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Loi Renseignement 2 : refuser l’emballement sécuritaire

mardi 15 juin 2021 à 14:59

Lettre commune de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN) et de Wikimedia France, Paris, le 15 juin 2021

Après son adoption le 2 juin dernier par l’Assemblée nationale, le Sénat doit maintenant se prononcer sur le projet de loi « relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ». Au regard des graves dangers que porte ce texte, les organisations membres de l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN) et Wikimedia France [1] appellent à refuser l’emballement sécuritaire imposé par le gouvernement et à rejeter ce projet de loi.

Tel qu’adopté par l’Assemblée nationale, le projet de loi « relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » vise à pérenniser plusieurs des mesures d’urgence décidées dans la loi du 24 juillet 2015 ainsi qu’à donner aux services de renseignement de nouveaux pouvoirs profondément attentatoires à nos libertés.

Inscrit en urgence dans le calendrier parlementaire à la suite d’autres lois liberticides, comme la loi « Sécurité Globale » ou la loi dite « séparatisme », ce texte est une nouvelle étape dans l’emballement sécuritaire qu’impose le gouvernement depuis plusieurs mois.

Concernant les dispositions « renforçant la prévention d’actes de terrorisme », les organisations membres de l’OLN rejoignent les critiques émises par la note d’analyse des membres du réseau « anti-terrorisme, droits et libertés » [2].

Concernant les dispositions « relatives au renseignement », plusieurs d’entre elles sont nouvelles et viennent considérablement renforcer les pouvoirs de surveillance des services de renseignement, parmi lesquelles : la facilitation des échanges d’informations entre les services de renseignements entre eux et avec d’autres services de l’État (article 7), la conservation pendant 5 ans, à des fins de recherche et développement, des informations obtenues dans le cadre d’opérations de renseignement (article 8), la possibilité de forcer les opérateurs et fournisseurs de communications électroniques à coopérer avec les services de renseignement sur des techniques d’intrusion informatique (article 10), la surveillance des communications satellitaires (article 11).

Concernant les algorithmes de surveillance dits « boîtes noires » (articles 12 à 14), le texte veut pérenniser et étendre ces dispositifs de surveillance de masse, pourtant votés de manière expérimentales en 2015 et dont il n’existe à ce jour aucun rapport public explicitant l’intérêt ou l’efficacité réelle pour les services de renseignement.

Concernant la conservation des données de connexion (article 15), le projet de loi vient modifier à la marge le système existant qui oblige les opérateurs à conserver pendant un an l’ensemble des données de connexions de la population. Ce système a pourtant été jugé en grande partie inconventionnel par la Cour de Justice de l’Union européenne en octobre dernier.

L’ensemble des dispositions de ce projet de loi n’a donné lieu qu’à un débat public limité et à une relativement faible attention des acteurs médiatiques, bien loin des craintes énoncées lors de la loi de 2015 et qui concernait pourtant plusieurs dispositifs similaires. Il représente pourtant une nouvelle étape dangereuse dans les atteintes régulières et toujours plus importantes portées par ce gouvernement à nos libertés.

C’est une nouvelle mise en œuvre de ce terrible « effet-cliquet » sécuritaire : il n’y a jamais de retour en arrière sur les expérimentations et mesures liberticides mises en place, aucun retour plus favorable aux libertés, et ce quand bien même des demandes légitimes et mesurées seraient avancées (augmentation des pouvoirs de la CNCTR, contrôle des échanges avec des services étrangers, réels pouvoirs de contrôle parlementaire, réelle possibilité de contestation individuelle…).

Malgré la complexité du sujet, le Sénat est appelé à se prononcer en moins d’un mois sur ce texte. Les organisations membres de l’OLN ainsi que Wikimedia France appellent les sénatrices et sénateurs à refuser cette urgence et à rejeter ce texte.


