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Attention la Banque Centrale Européenne va nous relancer l’économie en deux coups de cuillère à pot

mardi 10 juin 2014 à 23:04

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Ce n’est pas aussi vendeur que Roland-Garros ou la coupe du monde de fouteballe, mais il s’est passé un truc intéressant ces derniers jours. La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé quelques petites choses pour nous relancer une économie atone et éviter une trop faible inflation. Super Mario Draghi, le président de la BCE a par exemple annoncé une nouvelle baisse des taux :

In pursuing our price stability mandate, today we decided on a combination of measures to provide additional monetary policy accommodation and to support lending to the real economy. This package includes further reductions in the key ECB interest rates, targeted longer-term refinancing operations, preparatory work related to outright purchases of asset-backed securities and a prolongation of fixed rate, full allotment tender procedures. In addition, we have decided to suspend the weekly fine-tuning operation sterilising the liquidity injected under the Securities Markets Programme.

Sur le papier, et c’est ce que vous avez pu lire ici ou là, c’est très intéressant. Les taux n’ont jamais été aussi bas, donc l’argent va couler à flots, notamment vers « l’économie réelle », les entreprises. Bref, de la relance à tout va. Et si relance il y a, le chômage devrait baisser. De plus, pas fou, Mario Draghi a pris ses précautions. Pas question de laisser les institutions financières profiter à nouveau de cette manne d’argent quasi gratuit. Cela aussi, vous l’avez sans doute lu, les banques devront prêter à l’économie réelle au moins 30% de ce qu’elles emprunteront à taux bas auprès de la banque centrale.

Sur le papier, tout est parfait. Dans la réalité, en revanche…

Première annonce, le taux directeur passe à 0,15% :

First, we decided to lower the interest rate on the main refinancing operations of the Eurosystem by 10 basis points to 0.15%

Quant aux fonds que les banques voudraient laisser en dépôt auprès de la BCE, on passe à des taux négatifs :

The rate on the deposit facility was lowered by 10 basis points to -0.10%.

Une bonne idée, sur le papier, pour éviter que les banques ne laissent dormir leurs liquidités et se sentent obligées de le prêter pour obtenir, cette fois, des taux positifs.

Pour cela, il faudrait que la demande de crédit soit forte dans l’UE. Ce qui n’est pas certain. Les entreprises ayant tendance à puiser dans leurs réserves par prudence eu égard au contexte économique et à leurs perspectives de chiffre d’affaires (en chute libre).

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Il faudrait aussi que les entités économiques voulant emprunter soient solides, dans l’esprit des banques. Plus solides que la BCE ou d’autres produits financiers. Or, comme nous l’avons écrit, les taux négatifs et leur attrait, parfois, de la part des institutions financières en disent long sur l’état d’esprit des acteurs de la finance vis-à-vis du reste de l’économie.

L’expérience menée au Danemark des taux négatifs est peu concluante. Dans la réalité, les institutions financières peuvent penser que leurs fonds sont plus en « sécurité » à la BCE qu’ailleurs. En outre, les revenus générés par des placements ailleurs (dette souveraine par exemple, mais pas seulement) peuvent « compenser » les taux négatifs sans pour autant que l’argent soit investi dans « l’économie réelle ».

Siouuuuplaît, pour rester propre…

Les institutions financières sont d’une inventivité sans égal pour créer des bulles (sinon, comment faire de gros bénéfices ?) et venir pleurer misère quand la bulle éclate.

Seul secteur économique qui échappe aux règles du capitalisme, le secteur financier gagne quand il gagne et … gagne quand il perd. Il lui suffit pour cela d’invoquer son mantra magique :

« Risque systémique« .

En d’autres termes, après avoir fait plonger dans une crise noire toute la planète et surtout « l’économie réelle », avec son cortège de chômeurs et d’expulsés, la finance se tourne vers les politiques et évoque le risque d’écoulement complet du secteur. Donnez-nous de l’argent où nous entraînons tout le monde dans notre chute. Et ça marche…

Après 2008 et les subprimes, après la crise de la dette souveraine,  le secteur de la finance a obtenu de l’argent quasi gratuit de la part des banques centrales, qu’il a réinvesti dans le High Frequency trading et dans la dette souveraine, générant de confortables bénéfices.

