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Les étranges déclarations de Gérard Collomb sur les victimes de pédophiles

lundi 22 mai 2017 à 11:24
Photo cc Arthur Empereur

Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb a une façon très particulière de dédouaner le cardinal Philippe Barbarin. Ce dernier était accusé de ne pas avoir signalé à la justice des actes pédophiles de la part de prêtres. In fine le cardinal n’a pas été poursuivi, les faits étant prescrits. Le parquet avait tout de même indiqué : « les autorités diocésaines avaient eu connaissance de soupçons visant le père Preynat entre 2005 et 2010, mais que cette période était couverte par la prescription, qui est de trois ans en matière de non-dénonciation« . Quant au cardinal, archevêque de Lyon et primat des Gaules, il avait pour sa part estimé que « La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits, mais certains peut-être pas« . Pas sûr que Dieu se réjouisse de ce genre de choses. Gérard Collonb, à l’époque maire de Lyon et désormais ministre de l’intérieur, avait pris la défense du cardinal, comme plusieurs personnalités, estimant qu’il lui était fait un faux procès. On peut penser ce que l’on veut de cette prise de position, mais vu le nombre de cas de pédophilie dans l’église catholique, une forme de prudence, par simple respect des victime aurait peut-être été plus appropriée. Mais le plus troublant est à venir.

Le Figaro, avec l’AFP, expose en mai 2016 la position de Gérard Collomb. C’est la chute du papier qui retient l’attention :

« L’Église à la fois doit demander pardon et promettre que cela ne se fera plus jamais ». Mais « quand on voit par exemple que pour quelques cas de jeunes gens, ce sont les parents qui à l’époque leur ont interdit de porter ces faits sur la place publique, cela montre que c’est un peu plus compliqué », a également déclaré Gérard Collomb.

Hors contexte de l’interview, la dernière phrase est particulièrement sournoise. Elle sous entend que si des parents n’ont pas voulu mettre ces faits sur la place publique, c’est que, peut-être, ils n’ont pas eu lieu, ou, que cela excuserait la non dénonciation de ces faits à la justice par l’église.

La faute de l’un n’excuse pourtant pas celle de l’autre. En outre, Gérard Collomb ne tient absolument pas compte de la situation dans laquelle des parents dont l’enfant a été victime d’actes de pédophilie sont plongés. Ni du cataclysme provoqué sur l’enfant.

L’enfant lui-même peut refuser que son drame soit rendu public. Entre le sentiment de honte qu’un tel traumatisme peut susciter, les conséquences à l’école, le droit à l’oubli rendu impossible par l’existence d’Internet, il y a mille raisons pour ne pas vouloir porter plainte. Bien entendu, il est préférable de le faire, ne serait-ce que pour protéger les futures victimes potentielles, mais comment peut-on juger des parents qui ne le feraient pas, à la demande de leur enfant, ou pas ?

La culture du viol est encore bien ancrée lorsqu’un homme politique sous-entend qu’un acte de pédophilie, « c’est un peu plus compliqué que cela« .

 

Le jour du début [global zero day]

vendredi 19 mai 2017 à 17:23

One

Quelque part en France, le 2 novembre 2017
Rien ne laissait présager qu’un jour une attaque pareille puisse être possible. Rien. Il y avait bien eu quelques articles un peu alarmistes de chercheurs en sécurité, dont un qui avait déstabilisé les observateurs attentifs du net, intitulé « Quelqu’un se prépare à détruire Internet« , mais personne n’avait franchement relayé l’analyse de façon sérieuse. Ce spécialiste, Bruce Schenier, s’était fendu d’un article sur son blog, décrivant des attaques par déni de service distribué, les DDoS, sur des serveurs d’entreprises critiques d’Internet, dont Verisign.

Son billet avait fait un peu de bruit. Pas plus. Les attaques étaient décrites comme progressives, laissant penser à des tests de résistance orchestrées crescendo. Un truc original dans le domaine des DDoS, qui inspirait au spécialiste en cybersécurité des conclusions inquiétantes, de l’ordre de la préparation d’une attaque massive visant à faire tomber Internet. Genre troisième guerre mondiale lancée par les Russes qui feraient tomber le Web au préalable. Puis il y eut l’attaque sur les DNS de Dyn, fin octobre 2016, et celle du Liberia, moins nette, ainsi que quelques autres trucs équivalents. Et tout le monde était passé à autre chose, comme d’habitude. Comme avec Snowden. Comme avec toute la saloperie des big data qui est en train de nous réduire à l’état d’esquimaux dans un compartiment de congélateurs, se dit Stormy en se reculant sur sa chaise pour mieux regarder la dernière ligne de code qu’il venait de taper.

