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L’après Snowden : la confidentialité, c’est pas simple comme l’installation d’Ubuntu

vendredi 28 février 2014 à 00:05

lolcat 4Un article sur Ecran/Libération, signé des copains de l’APRIL a donné lieu à une discussion enflammée avec mon ami Bruno… Il s’agit de cet article, intitulé « L’après-Snowden : reprendre en main son informatique« . Sa saine lecture, à mon sens, a le mérite de rebondir sur le scandale des grandes oreilles américaines dont la majorité des gens se fichent totalement puisqu’ils n’ont « rien à cacher », pour évangéliser sur l’utilisation des logiciels libres. C’est une démarche que je peux comprendre mais dont je peux aussi comprendre qu’elle passe mal pour d’autres. Et comme c’est demain trolldi, nous allons avoir matière à troller un peu.

Les logiciels libres sont souvent avancés comme une mesure de sécurité et de protection des données personnelles, c’est partiellement vrai. L’argument est valide, même si les logiciels libres sont attaqués, comme les logiciels privateurs de libertés. Mais la liberté est une chose, la sécurité en est une autre.

Et quand on cause avec Bruno… c’est crypto

La cryptographie, ou l’art du chiffrement : on parle en fait de mesure de protection des données par le chiffrement. Le chiffrement peut être opéré pour transporter les données (typiquement lorsqu’on transfert un fichier d’une machine à une autre machine), ou alors pour le stockage des fichiers (chiffrement des données stockées sur un disque dur). On le martèle souvent dans ces pages, le chiffrement n’apporte pas à lui seul la sécurité des communications. Le chiffrement, sécurise les données, mais cette sécurité devient caduque si le contexte est compromis.

La sécurité d’une communication n’est assurée, comme le rappelle justement l’article mais en des mots différents,

C’est sur le second point, le plus critique car celui qui concentre toute la contextualisation de l’échange, qu’il y a matière à disserter. Et c’est aujourd’hui l’un des plus faillibles.

Et c’est là que Lionel et Frédéric commettent une maladresse dans leur article quand ils écrivent :

Cette garantie d’intégrité de nos systèmes informatiques est le premier  stade et de loin le plus vital pour la préservation de notre vie privée.  Car de l’aveu d’Edward Snowden lui-même, dans un récent chat avec les  lecteurs du Guardian : «Le chiffrement fonctionne […]. Malheureusement, la sécurité au point de départ et d’arrivée [d’un courriel] est si dramatiquement faible que la NSA arrive très souvent à la contourner.»  Il ne sert donc à rien de chiffrer un message pendant son acheminement  de A vers B, si A et B sont des systèmes privateurs incapables de  garantir contre l’intrusion d’un tiers. »

Si on lit en diagonale, on se dit que de toutes façons, c’est fichu, chiffrer ne sert à rien puisqu’on est sous Windows ou sur Mac, qu’on a rien à cacher et que de toutes façons, Linux tout ça c’est vachement compliqué.


♫ Rien à cacher – Jérémie Zimmermann et la… par Mediapart

Lionel et Frédéric ont raison quand ils expliquent avec leurs mots que le chiffrement, à lui seul, n’assure pas la confidentialité d’une communication. Une communication est sécurisée uniquement si elle remplie les critère suivants :

Un argument un peu mousseux au niveau des carcasses ?

Oui et non. Mais il faut reconnaitre que cette argumentation est casse gueule. Et c’est bien ce qui a fait bondir mon ami Bruno.  Il n’y a pas de point plus vital que l’autre. La sécurité est une chaine, si un maillon pète, on en retrouve au plafond. L’autre dimension, c’est qu’il faut bien comprendre de quoi on se protège pour être en mesure de mettre en oeuvre les bonnes techniques permettant de garantir la confidentialité des communications.

Pour des interceptions non ciblées, le chiffrement se suffit à lui même, c’est là la maladresse de Lionel et Frédéric. Car c’est bien de ces interceptions là dont il est question et qui ont choqué dans les révélations d’Edward Snowden. Le chiffrement n’est pas inutile, ce n’est pas une option, et les « papas » d’Internet se mordent aujourd’hui les doigts de ne pas avoir pensé un Internet « privacy by design ».  Vous notez que là, nous parlons d’Internet, de protocoles, ouverts et libres. Nous n’abordons pas les OS à ce stade. Nous parlons de l’informatique comme elle devrait être dans un monde parfait. Les experts en sécurité le savent bien, c’est souvent l’implémentation hasardeuse de protocoles qui conduit à des catastrophes. Mais pour les interceptions non ciblées, il faut reconnaitre que les outils de chiffrement sont la bonne approche.