[1] Signataires :

Organisations signataires membres de l’OLN (Le CECIL, Creis-Terminal, La Ligue des Droits de l’Homme (LDH), La Quadrature du Net (LQDN), Le Syndicat des Avocats de France (SAF), Le Syndicat de la Magistrature (SM)) et Wikimedia France

[2] Un courrier pour demander aux parlementaires de ne pas adopter la loi « anti-terrorisme et renseignement », associations, avocat·es, syndicats et universitaires, 9 juin 2021, https://www.voxpublic.org/Un-courrier-pour-demander-aux-parlementaires-de-ne-pas-adopter-la-loi-anti.html

Le mythe participatif de la Smart city et de sa surveillance

vendredi 11 juin 2021 à 14:57

La smart city en fait rêver certains. Les ingénieurs qui la convoitent parlent dorénavant d’une « citoyenneté augmentée ». Ce nouveau concept de la ville connectée et sûre aspire à ce que « les civic tech transforment le consommateur capté en citoyen capteur ». Cette citoyenneté augmentée permettrait une plus grande démocratie et ce, grâce aux nouvelles technologies et à leur injection dans l’aménagement urbain.

A travers cette obsession des industriels et des collectivités territoriales, c’est l’informatisation de la ville toute entière qui est brandie – sa connectivité, la multiplication des capteurs, l’analyse massive des données – et qui permettrait une émancipation de la population. En réalité, il n’en est rien : les technologies sont imposées à la population et celle-ci ne peut s’y opposer qu’à la marge.

L’un des arguments avancés pour justifier le déploiement de smart cities est l’opportunité d’une plus grande implication des citoyens et citoyennes, par le biais de ces nouvelles technologies. Ce serait notamment à travers les smartphones et autres capteurs que les habitants et habitantes auraient la possibilité de dialoguer numériquement avec la municipalité. C’est un des objectifs affichés de la métropole dijonnaise, qui permettrait : « une généralisation du processus de démocratie participative pour mieux impliquer les habitants dans la vie de la métropole ». Par exemple, à travers une application qui autoriserait les habitantes à être « actrices » de la ville en géolocalisant un dépôt d’ordure sauvage. Ces éléments de langage font partie de l’impératif délibératif, c’est-à-dire la tendance observée dans les pratiques politiques de prise de décision qui consiste à ancrer sa légitimité dans la délibération et dans la référence à une réflexion commune. Or, cette tendance à justifier la pertinence d’un projet politique à travers la « participation de la population » vise à légitimer ces projets sans jamais poser la question de leur pertinence.

La population, exclue du processus de décision

De fait, on ne demande pas l’avis des populations pour imposer ce genre de gadget technologique, de même qu’on impose l’informatisation des villes. Cette mise en numérique des villes se caractérise par une multiplication des capteurs – caméras de vidéosurveillance, indicateurs de la pollution de l’air, capteurs sur les poubelles, smartphones, lampadaires connectés etc -, par une collecte massive des données et par une automatisation de leur traitement. Pourtant il s’agit d’un choix politique, or les habitants et habitantes des villes n’ont pas leur mot à dire sur le déploiement de ce nouveau visage de l’ethos néolibéral.

Une participation contrainte

Si la population n’est pas conviée au processus de décision sur le principe d’un déploiement de dispositifs de surveillance en amont, elle est sommée de participer à l’élaboration et la mise au point de ces dispositifs. Elle est également attendue de manière active dans la production de la sécurité urbaine numérique :

L’expérimentation : la population comme laboratoire

Lors de la mise en place de dispositifs de surveillance, la population est régulièrement envisagée comme une matière première, afin de tester les technologies et les nouveaux algorithmes. Et cela pour deux raisons apparentes :

Ces deux aspects de l’expérimentation peuvent parfois se recouper ou bien former deux tendances distinctes avec des caractéristiques propres. Un des usages possibles permis par l’expérimentation est de tester l’acceptabilité d’une technologie tout en en faisant la promotion et de profiter des retombées qu’elle peut conférer. Par exemple, à Nice, l’expérimentation de février 2019 consistait, durant les trois jours du carnaval de la ville, à utiliser la reconnaissance faciale pour identifier des personnes dans la foule. L’expérimentation avait été jugée conforme par la CNIL car le groupe de personnes sur lequel s’effectuait le traitement biométrique avait donné un consentement considéré comme « libre » et « éclairé ». Il s’agissait de faire la démonstration du fonctionnement de la reconnaissance faciale et de son utilisation en milieu urbain. Ici, en plus de l’effet de communication apportée par cette expérimentation, elle permet d’établir un précédent : la reconnaissance faciale a été utilisée, a produit des données et n’a pas été massivement rejetée par la population.

