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Le Parlement européen, allié de nos libertés numériques

vendredi 23 mai 2014 à 08:57

Tribune de Jean Cattan, membre du Conseil d'administration de La Quadrature du Net, et Adrienne Charmet-Alix, coordinatrice des campagnes, publiée dans Mediapart le 22 mai 2014

Alors qu'il est d'usage dans le système politico-médiatique français de faire passer sur le dos de « l'Europe » tout ce qui peut être ressenti comme néfaste, rigide ou contraignant dans nos législations, et que les élections qui arrivent risquent de se dérouler dans une indifférence et une abstention majeures, il faut rappeler que le Parlement européen peut être un réel lieu de démocratie, bénéfique pour les citoyens, et qu'il l'a prouvé plusieurs fois notamment sur le terrain de la protection des droits et libertés sur Internet.

Le Parlement européen est un haut lieu de la démocratie. C'est un fait qu'il faut souligner à la veille des élections du 25 mai prochain. Sans défendre les intérêts des uns et les partis pris des autres, il s'agit de rendre compte du rôle crucial et trop peu connu que le Parlement européen a joué ces dernières années dans la défense de nos libertés et la démocratisation du débat public.

Pour illustrer ce rôle crucial, il peut être intéressant de reprendre brièvement quelques aspects de l'histoire récente de la défense des libertés sur Internet.

En 2008, le Parlement européen est saisi de la réforme du « Paquet Télécom », un ensemble de textes gouvernant de manière austère et technique le développement de nos réseaux et services de communications électroniques.

Pendant que les institutions européennes débattent de cette réforme, la France prépare sa loi Hadopi et la riposte graduée : jusqu'à son adoption au Parlement français en 2009, le projet de loi autorisait l'administration à couper l'accès à Internet des personnes qui ne l'auraient pas convenablement protégé contre les utilisateurs de réseaux de pair-à-pair.

Jusqu'ici quoi de plus commun ? À Bruxelles la technocratie, au Palais Bourbon les éclats et les cris.

C'était sans compter sur quelques parlementaires européens qui, face à l'ineptie d'une coupure de l'accès à Internet par une autorité administrative, ont déposé l'amendement dit « 138 » dans le Paquet Télécom. Selon les termes de cet amendement, c'est au juge qu'il reviendra de juger de notre liberté d'accéder aux services de communications en ligne.

En fin d'année 2009, la réforme du Paquet Télécom est adoptée. Si, en raison de la résistance des États membres, la portée de l'amendement 138 sera finalement considérablement réduite, il n'en demeure pas moins que dans cet épisode, le Parlement s'est affiché comme un rempart contre l'empiétement de l'administration sur les terres de la liberté d'expression. Il a ainsi pesé sur le débat français. Le Paquet Télécom fut une première preuve de l'intérêt du Parlement européen pour les questions numériques, et le préambule à d'autres combats.

Au même moment, fin 2009, nous apprenions que la Commission européenne avait reçu mandat de nos États pour négocier avec les États-Unis, le Japon et d'autres puissances un traité visant à protéger la propriété intellectuelle de manière plus efficace et couramment dénommé l'ACTA.

Malgré les enjeux fondamentaux de ce texte, sur les questions d'accès aux médicaments ou aux œuvres culturelles notamment, le projet d'accord est alors discuté à huis clos. Il n'arrive aux yeux du public que grâce à des fuites diplomatiques.

Dès les premières fuites, le Parlement européen a fait valoir auprès de la Commission européenne le droit à l'information que le Traité de Lisbonne l'oblige à lui fournir. Dès lors, le texte n'a eu de cesse d'être purgé de ses aberrations jusqu'à son rejet par une majorité écrasante de nos eurodéputés le 4 juillet 2012.

