Si l’affaire Outreau a fini par sortir, c’est parce que, comme une cocotte minute sur le feu, le couvercle devait sauter dans ce quartier où plusieurs réseaux pédophiles s’entrecroisaient. Il n'a jamais été possible d’établir l’existence de ces réseaux devant la justice, même si tous les protagonistes qui ont parlé, coupables et victimes, ont aussi parlé de réseau. On va aborder aujourd'hui quelques-uns des "dossiers connexes", tombés dans l'oubli, et pourtant reliés de près à l'affaire Outreau qu'on connait.

 

On connait plus ou moins bien le procès Outreau : sept condamnations en première instance, quatre en appel. 17 enfants reconnus victimes en première instance, 12 en appel. Mais, l’affaire a été saucissonnée, comme on dit, et plusieurs volets de l’affaire Outreau ont été disjoints. Il est vrai que si tous ces dossiers connexes avaient été jugés dans le cadre de l’affaire Outreau que nous connaissons tous, l’instruction aurait été interminable[1].

En voici quelques-unes dont nous pouvons parler.

Le 26 juin 2001, deux couples sont arrêtés dans le cadre d’un dossier parallèle à l’affaire Delay/Badaoui, pour des faits de pédophilie. A ce moment, un avocat explique dans la presse qu’il y avait 6 ou 7 dossiers similaires dans ce quartier de la Tour du Renard, à Outreau. Cependant, on n’a jamais réentendu parler de ces couples arrêtés.

Le journaliste Frédéric Lavachery, auteur d’un livre sur l’affaire Dutroux, qui a éclaté en 1995 en Belgique, explique que, dès 1999 les renseignements généraux français se sont intéressés au mouvement de citoyens belges contre les réseaux pédophiles, les Comités Blancs, qui ont fait si peur au pouvoir belge. Il écrit :

"En 1999, la profileuse belge Carine Hustebaut avec laquelle je travaillais sur plusieurs dossiers, notamment les cd-rom dits de Zandvoort, m'a demandé si j'étais d'accord de rencontrer une cellule des Renseignements Généraux français qui souhaitaient comprendre ce qui se passait en Belgique. J'ai accepté et nous nous sommes vus à Lille. Nous étions quatre, deux agents des RG, Carine Hutsebaut et moi. Les RG m'ont expliqué que leur cellule avait été mise sur pied pour enquêter sur l'action des Belges face aux réseaux de pédocriminalité dans le but de débusquer d'éventuels réseaux de même nature en France. Pour ma part, je leur ai fait part des raisons de la mobilisation sans précédent de la population belge en solidarité avec les familles victimes deDutroux et consorts.

Nous nous sommes vus une deuxième fois à Lille. Je leur ai dit que l'objectif de leur cellule n'était nullement de démanteler de tels réseaux mais d'éviter qu'en France une affaire de type Dutroux ne vienne déstabiliser le régime. Penauds, ils m'ont dit que j'avais raison.

Cette mise au point faite, j'ai accepté de les éclairer sur la mobilisation populaire belge, celle-ci étant de toute manière pénétrée par les services de la Sûreté de l'Etat belge et notre action n'ayant rien de clandestin. Ils m'ont demandé s'ils pouvaient assister à l'une des réunions de notre association, le " collectif des victimes passées en résistance ", lequel était composé d'une quinzaine de personnes victimes de diverses formes de criminalité institutionnelle, dont une diplomate de haut rang et deux gendarmes.

Ayant reçu l'accord des membres du collectif, j'ai donc invité les deux agents des RG à l'une de nos réunions, à proximité de Bruxelles. Ils sont arrivés avec une dame qu'ils ont présenté comme leur chef et ils ont assisté à nos travaux, qui n'avaient rien de confidentiel. Je n'ai plus entendu parler de cette cellule par la suite.

En 2001, la presse a commencé à rendre compte de l'affaire d'Outreau et, très rapidement, il est apparu qu'elle prenait l'exact contre-pied de l'attitude adoptée par la presse belge entre 1996 et 1998."

 

Screenshot_18Le procès Danger/Vandevelde

Le 12 novembre 2001, alors que l’affaire Outreau fait la Une des médias depuis près d’un an, trois couples sont arrêtés. Il s’agit de trois frères, les Danger, mariés à trois sœurs Vandevelde, avec quelques échanges d’un couple à l’autre, et 16 enfants au total (ils ont été placés le même jour). Ils vivaient dans un immeuble en face de chez les Delay. Ce sont les deux aînés de la famille, placés depuis 1999, qui ont parlé à leurs assistantes maternelles.

Un autre couple a également été arrêté dans le cadre de l’affaire Delay/Badaoui, mais on n’en a pas entendu parler davantage.

Les trois couples Danger/Vandevelde ont été arrêtés pour des actes pédophiles répétés sur leurs enfants, ainsi que la grand-mère maternelle, chez qui se seraient déroulés une partie des faits.  C’est le procureur Lesigne qui suit l’affaire, comme pour Outreau. Il n’a  donc été question que d’une "affaire d’inceste familial".

