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Do you speak lacrymo?

jeudi 12 mai 2016 à 20:03

Bon, j’ai entendu le passage du 49-3 en direct, comme on écouterait un match de foot, en croyant jusqu’au bout qu’il se passerait quelque chose, genre la station Mir qui tombe juste devant l’Assemblé Nationale. L’annonce du report des votes, déjà, ça laissait peu d’espoir, et le suspens n’a pas été long. Passage en force.

Gros bazar devant l’assemblé, le pont est bloqué, grosse pluie. Grosse flemme, je rentre, et je rate la fête de la lacrymo et de la grenade à broyer les couilles.

Nuage de lacrymo et parapluies

Nuage de lacrymo et parapluies

Donc, manif officielle ce jeudi, jour de vote de la motion de censure. Les frondeurs se sont humiliés à deux voix près, il n’y a aucune chance pour celle posée par l’UDI et LR.

Le trajet de la manif est atypique. Denfert – Assemblée. Dans le quartier des cols marguerite et jupes plissées.

Bon, yet another manif, on retrouve les mêmes pancartes, banderoles et groupes. Par contre, la foule est très mélangée, que ce soit les tranches d’âges ou la répartition hommes/femmes. Le casque est très tendance, avec du scotch dessus, pour désigner les journalistes ou les médics, ou sans rien.
Une proportion étonnante de masques divers, pour respirer. Du masque à poussières au masque à gaz en passant par l’écharpe de supporteur ou le keffieh. Et les masques, c’est pour tout le monde, on a dépassé le stade du distinguo entre le vilain casseur et de la mémé militante : masques pour tout le monde. La lunette de piscine reste un classique, tout comme le masque de ski, plus impressionnant.

Un rigolo distribue des bouts de PQ et met du citron dessus. Quelle idée saugrenue. Ah tiens, un gros nuage blanc, alors que je suie en milieu de manif, coté syndicat, et donc du coté des gentils comme l’a bien précisé la Préfécture de Police. Ah oui, ça pue, ça pique, ça pleure, ça tousse. Pas si saugrenue que ça son idée.

Les trajets innovants sont toujours stressants. On ne connait pas forcément les voies de sorties, ni même si on est proche de la destination ou pas. Des toutes façons, au bout d’un moment, il n’y a plus de voies d’échappatoires, les rues adjacentes sont bloquées avec des murs de plexis maintenus par une espèce de parapluie géant, installé au cul d’un camion bleu marine. On a passé le stade du mur de CRS avec qui les petits vieux ou les poussettes peuvent négocier, là, on a un mur, grillage + plexi, comme au zoo. On ne négocie pas avec un mur.

Ça commence à bouchonner devant l’église Saint-François-Xavier. La fin du trajet est proche, le camion de la CGT, à ma hauteur, annonce qu’ils vont plier le gros champignon, et annoncer la dispersion. La place est super pleine, je ne sais où je suis, ni ce qu’il se passe. Situation des plus classiques. Oh, un envoie de grenade lacrymo, en cloche. La fascination de ces tirs sur les manifestants est comparable aux feux d’artifice sur les zombies de Romero. Sauf que là, c’est en odorama, et ça pique très fort. La place était tranquille, remplie, mais sans tension, sans bruits, et pouf, en welcome bonus, les lacrymos.

C’est gentil de demander la dispersion sur une place avec les issues verrouillées. Bon, le boulevard tourne et revient en arrière, et on débouche devant l’église, faisant juste une petite boucle. Voilà, nassé, avec le reste de la manifestation, bien dense, qui arrive.

Il est juste 16h, autant attendre un peu l’heure du vote, au moins. Glandouillage sur le téléphone. Ah tiens, il y a deux réseaux HSBC. La banque est à l’autre coin de la place, et elle a été repérée. C’est écrit « Panama papers », en gros, dessus, à la bombe, en rappel à ceux qui ne suivent pas l’actualité. Bon, ça commence à se remplir, l’énervement à monter. Ah tiens, une volée de bouteilles et autres projectiles en direction de la banque. OK, j’ai fait mon quota et je n’aime pas les tonfas, je prends la seule voie ouverte, avec juste quelques gardes mobiles trop espacés pour bloquer quoi que ce soit.

C’est normal, ils bloquent un peu plus bas. Donc, ils dispersent la manif à la lacrymo, ET ils bloquent les voies de sorties. Ils doivent compter sur l’évaporation, ou un truc comme ça. Mais c’est mal fichu, ils sont suffisamment nombreux pour empêcher de passer, mais trop peu pour nous empêcher d’insister. Ils ont surtout compris que leur position n’est pas légitime, pour ne pas dire absurde. La foule se densifie, et n’est pas impressionné par les playmobils, paf, un passage s’ouvre, une vague de manifestant peuvent passer.
Ils n’ont rien trouvé de mieux que de filtrer, et donc de refermer derrière la première vague. Sauf que les gens qui sont passés ne rentrent pas gentiment voir les images du 20h dans leur maison, ils restent juste derrière. Les CRS se retrouvent, trop peu nombreux, avec des gens devant et derrière. C’est une très bête idée, il faut le reconnaitre.

Ça commence à chanter « Laisser les passer » et à taper des mains. Une foule qui agit en cadence, ça change tout de suite l’ambiance. Des syndicalistes passent un peu en force, avec leur camionnette. Un CRS est vexé, il sort son baygon vert, enfin, son gros spray pour en arroser un, un bon coup de 49-3 dans la gueule. Sauf que la cible, c’est une ménagère de plus de 50 ans, pas un dangereux zadistes, classique punching-ball. Ses collègues syndicalistes en gilet orange lui rincent le visage à grande eau, à la bouteille, pendant que les gens filment la scène au téléphone. Voilà, pour l’exemple, une femme, âgée. La pédagogie du CRS.

