PROJET AUTOBLOG


La Quadrature du Net

source: La Quadrature du Net

⇐ retour index

[NextINpact] Surveillance internationale : aucun décret non publié selon le ministère de la Défense

samedi 8 octobre 2016 à 11:53

Un dossier important sera audiencé le 6 octobre au Conseil d’État (10ème chambre, 9h30). Il concerne un possible décret non publié, datant d’avril 2008 et relatif à la surveillance internationale.

Dans l’avalanche de procédures initiées par les Exégètes (La Quadrature du net, la French Data Network et la Fédération des fournisseurs d'accès à Internet associatifs), celle visant un possible décret d’avril 2008 est pour le moins hors norme. [...]

Défendus par le cabinet Spinosi, les Exégètes dénoncent tout particulièrement l’absence d’encadrement légal de cette surveillance internationale avant l’entrée en vigueur d’une loi dédiée en décembre 2015. Pareille lacune avait en effet déjà conduit le Conseil constitutionnel à censurer des dispositions législatives trop généreuses avec l’exécutif, relatives là encore à ce type surveillance hors de nos frontières et inscrites dans la loi Renseignement. [...]

http://www.nextinpact.com/news/101632-surveillance-internationale-aucun-...

[Libération] Tony Ferri : « Nous sommes tous des placés sous surveillance électronique en puissance »

jeudi 6 octobre 2016 à 14:50

Pour le philosophe Tony Ferri, la surveillance électronique n’empêche pas le passage à l’acte. Et elle est aussi inefficace que la prison pour prévenir la récidive. Loin d’être une mesure laxiste, c’est une peine totale, psychique, et qui guette désormais chaque citoyen. Le bracelet, c’est l’institution pénitentiaire qui emménage au domicile du «surveillé», qui habite sa conscience, et finit par le déposséder de son intimité. [...]

Mais la surveillance électronique ne cesse de gagner du terrain… Depuis qu’elle a vu le jour en 1997, elle élargit son filet et ses motifs de capture, au point d’atteindre aujourd’hui environ 11 000 placés, pour 70 000 prisonniers. Elle fait partie de l’arsenal de l’état d’urgence, gagne aussi l’univers du soin (les maisons de retraite, les maternités), le domaine de la protection des enfants, la sphère administrative. Les motifs de condamnation ont été multipliés par trente depuis le code napoléonien de 1810. Et, aujourd’hui, les juges savent qu’une peine jusqu’à deux ans sera aménagée, donc ils ont tendance à avoir la main leste, condamnent davantage. La surpopulation carcérale est un symptôme de cet enfermement tous azimuts. Une «compulsion» de punir est à l’œuvre, une pulsion de mort assortie de justifications morales : par la répression, on essaye, souvent inconsciemment, d’expurger nos propres angoisses existentielles, d’étouffer les monstruosités au fond de soi, de conjurer nos peurs. Nul doute que nous sommes entrés dans le «monde liquide» théorisé par le sociologue Zygmunt Bauman, une société de l’hypersurveillance, caractérisée par le sécuritarisme, l’observation continue de la multitude par l’autorité de contrôle, l’hypersensibilité aux délits, l’appauvrissement des relations humaines et interpersonnelles. Dès lors, ma conviction est que, et je le regrette, la société préfère condamner un innocent plutôt qu’innocenter un coupable, elle préfère l’injustice au désordre. [...]

La surveillance est plus puissante que la prison : c’est le triomphe de la norme… Bien des porteurs du bracelet électronique sont déjà des gens socialement insérés ou normaux, ils disposent d’un logement, occupent un emploi, ont des enfants, etc. Ils ont tout avantage à jouer le jeu. La surveillance électronique consiste moins à normaliser l’individu anormal qu’à maintenir l’individu normal dans les limites de la norme… Le filet pénal a pour double objet de capturer et de contenir. C’est sans doute la nouveauté par rapport à la prison. [...]

http://www.liberation.fr/debats/2016/08/31/tony-ferri-nous-sommes-tous-d...