À l’inverse, d’autres expérimentations visent à améliorer des algorithmes et dispositifs sécuritaires et ne cherchent pas à être connu. C’est le cas du Lab’IA créé à la station de métro Châtelet-les-halles à Paris par la RATP, un laboratoire d’intelligence artificielle où sont testées de nombreuses technologies dans la station de métro la plus fréquentée de France avec 750 000 visiteurs par jour. Le rapport de l’Institut Paris Région nous apprend que depuis 2017, la régie des transports a conclu des partenariats avec plusieurs entreprises (dont Thalès, Axone System et plus récemment, la société Datakalab sur la détection de port de masque) pour tester des algorithmes de maraudage, de détection de comportements suspects, d’abandon de colis. Mais du fait de l’ancienneté du parc de vidéosurveillance de la RATP (qui n’est pas doté de caméras HD), les algorithmes donnaient trop de faux-positifs. Par exemple, en attendant leur train, les voyageurs créaient de trop nombreuses alertes, car ils étaient détectés par l’algorithme de « maraudage », qui s’enclenche au bout de 300 secondes d’immobilité. Ce Lab’IA de la RAPT à Châtelet est un bon exemple d’expérimentations où la population est vue comme un laboratoire pour tenter de « valoriser » son réseau de caméras et permettre à des entreprises d’améliorer leurs algorithmes sur des voyageurs. Ce type d’expérimentation ne gagne pas forcément à être publicisé.

Ainsi les expérimentations peuvent avoir plusieurs usages, que ce soit pour tenter de créer l’acceptabilité de ces dispositifs, pour améliorer les technologies ou encore parer à leur illégalité. Lorsque la population participe, c’est la plupart du temps malgré elle. Mais dans certain cas, sa participation est attendue :

La population, une coproductrice attendue de la surveillance urbaine numérique

Dans certains cas particuliers, la participation de la population est attendue et même souhaitée par les acteurs développant les smart cities. Ainsi à Nice, au début de l’année 2018, la municipalité voulait mettre en place une application dite citoyenne « Reporty » qui permettait de faire des appels vidéos avec la police tout en se géolocalisant et se filmant en temps réel pour dénoncer des « incivilités ». Une camionnette qui décharge de l’électroménager sur la voie publique, un maraudeur qui lorgne sur une voiture ou encore un cycliste renversé furent cités comme exemples par le maire de Nice, Christian Estrosi lors de la mise en place expérimentale de cette application (auprès de 2000 utilisateurs). Il affirme également : « Chacun d’entre nous doit devenir un citoyen engagé acteur de sa propre sécurité, et donc de la sécurité collective ». Finalement, Reporty fut épinglée par la CNIL, le dispositif étant disproportionné entre l’atteinte à la vie privée (collecte et enregistrement immédiat de données biométriques (voix, visage)) et l’objectif escompté.
C’est ce que Vannessa Codaccioni nomme « société de vigilance » pour parler de la tendance à l’autosurveillance et à la délation qui s’institutionnalise.

Ainsi, les autorités s’attendent à ce que la population participe et contribue activement à la construction de la sécurité urbaine numérique. Guillaume Faburel : la population entière peut être envisagée comme capteurs, grâce aux technologies embarquées (smartphone). La population peut être actrice de sa propre surveillance « Depuis son smartphone, le citoyen pourra, dans un second temps, signaler un problème sur la voie publique (éclairage en panne, mur tagué, sac poubelle sur le trottoir,…), gérer ses demandes administratives ou encore optimiser ses déplacements dans la métropole. » toujours selon la métropole dijonnaise.

Ici la population d’une ville est l’objet des mesures de surveillance urbaine et en même temps considérée comme coproductrice de cette sécurité : le citoyen est envisagé comme partenaire et acteur de cette surveillance.

Conclusion

La smart city et l’informatisation qu’elle amène cache son déploiement dans nos vies et villes à travers le mythe de la participation. Or, comme on l’a vu, celle-ci est circonscrite : les habitant.es ne peuvent participer au gouvernement de la ville qu’en faisant office de nouveaux capteurs d’information. En ce sens, la ville connectée et intelligente n’apporte pas l’idéal démocratique tant promis par les autorités. Les dispositifs technologiques déployés renforcent la surveillance de l’espace public car ils sont porteurs de normes et de vision du monde de leur promoteurs.

Passe sanitaire : attaquons l’obligation d’identification

mercredi 9 juin 2021 à 14:37

Le gouvernement vient de lancer son système de passe sanitaire. Nous allons déposer un référé (recours d’urgence) contre ce passe sanitaire devant le Conseil d’État car il divulgue de façon injustifiée des données sur l’état civil et des données de santé.

