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Nous vous scrutons, bien que ce ne soit pas vous la cible

jeudi 14 juillet 2016 à 10:53

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Comment repérer des criminels dans une foule, sans scruter la foule ? Comment connaître les habitudes des terroristes sans connaître celles des non-terroristes ? Comment établir des profils type, sans les comparer à un ensemble ? Comment créer des alarmes comportementales sans connaître les habitudes du plus grand nombre ? Comment fouiller la vie privée d’un seul individu, sans savoir à quoi correspond le quotidien des autres ?

Toutes ces questions n’en représentent qu’une seule. Celle de la fin et des moyens dans la lutte contre le terrorisme, et plus généralement, contre la criminalité. Plus avant encore : quels moyens mettre en place pour empêcher, répondre à toute tentative d’opposition aux institutions et leurs représentants, contre l’ordre établi. Ou de fraude. De dissidence. De contestation ?

Nous parlons bien entendu de la surveillance — par des biais technologiques — cette nouvelle forme de gouvernance politique qui se répand à une vitesse exponentielle, sans garde-fous ni débats de fond. Comprendre ces technologies — et leur utilisation effective ou supposée — est une nécessité citoyenne, puisque sans connaissance il est impossible de contrecarrer un projet, quel qu’il soit.

Cet article est le premier d’un dossier sur « l’algopolitique », ou comment les algorithmes peuvent remplacer les hommes et les femmes politiques quand ceux-ci n’ont plus aucune vocation autre que celle de renforcer et administrer un système politico-économique en grande déliquescence.

Data mining, IOL et croisements de bases de données sont dans un bateau

Et personne ne tombe à l’eau. Car le bateau est très neuf, avec des rambardes en acier trempé. Pour l’instant.

La récente annonce du succès de l’administration française « pour chasser les fraudeurs » aux prestations sociales grâce au « big data » couplé aux algorithmes de data mining (précisons que sans le data mining via des algorithmes, on voit mal comment des êtres humains pourraient croiser des milliards d’informations issues des big data) est une bonne campagne de communication. Imaginez que plus de 200 millions d’euros de prestations indûment versées à ces scélérats de citoyens indélicats ont été ainsi économisés. Le citoyen affalé sur son canapé devant son poste (en attente de la retransmission d’un match de l’Euro 2016 ou de son épisode de téléréalité) applaudit : la technologie se préoccupe d’économiser ses impôts en fouillant dans la vie administrative de tous. Formidable. Quel progrès…

Le croisement d’informations entre la CAF, la CPAM, l’UNEDIC, etc, permet aux robots logiciels de détecter les anomalies et pointer ainsi de leur doigt digital tous ceux qui ont touché de l’argent des caisses de l’État ou des commissions paritaires alors qu’il n’auraient pas dû.

Extrait du document « Lutte contre la fraude bilan 2014 » de la Délégation nationale de lutte contre la fraude :

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Dans le sens inverse, rien n’est fait, bien entendu. On estime pourtant à… plus de 7 milliards d’euros annuel le montant des prestations sociales qu’une partie de la population pourrait toucher… et ne touche pas (lire « La face cachée de la fraude sociale » — le Monde Diplomatique, juillet 2013). Toute cette technologie de fouille des données par des agents informatiques à été mise en place sans aucune concertation, comme si déléguer des tâches administratives [pouvant créer des drames humains] n’avait aucune importance. Remarquons que la majorité des bénéficiaires de prestations sociales (allocations logement, chômage) est de condition modeste. N’oublions pas non plus que la fraude à la sécurité sociale en France représente 4 milliards d’euros, qu’il faut comparer à celle aux impôts qui s’élève à 25 milliards et celle aux prestations (des entreprises)… à 16 milliards d’euros. Mais avec le discours politique sur la fraude des « petits en grand nombre » , des « sociétés de l’innovation numérique » ne s’y sont pas trompées et proposent leurs services :

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La formidable puissance des algorithmes et du machine learning au service de la chasse à la fraude : difficile de ne pas adhérer au concept…

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Et IOL dans tout ça, me direz-vous ? Les interceptions administratives sur Internet ont été mises en place dans le plus grand secret, et personne n’est en [encore] en mesure de dire comment les sondes implantées dans les DSLAM (les équipements auxquelles sont connectées les paires de cuivre des abonnés au téléphone pour accéder à Internet) « travaillent », ni quand, ni à quelle fréquence, à quelles fins, ni même pour quels services de l’État. Mais pour autant, de nombreux indices peuvent permettre de se faire une idée de l’utilisation effective ou future d’IOL…

Scruter la population en préservant l’anonymat : la panacée selon… les politiques