Neutralité du Net : l'ORECE dans la bonne direction, ne relâchons pas la pression

vendredi 30 septembre 2016 à 12:37

Paris, 30 septembre 2016 — La neutralité du Net est un des enjeux centraux de l'exercice des droits fondamentaux dans l'espace numérique. Trop souvent vue comme une simple question technique ou commerciale, elle porte cependant sur les moyens d'exercice concret du droit à la liberté d'expression, du droit à l'information, donc de la façon dont la société se construit et se pense; mais également de gros enjeux industriels et commerciaux et d'accès au marché numérique. La Quadrature du Net a suivi cette question depuis son arrivée dans les débats européens en 2009, essayant de défendre une définition et une inscription dans la législation européenne d'une neutralité du Net stricte, protectrice des utilisateurs et porteuse de garanties et d'opportunités de développement d'un espace numérique sain. Alors que la publication des lignes directrices de l'ORECE1 pour l'application du Règlement sur les télécommunications adopté en octobre 2015 viennent d'être publiées, il est temps de revenir sur ces nombreuses années de campagne, et de présenter les prochains combats et enjeux, essentiels pour les droits fondamentaux.

La Quadrature du Net a défendu, dès 2009 et les premières annonces de travaux européens sur la neutralité du Net, une approche de la question résolument tournée vers les questions de droits fondamentaux : sécuriser la neutralité du Net, c'est défendre l'accès de tous à tout le réseau Internet, c'est permettre de recevoir et d'émettre de l'information avec les mêmes conditions pour tous, c'est donc garantir les conditions techniques d'un exercice libre et équitable de la liberté d'expression et d'information.

Cela n'allait pas de soi : dès que le sujet a commencé à être présent dans les discours des opérateurs Télécoms et des grandes entreprises numériques, tout a été fait pour que l'on envisage la neutralité du Net uniquement sous l'angle du financement du trafic Internet et non comme un enjeu majeur d'équilibre du réseau, qui détermine par conséquent la qualité d'accès et de circulation de l'information et des services pour l'ensemble des utilisateurs.

Raconter par le menu l'histoire de la bataille pour la neutralité du Net serait sans doute un peu fastidieux, même si particulièrement révélateur des processus décisionnels européens et nationaux, du poids du lobbying, de la force des industries, mais aussi des atouts et des victoires des militants et citoyens qui se sont engagés, sur le long terme, dans l'action en défense des principes fondateurs de l'Internet. Pour La Quadrature du Net, cela a signifié une montée en compétences très importante sur les plans technologiques, juridiques et institutionnels des différents salariés, stagiaires, membres du conseil d'orientation et bénévoles qui se sont impliqués au long de plus de 6 années dans cette bataille. C'est aussi l'expérience des institutions européennes, de la force de conviction d'une poignée de défenseurs déterminés des libertés, du pari de la participation citoyenne au processus législatif, de la création d'outils de campagne originaux et adaptés aux actions de La Quadrature, de la création et de la défense d'un discours clair et exigeant pour l'ensemble des internautes, et de la création de liens forts et de coalitions avec d'autres organisations européennes ou internationales sensibles aussi aux enjeux de la neutralité du Net pour les droits fondamentaux.

Au fur et à mesure des années, le dossier de la neutralité du Net a oscillé entre espoir et douche froide. En 2009, après les propositions d'amendement de l'opérateur américain AT&T visant à légaliser les pratiques de gestion de trafic discriminatoire, La Quadrature avait été la première association européenne a s'y opposer. En dépit d'un réel effort d'information des élus et des citoyens sur ce sujet complexe, nous n'étions alors pas parvenu à contraindre le Parlement et les États membres à inscrire dans le Paquet Télécom alors en cours de révision une disposition protégeant ce principe. Néanmoins, la Commission européenne s'était engagée à l'issue du processus législatif à étudier le sujet et à intervenir s'il en établissait le besoin (voir l'annexe 2 au communiqué de novembre 2009 saluant l'adoption du Paquet Télécom).

