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Le mouvement français des Gilets jaunes sous les regards du monde

jeudi 7 mars 2019 à 10:47

Une revue mondiale du mouvement protestataire français des Gilets jaunes

The Yellow vests movement in Canada, credit by Nevin Thompson, with his courtesy

Les Gilets jaunes du Canada, crédit photo : Nevin Thompson avec son autorisation

Cet article a pu être écrit grâce aux contributions d'auteurs et de traducteurs de GV : Vishal Manve, Suzanne Lehn, Omo Yooba, Filip Noubel, Pernille Bærendtsen, Georgia Popplewell, Nevin Thompson,Juke Carolina, Elena Dontsova.

Le mouvement protestataire des Gilets jaunes qui ébranle la France depuis octobre 2018 ne donne aucun signe de vouloir s'arrêter prochainement. Initialement déclenché par un projet du gouvernement français d'augmenter la taxation des carburants, le mouvement s'est transformé en contestation contre les inégalités et la mondialisation, mêlée de murmures racistes à couvert.

Dans la section des commentaires d’un double entretien contrastant deux points de vue sur le mouvement des Gilets jaunes en France, un lecteur de Global Voices a voulu savoir comment le monde perçoit le mouvement des Gilets jaunes. Pour répondre à cette question, les auteurs de GV ont rassemblé des réactions d'Inde, du Nigeria, de Russie, de Serbie, de Haïti, du Danemark, du Canada et d'Indonésie. Ce passage en revue n'est pas exhaustif et ne se prétend pas tel. Le but est plutôt d'offrir une perspective transversale sur un mouvement social complexe, qui tend à être perçu différemment dans divers pays autour du globe.

Inde

Le journal The Hindu, sous la plume d'Emile Chabal, Directeur du Centre d'étude d'histoire moderne et contemporaine de l'Université d’Édimbourg, analyse la complexe relation d'amour-haine entre les Français et leurs gouvernants, qui peut aider à saisir ce qui fédère le mouvement.

Despite their ire, the gilets jaunes also demand redress from the very same state they abhor. They want the French government to lower fuel taxes, reinstate rural post offices, increase their ‘purchasing power’, cut property taxes, and hire more doctors for rural clinics. They firmly believe that the state can and should fix their problems. The fact that many of the issues at the heart of the protests relate to deep structural imbalances in the French economy makes no difference. The state is held as sole responsible and sole guarantor.

Malgré leur colère, les gilets jaunes exigent aussi réparation de cet État même qu'ils abhorrent. Ils veulent que le gouvernement français baisse les taxes sur les carburants, rétablisse les bureaux de poste ruraux, augmente leur “pouvoir d'achat”, diminue les impôts fonciers, et embauche des médecins pour les hôpitaux ruraux. Ils croient fermement que l’État peut et doit résoudre leurs difficultés. Le fait que beaucoup des thèmes au cœur des manifestations soient liés aux déséquilibres de l'économie française ne change rien. L’État est tenu pour unique responsable et unique garant.

Publié à l'origine dans The New Republic par Karina Piser, une journaliste basée à Paris, cet article du blog d'Indian Strategic Studies s'inscrit en faux contre les affinités supposées d'extrêm-droite du mouvement décrites habituellement par les médias principaux. s'il rejoint l’Indian Defence Review pour dire que “le mouvement est dépourvu de chef, horizontal, sans aucune structure et totalement sans direction”, l'article de Karina Piser conclut sur une note d'espoir : elle pense que le mouvement peut faire pencher la balance en faveur d'une action collective et unie contre les principes de la gouvernance du capitalisme :

People are always searching for ways to explain why they suffer,” [Édouard Louis, a prolific and internationally known young French author] told me. “Do they suffer because of migrants, because of minorities? Or do they suffer because of capitalism, because of the violence of our governments, because of the violence of Macron?” For some of the banlieue activists, at least, these Yellow Vests protests offer hope that, finally, right-leaning rural voters will decide that it’s the latter.

Les gens cherchent toujours à expliquer pourquoi ils souffrent”, m'a dit [Édouard Louis, un jeune écrivain français prolifique et internationalement connu]. “Est-ce qu'ils souffrent à cause des migrants, à cause des minorités ? Ou est-ce qu'ils souffrent à cause de capitalisme, à cause de la violence de nos gouvernements, à cause de la violence de Macron ?” Pour certains militants des banlieues, au moins, ces manifestations de Gilets jaunes offrent un espoir que, finalement, les électeurs ruraux de droite décident que c'est cette dernière [explication].

Une approche un peu surprenante du mouvement des Gilets jaunes est celle de Shyama V. Ramani, professeur émérite à l'Université des Nations Unies, qui fait un rapprochement hardi entre ce mouvement et le cyclone Gaja en Indie, une grave tempête tropicale qui a tué 45 personnes le 11 novembre. Elle décrit les deux événements comme des chocs imprévisibles sur la société, exigeant une élaboration complexe de solutions.

Haïti

Les manifestations en Haïti en réaction à un projet de hausse des coûts du carburants se sont produites en juillet 2018 sur l'île, à côté d'autres protestations contre le gouvernement de Jovenel Moïse. Une nouvelle vague de contestation déstabilise le pays en ce moment même, contre ce que Whitney Webb, une journaliste de MintPress News basée au Chili et lauréate 2019 du Prix Serena Shim pour l'intégrité sans compromis dans le journalisme, décrit comme “l'expérience néo-libérale ultime” réalisée sur son peuple par une “oligarchie capitaliste”. L'auteur trace dans son article plusieurs comparaisons entre les situations politique et sociale française et haïtienne : les deux pays sont, par exemple, renommés pour leurs actions révolutionnaires contre l'esclavage et l'exploitation. Reliant la nouvelle vague de manifestations en Haïti avec le mouvement des Gilets jaunes en France, elle termine son article en choisissant son camp :

As both Haiti and France have become the new epicenters of popular unrest against predatory elites, much as they were two centuries ago, it is time to see both of these current movements as part of the same struggle for basic human dignity in an era of neocolonialism, imperialism and global oligarchy.

Alors que Haïti et la France sont devenus les nouveaux épicentres de l'agitation populaire contre les élites prédatrices, à l'image d'il y a deux siècles, le temps est venu de voir ces deux mouvements actuels comme une part de la même lutte pour la dignité humaine de base dans une ère de néocolonialisme, d'impérialisme et d'oligarchie mondiale.

