PROJET AUTOBLOG


La Quadrature du Net

source: La Quadrature du Net

⇐ retour index

Mise à jour

Mise à jour de la base de données, veuillez patienter...

Le Sénat doit s’opposer à la reconnaissance faciale des masques

lundi 15 mars 2021 à 14:48

Le 10 mars 2021, le ministre des transports M. Djebbari a autorisé par décret les gestionnaires de gares, de métro et de bus à déployer sur leurs caméras de surveillance des logiciels de détection de masque, prétextant un besoin statistique dans la lutte contre le Covid.

Ce décret est illégal : d’abord, seul le Parlement aurait le pouvoir d’autoriser un tel traitement, par exemple dans la loi Sécurité Globale actuellement débattue. Surtout, un débat démocratique aurait fait apparaître que cette surveillance, en plus d’être une atteinte supplémentaire à nos libertés, est inutile et donc injustifiable.

Le gouvernement a préféré contourner le Parlement et la loi en passant par décret, remettant entièrement en cause l’autorité du pouvoir législatif. Le Sénat doit contenir cette offensive anti-démocratique en adoptant l’amendement de la loi Sécurité globale qui propose un moratoire de 2 ans pour tout système d’analyse d’image automatisée.

Nous manifesterons pour cela devant le Sénat mardi 16 mars à 16h, square Poulenc à Paris, le jour où commenceront les débats en séance publique sur cette loi.

Un décret pour une start-up

Le 6 mai 2020, profitant de la panique sanitaire, la start-up française Datakalab avait tenté un coup d’éclat médiatique en offrant à la RATP, l’exploitant des transports parisiens, un logiciel de détection de masque déployé dans la station de métro Châtelet. Si l’opération avait réussi à faire parler de Datakalab, elle avait aussi attiré la CNIL qui fit savoir que ce dispositif était illégal pour défaut d’encadrement juridique. Dans ces conditions, avoir déployé ce logiciel constituait un délit puni de 5 ans de prison. Le logiciel a donc été remballé le 12 juin (le tout sans qu’aucune poursuite pénale ne soit engagée).

Ensuite, la RATP et Datakalab ont manifestement cherché du soutien auprès du gouvernement afin de bricoler ce « cadre juridique » qui leur permettrait de poursuivre leur expérimentation. C’est ainsi que M. Djebbari a adopté le décret du 10 mars 2021, tout en saluant publiquement Datakalab, pour qui ce décret était clairement pris. En retour, Datakalab remerciait le ministre dans une franchise symptomatique des sociétés autoritaires.

Difficile de savoir exactement pourquoi M. Djebbari souhaite autoriser l’activité illégale d’une start-up, mais on peut au moins constater une chose : cela renforce la stratégie globale du gouvernement visant à éroder la large opposition populaire contre la surveillance biométrique en rendant celle-ci de plus en plus présente dans nos vies.

Le contenu du décret

Dans les grandes lignes, le décret se contente de décrire l’expérience menée illégalement par Datakalab en mai 2020, puis de l’autoriser. Désormais, les gestionnaires de gares, de métro et de bus peuvent installer sur leurs caméras de surveillance un logiciel qui comptera deux choses : le nombre de personnes filmées et le nombre parmi celles-ci qui portent un masque. Un pourcentage est donné pour des tranches d’au moins 20 minutes et le décret prétend pour l’instant que le logiciel ne pourra servir qu’à faire des statistiques en ne visant ni à punir ni à identifier les personnes ne portant pas de masque.

En pratique, c’est le visage de l’ensemble des personnes filmées qui sera évalué par un logiciel d’analyse automatisée. De façon assez classique en matière de surveillance, le consentement ne sera pas demandé et les personnes ne pourront pas s’y opposer.

