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Google, la presse, la crémière et le cul de la crémière

samedi 27 octobre 2012 à 18:33

Reflets est un média que l’on pourrait qualifier d’irrévérencieux, cet article ne va pas arranger les choses, mais il fallait pas nous chercher. Ne vous attendez donc pas à lire dans les lignes qui suivent une éloge de la presse ou de Google. Si vous êtes partisan de faire passer Google à la caisse pour indexer les titres d’articles dont une bonne partie sont ceux issus d’un travail intellectuel de haut vol consistant à remixer les mots employés dans le titre d’une dépêche AFP… là en revanche, installez vous confortablement, nous allons vous montrer à quel point la presse se la joue faux-cul sur ce point précis. Tout a donc commencé par l’attentive lecture du billet de Kitetoa concernant l’approche du NouvelObs. C’est effectivement super drôle en soi, mais c’est sans compter sur la créativité de challenge.fr un autre des médias du groupe de presse qui a décidément de la suite dans les idées.

Voici l’exemple type de ce que nous pouvons qualifier de robots.txt parfaitement crétin :

Ces quelques lignes ont de quoi nous faire hurler de rire tellement c’en devient pathétique :

## L'utilisation de robots ou tout autre méthode automatique pour consulter le site challenges.fr/magazine/
## est formellement interdite.
## Les autorisations accordées par l'éditeur sont notifiées dans le présent document (/robots.txt)
## Aucune exploitation commerciale gratuite ou payante des contenus et des marques n'est autorisée sans accord express de l'éditeur. Merci de nous contacter sur reproelectronique-at-nouvelobs.com

Petit rappel : le robots.txt a pour seule et unique fonction de demander aux moteurs de recherche de référencer ou non les contenus spécifiques ou l’ensemble d’un site. Vous vous doutez bien que Google ne passe pas un coup de téléphone à chaque site pour lui demander son autorisation de l’indexer, il a des petits programmes, des robots, qui se chargent de ce travail. Il est donc rarissime, quasiment improbable, qu’un utilisateur consulte ce fichier. Il n’est pas référencé lui même dans les moteurs de recherche et parfaitement inutile au commun des mortels. Encore une fois, ce fichier ne s’adresse pas à des humains, mais à des agents logiciels.

Vous comprenez donc maintenant pourquoi il y a de quoi se plier en quatre quand on découvre ce splendide robots.txt de Challenge, qui explique à des robots ses CGU, et qui en plus leur demande d’envoyer un email à reproelectronique@nouvelobs.com pour demander l’autorisation d’indexer ses contenus. On imagine bien un bot lire avec attention un commentaire (par définition illisible par sa cible). Ça donnerait à peu près ceci :

- « Bonjour je suis RefletsBot, je voudrais indexer vos articles pour les agréger dans les rubriques de mon site qui vont bien et que mes lecteurs puissent accéder à vos contenus de qualité »

- « Bonjour RefletsBot, je suis ChallengeRobots.txt, je suis au regret de t’informer qu’après consultation de mon avocat en propriété intellectuelle, je ne suis pas trop assuré que tu en ais vraiment le droit. Je suis désolé tu ne pouvais le voir j’ai laissé ceci en commentaire, donc naturellement tu risquais pas de le lire, mais il est écrit en toutes lettres « Les autorisations accordées par l’éditeur sont notifiées dans le présent document (/robots.txt) », vu que tu n’y figures pas, peut-être devrais tu demander à ton Postfix de nous envoyer un petit email à reproelectronique@nouvelobs.com pour qu’on étudie ton cas. »

- « Cher ChallengeRobots, je suis d’origine chinoise et je ne suis pas sûr d’avoir les bons dico juridiques pour générer automatiquement un email et demander à mon Postfix de te l’envoyer avec ses petits bras musclés, je te propose donc d’aller te faire cuire un oeuf, j’irais récupérer les remix de titres de l’AFP chez tes concurrents, bisous. »

Comble du ridicule, vous vous doutez bien qu’une clause légale du type « Les autorisations accordées par l’éditeur sont notifiées dans le présent document (/robots.txt) » n’a comme valeur juridique que le ridicule qui pourrait provoquer une crise de fou rire à un juge un peu geek. Nous attendons avec impatience le formulaire de contact dans le .htaccess ou le numéro de téléphone dans le /etc/passwd, allez encore un petit effort, c’est pas parce que vous touchez le fond du copyright troll que vous n’avez pas le droit de continuer à creuser.

Une autre perle de ce robots.txt, exemple type d’une condition d’utilisation en parfaite contradiction avec ce qu’il est techniquement, à savoir un site qui pisse du XML dans tous les sens : il fallait oser interdire aux lecteurs de lire ses contenus via un agrégateur RSS, Challenge n’a pas peur du ridicule… il l’a fait, je cite :

"L'utilisation de robots ou tout(e) autre méthode automatique pour consulter le site challenges.fr/magazine/ est formellement interdite."

Nous avons bien rigolé avec Challenge.fr, et il ne s’agissait pourtant que de la forme, je vous propose que nous nous attaquions maintenant au fond.

Par exemple si Challenge, le NouvelObs, ou n’importe quel autre site ne voulait pas que Google s’enrichisse avec ses titres remixés de dépèches AFP, au lieu de raconter bêtement sa vie à des agents logiciels, il rajouterait dans son robots.txt  un truc qui ressemble à ça :

User-agent: GoogleBot
Disallow: /

Cette directive, très simple nous dit la chose suivante :

« Les robots de Google  (User-agent: GoogleBot) n’ont le droit (Disallow), d’indexer aucun des contenus du site (le / réprésentant la racine du site). »

Mais non… au NouvelObs, on préfère tuer les « petits bots » de « petits agrégateurs »… en leur interdisant  d’indexer les contenus, et laisser Google tout indexer… c’est étrange non ? En fait ce n’est pas si étrange que ça, c’est parfaitement crétin et contradictoire, mais ce n’est pas étrange. Pour un groupe de presse, il est plus simple de tuer dans l’oeuf un petit en lui interdisant l’indexation et d’hurler au monopole de Google pour tenter de lui racketer une rémunération en allant pleurnicher comme l’ont fait les industriels du disque avec Youtube (et dans un contexte très différent), que de retirer le droit à Google de donner accès aux contenus de son site.