Serbie

Pernille Bærendtsen, une autrice de Global Voices, est tombée sur cette inscription de street-art à Belgrade, en Serbie, en décembre 2018.

Yellow vest in Belgrade, Serbia, December 2018. Picture made by Pernille Bærendtsen, with her courtesy

Gilet jaune à Belgrade, Serbie, décembre 2018. Photo : Pernille Bærendtsen avec sa permission

Danemark

Pernille Bærendtsen vit au Danemark, où le mouvement des Gilets jaunes a également été largement discuté, d'un point de vue plus politique et intellectuel. Les spécialistes interrogés sur le phénomène tendent à spéculer si un mouvement similaire est susceptible de se propager au Danemark.

Nigeria

Abubakar Adam Ibrahim, un journaliste nigérian et auteur du roman primé Season of Crimson Blossoms (2015, non traduit en français), a écrit le récit de son voyage en France à la fin de 2018. Il a écrit un article comparant les manifestations causées par les prix de l'essence au Nigeria en 2012, et celles des Gilets jaunes.

One thing the protests in France and Nigeria had in common was the lack of a clear leadership. Both started off as social media angst that spewed onto the streets. In Nigeria, labour leaders saw an opening in the headless mass of angry Nigerians, and entered negotiations with the government on behalf of everyone else. They reached an agreement in the night, in the dark, and by morning when they called off the protests, it wasn’t clear what exactly they had agreed to. The feeling of being sold out lingered with the protesters who trudged home to retire their placards and bury the dead. In France, they went on longer.

Un trait commun des manifestations en France et au Nigeria était l'absence de direction claire. Les deux ont démarré comme une panique de médias sociaux jaillie dans les rues. Au Nigeria, les dirigeants syndicats ont vu une ouverture dans la masse sans tête de Nigérians en colère, et sont entrés en négociations avec la gouvernement pour le compte de tout le monde. Ils sont arrivés à un accord dans la nuit, dans l'obscurité, et quand le matin ils ont appelé à la dispersion des manifestations, on ne savait pas sur quoi au juste ils avaient donné leur accord. Le sentiment d'avoir été vendus a subsisté chez les protestataires qui sont rentrés chez eux en traînant les pieds pour retirer leurs affiches et enterrer les morts. En France, ils ont continué plus longtemps.

Il relève aussi une différence entre les deux pays dans le niveau de violence observé.

I remember thinking how peaceful [the protesters] were, other than the nuisance of impeding movement, how they chanted slogans at passing cars. A lady on a roller skate zipped alongside cars, her yellow vest a blur, smiling but chanting anti-Macron slogans.

“Don’t be scared,” my friend said. “They are mostly peaceful.”

“I am from Nigeria,” I said. “We don’t protest like this.”

Je me rappelle avoir pensé combien [les manifestants] étaient pacifiques, à part la gêne d'entraver les déplacements, comme ils scandaient leurs slogans au passage des voitures. Une dame en patins à roulettes filait le long des voitures, son gilet jaune une tache floue, souriante mais scandant contre Macron.
“N'aie pas peur”, a dit mon ami. 3ils sont généralement pacifiques”.
“Je viens du Nigeria”, ai-je répondu. “Nous ne manifestons pas comme ça.”

Canada

Au Canada, le mouvement des Gilets jaunes a fait des émules :  sa page facebook au Canada compte plus de 110.000 membres. Un convoi de plus de 150 voitures fait actuellement route de l'Alberta à Ottawa pour défendre les oléoducs, et ce, selon certaines voix médiatiques, avec fierté. Jesse Brown, éditeur à Toronto, insiste sur la focalisation anti-migrants du mouvement, dénonçant les informations de CBC sur Twitter :

Ce reportage de CBC National sur les Gilets jaunes canadiens n'est pas seulement tardif, il est erroné. Il décrit un mouvement légitime pour des emplois, avec “d'autres” focalisés sur l'immigration. La réalité est que le sentiment anti-migrant (avec menaces de mort) EST ce dont il s'agit avec les Gilets jaunes du Canada.

Cet aspect du mouvement est largement documenté par David Crosbie dans un article analysant les messages publiés sur la principale page facebook des Gilets jaunes canadiens. Il mentionne aussi comment cette tendance du mouvement le rend différent du mouvement français d'origine :

While the Canadian Yellow Vests have some grievances in common with their French forebears, chiefly concerning economic disparity and unemployment, their message has been decidedly more hateful from the beginning.

Si les Gilets jaunes canadiens ont certains griefs en commun avec leurs prédécesseurs français, concernant principalement la disparité économique et le chômage, leur message est résolument plus haineux depuis le début.

CTS News souligne également les différences entre les mouvements dans un entretien avec l'ambassadrice française au Canada, Isabelle Hudon.

Isabelle Hudon says the movement in Canada appears to have been appropriated by far-right extremists espousing racist, anti-immigrant views and even indulging in death threats against Prime Minister Justin Trudeau. […] While violent individuals have been involved in the French protests, some of which have devolved into riots, Hudon says she's never seen the protests there linked to race or immigration.

Isabelle Hudon dit que le mouvement au Canada semble avoir été approprié par les extrémistes de droite épousant des idées anti-immigrants et racistes, et se laissant même aller à des menaces de mort contre le Premier ministre Justin Trudeau. […] Si des individus violents ont été impliqués dans les manifestations françaises, dont certaines ont tourné à l'émeute, Hudon indique qu'elle n'a jamais vu les manifestations là-bas liées à la race ou à l'immigration.

Cette dernière phrase doit être nuancée, au vu par exemple des récentes insultes antisémites lancées par quelques manifestants Gilets jaunes en France. Comme en France, les réseaux sociaux servent d'arène aux mouvements. Simon Little écrit sur Global News à propos du “torrent de menaces et de propos injurieux” subi par B.C. Radio après le tweet critique de son animateur Brett Mineer contre le mouvement canadien des Gilets jaunes, en particulier quand il évoque les “éléments racistes et les théories conspirationnistes”, à la suite d'un déplacement de Justin Trudeau à Kamloops.