L’accès aux grands événements sera limité aux personnes présentant certaines garanties contre la pandémie, telles que le fait d’être vaccinées, d’avoir réalisé un test PCR ou de s’être récemment rétablies de la maladie. Ce n’est pas cette limitation que nous avons choisi d’attaquer. Le problème principal que nous attaquons est que, pour apporter la preuve d’une telle garantie, chaque personne devra fournir un passe sanitaire comportant son nom afin, comme l’a expliqué Cédric O, de prouver qu’elle en est bien la titulaire par la production d’une carte d’identité ou d’un passeport. Ainsi, l’accès aux grands événements sera en pratique limité aux personnes disposant d’une carte d’identité ou d’un passeport. C’est cette conséquence du passe sanitaire que nous sommes sur le point d’attaquer devant le Conseil d’État.

Si, en pratique, la possession d’une carte d’identité semble être une obligation pour beaucoup de personnes, elle ne l’est pas en droit : notre identité se prouve par tout moyen (pendant des siècles, par exemple, elle se prouvait simplement par témoignage oral, ce que l’administration admet d’ailleurs comme étant toujours valable). La possession d’une carte d’identité ne doit pas s’imposer davantage qu’elle ne l’est aujourd’hui, car ce type de fichage généralisé risque d’avoir de terrible conséquences avec le développement des nouvelles technologies et la légalisation de la surveillance de masse.

Reconnaissance faciale

Dès aujourd’hui, nombre d’entre nous refusons de renouveler notre carte d’identité depuis qu’un décret de 2015 prévoit que la photo de notre visage doit obligatoirement être numérisée et centralisée dans le méga-fichier TES en cas de renouvellement de papiers d’identité. Ce méga-fichier, que nous avons attaqué sans succès devant le Conseil d’État, sera la base idéale du système de reconnaissance faciale généralisée dont rêvent les différents partis de droite dure qui se partagent actuellement le pouvoir.

Traçage automatisé

De plus, la crise sanitaire ne doit pas être un prétexte pour rétablir l’obligation généralisée de détenir une carte d’identité, telle que l’avait imposée le gouvernement de Vichy afin de traquer et de tuer les séparatistes juifs et résistants.

Cette crainte est d’autant plus grave que le système de code en deux dimensions (parfois appelé « cachet électronique visible » ou « 2D-Doc ») intégré au passe sanitaire est celui destiné à intégrer les futures cartes d’identité biométriques. Ce système simple et pratique de code en 2D facilitera le traçage constant et à grande échelle de toute personne présentant sa carte d’identité. Si, à l’heure actuelle, le passe sanitaire permet déjà et très facilement la constitution de fichiers illicites de données personnelles, la situation pourrait très vite s’aggraver s’agissant des futures cartes d’identité. En facilitant le contrôle d’identité (il suffit de scanner un code 2D, n’importe qui peut le faire avec un smartphone) on peut s’attendre à des contrôles d’identité de plus en plus numérisés et nombreux, de la part de la police (en entrée de manifestation ou en cités) comme des services de sécurité privée (discothèques, festivals, transports, hôtels…).

Tel que cela a été le cas pour les téléphones (voir notre dossier), il faut redouter que la loi impose rapidement à ces systèmes de contrôle d’identité de conserver durablement les informations automatiquement collectées sur les cartes d’identité, afin de les mettre à disposition de la police et des services de renseignement pour leur permettre de suivre à la trace nombres de nos activités.

En résulte un triptyque idéal du traçage constant, automatisé et centralisé de l’ensemble de la population : géolocalisation du téléphone, reconnaissance faciale et contrôle d’identité automatisé.

Données de santé

Comme si ce futur n’était déjà pas assez insupportable, le passe sanitaire pose dès aujourd’hui un autre problème aussi absurde qu’injustifiable : la lecture du code en 2D permet à n’importe qui, toujours aussi facilement, d’accéder à des données de santé très sensibles mais parfaitement inutiles au fonctionnement du passe : date de prise du vaccin, nom du vaccin, contraction passée de la maladie… Difficile de comprendre pourquoi le gouvernement a permis un tel système, parfaitement contraire tant au décret qu’à la loi encadrant le passe sanitaire. C’est un autre argument que nous déploierons devant le Conseil d’État contre ce système.

