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Une armée de clics ?

lundi 19 décembre 2016 à 15:58

Arrêt sur Images (abonnement) nous l’annonçait le 5 décembre de cette année-là (il y a longtemps), l’armée française a lancé un site pour inciter les  djeunz à la rejoindre. Sous la forme d’une fausse émission de télé-réalité,  modeimmersion.fr nous racontait l’immersion de jeunes dans l’armée. Le site était réalisé en collaboration avec Skyrock, la radio desdits djeunz. Bref, de la com’ pure et dure. Ça me rappelle le Directeur de la Création quand il nous affirmait que les clips viraux, (et les prouts, visiblement) étaient l’avenir de la com’ sur le Web…

Selon le journaliste d’Arrêt sur Images, il lui aurait été annoncé quelque “100.000 visites” sur le site de l’armée. Ça marche, donc.

Sauf que…

Sauf que…, les annonces des rois du marketing ne collent pas toujours à la réalité…

En consultant les statistiques du site modeimmersion.fr, on découvre que sur les trois jours du 7 au 16 décembre, le nombre de visites ont totalisé l’astronomique chiffre de… 9235.

L’intérêt d’une page de statistiques de ce genre, c’est que l’on peut même mesurer le nombre de clics (hits) sur les bandeaux de pub qui renvoient vers ce site. Et là… C’est le drame. Ne nous bassine-t-on pas en permanence avec le fabuleux marché de la pub sur le Net ? Cette fois, on peut mesurer avec précision l’efficacité des trois bandeaux de pub pour modeimmersion.fr :  le premier génère  1599 hits, le deuxième quelque  604 et le troisième, 590. Attention, cette fois, on parle de hits, pas de visites. Une différence de taille.

Çà a coûté combien au contribuable, cette belle réussite ?

 

PS : Cet article fait partie d’une saga qui se lit dans l’ordre pour rire mieux.

Etre journaliste et être une femme dans l’état de Veracruz au Mexique

vendredi 16 décembre 2016 à 23:00

Groupes d’autodéfense de l’Etat de Veracruz

Paloma Junquera (1)  est correspondante d’un quotidien mexicain dans l’état de Veracruz. Elle connaissait Ruben Espinosa, le célèbre photojournaliste de cette même région assassiné dans un appartement à Mexico.

Petit voyage dans l’état de Veracruz sur la côte est du Mexique. Vingt-et-un journalistes et photographes, selon l’ONG de défense de la liberté de la presse Articulo 19, y ont été assassinés en onze ans. Le niveau de violence à l’égard des femmes y est aussi très élevé. Nous avons donc demandé à Paloma Junquera ce que c’est d’être la correspondante d’un grand quotidien progressiste et indépendant dans cette région.

Reflets.info : Comment te protèges-tu, Paloma ?

Paloma Junquera : Il serait très long d’évoquer toutes les précautions que je prends. Déjà, ne pas s’exposer physiquement. Je sors toujours accompagnée. Il est très rare que je sorte seule et si je le fais, j’informe mes amis, ma moitié, je dis où je vais et on m’y retrouve. Quand je couvre des affaires de disparitions forcées, quand je suis les brigades citoyennes de recherche des disparus, je ne suis pas la seule journaliste dans le groupe. Je me déplace avec des journalistes d’autres médias, peu importe la concurrence, nous nous arrangeons.

Auparavant, je courais le soir, je faisais mon jogging. Puis je me suis acheté un tapis de course. Auparavant, je passais toujours par le même chemin pour rentrer chez moi. Aujourd’hui ce serait pour moi une prise de risque totalement irresponsable. Il y a des sujets dont je ne discute jamais sur Internet ou par téléphone, je vais voir les gens en personne. Je suis devenue beaucoup plus attentive à mon environnement.

« Notre sécurité, en tant que journalistes de l’état de Veracruz, dépend aussi de l’importance que nous attachons à la déontologie »

Notre sécurité, en tant que journalistes de l’état de Veracruz, dépend aussi de l’importance que nous attachons à la déontologie. Il faut être très droit et clair avec ses interlocuteurs. Cela ne me plaît pas de le dire, mais je suis obligée de constater qu’il y a des journalistes, dont certains ne sont plus des nôtres aujourd’hui, qui se sont mis délibérément en danger en négligeant la déontologie de notre profession. Il suffit de presque rien : déjeuner avec une personne dont on pourrait suspecter qu’elle a quelques liens avec la criminalité organisée et accepter que celle-ci paye l’addition… C’est tentant, car les journalistes gagnent des miettes dans notre région, mais il ne faut jamais faire ça. Ces journalistes, légalement, n’ont pas été soudoyés. Ils ne se sont pas enrichis, mais ils sont déjà allés trop loin. Il faut éviter l’argent et le plomb (2).

Enfin, évidemment, nous nous censurons. Je vais vous expliquer comment je me censure, c’est une stratégie assez particulière. J’ai couvert un grand nombre d’affaires de disparitions forcées, dont une affaire particulièrement sensible, qui avait attiré l’attention de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et qui compromettait le secrétaire régional à la sécurité publique dans l’administration de l’ex-gouverneur Javier Duarte, Arturo Bermudez. Je parle d’un territoire où quatre, cinq cartels de la drogue se mènent une guerre sans merci et où plusieurs responsables publics se sont déjà fait mitrailler. Bermudez s’y promenait tranquillement dans sa voiture personnelle avec deux gardes du corps. Un sinistre personnage. J’essayais donc de me “reposer” entre deux papiers au sujet de Bermudez. Je me censure dans le temps. Je pourrais publier chaque semaine un reportage ou une enquête à propos d’une disparition forcée, mais ce serait de la folie. Entre confrères, on parle de « dosification » du travail d’information ou encore d’« essorage des escamoles ».