Bon, ça vire au vinaigre, j’ai eu ma dose. Dans le métro, des annonces de stations métros bloqués, de part et d’autre de l’assemblé nationale, il y a donc eu du monde, malgré la fatigue, le temps de merde et le passage en force de la loi.

Par contre, la fable du gentil manifestant encadré par les syndicalistes responsables, et les vilains casseurs qui cassent une si belle ambiance, ça va être dur à vendre.

Néolibéralisme et post-colonialisme sont dans un bateau, et #NuitDebout tombe à l’eau… ou pas ?

dimanche 8 mai 2016 à 08:36

Vouloir envisager les blocages d’un pays comme la France en contester les politiques, se positionner comme défenseurs d’une alternative de société, tout en faisant l’économie d’une synthèse politique globale… est un peu casse-gueule, voire suicidaire. Le mouvement Nuit Debout se cherche, creuse des pistes de réflexion, tente de mener une analyse de fond sur les problèmes graves qui touchent la société française, mais se refuse pourtant à faire émerger un mot d’ordre clair, à établir une vision politique permettant un ralliement plus massif de toutes les couches de la populations pouvant adhérer à la pensée du mouvement.

Le refus de la hiérarchie — parfaitement compréhensible et souhaitable  au sein du mouvement — mène pourtant, jusqu’alors, à une impossibilité de hiérarchiser les idées. Si tout se vaut, si chaque parole est équivalente, que rien ne doit émerger plus qu’autre chose, le résultat des commissions de Nuit Debout est plus proche de la soupe mixée, ou chaque ingrédient s’est tellement bien mélangé que l’on ne peut plus savoir de quoi la soupe est constituée. Est-il possible de faire avancer — et faire croitre — un mouvement horizontal, non-hiérarchique et potentiellement apolitique — pourtant demandeur de changements — en refusant de proposer une feuille de route politique, un projet rassembleur ?

Que dénonce Nuit Debout ?

Créé à la suite des mouvements sociaux contre le projet de la Loi Travail, les citoyens participant à Nuit Debout sont unanimes pour dénoncer l’écrasement potentiel ou vécu des salariés par [de nombreuses] entreprises, la toute puissance du capitalisme financier et la collaboration active de la classe politique pour renforcer ces phénomènes. De façon plus claire, plus intelligible, Nuit Debout dénonce la main mise du néolibéralisme sur la société. Le néolibéralisme n’est pas une invention sémantique tordue — n’en déplaise aux défenseur d’un libéralisme politique humaniste et émancipateur — mais un constat basé sur des politiques économiques et sociales.

Le néolibéralisme ne veut pas réduire le pouvoir de l’Etat pour libérer les citoyens de son joug. Le néolibéralisme est piloté par des Etats, des superpuissances, et sa seule ambition — déjà partiellement accomplie — est  de transformer toute chose en marchandise. Les hommes et les femmes comme la culture, les relations, la santé, l’éducation ou encore, les biens communs.

Cette idéologie qui ne se nomme pas elle-même, est en action de façon constante depuis 25 ans grâce à la création ou l’augmentation des capacités d’action d’institutions internationales tels le FMI, l’OMC, la Banque mondiale, aidé par la Commission de Bruxelles, d’accords commerciaux transnationaux (TISA, ELENA, Traité transpacifique), de la BCE,  de la FED, de toutes ces structures qui travaillent en permanence à donner le maximum de pouvoir aux firmes géantes transnationales, et par ricochet au système financier mondial. La volonté commune et avérée de ces organisations et entreprises géantes, vérifiée par les faits, est l’abolition de tous les droits récemment mis en place puisqu’ils limitent l’expansion des dites firmes : droits sociaux, environnementaux, de douanes, de santé, de protection des biens publics, etc.

Ce simple constat, qui n’a pas de frontière politique, partagé par des électeurs de droite comme de gauche — mais nié par la majorité des élites politiques de droite comme de gauche puisqu’elles-mêmes achetées par les bénéficiaires du néolibéralisme — est le cœur du problème dénoncé par Nuit Debout. La situation économique, sociale, politique française (et au fond désormais de quasiment toutes les sociétés de la planète) est entièrement dépendante de l’invasion du néolibéralisme dans toutes les strates du fonctionnement du pays, invasion effectuée par étapes successives depuis bientôt 3 décennies. Avec en tâche de fond, un post-colonialisme qui ne s’éteint pas. Ce sont ces deux phénomènes que Nuit Debout dénonce, sans les nommer clairement : Néolibéralisme et post-colonialisme.

De la hiérarchie… des idées

Refuser toute idéologie signifie en réalité refuser toute idée du monde. Idéologie ne veut pas dire adhésion à une idéologie politique établie. Et pour autant, affirmer une idéologie est indispensable pour n’importe quel mouvement social. Il est d’ailleurs possible de créer une idéologie. Etre anti-capitaliste n’est pas la même chose qu’être opposé au néolibéralisme. Ne pas faire la nuance entre les deux est une faute d’appréciation qui oriente et amalgame deux phénomènes — qui bien que liés — ne sont pas similaires. Vouloir une société française sans capitalisme est amusant et intellectuellement — pourquoi pas — très valorisant, mais totalement absurde et improductif du point de vue politique et économique. Aucun groupe — même important — voulant une sortie du capitalisme ne peut y parvenir et n’y est parvenu, pour la simple et bonne raison qu’aucune condition ni proposition alternative crédible n’existent, et que la société française est tout sauf en vase clos.

