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Directive sur le droit d’auteur : l’affrontement factice des deux têtes du capitalisme informationnel

lundi 10 septembre 2018 à 11:17

10 septembre 2018 - Un quart de siècle qu’on se repasse ce même mauvais film, celui où les industries culturelles instrumentalisent la loi pour faire la guerre à leur public. En cause cette fois-ci, l’article 13 de la directive sur le droit d’auteur en cours d’examen à Bruxelles, et sur lequel le Parlement européen se prononcera le 12 septembre.
Dans sa rédaction actuelle, cette disposition impose que, dans le cadre d’accords avec les sociétés d’ayants droit (telle la Sacem), les ­plates-formes numériques (YouTube, Facebook et consorts) recourent à des outils de ­filtrage automatisés. Le but ? Repérer les ­contenus ­publiés par les internautes et bloquer ceux ­incluant des œuvres couvertes par le droit d’auteur. Une forme de censure préalable, automatisée et privatisée.

Rien de bien nouveau, donc. En effet, depuis le milieu des années 1990, les industries culturelles (musique, cinéma, édition…) n’ont eu de cesse d’exiger des législateurs et des tribunaux la « collaboration » forcée des fournisseurs ­d’accès à Internet et des hébergeurs pour lutter ­contre l’échange gratuit d’œuvres culturelles sur les réseaux.

Nous republions la tribune de Félix Tréguer parue dans Le Monde le 8 septembre 2018

L’ACTA rejeté en 2012

A l’époque déjà, ces débats avaient conduit à la mobilisation des associations de défense des droits dans l’environnement numérique. Comme aujourd’hui, ces dernières faisaient valoir que la logique poursuivie était dangereuse, puisqu’elle revenait à confier à des entreprises privées un rôle de surveillance et de censure des communications sur le Net.

Ces débats débouchèrent en Europe sur un compromis instable à travers une directive adoptée en juin 2000, qui semblait donner gain de cause aux militants et aux acteurs de l’économie numérique. Les « intermédiaires techniques » d’Internet, et en particulier les hébergeurs, ne seraient plus inquiétés tant qu’ils ne joueraient pas de rôle actif dans la diffusion des contenus litigieux. Il leur fallait répondre aux demandes judiciaires visant à retirer les publications illicites, mais les Etats ne pourraient pas leur imposer d’« obligation générale de surveillance » des communications pour détecter et empêcher de telles publications.
Depuis, les initiatives visant à imposer des filtres automatiques se sont pourtant multipliées. Et parfois, en France notamment, leurs promoteurs ont eu gain de cause devant les tribunaux. Toutefois, dans deux arrêts importants rendus en 2011 et 2012 au nom de la protection de la liberté de communication et de la vie privée, la Cour de justice de l’Union européenne s’est opposée aux demandes d’une ­société de gestion visant à imposer à un fournisseur d’accès ou à un hébergeur la mise en place de tels filtres. En 2012, le Parlement européen a également rejeté l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA), qui aurait pu banaliser, à l’échelle mondiale, le recours à ces outils de filtrage.

Surveillance des utilisateurs

Sauf que, entre-temps, l’économie politique d’Internet a été profondément ébranlée par l’apparition d’un nouvel oligopole, composé de quelques firmes presque entièrement consacrées à la régulation algorithmique de l’information. Il y a ainsi plus de dix ans que Google, mis sous pression par les multinationales du divertissement, a déployé au sein de sa filiale YouTube un système de filtrage baptisé Content ID.

En scannant automatiquement l’ensemble des vidéos mises en ligne par les utilisateurs et en les confrontant à une base de données de contenus soumis au droit d’auteur, les algorithmes de Content ID permettent aux ayants droit de bloquer ou de monétiser les vidéos incluant des œuvres dont ils détiennent les droits. Un dispositif que l’article 13 de la directive sur le droit d’auteur cherche à généraliser.

Or, Content ID a conduit à de nombreux cas de censure voyant des ayants droit revendiquer des œuvres qui ne leur appartenaient pas. Il s’avère aussi incapable de respecter les exceptions légales au droit d’auteur ­(citation, parodie…) sur lesquelles se fondent des nouvelles pratiques artistiques (remix, mashups…). Google a donc beau jeu de critiquer l’article 13 au nom de la défense des libertés, en chœur avec d’autres entreprises du numérique qui ont placé la censure privée et la surveillance des utilisateurs au cœur de leurs modèles économiques.