Reflets.info : Tu mentionnes l’administration de Javier Duarte, qui a gouverné Veracruz de 2010 à 2016 et qui fuit aujourd’hui de graves poursuites judiciaires. Le cauchemar est terminé, tu respires ?

Paloma Junquera : Evidemment que non. Je pense que le problème est structurel et que sa résolution ne dépend pas d’un changement de personnes à la tête de l’administration régionale. La gestion de M. Duarte a été marquée par un nombre record d’assassinats de journalistes, et il est peu probable que les agressions létales continuent avec une telle intensité. Mais l’inefficacité du système de protection des journalistes est nationale et structurelle.

« Les journalistes sont avertis de différentes manières avant d’être assassinés, mais les ONG ne sont pas au courant, ou trop tard ».

Reflets.info : Pourquoi ce système est-il inefficace ?

Paloma Junquera :

Le système de protection est fédéral, alors que les réalités locales sont très différentes. A Mexico, les journalistes connaissent leurs droits et savent où se trouve le bureau d’organisations non-gouvernementales comme Artículo 19 qui peuvent alerter l’opinion publique nationale voire internationale. A Veracruz, peu de journalistes sont au courant de l’existence même d’Artículo 19. La plupart ne s’indignent même pas des intimidations et agressions qu’ils subissent, ils pensent que c’est normal, que ça fait partie du métier. Le maire de leur commune vient en personne taper sur leur table, les bouscule dans la rue mais ce n’est pas grave, il n’y a pas mort d’homme. Les journalistes sont avertis de différentes manières avant d’être assassinés, mais les ONG ne sont pas au courant, ou trop tard.

Reflets.info : Et au niveau fédéral, quel est le problème avec le système de protection des journalistes mis en place en 2012 par le gouvernement ?

Paloma Junquera : Ce système est un échec lamentable. J’ai participé à trois réunions sur la mise en place d’une alerte préalable de protection des journalistes dans l’état de Veracruz avec le sous-secrétaire fédéral aux droits de l’homme, avec des membres du gouvernement régional de Veracruz. Je n’ai pas tenu jusqu’à la fin de la troisième réunion. Un responsable du secrétariat régional à la sécurité publique est venu me voir et m’a demandé sur un ton naïf ce qui se passe à Veracruz. Je lui explique patiemment ce qui se passe à Veracruz. Puis un responsable de sécurité fédéral vient me voir pour me demander ce qui se passe à Veracruz. Et ils nous laissent parler des heures, comme ça, de choses qu’ils savent déjà. Puis ils nous programment une autre réunion…

Reflets.info : Est-ce que tu utilises le fameux bouton de panique fourni aux journalistes dans le cadre du Mécanisme fédéral de protection ?

Paloma Junquera : Non, on me l’a proposé mais je ne l’ai pas pris. Ma position au sujet du bouton est similaire celle de la plupart de mes confrères à Veracruz. Supposons que je me sente en danger et que j’appelle, qui sera au bout du fil, si jamais on me répond ? Les forces de l’ordre régionales. Or, les forces de l’ordre sont un problème dans l’état de Veracruz. Les principaux agresseurs de militants, de journalistes et de défenseurs des droits humains sont les narcotrafiquants et les forces de l’ordre locales. Nous avons beaucoup de raisons de penser que ces dernières sont infiltrées par les cartels à tous les niveaux. Le bouton permet aussi d’appeler la police fédérale mais le temps qu’ils arrivent, je suis morte et enterrée.

« La seule différence que je vois entre la police locale et la criminalité organisée, c’est le fait que la police porte un uniforme ».

 Reflets.info : Crains-tu davantage les narcotrafiquants ou les forces de l’ordre?

Paloma Junquera : J’aimerais bien répondre à cette question s’il existait un quelconque moyen de faire la différence entre les deux. En apparence, il existe une mafia institutionnelle, en uniforme, avec le monopole de la violence légitime et une autre mafia clandestine, masquée, sans visage. Je ne vais pas revenir sur tous les éléments qui prouvent la consanguinité de ces deux organisations. Il y a des rapports de la CNDH, d’innombrables témoignages de proches de disparus, de victimes confrontées à l’impasse du système judiciaire… La seule différence que je vois entre la police locale et la criminalité organisée, c’est le fait que la police porte un uniforme.

Reflets.info : Parle-nous de ces journalistes que Veracruz a perdus.

Paloma Junquera :

Je connaissais personnellement Milo Vela depuis mes débuts dans le journalisme. Un vieux monsieur qui travaillait pour le journal d’investigation El Piñero de la Cuenca. Ils ont tiré à travers les fenêtres de sa maison et l’ont tué, lui et toute sa famille, en 2011. Milo Vela tenait la rubrique police et justice du Piñero de la Cuenca, il était très bien renseigné sur tous les problèmes de sécurité publique dans l’état de Veracruz. Il a assisté à la transformation de l’économie locale, du trafic d’appareils électroménagers et de téléviseurs depuis le port de Veracruz au trafic de drogue. Il a écrit un libre, “El LLano de la Vivora”, où il explique les causes d’une confrontation armée qui a eu lieu entre les forces armées et la police fédérale pour une cargaison de drogue. Nous avons ressenti sa mort comme une amputation, nous étions démoralisés et désarmés.

 Regina Martina Martinez était une personne discrète et réservée mais très vive d’esprit, qui travaillait d’arrache-pied, comme une petite fourmi. Depuis la capitale Xalapa, elle avait développé un réseau d’informateurs dans de multiples communautés marginalisées et demandait aux députés régionaux ce qu’ils comptaient faire pour régler des problèmes d’extrême pauvreté de la population indigène des montagnes. Elle venait au parlement local dans un but précis, pour interroger les députés sur des points précis, elle n’était pas là pour converser tranquillement avec eux sur des canapés en velours. Ces deux journalistes étaient des grands professionnels et des personnes très sincères. Je connaissais également les quatre reporters du journal El Dictamen dont les corps ont été retrouvés dans le canal d’Aguas negras en 2012, avec celui de leur secrétaire de la rédaction. Tous ces décès ont laissé un grand vide.