La sortie du capitalisme ne pourrait se faire que de façon mondiale, sous l’impulsion impérieuse et très certainement contrainte des puissances capitalistes elles-mêmes, puissances qui seraient alors très certainement en train de s’écrouler. Le néolibéralisme, par contre, lui, peut tout à fait être démoli, mis à l’index, écarté, démonté — chacun peut choisir le terme qu’il souhaite — afin d’orienter le « système capitaliste » vers autre chose. Les sociétés humaines ne pourront que s’en porter mieux, malgré le désarroi d’une poignée d’actionnaires milliardaires. Un capitalisme social, à visage humain, coopératif est-il possible ? Très certainement. Faut-il encore l’admettre.

Pourquoi Nuit Debout ne revendique-t-il pas de façon centrale son opposition au néolibéralisme ? Avec des propositions politiques claires pour étayer cette première brique idéologique : les contrôles fiscaux des multinationales généralisés, une harmonisation européenne du droit du travail vers le haut, une charte européenne des « droits incontournables » (environnement, santé, éducation, etc), des tribunaux spéciaux pour les « entreprises voyous » avec protection totale des lanceurs d’alerte, le contrôle des banques et des lois bancaires de séparation des activité de dépôt et d’affaires, l’interdiction pure et simple des sociétés offshore et des transactions avec les paradis fiscaux… Cette liste n’est en aucune manière exhaustive, mais ceux qui discutent, écoutent, échangent, sur les places françaises devraient facilement pouvoir sortir des propositions politiques réalistes et applicables de ce type ?

Dire tout haut ce qui ronge la société

Le post-colonialisme est un deuxième enjeu idéologique qui semble majeur dans le mouvement Nuit Debout. Parce qu’il est entièrement lié à la progression et la justification du néolibéralisme. Ce phénomène est à la fois politique, économique et social. Le principe du post-colonialisme est simple : laisser les pays impérialistes ex-détenteurs de colonies continuer à gérer les pays décolonisés — ainsi que les personnes immigrées issus des ex-colonies — sur un registre équivalent à la période coloniale. En moins visible au sein des pays impérialistes, de façon parfaitement assumée dans les ex-colonies, via les firmes internationales et leur cortège de corruption et d’asservissements des travailleurs pauvres.

La fin de la Françafrique, annoncée par Sarkozy, puis Hollande est encore un vieux pieux, une promesse politique non tenue. La société égalitaire tant vantée par les défenseurs de la République « une et indivisible » continue d’entretenir les discriminations quotidiennes les plus criantes. Tant que l’indigène ou l’enfant d’indigène resteront des « citoyens inférieurs », sur qui tous les soupçons peuvent peser — puisque aucune loi n’interdit les discriminations sur les contrôles d’identité, n’empêche les recrutements sur critères ethniques ou géographiques, ou le refus de logement basées sur l’origine — la société française continuera de s’éteindre lentement dans l’entre soi. L’innovation, politique, économique, sociale, quelle qu’elle soit ne peut survenir que si tous les acteurs d’une société sont incités à participer. Ecarter des millions de personnes par la discrimination empêche le dynamisme, crée des tensions, épuise les personnes concernées et divise la population.

Recréer du lien social passe par l’abolition de tous les post-colonialismes encore en activité, qu’ils soient internes à la France ou exportés à l’étranger. Un projet humaniste, progressiste, moderne ne peut faire l’économie de traiter ces phénomènes. Parler de ce problème et convaincre les foules est certainement moins évident, mais après tout, en quoi la dénonciation du post-colonialisme et de ses effets dévastateurs serait-il réservé à un bord politique ? Le camp d’été réservé aux « non-blancs » qui s’annonce (et donc interdit aux « blancs ») organisé par un groupe d’activistes de Nuit Debout est une réponse fortement décalée et inquiétante face à ce sujet. Il n’est pas certain qu’en réalisant de telles opérations ségrégatives, ceux qui dénoncent le post-colonialisme remportent l’adhésion du plus grand nombre.… De la même manière, les réunions non-mixtes sont le meilleur moyen de fermer toute action collective positive et rassembleuse.

Nuit Debout pourrait transformer l’essai… ou pas

Ce n’est peut-être pas aux gens qui squattent les places de créer une structure « force de proposition ». Mais ceux qui la créeraient pourraient en tout cas indiquer qu’ils sont inspirés par Nuit Debout. Un collectif politique, oui, avec des gens, dont des « jeunes », issus de tous les milieux, inconnus des médias, comme de nombreux intervenants de Nuit Debout : travailleurs sociaux, économistes, ouvriers, intermittents, salariés, sans-emploi, entrepreneurs, universitaires…

Le principe ? Etablir une proposition « d’alternative politique réaliste », ce qui est appelé en général un « programme ». Nuit Debout continuerait son expérience par les discussions, pendant que le parti  (ouh, un gros mot, mais Madame Michu, elle, elle a besoin de comprendre, et un parti politique, elle comprend…) de  la« Politique debout » ( oui, le PD, ça claque) irait lui, au casse-pipe médiatique… puis électoral. Si le système le lui permet (parrainage, temps de parole, etc) ? Pas besoin de se positionner sur l’échiquier politique, puisque de toute manière, en 2016, plus personne n’est en mesure de savoir qui est à gauche ou à droite. Ce qui n’a d’ailleurs plus aucun intérêt.

Certains croient que cette option politique ne « peut jamais rien changer », que « c’est mal », sauf qu’en France, ça n’a jamais été tenté. Et que toutes les autres solutions faites de mouvements militants, quels qu’ils soient, n’ont jamais produit aucun changement significatif. Comme disait Coluche : »Le système, pour l’enculer, faut rentrer dedans ». Rester à côté du système, en mode tailleur et secouage de mains, c’est marrant un moment, mais ça peut quand même vite retomber dans les oubliettes de l’histoire. Et surtout finir par convaincre les foules, que Nuit Debout, c’est « rien que des beatniks qui foutent rien et passent leur temps à discutailler ».