Pour les interceptions ciblées, c’est tout de suite plus compliqué, et c’est là que Lionel et Frédéric ont de bons arguments à faire valoir : mettre en avant des logiciels non privateurs, que l’on maitrise, ou malheureusement que l’on a l’illusion de maitriser. Dans les faits, je connais peu de gens qui lisent le code de chaque version d’OpenSSL après une mise à jour. Oui les logiciels libres devraient être la norme, et ils le deviendront… mais non ceci ne suffit pas à garantir la sécurité des échanges lors d’interceptions ciblées.

La NSA a développé tant d’outils, mis tant de moyens, pour exploiter des vulnérabilités non connues dans les logiciels que nous utilisons, qu’ils soient libres ou propriétaires, que la garantie d’un code libre ne peut à elle seule s’ériger en une garantie de sécurité et de confidentialité des communications. Et le meilleur des 0day, ça reste quand même l’exploit à la « batte de baseball’, ou l’art de péter les dents à un mec pour lui demander son mot de passe Truecrypt…

Nos terminaux téléphoniques fonctionnent en immense majorité sur nos logiciels libres chéris. Les PABX eux-mêmes qui acheminent nos communications sont dans une écrasante majorité propulsés par des logiciels libres. Et nous savons que ce n’est pas ça qui a empêché des écoutes massives. Ce qui empêche des écoutes massives, c’est bien le chiffrement.

Le fond du problème

Quand Lionel et Frédéric affirment

Il ne sert donc à rien de chiffrer un message pendant son acheminement  de A vers B, si A et B sont des systèmes privateurs incapables de  garantir contre l’intrusion d’un tiers. »

Il y a une confusion de taille. Un système, libre ou privateur, ne peut à lui seul garantir contre l’intrusion d’un tiers. Seules des mesures de protection du contexte peuvent le garantir. Ces mesures sont aussi bien des outils, que des comportements humains. Ces comportements ne peuvent s’acquérir qu’avec l’expérience, l’éducation… et ils trahissent souvent bien plus que les outils eux mêmes.

Lionel, Frédéric, vous le savez, les logiciels libres sont une évidence, mais dénigrer le chiffrement, c’est rendre leur utilisation aussi futile que celle des logiciels privateurs. En matière de confidentialité des communications, ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est les deux PLUS un comportement d’isolation de contexte qui permet de contrer l’exploitation de métadonnées souvent aussi bavardes que le contenu d’une communication.

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MERCI !

jeudi 27 février 2014 à 11:42

haha

Merci.

Que dire de plus ?

En deux jours et quelques heures, nous avons atteint 10.233 euros de dons pour financer le pourvoi en cassation de Bluetouff et Reflets. Nous ne nous attendions pas à un élan de solidarité dans ces proportions et dans ce timing très court.

Cette étape est donc derrière nous et nous allons pouvoir commencer à travailler sur le dossier avec nos avocats.

Quelques informations sur ce qui va se passer :

J’avais contribué il y a quelques années à créer une jurisprudence qui laissait la responsabilité de la sécurisation des serveurs dans les mains des responsables desdits serveurs et ne la mettait pas à la charge des internautes.

C’était devant une Cour d’Appel qui avait suivi les réquisitions du Parquet. Bref, le ministère public et les juges étaient d’accord sur ce point. Cette fois, avec l’affaire ANSES/Ministère Public contre Bluetouff, les juges et le Parquet sont d’un avis opposé pour une affaire tout à fait similaire et qui pose les mêmes questions. Nous allons donc demander à la plus haute juridiction française de trancher et par là même, essayer de créer une jurisprudence encore plus solide.

Les sous récoltés…

Nous avons choisi une somme, en accord avec nos avocats, qui nous permet normalement de faire face à tous les frais liés à cette bataille devant la Cour de Cassation. Entre la première et la deuxième instance, Reflets a déjà déboursé environ 2.300 euros. Cette fois ce sera plus. Combien ? Mystère. On vous le dira une fois l’argent dépensé.

Si l’affaire est renvoyée devant une Cour d’Appel, il y aura de nouveaux frais. S’il reste de l’argent sur les 10.000 euros récoltés, cela aidera à ce moment-là.

Certains demandent si l’on rendra l’argent en trop ?

Non.