Incapables de repenser les politiques culturelles

A l’hypocrisie des géants du numérique ­répond celle des industries culturelles. Trop occupées à défendre une vision « propriétariste » du droit d’auteur et à réprimer le partage d’œuvres sur les réseaux peer to peer (« de pair à pair »), elles se montrent incapables de repenser les politiques culturelles à l’ère numérique. Résultat : elles en sont aujourd’hui réduites à négocier piteusement avec les grandes entreprises de technologie qui, profitant de leur incurie, ont raflé la mise.

Car c’est bien ce qui se joue actuellement avec la directive sur le droit d’auteur : l’affrontement des deux têtes de l’hydre du capitalisme ­informationnel. Industries culturelles versus ­plates-formes numériques, qui veulent chacune se ménager le maximum de marge de manœuvre dans leur négociation d’une forme de « licence globale » privatisée, laquelle viendra renforcer leurs positions oligopolistiques au détriment tant du public que des artistes.
Que faire pour sortir de ce cycle délétère ? D’abord, rejeter l’article 13 et le monde qu’il représente, celui où l’espace public et la liberté d’expression sont soumis aux décisions d’algorithmes opaques. Si le Parlement européen tient encore à inscrire l’Union européenne dans la tradition de l’Etat de droit, il réaffirmera la position qui est la sienne depuis près de vingt ans et le rejettera.

Et après ? On voudrait croire, comme nous l’avions cru en 2012 avec le rejet de l’ACTA, qu’une telle décision marquera le début d’une refondation des politiques culturelles et ­numériques. Mais, en dépit de quelques signes encourageants de l’UE pour contrer la dominance des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), il y a fort à parier que les Etats continueront de composer avec les ­nouveaux seigneurs de l’espace public… D’où l’importance de cultiver des espaces de résistance renouant avec le projet de faire d’Internet une bibliothèque universelle, envers et contre le droit si nécessaire.

Félix Tréguer
Postdoctorant à l’Institut des sciences de la communication (CNRS), associé au projet NetCommons, consacré aux réseaux Internet citoyens au sein du pôle Gouvernance de l’information et des communs, et coprésident de La Quadrature du Net, une association qui défend les droits et les libertés numériques.

Un collège-lycée contraint illégalement des enfants à être traçables en permanence

vendredi 27 juillet 2018 à 15:14

30 juillet 2018 - Il y a dix jours, une lycéenne de l'établissement scolaire privé Rocroy Saint-Vincent de Paul, à Paris, a révélé un changement du règlement intérieur de l'établissement. À compter de la rentrée, chaque collégien et lycéen devra porter sur lui un porte-clef fourni à l'établissement par la start-up française New School et qui permettra de localiser l'élève via une puce Bluetooth intégrée. Voici le résultat de notre analyse juridique et technique de ce système, concluant à son illégalité.

Fonctionnement du porte-clef

L'établissement scolaire a expliqué que le porte-clef obligatoire lui sera fourni par New School, une start-up française soutenue notamment par Apple1 et mise en avant en 2016 par Qwant2.

Le porte-clef intègre une puce Bluetooth, gérée par un logiciel fourni par une autre start-up française, Ubudu, qui a annoncé sa collaboration avec New School depuis 2016.

Sur son site, Ubudu se décrit ainsi : « Ubudu est la solution RTLS de prochaine génération, qui piste, analyse et détecte biens et personnes sur des lieux industriels ou de services : aéroports, usines, hôpitaux, magasins, centres sportifs ou de loisir, etc. Ubudu fonctionne uniquement avec des petits tags ou smartphones échangeant des signaux radio avec des capteurs fixes, et un serveur de localisation qui calcule et traite la position »3.

Dans sa documentation technique, Ubudu décrit un de ces tags, le tag BLE (Bluetooth Low Energy) : « utilisez des tags BLE si vous avez de nombreux biens à pister et n'avez pas besoin d'une précision en deçà de 1-2m. [...] Des exemples de mise en œuvre comprennent la solution de service en salle de McDonalds ou le badge étudiant New School (voir photo). Vous pouvez aussi utiliser des équipements iBeacon standards, dont nous recommandons ceux de haute qualité, tels que ceux de EM Microelectronics »4.

Parmi les puces EM Microelectronics auxquelles renvoient Ubudu se trouve la puce EMBC01. La fiche technique de cette puce indique qu'elle peut signaler sa présence (en émettant un message radio) une fois par seconde, et qu'elle a alors une portée de 75 mètres et une durée de vie de 12,5 mois.