Il est donc possible d’instiguer cette mutation des idées depuis Nuit Debout vers la politique, en douceur, aidé par plein de gens bienveillants de tous bords (la confédération paysanne est venu à Nuit Debout, comme Edgar Morin, voir vidéo ci-dessous) — qui pourraient très bien comprendre et soutenir le sens de la chose — ou bien, continuer de refuser de « jouer le jeu politique ». Avec un risque très élevé, dans ce dernier cas, de se retrouver à genoux, les pantalons baissés et quelques représentants de la force publique derrière soi. Pas bienveillants du tout. Le tout orchestré d’une main de maître par qui l’on sait.

Mode gonzo on : C’est un choix à faire, ou pas.  C’est en tout cas, [pour moi], un passage incontournable pour empêcher l’extinction du mouvement et de ses idées. J’en ai la conviction, conviction qui peut, il va sans dire, ne pas être partagée par tous (spéciale dédicace à Benjamin B), mais que je partage avec moi-même. Mode Gonzo off

Sachant qu’Edgard Morin pense lui, qu’il « ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, et commencer par se reconnaître, se rassembler, pour que le mouvement établisse une charte, afin de devenir un lobby (…) Il faut avoir une finalité électorale, mais simplement municipale par exemple » dit le sociologie-philosophe, qui ne refuse pas qu’il y ait un candidat à la présidentielle mais « de manière symbolique « . En gros, pour Morin, il faut continuer à penser, sans rentrer dans « des formules électorales ».

La problématique du néolibéralisme et de la manipulation des masses, ce « néototalitarisme », est pointé du doigt par le deuxième philosophe, Vincent Cespedes qui explique qu’il y a une nécessité à changer la donne politiquement, une fois la « conscientisation » des gens effective.

Bref, alors que #GlobalDebout arrive, le 15 mai, Nuit Debout, même s’il est malmené par les médias (à la solde de la classe politique ?) qui n’arrêtent pas depuis deux jours d’annoncer que les « Français ne soutiennent plus Nuit Debout, qu’à 49% (sic) », peut devenir une force qui compte.

Si une convergence, pas seulement des luttes, mais des idées, des aspirations, se crée, avec un ensemble plus large, international ? Et qu’une offre politique, peut-être pas sous forme  dans un premier temps  de parti politique, survient ? Pour permettre à des millions de personnes — qui veulent une autre société et détestent le « néototalitarisme » en marche — de se raccorde au mouvement. Et peser. Pour faire changer la donne ?

Pourquoi pas ?

Le détournement d’attention comme méthode politique

mercredi 4 mai 2016 à 18:55

ghosn-renaultC’est une technique pratiquée dans les arts martiaux depuis la nuit des temps : le détournement d’attention. Un mouvement détourne l’attention de l’adversaire qui est alors frappé à un autre endroit. L’attaquant peut espérer terminer ainsi le combat. Il existe des variantes plus ou moins élaborées, mais la plus courante est celle de l’attaque dans l’attaque. Le cerveau est bien fait. S’il peut parer une attaque, il a plus de mal pour en arrêter deux simultanées. Trois, cela devient impossible. Il semble bien que nos politiques aient appris des arts de combat et qu’ils usent à outrance du détournement d’attention. Nicolas Sarkozy en avait un art subtil. Il avait choisi la méthode du deux pas en avant, un pas en arrière (si vous savez compter, vous avez compris qu’il a avancé d’un pas en mimant une retraite) tout en lançant une nouvelle attaque, généralement un incongruité plus grosse que la précédente, ce qui masquait le pas en avant réalisé. François Hollande et Manuel Valls ne sont pas en reste.

Alors que les journaux relatent chaque jour un peu plus les brutalités policières contre les manifestants opposés à la Loi El Khomri, vient de surgir un nouveau « sujet » qui tourne en boucle et déclenche une pluie d’avis d’experts plus ou moins sérieux. C’est le salaire de Carlos Ghosn. Sujet de Une du la newsletter éco du Monde.fr.

Tu vas voir ma loi !

Et si la couverture du sujet faiblit, pas de souci, une déclaration martiale d’un ministre suffit à la relancer. Aussitôt pensé, aussitôt fait avec Emmanuel Macron, chantre de la justice sociale, qui menace les grands patrons de légiférer s’ils ne savent pas modérer leurs ardeurs à s’augmenter et se payer des sommes faramineuses. Fouyouyouille… La trouille des grands patrons… L’intérêt des rédactions ! Le fera-t-il ? Que se passera-t-il ? Les grands patrons vont-ils plier ? Pourront-ils se passer de leurs millions d’argent de poche ?

Oui, sauf que voilà, ce n’est absolument pas un sujet neuf. François Hollande avait déjà lancé cette menace en 2013 en annonçant un projet de loi sous deux semaines. C’est long deux semaines qui durent près de quatre ans.

Ce qui est intéressant, c’est ce qui se passe ailleurs. Là ou l’attaque arrive.

Il suffit de regarder avec attention pour le découvrir.

Bien entendu, on peut immédiatement penser aux manifestants qui se font largement tabasser, gazer, arrêter, juger en comparution immédiate [Lien Mediapart- paywall] (cette justice de luxe ). Ce sont les premières victimes de ce détournement d’attention. Pendant que la presse parle du salaire de ce pauvre monsieur Ghosn, elle parle moins des violences policières soutenues et encouragées par le gouvernement de Manuel Valls.

