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La Quadrature du Net

source: La Quadrature du Net

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[blast-info.fr] Le pass sanitaire attaqué devant le conseil d’Etat

lundi 5 juillet 2021 à 12:00

La crise sanitaire a conduit le gouvernement à mettre en place de nombreux dispositifs exceptionnels. Parmi eux le pass sanitaire censé attester de l’état de vaccination d’une personne. Mais pour Bastien Le Querrec de la Quadrature du net, ce pass et en particulier son QR code comportent de nombreux risques pour la protection de nos données personnelles.

https://www.blast-info.fr/articles/2021/le-pass-sanitaire-attaque-devant…

[Marianne.Net] Sécurité : faut-il adopter la reconnaissance faciale systématique dans les transports ?

dimanche 4 juillet 2021 à 22:37

Dans son programme pour les régionales 2021, Valérie Pécresse prône la mise en place de la reconnaissance faciale dans les transports d’Île de France pour identifier des personnes recherchées par la police, ou bien des comportements suspects. Un gain pour notre sécurité ou la voie express vers la surveillance généralisée ? La parole à Arthur Messaud (La Quadrature du Net) et Frédéric Péchenard, chargé des questions de sécurité au conseil régional d’Île-de-France.

(…) Arthur Messaud : L’idée ne vient pas de Valérie Pécresse, mais d’entreprises comme Thales et Safran qui développent ces technologies et le discours qui va avec. Elles remettent parfois des brochures avec tous les éléments de langage à avancer. À défaut d’avoir construit un discours politique concret, certains vont l’ajouter dans leur programme électoral. Pour les industriels, il n’est pas question de restreindre ces technologies aux transports en commun. Les JO 2024 vont d’ailleurs constituer un moment clé à cet égard. Ce sera l’occasion d’une démonstration de la technicité de la France pour vendre ces matériels. (…)

https://www.marianne.net/societe/big-brother/securite-faut-il-adopter-la…

Projet de loi Renseignement : pérennisation de la surveillance de masse

jeudi 1 juillet 2021 à 13:30

Nous republions sur notre site la tribune d’Arthur Messaud et de Martin Drago, juristes à La Quadrature du Net, sur la loi Renseignement, publiée à l’origine par Le Monde le 29 juin – le texte a finalement été adopté dans la nuit du 29 au 30 juin

À partir du 29 juin, les sénateurs examineront en hémicycle le nouveau projet de loi en matière d’antiterrorisme et de renseignement. Nous les appelons à rejeter entièrement ce texte.

Parmi les nombreuses dispositions de ce texte attentatoire à nos libertés [1], l’une des plus graves concerne la surveillance de masse des communications par algorithmes, appelés aussi « boîtes noires ». Ces logiciels analysent l’ensemble des métadonnées (numéros de téléphone appelés, dates et durées des appels, etc.) transitant sur les réseaux afin de détecter des comportements qui, d’après les services de renseignement, pourraient révéler des activités terroristes. Voté comme une mesure expérimentale en 2015, le nouveau projet de loi veut pérenniser ce dispositif et lui permettre d’analyser désormais aussi les adresses des sites Web consultés.

L’analyse des communications est automatique, réalisée par des machines et non des humains. C’est tout le problème : alors que la surveillance « humaine » ne permettait que des analyses « ciblées », l’automatisation rend possible de surveiller l’ensemble du réseau — toute la population. C’est la logique de la surveillance de masse, du « tous suspects », qui est pérennisée en même temps que cette mesure.

État d’urgence perpétuel

Le fait que le dispositif soit limité à la prévention du terrorisme ne doit en aucun cas nous rassurer : ce critère a déjà été dévoyé pour surveiller des opposants politiques, que ce soit dans l’affaire de Tarnac [affaire politico-judiciaire qui a abouti, en avril 2018, à la relaxe quasi générale de huit militants anticapitalistes] ou dans les diverses mesures de censure contre le réseau Indymedia en 2017[une plate-forme de médias alternatifs]. Les services de renseignement n’étant limités par aucun contre-pouvoir indépendant, nous ne pouvons que redouter une pérennisation de ces dévoiements. Dans sa « Stratégie générale du renseignement » publiée en 2019, l’Élysée considère par exemple que « l’anticipation, l’analyse et le suivi des mouvements sociaux et crises de société par les services de Renseignement constituent une priorité » et que « anticiper les dérives violentes s’applique également […] aux affirmations de vie en société qui peuvent exacerber les tensions au sein du corps social ».