Le hacker tira lentement sur son mod et relâcha un nuage de vapeur qui enveloppa l’espace réduit de son bureau jusqu’à faire disparaître l’affiche du film « V comme vendetta » scotchée sur le mur derrière son bureau Ikea. Il était enfermé depuis dix jours dans ce réduit de six mètres carrés, se nourrissant de pizzas livrées midi et soir, buvant dosette de café sur dosette de café et il n’avait toujours pas terminé l’exécutable. La compilation plantait parfois et il corrigeait. Jusque là rien que du très normal. Mais la partie purement réseau n’était pas au point. Parce que trop détectable et sûrement pas assez originale. Stormy savait très bien comment les antivirus fonctionnaient, et jusque là, son malware serait détecté. Immanquablement.

Un bip sonore, une fenêtre qui passe au premier plan, un message qui s’affiche : « #welcome : Ur right if u get that

sftp://hvd.net/hvdb/net/code.tar.gz

Un membre de l’équipe aurait-il pigé sa difficulté ? Stormy tape une ligne de commande à toute allure, l’archive est téléchargée en quelques secondes. Il avale le reste d’une bouteille de soda à moitié vide, expire lentement, décompresse l’archive… et éclate de rire. Ce sera la dernière fois où Stormy pourra le faire. L’équipe hvd ne pourra plus jamais rentrer en contact avec lui. Stormy meurt dans les secondes qui ont suivi l’ouverture de l’archive. Celles qui suivent son éclat de rire.

Siège social de RealWorld, Baie de San-Francisco, 2 novembre 2017

— « Vous vous foutez de ma gueule ? » La voix du CEO de RealWorld était montée d’une octave, frôlant des aigus très désagréables, lui rappelant sa période prépubère — celle qu’il détestait par dessus tout.

L’équipe de communicants était au complet, mais pour les ingénieurs, seuls les deux spécialistes de la sécurité réseaux étaient présents : Rob et Mat. Deux crétins prétentieux à peine sortis de l’adolescence se dit Jon Fermath en les regardant du haut de ses 29 ans. Il reprit sa respiration et appliqua les conseils de son maître zen : laisser circuler l’énergie, même la plus agressive, en fermant les yeux. En toute circonstance. Sans se soucier des autres.
Les douze employés, habitués aux caprices du « boss », attendaient — la plupart écroulés dans les sofas de la salle de réunion. Dehors il faisait un temps magnifique, le soleil brillait à ne plus en pouvoir, et personne dans la salle ne semblait s’en soucier. Il aurait pu tomber des hallebardes ou neiger, que ça n’aurait rien changé pour eux. En dehors des écrans de toutes sortes qu’ils manipulaient jour et nuit, plus rien ne les attirait. Une bande de sociopathes du numérique.
— « Je veux savoir pourquoi ces mails sont en ligne sur ce putain de serveur, et surtout, je veux savoir comment ça ne se reproduira pas et comment on va se défendre auprès du public. » Jon Fermath regardait son assistance les yeux plissés tout en débitant son texte qu’il avait répété depuis longtemps, en cas de crise. Tout chef d’entreprise — lui avait-on dit —avait un jour à gérer ce genre de problèmes — au moins une fois — dans ce type de business. Le « problème » était les « hackers », selon les médias. Les truands du net, plutôt, oui. Des putains de voleurs, équipés de claviers, et même pas toujours très doués. Il le savait, parce qu’il avait tenté d’en recruter, et qu’entre leurs exploits déclarés et la réalité de leur compétence informatique, il pouvait y avoir un sacré gouffre. Ces gamins étaient surtout des obsédés des tutoriels en ligne et passaient tellement de temps à traîner sur des sites de sécurité, qu’en récupérant des outil de tests de pénétration, ils parvenaient parfois à s’introduire dans des systèmes distants. On était loin du vrai hacking. Très loin.
Rob leva le doigt. Il se prit une volée de bois vert du boss, qui lui dit d’une voix glaciale « d’arrêter de se comporter comme s’il était dans une putain de classe de collège« . Rob, baissa le bras et dit d’une voix anxieuse :
— « On sait bien que ça craint, et on est pas bien du tout avec ce truc, Jon. Mais on a commencé à trouver des pistes sérieuses, les sites ont été audités toute la nuit, il va sortir un truc, et puis en plus, ça n’arrivera plus. Mais comme on te disait, on pense quand même que ça vient de chez nous, quoi, même si ça te fâche… Ca semble le plus probable. » L’ingénieur réseaux grimaça un sourire contrit, attendant de nouveaux hurlements. Rien ne vint. Jon Fermath avait fermé les yeux de nouveau et semblait dormir, debout devant l’assemblée qui n’émettait aucun son. A peine un raclement de gorge.