« On assiste à un renouvellement générationnel de la profession de photographe dans notre région ».

Reflets.info : Ruben Espinosa était photographe. Felix Marquez, qui a été assassiné en 2013, aussi. Les autorités de Veracruz ont-elles un problème particulier avec les photographes ?

Paloma Junquera :

En effet, on assiste à un renouvellement générationnel de la profession de photographe dans notre région. Il existe un courant très actif de journalisme photographique encouragé par Internet et les nouvelles technologies. Ruben Espinosa travaillait pour l’agence AVC Noticias. Chez AVC Noticias, au moins quatre photojournalistes, d’après mes informations, ont été agressés, menacés ou insultés. Comment fâcher un homme politique? En le photographiant. AVC Noticias a été l’une des premières agences à investir le web. Leur point fort, c’est la photographie. Le directeur est une personne très connectée, branchée et ouverte aux innovations. Très hostile à la censure aussi.

« Des photographies qui soient vraiment journalistiques »

Il a créé cette agence pour publier des photographies qui soient “vraiment journalistiques”. Des photographies qui montrent nos personnalités politiques telles qu’elles sont. Pour l’équipe d’AVC Noticias, il ne s’agit pas de photographier les responsables publics uniquement lorsqu’ils veulent bien poser et de retoucher les photos pour qu’on ne voie pas leur embonpoint. Cette équipe est composée de jeunes talents détectés sur les réseaux sociaux. C’est aujourd’hui une agence influente, qui fournit en images de nombreux journaux à Veracruz. Veracruz est comme un bout de chorizo qui s’étend du nord au sud au bord de l’océan, la géographie de cet état est très particulière. Il n’y a pas de journaux régionaux à Veracruz. Toutes les entreprises de presse sont implantées dans un microcosme local et sont complètement inconnues à trente kilomètres de là. C’est à Córdoba qu’on lit El mundo de Córdoba. C’est à Posa Rica qu’on lit El Mundo de Posa Rica.

Mais aujourd’hui, du nord au sud, on voit partout les photos de ces jeunes enthousiastes. C’est cette agence qui a révélé l’existence dans notre état de groupes d’autodéfense contre la criminalité organisée, que les médias nationaux ne voyaient que dans les états de Guerrero, Oaxaca et Michoacán. Lorsque ces photos de groupes d’autodéfense ont été publiées, les autorités régionales ont mis en œuvre tout ce qui était en leur pouvoir pour démentir l’information, ont prétendu qu’il s’agissait de montages, que les protagonistes avaient été payés par les photographes pour poser ainsi… Arturo Bermudez a promis publiquement, en conférence de presse, de « coffrer » l’auteur de ces photographies. Ce dernier a quitté l’état de Veracruz.


(1) Le nom de la journaliste a été modifié [NDLR]

(2) Palta o plomo (de l’argent ou du plomb) était une réplique habituelle de Pablo Escobar qui laissait ainsi un choix à ses interlocuteur [NDLR]

Les pirates Russes et les emails américains…

vendredi 16 décembre 2016 à 16:18

Même Barack Obama l’a donc dit à la radio : les pirates du Kremlin sont à l’origine du piratage de la convention démocrate et de conseillers de la candidate Hillary Clinton. Après la CIA, les agences variées de renseignement, la parole du président vient ajouter un poids important à l’accusation. Et pourtant… En matière de piratage informatique, il faut être excessivement prudent et ne pas attribuer n’importe quoi à n’importe qui, surtout s’il y a des éléments objectifs et très évidents. Explications…

Un bon exemple d’un faux drapeau en matière d’attaque informatique est celui de TV5 Monde. Initialement, tout le monde a pensé à une attaque du cyber califat, le site de la chaîne de télévision affichant un drapeau de type Daesh. Or il est bien plus probable que l’attaque soit venue de Russie, justement. Mais plaçons-nous dans le cas de l’exemple sus-visé.

Quels arguments peuvent bien avoir les services de renseignement américaines pour affirmer que le piratage de la convention démocrate et de conseillers de la candidate Hillary Clinton provient du Kremlin ?

On peut faire quelques suppositions:

Par principe, sur Internet, personne ne sait que vous êtes un pirate russe, chinois, nord-coréen, américain, français, ou martien. Personne ne sait que vous un chien, c’est dire si l’on nage en plein flou.

C’est dire également combien il est imprudent de désigner tel ou tel comme l’auteur d’un piratage. En outre, il n’est pas inutile de rappeler à Barack Obama que jusqu’à maintenant, le seul pays dont on ait des preuves irréfutables d’un piratage massif de toute la planète, n’est autre que les Etats-Unis. Cela n’a pas l’air de lui poser le moindre problème ni de déclencher indignation ou réforme profonde des services de renseignement de ce pays.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les services de renseignement américain ont tout intérêt à désigner un cyber attaquant de la taille d’un pays, mieux encore, de type Russe ou Chinois, donc puissant. Plus l’adversaire est puissant, plus les budgets qui seront alloués aux agences de renseignement seront importants.

La justice tunisienne en question : le cas de Ines Zarrouk

mercredi 14 décembre 2016 à 22:11

Ines Ben Othman est cinéaste. Mais elle est aussi la femme de Walid Zarrouk, agent pénitentiaire et président de l’association Muraqib, qui lutte contre la torture et les abus dans les prisons et les lieux de rétention. Visiblement ce genre d’activité n’est pas du goût des autorités tunisiennes. Walid a été limogé par le ministre de la Justice, Nourdine Bhiri, du parti Ennahdha.

