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La loi antiterroriste devant le Sénat : l'urgence est mauvaise conseillère

jeudi 9 octobre 2014 à 10:42

Communiqué commun de l'Observatoire des libertés et du numérique (OLN)1

Paris, 9 octobre 2014 — Aujourd'hui, le Sénat examine le projet de loi antiterroriste. Il s'agira d'une lecture unique, puisque le gouvernement, confondant précipitation et efficacité, a décidé de la procédure d'urgence.

L'Observatoire des libertés et du numérique (OLN) considère que cette décision prive la représentation nationale d'un débat normal sur les libertés publiques, dans lequel les arguments contraires auraient mérité d’être entendus.

Si la lutte contre le terrorisme est légitime, elle ne peut justifier de légiférer en urgence sous le coup de la peur et de l’émotion, et d’adopter des lois toujours plus liberticides. Les événements récents posent sans aucune contestation possible la nécessité de procéder à la poursuite, à l'arrestation et au jugement de criminels. Mais sans le respect des principes, la lutte contre le terrorisme se réduit, aux dépens de la justice et des libertés publiques, à une vengeance sans fin. Amender encore une fois l’arsenal déjà lourd de la lutte antiterroriste dans ces circonstances, c’est prendre le risque de dissoudre la délibération démocratique dans une posture évènementielle. À chaque fois qu'en matière législative, on fait vite, on ne fait pas bien. Et c'est exactement le cas avec la future « loi antiterroriste », déjà votée par l’Assemblée nationale et qui va suivre la procédure d’urgence : une seule lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Une fois de plus, au lieu de procéder à une évaluation des lois existantes avant d’en promulguer une nouvelle qui pourrait tenir compte de l’expérience, ce qui tient lieu d’analyse, c’est le recours législatif immédiat et l'illusion est ainsi donnée que l'on a pris en haut lieu la mesure du danger. Aujourd’hui le combat contre le « djihad », comme hier celui contre le terrorisme, fait que, de coups de menton virils en déclarations martiales, la cause est entendue : la patrie est en danger et les atermoiements ne sont plus de mise, même quand il s'agit des libertés publiques. Que les prises de position honteuses de certains à droite, comme celle du député UMP Alain Marsaud, qui invitait à « s’asseoir sur les libertés », ne viennent pas éclipser le fait qu’aujourd’hui encore la balance entre sécurité et libertés va dans le même sens, déséquilibrée qu’elle est vers toujours plus de diminution des droits. Développement sans fin d’un arsenal répressif déjà très lourd, création d’une nouvelle infraction de l’intention, création de pouvoirs exorbitants de l’administration sur les citoyens, leurs déplacements, leur expression, notamment sur le Net, détricotage du droit de la presse, accroissement des pouvoirs de police et de la justice dans des domaines allant bien au-delà du terrorisme : autant de dévoiements de notre droit, que la lutte contre le terrorisme ne saurait légitimer.

L’argument est d’autant plus efficace que la situation internationale est extrêmement dangereuse. A l’engagement militaire sur un théâtre extérieur correspond une relativisation des libertés fondamentales pour tenter de dominer l’incertitude de la période, ce qui suffirait à dévaloriser, voire annihiler la critique.

C’est ainsi que dans la loi antiterroriste, ses motifs n’ont que la peur comme conseillère. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) tout comme la Commission numérique de l'Assemblée nationale et le Conseil national du numérique se sont d'ailleurs montrés, dans leurs avis, extrêmement critiques sur son contenu. Mais il en adviendra de ce texte comme d'autres : le gouvernement ni ne consulte ni ne sollicite un avis, dont il avait bien pressenti qu’il mettrait à jour l’illégitimité et l’inefficacité de telles atteintes aux droits et libertés.

Au rebours de cette courte vue, l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN) considère que l’expérience de ces lois appliquées dans le monde (en particulier aux États-Unis, qui s’en sont faits le parangon avec le Patriot Act), montre que celui-ci n’est pas devenu plus sûr avec ces méthodes. À moins d’être aveugle, il faut bien constater que le terrorisme ne faiblit pas quand tombent les libertés publiques. Dans les pays mêmes qui pratiquent à un degré ou à un autre la suspension des libertés dans ce cadre, les effets sont médiocres voire contre-productifs.