Il confortera la cagnotte que nous avions composée au fil des ans en prévision d’un procès qui ne manquerait pas d’arriver. Nous l’attendions plutôt de la part de BlueCoat, Bull, TMG ou Amesys. Il est venu d’ailleurs et avec un angle juridique que nous n’avions pas prévu : le piratage informatique (accès frauduleux et maintien dans un système de traitement automatisé de données) et non pas un délit de presse classique (là on était sûrs de gagner…). Rien ne dit que l’affaire ANSES sera la dernière à laquelle nous serons confrontée devant des tribunaux. Reflets ne choisit pas les sujets les plus consensuels…

A vous, lecteurs…

Maintenant, parlons un peu de vous (et de nous), chers lecteurs.

Il y a environ quatre ans, Bluetouff et moi étions attablés dans un bar parisien et nous discutions de la presse. Nous nous lamentions sur son état. Petit blanc, sourires croisés : « il n’y a qu’à en créer un« … Le medium Reflets était né. Quelques temps plus tard, Reflets.info débarquait sur le Web.

Sans un sou, à part les 3000 euros de capital que nous avions réunis tant bien que mal.

Quel business model allions nous lui appliquer ?

Mon modèle journalistique étant le Canard Enchaîné, je ne voulais pas d’investisseurs ni de publicité. Bluetouff ne voulait pas faire payer les contenus. OK, pas de paywall non plus.

Il ne restait plus grand chose à part le modèle de Truthout : demander aux lecteurs de financer le journal par des dons.

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Avouons-le, ce n’est pas le modèle qui marche le mieux en France. Si Truthout a réussi à salarier plusieurs journalistes, nous ne pouvons toujours pas le faire chez Reflets.

Avec ce « Touffothon », nous avons récolté en deux jours autant, si ce n’est plus que ce que nous récoltons comme dons en un an.

Avec ce que nous avons reçu en deux jours, nous pourrions salarier à plein temps deux journalistes pour un mois (charges comprises avec des salaires autour de 2000 euros).

Bref, Reflets est encore loin de fonctionner à 100% de ses capacités et nous continuons de faire ce journal en ligne sur notre temps libre.

Mais au delà des sous, votre mobilisation nous conforte au delà de toutes nos espérances. Nous avons créé le medium dont nous rêvions et au delà de cette satisfaction, nous avons réussi à réunir autour de ce medium une communauté qui se reconnaît dans les problématiques que nous soulevons. Mieux, elle sait s’impliquer pour soutenir ce (son) medium. C’est inespéré avec le peu de moyens dont nous disposions. Pas de budget pub, pas de budget marketing… Juste du bouche à oreille.

Franchement… Tout ça nous fait vraiment chaud au coeur et nous n’aurons de cesse de vous dire : MERCI !

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Pas fini

mercredi 26 février 2014 à 18:40

À la maison, j’ai un chat pas fini.

Pour une raison ou pour une autre, il a du mal à diriger son train arrière. Il passe son temps à se cogner partout, à tomber dans l’escalier, à marcher dans sa gamelle… Le verdict du vétérinaire a été très clair: en termes techniques « il n’est pas fini ».

Il s’en fout: il est né comme ça. Il pense sûrement que ce sont les autres chats qui ne sont pas normaux, à pouvoir tourner et sauter et courir sans jamais tomber. Ils ont un problème mental, forcément. Avec le temps, ils finiront bien par apprendre à tomber, eux aussi.

Ces dernières semaines, pendant que le chaton tombait, tombait, tombait, je regardais nos « élites » tomber, tomber, tomber.

Une loi de programmation militaire est votée par les deux assemblées, malgré une levée de boucliers quasi-unanime de tous les défenseurs des libertés publiques, dénonçant une atteinte aux droits fondamentaux ? « Pas de problème, les gars: vous comprenez mal le texte. Il est parfait, on vous le promet. Et d’ailleurs on en est si sûrs qu’on refuse de demander son avis au Conseil Constitutionnel. »

Gamelle.

Un sale type réunit des paumés – dans ce qu’il appelle des spectacles durant lesquels il étale sa bêtise ? « Interdisons-le, les gars. Et mettons en garde-à-vue des gamins qui imitent ses gestes. Et envoyons un mise en garde à Canal+ qui a laissé un spectateur faire un geste débile à l’écran. Et essayons de contraindre « les réseaux sociaux » à filtrer ses admirateurs. La loi ne le prévoit pas parce que ce serait contraire à la Constitution ? Oh, bah, on verra bien hein. »

Gamelle.