Ce 4 juillet là, lors du vote final, il n'est plus question de partis, il est question de démocratie. Ce sont des mois de travail et de mobilisation des citoyens européens qui sont récompensés. Alors que tout était fait pour l'en exclure, la voix des peuples de l'Union européenne s'invite efficacement à la table des négociations d'un accord commercial que quelques puissances voulaient garder secret. Le rejet de l'ACTA montre alors que là où le peuple n'est pas entendu par ses administrations nationales, il peut l'être par ses élus au Parlement européen.

De nombreux débats similaires attendent les eurodéputés que les citoyens européens éliront ce 25 mai. Le 3 avril dernier, le Parlement européen a démontré qu'il pouvait être assez indépendant pour protéger nos libertés : il a adopté de nombreux amendements en faveur de la neutralité de l'Internet, afin de protéger un accès libre et égalitaire à l'ensemble des contenus et services de l'Internet. Si elles sont confirmées par les représentants de nos États au Conseil de l'Union européenne (rien n'est moins sûr), et si le prochain Parlement tient bon face aux pressions de certains gouvernements et lobbies, ces dispositions protégeront nos communications par Internet de toute restrictions et discriminations imposées par les fournisseurs d'accès à Internet.

Dans le même temps, la mobilisation qui se fait de plus en plus visible au sujet du projet de l'accord de libre-échange TAFTA se joue également au niveau européen : la discussion et le vote éventuel du traité transatlantique feront inéluctablement intervenir le Parlement européen sur la scène commerciale internationale mondiale.

En dépit de toutes les lacunes démocratiques qui entachent les institutions représentatives, malgré l'influence démesurée de certains lobbies industriels sur la définition des politiques publiques, nous savons, armés de nos expériences passées, qu'au Parlement européen, la voix des citoyens compte.

Sur l'ensemble de ces sujets qui touchent de près ou de loin la sphère numérique, nous avons appris que la mobilisation citoyenne pouvait être entendue par les eurodéputés, qui savent parfois oublier les dissensions partisanes ou les querelles politiques nationales pour défendre les biens communs.

Sur ces sujets comme sur bien d'autres, les débats sont loin d'être achevés. Les mois à venir seront décisifs pour la protection des droits sur Internet : au delà de la neutralité du Net et de Tafta, les eurodéputés qui seront élus ce dimanche devront également travailler sur la protection des données personnelles, la surveillance de masse des communications, la réforme du droit d'auteur ou encore la censure privée qui se développe sur Internet. Dans chacun de ces débats et bien d'autres encore, ils auront l'occasion de défendre nos libertés menacées par des États en prises à des résistances profondes et souvent profondément archaïques.

Dans ce contexte, le Parlement européen peut fournir un espace de délibération plus ouvert et nous permettre d'enjamber des jeux de pouvoirs d'un autre temps pour passer directement au jeu de la démocratie.

C'est pourquoi, à tous les citoyens préoccupés de la défense des droits et libertés (sur Internet comme dans le reste de la société), à ceux qui cherchent à faire progresser la démocratie, à ceux qui se préoccupent de faire avancer une politique qui serve vraiment l'intérêt général, nous rappelons l'importance d'un vote éclairé aux élections européennes : le Parlement européen ne doit pas être le bouc-émissaire des défaillances de nos systèmes politiques nationaux, mais devenir l'antidote aux difficultés que traverse l'Union européenne.

C'est pourquoi le Parlement doit être encouragé, valorisé et donc élu avec la plus grande attention par les citoyens, qui auront à cœur de faire leur choix sur la qualité des positions, du travail et de l'indépendance des candidats plus que sur des calculs politiciens étriqués.

Nous n'invitons pas à voter pour tel ou tel. Nous souhaitons simplement rappeler l'importance démocratique de cet organe législatif fondamental, et inviter les électeurs européens à donner leur suffrage à des parlementaires qui sauront se montrer à l'écoute des citoyens. Afin qu'ensemble nous puissions ensuite, en travaillant avec nos élus, défendre et garantir les droits politiques, économiques, sociaux et culturels face aux menaces qui se font jour partout sur ce continent.