C’est à l'audition d'une multiplicité de points de vue, constitutionnel, juridique, politique, social, qu'il eût fallu procéder. Mais le débat n’a pas eu lieu puisque les initiateurs de la loi, telle qu'elle est, disent qu’il n’y a pas d’autre politique possible. Les questions ne seront donc pas posées. C’est ce à quoi les organisations qui composent l’OLN ne peuvent pas se résoudre. L'OLN appelle les sénateurs à tenir le débat, et, s’ils ne refusent pas d’adopter la loi, à tout le moins à proposer des amendements propres à apporter des garanties. Il appelle enfin les parlementaires à utiliser en tout état de cause leur possibilité de soumettre la loi au Conseil constitutionnel.

Analyses et propositions d'amendements pour le projet de loi « terrorisme » lors de son passage au Sénat

mercredi 8 octobre 2014 à 17:48

Paris, le 8 octobre 2014 — La Quadrature du Net appelle les sénateurs à corriger les dangereuses dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme tel qu'il a été présenté par le gouvernement puis voté à l'Assemblée nationale. Pour cela, les principales dispositions problématiques et les mesures qui peuvent les amender sont présentées ci-dessous. Elles sont à disposition des sénateurs, afin qu'ils puissent s'en inspirer pour effectuer leur travail d'amélioration législative.

Article 4

Le transfert dans le code pénal des infractions de provocation à des actes de terrorisme crée les conditions pour la facilitation d’une justice expéditive, peu soucieuse du droit de chacun à un procès équitable.

De plus, le nouvel article 421-2-5 du code pénal n'opère pas de distinction entre une provocation suivie d'effet et une provocation qui ne l'est pas, ce qui est garanti, en revanche, aux articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881. Cette distinction est d’une importance primordiale à partir du moment où elle marque la frontière entre le champs de la protection des personnes et le champ de la liberté d’expression.

Dans le cadre du basculement du délit d'apologie du terrorisme du droit de la presse au code pénal, un risque majeur se pose et il a trait à la compromission du droit à la liberté d’expression, notamment lorsqu'il est exercé dans le cadre d'une forme de contestation sociale.

La lutte contre le développement de la propagande terroriste qui provoque ou glorifie les actes de terrorisme doit rester l’apanage du droit de la presse, la notion même de « propagande terroriste » n’ayant pas de définition juridique. Un rapport1 de l’ONU datant de septembre 2012, portant sur l’utilisation d’Internet à des fins terroristes, précise en effet que : « [c]e qui constitue une propagande terroriste, par comparaison à la défense légitime d’un point de vue, est souvent un jugement subjectif »2 Et il ajoute « la diffusion de la propagande n'est généralement pas, en soi, une activité interdite »3. Les règles procédurales associées au droit de la presse garantissent et protègent ainsi la liberté de chacun de continuer de s’exprimer, et endigue toute tentative, présente et future, de dérive autoritaire dans une société démocratique.

Par ailleurs, la création d'une circonstance aggravante pour tout contenu relatif à la provocation et à l'apologie du terrorisme, véhiculé par Internet plutôt qu'au moyen de supports physiques, s'inscrit en rupture du principe d'égalité devant la loi pénale 4. En effet, une telle stigmatisation du moyen utilisé n'apparaît ni nécessaire, ni proportionnée à la mise en œuvre d'une législation visant à lutter contre la radicalisation terroriste ; et ce d'autant plus lorsqu'on connaît la place que prennent d'autres lieux, comme les lieux de détention ou d'autres lieux de socialisation, dans les parcours de radicalisation, comme cela a été le cas pour M. Mehdi Nemmouche, inculpé dans le cadre de l'affaire relative aux meurtres du Musée juif de Bruxelles datant du 24 mai 2014.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 5

Ayant pour objectif de pénaliser la préparation à la commission d’un acte en toute absence de commencement d’exécution, ce qui est juridiquement requis pour vérifier la commission effective d’une infraction, cet article représente une atteinte majeure au droit des citoyens à un procès équitable, garanti par le droit international, et à la présomption d'innocence garantie à l'article 9 de la de la Déclaration de 1789.

De plus, l’introduction d’une nouvelle incrimination d’entreprise terroriste individuelle, déjà rejetée dans le cadre des conclusions de la Commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés en 2012, met en place un dispositif juridique qui tend, une fois de plus, à la criminalisation et à la pénalisation de l’intention, aggravée par l’assimilation d’un acte isolé à celui accompli dans le cadre d’une association de malfaiteurs.