Difficile de savoir si la RATP souhaitera retenter son aventure avec une start-up délinquante. On peut le supposer. Mais Datakalab pourra aussi prospecter d’autres villes, notamment Cannes où elle avait commencé à déployer ses premières démonstrations de force dans la vidéosurveillance automatisée. Dans tous les cas, la start-up gagnera en réputation et améliorera son dispositif en l’entraînant sur nos corps mis gratuitement à sa disposition, et il faut redouter que d’autres start-up ne lui emboitent le pas.

L’illégalité du décret

Deux arguments juridiques suffisent à comprendre que ce décret est illégal.

Premièrement, la loi (l’article L251-2 du code de la sécurité intérieure) liste de façon limitée les objectifs que les caméras de surveillance peuvent poursuivre (lutte contre les vols, les incendies, les agressions, etc). La loi ne liste pas l’objectif statistique poursuivi par le décret, qui est donc contraire au droit. Pour être légal, le décret aurait du être précédé par une modification de la loi pour y ajouter cette finalité statistique.

Ensuite, l’article 4 de la loi de 1978 et l’article 5 du RGPD, ainsi que la Constitution, exigent que toute mesure de surveillance soit « nécessaire » à la finalité qu’elle poursuit. Elle ne peut être autorisée que si l’objectif poursuivi ne peut pas être atteint par une mesure moins dangereuse pour les libertés. Dans notre cas, il n’est absolument pas nécessaire d’analyser constamment le visage de l’ensemble de la population afin de faire des statistiques. Un comptage réalisé par des humains et sur la base d’échantillons est un procédé aussi facile que fiable.

Surtout, à écouter M. Djebbari lui-même, un tel comptage, qu’il soit réalisé par des machines ou des humains, est largement inutile pour lutter contre le Covid puisque selon lui : « les transports en commun ne sont pas un lieu de contamination particulier », notamment car « le port du masque est totalement respecté dans ces lieux ». La nécessité de l’installation de caméras d’analyse de visages, autre critère juridique fondamental, fait donc clairement défaut.

Le Parlement contourné

On comprend que c’est précisément car cette mesure de surveillance est inutile pour lutter contre le Covid que le gouvernement a préféré passer par décret. En effet, il aurait eu bien du mal à convaincre le Parlement d’autoriser une mesure aussi inutile qu’impopulaire. Et pour cause, sous la pression populaire, le Sénat lui-même a déjà commencé à repousser ce type de surveillance.

Dans sa position adoptée le 3 mars, la commission des lois du Sénat a précisé que les drones ne devaient pas servir à faire de la reconnaissance faciale, a limité la façon dont les agents de sécurité des transports peuvent accéder aux caméras de surveillance et a rejeté un amendement visant à généraliser la reconnaissance faciale sur les caméras de surveillance.

Si ces trois positions sont bien en-deçà de ce que le Sénat devrait faire pour corriger la loi Sécurité Globale dans son ensemble (voir nos critiques), elles se révèlent suffisantes pour dissuader le gouvernement d’essayer d’obtenir l’autorisation du Parlement afin de déployer des logiciels de reconnaissance de masques. Il a donc acté de le contourner, afin de décider seul par décret. Le message est clair : le gouvernement n’a besoin ni de loi, ni de Parlement ni de la moindre légitimité démocratique pour repousser chaque fois davantage les frontières de la Technopolice.

Contenir l’offensive autoritaire

Le gouvernement a en effet pris l’habitude de se passer de l’autorisation du Parlement pour déployer sa Technopolice : autorisation de la reconnaissance faciale massive en 2012 dans le fichier TAJ, centralisation des visages de toute la population dans le fichier TES, déploiement de caméras par hélicoptères et par drones, fichage politique des militants dans les fichiers PASP et GIPASP… 

Certes, aujourd’hui, suite à notre victoire au Conseil d’État, le gouvernement se retrouve obligé de demander au Parlement d’autoriser les caméras mouvantes dans la loi Sécurité Globale. Mais pour le reste, il a continué d’usurper le pouvoir législatif en autorisant des mesures de surveillance qui auraient du faire l’objet d’un débat démocratique puis être soumises au vote du Parlement, qui aurait probablement conclu au rejet de ces mesures injustifiables. Tant que personne ne l’arrêtera, le gouvernement continuera encore et encore à s’accaparer le pouvoir législatif tant les ambitions sécuritaires qu’il s’est fixé pour les Jeux Olympiques de 2024 sont immenses.