Parmi le lot de décisions de la BCE, il y a la même blague…

Un nouveau LTRO (Long term refinancing operations) permettra aux banques de s’abreuver à la fontaine désormais habituelle (initiée par la Réserve fédérale) de l’argent facile. Avec les risques évidents, déjà connus de crise à venir, de marchés actions à des niveaux improbables…

Dans les jours qui ont suivi, les décisions de la BCE ont fait un flop en termes d’objectifs. Toutefois, on note deux événements comiques. Le rendement de la dette souveraine de l’Irlande et de l’Espagne est passé sous celui des Etats-Unis. Sur le papier, on pourrait en conclure que les économies de ces deux pays sont tout à coup en meilleur état (ce papier serait moins anxiogène) que celle des Etats-Unis. Dans la réalité, en revanche…

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Pascal Rogard, Hadopi, Wikipedia et les « RG »

mardi 10 juin 2014 à 15:48

Pascal Rogard, président de la SACD, est un homme bien informé. Lobbyiste invétéré et décomplexé, il est aussi connu comme un trolleur de premier plan sur Twitter… un bon client. L’art est difficile, car un bon mot en 140 caractères, c’est toujours un véritable exercice de style, on ne peut pas trop en dire, mais il faut en dire suffisamment pour susciter un quelconque intérêt.

Aujourd’hui, Pascal Rogard lance un scoop sur Twitter, sous forme de bouteille à la mer. Il met en copie son bon ami Pierre Lescure, l’homme de la TV, tout désigné par le gouvernement pour lire et peser lourdement l’avenir Internet (cherchez l’erreur).

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Très bien informé, Pascal Rogard annonce donc la fin de la loi Création et Internet, c’est à dire d’HADOPI et de la riposte graduée, et surtout ce que celà implique, à savoir le traitement massif de données à caractère personnel, orchestré par une entreprise privée inconnue jusque là du monde de la sécurité informatique, que son institution a d’ailleurs conjointement missionné, sans se tenir à ses engagements, à savoir pratiquer des audits réguliers pour s’assurer que ce traitement soit fait dans les règles de l’art… ce qui, nous l’avons démontré, était loin d’être le cas. Et ça aurait pu vraiment mal tourner.

Mais le plus amusant, c’est que selon les informations de Pascal Rogard, « Wikipedia et ses amis » auraient des fiches « RG » bien fournies.

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Ce tweet de Pascal Rogard est troublant, amusant… mais troublant. Comment Pascal Rogard aurait-il pu avoir accès à des « fiches RG » concernant les contributeurs bénévoles de Wikipedia ? Qui donc aurait pu lui glisser cette information ? Info ou intox ? Mais pourquoi se poser cette question ?

Il vous manque probablement quelques élélements pour avoir une lecture correcte de cet échange de bons mots. Nous allons vous en donner les clés dont certaines se trouvent aisément dans cet article de 01Net :

  1. L’HADOPI doit selon ses statuts renouveler 3 membres de son collège depuis décembre 2013. Ce renouvellement ne peut intervenir que sur décret du premier ministre.
  2. Une information, véridique ou non, commence à s’ébruiter : Rémi Mathis, Président de Wikimedia France, militant pour « diffusion libre de la connaissance », pourrait rejoindre le collège de l’HADOPI.
  3. Tout ceci intervient au moment où l’HADOPI dit étudier les modalités de légalisation des échanges non marchands sur Internet.
  4. Pascal Rogard, a de longue date, une aversion pour certaines informations diffusées sur Wikipedia. Et après moulte vaines tentatives pour faire modifier certaines de ces informations, voilà qu’il apprend que le président de Wikimedia France risque d’intégrer le collège HADOPI. Cet aversion pour Wikipedia, transpire dans son tweet voulant faire passer les contributeurs de Wikipedia pour de dangereux terroristes.
  5. Etrangement, le gouvernement fait la sourde oreille et laisse planner depuis décembre 2013 l’HADOPI dans un flou juridique inquiétant, puisqu’elle ne peut plus prendre aucune décision engageant des montants de plus de 100 000 euros. L’HADOPI se trouve tout simplement castrée.

D’un tweet à l’autre, on commence à se demander si ce n’est pas cette nomination possible de Rémi Mathis au collège de l’HADOPI qui aurait pu motiver Pascal Rogard à aller exercer ses talents de lobbyiste au ministère de la culture, pour que ce dernier traine des pieds, jouant la montre au profit du CSA, un allié de circonstance plus fiable pour Pascal Rogard qu’un nouveau collège de l’HADOPI qui pourrait intégrer un militant de « diffusion libre de la connaissance » à l’expertise reconnue.

Nous allons donc ouvertement poser la question :

Pascal Rogard, son influence et son aversion pour Wikipedia seraient-il à l’origine, ou une partie des éléments, qui expliqueraient les réticences à peine voilées du Premier Ministre à redonner à l’HADOPI les moyens d’action que lui ont donné la loi Création et Internet ?

