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Décodex : quand Le Monde s’habille en Pravda

lundi 13 février 2017 à 17:44
Certains anti-Decodex y vont un peu fort, c’est vrai. Avec peut-être des idées derrière la tête pour une partie d’entre eux. Mais quand même, c’est drôle, non ?

Décodex est un « grande aventure » instiguée par les décodeurs du monde, ces journalistes qui estiment que le fact-checking serait le Saint Graal du métier. Avant de parler du gros machin stalinien du Monde©, parlons du fact-checking.

Le principe du fact-checking est simple, voire simpliste : vous prenez les informations (des autres publications, c’est plus simple et votre actionnaire ne vous en voudra pas), et vous vérifiez « par les faits », les affirmations qui y sont contenues. Une déclaration chiffrée d’un responsable politique, par exemple, est soumise à la sagacité des journalistes fact-checkers qui la mettent en abîme avec une statistique officielle. De la même manière, des montants financiers, des dates, des noms, des lieux, des estimations peuvent être passés au crible de la vérification « factuelle ».

Ce procédé, qui en réalité, est l’une des compétences normales du journaliste, se retrouve donc — par la grâce des spécialistes en « augmentation » du journalisme — mis en avant comme une nouveauté incontournable, une sorte de hochet scientifique de la sphère médiatique lui redonnant un sérieux et une crédibilité quelque peu dégradés. Un peu comme si un spécialiste en sécurité des réseaux annonçait qu’il se spécialisait dans la publication de rapports sur les failles informatiques permettant de pénétrer les SI dont il a la responsabilité. Son employeur lui répondrait sans doute : « On est content d’apprendre que tu fais ton travail, de là ce que tu nous vendes ta seconde compétence comme une spécialité distincte, qui amènerait un « plus » indéniable, c’est un peu gonflé, Coco« .

Mais la comparaison s’arrête là, puisque le fact-checking journalistique a ses limites, et ceux qui en ont fait leur niche ne semblent pas toujours s’en rendre compte. L’une de ces limites est l’impossibilité, sur certains sujets, de vérifier toutes les données « concrètes », alors que des enquêtes, des documents, peuvent pourtant laisser entendre une réalité en cours très établie, mais « non-factuelle ».

Le factuel est binaire : soit les faits sont là, soit ils n’y sont pas. L’affaire IOL (lire nos articles à ce sujet) est parfaitement révélatrice de la limite de ce procédé du vrai-faux : Reflets a des documents qui indiquent l’achat par le gouvernement français d’un système de surveillance sur le territoire national depuis 2009, confirmé par des sources très bien placées et une loi qui vient enfoncer le clou. Mais il n’est pas [encore] possible de vérifier factuellement le niveau d’activité d’IOL, quelle taille le dispositif a atteint, etc. Ce qui est certain, par contre, c’est qu’IOL est dimensionné — sur le papier gouvernemental, ce qui n’est pas rien — pour permettre l’interception des communications Internet de n’importe lequel des millions d’internautes français. Au passage, une question au gouvernement a été posée au sujet… d’IOL (relayée par nos confrères de NextInpact, merci à eux). Des fact-checkers ont pourtant traité ce sujet, et ont conclu, par la « vérification des faits », qu’il n’y a avait pas de surveillance « de masse » en France (coucou @manhack).

Dans le cas des révélations Snowden, de la même manière, aucun fait établi et factuel des systèmes d’écoute globale de la NSA n’existe, personne n’a jamais vu un seul logiciel, ni lu un seul log des super-softs de surveillance américains : tout est sur le papier. Dans ces deux cas, en réalité on ne fact-check pas : il n’ y a pas de faits. On estime — parce que des documents officiels ont été publiés, des sources croisées, des copies d’écran analysées — que ces outils sont réels. Mais personne n’a jamais pu vérifier la réalité factuelle des sondes réseaux placées sur des points stratégiques du réseau mondial, ni testé XKeyCore ou PRISM. Que devraient faire les fact-checkers dans ces cas là, normalement ? Déclarer la surveillance mondiale de la NSA comme un « fake » ?

La vérité n’est pas un produit comme les autres

Le métier de journaliste ne se réduit pas à constater des faits. Un média n’a pas vocation à seulement relayer des événements établis, concrets, ou vérifiables par un simple clic. Une information n’est pas « vraie » simplement parce qu’elle est relayée par la majorité des médias les plus connus et se retrouve en page 1 d’une recherche Google. De nombreux exemples de fausses informations parties de Twitter et difffusée à la vitesse des tuyaux Internet sur tous les grands sites d’information abondent dans l’histoire récente du journalisme. D’ailleurs, au moins 2 sites classés en vert par le Decodex du Monde© viennent de se faire attraper en titrant sur une fausse information. Le Parisien et Le Journal du dimanche.

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Plus anciennement, des faux reportages, fausses interviews effectués par des journalistes et leurs médias « reconnus » ont été dévoilés. PPDA et l’interview bidon de Castro sur TF1, les faux charniers de Timisoara (avec Le Monde qui félicite La Cinq d’avoir « révélé l’horrible charnier des victimes des manifestations du dimanche précédent, ben alors, Le Monde©), le faux témoignage de la fausse infirmière koweitienne à l’ONU pour déclencher la première guerre d’Irak, ou encore la vidéo tronquée de l’AFP au Vénézuela détournant les propos du président iranien (vidéo AFP décryptée sur Dailymotion), l’existence d’une backdoor dans WhatsApp : la liste est longue. Pour autant, ces « fautes » journalistiques ne peuvent pas à elles seules mettre en cause toute une profession, « l’honnêteté » des médias, le professionnalisme des journalistes, ou leur capacité à vérifier l’information qu’ils produisent.

Le problème central du fact-checking — et par ricochet du Décodex du Monde© — comme approches « d’analyses de la vérité ou de la fiabilité de de sites d’information » est que la vérité n’est pas un simple produit que l’on peut réduire à une suite de cases à cocher. Si cocher des cases dans certains cas est pourtant possible, afin de certifier la fiabilité d’une information simple, dans de nombreux autres cas, cette approche est contre-productive, voire délétère. Le monde réel n’est pas binaire, fait de vrai/faux, de mensonges et vérités. La zone grise entre ces deux concepts manichéens est la plus fréquente, la plus difficile à traiter aussi.