Un vieux bonhomme, milliardaire, sûr d’être au dessus des lois, a acheté des voix pour être élu, a été condamné pour ça, et est soupçonné de faire partie d’une « association de malfaiteurs » dans le cadre d’une tentative d’assassinat ? Une paille. « C’est l’un des notres: décidons à huis clos que nous refusons qu’il puisse être trop inquiété. Après tout, s’il est coupable il ira sûrement se dénoncer tout seul. »

Gamelle.

Des promesses électorales oubliées à peine l’élection passée ? Une Hadopi toujours là, une TVA augmentée, une courbe qui refuse de s’inverser, le droit de vote des étrangers oublié, l’age légal de la retraite augmenté, la renégociation du traité européen oubliée, un président de gauche menant une politique néolibérale… « Oui, bon, mais après la campagne électorale, les gens aussi les oublient, nos promesses, vous verrez. »

Gamelle, gamelle, gamelle. Les chutes s’accumulent et, à la différence de l’ère pré-Internet, elles ne disparaissent pas de l’actualité quand la suivante prend le relai. Elles laissent des traces.

Sur le web, dans les consciences, dans les débats et les opinions, elles laissent beaucoup de traces. Nous n’oublions plus. Nous ne pardonnons plus.

Et paf le chat.

On peut toujours gloser sur le « tous pourris », dire que certains de nos représentants sont malgré tout très bien (c’est la moindre des choses et ça n’interdit en rien la critique globale des institutions), expliquer que la critique de ceux qui nous gouvernent fait le lit du FN, que tout n’est pas si noir. C’est une autocensure comme une autre.

On peut aussi croire qu’ils savent mieux que nous. Qu’ils sont mieux informés. On peut penser qu’ils font n’importe quoi, parce qu’on est des gens simples, alors qu’en réalité ils nous protègent de choses qu’on ignore. On peut croire qu’ils s’en foutent, aussi. Ou qu’ils savent que c’est bientôt la fin du monde et que du coup ils font des bêtises pour rigoler, en attendant.

C’est possible.

On peut croire ce qu’on veut. Moi, je crois juste qu’ils sont comme le chat: pas finis.

Je crois qu’ils se vautrent. Qu’ils se cognent partout. Qu’ils ne savent pas changer de direction sans risquer une chute douloureuse.

Comme le chat qui tombe, ils croient détenir la vérité. Comme lui, il doivent penser que ce sont tous les autres (nous, la plèbe) qui ne comprennent rien au monde qui les entoure. Comme lui, ils espèrent que nous apprendrons à voir le monde comme ils le voient: limité, simpliste, et sans mémoire.

Il suffit de voir les sempiternelles réactions aux échecs électoraux (« les électeurs n’ont rien compris »), aux critiques (« c’est du populisme »), aux remises en question (« vous ne connaissez rien à a légistique« ), aux enquêtes de la justice (« c’est de l’inquisition ») pour s’en convaincre: ces gens-là voient le monde, disons (pour être gentil) « autrement ». Ils sont à l’image du chat qui se croit supérieur aux autres, supérieur à ceux qui ne savent même pas tomber en marchant.

Mais je crois en réalité que, pendant qu’ils tombaient, de plus en plus de gens ont appris, et apprendront – avec Internet – à utiliser une partie de leur cerveau que nos élites – trop occupées à diriger pour s’abaisser à utiliser ces outils faits pour (et par) les gueux – n’ont jamais utilisée.

La théorie de l’évolution

Dans mon vieux bouquin, j’avançais en hésitant une théorie balbutiante: Internet serait une étape normale de l’évolution d’une espèce (l’humanité) dont la survie est basée sur le transfert du savoir acquis, d’une génération à la suivante. Et lorsque la quantité de savoir à transmettre ne se satisfait plus des outils existants, alors il est temps alors d’en inventer d’autres, plus puissants.

Aujourd’hui, si je devais formuler la même thèse, je prendrais beaucoup moins de gants pour le faire: c’est une évidence.

La parole, la tradition orale, a longtemps suffit à notre évolution en tant qu’espèce. Quand elle est devenue insuffisante, nous avons inventé l’écriture. Quand l’écriture manuscrite a montré ses limites, nous avons inventé l’imprimerie. Et quand la masse des savoirs a dépassé la capacité des livres à les contenir et les transmettre, nous avons inventé l’hypertexte et le Web.

Chacun à leur tour, ces outils ont permi la démultiplication des compétences, et augmenté eux aussi le savoir global, rendant ainsi nécessaire l’invention de l’étape suivante.

