'état de guerre et d'isolation qui s'ensuivrait. Les troupes ukrainiennes, avec les milices, contrôlent la ville et l'aéroport, et l'armée a consolidé le front. Les Russes gardent la supériorité militaire, mais rien ne leur garantit le soutien de la population, ou une victoire facile sur des forces ukrainiennes qui ont eu le temps d'apprendre à combattre.

Advertisements for ride sharing to Crimea dominate local posting boards. Mariupol, Ukraine, July 4, 2016. Photo: Ivan Sigal

Annonces de covoiturage vers la Crimée dominent les panneaux d'affichage locaux. Marioupol, Ukraine, 4 juillet 2016. Photo: Ivan Sigal

Marioupol est calme, ses rues sont tranquilles. C'est peut-être exagéré de dire que la ville retient son souffle. Mais récemment, Moscou a rapporté des transferts accrus d'armements vers les enclaves séparatistes, et diffusé des éléments de langage sur la mort clinique du cessez-le-feu. Des actes qui créent un climat de permissivité psychologique nettement propice à un rebondissement du conflit.

Et que la Russie décide ou non d'envahir, le discours du Kremlin lui ouvre un espace tactique. Avec cette marge de maneuvre, il peut en théorie se préparer à une invasion et même la justifier, ou simplement être plus en situation de force à la table de négociation la prochaine fois que les dirigeants s'asseoiront pour des pourparlers de paix. Un comportement par lequel Moscou teste une fois de plus la résistance à son affirmation de domination régionale en Ukraine.

Bus stop on Lunina Ave. Mariupol, Ukraine, July 4, 2016. Photo: Ivan Sigal

Un arrêt de bus avenue Lunina. Marioupol, Ukraine, 4 juillet 2016. Photo: Ivan Sigal

Une version de cet article a été publiée précédemment sur ivansigal.net [en anglais].