Neutralité du Net au Parlement européen : qui a voté quoi ?

jeudi 22 mai 2014 à 14:43

Paris, 22 mai 2014 — Le 3 avril dernier, après des années d'actions et de mobilisations citoyennes, le Parlement européen a voté en faveur d'un texte protecteur de la neutralité du Net. Début juin, les États membres réunis au sein du Conseil de l'Union européenne publieront un premier rapport d'orientation, sur la base duquel seront menées les négociations avec le Parlement européen. À quelques jours des élections qui désigneront les prochains représentants des citoyens en Europe, La Quadrature du Net revient sur l'un des dossiers les plus controversés de la législature, depuis les premières déclarations de Neelie Kroes, la Commissaire en charge de l’Agenda numérique, jusqu'au vote des eurodéputés le 3 avril dernier.

En 2010, l’audition de confirmation de Neelie Kroes à l’Agenda Numérique avait été encourageante ; interrogée par les eurodéputés au sujet de la neutralité du Net, la future Commissaire condamnait avec assurance les pratiques commerciales limitant l’accès aux contenus et aux services. Malheureusement, sa position a rapidement évolué, pour s'aligner de plus en plus sur les demandes des lobbies des télécoms. En septembre 2013, à l'approche de la fin de son mandat, Neelie Kroes a enfin rendu publique une proposition de règlement sur les télécommunications abordant la neutralité du Net. À quelques mois seulement des élections européennes, un calendrier accéléré a été mis en place, obligeant le Parlement européen à des débats et des décisions précipités. En complète contradiction avec les engagements pris en début de législature, Neelie Kroes proposait dans ce règlement d'autoriser les discriminations commerciales (« fast-lanes »), vidant complètement de son sens le principe de la neutralité du Net.

Malgré cette déplorable proposition, largement dénoncée par de nombreuses organisations de la société civile, la mobilisation massive1 de milliers de citoyens et de quelques eurodéputés particulièrement impliqués – que La Quadrature remercie une fois encore – a permis d'aboutir à un texte réellement protecteur de la neutralité du Net lors du vote au Parlement européen2. Comble du cynisme, cette importante victoire citoyenne a été chaleureusement saluée par la Commissaire, alors qu'elle combattait encore farouchement les amendements protecteurs de la neutralité du Net quelques jours seulement avant le vote.

Le détail du vote

Malgré un accord transpartisan entre les groupes socio-démocrate (S&D), vert (Verts/ALE), gauche unitaire (GUE), et libéraux (ADLE), l’issue du vote du 3 avril demeurait incertaine jusqu'à la dernière heure. Cette victoire a été le résultat d’un long travail de pédagogie, d'analyse, de déconstruction des arguments avancés par les lobbies des opérateurs télécoms et de rencontres avec les acteurs européens impliqués dans le processus. Quelques jours avant les élections européennes, La Quadrature du Net revient sur les détails de ce vote et sur l'évolution des positions des différents groupes au fil des mois le précédant.

Si certains points du texte ont divisé les eurodéputés, il est intéressant de remarquer que la définition des « services spécialisés », pourtant au cœur des débats, a fait l'objet d'un large consensus3.


Après ces premières étapes législatives, le projet de règlement voté le 3 avril par le Parlement européen est maintenant examiné par le Conseil de l'Union européenne, censé publier un premier rapport d'orientation le 5 ou le 6 juin prochain.

« Au vue des positions exprimées par les gouvernements français et anglais, qui envisagent déjà de remettre en question les avancées obtenues pour la protection de la neutralité du Net, le rôle du prochain Parlement européen sur ce dossier sera fondamental. Les eurodéputés, qui seront élus le dimanche 25 mai devront continuer le travail de leurs prédécesseurs et se battre pour défendre notre liberté de communication sur Internet. C'est pourquoi chaque citoyen, qui s'apprête à voter dimanche doit s'interroger sur la centralité de ces thèmes dans les préoccupations des candidats. La campagne européenne wepromise.eu a récolté les signatures de quelques centaines de candidats qui ont promis de s'engager pour les droits des citoyens sur Internet. Maintenant, la parole est aux électeurs », déclare Miriam Artino, en charge de l'analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.