Le devoir du Parlement est d’obliger fermement le gouvernement à revenir devant lui chaque fois qu’il souhaitera étendre ses appareils de surveillance. Au Sénat, la gauche a proposé un amendement qui irait précisément dans ce sens en suspendant par principe et pendant 2 ans toute nouvelle extension des systèmes de vidéosurveillance. 


Sauf à renoncer à son rôle démocratique, le Sénat doit impérativement adopter cet amendement. S’il n’en fait rien, nous devrons probablement pallier la démission du Parlement en attaquant nous-même ce décret devant le Conseil d’État. Et puisque le Parlement n’a pas encore envisagé de léguer son budget aux nombreuses associations qui reprennent son rôle de contre-pouvoir, n’oubliez pas de nous soutenir si vous le pouvez !

Une vidéosurveillance peut en cacher une autre

vendredi 12 mars 2021 à 13:43

Ce serait enfoncer une porte ouverte que de dire que la vidéosurveillance est partout. Alors que la Cour des comptes critique l’absence totale d’efficacité de ces dispositifs, celle-ci est sans cesse promue comme une solution magique à des problèmes que l’on ne veut pas regarder en face. Pourtant, derrière l’effrayante banalité de la vidéosurveillance peut se cacher l’effarante illégalité de la vidéosurveillance automatisée, ou algorithmique.

C’est l’histoire d’une banale histoire de vidéosurveillance

L’AN2V, le lobby de la vidéosurveillance, faisait la promotion, dans l’édition 2020 de son guide annuel, de la vidéosurveillance automatisée (VSA). Véritable démonstration des possibilités sécuritaires, ce document regroupe des articles sur l’analyse algorithmique de nos vies et rêve de futurs toujours plus sombres. Mais ce « Pixel 2020 », comme il se fait appeler, donne également la parole aux revendeurs d’un des logiciels les plus utilisés dans le domaine de la VSA : Briefcam.

Quelle ne fut pas notre surprise en découvrant dans ce guide qu’un petit bourg d’à peine 7000 habitant·es, Moirans, pas très loin de Grenoble, utilise le logiciel Briefcam pour faire de l’analyse algorithmique à partir des images captées par les caméras de vidéosurveillance. Il est de notoriété publique que beaucoup de collectivités locales de tailles importantes utilisent ce logiciel, mais nous découvrions ici qu’un petit village peut également se l’offrir.

En 2016, la mairie de Moirans, sous l’impulsion d’un maire « divers droite » et profitant d’un fait divers récupéré par le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur de l’époque pour faire la promotion du solutionnisme technologique qu’est la vidéosurveillance, décida de s’équiper d’une soixantaine de caméras. Heureusement que l’État était là, puisqu’une subvention de 80 % du coût total par le Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance (FIPD), les plus de 400 000 € du projet ne furent que relativement peu supportés par le budget communal. Mais jusque là, personne n’avait encore entendu parler de Briefcam à Moirans…

Un Briefcam sauvage apparaît !

Après quelques invectives en conseil municipal, la ville de Moirans décida de s’équiper de vidéosurveillance et passa un marché public pour cela. Comme pour tout marché public, elle rédigea un cahier des clauses techniques particulières (CCTP). Celui-ci était assez classique : des caméras de haute résolution, la possibilité de lire une plaque minéralogique jusqu’à une vitesse de 90 km/h (alors même que la configuration du centre-ville rend périlleuses les vitesses au-delà des 30), des poteaux, des fibres, des écrans pour consulter les images et des serveurs pour les enregistrer, etc. Jusque-ici, aucune trace d’analyse algorithmique.