Par ailleurs, l'introduction d'éléments matériels pour définir l’entreprise terroriste individuelle montre clairement dans quelle mesure tout citoyen est potentiellement susceptible de faire l’objet d’une accusation de terrorisme, ce qui compromettrait la légitimité d'actions aujourd'hui considérées comme légitimes, à l'instar de l’entraînement au maniement des armes ou le séjour, pour les raisons les plus diverses, sur un théâtre d'opération de guerre.

En particulier, la création d’un délit de consultation habituelle des sites terroristes nuirait de manière significative au droit d’information de toute personne désireuse d’observer à titre personnel l’évolution de certaines phénoménologies de nature terroriste. Les exceptions créées pour les « professions ayant pour objet d'informer le public » ou pour les chercheurs scientifiques, ne saurait que produire une discrimination de fait entre citoyens, dont la jouissance du droit d'accès à l'information ne serait plus garantie de manière égalitaire, contrevenant à ce qui est inscrit à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Cet article crée par ailleurs une nouvelle infraction dont la conformité au principe de nécessité, tel que inscrit à l'article 8 de la déclaration de 1789, n'a aucunement été démontrée.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 9

Le blocage des sites internet est une restriction grave à la liberté d'information. En tant que tel, il doit n'être envisagé qu'en dernier recours, être proportionné et mis en place avec les plus extrêmes précautions. Il doit également répondre effectivement aux besoins annoncés, et donc être efficace.

Le 2° de l'article 9, en ce qu'il n'envisage pas de recours au juge judiciaire en amont de la décision de blocage, qu'il ne répond pas aux objectifs d'efficacité (le contournement des blocages est notoirement aisé), et qu'il n'offre aucune garantie de proportionnalité (les risques de surblocage sont massifs), ne peut servir l'objectif envisagé et doit donc être supprimé.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article. À défaut d'être supprimé, pour que l'autorité judiciaire joue pleinement son rôle de gardienne des libertés fondamentales, il est proposé d'instituer une procédure de contrôle similaire à celle ayant cours pour la prolongation des placement des étrangers en centre de rétention administrative, par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui se prononce sur le caractère manifestement illicite du contenu incriminé et contrôle la proportionnalité de la mesure ordonnée.

Article 10

L'article 10 ne vise pas spécialement les actes de terrorisme, mais il a vocation à modifier de manière radicale le régime de perquisitions applicable à l'ensemble des crimes et des délits flagrants, introduisant une nouvelle modalité de perquisition depuis les services de police et portant atteinte à la sécurité juridique de l'article 57 du code de procédure pénale.

Ledit article prévoit en effet que toute opération de perquisition soit faite « en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu » ou d'un représentant de son choix ; lorsque cette présence ne peut pas être garantie « l'officier de police judiciaire choisira deux témoins requis à cet effet par lui, en dehors des personnes relevant de son autorité administrative ». Ces dispositions ont pour objectif de garantir la transparence des opérations, ainsi que le respect d'un équilibre entre protection des droits et des libertés individuels d'un côté, et efficacités des enquêtes de l'autre.

La remise en question d'un tel régime, entraînerait donc de graves atteintes aux libertés individuelles d'une personne soupçonnée, et non pas jugée coupable, d'un crime quelconque et non pas exclusivement d'un acte de terrorisme.

Ces nouvelles pratiques risquent ainsi de se traduire par une violation complètement illégitime de la vie privée, ainsi que du droit à l'inviolabilité du domicile, dont la notion recouvre l'habitation stricto sensu ainsi que ses dépendances immédiates à l'instar d'une boîte aux lettres et, par extension, d’un système informatique.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article. À défaut et afin de restreindre ces dispositions à l'objet du projet de loi, il est conseillé d'introduire une exception pour les actes visés au point 11 de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

Article 11

L’article 11 du projet de loi ne s’inscrit pas spécialement dans la lutte contre le terrorisme, mais il relève de la mise au clair des données chiffrées nécessaires à la manifestation de la vérité, dans le cadre d’une enquête quelconque. Cela remet en question la pertinence d’une telle disposition qui n’a pour effet que celui de parvenir à une banalisation du droit de l’exception et de réduire le rôle de l’autorité judiciaire dans toutes les enquêtes relevant de la criminalité organisée. Par ailleurs, les décisions prises au titre de l'article 11 ne seront susceptibles d'aucun recours, conformément à l’article 230-4 du code de procédure pénale modifié par le texte.