S'ensuivirent près de quatre années de louvoiements divers et variés. Alors qu'en France, l'Arcep et certains parlementaires montaient en compétence à force de colloques, d'auditions et de rapports consacrés au sujet, la Commission européenne — et en particulier Neelie Kroes, chargée de l'Agenda numérique — faisait le dos rond. En 2011, face au refus persistant des autorités européennes de prendre conscience de l'ampleur du problème, La Quadrature fut à initiative du projet RespectMyNet, une plateforme permettant aux internautes européens de documenter les atteintes à la neutralité du Net.

Malgré les rapports parlementaires appelant à l'adoption d'une législation en la matière, Neelie Kroes s'y refusait. Pire, entre 2011 et 2013, elle ne cessa de s'afficher toujours plus proche des positions défendues par les grands opérateurs télécoms européens, lesquels embrayaient un nouveau cycle de concentration dans le secteur. Dans ce contexte, Neelie Kroes prit la société civile de cours en annonçant, à l'été 2013, son projet de règlement sur les télécommunications, qui, bien que présenté comme un outil de défense de la neutralité du Net, reprenait en fait très clairement les propositions des géants des télécommunications. Depuis trois ans, un consortium de grands industriels de télécoms et d'université venait alors de « démontrer » - à grands renforts de financements provenant de l'Union européenne - que la seule voie possible pour l'avenir consistait en une priorisation du trafic sur Internet afin de financer la modernisation du réseau--, ignorant bien entendu les arguments des partisans de la neutralité du Net.

L'équilibre du projet de Neelie Kroes était le suivant :

Le Parlement européen s'est ensuite emparé du texte en débutant de façon désastreuse par le choix de Pilar del Castillo Vera (PPE, ES) comme rapporteur, qui s'est empressée de suivre la voie tracée par la Commission européenne et des télécoms.

Voici en novembre 2013 le tableau noir de la neutralité du Net qui a conduit quelques organisations citoyennes dont La Quadrature du Net à s'organiser autour de la campagne SaveTheInternet.eu. Et c'est à l'issue de quelques mois de négociations houleuses que le Parlement a voté in extremis le 3 avril 2014 un texte très favorable à la neutralité du Net, une grande victoire, mais précaire, pour la coalition SaveTheInternet.eu et la poignée de parlementaires qui ont dès le début cherché à défendre les droits et libertés.

Précaire, car le Conseil de l'Union européenne, en charge de transmettre ensuite sa position sur le texte, s'avère moins sensible aux voix citoyennes qu'au pouvoir des grosses entreprises de télécommunications avec lesquels les États membres entretiennent souvent des relations incestueuses. Et il a fallu maintenir pendant près d'un an et demi la pression sur le Parlement européen pour obtenir en octobre 2015 un vote sur un texte ambigu et qui laissait une grosse marge d'interprétation pour l'ORECE, en charge dans un délai de neuf mois de définir les lignes directrices d'application du règlement.

Après une consultation qui a recueilli près de 500 000 réponses provenant de particuliers, d'associations et de professionnels des télécoms, l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques a ainsi publié et présenté publiquement le 30 août dernier ses lignes directrices, précisant notamment les principes retenus pour coordonner la mise en application d'un Internet ouvert. L'ORECE a joué son rôle en restant ferme face aux industries des télécoms et en encadrant notamment certaines pratiques qui avaient été pointées du doigt par la coalition SaveTheInternet.eu, comme les services spécialisés et les mesures de gestion de trafic. En outre, si le « zero rating » n'est pas nommément interdit, l'interprétation des lignes directrices ne devraient pas permettre de mettre en pratique ce type d'offres.

Quelques limites importantes sont notamment à noter, concernant les offres commerciales des opérateurs, pourtant susceptibles pour certaines de limiter drastiquement la liberté d'accès à l'information et la liberté d'expression. Ces offres restent dans une zone de gris et seront à évaluer au cas par cas par les autorités de régulation nationales (ARN, l'ARCEP en France), le temps que les régulateurs européens se coordonnent et élaborent une forme de jurisprudence dans le temps, au fil de leurs contrôles.

