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Liberté vs contrôle : quelle place pour un dialogue interculturel au Forum Mondial de la Démocratie?

mardi 8 décembre 2015 à 09:24
Forum Mondial de la Démocratie à Strasbourg (Photo Marie Bohner)

Forum Mondial de la Démocratie à Strasbourg (Photo Marie Bohner)

Le Forum Mondial de la Démocratie s'est tenu au Conseil de l'Europe à Strasbourg du 18 au 20 novembre 2015. Le thème, d'une actualité brûlante après les attentats de Beyrouth et de Paris, était “Liberté vs contrôle : pour une réponse démocratique”. Nous y avons assisté avec Suzanne Lehn et Elise Lecamp de Global Voices. En voici un tout petit aperçu à travers le prisme “universalité vs dialogue interculturel”.

Ce qui importe ce ne sont pas seulement nos points communs, ce sont aussi nos différences (et la possibilité d'en parler). C'est ce qui me frappe après ces trois jours de tables rondes et de témoignages à Strasbourg, capitale européenne, au Conseil de l'Europe pour le Forum Mondial de la Démocratie. La condamnation des attentats est unanime, et rappel est fait que Paris est loin d'être la seule cible d'attaques terroristes.

Les 2 000 participants de dizaines de nationalités différentes réunis au Conseil de l'Europe, – institution du consensus par excellence -, pour ces quelques jours s'attachent, dans les débats, à se trouver des points communs autour de « valeurs ». Certains célèbrent les « valeurs européennes », sans plus de détails, la plupart se rejoignent autour d'une certaine « universalité des droits humains », mantra des rencontres.

Il faut dire que le titre de l'événement « Liberté VS Contrôle » pose les choses de manière manichéenne, faisant apparaître ces deux notions comme des contraires inconciliables. Il s'agirait donc de choisir son camp. C'est ainsi que le Juge honoraire Philippe Bilger se fera huer par une partie de l'hémicycle parce qu'il aura osé dire, un peu seul contre tous, qu'il « ne serait pas contre renoncer à un peu de ses libertés individuelles pour permettre plus de sécurité collective. » Le fait que je partage ou non l'opinion du Juge Bilger importe peu. Le fait que son discours soit hué sous prétexte qu'il est très légèrement à contre-courant m'inquiète car il souligne le refus de la diversité de pensée et du débat.

C'est ainsi que j'aurais tendance à repartir un peu déçue, voire carrément inquiète du Forum Mondial de la Démocratie. La démocratie c'est l'art du consensus mais aussi l'art du débat. Thorbjørn Jagland, Secrétaire général du Conseil de l'Europe a souligné la fragilité de cet art de la démocratie dès l'ouverture du Forum, en affirmant que nous sommes les premiers gardiens, mais aussi les premiers responsables, du maintien de cet équilibre.

Heureusement, ce qui importe le plus, dans ce genre d'événement, comme d'ailleurs pendant les sommets de Global Voices, ce sont les rencontres et les échanges de points de vues, parfois les frictions amicales, qui se créent en « off » du programme officiel. Ces échanges-là, ceux qui révèlent les différences, ceux qui affirment que nous sommes des êtres complexes et multiples, sont ceux qui peuvent aider à transformer les mentalités, à tous petits pas. C'est en créant la possibilité de dialoguer et de débattre franchement que nous pouvons nous décentrer et mettre en place l'empathie interculturelle qui peut nous aider à y voir plus clair. C'est alors, et alors seulement, que le Forum Mondial de la Démocratie prends tout son sens, et que les paroles de Michaëlle Jean peuvent être audibles :

Visiter la Plaine interdite des Jarres, au Laos, grâce à un drone

lundi 7 décembre 2015 à 16:19
Plain of jars in north Laos. Photo from the Flickr page of damien_farrell (CC License)

La plaine des jarres dans le nord du laos. Photo sur Flickr de damien_farrell (CC License).