La Quadrature du Net appelle à la suppression de l'article.

Article 12

En premier lieu, la répression d'atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD) ne peut être encadrée dans une loi relative à la lutte contre le terrorisme à moins de considérer que les délits commis en matière informatique peuvent tous être qualifiés d'actes de terrorisme, ce qui ne saurait être le cas.

En deuxième lieu, appliquer la notion de bande organisée aux attaques contre les systèmes informatiques revient à soumettre chaque citoyen aux dispositifs de la lutte contre la criminalité en bande organisée. Ce qui porte une atteinte particulièrement disproportionnée aux libertés individuelles de l'ensemble de la population, du fait qu'il s'agit de dispositions relatives au régime dérogatoire de la criminalité organisée.

En troisième lieu, la logique qui guide la répression accentuée de la lutte contre la criminalité en bande organisée n'a pas lieu d'être appliquée à la lutte contre les atteintes aux STAD. En effet, en matière de criminalité informatique, et contrairement à la criminalité physique, il n'y a pas de lien proportionnel entre le nombre de personnes impliquées dans un crime informatique et la gravité de ce crime.

La Quadrature appelle à la suppression de l'article.

Projet de loi « Terrorisme » : au Sénat de défendre les libertés !

mercredi 8 octobre 2014 à 17:05

Paris, le 8 octobre 2014 — Après un vote désastreux à l'Assemblée nationale, et alors que de très fortes critiques continuent de s'accumuler sur le projet de loi « Terrorisme » de Bernard Cazeneuve, le Sénat se penchera sur le texte à partir de ce jeudi. La Quadrature du Net appelle les sénateurs à exercer leur rôle avec lucidité et sagesse pour corriger les nombreux dangers du projet de loi.

Moins d'un mois après le vote à l'Assemblée nationale, le projet de loi « terrorisme » arrive sur la table des sénateurs, censés examiner le texte en deux temps : le jeudi 9 octobre en commission des Lois, et, vraisemblablement dès le début de la semaine prochaine en séance. Les amendements proposés par les deux rapporteurs du Sénat, Jean-Jacques Hyest et Alain Richard, ont été rendus publics le 7 octobre au soir. La date limite de dépôt des amendements par les sénateurs n'est pas encore connue.

Alain Richard, co-rapporteur du Projet de loi « Terrorisme »
Alain Richard (PS),
co-rapporteur du projet de loi
au Sénat


Entre le vote à l'Assemblée nationale le 18 septembre et l'examen au Sénat, les expressions de réprobation de ce projet de loi ont continué à être rendues publiques, sans que Bernard Cazeneuve – le ministre de l'intérieur, à l'origine de ce texte – ne daigne y répondre autrement que par un discours incantatoire et méprisant. La Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) a rendu public le 25 septembre son avis, argumenté et extrêmement sévère, sur le projet de loi. Elle y fustige – elle aussi – le principe de la procédure accélérée et détaille ses nombreuses critiques tant sur l'interdiction de sortie du territoire (art. 1) que sur l'infraction d'entreprise individuelle terroriste (art. 5), le blocage administratif de sites Internet (art. 9), ou l'inclusion de l'apologie et de la provocation au terrorisme dans le code pénal (art. 4). Elle condamne également le glissement vers l'extension des régimes procéduraux dérogatoires (art. 3, 6, 7, 12 et 13) et les dispositions sur les interceptions de sécurité (art. 15 et 15bis). L'analyse de la CNCDH rejoint en de très nombreux points celles que La Quadrature du Net et les autres parties s'étant exprimées sur le projet de loi ont pu formuler depuis le mois de juillet. De même la Commission Numérique de l'Assemblée nationale a rendu ses avis sur le projet de loi, allant dans le même sens.

L'unanimité des critiques contre le projet de loi doit faire prendre conscience aux sénateurs de l'importance du rôle qu'ils devront jouer pour rattraper les erreurs commises jusqu'ici et corriger les dangereuses dispositions de ce projet de loi. L'horreur des actes qui sont commis quotidiennement au Moyen-Orient et la crainte légitime d'un débordement sur notre territoire ne doivent pas laisser le législateur accepter de brader nos libertés au nom du seul impératif de sécurité. Le Sénat, dans son rôle d'équilibre législatif, doit saisir cette opportunité malgré le calendrier rapide.

Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur du Projet de loi « Terrorisme »
Jean-Jacques Hyest (UMP),
co-rapporteur du projet de loi
au Sénat


Ce rôle du Sénat est d'autant plus important que le gouvernement veut aller au plus vite, y compris en passant outre la représentation nationale. La fuite des décrets d'application de la LOPPSI 2 montre que ceux-ci ont déjà intégré les mesures prévues par le projet de loi « Terrorisme », alors qu'il n'est pas encore voté. De même, les informations qui commencent à être publiées concernant le futur projet de loi sur les services de renseignement montrent que tout sera fait pour que le Parlement ne soit qu'une chambre d'enregistrement du gouvernement, méthode inacceptable dans un État de droit.

« Les sénateurs ont l'opportunité de rattraper ce qui peut encore l'être dans ce projet de loi, et de prendre en compte l'ensemble des critiques formulées ces trois derniers mois en déposant et soutenant des amendements inspirés des propositions que La Quadrature du Net publie. Il est indispensable que le Sénat joue son rôle de sagesse et d'équilibre, pour le bien de notre démocratie et le respect des droits fondamentaux et des libertés publiques qui sont chers à tout démocrate », déclare Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.

Lire les amendements soutenus par La Quadrature du Net

Le droit au remix doit être un corollaire du droit au partage de la Culture !

mercredi 8 octobre 2014 à 16:19

Paris, 8 octobre 2014 — La juriste Valérie Laure Benabou a remis cette semaine au CSPLA un rapport consacré aux « oeuvres transformatives », dans le cadre d'une mission faisant suite aux recommandations de la mission Lescure visant à sécuriser les pratiques de remix et de mashup. La Quadrature du Net – qui avait participé aux auditions ayant précédé ce rapport – déplore que les recommandations finales n'aillent pas dans le sens de la consécration d'un droit au remix, qui constitue le corollaire du droit au partage de la Culture que défend l'association dans son programme de réforme positive du droit d'auteur.

Le rapport de Valérie Laure Benabou contient quelques préconisations intéressantes, concernant notamment la reconnaissance positive du domaine public, les licences libres, les formats ouverts ou l'extension de l'exception de citation à tous les types d'œuvres. La préconisation n°13 mérite également d'être saluée : « S'agissant des échanges décentralisés entre individus, reprendre la réflexion initiée dans les années 2000 afin de mesurer si les arguments avancés à l'encontre des solutions proposées alors (licence globale) demeurent d'actualité à l'égard des propositions actuelles (partage non marchand) et des changements éventuels de pratiques ».

Néanmoins, concernant le cœur du sujet, à savoir les pratiques transformatives de remix et de mashup, le rapport écarte les différentes solutions qui permettraient de leur donner un cadre juridique sécurisé par le biais d'une exception au droit d'auteur. À la place, la seule piste opératoire avancée consiste en un mécanisme de mandat, visant à donner un rôle central aux grandes plateformes, comme Youtube ou Dailymotion, qui joueraient un rôle d'intermédiaire pour aller négocier un « droit au remix » au nom des internautes auprès des sociétés de gestion collective. Une telle approche présenterait l'inconvénient majeur de réserver la liberté de remixer à ces seuls espaces centralisés, à cause du poids de ces acteurs dans l'écosystème d'Internet.

À l'inverse, La Quadrature du Net publie ci-dessous la position défendue par son co-fondateur Philippe Aigrain lors des auditions de la mission. Elle consiste à lier le droit au remix au droit au partage des œuvres en ligne entre individus sur Internet et de reconnaître un statut d'auteur à part entière aux créateurs d'œuvres transformatives, comprenant la possibilité d'en faire un usage commercial, comme c'est le cas actuellement pour les caricatures, pastiches et parodies.

Résumé des positions pour la mission Créations transformatives de Valerie-Laure Benabou

Philosophie générale :

Une prise en compte de l'importance des pratiques transformatives doit viser à mon sens :

Un élément de contexte doit être souligné : la pratique des créations transformatives n'est possible que lorsque l'on dispose d'un fichier numérique librement utilisable pour celles-ci. La situation où les créations transformatives ne sont rendues possibles qu'à travers un outil disponible sur une plateforme de service aboutit à confier à celle-ci la définition des outils et par là des types de créations, restreint l'autonomie et le développement culturel des praticiens.

