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Terres de Gandhaäl (6) – Livre 1 : « Fondations »

mercredi 8 juillet 2015 à 13:38

3sources

La tour circulaire était plongée dans un clair-obscur de faisceaux lumineux surgissant aléatoirement du sol et formant un  lavis violacé sur les parois de pierre crépies de blanc. De nombreux meubles parsemaient la pièce, tous chargés d’objets hétéroclites. Bon nombre étaient inconnus des deux compagnons, immobiles sur le seuil. Des masques de cuivre ou de plâtre, aux larges bouches exprimant la colère, la joie, la peur, côtoyaient statuettes de nymphes nues, tableaux aux subtils couleurs pastels, instruments de musiques sculptés aux formes sensuelles. Il y avait quantité d’objets plus étonnants les uns que les autres. Chacun d’eux avait l’air d’avoir choisi sa place depuis longtemps et l’on ne pouvait s’empêcher de les scruter un par un, pour ensuite en découvrir un nouveau au détour du regard.  Mais le plus fascinant, ce qui accentuait sûrement l’impression fantastique qui imprimait les lieux, était la mélopée qui s’échappait du centre de la pièce et se répandait langoureusement à travers l’espace confiné. C’était une musique extraordinaire, d’une tristesse infinie. Les chants féminins qui la composaient étaient portés par de nombreux instruments aux accords envoûtants, la beauté de la mélodie faisait comme vibrer l’air et les deux hommes, toujours figés sur le seuil, se surprirent à frissonner, comme possédés par l’étonnante ambiance. Une voix masculine aux intonations douces, à l’accent amical les fit sursauter, comme à l’éveil d’un rêve enchanteur.
— Soyez les bienvenus en ma demeure, voyageurs. Je suis désolé de n’avoir pu vous accueillir moi-même, j’étais trop affairé, mais je suis certain que Sylphide et Méliades s’en sont très bien chargées, n’est-ce pas ?
Seghuenor fut le plus prompt à réagir. Il avança d’un pas et courba la tête en signe de déférence. Bien qu’il ne sache toujours pas où se trouvait son interlocuteur, il s’exprima dans son meilleur Gandh, la langue originelle, les yeux fixés vers le centre de la salle baignée de lumière violette :
— Nous sommes infiniment touchés par votre accueil, et tenons à vous remercier du plus profond du cœur, seigneur Doldiën. Mon nom est Seghuenor, et voici mon ami et compagnon de voyage, Mortesse. Nous venons du continent sud, des terres d’Anglar, comme les nommait le premier empereur Gandhaäl. Nous espérons ne pas vous déranger et sommes à votre service pour toute chose qu’il vous plaira de nous demander…
— Allons, ami, ne sois pas tant cérémonieux ! Mais tes paroles sont une douce brise à mes oreilles, elles sont celles d’un homme de culture qui connaît les usages de la politesse, ce que j’apprécie. Mais veuillez m’excuser, vous ne devez pas y voir grand chose, j’aime la pénombre lorsque j’écoute de la musique…
Les sphères de lumière violacée s’agrandirent comme des nuages balayés par une brise soudaine. Des traits lumineux, blancs et orangés jaillirent du sol et se répandirent sur les murs d’albâtre, d’autres surgirent du plafond et enveloppèrent de leur auréole éblouissante la multitude d’objets disséminée sur les meubles de bois précieux. Au centre de la pièce, Jalïn Doldiën trônait dans un imposant fauteuil de cuir à l’étrange forme de coquillage — un fauteuil huître pensa avec fugacité Mortesse — dont la passion pour tout ce qui touchait à la mer ne faiblissait jamais. Quel âge pouvait-il avoir? Seghuenor aurait bien été en mal de le déterminer : son visage était dans l’ensemble celui d’un homme assez jeune — une trentaine de cercles — pensa le maître de Shaleenmär. Mais cette impression s’estompait lorsque l’on saisissait son regard : des yeux d’un vert presque translucide, comme embrasés par un feu intérieur, dont on ne pouvait se détacher. Les yeux d’un très vieil homme, alors que le reste de son apparence indiquait le contraire. Il était chauve, ses sourcils épais se rejoignaient au dessus d’un nez aquilin, presque rapace, et sa bouche sévère aux lèvres fines et bien dessinées affichait un calme impavide. La mâchoire était carrée et tendait la peau cuivrée du visage. Le cou à la pomme d’Adam proéminente, fin et racé, plongeait dans les replis d’une ample toge de coton aux teintes abricot d’où émergeaient deux bras noueux et foncés par le soleil.