Mais il y a mieux. La crise à venir. Celle qui va achever les populations des pays dits « riches ». Le système capitaliste produit des crises à intervalle plus ou moins réguliers. Elles sont généralement le produit de bulles spéculatives. Un produit voit son prix augmenter de manière hallucinante pendant quelques années, puis la bulle explose car, chaque trader le sait, « les arbres ne montent pas au ciel« . Paf, c’est la crise, tout s’écroule. Dans l’affaire, tout le monde n’est pas perdant. Le secteur financier, souvent à l’origine de la crise s’en tire avec sa pirouette habituelle, son incantation magique : « risque systémique« . Les gouvernement, craignant un effet domino si de grosses institutions font faillite renflouent le secteur financier qui repart immédiatement sur une autre bulle. Sans bulle, pas de profits mirifiques.

La dernière crise en date est celle de 2008, dite des subprime, suivie par une crise de la dette souveraine (celle des Etats surendettés. Mais la prochaine ? Ce sera quoi ? La bulle actuelle, où est-elle, me direz-vous ?

Pendant que l’on s’occupe du salaire de monsieur Ghosn, on ne vous parle pas de ces bulles, de la crise à venir qui finira de vous ratatiner. Oui, parce que quand l’Etat a renfloué le secteur financier, il faut bien qu’il se renfloue lui-même. Et pour cela, il y a… Les contribuables.

Crise, ô ma crise

Les possibles crises à venir sont multiples. Faites votre choix…

Il y a bien entendu le High Frequency Trading. Mais pas uniquement. C’est ça qui est sympa, dans une société de consommation, il y a une offre plantureuse. La Chine par exemple. Complètement à la ramasse, cette économie survendue risque bien de s’écraser sur le mur de la réalité à un moment ou un autre et comme il s’agit de notre plus gros client… Ne parlons même pas de ses avoirs de dette américaine.

Cherchons encore. Ah, oui, l’Europe… La zone euro et ses pays faibles comme la Grèce (vous en entendez encore parler dans la presse ?), l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la France, dans une moindre mesure…

eudebptgdpAvec les politiques d’arrosage massif et automatique du secteur financier (de l’argent gratuit – 80 milliards d’euros par mois – pour financer l’économie réelle les investissements pour compte propre des banques sur les marchés financiers), la Banque européenne a créé une situation très amusante. La Zone euro est endettée comme jamais. On ne voit pas comment cela pourrait finir mal. La Banque centrale européenne vient d’annoncer que sa prévision d’inflation et celle concernant la croissance était revue à la baisse. Deux indicateurs qui devraient être à la hausse.

Le marché des dérivés qui est soutenu par cet argent gratuit a explosé depuis la dernière crise (il représente environ 10 fois l’économie mondiale) et menace. Pour vous donner une idée, le marché des dérivés de taux représente environ 500 000 milliards de dollars aujourd’hui alors que celui des CDS qui a déclenché la crise de la dette souveraine était alors d’environ 50  000 milliards.

On va se marrer…

Mais pourquoi parler de tous ces trucs compliqué quand on peut parler du salaire de M. Ghosn ? C’est plus facile à comprendre pour tout le monde, pour les journalistes et pour les lecteurs. Et puis ça a un avantage : ça détourne très bien l’attention de tout le monde.

Do you speak manif ?

mardi 3 mai 2016 à 14:04
Manifestation_contre_la_loi_Travail_9_avril_2016_06

L’hélicoptère et le génie de la Bastille. CC Wikimédia. by @Jules78120 / CC-BY-SA

Voici un petit reportage, forcément subjectif, sur les trois derniers jours de grèves, avec les manifestations contre la loi travail. Je vous laisse le soin de trouver d’autres points de vue, articles, photos ou vidéos, pour vous forger un avis plus complet.

Le début

5 avril 2016.

Tout n’est que clichés, le bruit des sonos qui se contredisent, l’odeur de la merguez dans les plats à paella. Les éternels ballons géants, les autocollants sur les habits, les slogans immuables. J’ai quelques soupçons de recyclage de banderoles d’une année à l’autre.

Il y a en fait deux manifs. Les anciens, reconnaissables à la barbe audacieuse. Et les jeunes. Ceux qui veulent la fin, ceux qui veulent le début.

Les CRS sont omniprésents, et les services d’ordres tendus. Autorité, organisation, chaussure de sécurité, gros bras et gants renforcés. Ca, c’est coté CGT et FO. En face, c’est bonbonne de lacrymo dans le dos, verte, entre l’extincteur et le machin pour sulfater la vigne.

Dispersé dans la foule, du jeune rebelle qui est là pour son baptême de rebelitude, la canette en verre à la main. La moitié des gens ont une écharpe ou un foulard, prêt à être remontée, jeune comme vieux.

Le look rebelle de 2016 est résolument tourné vers les années 80, avec rouflaquette, jean trop court pour mettre en valeur les grosses chaussures, et grosse chaîne pour le porte feuille dans la poche arrière.

Les CRS ouvrent la voie avec leurs gros camions, et bloquent les côtés systématiquement, pour la tête de cortège. Le service d’ordre est devant la tête de cortège, très rigoureux. Mais il y a une avant garde, en avance, par ce que ça se traîne pas mal.

L’impression de déjà vue est dérangeante. L’impression de patiner dans les époques, mais en plus méchant.

Un petit con, tout devant, souhaite se débarrasser de sa canette, la réponse est instantané, gros nuage de lacrymo, une percée des CRS, il se fait embarquer direct. Voila, il l’a eu, son baptême.

Le temps que le cortège arrive, l’incident est clos, et le service d’ordre toujours aussi tendu.

On a évité le mouvement de foule ou la charge sur les mémés pleines d’autocollant et les enfants.

Un camion de location n’a pas tenu la montée à petite vitesse, il finit le trajet poussé.