Refuser la surveillance de masse

Nous devons repousser toute tentative de rendre obligatoires les cartes d’identité et de généraliser la reconnaissance faciale (qui sera une conséquence probable de l’obligation d’avoir une carte d’identité). Le passe sanitaire, dans son format actuel, renforce ces deux risques mortels pour nos libertés.

À la place de ce passe sanitaire, nous appelons à la seule alternative capable de repousser l’enfer sécuritaire souhaité par l’extrême droite : faisons-nous confiance les un·es les autres pour ne pas mettre en danger notre entourage, demandons-nous de ne pas aller en festival ou en concert sans vaccin ou test PCR à jour, et arrêtons de nous considérer comme des irresponsables. Depuis plus d’un an, aucun laboratoire ne demande une pièce d’identité pour réaliser un test PCR ; il est absurde d’en demander une aujourd’hui pour le passe sanitaire. La crise sanitaire ne pourra être traversée sans confiance réciproque, et la confiance ne saurait jamais naître de la contrainte.

Image d’illustration : Musées d’Arts et d’Histoire de La Rochelle

Lettre ouverte appelant à l’interdiction mondiale du recours à la reconnaissance faciale et biométrique permettant une surveillance de masse et une surveillance ciblée discriminatoire

mardi 8 juin 2021 à 16:07

La Quadrature du Net est signataire d’une lettre ouverte internationale, signée par plus de 170 associations dans le monde entier et rédigée par EDRi, Access Now, Amnesty International, Human Right Watch, Internet Freedom Foundation (IFF), et l’Instituto Brasileiro de Defesa do Consumidor (IDEC).

Nous, les soussigné·e·s, demandons l’interdiction totale du recours aux technologies de reconnaissance faciale et de reconnaissance biométrique à distance qui permettent une surveillance de masse et une surveillance ciblée discriminatoire. Ces outils ont la capacité d’identifier, de suivre, de distinguer et de repérer des personnes où qu’elles aillent, compromettant ainsi nos droits fondamentaux et nos libertés civiles – notamment les droits à la vie privée et à la protection des données, le droit à la liberté d’expression, le droit à la libre association (ce qui mène à la criminalisation des actions de protestation et a un effet dissuasif), et les droits à l’égalité et à la non-discrimination.

Ces technologies menacent délibérément les droits des citoyen·ne·s et ont déjà causé de graves préjudices. Aucune mesure de protection technique ou juridique ne pourrait totalement éradiquer le risque qu’elles représentent, et nous pensons donc qu’elles ne doivent jamais être utilisées en public ni dans des espaces accessibles au public, que ce soit par des gouvernements ou par le secteur privé.

Lire la lettre entière ici

Plus d’informations

Le Printemps Marseillais dans la Technopolice ? Au fond à droite

mardi 8 juin 2021 à 10:31

À Marseille, la nouvelle majorité municipale s’était engagée durant la campagne 2020 à mettre un coup d’arrêt aux projets technopoliciers de l’ancien maire Jean-Claude Gaudin. Hélas, un an plus tard, l’ensemble de ces engagements ont été trahis. La gauche au pouvoir serait-elle condamnée à reproduire les vieux réflexes sécuritaires qui, depuis quarante ans, gangrènent le débat public ?

La participation des représentants de la plupart des partis de gauche à la scandaleuse manifestation policière devant l’Assemblée nationale, le 19 mai dernier, est loin d’être un fait isolé ou une erreur de parcours. Bien au contraire, elle constitue la dernière illustration en date d’une stratégie quasi-constante depuis quarante ans, qui voit ces partis de gauche se livrer à une surenchère sécuritaire dans le but de séduire les électeurs des partis plus à droite. Or, ce faisant, ces partis entretiennent non seulement leurs propres défaites électorales, aggravant la désaffection des électeurs, mais ils actent aussi une véritable démission idéologique, puisqu’ils renoncent de ce fait à réfléchir à d’autres réponses que la répression et le musellement des libertés pour assurer la « paix sociale ». La droite et ses obsessions autoritaires gagnent ainsi par forfait.

Depuis le lancement de la campagne Technopolice en septembre 2019, et à notre modeste mesure, l’un de nos objectifs consiste à battre en brèche ces tendances délétères en contribuant à politiser les enjeux liés à la surveillance numérique dans nos villes. C’est dans cette optique que, lors des élections municipales de l’an dernier, nous avions cherché à interpeller les équipes en lice autour des projets de vidéosurveillance automatisée ou de police prédictive.