C’est finalement en lisant les rapports de suivi des travaux que nous découvrîmes le pot aux roses. Au moment de l’exécution du marché public, l’entreprise qui avait obtenu le projet proposa d’inclure le logiciel Briefcam, alors même que les fonctionnalités de VSA n’étaient pas demandées par la ville dans le CCTP. Une démonstration fut organisée par l’entreprise qui avait obtenu le marché public, le budget fut modifié pour tenir compte de cet ajout, et depuis 2019 Briefcam surveille. Emballé, c’est pesé.

Quelles leçons en tirer ?

Jusqu’alors nous cherchions la VSA là où elle s’affiche, comme à Marseille et son CCTP dédié à la VSA, mais nous nous sommes rendu compte qu’une simple vidéosurveillance, aussi classique soit-elle, peut cacher de la vidéosurveillance automatisée. Bien entendu, le journal municipal de Moirans se garde bien d’annoncer que la ville est équipée d’un logiciel capable de faire de l’analyse biométrique des personnes (ce qui n’empêche pas le journal municipal de vanter les bienfaits supposés de la vidéosurveillance « classique »). La CNIL n’a également jamais entendu parlé d’une quelconque étude d’impact à Moirans, étape pourtant obligatoire à la mise en place d’un traitement de données — a fortiori ici de données sensibles que sont les données biométriques. La première leçon à tirer est donc qu’il est vital de documenter le moindre projet de vidéosurveillance, même celui qui semble le plus classique. Bonne nouvelle, nous avons mis à jour nos guides pour vous aider à le faire dans votre ville !

La deuxième leçon à tirer est que Briefcam se cache là où on ne l’attend pas. L’entreprise qui a décroché le marché public à Moirans et a refourgué du Briefcam sous le manteau s’appelle SPIE. Il s’agit d’un industriel du BTP, qui a pignon sur rue mais qui n’est pas un fabricant de logiciel de VSA. En réalité, SPIE a sous-traité la VSA à Moirans à une autre entreprise, nommée Nomadys, qui elle-même revend Briefcam, logiciel développé par l’entreprise du même nom.

Que la chasse à Briefcam soit ouverte !

Fin janvier, nous avons identifié une douzaine d’administrations ayant passé un marché public de vidéosurveillance avec l’entreprise SPIE. Le Bulletin officiel des annonces de marché public (BOAMP) permet d’obtenir facilement une telle liste (certes très incomplète). Nous leur avons envoyé à chacune une demande CADA réclamant la communication des documents relatifs à ces marchés publics. Très peu ont répondu, et les quelques réponses reçues, lorsqu’elles ne sont pas caviardées à outrance, restent silencieuses sur les logiciels revendus par SPIE et utilisés. En particulier, aucune n’a accepté de nous communiquer les manuels d’utilisation des logiciels utilisés, en prétextant un soi-disant secret industriel. Si l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration permet en effet à une administration de refuser de communiquer un document qui contiendrait un secret protégé par la loi, comme un secret industriel ou commercial, les manuels d’utilisation que nous demandions n’indiquent pas comment fonctionnent ces logiciels, mais ce qu’ils sont capables de faire. Ce type de document est par ailleurs communicable aux États-Unis en application de règles légales similaires à celles servant en France à faire des demande CADA. Il nous reste encore à analyser en détails les réponses, et nous saisirons ensuite la CADA sur ces refus. Et peut-être que nous irons plus loin, qui sait ?

Vous aussi de votre côté vous pouvez nous rejoindre dans cette chasse à Briefcam ! Nous avons mis à jour nos guides pour faire des demandes CADA et vous pouvez nous rejoindre sur le forum Technopolice pour partager vos découvertes. Et, comme toujours, vous pouvez aussi nous aider en nous faisant un don.

Technopolice: les bailleurs sociaux en première ligne

mercredi 10 mars 2021 à 16:29

On sait que les quartiers les plus défavorisés sont des lieux privilégiés d’expérimentation de la technopolice et de la répression policière. Caméras-piétons, LBD, drones : autant d’exemples de techniques largement déployées sur les populations les plus précaires avant d’être généralisées.