Avoir le Premier ministre en visite en ville et rien que de voir ce qu'il y a parmi nous d'êtres humains grossiers et immondes avec leurs théories conspirationnistes délirantes, leur racisme, leur irrespect et leur incapacité totale à échanger de bonne foi me donne envie de quitter cette planète aussi vite que possible.

Dans un entretien sur ces menaces et insultes en ligne avec David Tindall, un sociologue de l'Université de Colombie britannique spécialisé dans les médias sociaux et les mouvements sociaux, Simon Little écrit que :

The online environment has also allowed people with extreme views who might once have been isolated to come together and feed off each other’s energy. […] He said he’s seen evidence of increasing polarization in Canada, something he attributes to the breakdown of rules about what’s acceptable south of the border in the Trump era.

L'environnement internet a aussi permis à des gens aux idées extrémistes qui ont pu jadis être isolés de se rencontrer et de se nourrir réciproquement de leur énergie. […] Il dit avoir vu des preuves de polarisation accrue au Canada, quelque chose qu'il attribue à la décomposition des règles de l'acceptable au sud de la frontière à l'ère Trump.

Indonésie

Une tribune publiée en ligne par Edward S Kennedy semble s'intéresser à la réputation française de manifestations et contestations permanentes, comme si c'était une forme d'art de vivre. Le titre en est : “Di Perancis, Demo adalah Tradisi, Olahraga, dan Hobi”, signifiant “En France, la manifestation [de rue] est une tradition, un sport et un loisir”. Et l'auteur de se référer aux manifestations de mai 68 en France :

“Ketika gerakan Gilets Jaunes tengah menyeruak pada hari-hari belakangan ini, Perancis seperti tengah membuka kembali buku sejarah mereka yang penuh marah dan darah. Sebab, mengutip salah satu grafiti Mai '68: “Plus je fais la révolution, plus j'ai envie de faire l'amour“.

“Voir aujourd'hui la montée des Gilets jaunes, c'est comme regarder la France en train de revisiter son histoire pleine de colère et de sang. Comme disait un tag illustrant les manifs de mai 68 : “Plus je fais la révolution, plus j'ai envie de faire l'amour“.

Un autre auteur, Fahrul Muzaqqi, maître de conférences au Département de Science politique et sociale de l'université Airlangga à Surabaya, compare les mouvements protestataires ayant eu lieu dans trois pays : France (Gilets jaunes), Indonésie (212) et Malaisie (812). Selon notre auteur de Global Voices Juke Carolina, il “souligne le danger de l'élitisme dans les mouvements populistes.”

“Kritik populis atas demokrasi perwakilan justru membuka diri pada jebakan anti-demokrasi yang bahkan lebih buruk dari demokrasi itu sendiri.”

“La critique populiste de la démocratie représentative actuelle s'est mise dans des pièges anti-démocratiques bien pires que la démocratie elle-même.”

Russie

Elena Dontsova, auteur de Global Voices vivant en Russie, partage quelques idées sur la perception là-bas du mouvement français des Gilets jaunes.

Federal media displayed a disaster, a nearly emergency situation in France. The President of Russia, in a meeting of the local Human Rights Council, commented, regarding the freedom of meetings and demonstrations in Russia, that : “We don't want the same events as in Paris to happen here”
Independent media, however, described the situation with more nuances, as in the Novaya Gazeta.
More up-to-date reports say that most of the French people want the protests to end.
Media says that the French Yellow vests movement still had a lot of supporters but that the number of respondents, who considered themselves as members of the movement, has declined.

Les médias fédéraux ont montré une catastrophe, une quasi situation d'urgence en France. Le président russe, lors d”une réunion du Conseil russe des Droits de l'homme, a commenté au sujet de la liberté de réunion et de manifestation en Russie, que “[Nous] ne voulons pas que se produisent ici les mêmes événements qu'à Paris”.
Les médias indépendants, quant à eux, ont décrit la situation de façon plus nuancée, comme dans la Novaïa Gazeta.
Les informations plus récentes disent que la majorité des Français veulent que mes manifestations s'arrêtent.
Les médias [officiels[ disent que le mouvement des Gilets jaunes français garde de nombreux supporteurs, mais que le nombre de sondés se considérant comme membres du mouvement décline.

Un large éventail d'opinions à travers le monde sur le mouvement des Gilets jaunes

La courte vidéo ci-dessous de Brut (en français) montre comment d'autres manifestants à travers le monde enfilent aussi des gilets jaunes (ou, dans un cas, rouges) pour des revendications souvent analogues.

Dans l'ensemble, le spectre des opinions mondiales semble aller d'un étalage de solidarité mondiale avec des semblables protestant contre les inégalités à une réflexion sur les divisions affectant la société. Trois semaines après le début du mouvement, le monde continue à en parler, et à Global Voices, nous continuons à écouter : il est certes essentiel de maintenir une conversation planétaire.

Pour le première fois dans l'histoire du Brésil, une femme indigène entre au Congrès national

mercredi 6 mars 2019 à 19:48
UN/Screenshot

Joênia est la première femme indigène diplômée en droit au Brésil. Photo extraite d'une vidéo de United Nations Web TV

En 1997, Joênia Wapichana devient la première femme indigène du Brésil à obtenir une licence en droit. Onze ans plus tard, elle est la première femme indigène à plaider une affaire devant le Tribunal suprême. Et en octobre 2018, elle s'illustre à nouveau en devenant la première femme indigène élue au Congrès national.

Avec un total de 8491 voix, elle remporte un des huit sièges destinés à son état, le Roraima. Le seul député indigène à avoir accédé avant elle au Congrès brésilien était Mario Juruna [fr], un indien Xavante, élu en 1983.

Née dans une tribu Wapichana, Joênia a déménagé à Boa Vista, capitale de l'état du Roraima, à l'âge de 8 ans. Elle finance ses études de droit en travaillant dans un cabinet comptable, et elle déclare dans une interview récente, avoir obtenu son diplôme un an plus tôt que prévu, cinquième de sa promotion parmi les enfants de l'oligarchie du Roraima.

En décembre 2018, en tant que députée élue, Joênia reçoit le prix des Droits de l'homme de l'ONU pour son travail remarquable pour la promotion des droits des peuples autochtones. Cette même reconnaissance avait été accordée à l'époque à Nelson Mandela et à Malala.

Joenia Wapichana défendant la cause indigène au Tribunal suprême. Capture d'écran d'une vidéo de YouTube/Tribunal suprême du Brésil.