Dans le dossier Outreau, on apprend que certains de leurs enfants sont cités comme victimes par les témoins du dossier Delay/Badaoui. L’un des acquittés est cité par une victime comme agresseur d’un des enfants Danger. Une autre victime cite plusieurs enfants Danger comme victimes des Delay. Badaoui, quant à elle, a déclaré qu’une des femmes Vandevelde faisait partie du réseau.

Mais quand certains enfants sont entendus par la police et les psychologues dans le cadre de l’affaire Outreau de base, ils nient avoir subi quoi que ce soit, et se montrent même totalement bloqués au départ. L’un d’eux finit par dénoncer un acquittés, mais jamais ses parents. Il se rétractera lors du procès en appel, permettant d’acquitter ce suspect, qui avait été condamné en première instance.

Damien batley

La presse dépeint les trois couples, défendus par les ténors de l’affaire Outreau tels que Moretti, Berton et Delarue fils,comme des débiles qu’on attaque injustement, à cause du délire de l’affaire Outreau.

En mai 2002, alors que les trois couples sont toujours en préventive, une codétenue d’une des sœurs Vandevelde, ulcérée, est entendue par la police. Elle explique que cette femme est "très intelligente" mais "joue les naïves" (comme tous les accusés dans cette affaire, d’ailleurs). La codétenue déclare qu’elle a dit avoir commis des attouchements sur les enfants, et même qu’elle faisait partie d’un réseau pédophile. En gros, on prostituait les enfants contre de l’argent ou des provisions. Là aussi, il est question de cassettes vidéos, qui auraient "été dégagées avant l’arrivée de la police".

Finalement, les trois couples sont relâchés discrètement en septembre 2004. Leur procès est reporté à juillet 2005, juste après le procès en appel de l’affaire Outreau.

C’est seulement en mars 2006 que le procès commence, à Saint-Omer, en plein pendant la commission d’enquête parlementaire sur Outreau. Au cours des trois semaines d’audience, les adultes nient les accusations de pédophilie. On apprend qu’en 1997, Christian, l’oncle d’une des victimes, Jessica, a été condamné à 18 mois  fermes pour des attouchements commis en 1996. Tout le procès repose sur le seul témoignage de Jessica, qui est évidemment attaquée par les avocats de la défense. Son frère qui accusait un acquitté d’Outreau s’est rétracté, ce qui fragilise encore plus l’accusation. Et les médias s’en donnent à cœur joie, en ne donnant la parole qu’aux avocats de la défense et en rappelant lourdement "le fiasco de l’affaire Outreau""Devant la juge, [X] a évoqué la violence de [son compagnon] la forçant à avoir des rapports avec ses frères, à regarder des films pornos en présence des enfants, elle a parlé de ses manières suggestives avec eux? "Depuis, elle dément, affirme Me Hubert Delarue. Elle a subi beaucoup de pressions, été frappée en prison? Elle a fini par broder, dans le climat de psychose pédophile de l'époque." ", nous dit l’Express du 23 mars 2006.

van danLeurs enfants ainés se sont plaints en 2001, à l’âge de 15 et 10 ans, de violences sexuelles commises par les adultes, auprès des assistantes maternelles chez qui ils étaient placés. Là aussi, les scènes étaient parfois filmées. Interpellés, les parents nient, de même que certains enfants. Finalement, tous les enfants sont placés en famille d’accueil. Au moins l’un d’eux ne veut plus retourner chez ses parents. C’est lui qui, après avoir dit qu’il n’avait rien vu, rien entendu, a dit avoir vu le viol de sa cousine par son père et ses deux oncles. Pourtant, on a tout fait pour l’intimider : "J’ai bien posé les risques qu’encouraient ses parents quant aux accusations qu’il tenait. Il a maintenu", a déclaré l’avocat général. Pourtant, un an avant le procès, on a permis aux accusés de revoir leurs enfants.

L’oncle déjà condamné a été cité par les victimes également dans ce dossier, mais il n’est pas renvoyé au tribunal. Contrairement à ce que dit la presse, ce n’est pas parce qu’il était en prison au moment des faits : il n’a fait que 18 mois de taule au maximum, alors que la période infractionnelle va de 1994 à 2001 !

Là aussi, l’aînée dit qu’elle a été violée par ses oncles, son frère et ses cousins, mais une expertise médicale conclut qu’elle est vierge. Echaudés par Outreau, des experts nommés pour de nouvelles expertises des enfants concluent que les témoignages de 9 enfants sur 10 ne sont pas consistants.

Les six sont condamnés à 2 ans de prison (couverts par la préventive) et font appel. En appel, en novembre 2007, cinq sont jugés coupables : deux hommes prennent 6 ans de prison, une femme et un homme ont pris 4 ans et la dernière a pris 2 ans, mais ils ne comparaissaient que pour agressions sexuelles et corruption de mineurs.