Nous pensons que cette puce (recommandée par Ubudu, partenaire de New School), ou une puce similaire, est celle intégrée dans le porte-clef New School. En effet, la documentation commerciale de New School indique que « la durée de vie de nos porte-clés connectés est d’environ 13 mois », ce qui correspond à la durée de 12,5 mois de la puce EMBC01. De même, après prise de contact avec New School, NextInpact explique que, « à en croire ses développeurs, cette clef [...] dispose d’une portée de 15 à 25 mètres en intérieur, et même 75 mètres à l’extérieur » - la même portée que la puce EMBC01.

Enfin, la puce qui apparait sur plusieurs photo du porte-clef New School (ici, en bas, une photo de 2016 tirée de l'article de Qwant en soutien à la start-up) est identique à l'image de la puce EMBC01 diffusée par EM Microelectronics dans sa documentation (ici, en haut).

Le porte-clef New School émet donc constamment, une fois par seconde et pendant 13 mois, un identifiant unique, propre à chaque porte-clef et, ainsi, à chaque enfant. Cet identifiant peut être capté par les smartphones situés dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres.

Dans son règlement intérieur, l'établissement Rocroy explique que le port constant du porte-clef par les enfants permettra « de s’assurer de la présence de chacun d’eux en classe, sur les installations sportives, au CDI et lors des sorties mais aussi au cours des exercices de sécurité ». Comme le détaille New School dans sa documentation, les professeurs et encadrants, munis de smartphone, pourront recevoir l'identifiant unique émis par chaque porte-clef et, ainsi, contrôler la présence des porte-clefs environnants (et, par là, en théorie, de chaque enfant dont le nom et la photo sont associés à chaque identifiant Bluetooth dans la base de données New School).

Charlemagne/EcoleDirecte

Dans sa documentation, New School explique que « tous les outils édités par NewSchool sont conçus avec un souci permanent de protéger les données : [...] chacun accède uniquement aux données auxquelles le chef d'établissement lui donne accès, le niveau de sécurité des mots de passe est celui dépendant du logiciel Charlemagne/EcoleDirecte ».

Charlemagne/EcoleDirecte est un logiciel de suivi de scolarité développé par l'entreprise française STATIM. Cette entreprise fournit en ligne la documentation du logiciel. On y découvre les fonctionnements d'une sécurité d'un autre âge...

Pour la création d'un nouveau profil, c'est l'administrateur qui choisit lui-même le mot de passe pour chaque utilisateur. Pour qu'un utilisateur récupère son mot de passe, celui-ci lui est alors envoyé en clair par email. Si le mot de passe peut lui être envoyé de la sorte, c'est manifestement qu'il est conservé en clair sur le serveur... contrairement aux recommandations élémentaires de la CNIL5.

Faire reposer l'identification de données de localisation d'enfants sur un système aussi peu sécurisé, initialement développé pour un usage très différent, est impensable. C'est pourtant ce qu'explique faire New School.

De fausses affirmations

Dans un communiqué réagissant à la polémique naissante, l'établissement Rocroy explique, tentant d'être rassurant, que « le bluetooth ne s’active que lorsque l’enseignant fait l’appel. Le reste du temps, les porte-clés s’éteignent automatiquement ».

Cette affirmation rend absurde la durée de vie de 13 mois du porte-clef annoncée par New School dans la documentation. Au regard de l'état de l'art des puces Bluetooth (tel qu'il en ressort des caractéristiques de la puce EMBC01), une puce qui serait activée une poignée de minutes seulement par jour (le temps de faire l'appel) aurait une durée de vie de plusieurs années et n'aurait pas besoin d'être renouvelée tous les 13 mois.

Ce renouvellement de la puce aurait pu être justifié par le passage d'une année à l'autre par chaque enfant, mais le délai de renouvellement aurait alors été de 12 mois et non de 13. Le renouvellement de la puce n'est donc justifiable que par une seule raison : la puce est activée de façon constante, 24h/24, même en dehors des 8 heures de classe quotidiennes (sans quoi la durée de vie annoncée serait triple, de l'ordre de 39 mois).

Par ailleurs, l'idée que la puce n'émette qu'au moment de l'appel est inconciliable avec la détection des enfants en CDI (en bibliothèque) : ce lieu pouvant être accédé n'importe quand, il n'y a pas d'appel à y faire à un instant déterminé. La puce doit émettre régulièrement pour signaler une présence au du CDI.