Les élus feignent semblent ne pas comprendre parfaitement les technologies mises en œuvre aux fins de surveillance ou de détection du « crime ». Les concepts d’algorithme, de data mining, de machine/deep learning peuvent par exemple leur paraître tout à fait pertinents et sans conséquences pour les libertés publiques dans le cas de la reconnaissance faciale par caméras, alors qu’ils jurent — dans le même temps — ne pas vouloir « surveiller tout le monde » sur Internet. L’exemple récent du projet de loi de reconnaissance faciale donne une bonne indication de la duplicité compétence toute relative des responsables politiques dans ce domaine. Nos confrères de NextInpact s’en sont fait l’écho :

(…) Une proposition de loi autorisant les forces de l’ordre à recourir à des logiciels capables de reconnaître – en temps réel – le visage de certaines personnes à partir des images retransmises par des caméras de vidéosurveillance (…)

Des bases de données avec des photos de fichés « S » (les individus considérés dangereux pour la sécurité intérieure), des caméras publiques, des algorithmes qui scrutent, scannent les visages dans la foule et tentent de « matcher » ceux qui défilent sous leurs yeux électroniques avec ceux référencés dans les bases de données (vidéo France TV : http://www.francetvinfo.fr/monde/terrorisme-djihadistes/lutte-contre-le-terrorisme-la-reconnaissance-faciale-bientot-utilisee_1407057.html) : voici la proposition des politiques. Bien entendu, toutes les « garanties » sont là pour préserver les libertés publiques, l’anonymat, etc… d’après eux. Mais NextInpact souligne un point incontournable, et central :

(…) Les auteurs de cette proposition de loi ne peuvent toutefois feindre que pour repérer un individu dans un océan de visages, les logiciels de reconnaissance faciale devront nécessairement scruter l’ensemble des personnes entrant dans le champ des caméras(…)

Les sondes IOL et les boîtes noires fonctionnent exactement comme la reconnaissance faciale : elles sont obligées de capturer toute l’information qui passe, pour en faire l’analyse. Et de la même manière que les caméras, ce n’est pas toute la population française qui est scannée, mais toute la population qui passe devant ces caméras. Ou toutes les métadonnées (ou via le DPI, certaines informations contenues dans les paquets IP ?) de la portion de population que les sondes des DSLAM — actives à un moment « T » —décident de capturer.

Gestionnaires politiques assistés par ordinateur

Les gouvernants ont l’intention de faire de la « transition numérique » une opportunité pour améliorer leur contrôle dans la gestion du pays, et des administrés qui le peuplent. La GPAO (gestion politique assistée par ordinateur) se met en place sans se nommer. Ce que de nombreux chercheurs appellent gouvernance algorithmique ou plus simplement : algopolitique. Sans paranoïa aucune, ou comparaison avec des œuvres de fiction dystopiques, il est nécessaire de permettre au plus grand nombre de bien comprendre ce qui est mis en œuvre par les différents gouvernements français, dans le cadre de l’utilisation des technologies issues des big data (ou mégadonnées en bon français) à des fins politiques. Que ces fins soient déclarées uniquement sous des prétextes sécuritaires, anti-terroristes, que les mesures soient « encadrées » ou « sous contrôle » ne change rien à un phénomène qui doit être débattu. Avec l’algopolitique, nous changeons de modèle de société, de mode de gouvernance, et de contrat social. Si aucun représentant du peuple ne vient rapidement soulever cette problématique, il y a fort à parier que ce que nous nommons encore « libertés individuelles » aujourd’hui, n’aura plus rien à voir demain.

[Le prochain article traitera spécifiquement de l’algopolitique et des  technologies, recherches, outil liés à ce « concept » à l’étranger comme en France]

 

Bug Bounty : le Pentagone enfume avec succès la presse

dimanche 26 juin 2016 à 14:34

hack_the_pentagon_thumb1Remercions ici Emmanuel Paquette, journaliste à l’Express. Sans sa sagacité, nous aurions raté ce merveilleux article qu’il a retweeté : « Des hackers ont repéré 138 failles dans le système informatique du ministère de la Défense américain« . Cela nous donne l’occasion d’expliquer comment la presse peut se faire enfumer par une entreprise ou une organisation avec un titre vendeur. Quoi ? Le Pentagone, cette forteresse imprenable, ce temple de la sécurité informatique aurait des failles ? Mieux, ce sont des hackers qui les auraient découvertes ? Incroyable ! Ou pas…

Tous les historiens du Net le savent (mais visiblement pas tous les journalistes) le Pentagone, comme la NASA, sont des gruyères depuis… Toujours.

Le programme de bug bounty du Pentagone portait sur des sites Web publics. Un peu plus conscient des restrictions que cela implique que la presse, le ministère de la défense américain précise en fin de communiqué de presse qu’à l’avenir d’autres services seront soumis à la même procédure.

