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12 cigarettes (4)

mardi 6 janvier 2015 à 15:38

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Partie 4 : dernière bouffée
Les dernières bouffées de la dernière cigarettes sont particulières. Elle ne sont plus vraiment agréables, et pourtant, je les apprécie quand même. Je sais qu’il n’y en aura plus d’autres, jusqu’au matin. C’est une sorte de sevrage, une conclusion entre moi et la tige de papier-tabac. Je sais que je vais mourir, et même si cette cigarette m’épuise, me blesse la gorge et les poumons, elle est une dernière chance d’être présent au monde. J’aime la douleur de la fin de la dernière cigarette. Quand la fumée s’efface, le monde fait de même. Jusqu’au matin.

*  *

—  « Il a découvert quelque chose d’incroyable. Quelque chose qui démontrait ce qu’était réellement l’univers, la théorie unificatrice que tous les physiciens cherchent depuis 150 ans. Mais il ne l’a pas trouvé de façon théorique. Non, il a trouvé la réponse dans le code. Il a trouvé la clef, dans le code quantique, avec le calculateur. »
Le médecin psychiatre attendait, l’air pensif. Il avait déclenché une alarme de niveau 1 avec le pad. La sécurité était prévenue que quelque chose se tramait, ils ne feraient rien, mais se tiendraient prêts au cas où il enclencherait le niveau 2. La femme parlait de façon détendue, mais sa voix trahissait une émotion profonde. Son histoire devenait surréaliste. Peut-être une psychose ? Ou bien…
— « Vous avez travaillé là-bas pour connaître cette histoire ? »
— « Ma propre histoire est sans importance, vous vouliez connaître la sienne, mieux savoir qui il était, n’est-ce pas ? »
— « Oui, c’est vrai, mais… »
— « Alors laissez-moi parler de lui. »
Le médecin se redressa un peu et tapa avec trois doigt sur le bureau un texte qui s’afficha instantanément sur le pad : « comportement agressif — difficulté avec l’autorité – Instabilité émotionnelle ? »
— « Excusez-moi, je vous en prie, continuez… »
— « Je ne vais pas vous donner tous les détails scientifiques, vous devez savoir que la physique quantique est d’un abord plutôt ardu, mais disons que la découverte fondamentale démontrée par le programme quantique était entre autres que la matière n’existait pas. Même si les chercheurs s’en doutaient depuis longtemps, puisque le photon est par exemple à la fois une particule et une onde. Cette démonstration informatique avait des répercussions très profondes. Au point qu’il a même été demandé d’arrêter le programme… »
Le médecin profita de la pause qu’elle effectuait pour poser sa question :
—  « J’entends bien ce que vous me racontez, mais cela ne donne pas beaucoup plus d’indications sur mon patient, vous comprenez. Vous me disiez vous même que son métier n’était pas important au début de notre discussion, et là, vous me parlez des activités professionnelles qu’il avait il y a 7 ans. C’est intéressant la physique quantique, les calculateurs, les théories scientifiques, mais je ne sais toujours pas mieux qui il est. Vous pouvez m’en dire plus à son propos ? Quel homme il était ? »
Elle hocha la tête.
— « Je comprends votre agacement. Le problème est que je n’ai pas tous les éléments intimes que vous désireriez avoir, je sais des choses, mais je n’étais pas avec lui, donc… Disons qu’il était passionné, entièrement captivé par son programme. Il ne sortait plus du bâtiment de recherche, il dormait avec le calculateur, il respirait avec lui.  Lorsque les responsables ont vu ce qu’il avait créé ils lui ont demandé d’arrêter. D’arrêter le programme. Il n’a pas pu. Je pense que c’est la raison qui explique sa présence ici. Il est venu de lui-même, je crois, n’est-ce pas ? »
— « Je ne peux pas vous révéler ce type d’information. Je vous en prie, continuez. »
— « Vous savez que les particules élémentaires n’ont pas de masse ? La découverte de ce que les scientifiques ont nommé la particule de Dieu, le Boson de Higgs a permis de relancer la recherche sur le fonctionnement de l’univers…»
Le médecin hocha la tête pour marquer son assentiment.
— « Les particules élémentaires n’ont pas de masse, parce qu’en réalité, tout n’est qu’information. L’univers entier n’est qu’information, rien d’autre. Et ce qu’il a fait, c’est de le démontrer avec le C-Quantum. »
Le médecin haussa un sourcil.
— « Et comment a-t-il fait ? »
Elle sourit, presque malicieusement :
— « Il a créé l’univers. »
Le doigt du médecin hésitait à valider le passage en alerte niveau 2. Il balançait entre plusieurs attitudes. La femme attendait, comme si elle savait ce qu’il était en train de penser et d’hésiter à faire, se dit-il. Dehors, la température était de 20° Celsius, le ciel était d’un bleu profond. Une allumette s’enflamme. Une cigarette s’allume. Un homme regarde le ciel à travers une petite fenêtre dans une pièce aux murs blancs. Il tire une bouffée. Tout est parfait. Immanquablement.