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La politique, c’est plus dans les urnes, c’est les mains dans le cambouis #FabLabs

dimanche 8 juin 2014 à 17:01

Les questionnements sur l’état de la politique et de la société française sont nombreux. Les dernières élections interpellent beaucoup de monde, mais les réponses apportées sont les mêmes qu’il y a 20 ou 30 ans : manifestations, appel à lutter contre l’abstentionnisme, ostracisme à l’égard du Front national (Le FN, c’est le mal !). Etonnant, quand on sait que ce parti  politique ne cesse de jouer les victimes du système et use et abuse de ce concept pour gagner des voix électorales. Alors que le monde est en cours de mutation et que des individus travaillent à créer la nouvelle donne globale qui s’annonce, la sphère médiatico-politico-militante ressasse toujours les mêmes concepts. Sans résultats. Pendant ce temps là, les mains dans le cambouis, des milliers de personnes discrètes font de la politique concrète et sincère : celle qui change le faire-en-société, pas celle qui dicte comment nous devrions faire société. Petit tour de la « fabrique de politique réelle » en cours, celle des des faiseurs.

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Dogmatisme, militantisme sont voués à l’échec

Il n’y a rien de plus simple pour qui veut se donner bonne conscience que de militer avec le dogme politique de son choix. Il suffit de prendre une carte de parti, ou distribuer des tracts, ouvrir un blog politique, faire du lobbying via les réseaux sociaux, publier dans des journaux militants. Le tout est de se conformer au dogme du « bien » (forcément, chacun choisit le bien), dogme établi par le camp dans lequel on veut « s’engager » : nationaliste, internationaliste, anarchiste, républicain, libéral, socialiste, communiste, conservateur, centriste à poils mous ou durs, bref, les options ne manquent pas. En agissant ainsi, les individus perpétuent une vieille tradition politique qui veut que l’engagement est un « acte fort », qui peut changer la société. Rien n’est plus faux, et les 40 dernières années le prouvent de façon magistrale.

La question du changement est au centre de ces comportements : pour les engagés en politique, il faut changer la société, et la seule et unique manière d’y parvenir est de pousser des puissants qui s’accordent avec leurs idées, vers les rênes du pouvoir, pour qu’ils produisent ce fameux changement. Grâce aux urnes, le plus souvent. Ou une « révolution ». Il va sans dire que le changement attendu ne survient jamais : l’oligarchie en place explique très rapidement aux « puissants » qu’ils n’ont de puissants, que le nom et pourquoi pas, le costard, mais pas plus.  Les révolutionnaires peuvent aller se rhabiller : leur révolution reste le plus souvent dans le salon. Ou est récupérée très rapidement par les spécialistes en politique.

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Le militantisme politique, un phénomène très inquiétant pour la santé mentale du pays

L’histoire politique moderne est là pour nous démontrer ces phénomènes, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur le sujet. Reste que des changements majeurs surviennent quand même, et qu’ils ne sont la plupart du temps pas le fait de décideurs politiques. Et nous sommes dans une époque où les possibilités de changements offertes au plus grand nombre via les outils numériques sont immenses. Il y a certainement là quelque chose d’intéressant à observer.

Les faiseurs se liguent autour de concepts simples

Ce qui a le plus changé le monde depuis 40 ans est l’invention du micro-ordinateur personnel. ce qui a le plus fait évoluer les mentalités et l’économie depuis 30 ans est l’invention du logiciel libre. Ce qui a le plus modifié les rapports humains est Internet. Le micro-ordinateur n’est pas né d’une décision politique. Comme le logiciel libre. Internet a échappé et échappe encore aux politiques. Personne n’a décidé en haut lieu que ces outils devaient être donnés à l’humanité, les individus les ont créés, améliorés, modifiés, conçus,  s’en sont emparés avec une très grande liberté. Aucun dogme politique particulier n’existe dans ces trois « objets » qui ont radicalement changé l’humanité. Internet n’est ni de droite ni de gauche. Le logiciel libre, malgré ce que de nombreux militants aimeraient imposer, n’est pas de gauche, bien que la droite ait un peu de mal avec lui. Quant au micro-ordinateur, il faudrait être borné pour en faire un objet politique. Même si certains le feront, ce qui est très dommage vis-à-vis de la réalité passionnante que cet article va tenter de restituer.

Tu rêves d'avoir le même sabre-laser que Yoda ? Fabrique-le !

Tu rêves d’avoir le même sabre-laser que Yoda ? Fabrique-le !

Les « faiseurs » actuels se regroupent dans des lieux physiques autour de concepts simples et efficaces : celui du « libre » et des lieux où il peut se développer : les FabLabs et les hackerspaces. Ceux qui pensent que ces endroits ne regroupent que des geeks/hackers passionnés d’informatique, d’électronique et de GNU/Linux se trompent lourdement. La tendance est plutôt celle de « tiers-lieux » ouverts au plus grand nombre, centrés sur la réalisation de projets collectifs. L’exemple des FabLabs est frappant : le numérique y est central, mais pas à tous les niveaux, pas tout le temps. Aucune distinction d’âge, de sexe, ou d’origine n’y est faite : le but de ces lieux est de faire, et le plus souvent, ensemble. Innover. Apprendre. Echanger. Partager.