À Marseille par exemple, en lien avec d’autres associations et collectifs locaux, nous avons rédigé une lettre ouverte à l’adresse des candidats, et publiée le 5 mars 2020 dans le journal La Marseillaise. Cette lettre ouverte faisait quatre demandes :

Parmi les principaux partis en lice, le Printemps Marseillais fut le seul à nous contacter suite à cette lettre ouverte.

Des promesses électorales…

En campagne pour les élections municipales, cette liste de « gauche plurielle » incorporant des profils issus de la « société civile » nous disait être en accord avec ces demandes. Compte tenu de l’illégalité de l’expérimentation de la vidéosurveillance automatisée (voir notre recours déposé devant le Tribunal administratif de Marseille en octobre dernier) et des nombreux problèmes soulevés par l’Observatoire Big Data de la Tranquillité Publique, l’abandon de ces projets par la nouvelle majorité municipale nous semblait constituer une simple formalité.

Quant au moratoire sur l’installation de nouvelles caméras de surveillance, l’idée était explicitement reprise dans le programme du Printemps Marseillais. En page 15, celui-ci rappelait « que quatre études nationales successives [avaient] démontré leur inefficacité » et que ces équipements étaient « très coûteux (installation, fonctionnement, personnel mobilisé) ». S’il n’était plus question d’un audit citoyen permanent sur les politiques de sécurité et l’achat de technologies de surveillance, le programme évoquait néanmoins la mise en place d’« Assises annuelles des Sécurités pour Marseille » afin de « co-construire, suivre et évaluer la stratégie et les politiques publiques municipales de la sécurité, de la tranquillité publique et du vivre ensemble » (p. 14).

De manière plus générale, l’arrivée de nouvelles équipes municipales issues de la « gauche plurielle » à l’issue des élections municipales 2020 nous semblait de bon augure : face aux projets techno-sécuritaires le plus souvent portés par des élus locaux classés à droite, elle laissait espérer un changement de politique. Notre espoir était qu’à Marseille et ailleurs, ces nouvelles majorités puissent non seulement porter un coup d’arrêt à ces projets, mais aussi batailler dans le débat public pour battre en brèche les discours sécuritaires qui saturent le débat public et font aujourd’hui le lit de l’autoritarisme. Les manifestations du mois de juin 2020 contre le racisme policier, ou les mobilisations historiques contre la loi « sécurité globale » aux mois de novembre et décembre 2020, auraient pu aider à convaincre les politiciens et politiciennes les moins téméraires qu’il y avait là un espace politique à occuper et à faire vivre.

C’est en substance le discours que nous avons tenu à Yannick Ohanessian, le nouvel adjoint en charge de la sécurité à la mairie de Marseille, lors d’une rencontre organisée en octobre dernier. L’échange avec ce proche du nouveau maire PS de la ville, Benoît Payan, fut cordial. Mais alors que le rendez-vous était programmé depuis plus de deux mois, et que nous avions bien indiqué qu’il s’agissait pour nous de savoir ce que le Printemps Marseillais, désormais « aux manettes », comptait faire pour tenir ses promesses de campagne, l’élu était apparu bien peu au fait des dossiers. À la suite de cet échange, nous lui avions envoyé un certain nombre de documents et d’analyses pour lui permettre de s’informer davantage, et nous avions alors convenu de nous reparler début 2021.

Huit mois plus tard : plus de son, plus d’images. Pas même de réponses à nos multiples demandes de rendez-vous, malgré des relances multiples. Au lieu de cela, ces dernières semaines ont de nouveau illustré ce fait : une fois au pouvoir, les partis de gauche ont une fâcheuse tendance à s’asseoir sur leurs promesses anti-sécuritaires pour reprendre les politiques promues par leurs concurrents de droite. Jugez plutôt : un an à peine après l’arrivée au pouvoir du Printemps Marseillais à la mairie, l’ensemble des engagements de campagne liés à la Technopolice ont été rompus.