C’est notamment en raison de ces risques pour les libertés que la Cour de justice de l’Union européenne a, dans une décision du 6 octobre 2020, demandé à la France de restreindre l’utilisation de ces algorithmes à une période exceptionnelle de menace grave et imminente pour la sécurité nationale — ce qui, en droit français, renvoie aux périodes d’état d’urgence. Cette limitation n’apparaît nulle part dans le projet de loi du gouvernement, qui choisit donc de placer la France en manquement par rapport au droit européen. Il institue ainsi un état d’urgence perpétuel qui permet de suspendre le droit au secret des correspondances de l’ensemble de la population.

Ce n’est malheureusement pas la seule violation du droit européen qui sera entérinée par ce texte. En plus de permettre leur analyse par algorithme, le droit français exigeait que les métadonnées de l’ensemble de la population soient conservées pendant un an par les opérateurs Internet et de téléphonie. C’est ce qui permet à la police et aux renseignements de géolocaliser facilement des téléphones pour savoir, par exemple, qu’un militant a participé à telle ou telle manifestation. Ici encore, la Cour de justice a décidé en octobre 2020 que cette surveillance de masse n’était possible qu’en période d’état d’urgence. Pour contourner cette exigence, le gouvernement organise dans le nouveau projet de loi un état d’urgence systématique, pour que les métadonnées de l’ensemble de la population restent continuellement à disposition de la police et de l’administration, en violation du droit européen.

Acharnement sécuritaire

Comme si ce mépris flagrant de l’État de droit ne suffisait pas, le projet de loi aggrave la situation. Prétextant simplifier et sécuriser l’analyse algorithmique des métadonnées, l’article 13 du projet de loi propose de dupliquer et d’acheminer l’ensemble des données transitant sur les réseaux vers des locaux relevant du Premier ministre, où elles seront analysées en vue de détecter des communications suspectes. Une fois n’est pas coutume, même la CNIL s’inquiète dans son avis sur le texte que l’ensemble des données relatives aux appels téléphoniques et à l’accès Internet de la population soit ainsi centralisé par un service de l’État.

Tout aussi alarmant, l’article 10 prévoit que les opérateurs de réseaux et de messageries seront désormais contraints de coopérer avec les renseignements pour déployer des logiciels espions sur les appareils ciblés par le gouvernement. Même si nous ne voyons pas encore exactement comment les services pourraient s’y prendre techniquement, le ministère de l’Intérieur annonce trouver dans cette mesure de piratages massifs l’espoir, via la coopération des plus grands acteurs du Web, de contourner à grande échelle le chiffrement des communications.

Ces deux dernières mesures (coopération d’acteurs privés et copie de l’ensemble du trafic) étaient au cœur du scandale mondial provoqué en 2013 par les révélations d’Edward Snowden sur les pratiques des services de renseignement anglo-saxons. Huit ans plus tard, il semble que l’effondrement des libertés publiques soit devenu monnaie courante et n’intéresse plus grand monde, que ce soit au Parlement ou même dans la presse. L’acharnement sécuritaire du gouvernement au cours des dernières années et notamment des derniers mois (loi Sécurité globale, loi Séparatisme, loi Avia, crise sanitaire…) semble avoir largement entamé notre capacité collective à nous mobiliser contre des politiques qui, il y a peu, aurait pourtant été dénoncées comme totalement inacceptables.

[1] Voir notamment le communiqué de l’Observatoire des libertés et du numérique et de Wikimédia France du 15 juin 2021 : « Loi Renseignement 2, refuser l’emballement sécuritaire »

En France, des services de renseignement sans vrais contre-pouvoirs

jeudi 1 juillet 2021 à 12:51

Nous republions sur notre site la tribune de Félix Tréguer, membre de La Quadrature du Net, publiée à l’origine sur le site The Conversation le 27 juin – avant donc l’adoption du projet de loi par le Sénat dans la nuit du 29 au 30 juin

Huit ans après les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden, l’Assemblée nationale vient d’adopter, dans une certaine indifférence, le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. Le texte est désormais en cours d’examen au Sénat [il a finalement été adopté dans la nuit du 29 au 30 juin].

Il s’agit de la première révision d’ampleur de la loi renseignement adoptée en 2015. À l’époque, le gouvernement de Manuel Valls avait défendu ce texte en expliquant que la France était « l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre légal, cohérent et complet pour les activités de renseignement ».

Le rapporteur de la loi à l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, soulignait à l’envie combien elle constituait « un progrès de l’État de droit ». L’affaire était entendue : les services secrets voyaient leurs missions et leurs méthodes consacrées dans la loi ; le renseignement sortait autant que possible de l’exceptionnalité qui le caractérisait pour rentrer dans le rang des politiques publiques normales.