Le rapport annuel 2021 de l’Association Nationale de la Vidéoprotection, le grand lobby national de la vidéosurveillance, apporte de nouveaux éléments sur les rapports entretenus entre la Technopolice et les quartiers populaires.

Plusieurs pages sont dédiées aux sombres pratiques du plus grand bailleur de logements sociaux en France, le Groupe 3F . Y sont en particulier décrits trois exemples d’utilisation de la vidéosurveillance par le groupe. Tous concernent des « Quartiers de reconquête républicaine » (QRR) et portent des noms de code militaires, tels « Opération JULIETT » ou encore « Opération ALPHA ».

L’utilisation de caméras cachées

Le premier cas concerne l’installation de caméras de vidéosurveillance dans le 19e arrondissement de Paris, dans le quartier de Crimée. Il s’agissait de lutter contre des regroupements de personnes répondant à « des logiques de trafic [..] ou ethniques » (sic).

On apprend que la reconquête du parking « Jumeau » a ainsi impliqué l’installation de caméras « anti-vandales » mais aussi de caméras factices et de caméras « pin-hole ».

Ces dernières sont conçues pour être quasiment indétectables à l’œil nu et sont normalement utilisées pour espionner une ou plusieurs personnes à leur insu. Elles peuvent par exemple être installées dans de faux détecteurs anti-incendies, de faux détecteurs de mouvement ou simplement dans de fausses vis ! En voici deux exemplaires trouvés sur internet :

Une caméra dans un détecteur de fumée :

Une caméra dans une prise électrique :

La retransmission en temps réel aux services de police

La deuxième spécificité des systèmes de vidéosurveillance mis en place par le bailleur social est la transmission des images en temps réel aux Centres de Supervision Urbaine (CSU) des forces de l’ordre.

Si ce déport vidéo est autorisé, il faut toutefois préciser que cette pratique est strictement encadrée par la loi LOPPSI 2. Elle n’est en particulier autorisée qu’en cas « de circonstances faisant redouter la commission imminente d’une atteinte grave » et limitée au « temps nécessaire à l’intervention des services de la police ou de la gendarmerie ».

Notons d’ailleurs que dans le cadre de la loi « Sécurité Globale », le gouvernement cherche à faciliter ce déport en le permettant dès lors qu’il y a « occupation par des personnes qui entravent l’accès et la libre circulation des locataires (…)». L’article 20 bis du projet de loi de Sécurité Globale voté par l’Assemblée Nationale prévoit de supprimer le critère d' »atteinte grave » et de le remplacer par « en cas d’occupation par des personnes qui entravent l’accès et la libre circulation des locataires ou empêchent le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté ou nuisent à la tranquillité des lieux » (voir notre billet à ce sujet). Cet article a été supprimé par le Sénat mais devrait malheureusement revenir au moment des débats en commission mixte paritaire.

Mais à Aulnay, dans le cadre de l’opération « ALPHA », Immobilière 3F ne semble pas faire grand cas de cet encadrement. Il est ainsi prévu que le déport vidéo vers le CSU d’Aulnay puisse être activé à la demande des policiers. Rien ne permet de comprendre comment le cadre législatif sera respecté.

Opération « Chicha »

Dernière illustration de la banalisation de l’utilisation de la vidéosurveillance des habitants de logements sociaux ? Le bailleur social se vante d’utiliser des caméras nomades pour lutter contre… les fumeurs de chicha.

Tout cela ne fait que souligner la surveillance permanente, et pernicieuse, des populations défavorisées. Comme les migrants aux frontières, elles sont les premières à souffrir de la fuite en avant technopolicière de notre société.

Une fuite en avant

Ces expérimentations donnent, de nouveau, à voir l’infiltration permanente de la surveillance dans notre société : aux caméras-fixes dans la rue, se superpose une surveillance par les airs (drones), à hauteur d’hommes (caméras-piétons), surveillance qui nous poursuit désormais jusque dans les halls d’immeubles. A quand nos portes d’entrée ou nos chambres ?