Depuis 2011, il a été arrêté une dizaine de fois et emprisonné sept fois. En 2015, il a purgé une peine de trois mois pour avoir critiqué le procureur adjoint Sofiane Selliti.

Walid et Ines sont accusés par le pouvoir d’avoir mis en danger des personnes, contrevenant ainsi à la loi anti-terrorisme.

Walid Zarrouk purge actuellement et depuis le 1er août dernier, une peine d’un an et demi de prison pour diffamation lors d’une interview télévisée. Son crime ? Avoir dit que les procureurs étaient inefficaces puisqu’ils n’étaient pas capables de réunir des preuves tangibles dans les dossiers qu’ils montaient contre lui. Walid Zarrouk a fait appel mais pour l’instant, aucune date n’a été fixée.

Les déclarations de Walid Zarrouk à propos de la gestion par les autorités de l’attentat du Bardo ont probablement pesé lourdement dans la décision du gouvernement de le harceler, lui et sa femme. Walid Zarrouk avait en effet indiqué que la police avait eu vent d’un attentat imminent, dans les 24 heures, avant le carnage qui a fait 24 morts (dont 4 français) et 45 blessés. La suite a montré, pour ceux qui se sont intéressés à cet attentat, qu’il n’était probablement pas dans l’erreur.

Demain, jeudi 15 décembre, le dossier de Ines sera étudié par la chambre d’accusation. Cette dernière peut requalifier l’accusation et l’on passerait de la loi anti-terroriste au code pénal (diffamation), ou même, lever les charges retenues contre Ines.

Par ailleurs, Ines, qui devait se rendre en France ces derniers jours en a été empêchée.

 

Aménagement numérique, fibre optique : le dessous des cartes

vendredi 9 décembre 2016 à 13:34

[Le présent article a été en grande partie écrit en avril 2016 et légèrement retouché et actualisé en décembre] Publié originellement sur : http://blog.spyou.org « Mémo à l’usage de ceux qui veulent avancer »

Au Royaume-Uni, ça creuse entre membre d’une coopérative pour amener la fibre chez l’habitant. Et oui… https://b4rn.org.uk

Après quatre ans à fréquenter des élus et fonctionnaires de ma nouvelle campagne d’adoption, et plus généralement toute personne avec qui je me suis entretenu à propos de numérique ou, plus généralement, de politique, la phrase que j’ai dû entendre le plus, c’est « mais de toute façon, qu’est-ce qu’on peut bien y faire ? »

A propos d’un peu tout. De l’absence de connectivité fonctionnelle de façon satisfaisante dans nos campagnes, d’usage de trucs dans le cloud quitte à perdre toute notion de ce qu’est la vie privée voire intime, de dépenses de fonds publics totalement idiotes, etc.

Vous me voyez venir, je vais prendre mon cheval favori : le numérique, et je vais en parler pour ce qui concerne une zone que je commence à connaître un peu : l’Yonne.

« Mais qu’est-ce qu’on peut bien y faire ? »

Dans l’Yonne, il y a en gros deux grosses agglomérations, Sens et Auxerre, représentant quelque 120000 habitants sur 720 kilomètres carrés quand le département dans sa totalité en compte 342000 sur 7420 kilomètres carrés. On a donc, à la grosse, 35% de la population qui habite sur 10% du territoire.

Ces deux agglomérations ont bénéficié d’une « convention AMII ». Ça a l’air plutôt sympathique, « ami ». Même quand on commence à lire ce qu’en dit la presse, ça a l’air cool : « la fibre optique chez l’habitant tout payé par un opérateur sans une once d’argent public ». On fonce donc inévitablement dans le panneau, quand on est un élu, surtout quand on n’a pas lu les petites lignes et l’explication de texte.

Une petite ligne parmi d’autres

Cette convention AMII concerne les particuliers. Exit les entreprises, exit les hôpitaux, exit les choses qui, grosso modo, ont besoin de plus de débit que la moyenne. « Pas grave » va-t-on nous répondre, « ceux-là peuvent souscrire des offres entreprise ». Oui, 4000 euros de frais d’installation (quand on se débrouille TRÈS BIEN) et entre 600 et 3000 euros par mois en fonction du débit et des services voulus.

Oui, on croit rêver. On pose donc légitimement la question « mais pourquoi vais-je aller payer des milliers d’euros pour relier le local de mon entreprise à un débit suffisant alors que dans le quartier d’à côté, chez moi, j’ai la fibre pour 35 euros par mois avec deux ados qui doivent consommer 20 fois plus de données que ma secrétaire ? ». Et là, on s’accroche bien à son fauteuil : « parce que, Monsieur, C’EST PAS LA MÊME FIBRE ». Et vous savez le pire ? Ça passe. Ces empaffés ont réussi à faire croire que ce n’était pas la même fibre.

Eh ben si, en fait, c’est la même. Toute pareil que celle qui va aux domiciles du quartier résidentiel. A quelques détails près : la « fibre entreprise » n’est mutualisée qu’au niveau du NRO au lieu de l’être au PM (la belle affaire… Vous ne savez pas ce que sont un NRO ou un PM ? En gros, de grosses armoires dans lesquelles on branche plusieurs fils ensemble sur un autre fil. Des multiprises réseau, quoi), et elle bénéficie généralement d’une garantie de temps de rétablissement en cas de panne.

« Aaahhh ouiiii, donc c’est quand même vachement mieux que le FTTH chez moi, cette fibre entreprise ». Oui, si vous avez besoin d’une garantie de rétablissement en 4h et d’un tuyau dédié jusqu’au central téléphonique. Mais au fait, vous avez quoi aujourd’hui pour accéder à internet ? Ah, une livebox. Et la dernière fois qu’elle est tombée en panne, ça a pris quoi ? 2 semaines pour retrouver une connexion ? Ah, chiant .. Mais ça vous a empêché de bosser ? Non, ben non, vous vous êtes débrouillés avec le voisin ou des clés 3G. Et vous avez quoi comme débit ? 10 méga ? Et ça va ? Oui, ça met juste un peu de temps pour envoyer un mail avec des pièces jointes mais on s’y fait. Ben oui.