L'affirmation de l'établissement Rocroy semble donc fausse. Les conséquences seraient lourdes. Certes, l'identifiant unique émis par le porte-clef n'indique pas directement le nom d'un élève. Mais qu'importe : activé en permanence, il permettrait de suivre à la trace chaque enfant de façon individualisée (l'identifiant étant unique), au simple moyen d'un smartphone (EM Microelectronics fournit même une application à cette fin), n'importe où, même en dehors de l'école, pour peu qu'on se trouve dans un rayon de 75 mètres de l'enfant.

Si l'établissement ne fournit pas d'informations nouvelles permettant de contredire cette hypothèse, nous viendrons la vérifier en pratique à la rentrée devant son lycée, qui n'est pas très loin de nos locaux.

Par ailleurs, dans son communiqué de presse, l'établissement prétend que le porte-clef « n’utilise pas la géolocalisation, et ne permet donc pas de connaitre la position ou les déplacements des élèves ».

Ce n'est pas ce que révèle la fiche de l'application New School qui sera utilisée sur smartphone par le personnel de l'établissement afin de détecter les porte-clefs à proximité. Au moment de son installation, l'application demande de pouvoir transmettre à New School la géolocalisation précise du smartphone, notamment par GPS. Or, la géolocalisation du smartphone permettra aussi de géolocaliser les portes-clefs détectés qui, par définition, seront situés dans une proximité directe. L'affirmation de l'établissement est donc fausse : le porte-clef permettra d'indiquer à New School la position des enfants dès lors qu'ils se trouveront à proximité d'un smartphone utilisant l'application New School.

Enfin, dans son communiqué, l'établissement a cru bon de prétendre que « les données personnelles (nom de l’élève, emploi du temps) sont protégées et cryptées, en accord avec la CNIL ». Or, comme on l'a vu, le système Charlemagne/EcoleDirecte sur lequel repose New School ne satisfait aucune des recommandations de la CNIL élémentaires en matière de sécurité. Ainsi, contactée par Le Point sur cette affaire, la CNIL a déclaré mardi dernier « ne pas avoir eu d'échange avec le lycée Rocroy sur le dispositif ».

Un système illégal

Le port obligatoire du porte-clef New School par chaque enfant semble illicite du simple fait que l'information fournie par l'établissement sur l'interruption automatique du porte-clef serait fausse, alors que le règlement général sur la protection des données (RGPD) exige une information loyale.

De plus, quand bien même cette information serait juste (si le porte-clef n'émettait pas constamment), le système serait illicite pour d'autres raisons.

D'abord, le RGPD exige que tout traitement de données personnelles soit fondé sur une base légale : le consentement, la nécessité de fournir un service public ou la nécessité de poursuivre un « intérêt légitime ».

Ici, les enfants ne peuvent donner aucun consentement valide au traçage : ils n'ont pas le choix de l'accepter pour aller en cours et ne peuvent l'accepter qu'en même temps qu'ils acceptent l'ensemble du règlement intérieur. Leur consentement, qui ne serait ni libre ni spécifique, ne serait jamais reconnu comme valide par la CNIL (au sujet du caractère libre du consentement, voir l'analyse détaillée développée dans nos plaintes collectives contre les GAFAM).

S'agissant de la nécessité de fournir un service public ou de poursuivre un intérêt légitime (tel que faire l'appel des élèves), il faut d'abord démontrer que le système est « nécessaire ». En droit, ceci implique notamment qu'il n'existe aucun autre système alternatif qui, atteignant les mêmes objectifs, cause des risques moins élevés en matière d'atteinte aux libertés fondamentales. Ici, l'appel des enfants à l'oral remplit les mêmes objectifs sans poser de risque pour la vie privée. Le fait que le traçage par localisation automatique des enfants simplifie l'appel des élèves ne saurait le rendre « nécessaire », surtout au regard des risques importants qu'il cause quant à la traçabilité constante de la position de chaque enfant.

Toutefois, ce débat sur la « nécessité » a déjà été tranché par le groupe de l'article 29 (G29, l'institution qui réunissait les CNIL des 28 États membres de l'Union européenne et qui est devenu le Comité européen de la protection des données depuis le 25 mai 2018).