C’est un continuum.

Le numérique, par l’ampleur des changements qu’il induit dans nos sociétés, va même encore au delà de l’invention de l’imprimerie. Il est selon moi d’une importance aussi grande que l’a été l’invention de l’agriculture, aussi grande que le passage de la taille de la pierre à l’age de bronze. Ce n’est pas juste un changement de société: c’est un basculement de civilisation.

Nous sommes passés à l’age du numérique, quand ceux qui croient nous diriger en sont restés à l’age du papier.

Qu’est-il arrivé aux tribus qui, quand nous sommes passés de l’age de pierre à l’age de bronze, n’ont pas su s’adapter ?

Certains d’entre eux, à l’instar d’une petite partie de nos élites, ont sans doute appris à utiliser les outils forgés par les tribus plus avancées. Peut-être ont-ils rattrapé leur retard.

L’histoire a oublié les autres.

Quand nous autres, simples humains connectés, nous réveillons avec Twitter sous les yeux, la radio en streaming dans les oreilles, nos onglets remplis de textes bookmarqués pour lecture et commentaires à venir. Quand nous réagissons à l’actualité – avec sérieux ou avec humour – en créant, écrivant, publiant sans cesse de nouveaux contenus, nous laissons derrière nous toute cette partie de la population qui – depuis toujours – n’a appris à voir le monde qu’à travers ses conseillers, ses rapports administratifs, et ses revues d’une presse quotidienne depuis longtemps dépassée.

Une armée de petites mains, de secrétaires et d’assistants les coupe d’un accès plus direct au monde.

Là où nous apprenons à gérer la multitude, ils filtrent.

Là où nous nous confrontons à l’autre, ils envoient leurs suivants.

Là où nous subissons le difficile apprentissage de la contradiction, ils restent entre eux.

Abreuvés d’une ambroisie largement bouchonnée (et dont les vignerons – « intellectuels » autoproclamés – ne cessent de fustiger un réseau qu’ils refusent – eux aussi – d’utiliser), ils en sont à chercher comment nous contraindre à revenir au seul monde qu’ils comprennent, au seul monde qu’ils maîtrisent.

Ils ne voient pas – ils en sont incapables – que vouloir limiter (réguler, autoréguler, contrôler, « penser sa gouvernance » et autres mots-de-bois) l’accès à la culture et au savoir revient à vouloir détruire la raison d’être d’un outil indispensable au progrès de l’humanité toute entière.

Même s’il n’a pas été inventé pour ça, Internet n’a connu le développement qu’on sait que parce qu’il est arrivé à un moment de notre histoire où nous avions besoin, en tant qu’espèce, d’un nouvel outil de transmission, de partage (oui: de partage, pas de « piratage ») de la connaissance, de la culture et de l’intelligence. Vouloir restreindre cet usage fondamental, c’est mettre à mal ce qui nous distingue de l’animal.

Entre eux et nous, c’est là qu’est la vraie fracture numérique.

Apprenons, apprenons sans-cesse

Je crois, je crois vraiment qu’en utilisant Internet pour s’ouvrir au monde, nous apprenons à utiliser nos cerveaux autrement.

Comme après la découverte du fer, comme après l’invention de l’agriculture, nos modes de raisonnements s’adaptent au nouvel environnement que nous avons créé. Nous évoluons.

Nous devenons capable de distinguer le gamin qui affiche (maladroitement) sa révolte sociale du fasciste qui se retient du salut nazi qu’il n’ose pas (encore) afficher. Nous savons faire la différence entre le troll en manque de reconnaissance et l’adversaire idéologique. Nous apprenons à reconnaître une photo trafiquée trop frappante pour être vraie.

Nous acquérons de nouvelles compétences.

Trier l’information. Reconnaître les hoaxes. Repérer l’ironie et le second degré. Affronter les haines et apprendre à les combattre pied à pied plutôt qu’à les cacher sous le tapis de la censure. Cultiver le souvenir des promesses. Suivre toute la nuit les débats les plus complexes de nos parlementaires. Découvrir d’autres cultures et d’autres idées. Et s’exprimer, librement, publiquement, encore et toujours, quand nous avons été privés si longtemps de cette fondamentale liberté.