De nouvelles images prises d'un drone offrent une vue aérienne rare de la mystérieuse Plaine des Jarres dans le nord du Laos.

Dans la province de Xieng Khouang se trouvent plus de deux milles jarres de pierre qui auraient 2 000 ans. La plupart des chercheurs pensent que ces jarres sont des urnes funéraires d'une civilisation inconnue. Le site archéologique est important et unique en Asie du sud-est mais dans sa plus grande partie inexploré car jonché de bombes non explosées larguées par les Américains durant la guerre du Vietnam.

Le Laos, un pays frontalier du Vietnam, a été le pays le plus bombardé du monde durant la guerre du Vietnam. Environ 2 millions de bombes ont été larguées sur le Laos entre  1964 et 1973,  mais 30 pour cent n'ont pas explosé. Ces bombes non explosées continuent à tuer et blesser les paysans laotiens qui vivent là.

La Plaine des Jarres fait partie des nombreuses provinces du Laos jonchées de mines et de bombes.

Le blog Southeast Asian Archaeology explique l'importance des jarres et pourquoi les chercheurs ne peuvent effectuer des recherches plus approfondies sur le site ;

La mystérieuse Plaine des jarres dans le nord-est du Laos est toujours l'un des sites importants et inexplorés,  à cause du nombre énorme de bombes à fragmentation larguées là pour l'armée américaine il y a 40 ans. Du peu que l'on sait, il semble que les jarres étaient des lieux de transition durant les rites funéraires. Les corps étaient laissés là pour se décomposer avant l'ensevelissement final.

Maintenant, cependant, grâce à l'avancée de la technologie, les drones peuvent nous rapporter des images aériennes d'un paysage trop dangereux pour les hommes. Cette  vidéo de trois minutes donne un aperçu de l'énigmatique site archéologique laotien. On peut voir sur la vidéo plusieurs cratères de bombes et des tranchées, les tristes reliques de la guerre du Vietnam.

Les images du drone permettront de faire mieux connaitre la Vallée des jarres et peut-être de mieux la préserver. La chercheuse Lia Genovese a noté différents problèmes :

…d'autres facteurs menacent les efforts de conservation : l'urbanisation rapide, l'agriculture, le pillage et l'abandon.

Forum Mondial de la Démocratie 2015 : Liberté vs. Contrôle

lundi 7 décembre 2015 à 15:19
Freedom from Fear 2015

“Se libérer de la peur” Peinture murale au 4e Forum Mondial de la Démocratie de Strasbourg, 18-20 novembre 2015. Photo Suzanne Lehn

Le Forum Mondial de la Démocratie de Strasbourg, organisé par le Conseil de l'Europe, fait désormais partie du paysage des grands débats internationaux. La 4ème édition a eu lieu du 18 au 20 novembre 2015, sur le thème, fixé en début d'année mais devenu d'une actualité de plus en plus brûlante, de ‘Liberté vs. Contrôle – Pour une réponse démocratique‘. Les débats se sont ouverts sur des hommages émouvants à toutes les victimes d'attentats à travers le monde.

La formule, désormais rodée, fait alterner séances plénières et ateliers présentant des initiatives sélectionnées – les “Labs”, s'articulant sur des “défis” qui déclinent la problématique choisie.  Soit, pour cette édition,

- Défi 1 : Assurer la sécurité et mettre la surveillance sous contrôle

- Défi 2 : Libérer la société de la peur et la nourrir du désir de lliberté

- Défi 3 :  La liberté d'information à l'ère de la terreur

Les différents débats et ateliers ont été enregistrés et sont disponibles sur le site web du Conseil de l'Europe, en vidéos (Séances plénières) et en podcasts (Labs). Ma mention toute particulière va au Lab 18, “Action citoyenne pour la liberté des médias”, avec M. Chamsy SARKIS, co-fondateur de SMART (Syrian Media Action Revolution Team), qui fait fonctionner dans les conditions qu'on peut imaginer, un pool média en Syrie ; et Mme Ioulia BEREZOVSKAYA, Présidente du site d'information russe indépendant Grani.ru.