Donc en réalité, vous avez juste besoin d’une connexion plus performante, pas énormément plus performante, juste un peu, allez, soyons fous, 20Mbps symétriques… mais sinon, vous êtes content. Et vous n’allez sûrement pas investir l’équivalent d’un SMIC mensuel pour vous payer une fibre, non, vous êtes un brin plus intelligent, vous allez embaucher quelqu’un si vous avez des sous devant vous.

Explication de texte

Quand un opérateur comme Orange ou SFR signe une convention AMII, il fait donc croire à sa victime qu’il est son sauveur et qu’il va sur ses fonds propres (grand prince, en plus) déployer un réseau tout beau tout neuf que les électeurs ils vont être super contents. Promis, dans 5 ans, on a fini, et on s’arrangera pour avoir fait le plus gros dans les endroits à problèmes, comme ça, aux prochaines élections, vous aurez un bon argument pour être réélu.

Et puis une fois signé, il se passe quoi ? Ben il se passe que des agglomérations comme Sens et Auxerre sont déjà, à quelques exceptions notables près, plutôt pas trop mal servies et que l’investissement sur fonds propres promis par l’opérateur qui aménage le réseau FTTH ne concerne que l’horizontal (les fibres sous le trottoir) mais ni le vertical (dans les immeubles) ni le branchement des pavillons… qui sont à la charge de l’opérateur qui va vouloir relier son client, donc, in fine, du client. Prix de ce petit luxe qui consiste généralement à tirer quelques dizaines de mètres de fibre ? Entre 200 et 800 €.

Évidemment, les opérateurs sont malins, ils n’annoncent pas des frais de mise en service de ce genre là, non. Ils noient ce montant dans l’engagement.

« Bonjour, vous avez déjà de l’ADSL qui pédale pas trop mal, mais c’est hasbeen. Prenez la fibre, c’est QUE 45 € par mois avec un engagement 3 ans, vous pourrez regarder 12 chaînes HD en même temps ! ». Alors, je m’engage 3 ans avec un opérateur, je paie plus cher, mais en fait j’en ai pas besoin parce que j’ai que deux yeux et que j’ai beau essayer, je peux pas regarder deux trucs différents en même temps.

Et du coup, que dit l’opérateur à la collectivité avec qui il a signé la convention AMII ? « Euhh bon en fait on vend beaucoup moins que prévu, et comme on comptait un peu dessus pour financer le reste du déploiement, ben il va durer plus longtemps que prévu, mais vous pouvez rien y faire, c’est marqué dans le contrat, article 156 alinéa 16876″.

Tadaaaa.

Cerise sur le gâteau

L’opérateur qui a réussi à arracher une convention AMII aux grands pôles urbains l’a mis bien profond au département et à la région concernés. Eh oui, on dit qu’il a vitrifié la zone. Interdiction pour toute collectivité de venir investir un centime sur la chasse gardée de l’opérateur en matière d’aménagement numérique pendant la durée de la convention.

Du coup, il se passe quoi ? Il se passe que les zones les plus peuplées (qui sont moins chères à déployer, compte tenu de la densité de logements) sont exclues de la péréquation que pourrait effectuer un département pour créer un réseau d’initiative publique. Reste les zones moins densément peuplées qui coûtent plus cher à couvrir en fibre.

En résumé, la boite privée riche qui fait des bénéfices s’occupe de couvrir là où ça coûte pas cher mais ou personne n’en a besoin, et le secteur public déjà exsangue doit se démerder avec les zones qui coûtent cher mais ne le fait pas et les laisse moisir faute de moyen.

Bien joué, l’AMII.

Bon, du coup, on fait quoi, nous, collectivité petite ou grosse ?

On se demande comment faire pour régler le léger problème des campagnes avoisinant ces centres urbains qu’un gros opérateur a phagocyté, vu qu’on peut pas faire péter les conventions qui ont été signées.

On va se renseigner là où les gens ont l’air de savoir ce qu’ils font, chez les grands opérateurs. Une commune du coin a tenté de se démerder, téléphonant à quelques opérateurs nationaux, disant « coucou, on voudrait créer un réseau fibre sur notre commune, on paie, vous voulez bien venir y vendre vos offres. Ils se sont fait rire au nez sur le thème : « Mais vous êtes ridicules. C’est trop petit. On prendra même pas le train pour venir voir. Ça nous intéresse pas ».

Il s’agissait, pour que les choses soient claires, que la ville finance et construise un réseau pour que ces messieurs les opérateurs n’aient rien à investir et puissent débarquer avec leurs offres pour les vendre aux gens. Plutôt sympa, moi, je dirais.

Bon, du coup, on pose la question : « à partir de combien ça vous semble intéressant ? ». Là, on vérifie qu’on est bien assis, la ville a demandé : trop petit. La communauté de commune a demandé : trop petit. Le département a demandé : trop petit. Oui oui, ces gens là ne veulent discuter qu’avec un truc à l’échelle régionale.

Et comme ils ont embauché des lobbyistes doués, ils ont même réussi à faire gober à l’état qu’il était nécessaire de freiner toute velléité locale de construction de réseaux optiques en ne réservant les subventions état et Europe qu’aux projets d’envergure régionale. Il faut le savoir, aujourd’hui, une collectivité territoriale ne fait RIEN si il n’y a pas au moins un bout de subvention qui vient de plus haut. Alors qu’elles pourraient souvent faire quand même quelques trucs, mais c’est un autre débat.