A l’arrivée, il n’y a pas grand chose. Les gens semblent un poil déçu. Par le manque d’action ? Par le beau temps indécent? Les flics en civil sont aussi déçu, ils rangent leur kit baston dans leur sac à dos. Casque trop petit, genre parachutiste, avec une loupiote accrochée, masque transparent, tout aussi petit, et le seul indice pour les différencier de cataphiles, les matraques télescopiques, en acier. Je pense que ce sont les plus déçus.

Mêmes les jeunes au look de racaille (ahh, le charme du survet’), font les kékés, mais n’ont pas du tout envie d’aller au casse pipe.

L’autre manif, celle des lycéens, semble avoir été plus mouvementée, avec des jeunes mis à terre. Les flics ont dû être moins déçus, du coup.

Il fait beau

9 avril 2016.

Les cieux sont plus favorables, cette fois-ci. En revanche, le trajet est à l’envers : de Denfert à Nation.

Arrivé par le métro, tout est bien rangé. Des tonnes de marchands de bouffe, avec leur poêle géante et la bidoche épicée dessus.

Des tas de champignons géants avec des noms de syndicats, section, région, corps de métier.

Tout est bien ordonné, par syndicat, à la queue-leu-leu. Pas mal de professions en habit de travail, comme le personnel de l’aéroport CDG.

Les classiques sous-sectes du Parti Communiste avec leurs tracts désespérés. Sérieusement, des maoïstes, en 2016, ça va aller maintenant, il y a prescription, il faut arrêter. La photo du Che, c’est du folklore, mais Mao! Enfin, un agent spatiotemporel perdu dans la manif, qui distribue des quarts de page A4 mal calés, pas de quoi s’énerver.

La foule est dense, mélangée, pas de présence de CRS, il fait beau. L’ambiance est bien plus détendue que les fois précédentes. Aux croisements avec les grosses avenues, il y a des cordons de CRS, mais en mode décoratif, comme des pitous que l’on aurait alignés.

Pour éviter de se faire crier dessus par les sonos, on remonte le cortège, qui a un poil tendance à piétiner.

On récupère un peu de lecture en passant, il y a même de la BD.

La partie lycéen/étudiant n’est qu’une petite tranche des manifestants, bien rangés, blocs après bloc. On les reconnaît bien, ce sont ceux qui ont des banderoles toute bricolées et peu lisibles, en drap coloré plutôt qu’en toile bâchée professionnelle.

On commence à en avoir plein les pattes, et du coup, on remonte; ça bouchonne un peu.

Ah tiens, c’est étonnant, un système de cordes tenues par ce qui pourrait être du service d’ordre. Une grande ligne bien droite, bien perpendiculaire, et ça remonte de chaque côté, assez loin vers l’arrière. L’impression de voir un berger contenir son troupeau de moutons. Du coup, on le dépasse par le côté, pas envie de jouer à du dessus/dessous avec la corde.

À posteriori, on a compris que cette corde délimite le début du cortège officiel. La fois précédente, il y avait un large espace vide entre l’avant-manif et la manifestation officielle. Là, c’est nettement plus confus.

Ça bloque carrément devant le pont d’Austerlitz, en bas du parc du jardin des plantes. Etonnamment, il y a pas mal de fans de trottinette et de natation. Des gens avec des lunettes de piscine ou des casques accrochés aux sacs à dos. Le casque de skater est tendance chez les photographes avec de beaux téléobjectifs.

Donc, plus rien ne bouge. On est sur le côté, entre un gros cordon de CRS et des gens avec une écharpe devant le nez et surtout une très forte envie de sport. Ça pue.

On avance pour voir ce qui bloque, sur le pont. Il y a une ligne de CRS au milieu du pont. Mais le modèle teigneux. Un centurion tout droit sorti d’Astérix se frite avec une mémé militante : vous ne passerez pas, et ils entament un pas de danse, un pas de côté, un pas de l’autre côté. Vu l’approche bornée du CRS qui a du mal à gérer son manque de RTT, on rebrousse chemin.

C’est quand même une grosse nasse, et le blocage du pont parait super arbitraire, c’est le trajet logique. On demande gentiment à passer par le côté. Ces CRS-là sont encore en mode détendu, mais ils sont quand même en manque d’informations, ils nous conseillent de suivre le cortège, ce qui leur parait être le moins dangereux, et le chef (celui qui a des lunettes de soleil) a bien rappelé que personne ne passe par ce côté.

Sauf que les énervés du rond-point envoient une volée de projectiles, à l’opposé. Voilà, on est en sandwich entre les CRS et les énervés qui chantent « Un coup de tonfa, lève les bras, un coup de bouclier lève les pieds ». Donc, passage en mode négociation express, non, on ne va pas dans la direction des CRS teigneux du pont, ni à proximité des gens qui cherchent la castagne. Les CRS ne lâchent rien et en restent aux ordres, aussi absurdes soient-ils. Mais bon, c’est l’autre côté qui a droit au défouloir, pas celui-ci. Tant mieux, par ce que l’on est a côté des lances grenades et des bonbonnes vertes de gaz dans le dos, façon sulfateuse pour la vigne. OK, on remonte, mais ça pue le mouvement de foule et la nasse.

Ah tiens, ils laissent un gros espace dans le cordon, je soupçonne les CRS d’avoir biaisé les ordres pour laisser sortir les gens pacifistes et ne se garder que les teigneux.

On avance sans traîner, pour ne pas risquer un mouvement de foule dans le dos. À bonne distance, on voit les tirs de lacrymos, des belles paraboles avec la traînée de fumée, certaines sont renvoyées, des bruits sourds (des grenades assourdissantes?). Voilà, il y a eu du sport. Bon, visiblement essentiellement de la course à pieds façon chat et la souris.