Voici un petit portfolio personnel (toutes les photos sont de l'auteur).

La séance d'ouverture a été marquée par les discours de Harlem Désir, Secrétaire d'Etat aux Affaires Européennes, et de Michaëlle Jean, Secrétaire Générale de l'Organisation internationale de la Francophonie, qui a prononcé un vibrant plaidoyer pour la résistance, la mobilisation des forces vives et l'inclusion.

Discours de Michaëlle Jean FMD 2015, Strasbourg 19/11/2015 Photo Suzanne Lehn

Discours de Michaëlle Jean FMD 2015, Strasbourg 19/11/2015

Le panel de la session plénière 2 faisait voisiner la Yéménite Tawakkol Karman, Prix Nobel de la Paix 2011 – et déjà présente au 1er Forum, et l'ayatollah Ahmad IRAVANI, qui enseigne à Washington D.C. :

En séance plénière, Tawakkol Jarman et l'ayatollah voisinent

En séance plénière 2, la Prix Nobel de la Paix yéménite Tawakkol Karman et l'ayatollah Iravani attendent le moment de leur intervention

L'hémicycle du Conseil de l'Europe, en séance plénière :

FMD 2015 19/11/2015

Séance plénière, FMD 2015 Strasbourg, 19/11/2015

La Prix Nobel de la Paix Tawakkol Karman a souligné le lien entre terrorisme et tyrannie, et noté qu'il n'y a eu aucun terrorisme pendant le printemps arabe :

Intervention T. Karman FMD 2015

Forum Mondial de la Démocratie, Intervention de Tawakkol Karman, 19/11/2015

La Brésilienne Jamila Venturini, une boursière de Rising Voices de 2011, a présenté en Lab 5 le projet “Termes de service et droits de l'homme” du Centre pour la Technologie et la Société à la Rio Law School, en présence de représentantes de Mozilla et de la Fondation EFF. Il s'agit d'une méthodologie pour analyser le degré de protection de la vie privée et de la liberté d'expression garantis (ou plutôt non) par les conditions d'utilisation des plate-formes en ligne, que les internautes n'ont d'autre choix que de signer :

FMD Lab 5

FMD 2015, Lab 5 “Réponse des réseaux”, Jamila Venturini (à gauche)

La partie artistique du Forum comportait une performance de graffeurs :

FMD 2015 art - Snowden

Forum Mondial de la Démocratie 2015, Les graffeurs à l'oeuvre,

Une salle de réunion de Lab :

FMD 2015, en Lab

Forum Mondial de la Démocratie 2015, séance de Lab Strasbourg 19/11/2015

Trois contributrices de Global Voices ont assisté au Forum :

FMD 2015 photo-souvenir

Forum Mondial de la Démocratie 2015 Photo de famille GV avant de se séparer

Performance des jeunes pour la liberté d'expression, pendant la clôture du Forum :

FMD 2015 clôture

FMD 2015 Liberté d'expression 20/11/2015 Photo Suzanne Lehn

Le Forum a aussi inspiré des participants blogueurs, ici et ici.

Pensez à inscrire le Forum 2016 sur vos tablettes !

Pourquoi ne pleut-il plus comme autrefois en Guinée-Bissau ?

dimanche 6 décembre 2015 à 19:02
"Zé wants to know why"

“Zé wants to know why”, a short film by Bagabaga Studios

La diminution des précipitations et la montée du niveau de la mer menacent la fertilité des sols et la subsistance des habitants en Guinea-Bissau, selon une vidéo récemment rendue publique de Bagabaga Studios.

A la fin du mois d'aout dernier, un petit village de 435 habitants située dans une région isolée et difficile d'accès de la cote nord de la Guinée-Bissau, Elalab, a perdu la moitié de sa récolte de riz, détruite par l'eau de mer.  “Pour les  Felupes, la principale ethnie de Elalab, le riz représente la prospérité et l'indépendance alimentaire” rappelle le synopsis de la vidéo.