Depuis 2011, le G29 considère que, dans les cas où des personnes pourraient être localisées au moyen de signaux émis par un dispositif qu'elles transportent, et dans le cas où cela serait possible non pas sur la base de leur consentement mais sur celui d'un « intérêt légitime », il faut systématiquement que ces personnes puissent librement et facilement s'opposer à un tel traçage, à tout moment.

Dans notre cas, à l'inverse, l'établissement Rocroy sanctionne les enfants qui s'opposerait au pistage en refusant de porter le porte-clef. L'obligation de le porter est donc illicite de ce seul fait.

Par ailleurs, peu importe la base légale du traitement de données personnelles, le RGPD exige que celui-ci soit accompagné d'un certain nombre d'informations. Le responsable de traitement doit indiquer :

  1. son identité et ses coordonnées ;
  2. les finalités poursuivies ;
  3. l’étendue des droits de la personne concernée ;
  4. si les données sont transmises à des tiers, l'identité de ces destinataires ou la catégorie de ces destinataires ;
  5. la condition de licéité remplie par le traitement – en précisant, selon le cas, l'intérêt légitime défendu ou la possibilité de retiré le consentement donné ;
  6. la durée de conservation des données ;
  7. l'existence d'un transfert de données en dehors de l’Union, en précisant les garanties encadrant ce transfert ;
  8. l’existence d'une prise de décision automatisé.

Dans notre cas, l'établissement n'a fourni aucune de ces informations, si ce n'est, éventuellement, certaines des finalités envisagées (s'agissant des élèves, « s’assurer de la présence de chacun d’eux en classe, sur les installations sportives, au CDI et lors des sorties mais aussi au cours des exercices de sécurité »), sans qu'on ne sache toutefois si ces finalités sont exhaustives.

Les autres informations sont simplement absentes, rendant le système illicite de ce seul fait.

Enfin, comme vu plus haut, les obligations de sécurité imposées par le RGPD ne sont pas respectées puisque le système New School repose sur le système complètement obsolète de Charlemagne/EcoleDirecte.

Et maintenant ?

Nous invitons les élèves et parents d'élèves de l'établissement Rocroy à se saisir des éléments développés ici pour saisir la justice en référé afin de faire changer le règlement intérieur avant la rentrée.

De façon plus générale, nous appelons la CNIL à enquêter sur la start-up New School avant que celle-ci ne démarche d'autres établissements. La situation est des plus inquiétante puisque, dès 2016, d'après Le Figaro Madame, « le cabinet de Valérie Pécresse lui fait savoir qu'ils aimeraient utiliser l'application pour toute la région Île-de-France ».

Politiquement, le cas de New School révèle un mouvement plus profond et plus grave : les puces choisies par New School ont initialement été pensées et sont normalement utilisées pour localiser des objets fixes (des murs) ou mobiles (des marchandises) afin qu'un humain muni d'un smartphone puisse se repérer parmi ces objets. Cette situation s'inverse ici : la puce n'est plus attachée à des objets mais à des enfants ; le smartphone ne sert plus à se repérer dans l'espace mais, immobile au poste du surveillant, à définir l'espace dans lequel les humains peuvent évoluer. L'humain ne se déplace plus parmi les choses : il est une chose comprise par d'autres.

Conservation généralisée de données : débat transmis au niveau européen !

jeudi 26 juillet 2018 à 14:42

26 juillet 2018 - Après trois ans de procédure, le Conseil d'État vient (enfin !) d'accepter de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne, tel que nous le demandions. Le régime français de conservation généralisée des données de connexion imposé aux opérateurs téléphoniques et Internet ainsi qu'aux hébergeurs est-il conforme au droit de l'Union européenne ?

La décision d'aujourd'hui est une avancée importante dans le combat juridictionnel porté par La Quadrature du Net, la Fédération FDN et FDN contre la surveillance de masse.

Il faut toutefois dénoncer le délai démesuré pris par le Conseil d'État pour franchir cette étape. Le Conseil d'État est resté muet durant plusieurs années, retenant sa justice malgré plusieurs relances de notre part. Il ne s'est prononcé qu'au moment où le Gouvernement français, embourbé dans des débats politiques autour du règlement ePrivacy, a trouvé opportun de s'aligner sur nos propres demandes - saisir la Cour de justice de l'Union.

Revoir notre récit des procédures ayant conduit à la décision d'aujourd'hui.