Bon ben, du coup, on va rien faire hein. Enfin, rien de concret. On va voter un budget. Allez, 55 millions d’euros. Hop. L’Europe va en payer 12, l’état 18, le département 14 et on va aller siphonner les 11 millions restants dans les caisses de nos communautés de communes, elles referont leurs trottoirs ou leurs terrains de foot plus tard.

Bon. Et avec ces 55 millions on fait quoi ?

On a tout bien écouté Orange, ils nous on dit que la fibre c’était au moins 2000 € par foyer compte tenu de notre densité de population mais que eux avait une solution magique géniale qui coûte deux fois moins cher, et qui consiste à rapprocher la fibre de chez l’habitant. Pas l’y amener, hein, la rapprocher. Nom de code « Montée en débit », MeD ou PRM chez les initiés.

Bon, je la fais courte pour ceux qui ne connaissent pas le principe de la montée en débit : ça monte pas bien haut.

Si l’ADSL ne marche pas ou pas bien à certains endroit, c’est parce que les lignes de téléphones sont trop longues. Du coup, le principe de la PRM, c’est de remplacer un bout de ces lignes de téléphones par une fibre optique (qui souffre beaucoup moins de la baisse de qualité avec la distance) et, au bout, de planter un mini central téléphonique sur lequel on viendra raccrocher les lignes. Les lignes sont plus courtes, l’ADSL marche mieux. CQFD.

En plus, ça « prépare l’arrivée de la fibre ». Pensez donc, ils enterrent 6 paires de fibres pour relier un mini central téléphonique perdu dans la pampa sur lequel il y a quelques dizaines de lignes. Et ils veulent nous faire croire que 6 paires sont suffisantes pour proposer, plus tard, une offre FTTH digne de ce nom ? Raté, il faudra changer le câble en question, ne serait-ce que parce que l’ARCEP impose qu’il y ait une fibre par habitant qui arrive au point de mutualisation le plus proche, que celui-ci doit couvrir au moins 300 logements et que bon nombre d’opérations PRM actuellement en route portent sur des PM de moins de 90 lignes. Donc en fait, ça ne prépare rien du tout.

De toute façon, le gros du coût de déploiement de la fibre ne concerne pas cette longue distance effectuée entre le central d’origine et le nouveau petit, bien souvent faite en bordure de route facile à creuser, mais bien la mise en service jusqu’à l’abonné où il faut se torturer l’esprit pour ne pas trop ravager le devant de la maison pour y faire rentrer le nouveau câble.

Mais s’il n’y avait que ça, on s’en contenterait. Là où il y a un hic, c’est que cette fameuse offre PRM est :

Pendant ce temps, vous continuez à payer directement ou indirectement l’entretien du réseau téléphonique (qui n’est plus assuré qu’en cas d’extrême urgence) sur vos factures mensuelles, et vous allez donc, en plus, payer, via vos impôts, le fait de pouvoir continuer encore longtemps à financer cet entretien inexistant. Heureusement que plus de la moitié sont payés par l’Europe et l’état, hein, on se sent moins seuls.

Bon, ça, c’est fait, un petit cadeau de 22 millions d’argent public à une boite qui caracole en tête des plus gros bénéfices à la bourse de Paris. Admettons. La consolation c’est que c’est encore l’état qui capte 13% de ces dividendes. On n’a pas tout perdu.

Bon, et les 33 millions qui restent, on en fait quoi ?

On va quand même faire un peu de fibre, hein. Bon, on le fait où ? Bon, ce bled là, celui là et celui là y sont de gauche, je les aime pas, donc pas chez eux. Là bas, c’est trop paumé et Orange a dit que ça coûterait trop cher, donc on n’ira pas. Bon, ben on va déployer dans les villes les plus peuplées en dehors des deux zones AMII et uniquement si elles sont du même bord politique que nous. Allez, c’est ficelé, on y va.

Au fait, on fait comment la fibre ? Tu sais, toi, René ? Non. Francis non plus ? Bon… on va attendre que la région se bouge le fion pour nous pondre un truc, tout seuls on n’y arrivera pas.

Attends, on va quand même sortir un appel à projet pour les zones industrielles histoire de faire croire qu’on se préoccupe de nos entreprises. Non, t’inquiète, s’il y en a qui répondent on fera comme d’habitude : les morts. Avec un peu de bol Orange ouvrira des offres fibre entreprise sur ces zones et on pourra valablement retirer l’appel à projet avant que ça râle trop fort en disant « ah ben non, à Bruxelles ils ont dit que quand le privé couvre, nous on n’a plus le droit ».

3 ans plus tard, la région, toute contente de se marier avec la Franche-Comté, parvient à monter une Société Publique Locale pour piloter les déploiements FTTH. Bon, en vrai, elle va aussi édicter les règles d’ingénierie et choisir un délégataire privé qui sera chargé de se mettre dans la poche les 33 millions de l’Yonne (et les millions des autres départements) pour construire un beau réseau FTTH sur lequel ces messieurs « opérateurs d’envergure nationale » viendront vous vendre leurs offres.

« Gérer ça en propre ? Mais vous n’y pensez pas Geneviève, Orange a dit que c’était compliqué, la fibre. Déjà qu’on n’est plus foutus de gérer nous-mêmes les réseaux d’eau potable… »

Petite consolation tout de même, les opérateurs qui vont venir vendre leur service payeront (en principe) une dîme mensuelle pour chaque ligne qui reviendra dans les caisses des départements. C’est donc un investissement, contrairement à la montée en débit PRM qui est une subvention à fonds perdus.

Espérons juste qu’au détour de l’appel à délégation de service public qui sera passé, les deux ou trois candidats « sérieux » qui se présenteront n’imposeront pas de clauses bien tordues (du genre « pour pouvoir jouer sur le réseau il faut le cofinancer à hauteur de 25% ») leur permettant de s’arroger à eux seul le droit d’exploiter le réseau public. L’avenir nous le dira.