Seghuenor avait saisi toutes ces impressions en une fraction de seconde, il s’approcha des autres sièges coquillages qui formaient un cercle autour de celui de Doldiën et s’assit machinalement à l’invite faite de la main par celui-ci. Mortesse, toujours immobile sur le seuil de la tour s’avança lui aussi et une fois devant son hôte, lui tendit la main droite, impressionnant battoir de chair parsemé d’une épaisse toison rousse. Doldiën se leva avec une aisance et une rapidité qui surprirent ses deux invités. Il était debout devant Mortesse, une longue main baguée serrant celle du géant sans que celui-ci n’ait eu le temps de saisir ce qu’il se passait. On aurait dit qu’une accélération s’était produite, ou qu’une parcelle de temps s’était envolée, que l’on était passé à une autre, sans transition. Mortesse serra la main de l’homme prise dans la sienne. La poigne de Doldiën était particulièrement ferme. Le vieux marin en fut surpris, il  lui sourit et dit d’une voix sourde :
— Je suis heureux de faire votre connaissance, Doldiën. Le voyage a été long et parfois périlleux et c’est un plaisir d’arriver dans un lieu aussi beau et paisible, pour nous autres voyageurs égarés.
Jalïn Doldiën lui fit signe de s’asseoir et reprit sa place dans le « fauteuil-huître », toujours sans que son mouvement ne soit perceptible. Il était assis alors que Mortesse commençait à peine à prendre place dans son siège. Un instant avant, il était debout. Seghuenor fronça les sourcils. Ces déplacements instantanés ne le rassuraient pas, que cela signifiait-il ? Il verrait bien plus tard, l’heure n’était pas aux questions embarrassantes. Doldiën leur sourit, visiblement enchanté par leur présence. La mélopée s’était estompée laissant place à une harpe qui emplit l’espace sonore d’une cascade d’harmoniques à la pureté incomparable. Le maître des lieux s’adressa à Mortesse, un léger sourire au coin des lèvres :
— Voyageurs égarés ?
Le vieux marin, habitué aux situations embarrassantes ne se sentait pas aussi roublard qu’à son habitude devant l’homme au regard enflammé. Il tenta d’esquiver la question.
— Cette vallée est vraiment magnifique. Nous n’avons pas eu la chance de pouvoir nous y promener mais sa seule vision au crépuscule était un…
— Tu n’as pas répondu à ma question, Mortesse—c’est bien ton nom, n’est-ce pas ?
— Oui, pardonne-moi seigneur Doldiën; nous cherchions bien certainement à nous rendre jusqu’à ta demeure, mais nous avons failli nous égarer maintes fois et rebrousser chemin ! Je veux dire par…
Seghuenor vint à la rescousse de son ami dont le légendaire mauvais caractère était mis à rude épreuve par la perspicacité de maître des lieux. Il était d’ailleurs étonnant de voir le géant roux s’excuser comme un enfant pris la main dans le sac, s‘emmêler à l’image d’un débutant alors qu’il devait avoir presque le double de l’âge de Jalïn Doldiën. Devait — car tout était trompeur ici, se dit fugitivement Seghuenor.
— Nous n’étions pas égarés Sire Doldiën. En vérité nous venions te rencontrer. Je suis confus, il n’était pas dans nos projets de t’importuner à peine arrivés, seulement te demander par la suite aide et conseil, car nous en avons grand besoin…
Mortesse rageait intérieurement, une vague de chaleur afflua sur ses joues. Il maudissait Seghuenor qui moins d’un sablier auparavant lui ordonnait d’un ton sentencieux qu’ils ne dévoilassent les motivations de leur visite que le lendemain ! Lui, qui maintenant faisait exactement l’inverse ! Le petit homme à la peau noire avait bien de la chance qu’ils fussent amis depuis trente cercles et qu’une confiance réciproque se soit instaurée entre eux depuis longtemps. Le colosse se dit qu’à ce compte là, rien n’empêchait qu’il fasse la cour à Méliades ou Sylphide — il ne savait pas encore quels étaient leurs noms respectifs — dès ce soir. Cette pensée le réconforta et un sourire bon enfant s’épanouit sur son visage couturé. Seghuenor avait entrepris de se confier à Jalïn Doldiën, ils étaient maintenant à pied d’œuvre; Mortesse s’enfonça un peu plus dans le siège de cuir et écouta attentivement la conversation qui s’engageait.
— Vous dîtes avoir avez traversé la Dîm-Azäth et fait plus de mille chevauchées simplement pour venir me demander aide et conseil… Voilà qui est un grand honneur pour ma modeste personne, messieurs, un très grand honneur ! Je ne suis pas certain d’en être digne, mais peut-être vous a-t-on induit en erreur ? Qui donc a bien pu vous affirmer que je serais en mesure de vous aider ?
— Ton nom est sur la bouche de tous les Fandala d’Anglar lorsque nous avons cherché à créer le conseil des sages. Les vieux gardiens des traditions ont été unanimes, Jalïn Doldiën, c’est toi qui peut nous guider dans la grande œuvre que nous poursuivons. Les scribes de Neldar-la-pensante — jeune cité à peine à l’état d’ébauche — écrivent à ton propos; ils disent que tu connais l’histoire du grand unificateur Gandhaäl et celle du monde, mieux que quiconque; que tu ne redoutes pas les Hommes—Dieux. Nous sommes venus car tu es celui qui peut permettre à Anglar d’exister, de survivre à ses ennemis, à ses propres faiblesses !