Le président du bureau vide et le monde du XXIème siècle

lundi 5 janvier 2015 à 15:40

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Il y a des dizaines de raison qui expliquent le mécontentement des Français à l’encontre du président François Hollande. Les commentateurs, les sondeurs tentent d’ailleurs en permanence de faire la synthèse de ce désenchantement français avec de savantes analyses qui n’expliquent peut-être pas tout. L’une des raisons qui n’est pas abordée à propos du désamour des Français à l’égard de François Hollande, est peut-être logée dans un phénomène inconscient mais important, celui d’une sensation de vide. Un vide à plusieurs niveaux.

Mais qui est-il, et que fait-il ?

La Vème République a été taillée sur mesure pour le Général De Gaulle en 1958. Cette République, présidentielle, concentre donc par essence le pouvoir entre les mains d’un homme, le président. Ce qu’il dit, exprime, fait, son attitude — ont une grande influence sur la confiance du pays. Tant auprès des électeurs que des acteurs économiques, sociaux, institutionnels. Et la confiance est devenue une sorte de poumon des démocraties post-industrielles mondialisées.

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François Hollande renvoie des sentiments déplaisants au public, dans une large mesure, lors de ses interventions. L’avant dernière en date était télévisuelle, et représente à elle seule la singularité du système politique français et de son chef de l’Etat. Le président énonçait ses vœux pour l’année 2015. Dans un décor vieux de plusieurs siècles, couvert de dorures monarchiques, à l’Elysée, le président de la cinquième économie mondiale a parlé à « son peuple », assis derrière un grand bureau en bois précieux…totalement vide. Impressionnante vacuité du monarque républicain qui n’offre comme image de son travail que celle d’un bureau vide. Pas d’ordinateur, ni dossiers, ni papiers, rien. Un bureau, le même que celui où était assis le Général De Gaulle en 1958. Sans rien dessus.

Théorie de la vacuité

Il y a plusieurs explications possibles à cette incroyable attitude présidentielle en total décalage avec l’époque, les mœurs, et surtout  la réalité de cette moitié de deuxième décennie du XXIème siècle. Soit François Hollande est une marionnette qui n’existe que parce qu’il est obligé d’apparaître et de laisser entendre qu’il travaille (comme un chef d’Etat doit le faire) — mais a oublié d’essayer même de le démontrer — soit François Hollande vit dans un autre siècle. Le précédent. Soit les deux. Mais ce qui reste stupéfiant, et ne peut que créer un malaise, une grogne, de l’agacement, voire de la colère, c’est la parfaite inconscience de cet homme élu par des millions de personnes. Hollande parle comme un homme qui vivrait ailleurs, dans une autre sphère, un autre temps. Il répète, scande des phrases lisses, communiquées par avance et entièrement accolées à des réalités purement statistiques. C’est un jeu que pratique François Hollande — un jeu qui passe par des sondages d’opinion, des informations considérées comme importantes par les spin doctor — un jeu de dupes avec la foule.