À la croisée des chemins

Joênia est entrée dans l'histoire en  2008 quand elle a défendu la cause de cinq peuples indigènes pour que leurs terres soient officiellement déclarées Territoire indigène [fr], un type de propriété qui octroie aux peuples autochtones des droits inaliénables sur leurs territoires traditionnels.

Le tribunal a statué en faveur des indigènes, qui sont alors devenus les propriétaires permanents du territoire autochtone le plus étendu du Brésil, les terres de Raposa Serra do Sol, situées dans l'état du Roraima.

Jair Bolsonaro, à cette époque membre du Congrès, avait insulté un activiste indigène qui assistait à une audience publique de la Chambre des députés sur la démarcation des terres de Raposa Serra do Sol. “Ils devraient sortir et aller brouter pour préserver leurs origines”, avait-il déclaré à cette occasion.

Peu de temps après sa victoire électorale en 2018, Bolsonaro a de nouveau mentionné Raposa Serra do Sol comme étant un exemple de territoire autochtone dont le potentiel économique devrait être exploité. Il a déclaré aux journalistes :

É a área mais rica do mundo [em minerais]. Você tem como explorar de forma racional. E no lado do índio, dando royalty e integrando o índio à sociedade.

C'est la région la plus riche [en minerais] du monde. On doit pouvoir l'exploiter de façon rationnelle. Et aux indiens, on leur paie les redevances et on les intègre à la société.

Il y a dix ans, le visage peint des traits rouges traditionnels de son ethnie, Joênia a mêlé portugais et langue maternelle pour rappeler aux juges qu'environ trois millions de dollars américains circulaient sur ces terres sans affecter l'économie brésilienne. “On nous calomnie et on nous traite de façon discriminatoire sur nos propres terres” déclare-t-elle alors.

Photo: The Institute for Inclusive Security, CC 2.0

Une opposante redoutable

Alors qu'elle se préparait à prendre possession de son siège de députée d'opposition au gouvernement de Bolsonaro, Joênia a déclaré à plusieurs journalistes du quotidien national Folha de São Paulo:

Por que ele persegue tanto os povos indígenas? Qual é a razão de todo esse ódio e de querer retroceder tanto?

Temos turismo, medicinas tradicionais, uma vasta biodiversidade na Amazônia. A gente tem de mudar esse discurso de que somos empecilho ao desenvolvimento, que estamos prejudicando A ou B. Temos de fazer com que sejamos nós os protagonistas também.

Pourquoi est-ce qu'il [Bolsonaro] persécute autant les peuples autochtones ? Pourquoi tant de haine et pour quelle raison vouloir un tel retour en arrière ?

Nous avons le tourisme, les médecines traditionnelles, une énorme biodiversité en Amazonie. Il faut arrêter de dire que nous sommes un obstacle au développement, que nous portons tort à A ou B. Nous devons nous aussi nous convertir en protagonistes.

Une action immédiate

Le Congrès du Brésil a pris ses fonctions en février 2019, et Joênia a entamé son mandat comme leader de son parti, Rede Sustentabilidade (Réseau durable) à la Chambre des députés, la chambre basse du pouvoir législatif fédéral. Le parti Rede a été fondé par l'ancienne ministre de l'Environnement Marina Silva [fr], qui, bien qu'elle ait perdu trois élections présidentielles consécutives, est bien connue dans le milieu de l'activisme environnemental du Brésil.

Suite à la catastrophe minière de Brumadinho [fr], une tragédie qui a causé la mort de 160 personnes et détruit toute vie sur le fleuve Paraopeba, Joênia a présenté son premier projet de loi, qui sanctionne plus lourdement les délits environnementaux qui affectent gravement les écosystèmes, les vies et la santé humaines, les qualifiant “de crimes odieux”, un type d'infractions qui entraîne des peines beaucoup plus sévères.

La veille de sa prise de fonction, la députée a déclaré au journal Folha de Boa Vista, un journal local du Roraima, que son projet traitait du manque de respect des entreprises privées envers l'environnement :

Nos preocupa a política governamental de enfraquecer ainda mais os mecanismos criados para defender o meio ambiente saudável, previsto em nossa Constituição, e os impactos sociais, como, por exemplo, o licenciamento ambiental, diante da falta de responsabilidade das empresas e do baixo poder de fiscalização do Estado.

La politique de ce gouvernement nous inquiète : elle fragilise les mécanismes qui avaient été créés pour protéger un environnement sain comme le prévoit la Constitution, et les impacts sociaux qui en découlent. Par exemple, les licences environnementales qui contribuent à amoindrir la responsabilité des entreprises et le faible pouvoir de contrôle de l'Etat.

Lors d'un entretien à la  BBC, Joênia a affirmé que sa priorité au Congrès serait la démarcation des territoires indigènes :

Se por um lado há meia dúzia de ruralistas, por outro há uma população de minorias que se sente representada por mim ali. É uma população que precisa de representação. A política velha é formada por pessoas que só pensam em benefícios individuais. Eu vou levar valores coletivos.

Si d'un côté il y a une demi-douzaine de grands propriétaires terriens, de l'autre nous avons toute une population de minorités qui se sentent représentées par moi. C'est une population qui a besoin d'être représentée. La politique d'autrefois est faite de gens qui ne pensent qu'à leur intérêts personnels. Je vais porter des valeurs collectives.

Poutine prêche la «souveraineté» et la modernisation technologique, les experts déplorent les atteintes aux libertés en ligne

mercredi 6 mars 2019 à 15:40

Dans son discours annuel devant le parlement russe, Vladimir Poutine a promis un internet plus rapide et plus sûr – mais certainement pas plus libre, soulignent les experts. // TASS/kremlin.ru, sous CC2.0.

Le 20 février, Vladimir Poutine a prononcé son discours annuel devant le parlement russe [en]. Il a promis plus de moyens financiers pour les programmes sociaux et les infrastructures civiques, particulièrement dans la sphère des nouvelles technologies :

Уже в текущем году необходимо принять генеральную схему развития инфраструктуры цифровой экономики, включая сети телекоммуникаций, мощности по хранению и обработке данных. И здесь также нужно смотреть вперёд. Задача ближайших лет – организовать повсеместный доступ к высокоскоростному интернету, начать эксплуатацию систем связи пятого поколения, 5G.