L’innovation n’est pas que technique

Mutualiser des énergies est le cœur des lieux d’échanges et de fabrication numérique. Celle des hackeristes-libristes, des geeks net-neutraux, des  techno-pédagoques, échangeurs de savoirs, partageurs de connaissances, faiseurs de projets et autres serial-fabricateurs. Toute cette foule sincèrement passionnée cherche à innover— pour le plaisir de le faire. Ou par nécessité, quand quelque chose peut manquer. Le principe du besoin revient souvent dans ce monde là. Nécessité fait loi. Si quelque chose manque, et qu’on aimerait qu’elle existe, on ne va pas pleurer auprès des autorités publiques ou des entreprises pour l’avoir. On la crée. Et ça marche. En général.

Ainsi du laboratoire de fabrication numérique peut émerger un projet de « social-lab ». Un « agri-lab ». Un « rural lab« . Des potagers open-source en partage. Il y a même des bibliothèques FabLabs. Une maison libre. Des usines miniatures, pour se ré-accaparer les outils de production, des espaces de travail collaboratifs, des événements participatifs : le champ d’activité est illimité. Ces initiatives ont de multiples intérêts politiques : elles ne clivent pas, elles sont agissantes au lieu d’être seulement déclaratives, elles ne sont pas dogmatiques et offrent ainsi la possibilité à tout un chacun de participer.

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Potager P2P et open source en accès gratuit

Les électeurs du Front national, s’ils viennent dans un FabLab, deviendront vite autre chose que « Front national », ou s’en iront. Un électeur du Front national n’est rien d’autre qu’un individu qui pendant 1 minute s’enferme dans une boite en bois et glisse un bulletin de papier dans une urne. Et même si on estime que dans sa vie, le racisme et autres concepts rances, développés par son parti, sont nuisibles, il est possible qu’en faisant société avec lui, il n’ait plus envie de continuer à militer au FN. Allons savoir ? Les idées s’envolent vite, les actes et les créations restent. Innover est avant tout inventer, remodeler, chercher de nouvelles façons de faire. Et faire société est incontournable : nous sommes des bêtes sociales.

Dans le cadre des FabLabs/Hackerspaces, la seule contrainte est celle de respecter la neutralité du net, le droit à la vie privée, éviter la marchandisation, utiliser au maximum du libre, améliorer les liens humains, faire du sens, prendre du plaisir, se la jouer collectif au maximum et apprendre. Un programme politique très alléchant. Qui est en cours de se réaliser.

Si tu n’as pas de lieu comme ça près de chez toi, lecteur de Reflets, et que ça te parle, il ne te reste plus qu’à chercher des gens intéressé par le concept et le créer. Ainsi, tu feras de la politique. Avec de la sueur, des engrenages, des têtes d’impression, des copeaux de bois, des machines à coudre, perceuses, cutters et autres découpeuses laser. Une politique du « changement c’est maintenant » pour de vrai . Pas dans deux siècles, et concrètement. Avec ou sans le FN, qui disons-le, n’est pas vraiment grand chose, hormis pour ceux qui ont besoin de vendre du temps de cerveau disponible.

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Entretien avec une puissance médiatique individuelle

samedi 7 juin 2014 à 13:58

Reflets a été invité à deux journées de rencontre des « médias libres ». Comme nous sommes polis, nous y sommes allés. Le plus intéressant de ces 48h se trouvait être (d’après nous) un trublion, ni journaliste ni militant de quoi que ce soit, et qui à chaque fois qu’il prenait la parole, disait des choses très curieuses et souvent pertinentes. Par un hasard de circonstances, le trublion résidait dans le même hébergement que nous. C’est donc au petit déjeuner que nous l’avons interviewé. Mais attention, tout ça est très sérieux, et même s’il est parfois un peu difficile à suivre, Bourino réfléchit avec un recul étonnant sur la société de l’information dans laquelle nous vivons, et bien entendu au moment politique dans lequel nous sommes plongés. Entretien.

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Bourino, on se demandait si tu étais un philosophe ?

Bourino : J’ai du mal avec les classifications, mais c’est sûr : j’adore les mots. Je trouve que clarifier le sens des mots est extrêmement conséquent. J’ai d’ailleurs autant envie de parler de poésie que de philosophie. Les deux sont très puissants pour ce qui est mon terrain d’intérêt, mon souci : celui de la canalisation des énergies. C’est-à-dire, comment se fabriquent les comportements, le vivre ensemble. Les mots, pour ça, sont des clés énormes.