D'autre part, dans notre réponse commune avec la Fédération FDN à la consultation [Lien], nous avons soulevé quelques points malheureusement non pris en compte par l'ORECE :

Cela étant, le résultat obtenu reste clairement favorable aux droits des utilisateurs d'Internet, et en tant que tel a été dénoncé dès sa publication par les industries des télécoms qui y voient des contraintes insupportables. En ce sens, l'adoption des lignes directrices sur la neutralité du Net par l'ORECE est une victoire pour les défenseurs de la neutralité du Net. Le principe du contrôle de l'utilisateur sur ses communications et le rôle d'intermédiaire technique de l'opérateur est, grosso modo, consacré en droit.

Après plus de sept années passées à tenter de faire inscrire la neutralité du Net dans la législation européenne, La Quadrature du Net ne peut que constater, soulagée, que les pires menaces ont été repoussées, et que les plus graves pratiques de blocage ou de ralentissements de certains flux, encore observées il y a quelques années, sont largement sur le déclin.

Pour autant, nous devrons rester extrêmement vigilants lors de la mise en application concrète du règlement et à l'activité future des régulateurs européens. La Commission européenne vient d'annoncer une codification du droit européen des télécoms qui pourrait s'accompagner d'une remise en cause des quelques avancées législatives obtenues ces dernières années. Les opérateurs télécoms, lancés dans des stratégie de convergence avec les grands groupes médias, sont des acteurs politiques extrêmement influents qui continueront à mener bataille pour renforcer leur contrôle des réseaux et de l'économie numérique. Plus que jamais, l'implication des citoyens européens dans le contrôle de l'effectivité des mesures adoptées doit se faire au quotidien, afin que les régulateurs sachent et sentent qu'ils ont derrière eux des utilisateurs attentifs et attachés au principe d'un Internet libre, ouvert et neutre. Des outils comme RespectMyNet.eu, qui servent à recenser les cas d'atteinte à la neutralité du Net, seront maintenus et développés dans la durée pour permettre aux citoyens de jouer leur rôle dans la protection de la neutralité du Net.

Respect My Net

Directive terrorisme : Le Parlement européen cède lâchement aux sirènes sécuritaires !

mercredi 28 septembre 2016 à 11:35

Paris, le 28 septembre 2016 — Le Parlement européen étudie depuis plusieurs mois une directive destinée à mettre à jour les textes européens sur la lutte contre le terrorisme. Après un vote en commission LIBE, la directive a été envoyée immédiatement en trilogue, réduisant ainsi, avec l'accord des députés, les capacités de débat démocratique sur un sujet pourtant sensible pour les droits fondamentaux.
Aujourd'hui, mercredi 28 septembre doit avoir lieu le troisième trilogue entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil de l'Union européenne. Face à l'impasse organisée par les institutions européennes, La Quadrature du Net revient sur les manquements et les dangers de ce texte.

Monika Hohlmeier
Monika Hohlmeier, rapporteure du texte.

Le texte initial, basé sur un rapport parlementaire de Rachida Dati (PPE - FR) catastrophique pour les libertés d'expression et d'information, et pour la vie privée (interdiction de Tor, de VPN, responsabilité accrues des hébergeurs et des plateformes), a été finalisé très, sans doute trop rapidement par la Commission européenne pour répondre aux pressions de la France, suite aux attentats de Paris en novembre 2015.

Nous espérions que le Parlement européen, et notamment la commission LIBE, connue pour ses positions les plus favorables aux libertés civiles, résisterait aux pressions de la rapporteure Monika Hohlmeier, qui n'a eu de cesse de renforcer dans le texte de la directive les mesures floues et dangereuses. Mais de résistance il n'y a pas eu, et les députés ont voté presque unanimement un texte rédigé trop rapidement, sans étude d'impact permettant d'en mesurer l'effet sur les libertés. Même les rapporteurs des groupes Verts, ALDE et S&D, parfois massivement soutenus par leurs groupes politiques respectifs, ont accepté ce texte sans véritablement pousser à l'amender. Non contents de leur démission législative, ils ont aussi voté un mandat à la rapporteur pour négocier directement le texte avec le Conseil de l'Union européenne et de la Commission, sans que l'ensemble du Parlement n'ait pu se prononcer dessus.