Cent trente-huit bugs, donc… C’est tout ?

Nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, Reflets est assis sur une tonne (ou deux) de documents internes de l’armée américaine concernant ses réseaux informatiques, ses outils lui permettant de communiquer, de mener des guerres. Ce n’est pas juste pour les autres journaux qui travaillent sur ces sujets, mais cela nous donne une vision un peu plus large pour analyser les événements. A titre d’exemple, peu après les premières révélations PRISM, nous avions pris la peine d’alerter nos lecteurs que PRISM était sans doute un petit bout de quelques chose qui s’insérait dans quelque chose de beaucoup plus gros. Cet apparente perspicacité s’explique par notre étude de ces documents depuis des années.

De la même manière, nous pouvons annoncer que de très nombreux bugs seront trouvés lorsque le Pentagone élargira à d’autres services son opération de bug bounty.

Pas simplement parce qu’il serait passé à côté de failles difficilement identifiables.

Mais parce que le Pentagone, comme n’importe quelle organisation ou entreprise est amené à faire des compromis. Un projet, il faut que ça marche. Entre un besoin, un service rendu et la sécurité, il faut toujours faire des compromis :

Dans le cas du Pentagone, comme pour toute autre organisation, ces cas de figure se présentent régulièrement. Éclairons donc la presse sur ce que fait le ministère de la défense américain lorsqu’il demande une autorisation de mise en service d’un projet (oui, il y a quand même une supervision en termes de sécurité).

Le Pentagone passe en revue les problèmes de sécurité. Il les classe (grave, moyennement grave, pas très grave, limite inoffensif, etc.). Et il fait un choix. Tant pire… Let’s roll et on verra bien si le pire se produit ou pas.

Voici donc quelques copies d’écran qui permettront à tous de se faire une idée du volume de bugs que le Pentagone connaît, parfois des failles critiques, mais qu’il accepte pour pouvoir faire marcher ses outils nécessaire à ses guerres.

Commençons par les satellites.

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Des failles ?

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On fait quoi ?

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Passons à un système de dissémination d’information :

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Des failles ?

CS2

C’est grave ?

CS3

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On fait quoi ?

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Enfin, le NIPRNet…

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Des bugs ?

nirp2

On fait quoi ?

nirp3

Et ça continue comme ça pour chaque outil…

Il y a du boulot pour les bug bounty hunters, mais il faut avouer que le Pentagone le leur facilite un peu… Quant à la presse qui s’émerveille des 108 bugs découverts sur des plateformes Web…

IOL : mais à quoi ça pourrait bien servir ?

dimanche 26 juin 2016 à 11:55

92598bf66d5c4602900f944ac180a1e1_bc9fe3a176844ad7bd96ffaddef2e978_1_postLe système d’interception des communications Internet (IOL, Interceptions Obligations Légales), mis en place depuis 2009 par le gouvernement français — via, notamment, l’entreprise Qosmos — permet d’écouter les personnes connectées au réseau. Tout le réseau français.

La question de l’ampleur de l’utilisation de ce système est posée, renvoyant dos-à-dos (pour ceux qui daignent s’intéresser à cette révélation) les défenseurs d’une thèse d’une surveillance « systématique », « massive », ou « ciblée ». Comme si le système des sondes IOL n’était qu’une sorte de réseau de caméras de vidéo-surveillance des communications numériques. Pourtant, la loi renseignement, via la mise en place des « boîtes noires » chez les opérateurs Internet démontre que la surveillance pure n’est pas le principal objectif de ces systèmes. Ou plutôt : la détection des criminels par ce type de systèmes requiert la mise en œuvre d’une « politique algorithmique » très vaste, et utilisable pour de nombreuses autres choses.

Sans robots, la surveillance est aveugle

Envisager la surveillance numérique comme un outil intrusif, équivalent à ce que pourrait faire La Poste en ouvrant les courriers pour lire les correspondances des contribuables est un raccourci intellectuel décalé et sans intérêt. Le principe même de connaître le contenu des communications en tant que telles n’est pas pertinent pour un État et son administration. La quantité d’informations inutiles en termes de lutte contre la criminalité, le terrorisme ou tout élément mettant en danger la sécurité de l’État est d’une ampleur si immense, que le tri discriminant à la volée des contenus et menant à des alertes positives relève plus du fantasme que d’autre chose.

La seule manière de repérer, puis écouter ensuite des criminels à l’échelle d’un pays sur les réseaux de communication passe donc par le « profilage algorithmique ». Ce que le gouvernement a annoncé tardivement en 2015, lors du vote de la loi renseignement.