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Le président français est un mauvais comédien, c’est certain. Il énonce son désir de dynamisme derrière un bureau vide. Il est très difficile de travailler tout en étant dynamique avec un bureau vide. De devoir écouter des conseillers qui passent leurs journées à fouiller l’information pour tenter de faire passer des pilules et faire basculer les sondages ou tenter d’inverser des courbes. Une sorte de management à distance. Un homme qui n’a jamais dépassé l’époque des machines à écrire et du stylo à plume s’essaye à diriger un pays qui a basculé dans l’ère des réseaux informatiques d’information ? Vacuité d’un énarque diplômé en 1980, à l’époque de la télématique, face au fourmillement des espaces numériques ?

Deux heures au micro de France Inter : il baille

Bien entendu, se focaliser sur des détails comportementaux d’un chef d’Etat est réducteur. Mais quand la politique ne fait plus de politique, qu’elle ne fait que remplir du vide avec du vide, que reste-t-il en terme de compréhension, de sens ? Les différentes réformes dont parle François Hollande à chaque fois qu’il intervient dans l’espace médiatique ont toutes été analysées à la loupe et ne parviennent à convaincre personne. Ce ne sont pas des réformes, mais des aménagements techniques que n’importe quel gouvernement technocratique pourrait opérer.

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Celui qui se veut leur instigateur, le président, vient donc faire une sorte de service après-vente, ou avant-vente, comme n’importe quel commercial pourrait le faire pour le compte d’une entreprise qui tente de vendre ses produits au plus offrant. François Hollande se pose des questions à lui-même à l’antenne de France Inter, et y répond, exactement comme le faisait Nicolas Sarkozy. La seule nuance est la forme, le plus souvent interrogative, tandis que l’ancien président était un féru de la forme interro-négative. Une rhétorique pratique pour ne pas développer une réponse directement reliée à une question, puisque l’on reformule sa propre interrogation. Le discours du vide dans l’auto-questionnement sur le néant. Au point de bailler très fortement au micro. Il faut dire que tout ça est très fatiguant, à la limite de l’ennui absolu. Pour lui, comme pour les auditeurs.

Simplification : et si on simplifiait Hollande ?

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Le président de la simplification — dont l’ennemi était la finance — celui qui une fois président refuse d’appliquer son programme, n’est pas très content qu’on lui rappelle ses renoncements. Il parle du « travailler plus, en travaillant le dimanche », de la « loi de dérégulation d’Emmanuel Macron », des « pactes de baisse des charges sur les entreprises » comme si tous ces aménagements législatifs (normalement propres à la droite) des fonctionnements du XXème siècle allaient faire basculer la société dans le XXIème. Ce qui est le plus étonnant, c’est que l’homme qui travaille derrière un bureau vide sans ordinateur est certainement l’un des derniers à vivre encore au XXème siècle. Et si François Hollande veut simplifier, il serait peut-être intéressant de lui proposer une simplification centrale et incontournable : celle de la constitution et du présidentialisme. Evacuer ce président ou le remettre à une place bien moins centrale, laisser la population participer à la vie démocratique et exprimer de façon plus ouverte ses choix, moderniser tous les appareils d’Etat et remettre les élus à une place qu’ils devraient avoir : celle de simples citoyens qui durant un seul et unique mandat, peuvent être au service de la collectivité.

Le président du grand bureau vide en bois précieux est-il en mesure d’entendre ce types de changements, lui qui se définit encore comme le « président du changement » ? Rien n’est moins certain. A moins que la situation de François Hollande ne finisse par se simplifier de façon dramatique ? C’est quand on est acculé qu’on peut donner le meilleur de soi-même. Oui, mais si l’on est vraiment en charge des affaires. Ce qui reste à démontrer.