Concrètement, aujourd’hui si la presse se coupe de Google, elle se coupe, d’Internet pour une immense majorité d’internautes du monde entier qui ne connait pas d’autres moyens d’accéder à ses contenus que par un résultat de recherche Google ou via l’agrégateur Google News. Vous seriez surpris du nombre d’internautes qui ignorent l’existence d’une barre d’adresse sur leur navigateur. Google et plus particulièrement Google News offrent un agrégateur qui est un point d’entrée à l’actualité pour de nombreuses personnes. Les résultats naturels de recherche de Google pointant sur des articles de presse représentent aussi une partie particulièrement importante du trafic de beaucoup de sites de presse. Et la condition pour y figurer, c’est bien entendu d’autoriser les robots de Google d’indexer ces contenus pour qu’il puisse les restituer dans ses résultats de recherche.

Oh tiens c’est amusant, n’assisterions-nous pas là à un schéma que nous connaissons bien ? Celui des fabricants de culture sur rondelle de plastique, les industriels du disques qui refusent de voir leur catalogue mêlé à celui de la concurrence. En refusant de voir les titres de ses articles, dans un agrégateur, mélangés à ceux de la concurrence, la presse nous laisse gentiment entrevoir qu’elle est sur le point de devenir aussi stupide que les crevards du disque.

Mais ce n’est pas là le seul parallèle idiot que nous pourrions faire. En d’autres temps, quand Google n’était pas le géant qu’il est devenu et que nous tapions nos recherches sur les nains de jardin Altavista ou sur Copernick, une condition d’utilisation un peu étrange fleurissait sur quelques sites, notamment des sites gouvernementaux En voici un exemple :

7. LIENS, ENCADREMENT, COPIE IMAGE MIROIR, GRATTAGE, EXPLORATION EN PROFONDEUR DE DONNÉES ET AFFICHAGE INTERDITS

Il est strictement interdit de créer des liens au site Web sans l’autorisation écrite expresse de Toto. Pour demander la permission de créer un lien au site Web, veuillez vous adresser par courriel à l’adresse toto@pouet.com. Toto se réserve le droit d’annuler et de révoquer une telle autorisation visant la création d’un lien avec le site Web en tout temps, sans avis et sans engager sa responsabilité envers vous ou toute autre personne.

L’encadrement, la copie image miroir, le grattage ou l’exploration en profondeur de données du site Web ou de son contenu, sous quelque forme que ce soit et de quelque manière que ce soit, sont strictement interdits. Il est interdit d’utiliser des technologies de visionnement ou d’affichage collaboratives relativement à votre utilisation du site Web ou d’afficher des commentaires, des communications ou quelque forme de donnée que ce soit sur le site Web avec l’intention que de tels affichages soient vus par les autres utilisateurs du site Web.

Aussi consternant que ceci puisse paraitre, il existe donc des sites parfaitement publics vers lesquels vous n’avez pas le droit de faire de lien ! Des sites dont AUCUNE URL ne peut être partagée sur Facebook ou Twitter sans que l’on demande l’autorisation préalable écrite au service juridique du site en question.

Sérieusement les gars, faites vous un intranet, envoyez vos articles par la Poste à vos lecteurs, là au moins, vous contrôlerez leur diffusion. Laissez un Internet neutre aux grandes personnes et arrêtez de nous bassiner avec votre taxe Google à la con. Vous êtes sur un réseau public, Internet, qui est une machine à copier, et Internet, c’est comme la France, tu l’aimes ou tu te casses. Les informations pour être diffusées et lues, se copient de serveurs en serveurs avant de parvenir au lecteur chez qui l’information sera également copiée dans le cache du navigateur. La prochaine étape c’est quoi ? C’est de demander au FAI une rémunération proportionnelle au nombre d’abonnés qui lisent vos contenus ?  Demander aux éditeurs de systèmes d’exploitation ou de navigateurs web une taxe sur les données en cache ?

Arrêtez votre hypocrisie, si vous n’êtes pas joasse que Google vous apporte du trafic et donc des revenus publicitaires, nous vous suggérons un

User-agent: GoogleBot
Disallow: /

dans votre robots.txt. L’effet est garanti, presqu’immédiat et au moins vous aurez l’air moins ridicules devant vos contradictions.

Et puisque la presse a décidé de lancer un concours de robots.txt crétins, Reflets aussi a décidé de jouer :

 

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Nouvel Obs, taxe Google et autres robots.txt : le bon gag du soir

vendredi 26 octobre 2012 à 15:55

Certains lecteurs diront que l’on a encore pondu un article un peu obscur parce que « technique ». Il n’en est rien et nous allons faire tout notre possible pour être le plus explicite possible…

Votre serviteur est un observateur avisé d’Internet depuis… Depuis avant que le Web n’arrive. Non, Internet n’est pas le Web et inversement. Oui, il y avait un Internet avant le Web. Si, si, il y avait des pages et des pages de documents présents sur le réseau, pas juste le mail ou les newsgroups. Il y avait les serveur Gopher. Il y avait des BBS reliés au Net. Bref. Vous nous direz : quel rapport avec le Nouvel Obs ?

En fait, depuis quelques temps, je fais du tri dans mes archives. De 1995 à 1998, j’imprimais des tonnes de choses lues sur Internet. Et je gardais… Il me faut faire un peu de place. Donc, je regarde chaque page d’une montagne de papiers représentant près de 11 cartons et je décide : à garder / à jeter.