… honteusement trahies un an plus tard

S’agissant des caméras de vidéosurveillance, la nouvelle mairie continue à procéder à l’installation de nouvelles caméras de surveillance dont elle dénonçait pourtant le coût. En décembre dernier, la majorité municipale faisait voter un marché estimé entre 12 et 44 millions d’euros pour assurer la maintenance du parc existant de caméras de surveillance, mais aussi son « amélioration » et « l’installation ponctuelle et/ou temporaire de nouveaux points de captation avec ses capteurs vidéos ou spécifiques ». Le budget 2021 de la ville indique également, page 278, que plus de 3 millions d’euros de recettes ont été encaissées par la ville pour procéder à l’« extension de la vidéo-protection », grâce à des fonds transférés par le département des Bouches-du-Rhône et l’État. Quant au budget municipal, il versera au pot commun de la vidéosurveillance 800 000 euros en 2021, et alors que le maire Benoît Payan ne cesse d’insister sur l’état calamiteux des finances publiques de la ville.

Action menée le 1er avril 2021 au Vieux-Port par le groupe Technopolice Marseille
Action menée le 1er avril 2021 au Vieux-Port par le groupe Technopolice Marseille

Au lieu des « Assises annuelles des Sécurités pour Marseille » censées inclure les citoyens et citoyennes marseillaises, le Printemps Marseillais s’en tient à un audit de sécurité qui sera conduit par une entreprise privée de manière totalement opaque. Nous avons envoyé une demande d’accès aux documents administratifs pour en savoir plus sur ce marché, mais la mairie n’a même pas daigné nous répondre. Cela nous a conduit à saisir la CADA, la commission d’accès aux documents administratifs.

Sur la vidéosurveillance automatisée, les nouvelles ne sont pas non plus encourageantes. Après le dépôt de notre recours contre ce projet illégal en décembre dernier, l’équipe municipale avait annoncé à l’AFP la « suspension » du projet. Mais six mois plus tard, aucune nouvelle de cette suspension (nos demandes CADA sur ce point sont restées lettre morte). Pire, nous apprenions en février dernier que la ville avait passé un contrat avec un cabinet d’avocats parisien pour défendre la licéité de ce projet, prenant le risque d’obtenir une jurisprudence qui pourrait faire tâche d’huile et encourager le couplage de l’« intelligence artificielle » et des caméras de vidéosurveillance à travers l’ensemble du pays.

Enfin, s’agissant de l’Observatoire Big Data de la Tranquillité Publique, dont l’expérimentation était censée s’achever fin 2020 et dont la direction des affaires juridiques de la ville prétend aujourd’hui qu’il a été suspendu, c’est encore plus affligeant : alors qu’on lui faisait remarquer la subsistance de lignes budgétaires consacrées à ce prototype de police prédictive dans le budget 2021 (975 000 euros abondés par le département et l’Union européenne), le représentant du Parti Pirate au sein de la mairie de Marseille, Christophe Huguon, conseiller municipal à la transparence et à l’open data, se fendait d’une réaction sur Twitter :

« Nous avons pu, avec @yann_ohanessian, voir et tester le logiciel. Il ne s’agit absolument pas d’un outil de contrôle d’état policier fantasmé par l’ancienne majorité. Mais un outil de gestion (cartographique) de l’espace public (événements sportifs, culturels, marchés etc.). Cela dit une réflexion a déjà commencé pour avoir une vision et une utilisation plutôt orienté intérêt public que juste gestion d’espace public (un indice, il y a un peu d’open data dedans) » ».

Après avoir minimisé la dangerosité de cet outil — pourtant évidente à la lecture des documents associés au marché public –, il tentait de se dédouaner en précisant qu’il était « financé essentiellement par le département et l’Europe ». Comme si cela justifiait de dilapider l’argent public pour financer ce type d’outils. Quant à la référence à l’open data, Christophe Huguon semble y voir une monnaie d’échange : certes, semble-t-il vouloir nous dire tout en entretenant le suspense, « la mairie investit dans la police prédictive, mais nous publierons l’emplacement des caméras de surveillance en open data ». Maigre lot de consolation pour les collectifs locaux qui, ces derniers mois, ont passé de longues journées à cartographier eux-même l’emplacement de centaines de caméras sur le territoire marseillais, faute de transparence en la matière.