Les « algorismes© » secrets de Bernard Cazeneuve sont des systèmes logiciels de profilage prédictifs : ils sont les agents administratifs numériques d’une forme moderne des fiches de renseignements. Ces fiches n’ont pas besoin d’être individuelles — de par leur fonction de profilage — mais au contraire, elles travaillent par ensembles. Les sondes IOL sont des yeux, des oreilles, les robots que constituent les algorithmes de profilage, sont leur cerveau.

Gouverner, c’est prévoir

L’intérêt d’un système d’écoute des communications au niveau national — implémenté chez les fournisseurs d’accès Internet — se situe dans le cadre de la gouvernance algorithmique prédictive. Le principe de cette nouvelle forme de gouvernance est lié aux nouvelles pratiques du pouvoir, plus soucieux de contrôler l’opinion et sa propre communication… que du bien public. Pour autant, si de tels systèmes peuvent donner l’illusion de resserrer une nasse numérique autour de terroristes ou de criminels afin de connaître par avance leurs intentions, ils nécessitent par essence de connaître les habitudes et les comportements de ceux… qui n’en sont pas. La majorité.

Quelques explications nécessaires à la bonne compréhension du sujet : un système informatique de détection des terroristes sur Internet ne « sait » rien. Si des critères précis sont donnés par avance au système (le fameux algorisme©) ils ne peuvent être fiables — seuls — puisque fabriqués par avance, et ne correspondant pas à la réalité. Les algorithmes prédictifs travaillent par apprentissage, ils se nourrissent donc en permanence de données qu’ils comparent, trient, et au final « analysent » en fonction de plusieurs ensembles remis à jour en permanence. Les algorismes© ont donc besoin de savoir comment se comporte la masse d’Internautes inoffensifs : heures les plus fréquentes de connexion, types de sites visités, fréquence d’échange sur les réseaux sociaux, utilisation de la messagerie, des types de protocoles utilisés, etc., etc.

Un système prédictif de surveillance va donc se créer des échantillons de populations, des ensembles de profils, les « ranger » en fonction de certains critères établis par les comportements divers et variés des utilisateurs. Au fur et à mesure de la « quête » (sans fin) de ces agents statistiques, divers modèles comportementaux vont se générer, « discuter ensemble », se comparer. Ceux qui, en opérant sur Internet, sortent de ces modèles (avec plus ou moins de force) se retrouvent donc discriminés par les algorismes©, c’est-à-dire pointés du doigt par les agents digitaux (© @touitouit) repérés comme des personnes à comportement divergent. C’est là que la traque des méchants peut commencer, ce que l’ on appelle (dans notre jargon © @Rihan_Cypel) « la surveillance ciblée ».

Un pouvoir, ça peut énormément

Si le pouvoir politique français s’est doté — dans un premier temps —d’un système de sondes numériques à base de DPI via, notamment, l’entreprise Qosmos, bien connue pour son commerce d’armes numériques auprès de dictatures pays peu connus pour leur respect des droits de l’homme mais en liens commerciaux avec la France, puis d’une loi idoine pour généraliser la surveillance sans contrôle de l’autorité judiciaire, ce n’est pas pour rien.

Qu’une volonté de traquer le terroriste existe, c’est une évidence, et personne ne peut s’en plaindre, mais dans ce cas là pourquoi ne pas avoir soumis ce système à la sagacité parlementaire, à l’époque ? Parce que cela aurait été trop contesté ? Admettons. Pour autant, croire qu’un théâtre d’opération de surveillance numérique à l’échelle nationale ne puisse servir qu’à seulement traquer des méchants est un peu naïf. Surtout quand celui-ci est mis en œuvre dans le plus grand secret. Ce qui est certain est la chose suivante, dans tous les cas de figure : la surveillance prédictive des boîtes noires est basée sur des systèmes apprenants, sur une modélisation de groupes importants de populations et peut très facilement permettre de connaître autre chose  que les seuls déviants discriminés par les algorismes©. Elles peut en outre finir par créer une somme monumentale de faux-positifs avec les tragiques conséquences que l’on imagine aisément.

Le sociologue Fabien Jobard, qui travaille depuis longtemps sur la problématique des mouvements sociaux, et des politiques de répression policière fait un parallèle dans un article sur Mediapart avec la situation actuelle et les politiques de l’ex Allemagne de l’Est à ce sujet :

« Il y a quelques années, je m’étais intéressé au « maintien de l’ordre » dans les régimes autoritaires, en RDA plus précisément. Ce qui était fascinant dans ce pays, des années 1960 à la fin des années 1980, c’est que la « répression » s’exerçait essentiellement par la prévention ; la prévention des troubles, de la déstabilisation, des menées anti-socialistes ou ennemies. Le vocabulaire ne manquait jamais, mais le quotidien de la surveillance était toujours le même : l’écoute, le fichage, l’assignation à domicile, l’éloignement. Le but était que la voie publique ne laisse jamais paraître la moindre banderole, ne laisse jamais entendre la moindre parole contestataire. »