Dehors le soleil illumine la baie de San-Francisco.

Les employés de RealWorld attendent dans un silence religieux que le fondateur de l’entreprise qui leur verse entre vingt et trente mille dollars par mois rouvre les yeux et leur parle. Mais rien ne vient. Rien ne viendra. Jon Fermath s’écroule sans un bruit. La police criminelle constatera le décès 15 minutes plus tard.

Il serait temps d’arrêter avec cette histoire de Wannacry

jeudi 18 mai 2017 à 15:07

La plus grande cyber-attaque mondiale de tous les temps nous est tombée dessus. En tout cas, le nombre d’articles alarmants, avec en prime des attributions plus ou moins loufoques, nous asphyxie. Que les entreprises de sécurité informatique (en tout cas certaines d’entre-elles) fassent leur beurre sur ce type de soubresauts du réseau, c’est assez logique. Elles publient « études » et « rapports » sur le méchant ver informatique qui fait peur. La peur est le carburant de cette industrie. Le cyber-Armageddon promis, annoncé avec régularité, lui permet de vendre leurs produits. Que la presse reprenne ses études et autres rapports brassant du vent avec moult blabla pseudo-technique et effrayant, sans se poser la moindre question, c’est un peu plus discutable.

Les soubresauts d’Internet ne sont pas nouveaux et Wannacry n’a comme nouveauté que l’insertion d’un cryptolocker associé à une faille produite par un service de renseignement américain et s’attaquant à de vieilles versions des systèmes d’exploitation de Microsoft.

Remontons au début des années 2000.

eEye, une société de sécurité informatique fondée par Marc Maiffret découvre failles sur failles dans les produits Microsoft. Elle publie. Et quelques personnes mal intentionnées produisent des virus qui défrayent la chronique, comme aujourd’hui Wannacry.

On retrouve là les mêmes ingrédients : des sociétés de sécurité informatique qui font dans l’hystérisation, des journalistes qui plongent…

Le 4 mars 2004, je me fendais d’un long article expliquant que l’un de ces virus qui effrayent tant le cyber-monde était pour moi un non-événement. L’Histoire bégaye…

Plus loin encore dans le temps, je découvrais en 1999 un article d’un jeune chercheur en informatique. Il décrivait le virus du futur qui  allait, un jour, faire tant de mal… L’auteur, Roelof Temmingh, m’autorisait à traduire son texte et à le publier sur Kitetoa.com. Roelof a depuis changé de sujet de recherche et a produit le très impressionnant logiciel Maltego.

Maltego permet de faire ce genre de graphique qui liste ici les paiements en Bitcoins effectués auprès d’une des adresses proposées par Wannacry pour pouvoir déchiffrer les données.

Quoi de neuf entre ce texte de 1999 et Wannacry ? Quelle différence entre Wannacry et le ver Morris, Code Red ou I LOVE YOU ? Aucune. Ces deux derniers « virus » ont d’ailleurs infecté plus d’hôtes que Wannacry.

Pitié amis journalistes, lâchez-nous un peu avec Wannacry…

WNCRY : pénalisons la bêtise numérique

mercredi 17 mai 2017 à 10:50

Wncry, vous en avez forcément entendu parler. Cette attaque qui n’en est pas une a connu une vitesse de propagation certes impressionnante, mais contrairement à ce que nous avons pu entendre ou lire n’est pas « inédite ». Elle est en fait le résultat d’un bout de code qui n’aurait jamais du exister : une arme électronique de la NSA (un 0Day), qui a fuité, qui exploite des systèmes non mis à jour.

Cette pseudo « cyber catastrophe » n’en est pas une, il n’y a pas de fatalité, et le bon sens nous permettrait, si ce n’est de les éviter, au moins d’en limiter les effets.

Le commerce des 0day devrait être pénalisé, de Finfisher à l’Equation Group en passant par Stuxnet ou Hacking Team, nous en connaissons les effets… inéluctables, ils se retournent contre tout Internet.

Et au risque d’en choquer certains, il devient nécessaire de réprimer les personnes physiques ou morales qui connectent quoi que ce soit à Internet alors qu’elles savent que plus aucun correctif de sécurité n’est assuré sur l’objet qu’ils connectent à Internet.