La possibilité de transmettre ces vidéos dans des centres de commandement, centralisant et analysant l’ensemble de ces flux, est désormais facilitée et encouragée alors même qu’elle était initialement strictement encadrée.

Que dire enfin des caméras de type « pin-hole » ? Alors que la législation mettait au cœur de l’équilibre du système l’information des personnes sur l’existence des caméras (qui devaient être visibles pour tout le monde), on constate le développement de caméras discrètes, cachées, invisibles. Une surveillance qui ne s’assume plus, qui se veut invisible, pernicieuse et incontestable…

MaDada : exigeons les documents de la Technopolice

lundi 8 mars 2021 à 13:25

MaDada.fr est une plateforme web citoyenne, ouverte à tous, qui facilite et permet à tout un chacun de faire des demandes d’accès aux documents administratifs. Demandons les documents de la Technopolice partout autour de nous, exigeons la transparence, afin de mieux lutter contre ces dispositifs.

La campagne Technopolice vise à analyser et documenter les dispositifs de surveillance policière qui se propagent dans nos villes et nos vies, afin de mieux les contrer. Ce travail de veille et de recherche d’information, nous l’effectuons ensemble, de façon décentralisée, le forum Technopolice, ouvert à tous, nous servant de lieu où nous nous retrouvons, et où toutes ces informations se croisent, s’échangent et sont analysées collectivement. Le site data.technopolice.fr est lui un lieu de sauvegarde et d’organisation des documents issus de nos recherches.

Ces recherches et analyses nourrissent nos actions pour contrer la surveillance : elles nous aident à porter et appuyer des contentieux, à organiser des actions collaboratives (carte de la Technopolice, lettre ouverte pour les municipales) ou des actions de sensibilisation (expositions et ateliers Technopolice à Avignon, Marseille ou Nice ). Lire notre boîte à outils pour en savoir plus sur nos outils et modes d’actions.

Une source très importante d’informations pour la campagne Technopolice sont les « demandes d’accès aux documents administratifs », (parfois appelées « demandes CADA » par abus de langage, du nom de l’autorité chargée de rendre des avis sur la communicabilité des documents administratifs). La Technopolice avance vite, se répand et évolue en permanence, mais elle avance masquée, sans études préliminaires, sans débat ni concertation citoyennes et dans un manque profond de transparence et de démocratie. C’est à travers des informations recueillies par des demandes CADA que nous avons pu attaquer et faire interdire les portiques de reconnaissance faciale à Marseille et Nice, ou bien que l’écoute sonore à Saint-Étienne est apparue délirante.

Faisons valoir notre droit d’accès aux informations publiques

L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 mentionne que « La société a le droit de demander des comptes à tout Agent public de son administration ». Le droit d’accès aux informations publiques est donc un droit constitutionnel. Ce droit est précisé et garanti par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, codifiée au livre III du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui institue le principe de la liberté d’accès aux documents administratifs à toute personne qui en fait la demande.

Notre Guide de demandes CADA vous propose un modèle de lettre et donne des indications détaillées sur la rédaction des demandes de documents administratifs.

MaDada.fr : une plateforme collaborative qui facilite les demandes

Une fois que l’on a identifié la demande à faire, les documents à demander et l’administration à laquelle l’adresser, on peut passer par Ma Dada. Il s’agit d’une plateforme web citoyenne, initiative de l’association Open Knowledge Foundation France, qui permet d’acheminer les demandes en maintenant à jour l’annuaire des administrations, d’y recevoir les réponses éventuelles, de recevoir des notifications en cas de dépassement des délais légaux de réponse et d’effectuer les rappels et les recours amiables dans ce cas. Elle permet le suivi des demandes, la duplication de celles-ci et l’envoi de demandes en série à plusieurs administrations à la fois (demandes par paquets de la fonctionnalité avancée MaDada++). En cas de non réponse après le délai légal d’un mois, afin de faciliter la saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), elle permet d’avoir accès à l’échange complet de la demande via son lien web public, ou d’en exporter une copie dans un fichier PDF.