Ce que nous croyons et pensons est-il condamnable ou négociable ?

Un journaliste est un individu qui a des croyances, qui pense le monde avec des jugements, a une histoire, un bagage culturel et intellectuel unique, comme chacune des personnes qui constituent une société. Il ne peut se départir de ces attributs, et s’il le devait, en réalité, il devrait être remplacé par une « intelligence artificielle », un logiciel. Cette subjectivité, parfaitement humaine et nécessaire (puisqu’elle permet d’avoir du jugement), permet aux journalistes [qui ont refusé de fabriquer de l’information industrielle, ou ont réussi à obtenir le droit de ne pas jouer aux petits soldats de l’information préfabriquée, rapide et simpliste] de décrire, analyser des événements, des réalités, des phénomènes de manières différentes.

C’est ainsi que nous avons une presse d’opinion française (en réalité bien moins qu’aux États-Unis, par exemple), qui assume son engagement, et une autre, dite « mainstream », qui tente de se tenir à distance de ses contenus de publications, prétendant être « neutre » ou « objective ». Ce qui est parfaitement faux. La presse désireuse d’être classée comme « objective » ou « neutre » est en réalité une presse qui publie des contenus « orientés », comme toute la presse. Elle est à la fois détenue par des industriels tous proches des institutions de l’État de par leurs activités, mais aussi subventionnée par l’État, tout en étant tributaire de la publicité et… de l’engagement idéologique de ses journalistes.

La neutralité revendiquée n’est donc rien d’autre qu’une façade commerciale censée rassurer les lecteurs en leur laissant croire qu’aucune influence ou idéologie n’est susceptible d’orienter leur publication préférée. Il va sans dire que vérifier cette fausse objectivité neutre est très simple. Le premier lecteur à trouver plusieurs articles du Monde critiquant fortement les institutions européennes, ou mettant en cause fortement les engagements militaires et diplomatiques français à l’étranger, gagnera d’ailleurs un abonnement d’un an à Reflets (bientôt ça vaudra cher).

Ce que croient les journalistes, ce qu’ils pensent, vient obligatoirement influencer leur travail. Tout comme ce que pensent ou croient la direction de l’information, la rédaction en chef d’un média. Ces croyances, pensées ne sont ni condamnables ni négociables. Elles sont le cœur du travail de journaliste, et ne devraient pas permettre de hiérarchiser la qualité d’une publication. Mais les Décodeurs du Monde© en ont décidé autrement.

Décodex : le juge suprême du journal de Bergé, Niel et Pigasse

Ce qui est troublant dans l’affaire du Décodex, c’est la possibilité pour un média de s’ériger en juge de tous les autres. Le pire étant, qu’au delà de cette auto-certification d’honorabilité, Le Monde© et ses décodeurs esquivent un phénomène central de la problématique abordée [qui semble être celle de la « qualité » de l’information]. Ce phénomène est celui de l’indépendance des médias. Que les lecteurs puissent savoir quand des articles sont « faux » ou quand ces mêmes médias reprennent des informations bidons, est une chose, mais que le principal facteur de la liberté de la presse, l’indépendance, soit omis dans la démarche du Décodex, en est une autre. N’y voyons pas malice, il n’y a quasiment plus aucun média indépendant…

Comment Le Monde© a-t-il donc — au final — fabriqué son « juge en ligne de la qualité de l’info » ? Sur plusieurs critères, avec un préambule pour aider le lecteur à juger de la qualité d’une publication. Certains critères peuvent sembler pertinents, mais d’autres particulièrement discutables. Voire risibles.

Explications : Selon Le Monde, donc, plusieurs critères permettent de juger de la fiabilité d’un site (Décodex : comment juger de la fiabilité d’un site ?). Le premier est la consultation de la page « à propos » du site. Cela permettrait de mieux savoir si les gens du site sont sérieux. Ah. Ok.

Puis le fait que les articles sont publiés sous pseudonyme ou non. Voire anonymement (le pire). Si c’est le cas, le site n’est pas très fiable. Par exemple, le Canard Enchaîné ne serait pas fiable selon Le Monde© (s’il était publié sur Internet) puisque de nombreux articles sont signés sous pseudonyme. Si je signais avec mon véritable patronyme chez Reflets, mes articles seraient plus fiables, mais comme je signe « Drapher », c’est mal. Chaque année, quand je fais renouveler ma carte de presse je me demande d’ailleurs toujours si je vais finir par remplir la case « pseudonyme », pour y mettre Drapher. Peut-être finirai-je par le faire. Ou pas.

Autre critère : pas de problème pour un site s’il est « orienté » (Le Monde© ne serait pas « orienté » d’après @samuellaurent et son équipe, LoL) selon Le Monde©, MAIS il est problématique de ne pas afficher ses « partis pris ». Exemple sur ce critère : Le site « Français de souche » (blog des gros fachos ça marche aussi, ndlr), ça va eux, puisqu’ils annoncent la couleur (leurs partis pris, ce sont « la Nation : c’est nous les blancs », « le racisme cébien », et « mort aux musulmans et aux islamo-gauchistes »). Mais Reflets, ça n’irait sans doute pas pas : le journal est orienté (comme toutes les publications le sont, orientées, mais c’est un détail), par contre Reflets n’indique pas clairement qu’il fait de la promotion pour les pédonazis de la CIA, ni qu’il aime bien le Dark ouaibe et les cryptes. Paraît-il que l’on milite tour à tour pour l’extrême-gauche, l’extrême-droite, le centre du milieu, les multinationales dirigées par les illuminatis, la confédération paysanne et la canonisation de Richard Stallman. Tout ça est très louche. Voire très mal.