Ci-dessous le détail du vote des amendements essentiels. Pour un complément d'information, vous trouverez ici le détail de tous les amendements votés par appel nominatif (cf. pp.33-52).



Définition de la Neutralité du Net (amendements 234 et 241)

PPE favorables

ECR favorables

EFD favorables

NI favorables

S&D défavorables

Services fonctionnellement identiques (amendements 236 et 243, parties correspondantes 1 & 2)

ECR favorables

EFD favorables

NI favorables

PPE favorables

S&D défavorables

Mesures de gestion du traffic (amendements 236 et 243, parties correspondantes 4 & 5)

PPE favorables

EFD favorables

ECR favorables

NI favorables

S&D défavorables

Rapport MIQ : censure extra-judiciaire et police privée au nom de la protection du droit d'auteur

mercredi 14 mai 2014 à 10:39

Paris, 14 mai 2014 — Régulièrement reportée depuis le mois de janvier, la remise du rapport de Mireille Imbert-Quaretta sur la « prévention et la lutte contre la contrefaçon en ligne » à la Ministre de la Culture Aurélie Filippetti a eu lieu lundi. Comme le laissaient craindre les prises de position des responsables de la Haute autorité et le rapport Lescure publié en mai 2013, sous couvert de lutter contre la contrefaçon commerciale, ce nouveau rapport propose d'instaurer de dangereuses mesures de censure et de blocage sans intervention du pouvoir judiciaire.

Ce nouveau rapport vient préciser les recommandations d'un précédent document remis par Mireille Imbert-Quaretta en février 2013 et s'inscrit dans la lignée des conclusions de la mission Lescure, remise en mai 2013 et dont il reprend les orientations que La Quadrature du Net avait déjà dénoncées.

Derrière « l'autorégulation », le risque de la censure privée

Alors que la répression conduite par la Hadopi visait jusqu'à présent les échanges en P2P, ce rapport cherche à cibler les sites de streaming et de téléchargement direct, en proposant des moyens d'assécher leurs ressources financières. Cette approche “follow the money” était déjà au cœur de la loi SOPA aux États-Unis, repoussée en 2012 suite à une large mobilisation citoyenne en défense des libertés. Comme c'était également le cas dans l'accord ACTA, l'idée principale de ces mesures consiste à impliquer des intermédiaires dans la lutte contre la contrefaçon en ligne, avec des dommages collatéraux importants sur la protection des droits dans la mesure où le juge se retrouve marginalisé ou contourné au profit d'autorités administratives et d'entreprises privées. Il s'agit notamment de « responsabiliser » les acteurs qui sans être responsables d'actes de contrefaçon « engendrent des revenus aux sites massivements contrefaisants ».

Pour renforcer l'implication des acteurs de la publicité et du paiement en ligne, le rapport préconise l'adoption de chartes, dans lesquelles ils s'engageraient à ne plus fournir leurs services à des sites désignés par l'autorité comme abritant massivement de la contrefaçon. Cette approche privilégiant le « droit souple » et « l'autorégulation » pourrait paraître à première vue moins critiquable que la répression par des sanctions, le rapport proposant l'instauration d'une « mission d'information » confiée à une « autorité publique », un « tiers de confiance », dont le rôle serait de dresser une liste noire de sites contrefaisants, sur la base de critères « objectifs ». En réalité, ces propositions portent en elles le risque de déléguer à des acteurs privés la lutte contre la contrefaçon commerciale, là où seul le juge est à même de garantir la protection des droits fondamentaux, notamment à un jugement équitable et contradictoire. Ainsi, La Quadrature du Net rappelle avec force que seul un juge devrait pouvoir dresser de tels constats, dans le cadre d'une procédure respectueuse des droits de la défense. Même si le rapport prévoit que cette liste serait publique et ne va pas jusqu'à envisager des sanctions pour les intermédiaires refusant de se prêter à ce système d'autorégulation – comme la loi SOPA et l'ACTA tentaient de l'imposer et comme le réclament certains lobbies de l'industrie culturelle – il n'en reste pas moins que la pression imposée à ce type d'acteurs sera suffisamment forte pour les pousser à mettre en œuvre une forme de censure privée. Les régies publicitaires ont déjà été sollicitées pendant la réalisation du rapport pour sonder leur propension à coopérer sur ces bases.