Un article du site O Democrata ajoute que “l'inondation a brisé les digues de protection qui faisaient barrière et empêchaient l'eau salée de la mer de se mélanger à l'eau douce, là la base de l'alimentation des Guinéens est cultivée et où les récoltes étaient déjà sur pied.”

Bagabaga, une coopérative de production audiovisuelle portugaise, a visité cette région et s'est entretenue avec l'un des habitants de Elalab, Zé, qui “n'a jamais entendu parler du réchauffement climatique, mais souligne immédiatement les changements dans les saisons, et de quelles façons ils affectent sa vie quotidienne.” Zé tire sa subsistance de la pêche et de la culture et “ne comprends pas pourquoi tout ceci arrive.” Il raconte :

Quand nous étions jeunes, la chaleur n'arrivait que durant la saison sèche. Maintenant, tout a changé. Les rizières sont devenues plus salées. Il n'y a plus de poisson de bonne taille. Même l'acajou, l'arbre qui nous ombrageait, est mort. Du temps de nos parents, l'eau salée n'arrivait pas jusqu'au village. Après les labours, tout le riz est mort. Tout est ruiné. Tout. C'est ce qui arrive à nos vies. C'est comme ça que nous luttons pour survivre. C'est la punition que nous subissons chez nous. En aout, le niveau de la mer a atteint son plus haut niveau historique. C'est l'un des nombreux villages de Guinée-Bissau menacés de disparition. Les gens se demandent : pourquoi pleuvait-il tant autrefois, et maintenant, pourquoi il ne pleut plus?

Cette courte vidéo a été mise en ligne durant la COP21 2015  à Paris, qui réunit les décisionnaires de 195 pays pendant 12 jour pour parvenir à un accord contraignant pour la réduction des émissions de gaz à effets de serre.

Le président de Guinée-Bissau, José Mário Vaz, a fait un discours lors de la conférence et souligne que la petite nation d'Afrique de l'ouest est l'une des plus vulnérables et exposées à la montée du niveau de la mer. Une carte de l'impact du changement climatique du Center for Global Development classe la Guinée-Bissau troisième en terme de vulnérabilité générale et huitième en termes de recul de la production agricole.

“Les effets du changement climatique sont ressentis par les gens dans toute l'Afrique” : selon un article du partenaire de Global Voices 350.org, publié le 28 août, “les preuves existent que l'augmentation de la température affecte la santé, la production de nourriture, la subsistance, l'accès à l'eau et la sécurité en général des Africains.”

Lire plus : 8 façons dont le changement climatique affecte déjà l'Afrique 

Natalia Antonova, une journaliste et dramaturge entre Russie, Ukraine, et Occident

vendredi 4 décembre 2015 à 20:32

Journaliste et auteur dramatique à l'identité nationale complexe, Natalia Antonova est née en Ukraine soviétique, a des racines dans la Russie contemporaine et a grandi aux Etats-Unis. Aujourd'hui, son temps et son esprit se scindent entre Moscou et le reste du monde. Outre ses piges pour des journaux comme le Guardian et sa chronique du Moscow Times, elle tient un blog personnel, qu'elle alimente une à deux fois par mois de ses réflexions sur les événements dans le monde et les sujets d'actualité. Le passé et l'identité de Natalia Antonova n'ont rien de simple, et l'avenir incertain de la Russie et de l'Ukraine promettent des lendemains aussi compliqués que le présent.

Natalia Antonova. Personal archive.

Natalia Antonova. Archive personnelle

Nevena Borisova (NB): Que diriez-vous de votre identité ? Comment vous situez-vous ?