Il nous faut absolument adopter dès cette année un plan général pour développer l'infrastructure de l'économie numérique, y compris le réseau des télécommunications, ainsi que le stockage et le traitement des données. Il nous faut aussi regarder vers l'avant. Le problème des prochaines années sera de rendre possible l'accès généralisé à un internet à haut débit et de débuter l'exploitation du système de communication de cinquième génération, la 5G.

L’amélioration de l'infrastructure d'internet et son accès garanti à tous les Russes, voilà qui sonne comme une promesse de progrès. Mais ces annonces sont faites à une époque de contrôle sans précédent de l'information sur l'espace en ligne de Russie.

Deux rapports parus en février font état d'une nette tendance à la baisse des libertés en ligne. Peut-être qu'internet va devenir accessible à un plus grand nombre de Russes, mais ce sera dans un cadre de plus en plus strict fixé par le gouvernement.

Le rapport livré par l'organisation de défense des droits de l'homme Agora [en] compile les différentes tactiques du pouvoir russe pour s'en prendre aux utilisateurs individuels, aux réseaux sociaux et aux médias en ligne. Selon Agora, la tendance principale consiste en une vague de lois et de réglementations qui obligent les fournisseurs d'accès et les géants technologiques à «fliquer» les contenus de la toile en fonction des intérêts du gouvernement russe.

A plusieurs reprises, les fournisseurs d'accès ont été contraints de bloquer l'accès à des sites relayant l'information sur certains procès ou dénonçant la corruption de certains membres du gouvernement. Comme dans ce cas particulièrement médiatique, quand les prestataires ont bloqué l'accès au site d’Alexeï Navalny [en], figure de l'opposition et ennemi de la corruption. Le rapport d'Agora dit ceci :

Власти подготавливают почву для блокировки сервисов, которые считают основными катализаторами массовых протестов, пытаясь представить ее как требование соблюдать национальное законодательство. Делегирование полицейских и цензорских функций частным игрокам не только минимизирует ущерб репутации, но и, очевидно, более оправдано с точки зрения расходования ресурсов и эффективности контроля

Les autorités sont en train de préparer le terrain pour un blocage des services en ligne, qu'elles considèrent comme les principaux catalyseurs des protestations de masse, tout en essayant de présenter cette répression comme une simple obligation de respecter la législation nationale. Déléguer des fonctions de police et de censure à des acteurs privés permet de minimiser les dégâts en termes de réputation et serait visiblement plus rentable en termes de dépenses et d'efficacité du contrôle.

Agora note aussi une nette augmentation des restrictions opérées sur des contenus : au total, 662.842 ont fait l'objet d'une censure en 2018, contre 115.706 en 2017. On y trouve des sites bloqués, des URL individuelles, des articles en ligne, des posts sur les réseaux sociaux jugés «extrémistes» ou «incitant à la haine», etc.

Une des rares bonnes nouvelles: l'un des points les plus tristement célèbres du Code pénal de la Fédération de Russie, l'article 282 («Incitation à la haine ou à l'inimitié, mais aussi atteinte à la dignité humaine»), sur lequel se basent la plupart des poursuites pour des propos tenus sur le net, a été légèrement amendé [en] en décembre 2018. Il semble en résulter une diminution des poursuites liées à des propos tenus en ligne. Ce qui n'empêche pas les juristes de se montrer sceptiques quant à une éventuelle «libéralisation» des lois russes.

Le rapport d'Agora prédit que les procureurs pourront toujours se rabattre sur des articles moins sévères des Codes pénal et administratif pour réprimer la pensée dissidente. Cela pourra leur permettre de museler les particuliers et les organisations sans provoquer un tollé dans l'opinion.

Agora note aussi que les plateformes informatiques occidentales vont de plus en plus dans le sens des exigences des autorités russes, une tendance que RuNet Echo avait déjà mise en lumière [en]. Citant le «Rapport sur l'accessibilité des services et des données» de Google [en], Agora affirme qu'en juin 2019 Google a satisfait 79% des demandes totales de suppression de données de la part du gouvernement russe, contre 62% seulement des demandes analogues émanant du gouvernement américain. La réponse de Google montre que les demandes de suppression de contenus de la part du gouvernement russe ont fait plus que quintupler en six mois de l'année 2016 : leur nombre est passé de 2.045 en juin à 11.164 en décembre.

A porter au crédit de Google : la compagnie n'a exécuté aucune des 94 demandes de suppression de la part du gouvernement russe [pour des contenus] que celui-ci considère comme une «critique des représentants du pouvoir». Google présente aussi quelques exemples des contenus supprimés, et il s'avère qu'une grande partie représentent un réel danger pour les utilisateurs : publicité pour des casinos illégaux qui arnaquent les gens de leur argent durement gagné, propagande pour la violence raciste, marché en ligne de stupéfiants et autres substances dangereuses, etc.

Il n'empêche que Google s'est empressé de satisfaire certaines demandes de suppression de vidéos d'activistes [fr] appelant à manifester contre la corruption, et ce au motif que ces meetings, arbitrairement déclarés «non autorisés», contrevenaient une loi répressive destinée à empêcher l'expression publique d'opinions dissidentes.

Twitter, Google et Facebook ont montré qu'ils étaient prêts à supprimer des contenus ou à en limiter l'accès pour les internautes de Russie [en] à la demande des autorités russes, en conformité avec les lois locales. Mais ces compagnies ont-elles conscience du caractère extraordinairement limitatif de ces lois, et comparent-elles ces demandes avec ce que dit la Constitution russe?

Le second rapport, rendu par la Société de protection d'internet (OZI) fait des pronostics encore plus sombres : intitulé «Pessimisme de début d'année», il souligne que l'indice de liberté de parole sur internet a chuté de la façon la plus spectaculaire et sur la durée la plus longue depuis le début des mesures, en 2016. Il énumère sept événements qui ont pesé négativement sur l'indice en janvier : depuis les nouveaux textes de loi jusqu'à des affaires médiatisées, comme le procès de Yana Antonova. Cette chirurgienne pédiatre de Krasnodar est poursuivie pour avoir partagé une vidéo du mouvement «Open Russia», déclaré «organisation indésirable».