Mais le plus effarant, c’est sans doute de voir un élu du Parti Pirate délégué à la transparence administrative de sa ville tenter de « rassurer » la population en se félicitant d’avoir « vu et testé » ce logiciel propriétaire avec l’adjoint en charge de la sécurité dans le bureau de ce dernier. Il faudrait donc le croire sur parole ? Un peu d’open data ne suffira pas à remédier à l’opacité structurelle qui entoure les technologies de surveillance. Et nous ne pouvons que rappeler monsieur le conseiller municipal aux engagements du parti Pirate qu’il représente, lequel proclame non seulement que « l’accès à l’information, à l’éducation et au savoir doit être illimité », mais aussi que « nous, Pirates, soutenons la culture libre et le logiciel libre » tout en combattant « l’obsession croissante de surveillance car elle empêche le libre développement de l’individu ». Comme le dit le Parti pirate, « une société libre et démocratique est impossible sans un espace de liberté hors-surveillance » ; une telle société n’est évidemment pas soluble dans la police prédictive.

Mais ce n’est pas tout : outre les projets évoqués ici, le Printemps Marseillais encourage aussi la Technopolice sous couvert de « Smart City » : un « Smart Port™ » qui renforcera la surveillance aux abord du port autonome de Fos-Marseille et placera ses travailleurs et travailleuses sous la vigilance constante des machines ; une « Smart Métropole™ », avec des « Smart Réverbères™ » et la mesure « intelligente » du niveau de pollution atmosphérique, du niveau sonore, mais aussi des flux de piétons et de cyclistes… La surveillance constante des espaces publics urbains semblent avoir de beaux jours devant elle dans la cité phocéenne.

La stratégie perdante des partis de gauche

Nous ne sommes pas les seuls à nous heurter à l’incurie de la nouvelle majorité : le Collectif des écoles de Marseille, les associations d’aide aux migrants, des tiers-lieux culturels et bien d’autres encore trouvent également portes quasi-closes, ou bien se heurtent à une lenteur administrative effarante. Même les demandes CADA envoyées à la mairie sont aujourd’hui traitées dans des délais bien plus longs que sous l’ancienne majorité. Ce manque de considération pour les collectifs citoyens est d’autant moins excusable que l’équipe en lice s’était justement faite élire sur la promesse de refonder la démocratie à partir des dynamiques militantes locales. Là encore, difficile de ne pas y voir une forme d’instrumentalisation politicienne des mouvements sociaux.

Désormais au pouvoir, tout se passe en fait comme si le Printemps Marseillais se laissait sciemment prendre au piège tendu par ses opposants de la droite locale. Depuis plusieurs mois, Martine Vassal, présidente LR de la métropole Aix-Marseille et du département des Bouches-du-Rhône, successeure désignée de Jean-Claude Gaudin, attaque en effet la majorité municipale en dénonçant sa supposée insouciance en matière de sécurité. Début mars, le département lançait une grande campagne de communication — avec les élections régionales et départementales en ligne de mire — où il vantait son action en matière de sécurité, mettant notamment en exergue l’installation des caméras de vidéosurveillance.

La campagne de communication du département des Bouches-du-Rhône, présidé par Martine Vassal
La campagne de communication du département des Bouches-du-Rhône, présidé par Martine Vassal, et son détournement par des collectifs locaux de « Résistance à l’agression publicitaire » et de Technopolice Marseille.

Un mois plus tôt, en février, c’est Gérald Darmanin lui-même qui dénonçait le supposé moratoire de la ville de Marseille. Le ministre de l’Intérieur prétendait que « la mairie de Marseille refuse l’installation de caméras de vidéoprotection », s’empressant d’ajouter une de ces petites phrases toutes faites dont les politiciens ont le secret : « il faut arrêter d’être pyromane et pompier ».

Or, plutôt que de résister à ces attaques — en rappelant par exemple que la vidéosurveillance est une politique publique qui se chiffre en milliards d’euros, sur laquelle les citoyens et citoyennes n’ont jamais leur mot à dire, et dont l’efficacité n’a jamais été démontrée, ou qu’il serait urgent d’envisager des réponses aux problèmes d’insécurité qui ne soit pas fondées sur la répression policière ou la fuite en avant techno-sécuritaire –, la plupart des partis de gauche s’entêtent à reproduire la même stratégie perdante depuis plus de quarante ans, à savoir : s’enfoncer dans un « consensus sécuritaire » où la peur et le contrôle social tiennent lieu de politique. De ce point de vue, les élus et responsables politiques « de gauche » qui concourent à ces stratégies ont une immense responsabilité dans la fascisation croissante du climat politique français.