Natalia Antonova (NA): Je suis née en Ukraine, j'ai grandi essentiellement aux USA, mais le russe a été ma langue maternelle et j'ai des gènes russes. Je trouve que j'ai beaucoup de chance d'exister à ce croisement de cultures. Mon identité compliquée a tendance à agacer les gens qui aimeraient ranger dans des cases tous ceux qu'ils croisent, mais je peux dire que je m'en fous. Ça me plaît d'avoir un tas de “patries” différentes  J'aime être exposée à des opinions et idéologies concurrentes, même si elles me mettent parfois mal à l'aise.

NB: A partir de votre double expérience de journaliste et de dramaturge, comment décririez-vous l’ “âme russe” ?

NA: Je ne crois pas vraiment à la notion d'une “âme russe”. Je pense que c'est un concept dépassé et d'une sentimentalité exaspérante, surtout parce que la Russie d'aujourd'hui est faite de tant de cultures différentes. En revanche, je pense qu'il y a certainement un côté imprévisible de la vie en Russie qui a des effets sur la façon dont la majorité de la population vit sa vie. L'inexistence d'un système politique souple et dynamique y contribue aussi. Je pense que beaucoup de gens à l'extérieur ne comprennent pas vraiment la Russie dans ce contexte. Cela veut dire que les interactions avec ce pays, de la part des individus comme des gouvernements, tendent à ne pas fonctionner.

NB: En quoi l'écriture de vos pièces de théâtre se relie-t-elle à votre journalisme ?

NA: J'écris des pièces sur les gens—des histoires de la vie réelle. Beaucoup ont des intrigues que je choisis dans le cours de mon travail de journaliste, mais chacune contient toujours une dose d'irréel. Je pense que le cerveau humain traite par moments la vie de façon vraiment étrange, et aussi (surtout depuis que je me suis mise au journalisme scientifique) qu'il y a une finalité vraiment super, complexe, souvent insondable, de l'univers—et je crois que dans tout le travail que je fais, je cherche à rendre mes émotions face à ce thème bizarre. C'est à travers mes personnages que je traite ces émotions.

NB: Le cinéaste américano-russe Andréi Konchalovski [lien en anglais] a dit que la Russie maîtrise la construction de projets colossaux, comme les fusées spatiales, mais est moins douée pour la production au quotidien. Etes-vous de cet avis ?

NA: Je pense qu'Andréi a raison. Les gouvernements russes successifs se sont toujours trop préoccupés de ces notions brumeuses de “grandeur” pour vouloir rendre la vie quotidienne en Russie aussi confortable qu'en Occident, et les gens ordinaires ont intériorisé cette même préoccupation.

Le contexte historique y est aussi pour quelque chose. La Russie ne s'est tout simplement pas développée aussi efficacement que les pays occidentaux. Tout, depuis l'invasion mongole jusqu'à la rudesse du climat y a contribué. Quand votre pays est confronté à des exemples extérieurs de vie quotidienne meilleure, vous allez chercher des compensations. C'est pourquoi on rencontre tant de gens totalement indifférents au fait que le toit fuit dans l'école de leurs enfants, mais placent une grande fierté dans l'énorme arsenal nucléaire de leur pays. Cela peut paraître irrationnel, mais s'explique parfaitement dans le contexte plus large.

Aujourd'hui; l'idée d'une vie confortable en Russie est suspecte, parce qu'un grand nombre des participants aux manifestations de 2011-2012 à Moscou étaient, au moins formellement, de la classe moyenne. Aux yeux de certains fonctionnaires russes, ces gens “vivaient trop bien” et commençaient à se faire des idées frivoles sur la démocratie et la responsabilité. Quelle audace !

NB: Comment décririez-vous la vie à Moscou aujourd'hui ? Et la vie hors de la capitale ?

NA: Les Russes ordinaires, tant à Moscou qu'en province, sont occupés à se débrouiller, comme ils l'ont toujours été. A l'évidence, c'est plus dur à présent, avec le plongeon du rouble. Mais bon, la Russie vit dans le meilleur des mondes. Un monde où la télévision apporte beaucoup de réconfort et d'assurance, même si j'ai été sidérée de lire dernièrement que la part des Russes qui croient tout ce que dit la télévision est de 59 pour cent (elle était de 47 pour cent en 2012). Franchement, je pensais qu'il y en aurait davantage aujourd'hui.