Collaborer avec une «organisation indésirable» — la liste établie par le gouvernement comprend aussi le «National Endowment for Democracy» [Fondation nationale pour la démocratie] et la fondation «Open Society» — est un délit puni par une loi adoptée en 2015. Celle-ci prévoit une série de sanctions allant d'une lourde amende à une peine de prison. Publier une vidéo sur Facebook est ainsi considéré comme de la «collaboration avec une organisation indésirable», ce dont Yana Antonova a fait l'amère expérience.

Le rapport de l'ОZI souligne aussi le potentiel de nuisance du «projet de loi Klichas», qui fait partie d'un paquet législatif répressif actuellement examiné à la Douma.

Du nom de son auteur, le sénateur Andreï Klichas, ce projet de loi vise à créer une infrastructure «souveraine» [en] pour l'internet russe, censée le protéger des ingérences étrangères. Encore plus controversé, un projet de loi «anti fake news» [fr] coécrit par le même Andreï Klichas. Il fait l'objet d'une critique quasi unanime des spécialistes. Ce qui n'a pas empêché les deux textes de passer en première lecture grâce à la majorité écrasante que détient le parti «Russie unie» au parlement.

Le gouvernement russe semble maintenant avoir toute confiance dans sa capacité à contrôler l'activité sur la toile – une confiance telle qu'il peut désormais se permettre, sans craindre les conséquences, d'offrir l'accès à internet à toute la population.

Emballement médiatique en Australie une fois le couvercle levé sur l'incrimination du cardinal Pell pour agressions sexuelles d'enfants

mercredi 6 mars 2019 à 13:10

L'incrimination du cardinal Pell est enfin rendue publique en Australie.

St Patrick's Cathedral, Melbourne

Intérieur de la cathédrale Saint-Patrick de Melbourne – Wikimedia Commons: image fournie par Donaldytong (CC BY-SA 3.0)

Un nom a été omniprésent dans les médias australiens pendant la dernière semaine de février 2019 : Pell. L'effervescence a suivi la levée de l'ordonnance judiciaire de silence concernant l’incrimination du cardinal George Pell pour cinq agressions sexuelles d'enfants et l'audience de la cour précédant la détermination de la peine. Les délits ont été commis dans la cathédrale Saint-Patrick de Melbourne à la fin des années 1990. L'accusé a été écroué à l'issue de l'audience des plaidoiries.

Pays divisé

Les Australiens ont été nombreux à prendre parti. Les opinions semblent se ranger en trois catégories : condamnation de Pell, affirmation de son innocence, et attente du résultat de la procédure d'appel. Comme l'a expliqué le journaliste pénaliste John Silvester :

George Pell is a polarising figure, which is perhaps why there are now two warring camps – those who want him to be guilty of historical sex offences against two choirboys and those who don’t.

George Pell est un personnage clivant, et c'est peut-être ce qui explique qu'il y ait maintenant deux camps en guerre : ceux qui le veulent reconnu délinquant sexuel historique contre deux jeunes choristes, et ceux qui ne le veulent pas.

Un commentateur sur le fil Reddit de l'article du journaliste a insinué que Silvester pourrait être parmi les partisans de Pell :

Given the number of times we've seen investigations buried by the Catholic faithful, I'd also appreciate knowing if the author of such a problematic article is a Catholic himself.

Tellement d'enquêtes ont été enterrées par les fidèles catholiques que je serais aussi reconnaissant de savoir si l'auteur d'un article aussi problématique est catholique lui-même.

Bon nombre de personnalités en vue ont aussi pris la défense du cardinal, parmi lesquelles deux anciens Premiers ministres libéraux. John Howard a témoigné en faveur de Pell à l'audience, écrivant : “Aucune de ces affaires n'ébranle l'opinion que j'ai du Cardinal”. A quoi les médias sociaux en général ont réagi par une bruyante condamnation de l'ex-Premier ministre controversé. Ce tweet sarcastique d'Adam Gartrell, qui oeuvre pour le Parti travailliste actuellement dans l'opposition, en est un bon exemple :

Ah, il est un “brillant interlocuteur” ? Il fallait le dire plus tôt, parce que cela élimine absolument le viol.

Un autre ancien Premier ministre, Tony Abbott, a révélé avoir téléphoné à son ami Pell le jour de la lecture publique du verdict. Beaucoup de caricaturistes n'ont pas été aussi indulgents :

Howard et Abbott s'empressent de soutenir le violeur d'enfant Pell

Les attaques ont été nombreuses contre les “#PellDefenders” (défenseurs de Pell), insinuant souvent qu'ils font cause commune. La journaliste Wendy Bacon, qui est aussi militante et ancienne universitaire, a partagé sur Facebook ce qu'elle pense de ses adeptes.

I am quite disgusted by the way the right-wing Catholic lobby are mobilising to defend a now convicted pedophile.

[…] I also wonder how many of the defenders are allies in causes like anti-abortion, anti-equal marriage and equal sexual rights – also I wonder how many are connected to Opus Dei in Australia, one of the groups that Pell helped prosper.

Je suis complètement écœurée par la façon dont le lobby des catholiques de droite se mobilise pour défendre un pédophile désormais reconnu coupable.
[…] Je me demande aussi combien de [ses] défenseurs sont alliés dans des causes comme l'interdiction de l'avortement, celle du mariage pour tous, et l'égalité des droits sexuels – et je me demande combien ont des liens avec l'Opus Dei en Australie, un des mouvements que Pell a aidés à prospérer.

L'Opus Dei [Œuvre de Dieu] est une organisation catholique conservatrice et controversée à laquelle Pell a été lié.

Une survivante d'agression sexuelle a même été plus sévère dans sa condamnation des partisans du cardinal :

Almost immediately, the parade of aggrieved, disappointed, distressed, shocked, disbelieving, sad, angry Catholics and other Pell supporters began moving like a sullen, offended beast across the media, in unedifying protest at the guilty verdict.

Presque immédiatement, le défilé des catholiques et autres supporters de Pell mécontents, bouleversés, scandalisés, incrédules, tristes, en colère, s'est mis en branle dans tous les médias comme une bête offensée et renfrognée, en une protestation sans intérêt contre le verdict de culpabilité.