Bon, eh, Spyou, t’es sympa avec ton roman fleuve, mais tu nous as toujours pas dit ce qu’on pouvait faire, là.

C’est pas faux. Mais il fallait quand même bien que je vous brosse le tableau avant de le barbouiller avec ma gouache.

Deux ou trois autres détails, que vous ayez bien l’image en tête.

Déployer un réseau fibre, c’est de la plomberie. Tout pareil que de l’eau ou n’importe quel autre réseau déjà existant : il faut enterrer des tuyaux ou planter des poteaux pour ensuite y mettre des câbles dans lesquels il y a de la fibre.

Petit point financier

Un mètre de fibre, c’est entre une poignée de centime et 2 euro en fonction de la quantité achetée et du nombre de fibres dans la gaine. Un mètre de fourreau pour mettre la fibre, c’est du même acabit. Un poteau, c’est quelque chose entre 50 et 100 euros. Un mètre de tranchée pour enterrer un fourreau, c’est entre 10 euros (dans un champ) et 3 ou 400 euros (en ville où il faut faire attention aux autres réseaux, reconstruire le marbre plaqué or du trottoir, etc.).
Bilan de ce point financier : la fibre, ça coûte rien. Ce qui coûte, c’est de faire des trous. Ça fait déjà un bon moment que toutes les collectivités le savent : quand on fait un trou quelque part, on en profite, on met des fourreaux vides en trop dedans, ça évitera d’avoir à creuser à nouveau, et dans le pire des cas, on aura perdu quelques centimes, c’est pas bien grave. Alors qu’on m’explique pourquoi, pas plus tard que l’année dernière dans l’Yonne, plus de 80km de tranchées ont été réalisées (pour celles dont j’ai eu connaissance), dont certaines assez longues, sans qu’aucun fourreau vide n’ait jamais été posé.

Florilège :

« On savait pas comment faire donc on n’a rien fait »
« Ça traversait plusieurs communes et il y en avait dans le tas qui ne voulaient pas payer plus cher que le strict nécessaire donc on n’a rien fait »
« C’est une intervention faite par un gestionnaire de réseau privé, si on voulait mettre des fourreaux vides, on aurait dû cofinancer les travaux donc on n’a rien fait »
« Quand on pose un type de réseau, on fait appel à une entreprise spécialisée dans ce type de réseau. Si on lui demande de poser un autre type en même temps, elle fait n’importe quoi et c’est la merde intersidérale donc on n’a rien fait »

Et vous demandez encore ce que vous pouvez faire ? J’ai d’autres idées, si profiter des trous qui sont faits pour préparer l’avenir n’est pas à votre portée.

Vous avez l’immense chance (des communes d’autres départements tueraient pour l’avoir) de bénéficier de l’implantation, sur votre territoire, d’une initiative locale, portée bénévolement par des gens motivés, qui ont les compétences, le temps et l’envie de faire quelque chose. Ils ont, pour arriver à leurs fins, créé une structure éminemment démocratique et totalement transparente, tant financièrement que techniquement. Pourquoi persister à ne pas les considérer, sans même parler de les soutenir, hein ? Ils sont mal fringués et leurs principes ont l’air vaguement communistes… OK… J’ai d’autres idées, si soutenir les initiatives locales n’est pas de votre goût.

Une idée plus administrative, tiens. Se grouper pour faire pression. Il existe des tas d’organisations regroupant de petites communes rurales. Il serait peut être temps d’envoyer promener le diktat privé imposé par Bruxelles et faire pression sur notre état pour qu’il oblige ceux qui en ont les moyens d’assurer l’investissement nécessaire à la sortie du tiers monde numérique de nos territoires. Pas en suggérant une nouvelle taxe qui retombe systématiquement sur le nez des clients comme l’a proposé un de nos députés locaux, mais en réévaluant par exemple la notion de service universel pour y inclure l’accès à internet avec un débit minimal valable. Non ? Si faire bosser vos équipes sur un nouveau genre de projet qui a l’air un peu révolutionnaire ça vous colle la frousse, j’ai encore une pochette surprise dans ma besace.

Pourquoi ne pas suivre les buts que vous vous êtes fixés quand vous avez demandé à un cabinet de conseil d’écrire le schéma directeur d’aménagement numérique à votre place ? Ils n’y ont pas mis QUE des âneries hein. Loin de là. Il y a même une idée toute bête et qui, pourtant, n’a toujours pas été mise en œuvre, bien qu’elle soit un des prérequis avant de pouvoir éventuellement penser à faire de la fibre : recenser le génie civil disponible. Mettre des outils de cartographie à disposition de toutes les structures administratives, et pourquoi pas de l’ensemble de la population pour aller plus vite ? Maintenant, si même faire ce que vous aviez dit que vous feriez n’est pas possible… Je ne vois qu’une solution, continuez à chercher des papiers et des chèques à signer en espérant que les choses se feront toutes seules.

En parlant de chèques… Chaque année, les opérateurs paient une Redevance d’Occupation du Domaine Public (RODP) aux collectivités dont ils occupent tout ou partie de l’espace public, en souterrain ou en aérien. Vous êtes-vous un jour demandé d’où sortait le montant en bas de la feuille ? Je serais vous, je creuserais le sujet. Sachez que si vous trouvez une bourde dans le calcul, vous pouvez demander le complément de façon rétroactive sur 5 ans. Allez, je vous aide, c’est Orange qui vous donne le chiffre, et en dehors d’aller recenser le réseau physiquement dans votre commune, vous n’avez aucun moyen de vérifier sa validité. Action.

Moi, je vais continuer chaque semaine à connecter 2 à 10 personnes au réseau de SCANI, ça va être long, on sera toujours une bande de gnioufs bizarres qui font pas du vrai internet, mais à la fin, quand on comptera les points, nous, on saura ce qu’on aura fait pour le département.