Ça ressemble quand même pas mal à du SM en plein air, entre adultes consentants. On est loin des coups en traître sur des gamins que l’on souhaite rééduquer à coup de matraque, comme ce que ce sont pris les lycéens.

En rentrant dans le métro, à Nation, sans sortir de la rame, ça pue et ça pique un peu. Ça laisse présager l’ambiance à la surface.

Joli mai

1 mai 2016.

Ah, la mère de toutes les manifs, le premier mai. Il fait beau et il y a une belle lumière, bon, OK, le trajet est petit joueur, Bastille-Nation. Nation rime d’ailleurs avec Baston, en 2016.

On reste dans les classiques. Les champignons des syndicats. Les partis politiques qui restent poliment sur le côté. Divers variantes du PC, Nouvelle Donne qui redonne signe de vie, les Verts qui essayent de faire oublier leur incapacité à gérer l’échelon national. Ah tiens, pas de PS, le premier mai est censé leur parler, au moins un peu, et puis en 2011, ils avaient défilé. Ah oui, mais 2011. Avant 2012, quoi.

Bah, en attendant, il y a LO et la CNT, et encore d’autres scissions du PC.

Donc, cette fois-ci, on fait attention, on ne dépasse pas la corde, la limite officielle de la manif qui ne se fait pas taper. Ça date de quand cette histoire de corde?!

Voilà, on a dépassé les sans-papiers. Ensuite, une usine complète, qui doit faire de l’alimentaire, avec leur blouse blanche et charlotte bleue, ils font un bruit d’enfer avec leurs pompes à corne, une variante mécanique des machins des supporters de foot. Pire qu’une vuvuzela, ces machins. Maintenant, on est derrière les Tamoules, avec la banderole sans sous-titre.

Ça avance bien jusqu’à gare de Lyon, le moment où l’on bifurque sous le pont de la promenade plantée. La route attaque la montée vers Nation, et ça commence à bouchonner.

Bon, ne pas s’impatienter, on n’a qu’à poireauter en restant sagement au niveau du camion buvette de la CGT.

Ah tiens, des gardes mobiles passent sur le côté, à la queue leu leu. C’est une bête idée, au moindre mouvement de foule, ils se font coincer contre le mur. Ils viennent de s’en rendre compte et commencent à courir, coincés entre leur bouclier et le mur, et il y en a un paquet.

Hum, ça commence à sentir le pâté. Bon, on avance un peu, pour voir, et histoire d’arriver au moins jusqu’au métro Reuilly Diderot. On commence à voir le gros nuage, devant, au loin. Des gens préviennent: « ça gaze devant ». OK, demi-tour, pas de risques, on va rentrer par une rue perpendiculaire. Plus moyen de faire une manif, un premier mai, juste 80 ans après 1936.

Bon, aucune des rues n’est perpendiculaire, c’est le bronx, ce quartier, on se retrouve à Reuilly Diderot, avec le métro fermé, mais pas de manifestants alors que c’est le trajet. Par contre, il y a des gens de la BAC. Heureusement qu’ils mettent une étiquette sur le bras, pour ne pas confondre, par ce que l’on est en plein cosplay casseur tel qu’on peut les voir sur un reportage de TF1. L’avenue est vide, beaucoup trop vide, on remonte un peu pour prendre la première sortie possible, la première perpendiculaire. On croise des gens qui repartent de Nation. Un type handicapé, aidé par deux personnes, un jeune aidé par deux bien plus âgés, il marche en canard, il a les yeux comme deux paires de fesses à 90°. Voilà, en hommage à Verdun il vient de se faire méchamment gazer.

« Et là ça va, la dernière fois je me suis pris un projectile dans la tête ».

Une démarche de cartoon, un dialogue de série B. Mais la pédagogie du CRS ne semble pas fonctionner, il recommencera.

Arrêt de métro Montgallet, correspondance à Reuilly. La RATP empêche les gens de remonter avec un début de tension bien palpable.

Ce sera le dernier métro à marquer l’arrêt.

Bon, comme chaque fois, on ne voit rien, comprends rien à ce qu’il se passe.

Ça bloque, ça bouchonne de manière incompréhensible et tout simplement arbitraire. Le résultat est mécanique, d’un côté, des CRS qui n’ont pas assez dormi, en face, une sélection de manifestants bien remontés. Ensuite, destockage de lacrymo, tout doit disparaître avant le nouvel arrivage. Manifestation bon enfant, familiale au démarrage, puis grosse tension, grosse baston, et de jolis images de bavures qui tournent en boucle sur Internet.

Pour avoir une vision plus précise, il faut multiplier les sources. Là, la manif a été coupée en deux, avec un bon gros mur de CRS. Les vieux cons d’un côté, les jeunes cons de l’autre. Une manifestation des plus tranquilles, hein. Un très beau démarrage qui finit dans un gros cafouillage.

Après une expertise express sur Wikipedia, le rôle de la BAC est de faire des interpellations spectaculaires, avec des flagrants délits, et de gérer des émeutes. Là, on parle de manifestation.

Bitcoin, existentialisme (et rock’n’roll ?)

lundi 2 mai 2016 à 20:07

pants-on-fireDepuis ce matin, l’Internet Numérique™ est le théâtre d’une comédie technico-dramatique dont il la le secret. À quel sujet ? Bitcoin, what else ?

Dramatis Personae

En effet, la BBC, The Economist et le magazine GQ nous apprenaient, de concert et à l’heure où blanchit la campagne, que l’identité de Satoshi Nakamoto, le mystérieux créateur de Bitcoin, avait (encore) été révélée. Il s’agirait ainsi de Craig S. Wright, un entrepreneur australien. L’information fut rapidement reprise de ci de là. Par exemple, dans la langue de Molière, par le Huffington Post ou le Monde, ou encore sur Wikipédia.