Donc, tu te promènes et tu titilles les gens sur le sens des mots ?

B : Ce qui me gène, c’est la réduction d’ » être  » avec  » faire ». C’est une chose parmi d’autres, mais j’en fais dix mille autres dans dix mille autres champs. Je fais, autant que je décortique des mécaniques de systèmes, des entrées-sorties de traitement…

Là, on est dans l’informatique…

B : Absolument. A 100%. Je peux te donner un exemple informatique typique. Là, on parle d’information, à cause de la réunion des médias libres. Typiquement, le mot information, pour le détailler, je prends le mot sens. J’adore ce mot « sens », parce qu’il a trois sens (la direction, la sémantique, et les 5 sens, ndlr). Et ça illustre bien la puissance d’illustration autour d’un mot, et du coup l’aspect dangereux de réduire un mot à un seul de ces sens. De faire des amalgames, et donc d’orienter  les contenus des cerveaux. Sur l’information et sur l’informatique, le rapport c’est la cybernétique. Le modèle de la cybernétique c’est entrée, traitement dans la boite noire, sortie et boucle de régulation ou pas. Dans les trois cas tu as un seul mot : sens, sens et sens. Nos cinq sens pour recevoir l’info, la signification dans le traitement de l’info, et dans quel sens on va pour la sortie de la décision. Ces trois mots, plus la boucle de régulation sont toujours de l’information, et je trouve ça intéressant parce que du coup, dans le territoire de l’information, ce sont des territoires que l’on peut tout à fait identifier.

Observer c’est une chose, modéliser c’est autre chose, exiger c’est encore autre chose, et évidemment contrôler c’est la dernière chose. Ces quatre mots sont une boucle de régulation des mécaniques et des systèmes de nos fonctionnements de collectivités.

Tu as défini les gens, dans une discussion, comme des puissances médiatiques individuelles. Qu’est-ce que tu mets là dedans ?

Ce n’est pas une seule définition pour moi-même, mais j’explicite, avec ce concept, un de mes territoires d’intérêt. Je définis chacun comme étant détenteur de sa propre puissance médiatique individuelle. C’est une puissance qui est accessible à tout un chacun, et elle est pratiquée. Le contenu que j’y vois, c’est que chacun fait ses choix médiatiques, et c’est  un choix beaucoup plus conséquent que ses choix électoraux. Dans les choix électoraux on a juste à choisir entre idiot ou idiot, alors que dans les choix médiatiques on a à choisir entre des informations différentes qui mènent à des conséquences. C’est hyper puissant pour canaliser nos comportements collectifs.

Là, tu parles des informations que tu reçois…

B : Des deux : que je reçois, que je traite et que j’émets. Et quand j’émets, j’émets deux types d’information, parce que c’est pourtant bien de l’émission dans les deux cas. Par exemple, ce que je relaye d’informations que j’ai reçues. Traduction : je regarde TF1, ou n’importe quel média dominant et je choisis d’en parler avec des potes. Je choisis d’être à l’intérieur d’un système, de cultiver mon cerveau dans des lunettes complètement verrouillées, sur ce que moi j’appelle « la machine à tout casser pour la croissance de l’argent ».

Typiquement ça a des conséquences sur l’information d’exigence. Aujourd’hui les gens exigent des emplois. Je trouve ça d’une aberration totale, d’une débilité totale. Si les gens acceptaient d’exiger des ressources, c’est à dire de voir que dans le même mot c’est un autre contenu qu’ils visent, ils en seraient dix fois mieux lotis. Exiger des ressources ça permet enfin de travailler, c’est-à-dire enfin de travailler pour que les ressources souhaitées soient plus faciles d’accès.

Des changements pourraient survenir si les gens changeaient leurs choix médiatiques, c’est ce que tu veux dire ?

B : Mais tout à fait : chacun fait des choix politiques majeurs dans son choix médiatique ! Ce choix médiatique, c’est son premier choix conséquent pour sa production de richesses pour sa collectivité. Le travail ne produit pas de richesses pour une collectivité aujourd’hui : toutes nos exigences c’est de dire à des patrons pyromanes « faites des incendies, j’aurai mon travail de pompier ». Ce n’est pas ça qui produit de la richesse !

Et Internet dans tout ça ?

B : Déjà, Internet c’est un média. Dans le concept de média actif, de puissance médiatique individuelle, Internet, j’adore. Parce que ça élargit les sources d’informations. C’est une source d’info géniale.

Justement, en lien avec Internet, qu’est-ce tu penses des lolcats ?

B : Je suis trop nul pour savoir de quoi tu parles : c’est quoi un lolcat ?