Jalïn Doldiën avait presque fermé les yeux durant la tirade de Seghuenor. Trois plis ornaient son front et le sourire en coin qu’il arborait quelques instants auparavant s’était estompé. La musique s’était tue, les ombres des statues de marbre s’étiraient dans la salle circulaire comme une foule surnaturelle encerclant les trois hommes, théâtre improvisé d’une pièce que les acteurs ne connaîtraient pas encore eux-mêmes. Il semblait inquiet, peut-être songeur. Sa voix se fit plus grave, emplie d’une soudaine autorité :
— Très bien. Racontez-moi, dans ce cas tous deux qui vous êtes et ce qu’il en est du monde du dehors. Nous autres, à trois sources sommes coupés de l’extérieur; c’est un choix délibéré, une forme de monde dans le monde : les hommes sont dangereux, corrompus et ignorants; nous ne voulons pas qu’ils menacent notre équilibre. Trois sources est un jardin de paix et d’harmonie depuis deux cycles, depuis la révélation, et rien ne doit venir briser notre bien-être, vous me comprenez ?
Mortesse hocha la tête en signe d’assentiment. Il vivait la plupart du temps sur des navires, entouré de rudes gaillards aux mœurs frustres, à la vie simple et au franc-parler naturel. Il préférait la tournure que prenait la discussion, les faux semblants ne lui étaient pas coutumiers. Il se leva, vrilla son regard dans celui de Doldiën et lui dit :
— Mon nom est Mortesse Goröndo, fils de Makbar Goröndo. Je suis originaire du grand continent de l’est que l’on appelle désormais Morglang. J’ai fui la tyrannie d’Ogmock, dieu des batailles et du sang répandu à la guerre alors que je n’avais pas dix huit cercles. Je me bats depuis ce jour pour que les tribus d’Anglar s’unissent et forment une véritable nation, capable de rivaliser avec les empires Kendaïs, et les autres. Là bas on me nomme Mortesse le flamboyant à cause de la couleur de mes cheveux et de ma barbe. Je suis le chef des marins, c’est moi qui ai créé et dirige encore aujourd’hui la jeune flotte d’Anglar. La Dîm-Azäth est mon royaume. Seghuenor est mon ami, c’est le guerrier le plus habile qu’il m’ait été donné de rencontrer, fondateur de Shaleenmär, premier port connu des terres du sud, chef des armées et pacificateur des douze tribus Mestydes. Nous sommes en fait les Kenda d’Anglar, mais Seghuenor te l’expliquera mieux que moi-même, la mer n’incite pas aux bavardages et c’est elle qui me guide et parle par ma bouche…
Le compagnon du colosse aux cheveux de feu attendit que celui-ci se fut rassit pour prendre la parole. Mortesse était redevenu lui-même — pensa Seghuenor — et sa franchise naturelle avait un avantage certain : aucune confusion ne pouvait s’installer entre eux et le maître de trois sources, dorénavant ! Il sentait Doldiën sur ses gardes, méfiant envers le reste du monde, mais peut-être n’était-ce là qu’une apparence ? Seghuenor s’éclaircit la gorge, réfléchit rapidement à la manière de présenter leur situation, avant de déclarer :
— Mon compagnon a résumé de manière un peu rapide qui nous sommes, mais il l’a tout de même très bien fait, car après tout, nous n’avons aucun intérêt à te cacher quoi que ce soit. Malgré tout, je pense qu’il est important que je reprenne l’histoire de mon peuple et les événements qui se sont déroulés depuis presque deux cycles, la connais-tu Doldiën ?
Le maître de trois sources eut une moue dubitative et murmura :
— De façon très parcellaire…
— Bien, j’essaierai de faire vite et de ne pas être ennuyeux.
Seghuenor jeta un regard circulaire dans la tour envahie par les ombres surnaturelles projetées par les lumières froides et inquiétantes. Il espérait de toutes ses forces que Doldiën fut bien de leur côté, qu’il n’était pas un démon envoyé par les Kendaïs, ou bien un vulgaire arriviste, un despote retiré dans une vallée enchanteresse et dominant ses sujets. Mais comment le savoir ? Rien ne le rassurait, la Shalaaï était omniprésente en ces lieux, presque étouffante. Il se jeta à l’eau, décidé à jouer le jeu jusqu’au bout. Il parla vite, comme s’il voulait se débarrasser d’un fardeau, tout en mesurant l’importance de ce qu’il déclarait…
— Les grandes tribus Mestydes, les peaux foncées comme les appellent certains, n’ont pas su rester unies après la disparition du grand unificateur Gandhaäl. Les Sindoë, Moestad, Ganadi, Dandïla et Teniste se sont battus les uns contre les autres, les Jawaka, Doleste, jindif, Mokda se sont enfuis dans les montagnes du centre pour échapper aux guerres tribales mais ils se sont vite retrouvés dans une situation comparable aux autres, et les dissensions se sont transformées en guerres ouvertes. Certains suivirent même les Kendaïs et quittèrent les terres du sud, pour ne jamais revenir. Deux tribus seulement ont su se préserver : les Ansta et les Gandhali. Je suis un Gandhali. Mon père était le chef de la tribu, il pensait que l’enseignement de Gandhaäl devait être préservé et que nous devions tenter de continuer ce qu’il avait commencé : unir les tribus, pacifier les peuplades d’Anglar. Nous avions un avantage sur les autres, le secret de l’acier et la tradition écrite avaient bien été conservés et notre tribu était celle-là même du maître Gandhaäl. Alors que je n’avais que cinq cercles mon père m’a envoyé auprès du Fandala Nortep Arasta qui vivait seul aux portes des grandes steppes de Woorg. Depuis cent cinquante cercles notre tribu survivait à sa propre disparition, mais mon père sentait venir des temps incertains. C’est pour cela qu’il m’envoya chez Arasta. C’était un homme très avisé, un grand guerrier qui m’a enseigné l’art du sabre, de l’arc et de la méditation, du souffle primaire aussi, le Dalät, et beaucoup d’autres choses encore. Nortep, mon instructeur, est toujours en vie, et initie désormais les plus valeureux de nos hommes. Il est le maître du Shaïndi, l’ordre guerrier supérieur, il forme les gardiens du savoir ancestral, défendeurs de nos valeurs ! Seigneurs de guerre, ils seront les dirigeants des cités d’Anglar, les protecteurs de nos terres !