Cet alignement du calendrier de la Justice sur le calendrier stratégique du gouvernement remettrait en cause l'idéal d'indépendance qui doit animer la Justice.

Heureusement, le débat se poursuit aujourd'hui devant une juridiction européenne qui, à plusieurs reprises ces dernières années, a su garder ses distances avec les volontés autoritaires des gouvernements occidentaux.

La CJUE s'est opposée à la directive de 2006 qui prévoyait une conservation généralisée des données de connexion, dans son arrêt Digital Rights Ireland. Elle a aussi invalidé le Safe Harbor au regard du régime de surveillance des États Unis, dans son arrêt Schrems. Dernièrement, elle s'est opposée aux régimes de conservation généralisée suédois et britannique, dans son arrêt Tele2.

Le gouvernement français espère pouvoir faire changer d'avis la Cour de justice de l'Union européenne. Ne prenons pas l'ambition du gouvernement à la légère : le combat qui s'ouvre déterminera le cadre de la surveillance européenne. Le gouvernement ne chômera pas pour défendre l'idéal d'un monde dans lequel chacun serait suspect. Nous ne chômerons pas nous plus pour défendre notre autre monde.

Les questions

La première question transmise par le Conseil d'État est la suivante : « L'obligation de conservation généralisée et indifférenciée, imposée aux fournisseurs sur le fondement des dispositions permissives de l'article 15, paragraphe 1, de la directive du 12 juillet 2002, ne doit-elle pas être regardée, notamment eu égard aux garanties et contrôles dont sont assortis ensuite le recueil et l'utilisation de ces données de connexion, comme une ingérence justifiée par le droit à la sûreté garanti à l'article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les exigences de la sécurité nationale, dont la responsabilité incombe aux seuls Etats-membres en vertu de l'article 4 du traité sur l'Union européenne ? »

Par là, le Conseil demande si, alors que le Cour de justice a déjà reconnu la conservation généralisée injustifiée pour lutter contre les infractions (dans sa décision Tele2), cette conservation peut être justifiée pour protéger la sécurité nationale.

Pour rappel : en droit européen, la lutte contre le terrorisme n'est pas de l'ordre de la protection de la sécurité nationale - qui, selon la CNCIS, ne fondait en 2015 que 12% des interceptions réalisées par les services de renseignement. Le Conseil d'État demande donc si, pour 12% des besoins des services de renseignement (en matière militaire et de contre-espionnage, on imagine), il peut être porté atteinte à la vie privée de toute la population, considérée comme suspecte par défaut.

Une telle question nous semble disproportionnée par elle-même, mais elle ouvre un débat plus large dont il faudra se saisir devant la Cour de justice.

Par ailleurs, le Conseil d'État a transmis une ou plusieurs autres questions, dont nous n'avons pas encore connaissance : nous mettrons cet article à jour au fur et à mesure.

La Fédération FDN soutient l'amendement Chaize qui encourage les offres activées sur les réseaux fibre optique

lundi 23 juillet 2018 à 10:49

23 juillet 2018 - Nous republions ici le communiqué publié ce matin par la Fédération FDN, qui promeut l'accès aux offres activées sur les réseaux fibre optique.

L'accès « activé » à un réseau fibré consiste, pour un opérateur télécoms, à louer des fibres optiques déjà « activées » par un autre opérateur, qui gère et entretient les équipements de distribution du réseau.

Pour un petit opérateur, ce type d'accès activé est le seul moyen de fournir à ses abonnés un accès fibré à Internet dans les zones géographiques où il ne peut pas déployer d'équipements. En effet, un opérateur de petite taille a généralement des abonnés dispersés sur tout le territoire : il n'est pas économiquement viable de déployer ses propres équipements dans chaque zone géographique pour seulement quelques abonnés localement.

Ce communiqué intervient dans le cadre du projet de loi portant « évolution du logement, de l'aménagement et du numérique » (loi ELAN), actuellement en débat au Sénat, jusqu'à demain :

La Fédération FDN soutient l'amendement Chaize qui encourage les offres activées sur les réseaux fibre optique

La Fédération FDN soutient l'amendement à la loi Elan porté par M. Patrick Chaize, président de l'AVICCA et vice-président de la commission Aménagement du Territoire et Developpement Durable du Sénat. Cet amendement ouvre, sur tout le territoire national, le droit d'accéder à une offre activée raisonnable et non discriminatoire, et constitue à ce titre une belle opportunité de progression vers un marché des télécoms plus ouvert et plus innovant.