Je m’énerve pas, Madeleine, j’explique.

Le truc qu’on fait chez SCANI est assez simple à comprendre. On prend de l’internet où il marche et on l’emmène là où il ne marche pas. On ne pirate pas un opérateur quelconque, nous SOMMES opérateur. N’en déplaise à certains, « être opérateur », ça se résume à cocher quelques cases sur le formulaire du site de l’ARCEP et de cliquer sur « envoyer ».

Comme on a avec nous quelques personnes du métier qui sont tombés dedans quand ils étaient petits, on arrive à obtenir les meilleurs prix pour les services qui sont utiles et on sait faire tomber en marche ces objets bizarres portants des noms qui font peur : « routeur, switch, lns, serveur dns… »

Et ensuite, on y va petit à petit. Pas de grande folie, pas de couverture totale de tel village, pas d’investissements colossaux. Non, on a commencé avec Pclight par un investissement en matériel de 500 € et un coût mensuel récurrent à payer de 60 €. C’était début 2013, moment où les premiers adhérents ont été reliés à des connexions proposant un débit descendant de 12Mbps et un débit montant de 1Mbps. Du simple ADSL, en fait.

Le schéma technique est compréhensible par n’importe qui : une ligne ADSL, un bête câble réseau, une antenne wifi au bout, accrochée à la cheminée, la même en face plus loin, et un ordinateur au bout du câble.

C’est ce qu’on fait depuis 4 ans : mettre des antennes wifi en face les unes des autres pour amener des connexions internet dans la campagne.

Avec un travail 100% bénévole, en dehors des prestations dangereuses réalisées par des antennistes professionnels, on en est rendus à 370 connexions finales actives et un peu plus de 700 antennes installées. Du coup, le budget de 60 € par mois a un peu grossi, le récurrent mensuel qui rentre, une fois la TVA déduite, est d’environ 8000 € qui permettent aujourd’hui de financer :

Le modèle économique est idéal : plus il y a de personnes reliées, plus le budget mensuel augmente, plus on peut augmenter les débits disponibles en en faisant profiter tout le monde. Certains bénéficient aujourd’hui d’un débit de 60 méga, toujours pour 30 € TTC par mois.

L’objectif à court terme est de commencer à creuser nous mêmes ces fichus trous pour y mettre de la fibre optique. Même si certains douteront toujours, l’union fait la force, et nos agriculteurs ont tout le matériel nécessaire pour faire des trous. Avec ce principe de fonctionnement, une coopérative anglaise arrive à un investissement tout compris (fibre, génie civil, matériel actif, déploiement chez les gens, connectivité vers internet) de 1200 € par habitation connectée avec un débit disponible de 1000 Mbps pour chacun.

Concernant le travail déjà réalisé avec le wifi sur notre réseau, il n’est pas condamné, puisque la fibre viendra en remplacement des liens wifi les plus chargés pour les rendre plus fiables et performants et que les antennes pourront être réinstallées pour étendre encore le réseau plus loin, voir, pourquoi pas, les céder à d’autres initiatives ailleurs. A plus long terme, il s’agit de créer des emplois qualifiés et non délocalisables autour d’un projet économique, social et solidaire.

La totalité des données financières sont accessibles en temps réel aux adhérents, tous les outils et méthodes de travail sont publics et l’ensemble des actions menées sont ouvertes à qui veut bien se donner la peine de venir à notre rencontre.

En bref, soutenir nos actions présente un risque : celui qu’on aille plus vite, plus fort et plus loin. C’est promis, on ne se moquera pas de celles et ceux qui pourraient venir en nous disant « bon, ok, au temps pour moi, c’est un vrai projet que vous avez, comment on avance ensemble maintenant ? ».

Eh, t’es bien mignon avec ton association de Trotskystes là… on peut pas baser la stratégie numérique d’un département là dessus.

C’est assez délirant comme idée, je le reconnais.

D’ailleurs, une petite ligne sur les associations en question. Depuis fin 2012, Pclight sonnait tantôt comme une douce musique (aux oreilles de certains, délaissés des sphères numériques, qui voient là une bonne opportunité de s’en sortir), tantôt comme une rengaine plutôt enquiquinante (pour d’autres, habitués à des fonctionnements plus institutionnels). C’était un brin voulu. En plus de faire du réseau, on est également une belle bande d’agitateurs qui aimons coller de grands coups de pieds dans la fourmilière. Pas super sympa, mais nécessaire.

Certains ont pu se demander ce qui se passait avec cette histoire de Pclight & SCANI. Sans rentrer trop dans les détails, des divergences de point de vue concernant entre autre la gouvernance et la taille des projets a mené à une séparation en deux structures. Ça a probablement été fort mal géré, mais passons, le temps a fait son œuvre et les deux structures envisagent à présent des actions communes.

L’idée n’est pas d’avoir à faire un choix entre blanc ou noir, entre conservateur et 68’tards, entre bien et mal, entre capitaliste et communiste, entre gros ou petits mais bien de saisir les opportunités pertinentes au moment où elles se présentent avec un seul et unique objectif : le bien commun.

C’est ronflant comme objectif, même un poil arrogant, OK. Mais c’est comme ça, faudra vivre avec. Et si on arrive à bosser en bonne intelligence avec le reste des opérateurs, les élus, les autres associations, les habitants, les coopératives, les entreprises, la région, l’état, etc. qui sait où on ira ?

Super, tu m’as convaincu. Je suis élu, je fais quoi ?

Bon, déjà, tu retournes en haut de la page et tu vas lire une seconde fois.

Ensuite, SCANI est une coopérative. Pour un élu, ça veut donc dire deux choses :

Au boulot maintenant !

@turblog @scani89