12 cigarettes (3)

dimanche 4 janvier 2015 à 19:32

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Partie 3 : volutes

Il y a mille et une manière de fumer. La tenue de la cigarette, par exemple. Elle peut se faire entre le majeur et l’index, ou bien entre le pouce et l’index. La main tournée vers le haut ou bien vers le bas. Les bouffées peuvent être rapides et courtes, ou anxieuses ou bien encore longues et apaisées : chaque fumeur crée son univers de fumée avec ses propres règles. Les volutes de fumées ne sont jamais les mêmes. Jamais. Aucune n’est identique. La sensation change — elle aussi — au cours du temps, et c’est lorsque j’enflamme la septième cigarette qu’une véritable mutation s’opère, pour moi, en moi. La fumée de cette septième cigarette n’est plus la même, mon goût est modifié par l’accumulation des saveurs des six autres et une fatigue commence à se faire sentir. Mêlée d’un apaisement. Je la fume plus lentement. Je sens la fumée s’accrocher dans ma gorge un peu irritée, la chaleur de chaque bouffée est plus intense. Je vois le monde à travers le voile bleu qui sort de ma bouche, il s’efface un peu, s’éloigne. Puis la brûlure caractéristique de la dernière bouffée conclut la septième cigarette. Je sais qu’il me reste moins que la moitié de mon existence. Immanquablement.

*  *

Le médecin se décida à poser la question, il commençait à s’impatienter, tout en sachant très bien qu’il devait en savoir plus.
— « Nous sommes-nous déjà rencontrés ? »
Elle savait qu’il lui demanderait ça. La sensation de déjà-vu l’avait envahi. Immanquablement.
Sa réponse, préparée d’avance, était un élément crucial.
— « Non. Mais oui, en quelque sorte. »
— Je ne comprends pas. Comme la date de demain. Vous ne m’aidez pas, et je ne sais pas si nous allons… »
Il fallait qu’elle l’empêche de se rétracter. Immédiatement.
— « Je vais vous l’expliquer, si vous acceptez d’entendre des choses qui pourraient vous paraître délirantes. Et je sais bien que c’est votre métier de traiter le délire, ce n’est donc pas évident pour moi, vous comprenez. Vous acceptez d’entendre mes explications ? »
Il soupira. La rampe de leds clignota un peu comme sous l’effet d’une baisse de tension électrique. Le visage de la femme avait changé sous l’effet du clignotement lumineux. Il était plus masculin. Plus acéré. L’inquiétude commençait à s’insinuer en lui, mais sa curiosité était piquée au vif. Le médecin déglutit et lui répondit de la façon la plus posée qu’il pouvait. Il avait eu affaire à des personnes bien plus inquiétantes au cours de carrière, se dit-il intérieurement :
— « Bien entendu. Je vous écoute. »
— « La date de demain est importante pour lui, et en réalité pour nous, mais c’est lui qui l’a déterminée. Vous comprendrez quand je vous aurai expliqué mieux qui il est, et ce qu’il a fait. Nous ne sommes jamais rencontrés, docteur, et vous pourriez passer le restant de vos jours à chercher — façon de parler — si vous m’avez déjà vue auparavant, et vous n’arriveriez à rien. Le seul problème, est qu’en vous, quelque chose vous dit que vous me connaissez, et — peut-être même — que c’est surtout cet instant que vous connaissez déjà. » Elle avait accentué le « déjà » final, qui fit cligner un œil du médecin. Il pencha la tête de côté :
— « Un déjà-vu, vous voulez dire ? »
— « Oui, appelons-le ainsi, si vous voulez. Vous connaissez ce moment, vous avez l’impression de revoir la scène, comme si c’était un film, n’est-ce pas ? Ne me répondez pas, ce n’est pas important. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, comme je vous le disais, et pourtant, nous avons déjà vécu cet instant… disons… un milliard de fois ? Il faut que je refasse le calcul. Mais je sais que je dois vous expliquer qui il est. Sinon, ça ne servira à rien. Sinon, nous recommencerons. »
Le médecin se sentait très mal à l’aise. Il fit un geste de la main pour lui demander d’interrompre son monologue et lui demanda d’une voix un peu tremblante :
— « Je peux prendre quelques notes ? Vous enregistrer ? »
— « Tout ce que vous voulez, docteur. »
Il sortit un pad, le manipula rapidement, et reprit contenance, un sourire figé sur les lèvres.
— « Je vous écoute. »
— « Tout a débuté il y a 7 ans, en 2035, au CERN. Il travaillait sur le nouveau C-Quantum. Il était très doué, certainement le plus doué. Vous connaissez les calculateurs quantiques, docteur ? »
Il hocha la tête.
— « C’était un mathématicien, devenu codeur quantique. Il y a très peu de personnes capables de programmer ces ordinateurs. Très peu. » Elle sentit sa lèvre inférieur se mettre à trembler alors qu’elle finissait sa phrase. L’émotion commençait à l’envahir. Il fallait qu’elle se contrôle.
Le médecin tapotait devant le pad. Il s’arrêta et attendit.
La fumée de cigarette emplissait l’espace de la chambre d’isolement, quelques dizaines de mètres plus loin.