Responsabilisation des intermédiaires techniques et extension du blocage judiciaire

Par ailleurs, le rapport contient plusieurs recommandations tendant à remettre en cause l'équilibre des responsabilités fixée actuellement par la Loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) en ce qui concerne les hébergeurs de contenus, et à aggraver ses dérives. Pour contourner l'interdiction prévue par la LCEN et la directive européenne sur le commerce électronique d'imposer à des tels acteurs « une obligation générale de surveillance des contenus qu'ils stockent », le rapport préconise de confier à une autorité administrative la possibilité d'adresser aux sites des « injonctions de retrait prolongé » afin d'éviter la réapparition de contenus supprimés après signalement pendant une durée déterminée. Le rapport préconise qu'une telle solution puisse s'appliquer aux sites participatifs comme YouTube ou DailyMotion. Pour assurer techniquement l'application de ces injonctions, il est fait référence aux outils de reconnaissance de contenus à base d'empreintes, tels que le système ContentID de YouTube. La Quadrature du Net a déjà vivement critiqué ces dispositifs qui ont pour effet de renverser la charge de la preuve aux détriments des usagers, tout en faisant jouer aux intermédiaires un rôle de police privée du droit d'auteur, avec des dommages collatéraux importants sur l'exercice de la liberté d'expression. Le rapport Imbert-Quaretta préconise en réalité une généralisation de ces « Robocopyright », en proposant d'engager « la responsabilité du prestataire du service de communication au public en ligne » dans le cas de non-respect de l'injonction.

Enfin, le rapport propose d'aller plus loin que les conclusions de l'affaire AlloStreaming en matière d'application des décisions de justice prononçant le blocage d'un site contrefaisant. Il est proposé en effet de confier à une autorité publique le suivi auprès des FAI et des moteurs de recherche de l'exécution de telles mesures, notamment en ce qui concerne la réapparition de sites miroirs. Le rapport envisage que cette fonction puisse être exercée par une « autorité transverse », dotée d'une compétence générale en matière de blocage, couvrant les dispositifs déjà existant en matière de pédopornographie et de cybersécurité, étendus à la lutte contre la contrefaçon. Sur ce point, La Quadrature du Net rappelle son opposition de principe aux mesures de blocage, qui sont globalement inefficientes et toujours porteuses d'un risque de surblocage d'usages licites. L'instauration d'une « Haute autorité du blocage » ne peut conduire qu'à ancrer le recours à ce procédé critiquable dans le paysage français, tout en marginalisant encore une fois le rôle du juge.

La légalisation du partage non-marchand est le meilleur moyen de lutter contre la contrefaçon commerciale

Face à ces multiples risques de dérives dont le rapport « MIQ » est porteur, La Quadrature du Net rappelle que le meilleur moyen de lutter contre la contrefaçon commerciale consiste à légaliser le partage non-marchand entre individus sans but de profit. Les sites de streaming et de téléchargement direct sont le produit de l'acharnement depuis des années à lutter contre le partage décentralisé des œuvres entre individus. Cette forme de partage constitue un droit culturel fondamental dans l'espace numérique comme il l'est pour les œuvres sur support, même s'il doit être encadré. Ce droit est la condition contemporaine d'exercice de la « participation culturelle à la vie de la cité », établie par la Déclaration universelle des droits de l'Homme.