Et dans ces 11 cartons, il y a de sacrées perles. Du coup, lorsque j’en ai le temps, je partage ces perles avec les gens qui suivent mon compte Twitter. Hier, sous le hashtag #DansLesArchivesDuDino je listais ces moments amusants de l’histoire du réseau. Lorsque sont entrés dans la discussion deux autres dinosaures du Net, Florent Latrive (@latrive) et David Dufresne (@davduf). Dans le flot, Florent Latrive poste ceci :

 

Ni une ni deux, puisque nous étions replongés des années en arrière, je regarde un peu le serveur http://tempsreel.nouvelobs.com/ (on ne sait jamais, le back office du site est peut-être en accès libre ?) et j’y trouve ce fichier robots.txt.

J’avoue avoir trouvé assez gaguesque le contenu de ce fichier.

Procédons par ordre :

A quoi sert ce fichier Robots.txt ?

A indiquer aux programmes d’indexation automatiques des moteurs de recherche quels fichiers, quels répertoires ont est prêt à laisser archiver, ou pas.

Dans le cas particulier, le fichier Robots.txt ferme complètement la porte du site à toute une tripotée de boites qui indexent les contenus de la presse. Prenons un exemple parlant : Melwater.

Ainsi donc, le Nouvel Observateur refuse que la société Meltwater indexe ses contenus. Pourquoi ? Hum… Probablement parce que Meltwater vend un service de veille médias et que le Nouvel Observateur regrette de ne pas toucher quoi que ce soit sur ce petit commerce des revues de presse qui n’existe que parce que le Nouvel Observateur (et le reste de la presse) publie des articles. Sans presse, pas de marché de la revue de presse…

A ce stade, on peut se demander quelle est la position du Nouvel Observateur dans la fameuse polémique qui agite le microcosme du Web franchouillard depuis quelques temps : la presse doit-elle recevoir une compensation pour l’utilisation que fait Google News de ses articles ?

Il suffit, pour le savoir, de regarder sur le Nouvel Obs qui ouvre grandes ses colonnes à ceux qui plaident pour que l’on taxe Google et que l’on redistribue ses bénéfices à cette pauvre presse qui se meurt, non pas de la piètre qualité de ses contenus, mais du siphonnage opéré par Google :

Concrètement, Google devrait rémunérer les différents éditeurs de presse français pour chaque article indexé, c’est-à-dire rendu accessible par le moteur de recherche. En contrepartie, les médias renonceraient à leur droit de s’opposer à toute indexation. Un projet de loi en ce sens a déjà été remis par l’association à Matignon et aux ministères de la Communication et de l’Economie numérique.

Explique benoitement Nathalie Collin, présidente de l’association de la presse d’intérêt politique et générale (IPG) et co-présidente du « Nouvel Observateur« .

Voyons voir… Donc, Nathalie Collin pense que les journaux doivent s’opposer à toute indexation quand il n’y a pas rémunération de la part de ceux qui indexent et font commerce de leur indexation. Jusque là cela se tient parce qu’en effet, les responsables techniques du site du Nouvel Obs savent à peu près paramétrer le fichier Robots.txt qui permet de s’opposer à une indexation.

C’est quand on cherche le robot de Google dans la liste de ceux que le Nouvel Obs ne veut pas voir indexer ses contenus que cela se complique. Parce que, tout simplement, Google n’est pas dans la liste. Le Nouvel Obs refuse l’indexation à pas mal d’entreprises, mais ouvre grand ses portes au vilain méchant Google.

Hum…

Peut-être parce que le Nouvel Obs ne veut pas se passer des visiteurs amenés par Google News ? D’où d’ailleurs, sans doute, sa propension à faire en sorte de créer des contenus de merde, photocopiés ad nauseam pour « faire du clic » (je ne retrouve plus l’article orignal développant cette théorie. Si l’auteur se reconnait, que je mette un lien…).

Car voyez-vous depuis le siècle dernier, même sur le Web, plus on a de visiteur, plus on peut vendre de la publicité, ce qui fait rentrer des sous dans les caisses. Et comme sur Internet, votre annonceur ne sait pas que votre visiteur est un chien…

Tout cela, bien entendu dans l’intérêt du lecteur. Car le lecteur est la première des préoccupations des patrons d’entreprises de presse. Passer dix jours sur les seins d’une femme, dix autres jour sur un tweet envoyé par la compagne du président de la république…, tout cela est d’une importance primordiale, qui impose un tel traitement de l’information…

 

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Reflets fait sa Radio en public et en direct le 24 octobre à 19h !

mardi 23 octobre 2012 à 11:26

Après avoir beaucoup écrit pendant un an et demi, Reflets prend la parole. Nous bêta-testons une émission de radio d’une heure, en direct, avec l’aide de la Cantine et de Tryphon.

L’émission est ouverte au public dans la limite des places disponibles. Inscrivez-vous sur le site de La Cantine et rejoignez-nous ce mercredi 24 octobre !

Pour ceux qui ne sont pas à Paris ou qui ne peuvent se déplacer, un player sur Reflets.info devrait vous permettre de suivre l’émission en direct.

Nous recevrons mercredi Laurent Bonelli, sociologue, co-rédacteur en chef de la revue Cultures et conflits, professeur de science politique à Nanterre, auteur et co-auteur de nombreux ouvrages traitant de la surveillance. Le thème central de l’émission sera : « Quel Internet sous François Hollande ? ».

L’adresse de La Cantine :

151 rue Montmartre, Passage des Panoramas, 12 Galerie Montmartre, 75002 Paris

Liens:
http://www.lacantine.org
http://www.tryphon.eu

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#Syria #Leak: le pilote ou l’avion

dimanche 21 octobre 2012 à 16:19

Nous voici de retour pour notre série sur les fuites de données (ou leaks).

Nous avons voulu commencer cette série par un article de fond. Nous nous sommes penchés sur les concepts de quête de la transparence et sur une approche historique des leaks. Guidés par un approche sociologique, nous avons fait le part belle aux « Whistleblowers » (ou dénonciateurs), ces citoyens prêts à remettre en cause leur situation sociale pour libérer une information qui paraissait, à leurs yeux, cruciale pour la société. Observant alors les efforts de domestication de ces dénonciateurs par nos sociétés, nous avons montré le renouveau de la dénonciation «révolutionnaire», d’abord grâce à Wikileaks, puis grâce à la montée en puissance des mouvements hacktivistes.