 

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Vient « la citation des sources ». Ben oui, en général, quand dans un sujet on parle d’une information, on met un lien, ou on cite la source expressément, avec l’extrait (comme dans cet article, remarquez bien). Mais Décodex explique que la source doit être « reconnue ». Ah. Par exemple, si vous publiez un article sur la Libye et que vous citez un article du Monde© de Bernard Henri-Levy, ça va. C’est une source reconnue le Monde, même quand c’est du BHL, n’est-ce pas ? Mais par contre, si sur la Syrie vous citez le travail d’un reporter qui est allé sur le terrain mais dont les constats ne sont pas allés dans le sens des affirmations du Quai d’Orsay et du Monde©, là, votre source sera-t’elle « reconnue » ?

Le passage le plus savoureux est celui de « l’équilibre de l’information ». Un pur moment de propagande bonheur journalistique : Le titre reflète-t-il le contenu de l’article ? Le site présente-t-il des informations factuelles ou des opinions et les distingue-t-il vraiment ? Le ton de l’article est-il mesuré et ouvert à des propos contradictoires, ou ne met-il en avant qu’une seule lecture des faits, sans donner la parole aux personnes mises en cause ? C’est là que toute la démesure (et l’aspect scolaire des auteurs de ce machin) du « plan pré-Decodex » se dévoile : sur le titre, c’est rigolo, parce que Reflets s’amuse avec les titres. Nos articles sont là pour « faire réfléchir en faisant sourire », souvent, mais pas expliquer froidement ce dont nous allons nous entretenir. Donc, quand Jef Mathiot, ce pédonazi des internets obscurs — adepte du cryptage chiffrement asymétrique quantique — titre « Le gendarme et les Darquenettes« , c’est mort. Les gens qui écoutent les conseils de Le Monde© savent qu’on ne doit pas être pris au sérieux, que « c’est rien que de la fake news » ce Reflets. Même si France culture reprend l’article pour en faire une très bonne chronique le lendemain (re LoL). Quant au « ton mesuré », quelqu’un a-t-il le règlement intérieur des tons journalistiques ? C’est pour un ami.

Avec le Canard enchaîné, ou d’autres publications humoristiques et/ou satiriques, de toutes les manières, les titres bourrés de jeux de mots ne collent pas du tout avec la règle du Monde©. Avec cette règle, tous les titres d’actualité devraient être en gros les mêmes. Comme en URSS ? Nan, allez, on déconne. Enfin presque.

Le factuel et les opinions : qui a décidé qu’un article factuel était un article obligatoirement de qualité versus un article d’opinion qui serait « louche » ou mensonger ? Ah oui, l’important c’est de les distinguer. Il faut dire au lecteur : « attention lecteur, ceci est un article d’opinion ». On ne sait jamais, le lecteur il pourrait confondre un papier documenté d’enquête avec une tribune politique, sur Reflets. Quant à « l’ouverture aux personnes mises en cause », en général, elles ne souhaitent pas nous répondre. Nos aventures avec Fleur Pellerin en témoignent (toujours invitée en radio, elle n’a jamais répondu). Mais sur plein d’autres sujets, la réalité est qu’un article d’opinion n’a pas nécessairement besoin — pour devenir fiable ou crédible — de faire parler les gens qui pourraient être concernés par ladite opinion. Le droit de réponse existe dans la presse, et n’importe qui peut — s’il est concerné par une tribune — demander ce droit de réponse. Il sera toujours publié. C’est là, la vraie règle. On l’a vu avec Frédéric Bardeaux sur Reflets. Ça a même fini dans un studio de radio (oui, France Culture, toujours).

Et donc, en conclusion de toutes ces petites « aides au jugement » sur la fiabilité ou non des sites d’information, arrive le fameux outil Décodex, ce petit moteur de recherche (qui contient au moins 600 sites d’info, mais pas encore Reflets, ni plein d’autres pure players comme NextInpact) qui vous dit si un site est vert, orange, gris, bleu ou rouge, avec bien entendu un texte consensuel sur le fait que même en vert, il faut aller vérifier l’info sur d’autres sites, etc, etc. Pour la couleur bleue, c’est plutôt bien pour toutes les Christine Boutin de France et de Navarre, qui pourront découvrir que Le Gorafi est un site satirique de fausse information… Pour le reste…

Automatiser le jugement et orienter les choix : Le Monde s’habille en Pravda

Le Décodex du Monde© juge Le site du Monde© en vert, et ses camarades de la presse « pas orientée » et « pas d’opinion » en vert aussi. Fakir, la publication militante de gauche créée par François Ruffin était en orange, mais comme ça a créé un peu de mousse, Fakir a été retiré du Décodex pour l’instant (afin de vérifier que Ruffin est bien un extrémiste à la solde de Cuba qui bouffe un milliardaire à chaque petit-déjeuner ?).

Valeurs actuelles — le journal qui vend des morceaux de Marine Le Pen et de Laurent Wauquiez — était en vert au début, et puis là aussi, Twitter a crié au scandale, alors ils sont en orange maintenant, chez Valeurs (c’est dur quand même). On est peu de chose entre les pattes de Décodex…

Serait-ce une sorte d’équilibrage qu’effectue Le Monde© en mettant deux mauvais points à ces deux publications politiquement opposées, puis en en retirant une ? Bizarre. Il n’en reste pas moins que ces deux sites d’information, enregistrés comme médias d’Information Politique Générale (IPG, tout comme Reflets), et qui emploient des journalistes pour écrire leurs articles, peuvent désormais se dire que les internautes en mal de discernement et ayant installé le plugin navigateur Décodex, vont voir passer leurs publications dans une couleur qui n’incite pas à les consulter. Avec, pour Valeurs, un lien d’article expliquant une information bidonnée par la publication en question, et pour Fakir… rien de particulier à notre connaissance. Juste l’envie de mettre Fakir pareil que Valeurs ? Comme certains analystes politiques établissent une correspondance entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ?

« L’aventure Décodex » du Monde© est en fait un véritable affront. À l’intelligence des lecteurs, aux journalistes qui travaillent dans des publications qui sont ou seront mal « notées » par les Décodeurs du Monde©, à l’indépendance de la presse, qui, désormais, se voit jugée et notée par un média financé par l’État à hauteur de [beaucoup de millions d’euros par an] et propriété d’un groupe d’industriel particulièrement puissant et impliqué dans de nombreux secteurs d’activités cruciaux en termes démocratiques.