Il est significatif à cet égard qu'alors que la lettre de mission de Mireille Imbert-Quaretta faisait référence à la lutte contre la « contrefaçon commerciale », le rapport ne s'appuie pas dans ses développements sur la distinction entre le partage non-marchand et la contrefaçon commerciale pour lui préférer l'expression floue de site « massivement contrefaisant ». Le rapport mélange ainsi des formes très différentes d'accès aux œuvres, et range même les annuaires de liens dans la catégorie de ces « sites massivements contrefaisants ». Pour La Quadrature du Net, la fourniture de moyens, même commerciaux, à l'exercice du droit au partage des œuvres entre individus est tout aussi légitime, pourvu que cette fourniture de moyens n'interfère pas avec les pratiques de partage des individus en favorisant certaines œuvres ou ayants droit pour des motifs économiques. La répression de la référence et sa privatisation sous couvert de garanties de l'État aux intermédiaires qui la pratiqueraient porte une atteinte majeure à la liberté d'information et de communication.

« Sans surprise, le rapport remis à Aurélie Filippetti par Mireille Imbert-Quaretta échoue à proposer les mesures à même de concilier droit d'auteur et pratiques culturelles actuelles. Au lieu de ça, il propose le développement de mesures aggravant la transformation des intermédiaires techniques en police privée et la censure extra-judiciaire au nom de la protection des intérêts des ayant droits. Si le gouvernement envisageait réellement d'inscrire dans la loi de telles dispositions et de persister dans le développement des politiques répressives dans le domaine numérique démarré par ses prédécesseurs, les citoyens devraient se mobiliser d'urgence pour faire enfin entendre leur voix dans ce débat » déclare Philippe Aigrain, co-fondateur de La Quadrature du Net.

Rapport MIQ : le vrai visage du SOPA à la française

lundi 12 mai 2014 à 18:35

Paris, 12 mai 2014 — Après des mois de tergiversation le rapport de Mireille Imbert-Quaretta consacré aux « Outils opérationnels de prévention et de lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne » a été remis à Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture. Son contenu conforte les craintes exprimées par la société civile, puisqu'il propose de mettre en place une infrastructure où l'administration et les intermédiaires techniques, financiers et de publicité, sont en position de force pour déterminer le caractère contrefaisant ou non des sites de partage et pour agir contre eux. Ce système, contournant le pouvoir judiciaire, porte atteinte aux droits fondamentaux de chacun. La Quadrature du Net appelle les citoyens à se tenir prêts à s'opposer à ces mesures si le gouvernement venait à envisager de les reprendre à son compte.

Régulièrement reporté depuis le mois de janvier, le rapport « MIQ » vient finalement d'être remis à Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, sans qu'aucun membre d'une organisation de la société civile n'ait été auditionné pour sa rédaction. On ne s'étonnera donc pas que ce rapport reprenne, en les détaillant, les demandes les plus arrogantes des lobbyistes des industries du divertissement. De la même manière que l'Hadopi punissait les citoyens pour ne pas avoir « sécurisé » leur connexion – sans jamais prouver qu'ils commettaient une contrefaçon en partageant leurs fichiers ou qu'il en résultait un dommage – ce nouveau rapport élude la question du périmètre légitime du partage et de ses effets. Une fois désignés comme « contrefaisant massivement » par une autorité administrative, ces sites feraient l'objet de deux types de mesures confiées aux intermédiaires techniques :

À charge pour les ayant-droits de saisir la justice, ensuite, s'ils le souhaitent (l'autorité administrative ayant auparavant constitué l'essentiel du dossier aux frais du contribuable), affirme le rapport. Une fois de plus, la justice tend petit à petit à être remplacée par des instances sans contrôle chargées de définir ce qui est légal ou non, tandis que le judiciaire n'intervient qu'en dernier lieu, pour punir les derniers récalcitrants. Une liste de sites « impurs »2 agrégera des plate-formes tirant profit directement ou indirectement de la mise en accès de contenus culturels à ses usagers, si tant est que ce gain financier soit nécessaire à cette qualification, la catégorie de « massivement contrefaisant » pouvant s'appliquer à des sites sans aucun but lucratif3.