Je crois, je crois vraiment que, sans cette ouverture au monde, les cerveaux se sclérosent. Qu’ils manquent de l’oxygène nécessaire pour pouvoir apprendre à marcher droit dans ce nouveau monde. Qu’ils ne pourront jamais, jamais apprendre à forger le bronze de la société future. En un mot, je crois que nos représentants ne sont ni plus malins ni mieux informés, au contraire: je crois qu’ils sont totalement, irrémédiablement dépassés. Enfermés dans les structures du passé.

Internet est là. Il nous met, tous, en tant que société, en relation directe. Il ne manque que quelques outils, pas si difficiles que ça à imaginer, pour nous permettre de nous organiser sans représentants élus, sans intermédiaires. Tous les jours ou presque se crée un nouvel outil qui va dans ce sens. Quand Turblog met en ligne Raildar.fr pour nous informer des retards de trains sans l’aide de la SNCF, quand le débat politique se déplace sur fdn.fr ou ailleurs, quand les outis de pétitions en ligne pullulent, que les monnaies se séparent des autorités centrales, que les communautés apprennent à échanger biens et services sans recourir à des systèmes centralisés, que l’habitat s’échange en ligne, que le transport s’organise en covoiturage… Il ne nous manque plus qu’une ou deux étapes – pas très grandes – pour apprendre à nous passer, sinon totalement, au moins très largement d’une représentation nationale qui n’a plus de démocratique que le nom.

J’invoque ici Claude Levi-Strauss (parlant de mai 68): « Ces événements me sont apparus comme un signe supplémentaire de la désagrégation d’une civilisation qui ne sait même plus assurer ce que les sociétés sans écriture savent si bien obtenir : l’intégration des nouvelles générations ».

Nos gouvernants sont devenus des obstacles au vivre-ensemble: il est plus que temps de réapprendre à nous passer de ces béquilles qui nous empêchent d’avancer.

Il fut un temps où nous avions besoin des dieux, vivant dans une Olympe depuis laquelle ils réglaient les affaires du monde. Et puis, un jour, nous avons appris à nous en passer. Eux sont restés sur leur Olympe, persuadés sûrement qu’ils détenaient la vérité et que le peuple qui les oubliait ne comprenait rien. Nous, nous avons continué notre route.

L’Olympe, aujourd’hui, est collée au jardin du Luxembourg, à Paris. Et il serait temps de l’oublier de nouveau.

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Aidez-nous à financer le pourvoi en Cassation de Bluetouff et Reflets.info

lundi 24 février 2014 à 16:54

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Un répertoire de l’extranet de l’ANSES était public, puisque accessible via une requête google.

Bluetouff y a téléchargé des documents, et le site Reflets.info a publié un article sur les nano-argent basé sur un document « Powerpoint « de l’agence de la santé et du médicament. L’ANSES a porté plainte pour piratage de son extranet suite à la publication.

Bluetouff a bénéficié d’un non-lieu en première instance, l’ANSES a abandonné ses poursuites.

Le ministère public a cependant décidé de continuer et a fait appel. C’est lors de cet appel que Bluetouff s’est vu condamné à 3000 € d’amende pour maintien irrégulier dans le système de traitement automatisé de données.

Il faut que Bluetouff puisse se pourvoir en cassation afin de casser cette condamnation qui va à l’encontre de toute logique : tous les documents que vous pourriez télécharger grâce à une requête effectuée par un moteur de recherche pourrait vous transformer en pirate si cette décision restait en l’état.

Le droit à l’information est aussi en cause, puisque ces documents touchaient à la santé publique et donnaient une information que chaque citoyen a le droit de connaître.

Le pourvoi aura un coût d’au moins 10 000 € : à vous de jouer, puisqu’ensemble nous pouvons démontrer au ministère public qu’Internet ne peut pas être un moyen de censure et de pression sur les citoyens et les journalistes, que le « piratage » n’est pas un concept qui se réinvente selon le bon vouloir de certains magistrats !

Initialement, nous souhaitions mettre en place un projet Kiss Kiss Bank Bank. Pas de chance, notre projet n’est pas « créatif« . Nous pensions au contraire travailler à la création d’une jurisprudence évitant une incertitude juridique appliquée à tous les internautes. Mais comme nous ne pouvons pas forcer Kiss Kiss Bank à penser comme nous, nous allons tenter de mener ce projet avec notre propre infrastructure.

Vous pouvez faire un don :

Si vous faites un don pour le pourvoi, merci de nous l’indiquer en accolant le mot « pourvoi » à votre don afin que nous puissions tenir le compte du volume des dons plus facilement.