Ben, t’iras voir sur Internet…

(Rires)

On peut vivre sans lolcats ?

(Rires)

Les hackers et l’info, tu en penses quoi. Tu es un peu un hacker socio-politique, toi, non ?

B : Je n’ai jamais imaginé ce mot attribué à moi, mais j’ai entendu la définition de Benjamin Bayart hier soir, et j’ai bien aimé : prendre ce qu’on a sous la main pour en faire ce qu’on a besoin de faire. J’ai tendance à faire ça un peu tout le temps. Si je dois faire un cours sur le développement durable, parce que c’est la mode, je vais faire un cours d’économie sur le développement durable et commencer par expliquer que c’est zéro sur les marchés, je vais par contre expliquer comment tuer les marchés pour être plus riche.

Mais qu’est-ce qui te motive ? C’est quoi ton plan ?

B : J’ai toujours eu le même fil conducteur. J’aime être joyeux. Et puis c’est tout. Là où je sens que ça me parle bien, que ça me plaît, et bien j’y vais. J’ai fait polytechnique, travaillé pour une multinationale, par obligation familiale. Ça ne me convenait pas. Alors j’ai cherché un travail à deux jours par semaine et passé six ans avec cinq journées de week-end. Là j’ai pu suivre ce que j’avais besoin de sentir, ce qui me parlait bien. Donc, j’ai fait une psychanalyse, de la poésie, de la peinture, du théâtre, de la danse, et beaucoup de vie sexuelle. Des tentatives de fonctionner mieux.

Mais tu as dit avoir un programme politique…

B : Pour moi, le mot politique il faut le clarifier. La politique c’est l’ensemble des systèmes que se donne une collectivité pour réguler son fonctionnement commun et collectif. On médiatise aujourd’hui le fait qu’il y a trois grandes puissances politiques : législatif, exécutif, judiciaire. J’ai toujours entendu ça. Je rajouterais le pouvoir financier et le pouvoir médiatique.

Ce que j’appelle programme politique se joue dans deux dimensions. Il y a le programme électoral, qui est quelque part un peu secondaire, et il y a le programme équipements et systèmes, qui est le programme principal. Alors évidemment dans le système actuel, la transformation des systèmes peut passer par le programme électoral, mais il ne faut pas mélanger les choses. Je suis investi en politique, mais je crois que je détesterais être élu. Même si un jour je me suis mis candidat député. Mais c’était très bien, parce que j’ai découvert que j’avais le droit de poser mes affiches. Même si ça n’a servi à rien du tout, parce que les affiches sont localisées dans des endroits où personne ne va où personne ne les voit. J’ai découvert plein de choses.

Il y a souvent un mélange entre partisans et politiques. Les gens, aujourd’hui, ont amalgamé le mot politique des équipes partisanes, des partis qui veulent un pouvoir exécutif et qui veulent brasser des sous. Alors, si je me lance dans les exigences, je rappelle que pour comprendre les exigences il y a du travail en amont pour voir autrement le monde, transformer les lunettes culturelles, brasser de l’information avec d’autres puissances que les puissances d’argent…

Alors, ce programme ?

B : Oui. Exemple tout bête : la diminution démographique. Je sais que c’est le pire des mauvais scoops, parce que ça va faire fuir 90% des gens, mais pourquoi j’en parle ? Parce que j’aime bien que les gens soient libres. Moins j’ai de soucis d’argent, plus je fais des choses intéressantes, donc ça n’a rien à voir avec ne pas travailler, ou ne pas être actif, ne pas être relié socialement. Pour moi l’économie c’est la facilité d’accès aux ressources.

Dans la facilité d’accès aux ressources, personnellement, je trouve intéressant qu’au même moment où il y a une maîtrise d’énormément de choses, et à très grande échelle, on ait autant multiplié le nombre d’hommes. Donc on a fait une tension sur les ressources. Moins les ressources sont faciles d’accès, plus il faut travailler pour en avoir, plus il y a des esclaves et plus les dominants augmentent leur puissance d’argent. Je pense que cette question démographique est des plus conséquentes et des plus mal traitée. Les aides à la surnatalité des populations les plus en difficulté sont un exemple. Je préfère mille fois donner de l’argent à tout le monde et pénaliser ceux qui veulent faire plus de gosses : s’ils veulent plus de gosses qu’ils se le payent eux-mêmes.