Cette manière de présenter les choses avait le mérite de reconnaître les lacunes historiques de la France en matière de contrôle des services de renseignement. Elle tendait cependant à faire oublier un important corollaire : le fait que la loi votée légalisait a posteriori des mesures de surveillance employées depuis des années en toute illégalité, ce qui aurait dû valoir aux responsables politiques et administratifs ayant autorisé ces programmes des poursuites pénales.

Le projet de loi débattu en ce moment même au Sénat est certes bien moins ambitieux que son prédécesseur de 2015. Il relève cependant d’une même logique, bien analysée par les sociologues Laurent Bonelli, Hervé Rayner et Bernard Voutat, laquelle consiste à recourir au droit pour légitimer l’action des services et préserver leurs marges de manœuvre.

Cette nouvelle loi cherche en effet à sécuriser sur le plan juridique des capacités de surveillance toujours plus étendues – telles les « boîtes noires » scannant le trafic Internet pour détecter des URL « suspectes » (article 13), le partage de données entre services français (article 7), ou l’obligation pour les opérateurs et gestionnaires de serveurs de collaborer avec les autorités pour « pirater » les messageries chiffrées (article 10), etc. –, tout en abritant les services de renseignement de tout réel contre-pouvoir.

Renforcer le contrôle du renseignement devrait pourtant constituer une priorité compte tenu de sa place croissante au sein de l’État. Depuis 2015, les services de renseignement ont vu leurs effectifs augmenter de 30 %, notamment pour développer leurs capacités technologiques. Dans ce contexte, le recours aux différentes techniques de surveillance connaît lui aussi une forte croissance et porte sur des domaines toujours plus sensibles pour les libertés publiques. Ainsi, l’activité consacrée à la surveillance des mouvements sociaux – érigée en priorité depuis 2019 à la suite du mouvement des Gilets Jaunes – a plus que doublée en trois ans, passant de 6 % du total des mesures de surveillance en 2017 à plus de 14 % en 2020.

En dépit de cette montée en puissance, la quasi-totalité des propositions visant à renforcer les dispositifs de contrôle sont restées lettres mortes, qu’elles émanent de la Délégation parlementaire au renseignement (la DPR, composée de députés et de sénateurs), de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL, censée contrôler les fichiers dits « régaliens »), ou encore de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (la CNCTR, qui rend des avis sur les mesures de surveillance sollicitées par les services).

Des échanges de données hors de tout contrôle

Depuis plusieurs années, la CNCTR demande par exemple de pouvoir contrôler le partage de données entre services de renseignement français et services étrangers. En France, la question est d’autant plus pressante que les flux de données échangés entre la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la National Security Agency (NSA) ont connu une augmentation rapide suite à la conclusion des accords SPINS, signés fin 2015 entre la France et les États-Unis pour renforcer la coopération des deux pays en matière de renseignement.

Or, la loi de 2015 proposée par le gouvernement Valls excluait explicitement tout contrôle de la CNCTR sur ces collaborations internationales, nourries par des réseaux de professionnels du renseignement jouissant d’une forte autonomie, et que le chercheur Didier Bigo a proposé d’appréhender à travers la notion de « guilde transnationale ».

Dans son rapport annuel publié en 2019, la CNCTR admettait que ce véritable trou noir dans le contrôle du renseignement présentait un risque majeur, puisqu’il pourrait permettre aux services français de recevoir de leurs homologues des données qu’ils n’auraient pas pu se procurer légalement au travers des procédures définies dans la loi française. Dans le langage feutré qui la caractérise, la commission estimait qu’« une réflexion devait être menée sur l’encadrement légal des échanges de données entre les services de renseignement français et leurs partenaires étrangers ».

Pour appuyer sa demande, la CNCTR évoquait la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Celle-ci a encore rappelé dans [son arrêt Big Brother Watch c. Royaume-Uni du 25 mai 2021 que ces échanges devaient être encadrés par le droit national et soumis au contrôle d’une autorité indépendante (§ 362). Or, à ce jour, la France est le dernier État membre de l’Union européenne à ne disposer d’aucun cadre juridique pour encadrer ces échanges internationaux. Ni le gouvernement ni les députés n’ont apparemment trouvé opportun d’y remédier.

La jurisprudence ignorée

Un autre principe essentiel dégagé par la jurisprudence européenne est le droit à l’information des personnes ayant fait l’objet d’une mesure de surveillance, dès lors qu’une telle information n’est plus susceptible d’entraver l’enquête menée à leur encontre par les services.