Au delà de votre soutien financier, nous avons aussi besoin de médiatisation. Vous êtes journaliste ? Ecrivez un article. Vous êtes un internaute ? Faites du bruit, diffusez cette URL autant que vous le pouvez, jusqu’au nouveau procès. Ne vous arrêtez pas. Vous êtes un chat ? Prenez-vous en photo dans une position ridicule et envoyez-nous votre photo.

Etat actuel des dons :

100%

 

En échange de votre aide, nous avions prévu dans notre projet Kiss Kiss Bank Bank, une série de cadeaux/contreparties. Nous les reproduisons ici :

Pour 5 € et plus

Contribution de base pour aider à payer le pourvoi en cassation de Bluetouff. Il faudrait 2000 contributeurs à ce tarif de base pour y arriver. Merci à vous !

Pour 10 € et plus

Là, vous faites un peu plus d’effort, et l’équipe de Reflets comme les défenseurs d’Internet vous en sont gré :-). Avec 1000 contributeurs comme ça, on va en cassation ! Merci encore !

Pour 50 € et plus

Bon, ben là, respect : vous êtes prêt à mettre la main à la poche, on envoie un tee-shirt dédicacé par Bluetouff himself ! 200 bienfaiteurs comme vous suffisent pour aller en cass’. Gros merci.

Pour 1 000 € et plus

Whaaaaaoooooooooo ! Là, soit vous êtes célèbre, rentier, fou, ou à la solde de la CIA, mais en tout cas, vous en voulez à mort à la justice française ! 10 comme vous, et hop, ça part en cass… Un bisou de Bluetouff et de Kitetoa, sur la joue, en public avec un photographe. Le tout publié de partout sur le réseau. Pas chouette ça ?

Pour 10 000 € et plus

Là, c’est louche, mais on prend : vous payez tout seul le pourvoi… Hum, hum…heu…on envoie…un mug reflets ? Ouais, un mug :-) Et un courrier personnalisé, écrit avec l’encre d’une pieuvre vivante, signé de toute l’équipe. On peut pas mieux : mais franchement, vous êtes limite bienfaiteur de l’humanité !
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L’équipe de Reflets.info 

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Après la cyber utopie, le cyber cauchemar ?

dimanche 23 février 2014 à 20:16

Les analyses à propos du réseau informatique mondial sur les 20 dernières années ne manquent pas, et nombreuses sont celles qui en ont fait l’apologie : le réseau devait nous sauver, ou presque. Une nouvelle ère s’ouvrait, faite d’accès universel à la connaissance, aux savoirs, à l’échange, au partage, à la gratuité. Ceux connectés dans les années 90 connaissent le concept de « village global » promu par les codeurs libertaires, opposé aux « autoroutes de l’information », sorte de cheval de Troie capitaliste dont Microsoft était l’emblème. Village global, autoroutes de l’information : au final, ces concepts un peu creux reflétaient surtout différents espoirs placés dans cet outil génial qu’est Internet. En 2014, que sont devenues les cyber-utopies, et surtout : avons-nous basculé dans un cyber-cauchemar ?

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De l’Antiquité du net à la révolution industrielle des géants du réseau

Reflets est un magazine un peu particulier par plein d’aspects. Pour résumer, il est l’évolution à travers le temps de passionnés du réseau qui vivent depuis longtemps au sein du réseau et ont une vision particulière du réseau (et du monde en général), vision qu’ils défendent. Cette précision est importante pour tenter d’entrevoir et comprendre la situation actuelle dans laquelle se trouvent le journal Reflets et ses membres vis-à-vis des concepts importants que sont : l’information, le journalisme, le blogging ou encore la réflexion écrite. Le réseau change, de nouveaux outils s’y implantent, ainsi que de nouveaux comportements, de nouveaux types de communications, de modes d’échanges.

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Reflets n’est pas un journal classique, avec une ligne éditoriale établie, un rédacteur en chef et des journalistes qui cherchent à écrire des sujets pour se faire payer : c’est un lieu où ceux qui publient font ce qu’ils veulent : informer, enquêter, pousser des coups de gueule, triturer des notions, réfléchir, provoquer, analyser, etc… Cette liberté est directement liée à la cyber-utopie que cet article tente d’évoquer. Ici, sur Reflets, la liberté est de mise, comme à l’époque où les grandes entreprises verticales du net n’existaient pas. Quand l’internaute naviguait à vue, dans un océan de pixels et de bits, ne sachant jamais ce qu’il allait trouver, qui il allait rencontrer, ou ce à quoi il allait être confronté. Une sorte de cyber-Antiquité, un temps mythique où l’aventure en ligne était une réalité.