Le pouvoir socialiste français actuel, assigne à résidence des militants écologistes lors de la Cop21, interdit par avance des manifestants (et les interpelle avant même qu’il ne rentre dans la manifestation du 23 juin), organise à la place des syndicats des « manifestations cloisonnées » et menace en permanence de soumettre les contestataires de sa politique par la force. Ce même pouvoir fait voter la Loi renseignement, parle de « guerre », s’arroge des pouvoirs de surveillance digne des pires Etats policiers sous prétexte de lutter contre le terrorisme, et ne jouerait pas avec les possibilités qu’offre la gouvernance algorithmique prédictive ?

Ce serait vraiment… surprenant.

Pour tout dire, ce n’est pas le massif, le systématique ou la pêche au harpon qui se joue en ce moment. Non. C’est une nouvelle manière de gouverner, prévoir, observer et manipuler les populations. Les faire rentrer dans une nouvelle société. Celle de la peur, de l’omnipotence du pouvoir et de sa capacité à connaître ses opposants les plus vindicatifs. Mais aussi savoir ce que la masse peut accepter ou non, et comment la contraindre. Pas par la force, mais par la manipulation.

Cette question de IOL, des algorismes© prédictifs va donc bien au delà de la vie privée en tant que telle, du secret des correspondances, ou du droit ou non à être observé. Cette question touche à l’essence même de notre système politique et social. A la démocratie, en réalité. Ou ce qu’il en reste.

Comment transformer une manif en promenade carcérale

jeudi 23 juin 2016 à 19:48

tour-de-manegeComment dire… La manifestation du jeudi 23 juin, d’abord menacée d’interdiction, puis carrément interdite, ensuite finalement « autorisée » mais fermement encadrée dans un parcours circulaire entre Bastille et Bastille, avait des airs de manège de fête foraine, ou même de cage de cochon d’inde avec sa petite roue en plastique.

Les négociations qui se sont déroulées ces derniers jours autour de cette nième mobilisation contre la loi « Travaille! » ont occupé toute l’actualité politique de ces derniers jours. Mais le résultat, que l’on peut sans doute toujours observer à l’heure où nous écrivons ces lignes, est pathétique. Les quelques dizaines de milliers de manifestants qui se sont déplacés avaient l’air bon enfant, mais comment ne pas penser, en admirant ce spectacle, à une promenade de prison où les détenus sont conviés par l’Administration pénitentiaire à se dégourdir les jambes en tournant en rond dans une cour à ciel ouvert, profitant de leur instant de liberté surveillée en pouvant admirer le ciel et les nuages.

Le plus drôle, c’est la manière dont les abribus de la place de la Bastille ont été décorés, jeudi matin. Les panneaux de pub JC Decaux recouverts par deux plaques de contreplaqués achetées la veille chez Casto, scéllées par deux bandes métalliques, le tout protégé par de la mousse expansée… Un bricolage ridicule : cette promenade autour de la Bastille, dont tous les accès avaient été bloquées par des camions blindés et des grilles anti-émeute, avait depuis longtemps été boycotté par les manifestants les plus radicaux !

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Le plus pathétique dans cette histoire est sans doute la réaction victorieuse des principales organisations syndicales, FO et CGT en tête (relayés par le Parti de gauche de Mélenchon). Ces vénérables représentants ont cru bon de souligner, mercredi soir, qu’ils avaient « fait plier le gouvernement » en obtenant cette aumône de manifestation. Le communiqué de la préfecture de police de Paris (PPP), hier matin, qui indiquait clairement que la manif du 23 allait être purement et simplement interdite (à lire ici), n’était-il pas un appât sur lequel se sont jetés avidement les leaders syndicaux?

Fan de politique fiction, nous avons reconstitué des échanges informels qui se sont produits ces derniers jours entre Manuel Valls, son premier flic Bernard Cazeneuve, et les gradés de la PPP.

[Réunion de crise, Hôtel Matignon, lundi 20 juin, 22h43.]