Par défaut, les demandes sur Ma Dada sont publiques, leur réponses également. La plateforme joue ainsi le rôle d’une base de connaissances ouverte collective, un document demandé par un utilisateur profitant à tous les autres. Certaines peuvent néanmoins être rendues privées (fonctionnalités avancées MaDada++) pour les besoins d’une enquête ou d’analyse avant publication, ou pour celles et ceux qui ne souhaitent pas s’exposer.

Une demande d’accès aux documents administratifs doit obligatoirement comporter l’identité de la personne qui en fait la demande ou, pour une association, le nom de l’association et son numéro RNA. Ainsi, si dans le cadre de la campagne Technopolice vous souhaitez faire des demandes tout en restant anonyme, n’hésitez pas à nous l’indiquer sur le forum Technopolice. Ma Dada peut également, sur demande ou signalisation, censurer des informations personnelles qui paraissent sur le site.

Mettons à nue la Technopolice

Pour la Technopolice, nous avons commencé à utiliser Ma Dada. Il est ainsi possible s’inspirer de demandes existantes : en voici par exemple une qui demande tous les documents relatifs à l’audit du système de surveillance à Marseille ; ou encore une autre concernant la sécurité des grands événements et des JO de Paris 2024 . Voici également cette demande par paquets adressée à chacune des villes de la Technocarte pour y obtenir les arrêtés préfectoraux d’autorisation des emplacements des caméras de surveillance.

Restez connectés, nous publierons dans les jours qui viennent différents exemples et résultats d’analyses de demandes CADA qui nous ont été utiles dans la campagne Technopolice !

La police en hélicoptère, ou la surveillance militaire des citoyens

vendredi 5 mars 2021 à 12:05

Ce article a été d’abord publié sur le blog de notre site de campagne Technopolice.

Depuis plusieurs années, les hélicoptères de la gendarmerie sont régulièrement déployés pour des missions de surveillance de l’espace public, et ce en toute illégalité. Dotés d’un matériel d’abord développé dans un contexte militaire, la police se vante de leur capacité d’espionnage bien supérieure à celles des drones : caméras thermiques avec zoom ultra-puissant, suivi automatisé des suspects, transmission en temps-réel des images à des postes de commandement…

Leur usage n’a pourtant jamais été sanctionné – ni par le juge ni par la Cnil. Le gouvernement veut maintenant les légaliser dans la PPL « Sécurité Globale » – dont les débats ont repris début mars au Sénat.

Difficile de remonter aux premières utilisations d’hélicoptères par la police à des fins de surveillance de l’espace public. En octobre 2000, une question écrite au Sénat laisse déjà deviner une utilisation régulière d’hélicoptères équipés de « caméras vidéo thermiques embarquées » par la police et la gendarmerie.

Aujourd’hui en tous cas, la police et la gendarmerie sont fières de leurs capacités de surveillance. Pendant le confinement, elles vantaient ainsi que l’hélicoptère « ne peut être ni vu ni entendu par les personnes au sol » et est doté de caméras « capables de deviner à des centaines de mètres la présence d’êtres humains ou d’animaux ». En 2018, il était précisé que la caméra pouvait même « identifier un individu à 1,5 km de distance » avec retransmission « en direct et suivi depuis le centre interministériel de crise du ministère de l’Intérieur ».

En 2017, le commandant des « forces aériennes de la gendarmerie nationale » parle d’un « énorme zoom qui permet de lire à 300 mètres d’altitude une plaque d’immatriculation située à un kilomètre, d’identifier une personne à 2 km et un véhicule à 4 km », précisant qu’il peut « demander à la caméra de suivre automatiquement un objectif, quelle que soit la position ou la trajectoire de l’hélicoptère ».

Un matériel militaire pour de la surveillance interne

Plus que le type d’hélicoptère utilisé (apparemment, des « EC-135 » que la gendarmerie prête à la police quand celle-ci en a besoin), c’est le type de caméra qui importe.