En effet, ces offres activées garantissent une concurrence saine sur le marché des télécoms en permettant à de petits acteurs, tels que les FAI de la Fédération FDN, d'y exister de manière durable en accédant à la boucle locale fibre optique.

Les petits opérateurs sont nécessaires à l'équilibre du marché des télécoms : ils peuvent faire émerger des offres de services différenciées, répondant aux besoins spécifiques des utilisateurs finals1. Ils entretiennent ainsi la vitalité du marché, qui menace toujours de se refermer sur quelques gros acteurs.

Les membres de la Fédération FDN, capables de s'adapter aux particularités de chaque territoire et aux demandes de leurs adhérents, sont également des acteurs indispensables d'un accès au numérique inclusif, où les zones les moins rentables et les besoins les plus spécifiques ne sont pas oubliés. « L'émergence d'une offre activée pertinente sur tout le territoire est la garantie de la pérénnité de notre travail », ajoute Oriane Piquer-Louis, présidente de la Fédération FDN.

Il ne s'agit pas de remettre en cause l'équilibre du marché, ni de pénaliser les acteurs qui ont pris le risque financier d'investir. L'intérêt des offres activées est de garantir les conditions d'un marché capable de répondre aux demandes de chacun, et ouvert vers l'innovation.

Nous appelons donc au maintien de l'article 64ter porté par M. Patrick Chaize dans la loi Elan, et au rejet de l'amendement de suppression porté par le gouvernement.

À propos de la Fédération FDN

La fédération FDN regroupe des Fournisseurs d'Accès à Internet associatifs se reconnaissant dans des valeurs communes : bénévolat, solidarité, fonctionnement démocratique et à but non lucratif; défense et promotion de la neutralité du Net.

A ce titre, la fédération FDN se donne comme mission de porter la voix de ses membres dans les débats concernant la liberté d'expression et la neutralité du Net.

Elle fournit à ses membres les outils pour se développer et répondre aux problèmes rencontrés dans le cadre de l'activité de fournisseur d'accès à Internet.

Teemo, Fidzup : la CNIL interdit la géolocalisation sauvage - l'UE pense à la légaliser

vendredi 20 juillet 2018 à 17:00

20 juillet 2018 - Hier, la CNIL a déclaré illicites les activités de deux start-ups françaises, Teemo et Fidzup, qui géolocalisent des millions de personnes à des fins publicitaires et sans leur consentement. Elles ont trois mois pour cesser ces activités. Hélas, sur le long terme, leur modèle pourrait devenir licite : c'est en tout cas ce sur quoi l'Union européenne débat via un futur règlement ePrivacy.

Teemo

Teemo est l'emblème des start-ups qui n'existent pas pour durer, mais pour amasser un maximum de profits par une activité qui, depuis le début, est illicite. En mode « take the money and run ». Employant 35 salariés pour un chiffre d'affaires de 2,6 millions (en 2016), Teemo ne pourra pas survivre à la décision rendue hier par la CNIL.

Teemo analyse les données de géolocalisation de 14 millions de téléphones, obtenues via les applications mobiles de ses partenaires commerciaux, afin de faire de la publicité ciblée localement. Évidemment, les personnes surveillées ne sont pas informées de ce pistage et n'ont pas leur mot à dire. La CNIL exige aujourd'hui le consentement de ces personnes - ce que la loi « informatique et libertés » impose sans ambiguïté.

Teemo peut donc fermer boutique, puisque son chiffre d'affaires repose désormais sur l'espoir absurde que des utilisateurs renoncent à leur vie privée, sans contrepartie, mais simplement pour enrichir la start-up.

Bien. Mais que dire de ses nombreux partenaires qui ont financé et bénéficié de ce système de surveillance généralisée ? Sur le site de Teemo, on peut lire les témoignages de LeaderPrice, ToysRus, InterSport ou Volkswagen se réjouissant qu'une telle violation massive de nos libertés ait pu faciliter leurs activités publicitaires. Plus loin, parmi les entreprises qui ont « fait confiance » à Teemo (sans avoir consulté aucun juriste, on imagine), on retrouve encore Carrefour, Macdo, Decathlon ou la Fnac.

Par ailleurs, il y a un an, Numérama publiait une enquête sur Teemo qui, probablement, a conduit la CNIL à se saisir de l'affaire. L'enquête expliquait que Teemo s'était notamment infiltrée sur les applications mobiles du Figaro, du Parisien, de l'Équipe ou de Closer, avec l'accord de ceux-ci.