Si Reflets énonce « beaucoup de millions », c’est que les Décodeurs du Monde se sont fendus d’un article sur les 20 titres de presse les plus aidés par l’État en 2013, et que l’aide au Monde© était alors de 16 millions d’euros. Mais elle est, selon l’Etat, de 5 millions d’euros. Les fact-checkers vont devoir s’auto-fact-checker parce que le delta est quand même de 11 millions… Sans compter les 660 000€ de la fondation Bill Gates en 2016, 440 000€ en 2015, 327 000€ en 2014, et combien du fonds Google d’aide à la presse qui balance quand même 2 millions d’euros pour la France ?

Le Monde© s’habille en Pravda : la Pravda, le journal officiel du Parti communiste (unique) en URSS, indiquait aux citoyens soviétiques quelle était la « bonne information ». Celle qui correspondait à la ligne du parti. « Pravda » signifie « Vérité » en russe.

En 2017, en France, la « Vérité » se ferait-elle appeler « Décodex » ?

Le gendarme et les darquenettes

mardi 7 février 2017 à 17:27

On raconte que, dissimulée dans les profondeurs abyssales d’Internet, se trouverait une légendaire cité, un lieu hors l’Espace et le Temps et donc accessible uniquement aux pratiquants de la magie noire heureux possesseurs d’un ordinateur quantique. Il s’agirait d’un obscur territoire, contrôlé par un gouvernement et théâtre de ses noires machinations (sinon c’est pas drôle) : le Marianas Web.

Bien évidemment c’est du flan, mais blagounette ou conspirationnite aigüe, on voit de temps en temps resurgir cette « information » qui provoque à coup sûr l’hilarité sur les réseaux sociaux. Ce Marianas Web est l’excroissance la plus caricaturale d’une théorie malheureusement fort populaire, celle d’un Web (ou d’un Internet, tout ça est assez confus) scindé en différentes zones.

Entre le « Web surfacique » (propre et légal) et, notez l’emploi de la majuscule, le « Darknet » (terrain de jeu des débauchés), se trouverait une zone grise, le « Deep Web », contenant quant à lui les trucs potentiellement suspects mais dont on est pas certains qu’ils sont vraiment sales. À peu près.

Un plouf dans le Deep Web

Le « Deep Web » désigne, selon ceux qui l’utilisent, tous les contenus Web qui ne sont pas indexés par les moteurs de recherche. On laisse ainsi entendre, que si ce n’est pas indexé, c’est caché, et si c’est caché, c’est que ça doit être pas joli-joli.

Or les moteurs de recherche, s’ils ont beaucoup évolué, ne sont pas omnipotents. De plus, il existe une flopée de raisons pour que des contenus Web ne soient pas indexés. Les pages sans liens entrants échappent aux robots d’indexation, certains formats de contenus sont ignorés par les moteurs de recherche, d’autres sont exclus ou dépréciés par les moteurs eux-même ou à la demande des éditeurs de sites (coucou, robots.txt), des données sont accessibles uniquement via une saisie de formulaire. Plus simplement, des parties de sites sont privées, protégées par des mots de passe et sont, par la même, inaccessibles aux robots d’indexation : applications et bases de données d’entreprise, espaces de discussion nécessitant une inscription, votre déclaration d’impôts, votre compte Google, vos messages privés sur les réseaux sociaux… La liste est sans fin.

Vous éditez des billets de blog, des articles depuis une interface d’édition ? Vous consultez vos emails via une interface Web ? Bienvenu dans le « Deep Web ». Cette métaphore, et par opposition, celle du « Surface Web », laissent entendre qu’il y aurait deux espaces distincts, ce qui n’a guère de sens : il n’y a qu’un seul Web. Certains contenus sont indexés et, fort heureusement, d’autres ne le sont pas. Il n’y a aucun mal à cela, bien au contraire. Deal with it et les moutons seront bien gardés, comme nous avons coutume de dire.

Enfin, s’il est probablement le plus populaire, le Web n’est qu’un des milliers de services disponibles sur Internet et que nous utilisons, souvent sans en avoir conscience : courrier électronique, messageries instantanées, transfert de fichiers, résolution de noms de domaine, etc. Internet et le Web sont ainsi deux choses distinctes : le premier est un réseau, le second un service. Évoquer le «Deep Web » comme une entité à part entière ou pire, un lieu, est donc doublement aberrant.

Going dark

À l’origine, il y a environ 40 ans, on appelait un « dark net » un réseau connecté au réseau ARPANET (le prédécesseur d’Internet) mais qui, pour des raisons de sécurité, n’apparaissaient pas dans les listes publiques.

Le terme a ensuite été réutilisé, au début des années 2000, dans un papier de recherche qui traitait du droit d’auteur et du tipiakage des MP3. En gros, les chercheurs y expliquaient que le développement de solutions technologiques alternatives faisait que les DRM étaient une solution vouée à l’échec.

Suite à un nouveau glissement sémantique, le mot a commencé à être familièrement utilisé pour désigner peu ou prou tous les réseaux « superposés » à Internet (overlay networks) et intégrant des fonctions d’anonymisation. Ici, il faut lire l’expression « réseau superposé à Internet » comme une métaphore technique. Il désigne les réseaux qui définissent leurs propres modalités de communication entre machines, tout en s’appuyant sur Internet pour transporter concrètement les informations entre elles. En clair, c’est toujours Internet.

Les plus connus de ces « dark nets » sont I2P, Freenet, ou le célèbre Tor). Ces outils d’anonymisation sont utilisés pour des activités parfois criminelles, mais aussi par des journalistes, des activistes, des lanceurs d’alerte et autres ressortissants de pays aux régimes peu recommandables. On le mentionne rarement, mais il y a également nombre de personnes « normales » qui en font usage pour échapper au traçage, à la surveillance, au harcèlement, ou pour se prémunir contre des violences conjuguales.