Hacking Team et la France, c’est plus pas facile que c’est compliqué

mardi 7 juillet 2015 à 17:50

wpid-pr04a111213photo03Des interminables heures de téléchargement, quelques litres de café et pas mal de méthodologie sont nécessaires à la compréhension des documents fuités issus du piratage de Hacking Team. Il ne fait désormais plus aucun doute que les outils de Hacking Team, outils d’intrusion relativement élaborés, sont très prisés des gouvernements, souvent pas des plus démocratiques. Hacking Team ne semble montrer aucun scrupule à vendre ses solutions à des pays faisant l’objet d’embargo sur les armes, comme c’est le cas pour le Soudan, ni à des pays à risques à des instants cruciaux de leur histoire, comme Oman ou le Barhein en plein printemps Arabe pour ne citer qu’eux. Citizen Lab avait déjà largement fait la lumière sur l’utilisation des outils d’Hacking Team dans ces pays sensibles.

Dans cette masse de données, la France n’est évidemment pas oubliée. Anticipant la loi de renseignement, les autorités françaises ont rencontré Hacking Team pour étudier la possibilité d’acquérir sa solution, Galileo (ex Da Vinci). Mais c’est assez discrètement, par l’entremise d’une curieuse entité, CNET SAGIC, dont le code APE/NAF la présente dans le secteur de la restauration, sous la forme juridique d’association déclarée et en exercice depuis le 1er janvier 2000. Sa domiciliation, au 51 boulevard de la Latour Mabourg dans le 7e atteste qu’il ne s’agit pas d’une pizzeria de quartier. Évidemment, on ne trouve aucun bilan publié… Voici ce que l’on trouve à cette adresse via Street View.

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Il est donc relativement surprenant de découvrir des échanges entre une personne utilisant un email de cette entité et les équipes d’Hacking Team pour programmer un voyage à Milan en vue d’une démonstration… visiblement CNET SAGIC ne fait pas que dans l’import export de mozzarella.

Date: 7 avril 2015 16:58:46 UTC+2
De: xxxxx xxxxx <xxxxx.xxxx@sagic.fr>
À: Philippe Vinci <p.vinci@hackingteam.com>
Objet: Rép : Dates pour la visite à Milan ?
est-ce que cela serait possible d’organiser une démonstration semaine 21 c’est à dire entre le 18 et 22 mai?
Cordialement.
xxxxx xxxxxx

Les préoccupations du ministère sont assez détaillées, il est par exemple question de la durée de vie des dispositifs d’intrusion (surtout les exploits) et de savoir si Hacking Team en a dans les bacs en cas de mise à jour et de corrections.
La préoccupation de passer sous les radars est évidente. C’est le Exploit Delivery Network qui assure la discrétion des opérations. La politique de Hacking Team est claire, un payload ne doit servir que pour une seule infection (pour une ou plusieurs cibles, mais en one shot), et le dump de la machine prévue à la distribution des malwares est assez éloquente, son /var/www/ regorge d’exploits prêts à infecter des cibles.

Les preuves judiciaires sont aussi au coeur des préoccupations des intervenants français, il est question de s’assurer de pouvoir fournir à un juge des « garanties de résultat ».  Les différents échanges semblent également indiquer que le GIC supervise une plateforme d’interception trans-services AQSACOM.

Mais… situation cocasse qui a peut-être mis fin aux discussions prématurément (ou pas), les autorités françaises soulignent que l’ANSSI doit auditer la solution pour s’assurer de l’absence de backdoor. Et le gros hic, c’est que Hacking Team semble avoir pour coutume de backdoorer ses backdoors

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Plus anecdotique, un associé d’un capital risqueur localisé en France (qui compte par exemple la plateforme de crowdfunding Leetchi à son catalogue) au cours d’échange avec l’équipe d’Hacking Team, semble vouloir mettre au point une stratégie pour discréditer des publications de Wikileaks sur Hacking Team. Ce dernier leur propose un super plan de comm’ pour redorer le blason de la société italienne en insistant par exemple sur le fait que les solutions d’hacking team servent à lutter contre les pédophiles et les trafiquants de drogue… deux catégories de criminels très actifs à Oman et au Soudan ? Bref, le coup du stylo traqueur de pédophiles d’Amesys, c’est un peu comme la botte de Perceval, l’important c’est de ne rien lâcher, quitte à passer pour un con.