Après une forme de moyen-âge survenue dans les années 90, une renaissance (?) s’opère dans les années 2000 avec l’émergence de cette notion étrange du web 2.0 —qui voudrait que l’on puisse alors (enfin) fournir du contenu en tant qu’internaute — comme si ce n’était pas possible auparavant (!)—, nous voici arrivés à l’époque de la « révolution industrielle » du réseau. Et quand l’industrie prend le gouvernail, les utopies sont souvent battues en brèche.

Démocratie totalitaire ?

Très tôt des penseurs du net ont cherché à comprendre ce qu’il était réellement en train de se passer, au delà des poncifs vendus à longueur de page web par les cyber-béats de la révolution numérique. « Utopie.net: la réalité Internet après le rêve » (de Pascal Lapointe), est l’un de ces ouvrages, publié en 2002.  Extrait choisi :

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Ce que l’auteur souligne est très éclairant avec des lunettes de 2014, soit 12 ans après : la confusion règne à un niveau rarement égalé, et quant à la démocratie, chacun peut s’accorder à dire qu’elle est plus que vacillante. La loi de programmation militaire, votée en décembre dernier dans la plus grande discrétion, avec son article 20, instaure par exemple une nouvelle forme de fonctionnement démocratique que l’on pourrait qualifier de totalitaire. La démocratie totalitaire est un concept vicieux, puisqu’en surface les citoyens ne peuvent accuser les dirigeants en place pour lesquels ils ont voté, de les bâillonner. La liberté d’expression est garantie, la justice indépendante, mais en coulisse, tous les outils des régimes totalitaires sont en place—et les citoyens le savent parfaitement. Ce que l’auteur d’ »Utopie.net: la réalité Internet après le rêve » analyse, est donc ce retournement d’un outil extraordinaire, le réseau des réseaux, pouvant émanciper les individus, mais menant au final à une nouvelle forme d’asservissement :

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Cette idée de l’écrasement de la pensée par l’impossibilité de trier les informations trop nombreuses, en flux continu, surpassant les capacités humaines peut-elle mener à une sorte de sidération ? Avec un risque majeur : la paralysie. Est-ce cette paralysie qui est déjà active ?

Contrer le cyber cauchemar

Les mouvements de contestation sont nombreux en France de quelconque bord qu’ils soient, avec les revendications les plus hétéroclites. Tous utilisent le réseau. Plus particulièrement les réaux sociaux, qui  leur permettent de diffuser très rapidement, de façon virale, tout type d’informations, allant de la dénonciation de lois scélérates à des rumeurs les plus absurdes. La société est fragmentée, le réseau est devenu un champ de captation de données personnelles incroyable que les citoyens cèdent dans un aveuglement abasourdissant : Facebook est le système de fichage le plus performant que la DCRI n’ait jamais rêvé, Google (et d’autres que lui), bras armé des gouvernements, scanne la vie numérique du plus grand nombre. Ces constats effectués, il reste pourtant des des voies pour sortir du cyber-cauchemar ayant remplacé la cyber-utopie.

LQDN

Ces voies passent par l’action marquée des collectifs de cyber-technophiles (terme plus précis et moins connoté que celui de geeks ou hackers) ayant pour objectifs, comme ce fut le cas il y a plus de 15 ans— l’accès à la connaissance, l’échange, le partage, la liberté individuelle et le progrès social. Tous ces objectifs ne devraient pas se perdre dans la basse politique, activée de toute part par ceux qui n’ont aucun amour du réseau, mais seulement intérêt à le soumettre à leur propre désir de pouvoir. LQDN en est l’un de ces collectifs, il faut les soutenir encore plus, les mettre plus en avant, et créer d’autres collectifs, comme celui (d’août 2013) de Laurent Chemla, avec son projet de messagerie sécurisée

L’utopie peut être réactivée, ce n’est qu’une volonté de ceux qui la défendent, contre ceux qui poussent au cyber-cauchemar. Avec un élément à conserver à l’esprit : on ne peut pas vouloir quelque chose et agir à l’inverse. La responsabilité est collective, et si la marchandisation du réseau est telle, écrase tout, c’est qu’une majorité la plébiscite. A nous, acteurs de la cyber-utopie, de permettre à ceux qui n’ont pas connu l’âge mythique d’Internet, de les convaincre qu’ils peuvent participer à stopper le cauchemar. Et pourquoi pas, retrouver le souffle des origines ?

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