Eva Galperin, de l’Electronic Frontier Foundation, déclarait que le « plus gros problème de Tor, c’est la presse. Personne n’entend parler de cette fois où quelqu’un a échappé au harcèlement de son agresseur. Les gens entendent seulement parler de celui qui s’est enfui avec de la pédo-pornographie. » Difficile de lui donner tort.

En résumé, l’appellation « dark net » est d’origine pas tellement contrôlée, très imprécise puisqu’elle désigne plusieurs choses distinctes, et a une connotation fichtrement négative. Une nouvelle fois, l’usage du nom propre — « Le Darknet » — figure un objet indépendant d’Internet ce qui est, à nouveau, doublement inexact.

Le Marianas Web

Nous l’avons vu, cette théorie des « niveaux de profondeur » d’Internet n’a pas grand sens, mais cela n’empêche ni de voir ses avatars plus ou moins grotesques (Deep Web, Darknet, etc.) refaire régulièrement surface (vous l’avez ?), ni certains de les documenter avec un formidable aplomb. Parmi ces concepts, le fantasmatique Marianas Web bat tous les records d’absurdité.

Figurez-vous que pour y accéder, d’après ce blog, il est nécessaire de posséder du « falcighol dérivation polymère ». Qu’est-ce donc que ce « falcighol », vous demandez-vous sans doute ? Je l’avoue, moi aussi. « C’est tout simplement l’informatique quantique » poursuit l’auteur du billet. Bon sang, mais c’est bien sûr !

Le niveau 8 du web est censé contrôler l’ensemble d’Internet. C’est apparemment une anomalie découverte dans les années 2000. Il est complètement insensible, mais envoie des signaux directement dans les ordinateurs du monde entier, ce qui lui permet de contrôler Internet, mais cela dépend du hasard. Personne ne semble avoir le contrôle. D’après ce qu’on dit, une organisation / gouvernement secret détient le contrôle sur ce niveau, mais on ne sait pas.

Jusqu’ici c’est limpide, continuons.

Apparemment, vous devez résoudre un simple puzzle … verrouillage des fonctions de niveau 17 niveau quantique TR001. Il s’agit essentiellement de l’informatique quantique le plus avancé, totalement impossible à résoudre avec nos ordinateurs. Vous avez besoin d’une technologie profonde que personne ne possède.

On s’amuse, on taquine, mais c’est pas bien méchant ces bêtises. Ce qui est en revanche beaucoup plus étonnant, c’est de trouver mention de ce Marianas Web, et dans des termes très proches de ceux du billet de blog au « falcighol »… Dans un article de la revue éditée par la Gendarmerie Nationale, précisément page 126.

n° 256 de la revue de la Gendarmerie Nationale
n° 256 de la revue de la Gendarmerie Nationale

Ô ironie, ce passionnant article s’intitule « Former des citoyens numériquement responsables ». J’ai dans l’idée que c’est pas gagné…

Comment la cybersécurité pourrait s’inviter à la présidentielle de 2017

mardi 7 février 2017 à 12:08

Depuis les dernières élections américaines et les soupçons d’un parasitage du Kremlin qui aurait mené à l’élection de Donald Trump, l’idée que Poutine fait des trucs pour façonner le monde à l’avantage de la Russie fait son chemin. Des trucs un peu louches en matière de renseignement, de collecte, et de fuites d’informations, typiquement le genre de « trucs » qui peuvent significativement influer sur un scrutin… des trucs que d’autres puissances font subir à des nations sans que, généralement, le monde ne s’en émeuve.

Si ces derniers jours ont laissé bonne place au « PénélopeGate » initié par des médias d’investigation comme le Canard Enchaîné et Mediapart, il n’est pas à exclure que des fuites d’informations, acquises par des cyberattaques puissent être dans ces prochains jours une source de parasitage (ou d’éclaircissement) du débat politique.

On peut s’amuser de voir François Fillon critiquer ces « officines » qui se ligueraient contre lui et dans le même temps voir un bot lâché sur Twitter pour venir à sa rescousse avec le hashtag « Stopchasseàlhomme ». Mais l’officine Kremlin (ou une autre officine d’un autre pays « ami » ou pas), si elle devait frapper, ne ferait pas de bruit, ne lancerait pas de hashtag sur Twitter, elle s’attaquerait tout simplement aux sites web des candidats.

Il ne faut pas être à la tête d’une horde de hackers chinois, nord coréens, russes ou pachtounes pour se rendre compte que le risque est bien réel, un risque issu de la négligence « caractéristique » de l’homopoliticus.

Les plus geeks de nos lecteurs connaissent très bien WordPress, le système de gestion de contenu plébiscité par la majorité des candidats à l’élection présidentielle (Macron, Fillon, Le Pen et Hamon pour ne citer qu’eux)… Il savent aussi que ce système de gestion de contenu, c’est un peu comme une voiture, ça nécessite un minimum d’entretien, en l’occurrence des mises à jour… de sécurité. Mises à jour qui sur WordPress se font en quelques clics et ne nécessitent aucune compétence technique particulière.

Des mises à jour qu’au moins deux candidats de « premier plan » semblent avoir passées aux oubliettes alors même qu’ils collectent sur leur site les données personnelles de leurs militants. C’est ce qu’on appelle le syndrome « install & forget ».

Le install & forget sauce Fillon

Le install & forget sauce Macron

 

Fillon, Macron, Hamon, Mélenchon : le club des « on » (qui prend la tête)

mardi 7 février 2017 à 11:32

Les quatre candidats à la présidentielle les plus éligibles — hormis la candidate de l’extrême droite — sont des « on ». Pour les « on » de droite, Fillon sera donc nommé « Fill » dans cet article, tout comme Macron, deviendra Macr, et à gauche, Hamon, Ham, et Mélenchon, Mélench. Tout n’est qu’affaire de convention, en fin de compte. Et puis du point de vue sonorité, répéter autant de fois le son « on » dans un même article n’est pas à proprement parler très agréable. Le club des « on » prend un peu la tête, de par leurs patronymes respectifs (ils l’on fait exprès ou quoi ?) et au delà, de par leur personnalité, leurs « propositions » respectives, et leur goût pour le pouvoir (ou le contraire pour l’un d’entre eux). Petit tour du club des « on », trois mois avant le début du grand n’importe quoi amnésique de la présidentielle française.