Vous pouvez lire cet article en suivant le lien suivant :

#Leak : Révolutionner la quête de la transparence

Trêve de théorie, passons maintenant à la pratique et penchons-nous sur quelques cas de fuites de données qui ont émaillés l’actualité de ces derniers mois. Cette série d’articles aura deux objectifs. Nous chercherons d’abord à interpréter l’information qui a été libérée, à la remettre dans son contexte. Car si l’information, c’est le pouvoir, encore faut-il la consulter, la comprendre et en tirer parti.

Parallèlement à ce premier objectif, nous en poursuivrons un second: mieux comprendre le concept de fuites de données en général. Chaque leak nous servira de prétexte pour approfondir un aspect bien précis de cette problématique. Nous espérons ainsi contribuer à donner à nos lecteurs une partie des armes dont ils auront besoin pour s’orienter dans un monde fait d’anonymat, de luttes informationnelles, de désinformation et de manipulation de masse.

Étant un observateur attentif des grands évènements internationaux qui agitent notre période, je me concentrerai sur les leaks à caractère géopolitique et plus spécialement celles concernant le moyen-orient.

Pourquoi ce choix ?

Car ces leaks seront particulièrement utiles pour réaliser nos deux objectifs. Cette région, pourtant voisine, reste relativement inconnue des lecteurs occidentaux. Les évènements qui s’y déroulent sont souvent analysés grâce à des grilles de lectures décalées, obsolètes ou grâce à des avis préconçus. L’analyse de ces fuites nous permettra-t-elle de nous faire un avis plus pragmatique sur certaines situations ou évènements qui se déroulent dans cette région?

Quant à notre second objectif, il sera lui aussi bien servi par ces fuites de données orientales. Car si la nation est un espace de droit, d’ordre et de hiérarchie, la scène internationale est, elle, considérée comme un espace anarchique où s’affrontent et se concurrencent des entités d’inégales puissances, et où interviennent à différents niveaux une grande multiplicité d’acteurs. Si la leak «nationale» est souvent guidée et maîtrisée, l’état d’anarchie qui règne au niveau géopolitique nous permettra d’observer des leaks très différentes et, toutes, riches en enseignements.

Laissez moi vous présenter notre première invitée. Cette #Leak est déjà relativement ancienne. Elle a déjà été analysée à de nombreuses reprises et a fait l’objet d’une couverture médiatique importante. Pourtant nous jugeons utile de revenir dessus.

Applaudissements pour:

Les mails de Bashar Al Assad

#Leak me, I’m famous

Courant février 2012, le Guardian annonce qu’il vient de recevoir le contenu de la boite mail personnelle de Bashar Al Assad et de sa femme Asma. Les e-mails couvriraient la période de juin 2011 à février 2012. Voici l’histoire tel que le Guardian la rapporte :

Fin mars 2011, un jeune travailleur gouvernemental de Damas glisse nerveusement à un ami un bout de papier et lui demande de faire parvenir ces informations à des exilés syriens. Sur ce papier on peut lire quelques lignes rapidement griffonnées: deux adresses e-mails ainsi que leurs mots de passe associés. Ces informations font alors leur chemin jusque dans les mains de deux activistes syriens présent dans les pays du Golfe. Dès juin 2011, ceux-ci vont se mettre à surveiller les boites mails jours et nuits, conscients de l’importance stratégique de cette fenêtre donnant directement sur la famille régnante syrienne.

Si au départ, le trafic semble relativement faible, celui-ci augmente fin août avec la fin du mois de ramadan et l’intensification de la répression. Tandis que la tension sur le terrain augmente, la surveillance des boites mails se fait de plus en plus difficile mais aussi plus intéressante. Bashar semble prendre conscience des risques inhérents au média Internet, et se met à effacer systématiquement ses e-mails après les avoir reçu: les activistes n’ont alors que quelques secondes pour réagir et sauver ces précieuses pièces de communication.

Plus les mois avancent, plus ces e-mails deviennent intéressants. Mais les activistes attendent l’information cruciale, celle qui les récompensera de tous leurs efforts. Ils resteront sur leur faim.

Enfin, en janvier 2012, un groupe de hacker affilié à Anonymous pénètre les serveurs du ministère syrien des affaires publiques et leakent plus de 80 adresses e-mails. La connaissance des deux boites e-mails de la famille régnante sortent alors du petit cadre des activistes syriens. Des internautes parviennent alors à comprendre que l’adresse «sam@alshahba.com» appartient au président syrien.

Le 7 février 2012, un e-mail de menaces en langue arabe arrive sur la boite e-mail du président. Le jour même, le trafic sur cette boite s’interrompt. Les activistes syriens décident alors de faire fuiter l’ensemble des informations qu’ils ont obtenu au journal anglais, le Guardian.

Plongée dans le cercle restreint d’un dictateur

La révélation des e-mails du président Syrien va défrayer la chronique. Certaines vidéos relayées par le président à sa femme vont faire le tour des médias sociaux. Mais peu de journaux prendront la peine d’analyser les e-mails en profondeur pour en tirer la substantifique moelle.

A notre tour d’essayer … Suivez le guide.

 

Le cocon de la famille Assad

Alors que la Syrie est au cœur d’un séisme géopolitique tel qu’elle n’en avait pas vécu depuis plus de 30 ans, la famille Assad semble maintenir son train de vie doré. Les e-mails de Asma, la femme de Bashar montrent des dépenses dans des produits de luxe et atteignant des dizaines de milliers de dollars.

Ainsi, un e-mail datant du 19 juillet 2011 montre que par l’intermédiaire de son cousin Amal, elle se porte acquéreuse de bijoux dans une boutique parisienne. En juillet encore, elle acquiert pour 10 000 dollars de chandeliers et de bougeoirs. Ces achats doivent être convoyés en Syrie par l’intermédiaire d’une compagnie étatique syrienne basée à Dubai.