« Ce rapport illustre l'aberration qu'il y a à prétendre réprimer fortement la fourniture de moyens de partage de fichiers sans but de profit entre individus sans avoir en parallèle reconnu le périmètre légitime de ce partage. Une fois de plus, on va dresser massivement une conjonction de groupes d'intérêts, d'intermédiaires et d'administrations mises à leur service contre les citoyens qui font vivre chaque jour la culture » déclare Lionel Maurel, co-fondateur de l'association La Quadrature du Net.

« La Quadrature du Net appelle les citoyens et les parlementaires à la plus grande vigilance à l'égard des suites qui seront données à ce rapport. Si le gouvernement s'avise de les mettre en œuvre par la loi et le décret, il doit s'attendre à une forte mobilisation citoyenne pour défendre les droits fondamentaux, au premier rang desquels celui à ne voir les libertés restreintes durablement que par une décision judiciaire » déclare Philippe Aigrain, co-fondateur de La Quadrature du Net.

La présidence italienne soutiendra-t-elle la neutralité du Net ?

vendredi 9 mai 2014 à 15:25

Paris, 9 mai 2014 — La voix de la présidence italienne au Conseil de l'Union européenne pourrait trancher parmi les discours gouvernementaux fustigeant le vote sur la neutralité du Net au Parlement européen ! Selon le portail d'information Euractiv, elle serait favorable au texte voté par les eurodéputés et prête à le défendre devant les gouvernements européens et les industries des télécoms. À l'approche de la publication du rapport d'orientation du Conseil de l'Union européenne sur ce sujet, prévu pour les 5 ou 6 juin, La Quadrature du Net salue cette prise de position encourageante, et appelle les citoyens européens à pousser leur gouvernement à suivre cet exemple.

Le 2 mai, le portail d'information Euractiv a rapporté la position de la présidence italienne du Conseil de l'Union européenne à propos de la réforme du Paquet Telecom votée par le Parlement européen le 3 avril dernier. Alors que les acteurs dominants des télécommunications et plusieurs gouvernements, dont la France, se sont déclarés opposés à ce texte, qui risque d'être sérieusement remanié dans un sens malheureusement contraire à la neutralité du Net lors de son passage au Conseil de l'Union européenne, cette prise de position tranche et constitue un signal encourageant.

Marco Peronaci, représentant permanent adjoint de l'Italie auprès de l'Union européenne, a ainsi déclaré lors d'une conférence organisée par ETNO : « Nous comprenons les préoccupations de l'industrie, mais nous pensons toujours que le [texte] doit faire l'objet d'une analyse sérieuse ». Une source diplomatique citée par Euractiv avance même que l'Italie, qui va prendre la présidence de l'Union européenne pour 6 mois à partir du 1er juillet prochain, voudrait défendre le texte tel qu'adopté par le Parlement européen. Tandis que plusieurs gouvernements semblent céder aux lobbies des télécoms pour réintroduire dans le texte les mesures autorisant les discriminations commerciales et revenir sur les avancées votées par les eurodéputés, les citoyens doivent soutenir de telles prises de position respectueuses du vote du Parlement européen et de la neutralité du Net.

« Cette prise de position de l'Italie est intéressante et encourageante. Elle montre que la neutralité du Net est un enjeu de société de plus en plus pris en compte politiquement, au plus haut niveau. Le gouvernement français, et notamment madame Lemaire en charge du numérique, doit suivre l'exemple de l'Italie et clarifier la position que la France va défendre lors des prochaines étapes législatives. Sans attendre, les citoyens doivent agir et appeler leur gouvernement à agir et à porter la voix citoyenne du Parlement européen et des défenseurs de la neutralité du Net.  », déclare Adrienne Charmet-Alix, coordinatrice des campagnes à La Quadrature du Net.