Un autre exemple typique : reprendre la propriété publique de la création monétaire. On a monté une très belle machine à sous : on paye des impôts pour les financiers. C’est-à-dire que l’Etat est devenu le percepteur d’impôts des financiers. Ça s’appelle joliment « intérêts de la dette ». Il faudrait que le banquier emprunte à l’Etat et que les intérêts de la dette soient ceux des banquiers pour l’Etat ! Mon autre axe c’est la séparation de la finance et des médias. Un principe qui devrait être inscrit dans la constitution. Exactement comme on a fait la séparation de l’église et de l’Etat. A l’époque c’était incompréhensible. L’idée c’est de dire que c’est l’égalité médiatique qui est centrale, pas celle des voix électorales.

L’alternative du gratuit : Blog de Bourino

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Não vai ter Copa !

vendredi 6 juin 2014 à 02:31

estadiopolicia-ninja« La Coupe n’aura pas lieu ! »

C’est le slogan phare des manifestations qui perturbent les préparatifs de la coupe du monde de foot qui se déroule au Brésil à partir de jeudi prochain. Depuis quelques jours, c’est même une ambiance de grève générale qui s’est répandu dans le pays — ici à Porto Alegre, là à Sao Paulo, où mercredi 20.000 personnes ont marché vers le stade de l’Itaquerão, 7 jours avant le match d’ouverture (image ci-dessous).

Qui sont donc ces irresponsables gauchistes qui vont gâcher la fête, au pays des magiciens du futebol ? J’ai cru lire récemment à quel point les Brésiliens ne sont pas si obsédés par cet événement.

(crédit photo: Midia Ninja - midianinja.tumblr.com)

(crédit photo: Midia Ninja – midianinja.tumblr.com)

En gros, plus d’une personne sur deux — 61%, énorme quand même au Brésil — se déclare « contre la Copa », et regrette finalement que le pays dépense des milliards pour les beaux yeux de la très mafieuse FIFA sans améliorer la vie des plus démunis.

L’ancien footeux français Michel Platini, qui rêve un jour de piquer son siège au parrain de la FIFA Sepp Blatter — pour qui cela ne va pas fort du tout, depuis l’affaire de la corruption du Qatar — n’a pas mangé ses mots le 24 avril, lorsqu’il a réclamé de la part des Brésiliens d’attendre un peu… « avant de faire des éclats un peu sociaux » (sic). Bon, ok, il est pas très finot le Platoche, mais impossible de conclure pour autant que cette petite phrase n’a pas été calculée. Pour être patron du foot mondial, il faut afficher une certaine dose d’arrogance et de paternalisme néocolonial.

C’est exactement la prière que tous les dirigeants brésiliens font tous les soirs avant de cauchemarder: pitié, arrêtez les manifs et les grèves pendant le Mundial!

En compilant les données et les documents disponibles, la manière dont les autorités répriment les manifestations et la révolte sociale qui ébranlent aujourd’hui les principales métropoles, est réellement flippant. Certes, cette révolte couve depuis longtemps au Brésil, et elle s’est calmée depuis 2002 et l’arrivée au pouvoir du président Lula, du Parti « travailliste » (PT) — mais elle rejaillit à la faveur de cet événement. Cette coupe de la FIFA est l’opération la plus médiatisée au monde, pourquoi des millions de sans droits ne s’en serviraient pas pour mieux faire connaitre leur cause?

La vérité, c’est que depuis que le Brésil sait qu’il va organiser, coup sur coup, la Coupe du monde et les JO (en 2016), les vieux réflexes de la terrorisation sociale ont repris le dessus — ironie de l’histoire, 2014 marque le 50ème anniversaire du coup d’état du maréchal Branco (31 mars 1964), qui allait enfermer le Brésil dans une dictature de fer pendant 22 ans.

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Les premiers mouvements anti-Coupe ont débuté réellement en juin 2013, lorsque le Brésil organisait déjà une sorte de répétition générale (la Coupe des confédérations). A l’origine, une réelle exaspération sociale, dont l’étincelle fut l’augmentation du prix des transports publics, d’abord à Porto Alegre en mars, puis à Rio et ailleurs dans la foulée. Le coût mensuel des transports en ville peut représenter jusqu’à 20% du salaire minimum. Ce qui donnera le mouvement social le plus important depuis 1992.

Lors de chaque rassemblement, les flics se lâchent et font des dizaines de blessés. Pour en connaitre l’ampleur réelle, il faut souligner l’existence d’un réseau de presse indépendant, les « Midia Ninja », qui font un travail énorme pour contrer la presse complice et relater les révoltes de l’intérieur.