12 cigarettes (2)

vendredi 2 janvier 2015 à 19:16

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Partie 2 : Petite enfance

La première bouffée de la première cigarette plonge le fumeur dans un chaos de sensations. La tête tourne, la gorge s’enflamme, le monde s’amplifie comme si la fumée le rendait plus réel. C’est un moment étonnant, et j’aime le revivre, chaque matin. Je découvre le monde. Ma naissance est celle du monde, je me confonds avec lui et cette première fumée d’origine. La petite boite en argent ne contient plus que 11 cigarettes. Le ciel a changé de couleur. Il est bleu. Jusqu’à ce que j’allume la deuxième cigarette. Celle de la petite enfance. A 10h. Cette deuxième cigarette est toujours âcre, bien que mon palais ait gardé le goût de la première. Elle dégage plus d’arôme, se diffuse plus profondément en moi. Je crois que je l’apprécie encore plus que la première. La deuxième cigarette, celle de la petite enfance est une cigarette de l’exploration. Des sens, de l’espace. Je regarde la porte blanche qui ferme la pièce à travers le nuage de fumée et je souris. Il ne peut plus rien m’arriver. Ni à moi ni à personne. Je ferme les yeux et aspire une nouvelle bouffée.

*   *

— « Vous pouvez m’expliquer pourquoi nous ne pouvons rien, comme vous dites, pour les cigarettes ? »
Elle s’était reprise, avait calmé sa respiration. Elle ne devait pas s’emballer, elle le savait. Combien de fois avait-elle répété cette situation ? 20, 30, 50, 100 fois ? Elle devait réussir. Immanquablement. elle regarda le médecin droit dans les yeux et lui parla d’une voix calme. La plus apaisante qu’elle pouvait.
— « Il y a cette boite en argent qui contient les 12 cigarettes et les 12 allumettes. Vous la trouvez tous les matins remplie, n’est-ce pas ? »
Le médecin sembla hésiter, puis répondit comme à contrecœur :
— « Oui »
— « Et ça ne vous inquiète pas ? Vous ne trouvez pas ça étrange, inquiétant ? »
— « Comment pouvez-vous savoir ? »
— « Je vous le dirai quand j’aurai la garantie d’avoir un accès jusqu’à lui. Mais vous ne m’avez pas répondu : vous n’êtes pas inquiet pour les cigarettes ? »
Le médecin cligna des yeux. Une goutte de sueur perlait du haut de son front, elle commença à glisser vers le sourcil gauche. Il n’y avait aucun bruit. Il lui répondit d’une voix neutre. Peut-être trop neutre.
— « Je ne suis pas là pour parler de mes émotions, vous le savez bien. Il fume les cigarettes, et je n’ai pas de doute sur le fait qu’il les fumera encore demain »
Elle répondit du tac au tac :
— « Et bien moi, je crois que c’est là que vous trompez gravement, docteur, justement »
— « Pourquoi ? »
— « Parce que nous sommes le 3 février. Et que par conséquent, demain nous serons le 4…»

Le médecin regarda plus attentivement le visage de la femme assise en face de lui et se dit que ses traits lui disaient quelque chose. Mais quoi ? Une rencontre ? Le réseau ? Une publicité ? Peut-être autre chose. Comme un déjà-vu. Oui, c’était certainement ça. Un déjà-vu.
La troisième cigarette devait être déjà allumée. Avant 11 heures. Immanquablement.