En novembre, alors que les manifestations se poursuivent à travers la Syrie, elle envoie un message à un marchand d’art londonien pour connaître le prix de certaines pièces. Celles-ci seront estimées entre 5 000 et 35 000 livres sterling. Le 30 décembre, les manifestations battent leur plein à Alep, Deraa, Damas et Homs. Madame Assad envoie à son mari le lien vers un site Web vendant des armures personnelles pour VIP (BulletBlocker).

Quant à Bashar, lui, c’est dans de la musique et les jeux sur iTunes qu’il investit. Un acompte déguisé, une adresse e-mail peu explicite, une adresse physique américaine et voici l’embargo sur sa personne contourné. Ces achats répétés nous démontrent la faible efficacité des sanctions internationales sur les tenants du pouvoir. Grâce à des intermédiaires proche du cercle restreint (famille, personnes de confiance, …) les Assad parviennent relativement facilement, parfois directement, à se procurer les marchandises qu’ils désirent. Et les marchands concernés se doutent rarement à qui ils ont affaire.

 

Travailler en s’amusant

Le pays gronde, une révolution populaire est en marche. Le travail de dictateur est-il pour autant ennuyant? Les syriens ont-ils une chance de se débarrasser de Bashar grâce au surmenage ou à une dépression nerveuse? Peu probable…

Dans un e-mail datant du 6 juillet 2011, et répondant à sa femme qui l’interroge à propos d’une réunion qui vient de se tenir, Bashar se permet des commentaires sarcastiques sur les réformes qu’il a promis au peuple syrien.

Plus tard, dans un e-mail datant du 30 décembre, c’est des observateurs de la ligue arabe qu’il se moque. Il redirige ainsi à une des ses conseillères, une vidéo virale caricaturant le travail des observateurs.

Il y a enfin cette femme, cette mystérieuse inconnue. Avec elle, Bashar échange une correspondance faite de sous-entendus, de commentaires audacieux et de photos suggestive. Qui est cette femme? Personne ne semble l’avoir découvert. L’e-mail concerné aurait été créé quelques semaines plus tôt. Est-ce une amante? Une admiratrice sensible au charme de l’uniforme dictatorial? Une attaque réputationnelle visant le plus haut niveau du pouvoir syrien? Ou même sa propre femme? Les scénarios possibles sont nombreux. Mais qu’elle que soit la réponse, le quotidien de notre président dictateur semble avoir été pimenté.

Pourtant tout n’est pas rose tous les jours. Certains e-mails révèlent un couple Assad sous tension. Ainsi, dans un e-mail du 28 décembre envoyé à son mari, Asma écrit:

Si nous sommes forts ensemble, nous dépasserons cela ensemble… Je t’aime…

 

Gestion médiatique : place aux jeunes

Une des révélations les plus marquantes des e-mails de Bashar concerne la gestion médiatique.

Sheherazad Jaafari et son père Bachar Jaafari, ambassadeur de la syrie à l’ONU

Alors que le pays s’enfonce dans la révolte et la répression, Bashar semble, jours après jours, contourner de plus en plus l’appareil sécuritaire syrien et son propre clan pour s’appuyer sur un groupe de jeunes expatriés syriens éduqués aux Etats-Unis.

Au centre de ce dispositif, deux jeunes femmes qui vont prendre une place de plus en plus importante: Sheherazad Jaafari, fille de l’ambassadeur syrien à l’ONU et ayant travaillée pour la firme New-Yorkaise Brown Lloyd James, ainsi qu’une amie à elle, Hadeel al-Ali.

Cette dernière semble être l’intermédiaire par laquelle les conseils Iraniens parviennent à Bashar. Ainsi, peu de temps avant un discours prévu en janvier, Bashar reçoit une liste de thèmes cruciaux à aborder. Hadeel précise dans son mail que ces conseils sont basés sur «des consultations avec un bon nombre de personnes incluant le conseiller politique et médiatique de l’ambassadeur Iranien». Une conseillère avisée… Et peut-être plus encore?

Dans un autre mail, on peut voir Sheherazad préparer pour Bashar un interview exclusif d’une heure que celui-ci devra donner à la chaîne ABC. Les deux jeunes femmes insistent aussi régulièrement sur l’importance des réseaux sociaux et d’intervenir dans les discussions online. Sheherazad semble ainsi avoir crée un compte sur le site CNN, en vue d’y poster des commentaires pro-régime. Et le «Directeur des Projets et Initiatives» affilié au bureau de la première dame, écrira à twitter pour tenter d’obtenir la fermeture de plusieurs comptes imposteurs: @firstladyasma, @bashiralassad, @FirstLadySyria…

Mais nos deux expatriées syriennes ne sont pas les seules à constituer ce réseau de conseillers en rapport direct avec le président syrien.

Citons tout d’abord Hussein Mortada. Hussein est un homme d’affaire libanais influent, possédant de bonnes connections en Iran. En décembre, il va conseiller au président syrien de ne plus blâmer Al-Qaida pour les attentats à la voiture piégée qui ont frappés la capitale syrienne. Affirmant que c’est une erreur tactique, car déresponsabilisant l’administration US et les groupes d’opposition, il affirme:

J’ai reçu des contacts en provenance d’Iran et du Hezbollah grâce à mon rôle de directeur dans de nombreux canaux médiatiques Irano-libanais, et ils ont insisté sur le fait de ne pas mentionner que Al-Quaida était derrière l’opération.

Dans un autre e-mail, Mortada conseillera à Bashar de prendre contrôle des jardins publics entre 15 heure et 21 heure pour empêcher l’opposition d’y organiser des manifestations.

Fawas Akhras

Nous terminerons notre tour des conseillers médiatiques en citant le docteur Fawas Akhras, le beau-père de Bashar et un membre influent de la «British Syrian Society». Celui-ci utilisera ainsi le mail personnel de Bashar à plusieurs reprises pour lui offrir son support, ses conseils, notamment sur la façon de gérer les vidéos de torture de manifestants par les forces de sécurité syriennes.

 

Quelle conclusions pour Bachar ? Et pour la Syrie ?