L’amnésie politique française

Le génie politique français passe par une faculté extraordinaire des électeurs — que les candidats savent exploiter à merveille : l’amnésie. Avant de décrire la réalité [un tantinet historique] et politique des quatre membres du club des « on », que bon nombre d’éditorialistes et de citoyens semblent oublier, précisons une chose importante : Marine Le Pen est la candidate d’un vieux parti raciste d’extrême droite, elle a toujours adhéré aux valeurs de ses alliés européens d’extrême droite, dont certains partis se revendiquent du néo-nazisme. Ceci étant précisé, allons voir quand même pourquoi le club des « on » est décidément bien prise de tête et devrait faire réfléchir les électeurs. Ou pas.

François Fill : l’homme qui a vu l’homme qui a vu…

Le candidat François Fill est en politique depuis 35 ans. Il n’a jamais travaillé, a toujours été assisté entretenu par l’argent public. Il a été aux « responsabilités » à de nombreuses reprises, au point de diriger le gouvernement de Sarkozy durant les cinq ans de son mandat.

Quand Fill s’emballe sur les dépenses publiques qu’il estime « bien trop importantes » promettant qu’il voudrait les réduire s’il était élu, il sait de quoi il parle : la dette publique s’est creusée de 600 milliards d’euros avec le gouvernement qu’il dirigeait, entre 2007 et 2012. Du jamais vu. Et si les électeurs pensent que « c’est à cause de la crise, et qu’il était obligé », il faut tout de même leur rappeler que les cadeaux fiscaux colossaux faits aux [très grandes] entreprises que Fill a effectués, les renflouements de banques, la généralisation des niches fiscales et la réduction drastique des agents du fisc sont difficilement explicables en termes de « bonne gestion de l’argent public ».

Mais quand on salarie son épouse et ses enfants pour près d’un million d’euros sur des postes que ces derniers ne peuvent pas [vraiment] justifier, il est vrai que venir faire la leçon sur ce sujet devient périlleux.

Emmanuel Macr : « le reniement c’est maintenant ».

Le candidat Emmanuel Macr, quant à lui est un pur bijou de l’amnésie collective. Imaginez un instant qu’il vient de sortir de 2 ans d’activité intense au ministère de l’économie et se permet d’expliquer à qui mieux mieux comment il va redresser économiquement la France tout en améliorant la redistribution des richesses.

L’homme qui a pondu les lois travail les plus régressives, de précarisation généralisée des salariés, laissé le chômage continuer d’exploser, vient donner lui aussi la leçon sur la bonne gestion économique du pays. Son échec au ministère de l’économie, avec une faculté à appliquer une politique entièrement basée sur les demandes du MEDEF, devrait — si l’amnésie collective était moins forte — définitivement le discréditer. Sans compter que si cette politique pro MEDEF avait au moins « relancé l’économie » et fait grimper la croissance du PIB, il serait possible de suivre notre Macr dans ses délires de « baisse des charges » (les cotisation sociales) à venir, ou autre solutions pro-capital mises en œuvre depuis plus de 20 ans.

Mais non : l’économie n’est plus celle des années 80, et toutes les solutions du premier de la classe ont été déjà appliquées, sans succès. Ce qui ressort de ce candidat, est avant tout une capacité hors du commun à renier ses propres actions tout en recyclant les solutions qu’il a déjà appliquées… en comptant sur l’amnésie collective bien française pour réussir à faire avaler la pilule.

Benoit Ham : l’homme qui regardait le doigt ou  « Le chauffeur Uber du PS » (cf ses costumes)

Benoit Ham est un calculateur électoraliste de haut vol. S’il s’est auto-« viré » du gouvernement, après 2 ans de « pas grand chose » au ministère de… (lequel déjà ?), Ham est l’homme de toutes les promesses pour gagner la primaire à gauche de la gauche et pas mal à droite tout en étant lui-même plus à gauche que le centre du PS qui n’est pas très à gauche.

En gros, Ham n’a pas franchement de programme, mais des mesures qu’il a improvisées vite fait sur un coin de table d’une péniche parisienne pour séduire l’électorat qui ne supportait ni Valls ni Montebourg (les autres ne comptaient pas). Cet électorat est en grande partie : les cadres un peu bourgeois mais qui ne veulent pas l’assumer et sont « super concernés par l’état de la société vraiment trop injuste avec tous ces pauvres et ces précaires, mais laissez-moi faire fumer mon American Express. »

Une fois cette étape effectuée, Benoit Jambon Ham va tenter de séduire une partie des fans de Mélench, tout en se propulsant sauveur du PS, dernier rempart contre l’implosion finale du gros machin plein d’éléphants corrompus. Sorti de ces calculs électoralistes, Ham est un gentil escroc, disciple de Hollande : chez lui tout est promesses radicales ou synthèse douce, fonction du vent, du public, et des échéances. Son revenu universel est tout sauf inconditionnel, ni de base, il n’est en réalité qu’une sorte de « RSA jeunes » généralisé, qui — si plein de conditions sont réunies — pourrait s’appliquer à d’autres que les jeunes, mais plus tard. Sauf qu’un RSA, même filé à tout le monde, ça ne sert pas à grand chose. Ca ne modifie pas du tout la société en profondeur comme le véritable revenu universel pourrait le faire. Quelqu’un à certainement montré le revenu universel à Benoit, et Benoit a regardé le doigt de celui qui lui montrait. Un doigt très XXème siècle, que Benoit a pris pour une révolution du XXIème…

Jean-luc Mélench : « après moi, le déluge, ou la politique du vieux briscard ».