Si nombre des aberrations présentes dans le rapport Dati ont été retirées car impossibles à mettre en œuvre, la directive terrorisme reste un texte disproportionné, voté dans la précipitation et sans réelle prise en considération de son impact à moyen et long terme sur les droits fondamentaux, et sans efficacité concrète pour la lutte antiterroriste, au moins pour les mesures concernant Internet.

Nos visites aux Membres du Parlement européen, nos appels, nos emails, nos communiqués de presse n'ont reçu que la même réponse laconique, la même que celle donnée par les députés et sénateurs français lors de l'adoption de la loi Renseignement ; une réponse qui n'attend que des mesures de façade face à un problème complexe qui demande une réelle réflexion. Même Eva Joly (Verts - FR) ou Caterina Chinnici (S&D - IT) issues de groupes politiques généralement plus critiques face aux décisions hâtives et dangereuses ont cédé à la pression du PPE et de la France et tentent naïvement de « sauver les meubles ». Et lorsque des dissensions existent au sein d'un groupe, comme au sein du groupe libéral ALDE où des députés sont fermement opposés à la censure et à la surveillance, le rapporteur fictif, Petr Jezek (ALDE - CZ) n'en tient pas compte et adoube ainsi les positions dangereuses de la rapporteure principale.

Rapporteurs de la Directive Terrorisme
Eva Joly (Verts - FR), Caterina Chinnici (S&D - IT) et Petr Jezek (ALDE - CZ)

Comme la France avant lui, le Parlement européen préfère jouer la politique de l'autruche et céder à des basses stratégies électoralistes. Pourtant fiers de leur indépendance, les eurodéputés s'inclinent face aux sirènes sécuritaires des États membres pourtant peu enclins à la protection des droits fondamentaux.

La Quadrature du Net regrette profondément ce virage sécuritaire du Parlement européen, qui incapable de faire face à son manque de légitimité au sein de la population, se voit forcé de marcher sur les plate-bandes de gouvernements nationaux en adoptant des mesures de façade.

Face à la surdité manifeste des députés européens ainsi que des représentations nationales, La Quadrature du Net a décidé de ne plus gaspiller ses forces et de concentrer son énergie sur d'autres terrains et sur d'autres sujets tout aussi brûlants comme le chiffrement, la directive ePrivacy, le paquet télécom, la réforme du droit d'auteur.

La Quadrature du Net appelle les députés de la commission LIBE du Parlement européen ainsi que tous les députés lors de la plénière à refuser ce texte dangereux !

Nous l'avons écrit lors de l'adoption de la loi Renseignement et nous le répétons : nous continuerons le combat contre cette loi intrusive et toutes celles qui suivront partout où nous le pourrons, en particulier devant les institutions et juridictions européennes. Puisque nous en sommes en est arrivés là, nous aiderons les citoyens à se protéger contre la surveillance quelle qu'elle soit.

Directive ePrivacy: La Commission doit s'engager sur la confidentialité des communications

mercredi 21 septembre 2016 à 15:39

Paris, le 21 septembre 2016 — La Commission européenne doit proposer cet automne un texte remplaçant l'ancienne directive de 2002 sur la vie privée dans l'environnement numérique, appelée « directive e-Privacy ». Ce projet de directive fait suite à la consultation publique lancée par la Commission en avril 2016, à laquelle La Quadrature a pris part. Alors que depuis des mois, l'industrie des télécoms, les GAFA et les États membres mènent d'intenses campagnes de lobbying contre ce texte fondamental, la Commission doit résister à ces pressions et prendre pleinement en compte les propositions d'associations citoyennes afin de produire une législation respectueuse des droits fondamentaux, et notamment du droit au chiffrement.