Les réflexions qui me viennent à la lecture de ces e-mails, difficile de les retrouver ailleurs. Peut-être sont-elles à la fois trop évidentes pour les experts, et pas assez sexy pour le commun des lecteurs? L’article qui évoque le mieux ce que m’évoque la lecture de ces mails a été écrit par Peter Beaumont pour le Guardian, et il titre : »Les emails de Assad le font seulement paraître plus humain« .

Depuis que le conflit syrien s’enfonce dans le chaos et que les mots « guerre civile » apparaissent sur les lèvres des commentateurs, nous avons vu de nombreux appels au dialogue entre les parties prenantes de ce conflit. A ces appels à une solution politique du conflit est opposé une demande claire venant de différents groupes d’opposition:

« Oui à la solution politique, mais sans Bashar Al Assad. Celui ci doit quitter le pouvoir avant tout dialogue ».

Chez « Reflets », nous pensons aussi que les dirigeants doivent être tenus responsables des crimes commis par leur administration et sous leur mandat. Nous pensons aussi que Bashar devra quitter son poste d’une façon ou d’une autre. Mais prenons quelques lignes pour nous démarquer de cette position théorique et interrogeons nous sur la pertinence tactique d’insister sur cette demande.

Parlant des activistes qui ont surveillés la boite de Bashar pendant neuf mois, le Guardian affirme :

 [...] la révélation dévastatrice que les activistes attendaient tous continuait à leur échapper.

Cela nous étonne-t-il vraiment? Les mémos militaires et les rapports secrets des services de renseignements ne seraient-ils pas transmis par mail?

Parcourons rapidement les mails touchant à ces décisions stratégiques:

Un peu faible pour un « Commander in Chief ». Bien sur les décisions sécuritaires et militaires se prennent de vive voix lors de meetings secrets. Loin des oreilles indiscrètes qui écoutent sur Internet.

Et pourtant un doute affreux commence à nous saisir. Bashar est-il vraiment bien renseigné sur la situation critique qui touche son pays? Est-il vraiment aux commandes?

 

 

Quelques mois après la divulgation de la boite mail de Bashar, la plateforme Wikileaks reçoit plus de 2 millions d’e-mails en provenance de différents serveurs mails syriens: ce sont les SyriaFiles. Jean-Marc Manach de OWNI aurait alors eu l’occasion d’en analyser une partie. Il se serait penché sur les mails envoyés par l’adresse de Bashar « sam@alshaba.com ». Voici ce qu’il écrit en introduction de son article:

Quand la révolution syrienne a commencé, il a cessé de blaguer, et viré conspirationniste.

Comment Bashar Al-Assad pourrait-il être conspirationniste? N’est-il pas censé être au centre de sa toile, recevant des rapports étayés d’un service de renseignements omniprésent en Syrie, de ses alliés incontournables au Liban et recevant les conseils du nouveau poids lourd régional Iranien?

L’image qui se dessine dans ces mails semble beaucoup plus mitigée. Le président dictateur syrien parait isolé, dans une bulle dorée. Ces mails dessinent une image d’un pouvoir syrien où les responsabilités sont réparties avec soin. Au président le soin de la communication médiatique, des relations publiques. Le soin de faire bonne figure, de parler aux grandes chaines internationales et de garder au chaud la place de roi de Syrie. Mais est-il réellement à la manœuvre lorsqu’on aborde le sujet des grandes décisions stratégiques et politiques. Est-il réellement capable, s’il le désirait, de mettre un point final à la répression?

L’image qui se dessine, c’est celle d’un clan engagé dans une lutte existentielle. Un clan qui partage les responsabilités. Un clan où chaque élément n’a pas à savoir ce que font exactement les autres, tant que tout le monde avance dans la bonne direction.

Et dans ces conditions est-il sage de faire dépendre la solution politique d’une résignation de ce président-pantin?

 

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Ogm ou la science contre la démocratie (Jean-Pierre Berlan)

dimanche 21 octobre 2012 à 08:31

Jean-Pierre Berlan, ex-directeur de recherche à l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) analyse l’affaire des conclusions de la recherche de Gilles Seralini sur un OGM, le maïs NK603. Jean-Pierre Berlan ne tente pas de battre en brèche (ou non) le protocole de Mr Seralini, ce que la plupart des « experts » se sont empressés de faire, mais souligne les problématiques centrales que les OGM cultivés en plein champ, et voués à nourrir les êtres vivants posent : celles de la démocratie, de l’agriculture moderne des industries chimiques, du règne des experts, de l’addiction des populations aux pesticides.  

 

Ogm ou la science contre la démocratie :

Les contrefeux destinés à discréditer l’étude de Gilles-Eric Séralini et sa personne ne sont pas près de cesser : « rien de nouveau, manque d’information sur la composition de la ration alimentaire, protocole expérimental biaisé, échantillon statistique insuffisant, présence possible de mycotoxines, coup médiatique, etc. » Séralini témoignerait d’un biais anti-Ogm, accusent ses critiques – parabole de la paille et de la poutre. Mais la toxicologie est la seule discipline scientifique où ne rien trouver assure une carrière paisible.

Montrer des dangers des éthers de glycol, du nucléaire, du sel, des Ogm expose à des déboires sûrs plutôt qu’à des promotions. Le courage et le mérite de Séralini et de quelques rares scientifiques d’aller à contre-courant sont d’autant plus grands. Tout aussi délicat à manier est l’argument que Séralini utilise une souche de rats sensible aux tumeurs. C’est suggérer qu’il aurait dû utiliser une souche résistante pour ne gêner personne et, bien sûr, laisse soupçonner que cette toxicologie sous influence peut choisir, si nécessaire, la “bonne” souche pour obtenir les “bons” résultats.

Depuis le début de cette guerre de tranchées en 1997, les Ogm assurent la carrière, les contrats, les crédits, la consultance, les brevets, les “starts-up”, l’aggrandissement des laboratoires et le prestige scientifique à ceux qui les font. Ils ont un intérêt personnel à leur succès, ce qui n’a, disent-ils, pas d’influence sur la Vérité si bien protégée par La Méthode.