Le cas Mélench dans le club des « on » est particulier : il est le seul à venir éructer à peu près la même chose depuis plusieurs années, avec quelques toilettages sur les bords, mais tout son « logiciel » politico-idéologique est en gros le même. Mélench parle aux lecteurs du Monde Diplo, aux intellectuels de la pensée marxiste pseudo-révolutionnaire, à tous ceux qui croient « qu’il est possible de changer le monde pour aller vers un monde meilleur possible ».

Pas mal de profs et de professions intermédiaires qui se sentent l’âme un peu révolutionnaire, et précarisés par la mondialisation. Mais qui ne vont pas si mal que ça (comparés aux employés des grandes enseignes ou des derniers ouvriers qui votent pour la plupart FN) , soyons clair.

« La France insoumise » de Mélench, c’est le club des altermondialistes de salon, convaincus que leur leader est le Chavez français. Sauf que Mélench, pendant que Chavez faisait de la tôle — puis parvenait à se faire élire par les classes les plus populaires de son pays — lui, le Mélench, il roupillait au Sénat comme membre du PS, votait Maastricht qu’il honnit aujourd’hui, prenait le poste de ministre de la formation professionnelle sous le gouvernement Jospin avec un résultat que personne n’a jamais pu évaluer. Bref, au PG, on a un vrai gros programme (pas une suite de mesures comme les autres), avec de vrais chamboulements que 10% à 12% du corps électoral est prêt à accepter. C’est le score de Mélench en 2012, ce sont les 10% d’intentions de vote actuellement sniffées par les boites de sondage.

La fabrique des prévisions

Comment ça pourrait se passer ou pas ? Tout le monde est d’accord pour dire que désormais on ne sait plus grand chose, que tout peut basculer, etc, etc… Ok. Mais dans l’absolu, quelques constantes peuvent nous aider à comprendre ce qu’il pourrait se passer. Fill va exploser en vol, son Comité théodul de LR va devoir nommer l’un de ses proches, parce qu’il va se faire mettre en examen. Un proche, ou pas trop proche. Mais quand même. Tout ça ne mènera pas le candidat LR au delà de 18 ou 19% de toutes les manières, même si Fill reste en lice. Si le vent est dans le bon sens.

Reste Marine qui continue à faire du 26 ou 27%, et on peut compter sur l’électorat de bidochons blindé à TF1-BFM-M6 etc, pour aller aux urnes le sourire aux lèvres. Notre petit Macr qui flirte avec les 25% semble donc assuré d’aller affronter la blonde sans aucun souci pour se faire élire président de tous les membres du MEDEF Français à au moins 65%.

Mais. Mais du côté de chez Mélench, il semblerait que des pétitions commencent à tourner pour demander au leader Maximo d’arrêter de s’entêter. De saisir la chance historique de pouvoir enfin aller appliquer un programme de gauche assez à gauche en ralliant Ham, qui — semble-t-il — serait plus à gauche que ce que le PS a d’habitude dans ses tiroirs. Parce qu’en réalité, si Mélench accepte de se retirer, les 17% (d’intention) de Ham, cumulé à ses 10%, ça fait un deuxième tour Ham-Le Pen. D’ailleurs Mélench a déjà répondu à Ham : il accepte de discuter. Mais il demande à Ham de « choisir ». Hohoho. Tout va donc résider, pour ce qui est censé être la « gauche », dans la faculté du radical de gauche ex-PS à se la mettre derrière l’oreille et accepter de ne plus se présenter à la présidentielle. Et ça, c’est pas gagné. Sauf si ses militants lui soufflent dans les bronches. En masse. Et comme en réalité, Mélench a tout à perdre en se désistant, il ne le fera pas. Pourquoi ? Parce qu’il perdrait sa boutique. Une fois sorti du gouvernement, son PG serait mort et enterré, il n’aurait plus de mandat, il ne serait plus rien. Et ça, Mélench, il a pas envie.

Affaire à suivre, donc.

Philippe Vannier, l’oublié (pour l’instant) du scandale Amesys

mardi 31 janvier 2017 à 09:16

On peut le tourner dans tous les sens possibles, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une instruction pour complicité de torture par un pôle dont l’intitulé est « génocide et crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre », cela fait désordre sur le curriculum vitae de son dirigeant. C’est exactement ce qui est arrivé à Amesys et Qosmos, respectivement dirigées par Philippe Vannier et Thibaut Bechetoille. Où en sont ces dossiers ouverts en avril 2014 ?

Hora fugit, stat jus (le temps passe, le droit reste) est la devise de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre, service interministériel rattaché à la Gendarmerie nationale française ayant pour vocation de coordonner, animer et diriger les investigations judiciaires en matière de lutte contre les crimes contre l’humanité et les génocides

Si l’instruction contre Amesys et Qosmos semble avancer à petits pas, il ne faut pas perdre de vue que le temps judiciaire est un temps long. Les preuves de l’implication d’Amesys dans la vente d’un système d’écoute global des communications via Internet à la Libye du Colonel Kadhafi ne sont plus à faire. Le puzzle du comment, pourquoi et grâce à qui, se met en place peu à peu et il y a fort à parier que la dernière personne qui sera convoquée par le pôle, sera Philippe Vannier. A moins bien entendu, que le pôle génocide et crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre décide in fine de rechercher la responsabilité des hommes et femmes politiques qui ont, derrière le rideau, organisé ce deal impliquant, il faut le rappeler, un terroriste, condamné comme tel par la Justice française.

Phiplippe Vannier est en effet l’artisan de ce deal avec la Libye de Kadhafi. C’est lui qui a créé l’entreprise Amesys, qui a discuté avec les autorités françaises, qui a fait le voyage à plusieurs reprises à Tripoli, y compris quelques jours avant la première répression sanglante en 2011, histoire de tenter de vendre aux Libyens un upgrade du système.

Philippe Vannier n’est pas un exécutant. Ce n’est ni un codeur dont l’outil a servi a arrêter et torturer de manière plus « efficace » des opposants, ni un cadre d’une entreprise « obligé » d’obéir pour ne pas « perdre son boulot ». Non, c’est le fondateur d’Amesys, son dirigeant, celui qui a fait le choix d’aller vendre un Eagle à la Libye et qui s’en est félicité.