Valls – Bon, ça peut plus durer, les orgas syndicales sont vraiment complètement irresponsables, ils ne pourront jamais se désolidariser des casseurs gauchos, et on a même des preuves — n’est-ce pas Michel? [le préfet de police Michel Cadot] qu’ils ont participé aux violences et dévastations diverses du 14. Mais faut jouer serré. L’Élysée me fait la guerre, impossible d’interdire la manif, les frondeurs sont prêts à bondir, et ça va foutre la merde avec la primaire…

Cadot – Qu’est que vous proposez? Les forces de l’ordre sont exténuées. Ils en peuvent plus. J’ai le patron d’Alliance sur le dos depuis 3 jours. Bernard [Cazeneuve] est à leur côtés… Faut trouver une solution qui respecte le cadre républicain et qui démontre le fermeté de votre gouvernement… S’il ne s’agissait que de moi, ça fait longtemps que tout ce cirque serait fini et que l’arrêté d’interdiction serait signé…

Valls – On va les piéger. On négocie – enfin, on fait gentiment semblant – jusqu’à mardi soir, on les balade, ça on sait faire, et bam! mercredi matin, tu balances un communiqué qui explique en gros que tout a été fait, blablabla, mais que les syndicats sont manipulés sur leur gauche, et qu’on ne peut pas assurer la sécurité des Français, tu rajoutes une couche sur l’Euro de foot, enfin tu vois, tout le tintoin…

Un conseiller du ministère de l’Intérieur – Et après… Je vois pas où cela va nous mener…

Valls – C’est le 2ème étage de la fusée… C’est couru d’avance : Mailly et Martinez vont illico se ruer sur leurs téléphones, et harceler Bernard… Moi, ils ne m’appellent même plus. Ils vont exiger d’être reçus en urgence à Bauveau. Bon, j’appellerai Bernard pour le rassurer, t’inquiètes pas.

[Mardi 21, 11h42, ça sonne sur le smartphone sécurisé de Valls…]

Cazeneuve – Manuel ?… Ça va plus, là, je suis harcelé par les syndicats, des 2 côtés, Alliance et SGP sont fous furieux, ils n’en peuvent plus de ces manifs et des casseurs, et Bailly et Martinez me mettent une pression d’enfer…

Valls – Laisses-les mariner encore un peu. Demain matin, Michel se prononce pour l’interdiction…

– Ah non, on va pas en reparler ! Tu sais ce qu’on risque?! Même Jacquot [Urvoas, garde des Sceaux], qui est de ton côté, ne pourra jamais cautionner ça, et il fait le tour des matinales radio demain matin ! C’est pas tenable !

– Calme toi, calme toi ! Keep cool ! La pref va dire que la manif est interdite, mais que l’arrêté « sera pris en ce sens dès aujourd’hui », au futur… Là, tu entres en scène, ils vont t’appeler, et tu joues au négociateur, tu sais comme au RAID ! Tu connais ! Mais il y aura une seule fenêtre de négo : ils ne veulent pas de parcours statique, et bien ils auront un parcours circulaire, à Bastille, en faisant le tour de l’Arsenal. Il y a 2 km en tout. Y’aura que quelques milliers de pékins, ça suffira bien…

– Bon… C’est toi qui décide. Espérons qu’ils vont pas flairer l’arnaque…

– Prend le pas comme ça, dans cette histoire, c’est toi le gentil flic! Et moi de toutes façons, ils peuvent plus me blairer. Mais tu joue au type qui met son poste en jeu, tu dis que c’est toi qui propose ce compromis. Ils vont plonger. […]

[Mercredi 22, 8h50. JC Mailly appelle un conseiller de Cazeneuve.]

– C’est quoi ce bordel, je sais que la préfecture va diffuser un communiqué qui interdit le cortège! vous nous prenez pour des débutants? Je viens de parler à Philippe [Martinez], et là-dessus, on est unis comme les 2 doigts de la main: vous avez tout à perdre. Quand je pense que j’ai encore ma carte [celle du PS]. Non mais quel con je fais !
– Euh… Calmez-vous, M. Mailly. C’est Matignon qui a exigé cette position. Mais venez au ministère, le ministre est prêt à trouver un compromis… Mais ne dites rien, il prend tout sur lui! Sinon ça va capoter…

[9h12. SMS d’un conseiller de Bauveau à un de ses collègues de Matignon.]

– C’est bon… Ils ont mordu… On les recoit tt à l’h, passe le mot au grand chef… Slt.
[…]

 
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Cela n’est pas la première fois, au passage, que les orgas se font berner par la Pref et le gouvernement. C’était le 9 mars, l’un des premières manifs d’une grande série, et le cortège devait partir – séduisant – du siège du Medef, 55 avenue Bosquet dans le 8ème Arrt de Paris, vers le ministère du Travail, au 123 rue de Grenelle, dans le 7ème. Mais ce qui devait arriver arriva, à savoir que l’avenue Bosquet était bloquée dans sa partie sud, la portion qui héberge le siège du patronat (au niveau du métro École militaire), et dans le même élan, la pref avait coupé l’accès à la rue de Grenelle (à deux pas de la rue de Varenne, le « quartier des ministère » et de l’Assemblée nationale) à partir du boulevard des Invalides. On vous passe les détails, mais ce parcours minimaliste de 1,7 km s’est donc réduit à… 600 m. Le long de l’avenue de Tourville, derrière les Invalides. Soit la plus petite manif du monde !