Depuis, Exodus Privacy a décrit précisément le fonctionnement de Teemo et les applications l'intégrant.

Aujourd'hui, l'ensemble de ces entreprises nous doivent de sérieuses explications : comment ont-elles pu se permettre de financer et d'autoriser une violation aussi manifeste de la loi au détriment des libertés fondamentales de leurs clients ? Leur responsabilité juridique et politique est en jeu.

Fidzup

Le cas de Fidzup est plus complexe.

La start-up, plus petite (24 salariés, 500 000€ de chiffre d'affaires), opère en deux étapes. Dans une première étape, elle installe des bouts de code sur les applications mobiles de ses partenaires commerciaux. La CNIL décompte neuf applications différentes, qui lui auraient permis d'infiltrer 6 millions de téléphones. Ces bouts de code permettent à Fidzup de collecter certaines données techniques sur les téléphones espionnés. Dans une seconde étape, Fidzup fournit à une centaine de magasins des boîtiers qui identifient les téléphones qui passent à proximité, à partir des données techniques collectées dans la première étape. Les magasins peuvent donc tracer leurs clients, tant en ligne que hors-ligne.

Cette seconde étape est particulièrement pernicieuse. Techniquement, nos téléphones émettent régulièrement des données techniques afin de se connecter aux bornes WiFi environnantes. Les boîtiers fournis par Fidzup interceptent ces données techniques pour identifier les téléphones, alors même qu'ils ne sont pas du tout des bornes WiFi.

Exodus Privacy décrit en détail le fonctionnement et les applications mobiles collaborant avec Fidzup.

Heureusement, en droit, cette technique d'interception est explicitement interdite. La directive 2002/58 de l'Union européenne, dite « ePrivacy », prévoit depuis 2002 à son article 5 qu'il est interdit « à toute autre personne que les utilisateurs d'écouter, d'intercepter, de stocker les communications et les données relatives au trafic y afférentes, ou de les soumettre à tout autre moyen d'interception ou de surveillance, sans le consentement des utilisateurs concernés ». Les données captées par Fidzup sont ici des « données relatives au trafic », car destinées à réaliser une connexion avec une borne WiFi.

Reprenant assez facilement cette logique, la CNIL a exigé que Fidzup demande le consentement préalable des personnes avant de collecter ces données - ce qui n'était pas le cas.

On pourrait ici donner la même conclusion que pour Teemo : aucun utilisateur n'acceptera de céder sa vie privée, sans contrepartie, pour enrichir Fidzup. L'avenir de la start-up semblerait donc aussi compromis.

Hélas, la situation est plus inquiétante.

ePrivacy

La directive ePrivacy, qui interdit aujourd'hui l'activité de Fidzup, est en cours de révision par l'Union européenne.

Il y a un an, le Parlement européen arrêtait sa position sur le texte (relire notre bilan sur ce débat). À l'article 8, §2, du nouveau texte, le Parlement a autorisé la collecte sans consentement des « informations émises par les terminaux des utilisateurs » - abandonnant ainsi une protection fondamentale qui nous est aujourd'hui offerte.

Le Parlement autorise cette surveillance en imposant une poignée de conditions aussi vagues que creuses : l'analyse doit être limitée à des fins de « comptage statistique » (c'est déjà le service que fournit Fidzup), les données doivent être anonymisées dès que la finalité est remplie (dès que Fidzup a fini de nous compter), les utilisateurs disposent d'un droit d'opposition (qui leur est indiqué par une affiche plus ou moins visible dans le magasin surveillé - ce que fait déjà Fidzup).

Aujourd'hui, la réforme de la directive ePrivacy est débattue entre les États membres de l'Union. Peu d'États membres semblent vouloir contrer les dérives du Parlement en matière de géolocalisation.

D'une main, l'Union européenne prétend nous offrir une protection importante avec le règlement général sur la protection des données (RGPD). D'une autre main, elle réduit la protection de nos libertés afin de sauver quelques start-ups illicites et néfastes (inutiles).

Si les débats sur le règlement ePrivacy se confirmaient comme allant dans ce sens, il faudra s'opposer à toute idée de réformer le droit actuel - qui, couplé au RGPD, nous protège encore aujourd'hui des volontés de surveillance de sociétés telles que Teemo ou Fidzup et de leurs partenaires.