A ce complexe génético-industriel s’oppose une opinion publique dont le bon sens lui dit que si les scientifiques sont dans leur laboratoire, ce n’est pas parce qu’ils savent mais bien parce qu’ils ne savent pas et qu’il est dangereux de s’en remettre à des ignorants, même si, en bons dialecticiens (là aussi, qui s’ignorent), ils se font passer pour des “savants”. Particulièrement lorsque les connaissances et les représentations évoluent à tout vitesse, ce qui est le cas. Pendant des décennies, 95% ou plus de l’ADN était non-fonctionnel, mais il s’avère depuis quelques jours que cet ADN “poubelle” jouerait un rôle fondamental.

Les Ogm sont-ils scientifiquement dangereux pour la santé publique, pour l’environnement ? Peut-être ? Peut-être pas ? Peut-on juger leur dangerosité éventuelle pour les humains sur des rongeurs? C’est la pratique toxicologique barbare imposée, alors que des tests sur cultures de tissus humains permettraient de cribler rapidement les quelques 100 000 molécules de synthèse en circulation. Ces tests sont bon marché, rapides, et raisonnablement fiables : autant de raisons pour que les industriels les refusent.

Reste que notre intérêt est de soutenir ceux que les lobbies industriels et leurs mercenaires cherchent à faire taire. Qu’on se souvienne du rôle des médecins mercenaires dans le désastre de l’amiante. Mais plutôt que se laisser piéger par une expression qui implique que la modification génétique est le problème (ce qui conduit à le confier aux experts sous influence), il faut se tourner vers la réalité, la marchandise, que les Monsanto, DuPont, Syngenta, Dow, Bayer et autres fabricants d’agrotoxiques (car ce sont ces industriels qui contrôlent les semences dans le monde) vendent sous cette expression. Après tout, c’est nous qui l’ingurgitons. Autant savoir de quoi il s’agit.

Les lois et règlements exigent que les plantes semées soient “homogènes et stable”». Le premier adjectif signifie que les plantes doivent être identiques (aux défauts inévitables de fabrication près) et le second que la même plante soit offerte à la vente année après année. Le rôle semencier est donc de faire des copies d’un modèle de plante déposé auprès d’instances officielles. Le terme “clone” désigne, je pense de façon appropriée, la marchandise vendue, bien que les biologistes récusent ce terme qu’ils voudraient réserver à la reproduction végétative, la pomme de terre par exemple. Ils préfèrent donc continuer à utiliser le terme variété, « le caractère de ce qui est varié, contraire de l’uniformité » selon le dictionnaire. La variété chez les plantes est l’équivalent de la race chez les animaux (les Vilmorin utilisent indifféremment les deux mots dans leur livre de 1880, Les meilleurs blés) et renvoie à l’idée de caractères communs particulièrement visibles dissimulant des variations moins évidentes mais importantes.

Partout, mais particulièrement en science, les mots doivent désigner la réalité. Lorsque le terme usuel implique le contraire de ce que l’on voit, c’est qu’il faut la cacher. Le paysan produisait du blé, le système agro-industriel produit des profits en transformant les pesticides en pain Jacquet. Le capitalisme industriel a siphoné la substance des activités qui ont fait notre l’humanité mais il serait dangereux que nous nous en rendions compte. Il fait tout pour entretenir l’illusion.

Ces clones sont “pesticides”. Le président Sarkozy a condamné les “Ogm pesticides” lors de son discours de clôture du Grenelle de l’Environnement. Il a donc condamné 99,6% des “Ogm” commercialisés. Le pourcentage est le même cinq ans plus tard. Mais qui fabrique les Ogm-pesticides ?

Ces clones pesticides sont de deux types, ceux qui produisent une toxine insecticide, ceux qui absorbent un herbicide sans mourir. De plus en plus, ces deux traits se retrouvent simultanément. La toxine insecticide est produite par toutes les cellules de la plante. L’herbicide, lui, pour agir doit pénétrer dans la plante. La construction génétique introduite dans la plante neutralise son action. La plante survit et l’herbicide reste. C’est le cas du Round-up qui fait la fortune de Monsanto. Dans les deux cas, le pesticide entre dans l’alimentation.

Le but des fabricants d’agro-toxiques est, on le voit, de changer subrepticement le statut des pesticides : de produits toxiques à éliminer autant que possible de notre alimentation, ils sont en train d’en faire des constituants de notre alimentation. Le principe de l’équivalence en substance, scientifiquement ridicule mais qui fonde la “sécurité alimentaire” – tant qu’une fraise transgénique ne ressemble pas à une pomme de pin, elle est “substanciellement équivalente” à une fraise normale – permet de courtcircuiter les tests coûteux et longs qui grèvaient les profits des agrotoxiques chimiques.

Il n’y a pas de conséquences néfaste, nous affirment les fabricants d’agrotoxiques et leurs experts d’autant plus facilement qu’ils se gardent bien de faire les travaux approfondis qui permettraient (peut-être) de les découvrir. Ils se contentent de s’assurer “scientifiquement” que « dans l’état actuel des connaissances scientifiques », on ne peut pas “scientifiquement” démontrer une toxicité éventuelle. Ils font de l’absence de preuve la preuve de l’absence. Or l’état de ces connaissances est balbutiant. Les bactéries de notre tube digestif sont 100 fois plus nombreuse que les cellules de notre corps. On connaît 5 à 10% seulement de ce microbiote, qui joue un rôle physiologique important – et mal connu. Il en est de même pour les micro-organismes du sol – une poignée de terre fertile contient de 5 à 50 milliards de bactéries, pour ne rien dire des champignons, des actinomycètes, des algues etc. 80% de la biomasse se trouve dans les 30 premiers centimétres de la sol et nous détruisons cette pellicule moléculaire de Vie qui assure le fonctionnement des grands cycles biologiques du carbone, de l’azote, de l’eau etc.