Do you speak tout est normal ?

mardi 14 juin 2016 à 23:30

Encore un nouveau trajet. C’est surprenant, je parierai sur un accord avec les casseurs, ils sont en train de cartographier toutes les banques de Paris. Mais un nouveau trajet, ça veut dire du stress, peu de visibilité pour savoir où l’on est, ce qui reste comme trajet.

Le bon point du choix d’un départ Place d’Italie, c’est que l’on est aux portes du quartier sud-est asiatiques, et l’on peut donc troquer l’éternelle merguez pour une brioche à la vapeur. L’ambiance est détendue, le temps favorable. Aucune idée de la direction que doit prendre la manif, mais la place est dense, et le camion de la CGT spectacle fait son show, et ils sont bons, ça change du Zebda en conserve. Le son est puissant, tout vibre aux pulsations des enceintes.

Je suis à la bourre, et plutôt en queue de manif, je remonte pour avoir un peu de visibilité. Il y a beaucoup d’imports de régions, quelque chose comme 600 bus a déversé des hordes de syndicalistes. Il y a même des bigoudènes violettes, avec des bouteilles en plastique peintes. La densité de drapeaux est impressionnante, les gens sont regroupés par entreprise, mais c’est le foutoir, on n’a pas le classique rangement par syndicat. Ce n’est pas plus mal.

Je remonte la manif et tombe sur un carré de casques colorés, en rangs serrés, menés au son du tambour. Ce sont les dockers du Havre. Impressionnant. Ça ressemble au choc d’un lecteur de Alix qui verrait 300 pour la première fois. Autant de testostérone qu’une pub Taureau ailé qui aurait abusé de Red Bull. Et surtout, une fanfare devant, qui donne le ton. Équilibre comme une pizza aux chips, cette fanfare est composée de caisses claires, et d’une grosse caisse. Avec le rythme, et la masse dense, derrière eux, rien ne semble pouvoir les arrêter. Le chef d’orchestre, celui qui a les plus gros biceps tatoués, forme un cercle avec la fanfare, tous regardants vers le centre. Comme la manif est bloquée, ll fait un peu agrandir le cercle, sort un truc de sa poche, un cylindre de 15cm avec un petit pied, qu’il pose par terre, au centre du cercle, en voyant ça, les musiciens agrandissent brusquement le cercle au taquet, certains dans la foule se bouche les oreilles. À Rome, fait comme les Romains, je fais de même. Mais ce quoi ce machin? ah tiens, il y a une mèche, qu’il allume. Le bruit de l’explosion est massif, suivi par un gros nuage blanc. Un chienchien à sa mémère fait une crise de panique dans les bras de sa patronne. Tedieu, ça ne doit pas se trouver en farce et attrape, ce machin!

C’est un peu ballot de mettre la meute de bisons en fin de cortège, peu de chance qu’ils rencontrent des CRS qui cherchent des noises.

Je continue d’avancer pour voir des choses. Tout est normal. La plupart des gens ont des masques à portée de main. Les journalistes ont fait évoluer la mode, elles ont de discrets casques d’équitation.

L’ambiance est détendue, les gens sont là avec leurs copains de boulots, il n’y a pas encore de CRS pour bloquer les rues adjacentes. Il fait beau, les platanes sèment leur pollen dans une ambiance bucolique.

Les CRS que l’on voit sont super en retrait dans les voies perpendiculaires. À un gros croisement, ils sont même en train de replier leur mur de grillage, alors qu’il reste encore de tonnes de manifestants. Devant un escalier descendant vers un parking souterrain, les gens sont goguenards. En jetant un oeil dans le trou, je vois une grosse poignée de CRS déployé au fond du trou, qui ressentent bien le ridicule de leur situation.

Ça avance plutôt bien, les CRS sont plus proches, mais détendus. De grands grillages bloquent les côtés. Ça donne un peu une impression de feria, avec un laché de manifestant qu’il faudrait canaliser.

Une dame traverse la foule en diagonale, pour se diriger vers les grillages. Elle marche comme un zombie, accompagnée par des gens inquiets. Elle est drapée dans une couverture de survie dorée, et porte un gros bandage sur la tête. Les CRS refusent de la laisser passer, avec leur classique « non non non ». Un des flics lâche l’affaire, et l’accompagne lui même jusqu’aux pompiers, dont le camion est en retrait. Clairement, elle était inquiétante. Je ne sais pas ce qu’elle a pris dans la tête, mais clairement, ce n’est pas un truc recommandé par l’OMS.

Je continue d’avancer jusqu’à la barrière de SO, le début officiel de la manif syndicale, au-delà, ce sont les manifestants créatifs, qui n’aiment ni les flics, ni les flics, euh, les SO. Casques, gants renforcés, grosses lunettes, voir masque à gaz, mixte.