NB: Comment est pour vous la vie à Moscou ?

NA: Je ne passe pas tout mon temps à Moscou en ce moment, mais chaque fois que je reviens, j'aime rencontrer les gens de théâtre et fréquenter les petits cafés pas chers du centre-ville pour écrire et regarder les autres. J'ai beaucoup suivi la façon dont la cuisine russe a été contrainte d'évoluer depuis le contre-coup des sanctions et contre-sanctions. C'est tout à fait intéressant. Toute une série d'entreprises ont été forcées à devenir très créatives. Je voudrais aussi mentionner que malgré toute l'horreur politique des derniers temps, il y a beaucoup de monde qui fait de l'excellent travail ici : médecins hospitaliers, militants des droits des handicapés, écologistes, etc… Alors j'aime me tenir au courant de ce qui se passe sur ces fronts chaque fois que je suis là.

NB: Et la liberté de la presse en Russie ? Quelle est la situation ?

NA: Je pense que le pays irait mieux s'il avait un marché médiatique en bonne santé, dynamique et libre, mais pour cela il faudrait aussi plus de responsabilité de l'administration, et les officiels russes sont trop paranoïaques pour réaliser que la responsabilité pourrait en réalité être une bonne chose. Ils préfèrent un système plus souple, et oublient que les systèmes rigides sont au final plus cassants et fragiles.

Il y a un merveilleux dicton qui caractérise parfaitement leur mentalité : “Tu meurs aujourd'hui, moi je mourrai demain”. C'est très sombre, sans espoir, et fondé sur la prévisibilité de la violence. Je pense que c'est la conséquence directe de ce que la Russie n'a jamais vraiment surmonté les traumatismes du 20ème siècle, de la Grande Terreur et des dizaines de millions de morts de la 2ème guerre mondiale (certains résultant de l'incompétence des dirigeants—Staline l'avait reconnu lui-même, et a vraiment cru à sa possible arrestation après la fin de la guerre), au Goulag et à l'épouvantable bourbier d'Afghanistan. La liste n'est pas close. Une société traumatisée ne veut pas connaître la vérité sur elle-même. Voilà pourquoi tant les hommes politiques russes que les Russes ordinaires persistent à trouver mauvais un marché des médias libre et robuste.

NB: Comment la guerre en Syrie a-t-elle affecté la situation en Ukraine ?

NA: Je pense que la Russie a tourné son attention vers la Syrie dans cette recherche de gloire dont j'ai déjà parlé. La Russie veut être à la table des grands pour la géopolitique, d'où le poker syrien. Nul ne sait comment ça finira. Ce qu'on sait, c'est que l'Ukraine est moins au centre de l'attention, ce qui, pour elle, est une bonne chose.

NB: Et quel effet cela a-t-il sur les relations actuelles entre Russie et Ukraine ?

NA: Certes, les relations politiques sont complètement en panne entre la Russie et l'Ukraine—mais les relations d'affaires continuent à exister. Pourquoi ? Parce que l'argent compte tellement plus que la politique pour les personnes impliquées. Et ce sera peut-être l'argent qui finira par normaliser les relations entre les deux pays, même si cela peut prendre des décennies (et pas mal de changements du côté russe), là où nous en sommes.

NB: Et l'Ukraine ?

NA: J'ai arrêté de faire des prédictions sur le conflit en Ukraine de l'est, parce que chaque fois que j'en fais, survient quelque horrible rebondissement. (Je suis franchement devenue superstitieuse à ce propos.) Je pense que l'Ukraine elle-même doit trouver sa propre voie, en fortifiant ses institutions démocratiques et en adoptant davantage de réformes, qu'elle devra pérenniser. Ce sera une tâche fastidieuse, souvent ingrate, mais à présent, ça passe ou ça casse.