Monsieur le Commissaire Oettinger,
Monsieur le Vice-Président Ansip,
Mesdames et Messieurs de la Direction Générale CONNECT,

La publication par la Commission des premiers résultats de la consultation sur la révision de la directive e-Privacy a confirmé une fracture déjà bien consommée entre société civile et industrie. Sur les questions de l'élargissement du champ d'application de la directive aux fournisseurs de services en ligne (services dits "over the top", ou OTT)1 , des cookies, ainsi que du type de consentement requis lors d'un traitement de données personnelles, le constat est univoque : les réponses des individus, des associations et des autorités de protection des données s'opposent radicalement aux réponses des entreprises.

Il est frappant de constater que même sur la question de l'intégration des OTT dans le champ de la directive, l'opposition entre ces services par contournement (OTT) et les opérateurs est complètement factice. Les coalitions créées par les opérateurs et les OTT montrent que les opérateurs traditionnels des telecoms ont bien compris qu'il était inutile de s'opposer au développement des applications et plus généralement à des géants comme Google, Facebook et Microsoft. Pour les opérateurs, il semble préférable de conquérir de nouveaux marchés et commencer eux-même à fournir des services par contournement. Ainsi, bien qu'opposés en apparence (ou dans leurs réponses officielles à la consultation), ces acteurs défendent main dans la main la pure et simple suppression de la directive en l'accusant de tuer l'innovation, la compétitivité et les ambitions de l'UE en matière d'économie numérique.

Ces campagnes ne sont que la face visible de l'iceberg que représente le lobbying déployé contre ce texte crucial pour le droit à la vie privée des citoyens européens. Lorqu'on regarde en détails les rendez-vous effectués par vos services, Messieurs Oettinger et Ansip, il apparait que les 10 organismes les plus régulièrement rencontrés sont tous des grandes entreprises: Google, Deutsche Telekom, Microsoft, Telefonica ainsi que les lobbies DIGITALEUROPE et BUSINESSEUROPE arrivent en tête du classement.

Par ailleurs la pression des États est elle aussi très forte et ce notamment concernant le droit des particuliers à sécuriser leurs communications. En témoignent les déclarations répétées des responsables politiques français ainsi que la déclaration conjointe de Thomas de Maizière et Bernard Cazeneuve sur la « cybersécurité », le 23 août 2016. Très clairement, la révision de la directive ePrivacy constitue pour eux une occasion unique de remettre en cause le droit au chiffrement sous couvert de lutte antiterroriste.

Face à ces multiples pressions, la Commission doit tenir le cap en défendant un nouvel acte législatif ambitieux. Ce texte doit à la fois protéger notre droit au chiffrement, en l'inscrivant explicitement dans les articles concernant la confidentialité des communications mais également faire peser de façon égale les obligations sur toutes les entreprises et ce, tout en limitant les dérogations laissées aux États membres. C'est un équilibre subtile qui doit être préservé afin que la directive ePrivacy continue d'agir comme un rempart pour les droits fondamentaux dans l'environnement numérique, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de justice.

    La Quadrature du Net apelle donc la Commission à :
  • rester impartiale dans l'élaboration de sa proposition en diversifiant ses sources d'expertise;
  • défendre le droit des Européens à la confidentialité des communications à travers la reconnaissance du droit au chiffrement de bout en bout, en inscrivant dans la directive l'obligation pour les États membres de protéger ce droit et la distribution des outils qui le permettent ;
  • rendre les dispositions sur les cookies cohérentes avec le Règlement général en affirmant l'impossibilié d'obliger un utilisateur à « payer » avec ses données personnelles pour accéder à un service ;
  • ne pas oublier que plus de 90% des individus, des associations citoyennes et des autorités de protection des données personnelles ayant répondu à la consultation sont en faveur d'un régime basé sur le consentement préalable pour les appels à des fins de prospection directe. Ces réponses reflètent, chez les utilisateurs, une tendance générale à la réappropriation de leurs données personnelles. L'intérêt général est l'unique direction à prendre pour la Commission.

La Quadrature du Net

  • 1. Les OTT (over-the-top content) sont des fournisseurs de services audio, vidéo, de messagerie qui, à la différence des opérateurs télécoms, n'ont pas la maîtrise des réseaux auquels sont connectés leurs utilisateurs, comme par exemple Whatsapp, Skype ou Viber.