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Terres de Gandhaäl (5) – Livre 1 : « Fondations »

mardi 7 juillet 2015 à 11:50

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Les deux voyageurs n’en revenaient pas encore. Les parfums floraux entêtants qui montaient de l’eau tiède dans laquelle ils flottaient étaient sans doute pour beaucoup dans cette sensation d’enivrement qui se répandait peu à peu en eux. Les deux jeunes femmes les avaient menés jusqu’à une grande écurie où une vingtaine de chevaux la tête penchée hors de leur stalles, curieux, avaient accueilli les nouveaux venus par un concert de hennissements. Là, elles les avaient aidés à soigner leur bêtes. C’est ensuite qu’ils furent guidés à travers de nombreux couloirs et escaliers de pierre jusqu’à cette pièce décorée de lourdes tentures de laine aux murs chargés de plantes arborescentes, dont les fleurs d’un blanc immaculé dégageaient ce parfum délicieux et euphorisant. Mortesse et Seghuenor étaient immergés dans de petits bassins circulaires carrelés de faïences azur, perpétuellement alimentés par un jet d’eau tiède et parfumée, jaillissant de la bouche pulpeuse d’une sculpture de marbre blanc représentant un femme nue à la queue de poisson.

Les compagnons de voyage étaient muets depuis qu’ils étaient entrés dans leurs bassins respectifs, trop accaparés par les caresses bénéfiques que leur prodiguait ce bain réparateur. Les jeunes femmes leur avaient tendu des carrés de toiles de lin afin — avaient-elles précisé — qu’il se sèchent, ainsi qu’une paire de pantalons et une chemise de toile écru, puis s’étaient éclipsées. Mortesse avait fait le vide en lui et fermait les yeux. Le chef des marins du continent sud s’endormait peu à peu sans même se préoccuper de la suite des événements. Seghuenor n’avait pas cette faculté incroyable à se laisser aller, à oublier jusqu’au but même qu’il s’était fixé durant les courts instants de répit qui pouvaient survenir. Ses pensées étaient toutes dirigées dans une seule et même direction : comment aborder et convaincre — si cela était possible — ce mystérieux personnage dont les poètes, scribes et autres penseurs des terres du sud leur avaient parlé en des termes si flatteurs, la voix empreinte de respect — comme subjugués — si bien qu’ils avaient tous deux quitté leurs responsabilités et entreprit ce voyage périlleux entre tous ?

Au prime abord l’affaire s’engageait bien. La vallée magnifique, l’ambiance paisible et les jeunes femmes qui les avaient accueillis avec joie, soulignant qu’ils étaient attendus…Un petit détail pourtant noircissait le tableau : les lumières tamisées qui diffusaient d’étonnantes sphères orangées telles des astres crépusculaires sur les parois de pierre n’étaient pas produites par des flammes. Il y avait là quelque chose d’inquiétant pour le guerrier, et un seul mot pouvait définir ce miracle : Shalaaï. La force surnaturelle que les hommes-dieux, les Kendaïs avaient invoquée pour mieux asservir les habitants des terres; cette sorcellerie, mystérieuse énergie capable de prodiges comme de catastrophes terribles. Seghuenor chassa ces idées sombres d’un mouvement de tête. Il verrait plus tard ce qu’il en était. Le seigneur de Shaleenmär s’enfonça un peu plus dans l’eau jusqu’à que sa longue chevelure anthracite soit toute entière immergée. Il se sentait mieux, détendu. Sa décision était prise, il se redressa et en fit part à son compagnon, immobile et silencieux dans le bassin à la droite du sien.
— Mortesse !
— Oui, Seghuenor ?
— Nous avons presque réussi ce pour quoi nous avons risqué nos vieilles carcasses fatiguées, le sais-tu ?
— Bien sûr, ami, bien sûr…mais pour les vieilles carcasses, tu es le seul dans ce cas, sache-le.
— Toujours aussi subtil, vieux requin. Je pensais à Jalïn Doldiën et me disais; si nous sommes bien en sa demeure; qu’il serait préférable d’attendre un peu avant de lui dire pourquoi nous sommes ici. Qu’en penses-tu ?
— Je pense que tu es le plus diplomate de nous deux, et que je passerais bien une nuit ou deux avec la plus grande des sœurs siamoises. Notre mission peut bien attendre un peu, non ?
— Incorrigible coureur de femelles ! Je te parle de Jalïn Doldiën, l’homme pour qui nous avons traversé la mer du centre, la moitié du grand continent nord, et toi tu penses à mettre des femmes dans ta couche ! Nous ne lui parlerons de nos problèmes et ne lui feront part de nos requêtes que demain. Je ne veux pas qu’il s’offusque et nous renvoie bredouilles à Shaleenmär… Quand aux siamoises, je ne te conseille pas de leur faire la cour dès ce soir, tu pourrais t’attirer les foudres d’un mari jaloux ou d’un père possessif. Ne nous égarons pas Mortesse, ne nous égarons pas !
Le grand gaillard à la chevelure de feu se mit à rire à gorge déployée. Son corps volumineux agité de convulsions — Mortesse était plus grand de deux têtes que son compagnon, plus lourd d’une moitié— soulevait l’eau du bassin qui retombait tout  autour de lui et inondait par vaguelettes successives le sol de la pièce. Le colosse se leva bruyamment et son rire décru pour se changer en un gloussement équivoque. Il s’empara de la toile de lin posée sur une chaise sculptée près du bassin et entreprit de se sécher avec, tout en répliquant d’un ton où perçait l’ironie :
— Tout est parfait ! J’attendrai demain pour m’occuper de la grande et délicieuse brune, je vérifierai qu’elle n’a point de parti ou de tuteur entêté — ces deux mots côte à côte le firent s’esclaffer une nouvelle fois — et nous demanderons ensuite au seigneur Doldiën s’il daigne nous prêter main forte dans nos grands desseins; c’est bien cela Kenda  Seghuenor ?
— Parfaitement, répondit le petit homme à la peau couleur d’ébène. Je vois que nos péripéties ne t’ont pas fait perdre le sens de l’humour et que tu aimes toujours autant m’agacer. Allez, il est temps d’aller rencontrer nos hôtes et les remercier.
A peine les deux hommes furent-t-ils vêtus — les pantalons de Mortesse lui allaient à la perfection, ce qui était un exploit vu sa taille — que les deux jeunes femmes pénétrèrent dans la pièce et poussèrent des exclamations de surprise enjouées :
— Comme vous êtes mieux ainsi ! On vous reconnaît à peine! Le bain était assez chaud ? Les parfums vous ont plu ? Le seigneur Doldiën vous attend, il veut vous saluer avant que nous ne commencions la fête. Allez, suivez-nous, venez !
Mortesse et Seghuenor n’eurent pas le loisir de répondre : chacune d’elle prit la main de l’un d’eux—Mortesse s’empourpra quand la plus grande des jeunes femmes, sa préférée, le choisit — et les guidèrent joyeusement à travers un dédale de couloirs et d’escaliers en colimaçons, continuant à rire et à babiller comme deux enfants espiègles.