Qu’une entreprise, une administration, un OIV, laisse en 2017 connectées au Net des machines sous Windows XP n’est pas tolérable, la justice et la loi doivent apporter des réponses fermes à ce problème qui dépasse de loin leur propre confort et impacte au final les personnes numériquement les plus faibles.

Vous trouvez ça idiot ? Mettez donc ça en perspective avec Hadopi et son délit de négligence caractérisée.

#LREM : le marketing 2.0 au service de la startup EM à l’Elysée

mardi 16 mai 2017 à 17:17

La République en Marche, parti politique issu de la transformation du mouvement En Marche ! d’Emmanuel Macron est un produit politique qui s’est assez bien vendu. Comme tout produit il est le fruit d’une réflexion marketing effectuée par des spécialistes du domaine, qui travaillent à augmenter sa valorisation, et le niveau d’acceptation-client. Cet aspect startup d’En Marche ! est très important à prendre en compte pour qui veut comprendre — au delà de l’emballage médiatique du produit — ce qu’est réellement la proposition politique du mouvement, devenu parti politique, d’Emmanuel Macron.

Une startup, très souvent, est la réunion d’une équipe d’opportunistes spécialisés dans des domaines considérés comme innovants, qui lancent une idée avec l’objectif de la faire financer très rapidement. Le but d’une startup standard, une fois financée, est de créer dans des délais très courts une valorisation maximale du « nouveau produit », tirée de l’idée en question et répondant à des besoins plus ou moins existants, sans réponse commerciale connue, ou par des besoins purement fabriqués. En Californie, le règne des startups est tel, que l’on cherche tous les jours la nouvelle « idée » qui va « révolutionner » les vies, faire du monde « a better place », offrir un « nouveau service que personne n’avait imaginé » et dont — c’est là le but — personne ne pourra plus se passer dans un futur, annoncé comme toujours, plus « désirable » qu’auparavant. LREM est une startup politique, et comme c’est la règle dans ce monde là, elle tente d’enfumer les électeurs comme la plupart des jeunes pousses innovantes, leurs clients

Financer très vite « l’idée En Marche ! »

Un article de Libé — basé sur les Macron Leaks — explique avec moult détails le financement du projet En Marche ! C’est avant tout une base d’entrepreneurs qui jouent et parient sur le candidat, futur président, que l’article décrit. Un aréopage de banquiers, financiers, investisseurs et autres « capital risqueurs » va donc lâcher des millions à la petite startup de Macron, qui va finir par se lancer dans la vente finale du produit en décembre 2016 : Emmanuel for president !

Les brasseurs de vent du « digital » [professionnels du marketing numérique] vont eux aussi se lancer dans « l’aventure » En Marche !, mettant leurs compétences d’influence en ligne et de stratégie 2.0 accompagnées de la panoplie du bullshit-marketing à la sauce FrenchTech à disposition du candidat. Le but est le même que pour une levée de fond et le lancement d’un produit : enfumer au maximum les décideurs, puis la clientèle. Le meilleur moyen d’y parvenir ? Les algorithmes spécialisés. Entre autres.

Influence numérique et stratégie algorithmique

Le président du CNNUM, Mounir Majoubi démissionne pour rejoindre Macron en janvier 2017, et prend la tête  de l’équipe « de stratégie digitale » de la campagne du candidat. Très rapidement une communication  2.0 va voir le jour, avec pour base des déclarations inquiétantes sur une cyber-volonté russe de s’attaquer au malheureux site WordPress du candidat [pas franchement à jour, comme le souligne à l’époque Reflets]. Mais comme dans tout storytelling qui se respecte, Mounir Majoubi va continuer à faire plein de déclarations sur les milliers d’attaques qui assaillent la petite équipe du jeune candidat d’En Marche !, avec force déclarations sur l’origine de celles-ci, et un parallèle entre la campagne électorale française et l’américaine.

Tout le monde l’a bien compris, l’idée est de mettre Emmanuel Macron au centre d’une tempête numérico-influenço-pirato-cryptique qui fait à la fois parler de lui, démontre sa qualité de candidat qui compte à l’international, met en avant l’aspect technologique de sa campagne, place des jeunes entrepreneurs du 2.0 sous le feu des projecteurs, et au final, ringardise ses concurrents.