A cette révolte sociale se rajoute la misère humaine des opérations de gentrification, qui vise à expulser les populations les plus précaires de leurs bidonville (pour faire plus joli on dit « favela ») pour convertir des zones urbaines à la grande machine à cash de la FIFA. Une coalition d’opposants de tout le pays, l’ANCOP, estime à 250.000 les personnes déplacées de force par l’urbanisation liée — ou prétendue telle — à la Coupe et aux JO.

militarypolicia-niinjaLe nettoyage des favelas va donc de pair avec la répression des manifestations anti-coupe. A Rio, depuis 2008, les flics anti-émeute ont pris le joli nom d’UPP, les « Unités de police pacificatrices ».  Le mot est bien choisi, il provient des stratégies contre-insurrectionnelles de l’armée française, testées en Indochine et en Algérie et exportées avec succès auprès des juntes sud-américaines, formées et soutenues par les USA dans les années 60 et 70. Les UPP, en prétextant de devoir lutter contre les mafias et les trafics de drogue, ont multiplié les bavures et les exactions. Dans les autres métropoles, c’est une sainte alliance police/armée qui fait la loi: la police militaire (PM) et la Garde civile métropolitaine (GCM).

Les manifs sont donc plutôt sanglantes… Dixit un papier publié sur le site Affaires stratégiques :

Mais que les touristes et la FIFA dorment tranquilles. Le gouvernement de Dilma Roussef et ses ministres sont en train de mettre en place un programme anti-manifestation capable de faire rougir Vladimir Poutine. Les policiers seront autorisés, comme s’ils en avaient besoin, à agir avec violence face à la violence. Le Parti des Travailleurs qui, pendant des années, a été à l’avant-garde de la grande majorité des manifestations et a élu une présidente victime de la torture, essaye, aujourd’hui, de concilier préservation de l’ordre et répression des manifestants. Les forces armées, dont personne au Brésil n’ignore la tradition de torture et de répression, seront sur appel durant toute la durée de la Coupe du Monde, si jamais la société en a besoin, si jamais la violence des polices militaires n’est pas assez pour contenir les manifestants.

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Il faut dire que les statistiques des violences policières au Brésil sont déjà assez flippantes. En 2012, près de 1900 personnes ont trouvé la mort suite à une « action policière ». Soit à peu près 5 par jour (source officielle, nov. 2013 — confirmant une estimation d’Amnesty International trois mois plus tôt). Une autre stat trouvée ici estime que la police de Rio est championne du monde… du meurtre de suspects: une personne arrêtée sur 229 fini à la morgue; aux USA, ce taux morbide est de 1 pour 31.575…

La question des « personnes disparues » est des plus préoccupantes. Des statistiques officielles, que le réseau Ninja a mis en avant fin avril, le sont d’autant plus qu’elles ne concernent que l’État de Rio de Janeiro (sur 27 régions au total dans le pays). Selon cette enquête parue en février, qui se base sur les chiffres de l’Institut de sécurité publique (ISP) de la région, 6.034 disparitions ont été signalées sur une période de seulement 12 mois (nov 2012 – oct 2013) — soir 16 cas par jour. Sur une plus longue période, 6 ans (2007-2013), l’ISP estime qu’il y a eu au moins 40.000 disparitions. Le cas d’Amarildo de Souza, un maçon de 33 ans « disparu » en juillet 2013 après son arrestation, est devenu un cas emblématique, car trois mois plus tard on apprenait qu’il était mort après avoir été torturé par les robocops de la sécurité brésilienne. Ce qui vaut — fait plutôt rare — à une douzaine de policiers d’attendre à l’ombre leur (éventuel) procès.

La comparaison qui suit devrait réveiller de vieux démons: pendant la dictature, le nombre de « disparus » est toujours estimé à environ 10.000. « A peine », oserait-on dire. En 22 ans de régime militaire.

Les injustices provoquées par la répression policière peuvent déclencher d’autres émeutes, qui seront à leur tour écrasées dans le sang et les larmes. Dernier exemple en date, la mort, le 25 avril de Douglas Rafael da Silva Pereira, un danseur de 25 ans, connu sous le surnom de DG, originaire de la favela Pavao-Pavaozinho qui surplombe Copacabana. La version officielle indique qu’il a été tué par les forces de l’ordre après avoir été « confondu avec un trafiquant de drogue »…

Le jeune homme, qui bénéficiait d’une grande popularité dans son quartier, avait tourné un court-métrage l’an dernier dont la trame retentit comme un terrible tir de sommation. Il y jouait le rôle d’un gamin des favelas qui adore le foot et qui cherchait à percer à l’occasion de la Copa. Et à la fin du film, son personnage  meurt, assassiné par la police des favelas — la même qui lui enlèvera la vie — la vraie —, quelques temps plus tard. Le film s’appelle Made in Brazil.

NB. — Les images magnifiques publiées sur ce blog proviennent du blog photos du réseau Midia Ninja; se reporter aussi à sa page facebook, et à son fil d’infos en continu.

Un papier plus fouillé paraîtra dans le n°16 de ZELIUM, sortie prévue à la mi-juin (pour le choper rendez-vous ici).

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