Pourquoi s’en est-il félicité? Parce que ce deal a fait sa fortune, au sens premier du terme.

La vente d’un Eagle à la Libye a été récompensée par la possibilité de racheter à (très) peu de frais la société Bull. Puis il a pu revendre la société Bull à Atos. Double culbute.

Petit retour en arrière. En janvier 2010, Bull raconte à la presse l’inverse de ce qu’elle fait. La société annonce reprendre la SSII Amesys. En réalité, Bull s’offre à  Crescendo Industries, la maison mère d’Amesys dont Philippe Vannier est le principal actionnaire. Crescendo, la maison  mère d’Amesys, reçoit 24 millions d’actions soit à peu près 20% du capital de Bull post augmentation de capital, à quoi Bull ajoute 33  millions en numéraire (du liquide).

Au total, l’entité Amesys (qui  regroupe plusieurs filiales) est valorisée à 105 millions d’euros (72  millions en actions et 33 en liquidités). Résultat de l’opération,  Crescendo détient 20% du capital de Bull devenant ainsi de très loin le  premier actionnaire après France Telecom (autour de 10%). De son côté, Phillippe Vannier et ses deux compères avec qui il a créé Amesys, Dominique Lesourd et Marc Hériard-Dubreuil, crée un fonds d’investissement qui va acquérir jusqu’à près de 4 % du capital de Bull.

En 2009, avant la fusion des deux sociétés, nous avions Bull avec un  chiffre d’affaires consolidé de 1,110 milliard d’euros et Amesys avec  un chiffre d’affaires prévu à 100 millions d’euros en 2009. Il est donc, c’est une évidence, parfaitement logique que Amesys absorbe Bull pour le plus grand profit de Crescendo Technologies, détenu par Philippe Vannier  et ses deux associés historiques… Ou pas…

Evidemment, cela ne loupe pas, Philippe Lamouche, patron de Bull de l’époque se fait débarquer quelques mois plus tard et Philippe Vannier le remplace. Il est fort improbable que Philippe Lamouche n’ait pas vu  venir l’avenir qui se dessinait pour lui. On peut raisonnablement  supposer qu’il n’a pas eu le choix de refuser cette reprise du capital  de son entreprise par une petite SSII aixoise.

De fait, celle-ci avait, avec l’appui des nervis de Nicolas Sarkozy, vendu un système d’écoute global, le fameux Eagle, à la Libye de  Kadhafi. Le début d’une aventure menée par l’Etat français, consistant  très probablement à mettre en place un système reposant sur le DPI made  in France et ressemblant à celui de la NSA, dénoncé par Edward Snowden.

La principale différence entre les deux infrastructure étant que la  NSA a investi des sommes sans doute colossales pour la mettre en place  tandis que la France l’a vendue à des dictatures et des Etats policiers  particulièrement fâchés avec les Droits de l’Homme tout en en conservant  l’usage.

Ce point reste à développer. Mais plusieurs témoignages d’employés d’Amesys dans le cadre de la procédure en cours laissent entendre que la société conservait un accès distant à l’infrastructure mise en place en Libye, ne serait-ce que pour la maintenance. Peut-on imaginer la DRM et/ou la DGSE favoriser et soutenir l’installation d’un tel système en Libye sans se réserver un accès distant ?

La reprise de Bull par Philippe Vannier, qui ressemble fort à un  cadeau de remerciement pour services rendus et à un projet  d’optimisation des ressources françaises visant à mettre en place un  système d’écoute global, était donc dès le départ une très belle opération pour l’actuel patron de Bull. Une opération financière tout d’abord.

Avant la Libye, Eagle n’existe pas. C’est l’argent du contrat avec Kadhafi qui permettra de le développer, puis de le revendre à plusieurs pays fâchés avec les Droits de l’Homme. Cette activité Eagle sera l’argument majeur pour la fusion Amesys-Bull.

L’homme de la cyber-sécurité et le terroriste

Par ailleurs, cette belle opération financière se double d’une totale impunité. Amesys a vendu un système Eagle à un dictateur  sanguinaire sous couvert de lutte contre le terrorisme alors que la  société avait pour interlocuteur Abdallah Senoussi, beau frère du guide  suprême, mais aussi, condamné en France pour terrorisme, justement, en  raison de son rôle dans l’attentat du DC-10 d’UTA. Pour autant, à part  une plainte pour complicité d’actes de torture déposée par des ONG, rien  n’est venu troubler la quiétude de Philippe Vannier.

Celui-ci a désormais vendu Bull à Atos, réalisant une deuxième culbute financière.

Un peu de chiffres… Crescendo Technologies a donc repris Bull pour  zéro euros si l’on considère que cette holding a juste transféré ses  avoirs dans un ensemble plus grand et qu’elle contrôlait par la suite, ou 105 millions d’euros si l’on retient les chiffres avancés par le document de référence de l’AMF.

Atos a racheté Bull pour 620 millions. Ou 4,90 euros par action.  Dont 24% environ sont directement entre les mains de Crescendo  Industries. Qui se retrouve donc virtuellement à la tête d’environ 145  millions d’euros quatre ans après l’opération Bull-Amesys. On peut aussi  intégrer la dépréciation des actifs Amesys opérée par Bull en 2011  (quelque 31,5 millions d’euros) et valoriser Amesys à 73,5 millions  d’euros. Culbute dans ce cas : 71,5 millions d’euros.

Il faut regarder de près les chiffres de la holding Crescendo pour bien comprendre ce qui s’est passé, principalement sur la base de la vente d’un Eagle à la Libye (qui permis l’absorption de Bull) :

La procédure en cours n’a pas encore touché Philippe Vannier, pourtant architecte en chef de l’opération libyenne. Ce n’est probablement qu’une question de temps. Car a force d’entendre des salariés ou ex-salariés de la galaxie Amesys, il est probable que les juges remontent vers la tête. Quelle sera sa défense ? La même que celle de son commercial en chef Bruno Samtmann : on ne savait pas, nous on vendait des stylos pour lutter contre les terroristes et les pédophiles ? Pas sûr que ça marche…