Ça commence à bien bloquer. Une vague de huées se déplace dans la foule. C’est un type qui remonte la foule avec sa grande pancarte. Un portrait de Hollande, béat, avec un gros titre : « La honte », écrit bien gros. Le nouveau slogan, cette fois-ci, fait consensus : « Tout le monde déteste le PS ».

Devant, on voit les nuages de gaz, les gros boums sourds. Ce ne sont plus les pétards cette fois-ci. Le vent est fort, les lacrymos ont du mal. Ah tiens, tout devant, une baleine doit passer, on voit l’énorme jet d’eau. Tout est normal.

L’attente est longue. Ah, ça redémarre. Ah tiens, le ciblage des casses de vitrines devient brouillon. Les banques et les panneaux de pubs, c’est un classique, mais le marchand de lunettes ou un croquemort, j’ai un peu plus de mal à voir la portée symbolique. Le sol est jonché de dosettes de sérum physiologique, de sachets de Maalox. Les palets noirs, les bouchons des grenades lacrymaux stagnent dans les caniveaux. Le goudron est grignoté, pour servir de projectile. Le sol est maintenant mouillé, comme à la fin du marché, quand la voirie passe le jet. Le canon à eau n’y est pas allé de main morte, ils ont du vider une piscine pour mouiller une surface pareil. Ah merde, un reste de grenade de désencerclement. Le tube central est déchiqueté, ça a envoyé du shrapnel non biodégradable, en plus des plots en caoutchouc. Une pensée pour le photographe qui a pris ça dans la tête, et pour ceux qui y ont laissé une couille.

Au coin, un des bus des manifestants s’est fait caillasser, ils seront bons pour rentrer à pied ces provinciaux. J’ai du mal à comprendre le pourquoi de ce caillassage.

Les murs sont maintenant recouverts de tags. Certains sont poétiques et calligraphiés. D’autres maladroits et juste laids.

Le mur de SO, devant, est bien flippant. Ils ont bien fait attention de ne pas sortir les manches de pioche, cette fois-ci, mais quand même.

Sud refuse cette approche qu’affecte CGT et FO, leur SO ont de simples casquettes blindées, et ne font pas les gros yeux, eux. Tout est normal.

Un type traverse la foule, il a du sang sur sa chemise froissée, un gros bandage sur la tête, un air halluciné. Un look de prof trop sage qui vient de se prendre un coup de réalité sur le coin de la gueule. Clairement pas un look de black block.

Au fur et à mesure de la progression, on croise des gens « de devant », qui récupèrent sur des bancs. Comme dit Silmarils, « Il y a eu du sport ».

Un photographe, barbe rousse, avec une tête chien mouillé, les lunettes de piscines sur le front est concentré sur son bel appareil. Il a du choper des gros plans bien rapprochés, vu l’humidité de ses fringues. Dans le filet de la poche extérieure de son sac à dos, il y a deux Chuppa Chups. Tout est normal.

On arrive à l’église Saint François Xavier, où il y avait une ambiance exécrable la dernière fois. Cette fois-ci, le trajet est simplifié : plus de boucles absurdes, mais un contournement par la droite.

Il y a une chance d’arriver au bout, sans gazage massif.

La manif se termine au cul des Invalides. Il faut faire tout le tour pour chopper le métro sur l’autre rive. Il y a des bus qui attendent les syndicalistes absolument partout, ça bloque la vue, et ils sont tous bien rangés, en épis. L’ambiance est étonnement tranquille, les CRS semblent globalement blasés. Le contournement est interminable. Arrivé sur l’avant, avec l’esplanade, c’est de nouveau grand n’importe quoi. L’esplanade est énorme, rien à voir avec la place de la Nation, et il y a beaucoup de vents. Les lancées de lacrymo sont peu efficace, les charges à la tonfa paraissent poussives, et il y a le gros camion avec le canon à eau. Ce n’est pas une baleine, mais un diplodocus qui éjacule, c’est obscène et pathétique. Ça semble surtout peu efficace. C’est dommage, ils en ont un deuxième de camion comme ça. Le déploiement de force est massif, ils sont nerveux et fatigués.
Il faut traverser l’armada pour rejoindre le métro. Les contrôles de sac se font à la tête du client. Mais ils sont clairement préoccupés par les affrontements au milieu de l’esplanade, ce qu’il se passe sur les côtés ne les concerne plus.

Des supporters suédois regardent le petit spectacle de la France, le sourire aux lèvres. Les touristes asiatiques sont plus flippés.
Tout est normal, c’est juste une journée de manifestation bien massive pour un projet de loi qui emmerde tout le monde, les CRS les premiers.