Malgré quelques réserves de la BBC (timides) et de The Economist (un peu plus appuyées), les différents articles présentent l’information comme plutôt crédible, sinon probable. En effet, Wright aurait signé cryptographiquement des messages en présence de journalistes de la BBC, avec une clé privée liée à des transactions de la blockchain Bitcoin connus pour avoir été créés par Satoshi. Un lien « inextricable » – pour reprendre les termes de la BBC – aurait ainsi été établi entre les deux identités. De plus, les allégations de Wright auraient été appuyées par deux membres de la Bitcoin Foundation, notamment le très respecté développeur Gavin Andresen, qui aurait déclaré être convaincu que « Craig Steven Wright est la personne qui a inventé le Bitcoin ».

L’enfer, c’est les autres

Pour que tout un chacun puisse vérifier la véracité de ses allégations, Wright s’est aimablement fendu d’un billet de blog.

Pour rappel, une signature cryptographique s’appuie sur deux clés liées mathématiquement l’une à l’autre. La première, la clé privée, est secrètement conservée par son propriétaire. C’est cette clé qui permet de produire, à partir de messages, des signatures. La seconde, la clé publique, peut-être librement diffusée. Elle permet de vérifier l’authenticité des signatures, qu’elles aient bien été créées à l’aide de la clé privée correspondante.

La démonstration de Wright est la suivante. On sait avec certitude que Satoshi a effectué certaines transactions Bitcoin, comme celle-ci. L’adresse d’entrée de cette transaction,12cbQLTFMXRnSzktFkuoG3eHoMeFtpTu3S, est donc un identifiant de Satoshi. À cette adresse est associée le hash (l’empreinte) d’une clé publique. Quiconque peut signer des messages avec la clé privée correspondante est donc probablement Satoshi, ou à tout le moins un candidat un peu plus crédible que les autres, puisqu’il contrôle une de ses clés privées. Wright prétend avoir signé un passage de Jean-Paul Sartre et nous livre le mode d’emploi « for dummies ».

Dans le billet, Wright fournit la clé publique, qui correspond bien à l’adresse Bitcoin. Il fournit également le message à signer (ou plus exactement une empreinte du message, ce qui revient au même puisqu’il permet de vérifier que le message est bien celui qu’il utilise), ainsi que les paramètres à utiliser (la courbe elliptique secp256k1). Tous les éléments sont donc disponibles pour créer une signature et la comparer à celle fournie par Wright. Le gros problème, c’est que, ce faisant, on n’obtient pas la même signature. Vous pouvez essayez par vous même, nous avons jeté un œil au code, aux éléments et à la méthode utilisée par Patrick McKenzie ici, tout cela nous semble correct. Par ailleurs, la signature fournie par Wright est celle contenue dans une ancienne transaction. Non seulement elle ne prouve rien, mais est de plus totalement hors sujet.

Le billet de Wright ne permet donc absolument pas de confirmer qu’il soit en possession de la clé privée de Satoshi, et contient des incohérences (comme l’utilisation de & au lieu de && ici), et pose nombre de questions. Pourquoi avoir fourni une signature qui ne correspond pas au message, pire, une signature sans rapport avec la démonstration ? Est-ce une erreur de la part de Wright ? Est-ce une tentative de falsification, pensait-il que personne n’irait vérifier ?

Si la signature était valide, elle ne constituerait d’ailleurs pas une preuve irréfutable. Elle pourrait tout à fait avoir été créée par quelqu’un d’autre il y a des années, la clé privée aurait pu être volée, etc. Mais, en tout état de cause, ce serait quand même un bien meilleur début que le billet tarabiscoté de Wright.

Paroles, paroles

Pour prouver que l’on est en possession d’une clé privée, la méthode est pourtant triviale : il suffit de signer un message, n’importe quel message, choisi par un tiers avec cette clé privée. Gavin Andresen, sollicité sur Reddit, a assuré que c’est très exactement ce que Wright et lui auraient fait. Andresen aurait fourni un message (un chosen plaintext), que Wright aurait signé. La signature aurait été copiée sur une clé USB et vérifiée par Andresen sur une autre machine. Il n’aurait pas été autorisé à la conserver, pour éviter qu’il ne puisse la divulguer avant le jour J. Ce n’est pas forcément faux, mais ça semble quand même un peu léger. Comme le note très justement le cryptologue Nadim Kobeissi dans sa réponse à Gavin Andresen, « la cryptographie n’a pas été créée pour que nous nous croyions sur parole. Elle a été créée spécifiquement pour que nous n’ayons pas à le faire ».

Gavin Andresen est un personnage respecté, que peu suspectent de malhonnêteté. Les hypothèses vont donc bon train quant aux tours de passe-passe que Wright aurait pu utiliser pour manipuler Gavin Andresen, certaines étant très crédibles. La situation est tellement rocambolesque que, craignant même que ce dernier puisse avoir été « hacké », l’équipe Bitcoin aurait révoqué ses droits d’accès en écriture sur les dépôts de code source.

Si l’intention de Wright était de mettre le waï, c’est plutôt réussi. Pour le reste et mis à part le fait que certains journalistes, notamment de la BBC, devraient peut-être insister un peu sur le fact-checking (ou fournir la signature, s’ils l’ont à leur disposition), nous n’avons pas appris grand chose. Craig S. Wright est-il Satoshi Nakamoto ? Pour l’instant, nous n’en savons rien. Et on s’en fout un peu « en vrai », non ?

Nous verrons bien. En attendant, je laisse le mot de la fin à notre facétieux Jean-Paul national : « ceux qui me voient se fient rarement à ma parole : je dois avoir l’air trop intelligent pour la tenir ».