Hacking Team n’est pas une société de surveillance

lundi 6 juillet 2015 à 14:22

Hacking TeamContrairement à ce qu’on a pu lire ici ou , Hacking Team n’est pas à proprement parler une société de surveillance ou d’espionnage.

Hacking Team fournit des moyens illégaux aux autorités pour que ces dernières puissent mener des intrusions dans des systèmes cibles pour effectuer une surveillance des populations. La fuite de plus de 400 go montre, comme l’on pouvait s’en douter, que des pays comme le Maroc, le Soudan, l’Ethiopie ou encore le Kazakhstan profitent de ces outils pour maintenir « l’ordre démocratique » dans leur pays.

Capture du 2015-07-06 13:19:59

On parle de moyens illégaux car Hacking Team est une entreprise privée qui vend des vulnérabilités (0day) permettant de compromettre les systèmes d’informations d’autres entreprises privées. À titre de comparaison, une entreprise qui vendrait un système capable d’ouvrir toutes les portes de voitures et de les faire démarrer serait probablement trainée devant les tribunaux et n’aurait jamais le droit de commercialiser ses produits… Mais sur Internet, ça ne se passe pas comme ça.

Pour paraphraser un petit homme, ce n’est pas Internet qu’il faut civiliser, mais bien les personnes qui s’octroient des droits sous prétexte d’Internet, droits qui visent principalement à réduire ceux des utilisateurs.

Les outils d’Hacking Team peuvent aussi bien porter sur de la surveillance bien ciblée que de la surveillance plus massive. Les outils offensifs d’Hacking Team sont déployables à l’échelle d’un pays se vantait la société dans une vidéo promotionnelle publiée en 2013.

Quand reconnaitrons nous qu’il y a un sérieux problème à laisser une société privée faire un tel business ?

Terres de Gandhaäl (4) – Livre 1 : « Fondations »

samedi 4 juillet 2015 à 18:20

chap2

Chapitre II

Une nuée de minuscules moineaux s’égailla dans un concert de sifflements et de battements d’ailes à l’approche des intrus. Les deux soleils jumeaux commençaient à disparaître derrière le pic d’Anstarä, fabuleuse aiguille minérale haute de trois mille foulées dont le sommet couvert de glace scintillait comme un feu de diamants. La nature, par miracle était redevenue accueillante depuis qu’ils avaient gravi cette colline impossible. Une jungle de ronces, de fougères géantes aux feuilles acérées comme des lames de rasoir qu’ils avaient du tailler à l’aide de leurs épées afin de se frayer un passage. Les deux hommes avaient perdu la belle assurance qu’ils affichaient avant de pénétrer dans ce territoire inexploré; ces deux journées passées à lutter contre la nature et les éléments les avaient éprouvés au point que l’un d’eux avait proposé de rebrousser chemin. La réponse de son compagnon avait été alors cinglante:

— Je te croyais plus vaillant que cela, Mortesse; un seigneur de guerre, un marin invincible qui implore pitié aux herbes folles ! Ressaisis-toi ! tu ne peux te permettre, ne serait–ce qu’un instant, de penser à abandonner. Nous n’avons pas fait tout ce chemin pour nous en retourner sans l’avoir rencontré.