Le commentateur de haut niveau de radio, télévision et presse écrite Andrew Bolt a pris la tête des attaques contre le verdict du jury :

But at last some of the truckload of mud thrown at him has stuck. It adds up to this: Pell, Australia’s most senior Catholic, has been made to pay for the sins of his church and a media campaign of vilification.

He is a scapegoat, not a child abuser.

Au final un peu du wagon de boue qu'on lui a lancé est resté collé. Ça se résume à ça : Pell, le catholique de plus haut rang de l'Australie, doit payer pour les péchés de son Église et une campagne médiatique de calomnies.
Il est un bouc émissaire et pas un violeur d'enfants.

Bolt s'est pris une copieuse volée de bois vert sur les médias sociaux et autres. La télévision Sky News a même décidé de diffuser son segment du Bolt Report sur le cardinal sans publicités “pour protéger les marques”.

Sleeping Giants Oz, des militants ‘qui veulent rendre le racisme, le fanatisme et la misogynie moins profitables’, ont appelé à un boycott :

Merci, les Sleeping Giants (‘Géants endormis’) de mettre en lumière et d'encourager les entreprises à réfléchir aux côtés de qui elles font leur publicité.
Bolt était arrogant, mais la plupart des gens seront d'accord que ses tout récents propos doivent mettre fin à sa carrière. Nul ne devrait vouloir faire de la pub ou figurer sur le Bolt Report.

Réflexions individuelles

De nombreuses réflexions plus développées au sujet de la reconnaissance de culpabilité et ses conséquences n'ont pas tardé à apparaître en ligne. Patrick Marlborough a évoqué une victime des abus du clergé  :

Cardinal Pell has been convicted and everyone I want to call is dead.

Elation slid into rage. That instant of ‘we got him’ flashed and passed and made way for instants of ‘you bastards, you absolute bastards’ with electric ease.

Here was a man so cloaked in authority, sanctity, and righteousness for so long by so many that his abuses of power—his abuses of children—went unchecked, unmarked, and unmasked for half a century.

Le cardinal Pell est reconnu coupable et chacun de ceux que je veux appeler est mort.
L'euphorie a glissé en rage. Cet instant de “on l'a eu” a passé en un éclair et a laissé place à “les salauds, les salauds absolus” avec lla facilité du courant électrique.
Voilà un homme drapé dans l'autorité, la sainteté et la bonne conscience à tel point, depuis si longtemps et par tant de gens, que ses abus de pouvoir – ses abus d'enfants – sont restés sans frein, banalisés et non masqués pendant un demi-siècle.

En total contraste, George Weigel, maître de conférence à l'Institut des Religions dans la vie publique de Washington D.C. et parmi les amis de Pell, est scandalisé par un ‘verdict pervers’ :

If it is not reversed on appeal, that false verdict will constitute a new indictment: the indictment of a legal system that could not bring itself to render justice in the face of public hysteria, political vendetta, and media aggression.

S'il n'est pas renversé en appel, ce verdict mensonger constituera une nouvelle mise en accusation : celle d'un système judiciaire qui a été incapable de rendre la justice face à l'hystérie publique, à la vendetta politique et à l'agression médiatique.

Dans une accusation bouleversante, Caitlin Johnston relate la tragédie vécue par son oncle (victime d'un viol dont l'affaire aurait été étouffée par Pell et le pouvoir) dans Le monstre Pell enfin mis en cage :

The Catholic Church murdered my uncle, as surely as if they had tied the noose themselves. It was a long, drawn-out treacherous act and it took forty years to complete, but they did it. They snuffed out that beautiful spirit.

And all I can think about the Church right now is, “Burn it down.”

L'Eglise catholique a tué mon oncle, aussi sûrement que s'ils avaient noué eux-même le nœud coulant. Ce fut un acte long, interminable et perfide, ça a pris des années à se réaliser, mais ils l'ont fait. Ils ont soufflé cette âme si belle.
Et ma seule pensée pour l'Eglise en ce moment est, “Qu'on la brûle entièrement”.

Un mème qui traverse une grande partie des réactions en ligne est celui d'athées qui souhaitent que Pell brûle en enfer. Le billet sur Facebook du dirigeant syndicaliste du Victoria Luke Hilakari partage ce genre de sentiments :

I have no faith in the Catholic Church.

And frankly I’m glad that so many of these perpetrators like George Pell believe in hell, because suffering for eternity seems about right to me.

Je n'ai aucune foi dans l’Église catholique.
Et franchement je suis content que beaucoup de coupables comme George Pell croient à l'enfer, car souffrir pour l'éternité me paraît n'être que juste.

Au moment même où le “stoush” [le pugilat] semblait légèrement mollir, l'avocat principal de la défense Robert Richter a attisé l'émoi. Dans une incroyable affirmation lors de l'audience des plaidoiries, Richter a traité l'affaire de “simple pénétration sexuelle vanille” [de sexualité conventionnelle]. Il s'est excusé le lendemain, mais :

Trop peu, trop tard. Le mal est fait ! ‘Choix calamiteux d'expression’ : Robert Richter présente ses excuses pour son propos sur la “simple vanille”

Tourner la page

Une question à première vue triviale sur Twitter à propos de l'appellation à donner au désormais prisonnier a fait fortement réagir. La discussion, à laquelle on peut accéder en cliquant sur le tweet, est révélatrice de la profondeur de sentiments dans les dizaines de réponses :

Les journalistes pourraient-ils cesser d'appeler Pell “cardinal” Pell. C'est une pratique devenue depuis longtemps la norme que les criminels reconnus coupables soient désignés par leur nom seulement, sans le titre. Je ne vois pas pourquoi cet agresseur d'enfants mériterait un traitement spécial.

Pendant ce temps, le Vatican a ouvert sa propre enquête sur les charges pesant sur Pell. Ce qui pourrait conduire à ce qu'il soit défroqué [renvoyé de la prêtrise].

Pour finir, ce mot d'une journaliste qui a assisté au procès, Emma Younger :

L'analyse de l'incrimination de George Pell par tant de personnes qui n'étaient pas dans la salle d'audience est intéressante.
Les témoignages des victimes ont été donnés à huis clos. Seuls les douze jurés ont donc entendu toute l'affaire.
Personnellement, je pense qu'il vaut mieux la laisser entre les mains de la Cour d'appel.

Sans aucun doute, la décision en appel provoquera autant de fièvre que le verdict de culpabilité.