De la fragilité de la liberté (fin) : dream, sex and hope

vendredi 2 janvier 2015 à 18:55

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Ken Follet, dans ce troisième tome, s’attache à la deuxième moitié du vingtième siècle et nous livre une fresque de l’affrontement des deux blocs et du monde terrifiant que cette guerre froide laisse entrevoir. Malgré la dangerosité de la situation, les identités s’affirment et les minorités de tout bord luttent fermement pour leur égalité et leur liberté.

Quand la non violence semble être la solution

Aux Etats-Unis, la société s’apprête à changer mais cela ne se fait pas sans résistance. Du côté de la population noire, la colère gronde et l’injustice devient insupportable. L’affaire Rosa Parks, la création de la SCLC par Martin Luther King, la naissance du mouvement de Malcolm X, le décret par J.F Kennedy instaurant la discrimination positive sont autant de signes qui laissent envisager l’arrêt de la ségrégation raciale.

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Mais, comme toute photographie, le positif a son négatif.

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Le I have a dream de Martin Luther King se transforme en cauchemar. Malcolm X, Martin Luther King assassinés, les blacks semblent revenir au point de départ. La non violence a montré ses limites, le black power s’affirme et se renforce. Les présidents successifs ont usé et abusé des messages contradictoires, tendant la main pour la retirer aussitôt pour brandir le poing et déployer une répression ultra violente.

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Finalement, des décrets interdisant la discrimination raciale rentrent en vigueur, non sans mal. Qui aurait cru qu’un black serait élu en 2008 au plus haut poste des Etats-Unis ?

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Malgré toute la symbolique de cette élection, les choses ne sont encore pas si simples, il suffit de voir les statistiques sociologiques et socio-professionnelles dans certaines villes des States pour s’en convaincre.

Si Woodstock m’était conté

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Parallèlement, une autre lutte pour les libertés fait rage, d’abord aux Etats-Unis puis dans toute l’Europe. La jeunesse se sent oppressée, les femmes demandent plus de droits, particulièrement celui de pouvoir maîtriser leur sexualité et leur reproduction et plus largement d’être respectées à l’égal des hommes, les drogues se consomment librement sur fond de musique psychédélique. Le flower power est en plein essor.

Ken Follet partage avec nous cette jeunesse considérée dépravée par certains, jeunesse en mal de liberté, qui a su par une incroyable créativité artistique, imposer son monde, un nouveau monde où l’amour prévaut sur la guerre, où le sexe se libère.

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Le droit à l’avortement, la contraception, la liberté de choix sexuel, sont autant d’acquis sur lesquels nous vivons actuellement. Mais ces acquis sont fragiles, et il n’est pas tout à fait certain que nous ayons su en faire bon usage. Que dire de l’image de la femme aujourd’hui ? que conclure de certaines images publicitaires ?

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Another brick in the wall

A la lecture de cette trilogie, de nombreuses questions se posent. Ken Follet décrit de manière très émouvante la chute du mur de Berlin, cette incroyable liberté que les berlinois de l’Est, et les populations des satellites de l’URSS ont pu savourer. Le bloc soviétique s’effondre sur fond de musique, de rires et de joie. Nous avons tous encore ces images incroyables de jeunes berlinois démontant le mur, brique par brique.

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Le sieur Gorbatchev sort grandi de cet épisode comme étant l’homme de la Perestroïka, Perestroïka qu’il a désirée certes mais qui s’est aussi imposée à lui tant l’URSS était en piteux état. Il n’est même pas certain que cette victoire soit celle d’un peuple opprimé, ne serait-elle pas simplement la victoire d’un capitalisme anthropophage et liberticide ?

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Nous sommes maintenant en 2015 et les constats ne sont pas très positifs. Ces élans de liberté du siècle dernier semblent évaporés dans l’ambiance délétère actuelle. Les injustices se succèdent, la violence identitaire transpire partout dans le monde, le fascisme pointe son nez, jusque chez nous. Le racisme se banalise, devient la norme. N’avons-nous vraiment retenu aucune leçon d’histoire ?

Il est légitime de se demander si en fin de compte nous ne sommes pas juste une autre brique dans ce mur de violence et d’intolérance.

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