Enfin, il faut souligner que toutes les créations sont d'une certaine façon transformatives d'œuvres préexistantes.
Sur la base de ces objectifs et analyses, je considère qu'une politique des créations transformatives doit reposer sur une double approche : une libération complète de celles-ci vis à vis des droits exclusifs patrimoniaux pour les pratiques non marchandes décentralisées ; des droits d'exploitation pour les auteurs et les distributeurs de créations transformatives, dont la nature soit telle que ces droits puissent être mis en œuvre de façon simple et efficace, y compris à l'égard des plateformes de distribution.

Libérer les pratiques transformatives non marchandes des individus

La Quadrature du Net défend la reconnaissance d'un droit au partage non marchand entre individus des œuvres numériques qui inclut les pratiques transformatives. Ce droit est restreint dans notre proposition au partage décentralisé (sans centralisation des fichiers sur un site). Il est mis en place par la définition d'un nouveau type d'épuisement des droits sur les usages non marchands décentralisées des œuvres numériques Il permet donc aux individus des pratiques transformatives libres et la diffusion de leurs résultats. La fourniture de moyens aux individus pour l'exercice du droit au partage est dans notre proposition légale. Ce droit ne s'applique pas aux plateformes de services web type YouTube en raison de leur caractère centralisé.

Des exceptions étendues ou une exception pour les pratiques transformatives

Pour légaliser les pratiques transformatives au-delà du cas non-marchand décentralisé, la clarification et l'extension d'exceptions existantes sont utiles. Dans le contexte français ou européen, différentes approches ont été suggérées reposant sur l'élargissement de l'exception de citation (application à tous les médias, élargissement des limites quantitatives et qualitatives), clarification et élargissement des exceptions de parodie ou satire, etc. Ces démarches sont salutaires, mais risquent de laisser subsister une importante incertitude juridique. L'approche d'une exception spécifique pour l'ensemble des pratiques transformatives mérite d'être explorée, notamment au niveau européen puisqu'elle supposerait de créer une nouvelle exception à l'article 5 de la directive 2001/29/CE. Une forme de rémunération équitable pourrait être mise en place (de la part des plateformes commerciales centralisées et seulement ce celles-ci).

Je souligne néanmoins le fait que si seules ces approches étaient mises en œuvre, et que rien n'était fait pour les droits au partage non marchand décentralisé et pour encourager la disponibilité de fichiers numériques sans DRM, le bénéfice réel sera très réduit, et qu'il y aurait même un effet pervers d'encouragement aux plateformes de services centralisés par rapport aux usages autonomes.

La situation des plateformes de service

Celle-ci doit à mon sens est envisagée de façon distincte lorsqu'il s'agit de simples pratiques transformatives et lorsqu'il s'agit de créations transformatives (dont les œuvres résultantes sont porteuses d'un droit d'auteur pour leur auteur).
Lorsqu'il s'agit de simples pratiques transformatives non créatrices d'oeuvres originales, celles-ci sont couvertes par les exceptions de la section précédente.

Dans le deuxième cas, il est essentiel de considérer l'œuvre résultante comme autonome et ce sont les droits de l'auteur transformatif qui doivent être renforcés : s'il existe une exploitation de l'œuvre transformative par une plateforme de distribution (y compris exploitation par monétisation de l'audience), elle doit donner lieu à rémunération de l'auteur. On pourra envisager le fait que celle-ci prenne la forme d'une rémunération équitable, en considérant cependant avec soin le fait que la négociation entre l'auteur usager de la plateforme et celle-ci se fait dans une situation d'information imparfaite et très inégale. À mon sens, si l'œuvre transformative satisfait les critères d'originalité du droit d'auteur, elle seule doit être rémunérée et non l'œuvre ou les œuvres originales utilisées.

Une déclaration unilatérale des droits de l'homme numérique qui confond dangereusement données personnelles et œuvres de l'esprit

mercredi 8 octobre 2014 à 12:01

Les associations April, Creative Commons France, Framasoft, La Quadrature du Net, Libertic, Open Knowledge Foundation France, République Citoyenne etSavoirs Com1 dénoncent la tribune du Forum d'Avignon « Pour une déclaration préliminaire des droits de l'homme numérique » qui confond dangereusement données personnelles et œuvres de l'esprit.