Pour autant, cette appétence pour les technologies numériques d’En Marche ! ne date pas de l’arrivée de Mounir Majoubi dans l’équipe. Au delà du simple aspect communication, En Marche ! s’est doté d’un outil « d’analyse de données socio-démographiques. » Son petit nom : 50+1. Extrait du site Les échos à propos de ce petit bijou de prédiction (et d’influence) électorale :

« [50+1 permet] l’analyse de données stratégiques à l’échelle des bureaux de vote (résultats électoraux, données démographiques, économiques ou sociologiques) et leur représentation sur des cartes. »

Le Monde précise le fonctionnement du bidule numérique qui fait gagner les candidats qui l’utilisent (et pas mal de d’euros à la petite startup qui l’a développé) :

« On découpe la France en 67 000 petits carrés qui correspondent aux bureaux de vote. Pour chacune de ces zones, on a les résultats de toutes les élections depuis 2004 et toutes les données socio-démographiques issues des recensements de l’Insee. L’âge, le revenu, le sexe, la situation familiale et professionnelle, explique-t-on à LMP. A partir du moment où vous avez ces données, vous êtes capables de comprendre et de prédire le comportement électoral des gens. Où sont les indécis ? Les “à persuader” ? Les abstentionnistes ? »

Et en plus, ça marche…

Comme son nom l’indique, ça marche. Avec l’aide, il faut le préciser, d’un alignement unique des planètes, Emmanuel Macron est désormais président de la République.

Evacuons l’alignement des planètes… Tout d’abord, les primaires. Elles ont permis aux gens de gauche de voter pour le candidat de droite et aux gens de droite, de voter pour les gens de gauche. Bref, elles ont accouché de candidats pas vraiment partis pour gagner. Benoît Hamon était plutôt transparent et n’a donc pas pu faire entendre son programme. François Fillon, … François Fillon a trébuché sur sa suffisance. Le PenelopeGate a eu raison de lui et lui a cru, bêtement, qu’il pourrait faire taire le Canard Enchaîné.

Restait donc le champ pour Emmanuel Macron qui n’est, rappelons-le, selon le storytelling mis en branle, ni de droite ni de gauche, pour Marine Le Pen, qui est d’extrême droite bien puante, et pour Les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon qui ont le défaut de leur leader.

Marine Le Pen tenait la corde puisque l’individualisme et la haine de l’autre ont été répartis sans compter dans la société française grâce à Nicolas Sarkozy. Elle était à peu près sûre d’être au second tour. Restait à savoir qui d’Emmanuel Macron ou de Jean-Luc Mélenchon l’emporterait. Ce fut le premier, sans doute grâce à l’aide de la presse enamourée qui a multiplié les Unes sur le « phénomène Macron ». Très vite, Emmanuel Macron est devenu beau, jeune, dynamique, moderne, hors des partis, fulgurant, 2.0, bref, un type que l’on aimerait avoir comme ami ou comme gendre. Ou même, peut-être, comme président.

Et la magie du storytelling a marché, comme son mouvement.

Premiers couacs

L’amour de la presse (l’amour rend aveugle dit-on) ne s’est pas arrêté après l’élection de son champion. Il y a une similitude avec l’ascension de Nicolas Sarkozy et les quelques mois qui ont suivi son élection qui n’échappe qu’à la presse. Emmanuel Macron, comme Nicolas Sarkozy, est « jeune », très actif, volontariste, il va « bousculer », changer la façon dont on fait de la politique. En tout cas, c’est ce que croient et répètent les éditocrates. Gare à la chute…

Nicolas Sarkozy a charmé la presse pendant quelques mois avant et après son élection avant de la suffoquer avec ses prises de parole intempestives et sa décomplexitude virant aux discours extrême-droitiers. Pour finir, leur héros a requis les fadettes des journalistes et très probablement couvert des opérations des services dans les rédactions (vols de matériel informatique).

Emmanuel Macron l’a dit, il n’est ni de droite ni de gauche. Il va changer la façon dont on fait de la politique. Finis les cumulards, fini les politiques corrompus, terminés les petits arrangements, les accords entre partis pour se répartir les postes et les émoluments qui vont avec. Fini, on vous dit. Pas question d’avoir dans ses équipes des gens dont la moralité, l’éthique, même, ne seraient pas exemplaires.