Pour l'amour de la langue : le premier livre de fiction imprimé en langue Mro

mardi 5 mars 2019 à 19:16

Les membres de la communauté autochtone Mro, posant avec le premier roman dans leur langue. Reproduction autorisée

Le 21 février dernier, pour célébrer la Journée internationale de la langue maternelle, une fondation caritative a publié et distribué le premier ouvrage de fiction en police de caractères de la langue Mro pour les tribus qui vivent dans les régions frontalières entre Birmanie, Bangladesh, et lnde.

Répartition géographique de la population Mro au Bangladesh. Image via Wikipédia. CC: BY-SA

Le groupe autochtone Mro vit dans le district de Bandarban situé dans la région montagneuse au sud-est du Bangladesh. Selon un recensement effectué en 1991, la population était seulement de 22178. Ce sont sous-groupe du peuple Chin. Leur langue fait partie du groupe tibéto-birman de la famille sino-tibétaine.

L'ouvrage, intitulé « Contes de fées Mro », raconte des histoires liées aux croyances, images, culture et pratiques de ces groupes. Le livre a aussi été publié en bengali afin que d'autres communautés puissent lire les mêmes contes. Cet ouvrage de fiction, écrit par Yangan Mro, est le premier publié en police de caractères de la langue Mro et était distribué gratuitement.

Toutes les langues du monde ont besoin d'être sauvées, dit Niaz Morshed sur Facebook.

ম্রো ভাষায় প্রথম ছাপানো বই !!! এটাই হচ্ছে আমাদের একুশে ফেব্রুয়ারির উদযাপন।

যে দেশের মানুষ মাতৃভাষার জন্য প্রাণ দিয়েছে, সে দেশের কিছু মানুষ মাতৃভাষা হারাচ্ছে যুগে যুগে। এগুলো সংরক্ষণের কোন কার্যকর পদক্ষেপ চোখে পড়ে না।

Le premier livre en langue Mro !!! C'est notre célébration d’Ekushe February (Journée internationale de la langue maternelle)

Dans un pays où certains des citoyens sont devenus des martyrs pour défendre leur langue, certaines langues uniques sont en voie d'extinction. Je ne vois aucun effort pour les sauver.

Un volontaire de la fondation Bidyanando transmet un livre à un membre de la communauté Mro. Image reproduite avec autorisation.

La fondation Bidyanana est une organisation de bénévoles qui soutient les différents secteurs luttant contre la pauvreté et le sans-abrisme, particulièrement des orphelins. Elle fonctionne avec 40 permanents et une centaine de bénévoles, avec 8 filiales locales. Bidyananda Publications en est l'organisation sœur.

À lire : Un Bangladais familier de la faim fournit des repas peu coûteux aux enfants dans le besoin (en anglais)

Global Voices a échangé avec  Kishor Kumar Das, le fondateur de l'organisation :

আমাদের একাধিক আদিবাসী এতিমখানায় কয়েকশ’ শিশু থাকে। তাঁদের মাতৃভাষায় বই উপহার দিতেই কাজটি করা। আর কাজটি করতে গিয়ে প্রথম সমস্যা ছিল ম্রো ভাষায় লেখক খুঁজে বের করা। এজন্য আমরা ফেইসবুকে বিজ্ঞাপন দিই।পরে আমাদের এক স্বেচ্ছাসেবকের মাধ্যমে এই লেখককে খুঁজে পাই। আর একটা সমস্যার ছিল ফন্ট।এসব ফন্টে কাজ হয় নি কোনদিন বাংলাবাজারে(বাংলাদেশের সবচেয়ে বড় বই প্রকাশনী কেন্দ্র)।আদিবাসী শিশুদের মাতৃভাষায় বই পড়ার আনন্দ উপহার দেয়ার দৃঢ় প্রতিজ্ঞা ছিল বলেই আমরা কাজটি করতে পেরেছি।

আগামী বছর আমরা আরো কয়েকটি ভাষায় বই প্রকাশ করার পরিকল্পনা করছি।এছাড়া আমরা আদিবাসী শিশুদের জন্য ভিডিও টিউটোরিয়াল তৈরির কাজ শুরু করেছি। সেটাও মাঝপথে থেমে গেছে স্বেচ্ছাসেবকের অভাবে।

Quelques centaines d'enfants autochtones se trouvent dans nos différents orphelinats. Nous voulions leur donner des livres dans leur langue maternelle. Le premier défi pour nous était de trouver un écrivain en langue Mro. Nous avons passé une annonce sur Facebook et un de nos bénévoles l'a trouvé. L'autre défi était de travailler avec des polices de caractères qui n'étaient jamais utilisées sur le Banglabazar, le principal marché d'édition de livres du Bangladesh. Mais nous étions bien déterminés à produire des livres en langue Mro pour les enfants autochtones.

L'année prochaine nous prévoyons de publier des livres en quelques langues supplémentaires. Nous avons commencé à créer un tutoriel vidéo pour les enfants autochtones Mais ce travail a été maintenant retardé à cause d'un manque de bénévoles.

La carte des langues au Bangladesh. Image via Wikimédia Commons.

Le Bangladesh est principalement un pays de locuteurs du bengali, un groupe qui constitue 98% de la population (163 millions au Bangladesh, 261 millions dans le monde entier). Pourtant, il y a 39 langues minoritaires parlées au Bangladesh et certaines sont menacées d'extinction. Le chercheur Salek Khokon, a publié des conclusions qui montrent que deux langues minoritaires (Kudukh et Nagori) ont déjà disparu.

L'un des défis est que le peuple des montagnes parle dans sa langue mais écrivent en bengali (certaines de ces langues sont uniquement orales). Pourtant, de jeunes activistes autochtones se servent des innovations pour conquérir le monde numérique avec leur propre langue et police de caractères.

Depuis 2014, il existe une action pour dispenser l'enseignement primaire en 5 langues autochtones, mais les détracteurs affirment qu'elle n'a pas été mise en œuvre correctement.

Le Bangladesh s'est maintenant doté d'un Institut international de la langue maternelle (IMLI), un organisme statutaire dont la fonction est la préservation des langues. Depuis que le gouvernement porte une attention particulière sur ces problèmes et sur des organisations comme Bidyanando pour promouvoir les publications en différentes langues, il existe un espoir que des mesures soient prises pour sauver ces langues.