On ne sait presque rien du développement de l’œuf fécondé à l’organisme final : l’oreille par exemple avec son pavillon, son conduit auditif, le tympan, l’enclume, l’étrier, les canaux, le limaçon et ses cellules ciliées qui transmettent le son au nerf auditif, tout ceci est délicatement et admirablement façonné spatialement, arrangé avec précision dans le temps et l’espace et se met exactement à sa place – à partir d’une seule cellule ! Tout plonger dans un bain de perturbateurs hormonaux et autres produits chimiques est d’autant imprudent que ces molécules peuvent entrer en synergie et être plus toxiques encore à des doses non mesurables. Pour résumer, l’Italie nous a offert un plat sublime de simplicité, la pasta al pesto. Les fabricants d’agrotoxiques veulent nous imposer désormais la pasta al pesticida. Ce n’est pas à leurs mercenaires de décider de notre appétit.

Enfin, ces clones pesticides sont brevetés. L’enjeu ? Les être vivants se reproduisent et se multiplient gratuitement. La loi de la vie s’oppose à la loi du profit. La vie a donc tort. Ce projet de société, l’expropriation de la vie, commence avec le capitalisme industriel. Dès la fin du 18ième siècle, les aristocrates anglais infatués de courses de chevaux créent un système administratif du contrôle du “sang” de leurs animaux. Il est l’image dans un miroir des règles aristocratique de transmission du pouvoir et de la richesse. Les papiers administratifs (le “pedigree”) et le contrôle des saillies assurent aux aristocrates éleveurs le monopole du “sang” de leurs animaux. Un animal qui a des “papiers” a de la valeur, un animal roturier ne vaut que sa roture.

Ce système est repris au début du 19ième siècle pour les animaux de ferme et perdure encore avec les livres des origines. Pour les plantes, il faut attendre bien que, dès la fin du 19ième siècle, les sélectionneurs se plaignent de l’injustice de la Nature. Elle prendra différentes formes. Biologique avec le fameux maïs “hybride” que les agriculteurs ne peuvent re-semer sans chute de rendement – une des plus belles escroqueries scientifiques du siècle passé et présent, ce monopole permettant de multiplier par 50 ou 100 le prix des semences – le non moins fameux Terminator de mars 1998 qui permet de faire des plantes dont la descendance est carrément stérile.

Monsanto s’est immédiatement jeté sur Terminator, ce produit de la collaboration de la recherche publique (!) et d’une entreprise privée, lui assurant ainsi une publicité mondiale. Cet Ogm “répugnant” révélait le secret le mieux gardé de la génétique agricole : séparer ce que la vie confond, séparer la production de la reproduction. Technologie et précipitation inopportunes, car les fabricants d’agrotoxiques étaient sur le point d’arriver discrètement à leurs fins avec la Directive 98/44 “de brevetabilité des inventions biotechnologiques”, péniblement transposée en droit français à l’unanimité (sauf le groupe communiste) à la fin 2004. Ce brevet – un monopole accordé à un cartel et le renforçant – favorise, prétend-t-on l’Innovation alors que la doxa économique enseigne depuis Adam Smith que la concurrence assure le Progrès. Quelle imposture !

Le Parti Socialiste a assorti son vote d’une demande de renégociation dont plus personne n’a entendu parler. En France, d’ailleurs, multiplier les obstacles règlementaires pour empêcher l’agriculteur de semer le grain récolté est une spécialité des ministres socialistes de l’agriculture, de Michel Rocard en 1995 à Jean Glavany (2001) en passant par Henry Nallet (1989). Mais Glavany a surclassé ses prédécesseurs avec sa “cotisation volontaire obligatoire”, une taxe sur les semences de ferme (non commerciales), pour secourir une interprofession sous la coupe du cartel.

Une société démocratique doit-elle se laisser dicter sa loi par les experts – ces « hommes compétents qui se trompent en suivant les règles » (Paul Valéry) – pour évaluer la dangerosité des clones pesticides brevetés (ou tout autre problème)? Pas besoin d’expert pour se rendre compte que nous courons au désastre. Des clones, alors que la diversité biologique cultivée est à l’agonie. Des clones pesticides qui permettent d’éviter les tests coûteux imposés aux agrotoxiques chimiques et nous enfoncent dans l’addiction à des poisons qui créent leur propre marché et l’élargissent constamment car les ravageurs et les pathogènes les contournent inévitablement. Des clones pesticides brevetés qui confient notre avenir biologique aux fabricants de produits en “cide”, aux fabricants de mort.

L’expression Ogm et les débats qu’elle impose, typiques de notre époque d’enfumage, révèlent l’état de notre démocratie. Appeler les choses par leur nom, ouvre un possible renouveau démocratique: démonter une législation semencière dépassée qui impose les clones et condamne des associations qui, comme Kokopelli, luttent pour sauvegarder la diversité. Lutter sérieusement contre l’addiction aux pesticides. En finir, enfin et surtout, avec le brevet du vivant. Le PS n’a–t-il pas dit qu’il en demanderait la renégociation ?

Bien entendu, les sycophantes détournent l’attention en annonçant l’avènement d’Ogm philanthropiques et verts. Les Ogm vont nourrir la planète et protéger l’environnement annonçait Axel Khan dans Les Echos en 1998. Mais nous n’avons toujours que des clones pesticides brevetés.

Comment ces Ogm philanthropiques et verts pourraient-ils être ceux d’une société où la maximisation du profit est la seule règle, où les experts scientifiques sous influence remplacent la démocratie, où les “empoisonneurs publics” (Roger Heim, Président de l’Académie des Sciences dans sa préface au livre de Rachel Carlson, “Un printemps silencieux” de 1964 – une autre époque) et marchands de Mort ont toute liberté pour confisquer la Vie. Les Ogm philanthropiques et verts sont ceux d’une société démocratique et libre, donc philanthropique et verte qui, pour ces raisons, n’en aura pas besoin.

Article rédigé sur le site de Kokopelli, le 25 septembre 2012 par :

Jean-Pierre     Berlan
Jean-Pierre Berlan
ex-Directeur de Recherche Inra.jpe.berlan@gmail.com

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