Depuis au moins 2010, la gendarmerie utilise un dispositif nommé « Wescam MX-15 » – qui n’est même plus qualifié de « simple caméra » mais de « boule optronique ». C’est cet objet, avec sa caméra thermique et son zoom surpuissant, qui permet à la police de filmer, traquer, identifier (de jour comme de nuit) et de retransmettre en direct le flux vidéo, avec une « qualité d’image comparable à celle que le public connaît pour le Tour de France ».

C’est un appareil clairement militaire, utilisé dans des zones de guerre et répertorié en tant que tel sur des sites d’armement. Il est pourtant déployé depuis plusieurs années au-dessus des villes en France. Comme pour d’autres outils de la Technopolice (drones, vidéosurveillance automatisée…), il y a encore ici cette porosité entre les technologies militaires utilisées dans les pays en guerre, celles expérimentées aux frontières et celles déployées pour la surveillance des villes – soit une militarisation progressive de nos espaces publics.

Pour le futur, les hélicoptères devraient être équipés chez Safran, avec une « boule optronique » dite « Euroflir 410 » : un zoom encore plus puissant, des détecteurs de mouvement, un ordinateur intégré… Bref, un ensemble de technologies que la police ne manquera pas d’utiliser pour nous espionner au plus près. Comme pour les drones, ce type de technologies couplé à de l’analyse logicielle des images concrétise la société fantasmée par le ministère de l’Intérieur dans son


livre blanc publié en novembre dernier : celui d’une surveillance automatisée et totale. L’objectif est que ce nouveau dispositif soit « opérationnel avant les JO de Paris 2024 ».

Surveillance des manifestations et identification des « suspects »

Les utilisations des hélicoptères semblent encore plus larges que celles des drones : surveillance du confinement et des manifestations, surtout pendant celles des gilets-jaunes. En mars 2019, la gendarmerie annonce d’ailleurs avoir effectué 717 heures de vol au-dessus des manifestations, pour un coût total de 1 million d’euros.

En 2010, déjà, la gendarmerie se vantait de sa surveillance des manifestations, car les hélicoptères sont, selon elle, «  les mieux placés pour détecter les débordements, incidents ou intrusions dans les cortèges » avec des « images transmises en direct dans les salles de commandement (…) permettant aux responsables de faire intervenir immédiatement les effectifs au sol ».

Au-delà de le surveillance des machines, c’est aussi sur leur capacité d’intimidation que mise la police quand elle dit « faire du bruit » au dessus des manifestations ou qu’elle multiplie les survols menaçants et continus au-dessus des ZAD.

Illégalité et impunité de la surveillance

Tout ce pouvoir de surveillance n’a jamais été, et n’est toujours pas, encadré par le moindre texte de loi. Il n’existe aucune limite à ce qu’a pu faire et ce que peut faire aujourd’hui la police en termes de surveillance de la voie publique par hélicoptères : durée de conservation des données, types de lieux pouvant être filmés, accès aux images, information sur la captation…

C’est exactement la même illégalité que nous avions soulevé concernant les drones et qui a conduit à leur interdiction en France, par le Conseil d’Etat d’abord, par la Cnil ensuite : l’absence de texte législatif ou réglementaire permettant à la police de capter des données personnelles. Rien de tel malheureusement pour les hélicoptères : malgré leur utilisation régulière, aucune autorité n’est venue rappeler le droit à la police.

Le gouvernement, les parlementaires et la police en sont bien conscients. Ils veulent donc profiter de la proposition de loi « Sécurité globale » pour légaliser le dispositif – plusieurs dizaines d’années plus tard.

La proposition de loi « Sécurité globale » revient en ce moment devant le Sénat. En plus d’intensifier la vidéosurveillance fixe, elle veut légitimer la vidéosurveillance mouvante : les drones, les caméras-piétons, les caméras embarquées et donc, les hélicoptères. Les parlementaires doivent refuser la militarisation de la surveillance de l’espace public.