Paris, 8 octobre 2014 — En novembre 2013, le Forum d'Avignon avait publié un manifeste intitulé « Principes d’une déclaration universelle de l’internaute et du créateur à l’heure du numérique » dans lequel il tentait d'assimiler données personnelles et créations en créant le concept de données culturelles numériques : « Les données culturelles numériques de chaque individu lui appartiennent. Elles ont une valeur patrimoniale et morale qu’il est seul à même de négocier »

Lors de son forum du 19 septembre 2014, le Forum d'Avignon a réitéré en publiant la tribune « Pour une déclaration préliminaire des droits de l'homme numérique ». Dans le paragraphe 5 de ce texte, il tente une nouvelle fois d'associer données personnelles et créations : « Toute exploitation des données comme des créations de tout être humain suppose son consentement préalable, libre, éclairé, limité dans le temps et réversible ».

Nous précisons que le Forum d’Avignon est un think tank français qui a pour objectif d’approfondir les liens entre les mondes de la culture et de l’économie et nous dénonçons sa récupération du débat sur les données personnelles au profit de ce qu'il promeut : un renforcement du droit d'auteur.

Ainsi, l'article 5 de la Déclaration, en réclamant que « toute exploitation des données, comme des créations » fasse l'objet d'un consentement préalable de l'individu, passe sous silence la place fondamentale du domaine public ainsi que des exceptions et limitations au droit d'auteur, qui jouent un rôle essentiel dans l'équilibrage et la préservation du système.

De même, l'application du droit d'auteur aux données personnelles est une solution dangereuse qui fait reposer sur l'individu seul la responsabilité et le contrôle de l'usage des données qui permettent de l'identifier. Le Conseil d'État et le Conseil National du Numérique ont ainsi, à juste titre, mis en garde contre cette conception qui pourrait aboutir à un renforcement des discriminations et donc des inégalités en matière de protection de la vie privée. Nous ne sommes pas tous égaux face à l'exploitation de nos données et il est important que des règles communes existent.

Nous souhaitons donc rappeler qu'une donnée dite personnelle n'est pas une œuvre de l'esprit et ne devrait pas être considérée comme telle. De même, une œuvre de l'esprit n'est pas une donnée personnelle et ne devrait pas être considérée comme telle.

La protection des données personnelles est un enjeu fondamental à l'ère du numérique. Il s'équilibre avec la liberté d'expression et le droit à l'information.

Les débats associés sont complexes, et nous avons avant tout besoin de clarifications sur les termes et les notions convoquées pour permettre au plus grand nombre d'y prendre part. La déclaration unilatérale du Forum d'Avignon, grandiloquente et trompeuse, brouille au contraire les enjeux.

Signataires :

April : Pionnière du logiciel libre en France, l’April, constituée de 4884 adhérents (4431 individus, 453 entreprises, associations et organisations), est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du logiciel libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l’espace francophone. Contact : contact@april.org

Creative Commons France est une organisation à but non lucratif qui a pour dessein de faciliter la diffusion et le partage des oeuvres tout en accompagnant les nouvelles pratiques de création à l’ère numérique.

Framasoft : réseau d’education populaire au Libre en général et au logiciel libre en particulier. contact@framasoft.org

La Quadrature du Net est une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. À ce titre, la Quadrature du Net intervient notamment dans les débats concernant la liberté d’expression, le droit d’auteur, la régulation du secteur des télécommunications ou encore le respect de la vie privée. Contact : Philippe Aigrain, co-fondateur et conseiller stratégique pa@laquadrature.net +33 6 85 80 19 31

LiberTIC est une association nantaise de loi 1901, indépendante et non-partisane, qui a pour objectif de promouvoir l’e-démocratie et l’ouverture des données publiques. Contact : claire.libertic@gmail.com

Open Knowledge Foundation France (OKF France) est un groupe local de l’Open Knowlegde, un réseau international à but non lucratif fondé en 2004 qui promeut la culture libre sous toutes ses formes. L’OKF France participe activement à des initiatives de portée internationale telles que l’Open Data Index et développe des outils numériques tels que le Calculateur du Domaine Public. Contact : contact@okfn.fr

République Citoyenne est une association aidant les citoyens à se forger des opinions sur le Gouvernement ouvert et à les faire valoir. Contact : contact@republiquecitoyenne.fr

SavoirsCom1 est un collectif qui s’intéresse aux politiques des biens communs de la connaissance. SavoirsCom1 défend les positions exprimées dans son Manifeste. Contact : savoirscom1@gmail.com