Mais les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. A peine installé à l’Elysée, Emmanuel Macron, ni-de-gauche-ni-de-droite nomme son premier ministre. Et là, surprise, c’est un boxeur, un romancier, un chroniqueur de Libération. Enfin, ça c’est ce que la presse raconte, toujours en plein storytelling. Edouard Philippe, c’est surtout, un homme politique girouette. Tout d’abord fan de Michel Rocard avant de passer à droite pour se faire élire au Havre. Soutien d’Alain Juppé pour la primaire de la droite, il dégomme volontiers Emmanuel Macron dans Libération avant de soutenir François Fillon puis de quitter la campagne du candidat de droite sur fond de PenelopeGate, avant enfin, on l’a vu, de rejoindre Emmanuel Macron. Certains pourraient voir dans son parcours une forme d’opportunisme, mais étant entendu qu’Emmanuel Macron veut rénover la politique, opérer une « recomposition » cela semble impossible.

Plus intéressant,  Edouard Philippe n’a visiblement pas été très présent à l’Assemblée Nationale est s’est montré peu intéressé par les lois sur le mariage pour tous, l’égalité hommes-femmes, l’écologie (il était auparavant lobbyiste directeur des affaires publiques pour Areva) en votant contre la loi sur la transition énergétique et celle sur la biodiversité. Il avait même fait une proposition à l’Assemblée nationale en faveur des gaz de schiste… Si le président n’est ni de droite ni de gauche, le premier ministre est de droite et il le dit lui-même. On nous glisse dans l’oreillette que le premier ministre dirige l’action du gouvernement et en fixe ses orientations politiques essentielles…

Enfin, Edouard Philippe, comme l’a relevé Mediapart est un très mauvais élève de la transparence. Ce qu’il gagne ? Son patrimoine immobilier ? C’est personnel et sa qualité d’élu n’y change rien. Ses déclarations à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique son restées très succinctes, pour ne pas dire ténébreuses. A tel point que ladite haute autorité lui a décerné un blâme. Ses réponses à Mediapart son du même acabit : circulez, il n’y a rien à voir.

Laissons à Edouard Philippe le bénéfice du doute, lui qui sera chargé par Emmanuel Macron de mener une vaste opération de moralisation de la vie publique, même s’il part avec un blâme handicap évident.

Une recomposition très hypothétique

Toute la communication d’En Marche ! au cours de cette présidentielle — qui fut très proche d’une télé-réalité de type « Loft Story », avec à la fin le choix #1 ou #2 — continue aujourd’hui avec le phénomène de « recomposition politique ». Le message est le suivant : les deux grands partis clivants de droite et de gauche rejoignent la majorité du président élu qui veut « le meilleur des deux camps ».

C’est surtout une stratégie éprouvée par un certain Nicolas Sarkozy avec son mouvement d’ouverture consistant à piquer au PS des « figures » de gauche comme Bernard Kourchner ou Eric Besson. Cette stratégie permet de laisser penser que si chacun faisait un effort, les hommes politiques pourraient dépasser leurs différents pour le bien du pays et travailler ensemble. Accessoirement ça mine les relations dans le parti dont on débauche les membres.

Et quand le moral est bas dans un parti, on peut espérer qu’il se plante aux élections suivantes.

Dans le cas Emmanuel Macron et sa recomposition il s’agit essentiellement d’une opération politique visant à achever les deux partis politiques qui pourraient lui faire de l’ombre, le PS et LR.

Mais croire que les partis vont disparaître est un peu enfantin. D’une part, le « mouvement » d’Emmanuel Macron est de fait devenu un parti politique. Hop, un nouveau parti. Et quand il sera vieux on le dynamitera selon la nouvelle doxa ? D’autre part, pour fédérer, organiser, mener aux élections des candidats, un « parti » (appelons-le comme on veut) est nécessaire. Enfin, le clivage gauche-droite n’est pas un vain mot en France. Caricaturalement, on pourrait dire que la Droite est passéiste sur les sujets de société, qu’elle est très libérale sur le plan économique et privilégie les entreprises. La gauche quant à elle, serait plutôt progressiste sur les sujets de société et protectrice des salariés. Bien entendu, les deux courants ont muté depuis longtemps et les choses ne sont plus aussi simples. Mais dans l’esprit des Français, cela reste à peu près ça. Les grandes avancées sociales comme l’abolition de la peine de mort ou le mariage pour tous, c’est la gauche. Le CICE, c’est la droite. Répéter que tout cela, c’est fini, qu’il faut recomposer le monde politique, n’être ni de droite ni de gauche mais de drauche, ne mettra pas fin définitivement au clivage de la société, entre ceux qui se sentent « de gauche » et ceux qui se sentent « de droite ». Le pari d’Emmanuel Macron risque bien de se heurter à une certaine forme de réalité dans un avenir pas trop éloigné.