L’homme à qui s’adressaient ces mots acides redressa la tête et cracha bruyamment par terre. Ses longs cheveux couleur de braise n’étaient plus qu’un infâme tas de fils informes couverts d’épines et de mousses. Sa barbe était dans le même état, son visage, couvert de balafres sanguinolentes et ses vêtements, en loques. Il ne croyait plus aux belles paroles que proféraient son ami et compagnon de voyage. Ils couraient après des légendes, il n’y avait rien à trouver derrière ces montagnes étouffées par le lierre, la ronce et les fougères. Le plus grand navigateur connu sur la Dîm-Azäth ressemblait à un vieillard au crépuscule de sa vie, implorant que l’on abrège ses souffrances. Mortesse soupira et lança d’un ton désabusé :

— Mon cher Seghuenor, le seigneur de guerre te souhaite d’aller finir au plus profond des enfers de Shubda et que les femelles démons les plus grosses, les plus vilaines et les plus perverses te bouffent les couilles éternellement…

Leur échange verbal en était resté là, conclu par un rire libérateur. Le pic d’Anstarä s’était ensanglanté sous les flèches pourpres des astres solaires. C’était le seul repère pour parvenir à trouver celui à qui les deux hommes venaient demander aide et conseil. C’était d’ailleurs le seul élément naturel dont ils connaissaient précisément le nom, hormis la ceinture de montagnes enneigées—nommée dans son ensemble la mâchoire de Cromax—et peut-être cette immense étendue de collines hostiles aux torrents glacés dans laquelle ils progressaient avec tant de difficultés : Gondoriän.

La nuit n’allait pas tarder à étendre son voile obscur; les prédateurs à sortir de leurs repaires pour partir en quête de nouvelles proies. Les deux voyageurs avaient senti de nombreuses présences inquiétantes au cours des deux nuits passées dans la contrée. Chacun d’eux éprouvait en lui cette sensation malsaine, comme un œil inquisiteur fixé sur le moindre de leurs mouvements, sans oser l’exprimer à l’autre. Pourtant, la traversée de la mer centrale, la Dîm-Azäth — puis celle de plus de mille chevauchées du continent nord qu’ils avaient effectuée avant de parvenir en cette contrée — comportait de nombreux dangers. Ils avaient du repousser les assauts de bêtes sauvages, fuir la vindicte de tribus hostiles et échapper in extremis à une horde de Jaaks rouges, ces féroces créatures humanoïdes avides de sang humain. Mais désormais ce n’était plus tout à fait pareil. Le danger, l’inconnu ne se montraient pas, ils étaient simplement présents sans qu’on puisse les nommer ni les décrire. Heureusement, depuis que les collines de fougères et de ronces étaient derrière eux ils ressentaient comme un soulagement, la fin du calvaire, peut-être. Ils parvinrent au sommet d’un escarpement rocheux et leurs chevaux, bien qu’épuisés, ne firent pas de difficultés pour les suivre. Les équidés savaient qu’avec la nuit proche c’étaient le repos et la nourriture qui s’annonçaient. Les deux voyageurs s’avancèrent un peu plus sur le grand socle rocheux et se regardèrent sans rien dire. D’un même mouvement ils tournèrent de nouveau le regard vers le spectacle incroyable qui s’offrait à leur vue. Un sourire d’émerveillement et de bonheur prit forme sur les visages burinés et couverts de balafres de Mortesse le flamboyant et Seghuenor le parcimonieux, fondateurs des premiers royaumes marchands des terres que l’on nommerait plus tard, « Terres de Gandhaäl ».

 

* *

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C’était une vallée enchanteresse qui s’étendait, lascive, devant eux. Les derniers rayons de soleil faisaient chatoyer les murs des terrasses de pierres qui parsemaient ses flancs composés d’innombrables variantes de vert, telle que peut les produire une nature luxuriante et aimée de l’homme. Les deux voyageurs distinguaient les cultures en terrasses et les arbres fruitiers indénombrables où des silhouettes humaines coiffées de larges chapeaux finissaient de s’affairer. Des troupeaux de moutons, flocons blancs serrés les uns contre les autres dégringolaient des sentier de pierres surveillés par des chiens virevoltant en un ballet effréné. Trois torrents enjambés par des ponts de pierre serpentaient les pentes de la vallée au gré des fantaisies du relief et finissaient leur course dans une vaste étendue aquatique cernée de roseaux : un miroir d’argent scintillant sous les feux auburn des soleils couchants. Légèrement en retrait du lac, où s’égaillaient des myriades d’oiseaux lyres, une vaste bâtisse à l’architecture complexe, aux murs de pierre multicolores semblait surveiller les collines arides et inhospitalières d’où provenaient les deux hommes. Seghuenor fut le premier à réagir après que son esprit se fut empli des sensations multiples que généraient en lui l’extraordinaire vision de la vallée. Il tapa sur l’épaule de son vieux compagnon et lui dit d’un ton jovial :

— Je crois que nous avons véritablement trouvé Gondoriän, cette fois-ci !

Malgré la douleur que ses lèvres striées de gerçures lui infligeaient, Mortesse sourit. Quelques perles de sang coulèrent dans sa barbe sans qu’il n’y prêta attention.

— Par tous les démons de la Dîm-Azäth, Seghuenor, je ne croyais plus que cet endroit puisse exister, et encore moins qu’il soit aussi…aussi…

Le petit homme à la peau noire finit la phrase du colosse roux debout à ses côtés dans une exclamation victorieuse :

— Magnifique !

— Oui, c’est exactement ça, magnifique…conclu Mortesse.

Les ailes d’encre de la nuit se déployaient lentement, plongeant la vallée dans un manteau d’ombres. De minuscules étoiles dorées se mirent à briller à travers les coteaux noyés dans la pénombre, des cloches firent entendre leurs tintements cristallin, annonçant aux hommes et aux bêtes la fin de la journée.

Mortesse se mit en selle aussitôt imité par son compagnon. Les chevaux avaient eux aussi compris quel havre de paix se trouvait en contrebas et leurs cavaliers durent refréner leur ardeur tout au long de la descente, de peur qu’ils ne glissent sur les pierres qui jonchaient le sentier escarpé. Arrivés près du lac, ils s’engagèrent dans un petit chemin pavé de galets cerné par les herbes folles et les joncs. Il devenait de plus en plus difficile d’y voir clair ; les deux compagnons laissèrent leurs montures se fier à leur instinct. Les animaux les menèrent devant la vaste demeure de pierre après une longue promenade le long des rives du lac où s’exhalaient les senteurs les plus variées de fleurs de nénuphars et autres plantes aquatiques.

La bâtisse aux murs de pierres sèches et aux tours effilées n’avait pas de porte ou de herse, simplement une large ouverture pratiquée entre les murs percés de fenêtres ovales aux carreaux de verres colorés. Les deux hommes pénétrèrent dans une cour intérieure au sol recouvert d’une mosaïque de dalles rocheuses. Les torches fichées dans des tiges de métal projetaient des ombres dansantes sur les murs silencieux. Une dizaine de bâtiments de taille et de hauteurs différentes composaient l’ensemble architectural, reliés les uns aux autres par des passerelles de bois. De chaque bâtiment jaillissait des tours rondes aux toits couverts de tuiles en pierre plates que les trois lunes à peine levées faisaient briller comme les écailles d’une multitude de poissons imaginaires. Mortesse et Seghuenor mirent pied à terre. Tous deux avaient perçu la musique légère et dansante qui parvenait faiblement de l’une des maisons. C’était un moment unique pour les deux voyageurs fourbus. Le calme et l’harmonie qui imprégnaient les lieux les berçaient imperceptiblement. Une vague de bien-être s’immisçait insidieusement dans chaque parcelle de leur corps et de leur esprit. Ils n’eurent pas le loisir d’écouter plus avant la charmante mélodie et profiter de la douceur de l’instant : des rires féminins éclatèrent dans la cour comme une cascade de verres de cristal se brisant soudainement dans l’air chaud de la nuit. Seghuenor fit un pas de côté et maintint fermement le licol de son cheval : rien ne lui assurait que les habitants de ce bel endroit étaient pacifiques. Mortesse lui, écarquillait les yeux pour mieux discerner les ombres qui s’approchaient en riant de plus belle. Deux jeunes femmes aux longues chevelures brunes se tenaient devant eux, les mains sur les hanches, continuant à pouffer comme si le spectacle que les deux cavaliers offraient était irrésistible. L’une d’elles, la plus petite, cessa de s’esclaffer et les désigna du doigt tout en lançant d’une voix aiguë :

—Vous êtes les deux voyageurs dont nous a parlé le maître! Vous êtes encore plus drôles que ce que nous ont dit les guetteurs qui vous suivaient !

Un rire enfantin conclu la phrase de la jeune femme. Mortesse ne laissa pas le loisir à la seconde de répliquer ; il parla de sa voix la plus bourrue, ses yeux lançaient des éclairs alors qu’en lui-même une irrésistible envie de s’esclaffer faisait jour :

— Dites-moi les drôlesses, c’est ainsi que vous recevez les invités par chez vous ? Appelez donc votre maître, vous allez voir comment il va vous corriger pour se moquer ainsi de nous ! Allez, dépêchez-vous ! La plus grande des jeunes femmes fit deux pas en direction du cheval du colosse qui roulait toujours des yeux pour mieux appuyer ses paroles. Elle lui sourit. Le géant, immobile à quelques centimètres du jeune visage, put apprécier l’ourlet charmant de ses lèvres, d’un rose délicieux, le nez fin et droit, les yeux en amandes, la chevelure soyeuse dans laquelle l’éclat des lunes faisait jouer des reflets bleutés. Le navigateur déglutit, la beauté féminine le troublait, elle lui faisait perdre à chaque fois ses moyens. Il lança un regard en direction de Seghuenor et n’eut pas le loisir d’interpréter ce qui s’affichait sur les traits de son compagnon. La jeune beauté caressa la tête du cheval et d’un claquement de langue le fit s’avancer. L’animal la suivit sans résistance.

D’une voix douce et sensuelle elle lança à l’intention des deux voyageurs :

— Suivez-nous, et ne soyez pas si inquiets, il faut soigner vos chevaux et vous changer. Vous verrez le maître ce soir, il y a fête, et tout le monde sera enchanté d’entendre des visiteurs du dehors. Allez, venez !

La seconde beauté s’approcha de la monture de Seghuenor et fit de même que sa comparse. Les deux compagnons se dévisagèrent sans mot dire et suivirent docilement les jeunes femmes à travers la cour.