Dans un rapport publié en janvier 2018, la CNCTR passait en revue la jurisprudence afférente et mentionnait plusieurs exemples de législations étrangères – la loi allemande notamment – garantissant une procédure de notification des personnes surveillées et prévoyant un certain nombre d’exceptions étroitement limitées. Elle était forcée de constater que, en l’état du droit français, « les personnes surveillées ne peuvent être informées des techniques de renseignement mises en œuvre à leur encontre ». Le projet de loi élude complètement cet enjeu.

Le gouvernement a également choisi d’ignorer une autre exigence, encore rappelée par le Conseil d’État dans son arrêt du 21 avril 2021 relatif à la conservation généralisée des données de connexion. Dans cette décision qui donnait largement gain de cause au gouvernement, le Conseil d’État se fondait sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020 pour exiger que les avis rendus par la CNCTR sur les mesures de surveillance soient « conformes » (c’est-à-dire impératifs pour le gouvernement) et non plus simplement consultatifs. La CNIL l’a à son tour rappelé début mai dans son avis rendu sur le projet de loi. Nouvelle fin de non-recevoir du gouvernement.

Quant à la volonté conjointe de la DPR et de la CNCTR de garantir à cette dernière un droit de regard sur les fichiers du renseignement, elle se heurte à l’opposition farouche des services. Comme l’ont souligné les parlementaires de la DPR, il s’agit pourtant d’une étape cruciale du contrôle, seule capable de permettre à la CNCTR de « s’assurer qu’aucune donnée n’a été recueillie, transcrite ou extraite en méconnaissance du cadre légal, voire en l’absence d’une autorisation accordée par le Premier ministre ».

On sera par ailleurs bien en peine de trouver, dans le cadre juridique français, des dispositions encadrant d’autres activités typiques du renseignement et extrêmement sensibles du point de vue des libertés publiques. C’est le cas de la surveillance des lettres et des colis postaux, ou encore de l’infiltration de certains groupes par des agents du renseignement. Au Royaume-Uni, l’Investigatory Powers Act de 2016 couvre pourtant ces deux domaines.

Le loi française ne fait également aucune mention de la surveillance dite « en source ouverte », notamment sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter – une activité sur laquelle peu de choses ont fuité dans la presse mais dont on sait qu’elle a pris une importance croissante ces dix dernières années.

L’impossible transparence ?

Enfin, le texte aujourd’hui débattu au Parlement ne s’accompagne d’aucun progrès en matière de transparence des activités de renseignement. Pourtant, l’étendue du secret obère gravement la capacité des journalistes, des ONG, des chercheurs mais aussi d’autres acteurs institutionnels, comme les juges, à jouer leur rôle de contre-pouvoirs.

En dehors des quelques informations ayant filtré grâce au petit cercle de journalistes spécialisés disposant d’un accès à des sources au sein des services, et outre les rares allusions faites par les responsables du renseignement lors d’auditions parlementaires ou par la CNCTR, aucune information officielle n’est fournie sur la nature exacte des technologies utilisées par les services. Leur imbrication dans les processus de production du renseignement, la nature des marchés publics et l’identité des sous-traitants privés, et même les interprétations juridiques ayant cours au sein des services, restent également marqués par une grande opacité.

Là encore, la comparaison avec les principales puissances européennes du renseignement révèle en miroir le retard français. Il suffit pour s’en convaincre de consulter le rapport publié en août 2016 par David Anderson en marge du débat parlementaire sur l’Investigatory Powers Act en Grande Bretagne. Ce juriste en charge du contrôle indépendant des législations antiterroristes y faisait état des capacités technologiques en matière de collecte et d’exploitation « massive » de données («_ bulk powers_ »). Il donnait aussi plusieurs exemples de cas dans lesquels ces technologies étaient employées et évaluait leur intérêt opérationnel à partir de documents internes et d’entretiens avec certains hauts responsables.

En France, un tel degré de transparence semble pour l’heure inimaginable. Même si la CNCTR a fait quelques progrès dans la précision des informations fournies dans ses rapports, elle se contente pour l’essentiel de décrire l’état du droit et son évolution, ou de diffuser des statistiques générales sur les types de mesures autorisées et leurs finalités. On est encore loin du niveau de détail venant nourrir le débat public et alimenter les travaux des parlementaires, des journalistes ou des ONG dans des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne.

Faute pour le Sénat d’amender le projet de loi sur ces différents points, cette réforme constituera une nouvelle occasion manquée dans la tentative de réconcilier le renseignement français avec les normes internationales et les bonnes pratiques observées à l’étranger.

Point d’étape des lois renseignement, séparatisme et anti-piratage

mercredi 30 juin 2021 à 15:57

Ce mois de juin, le Parlement français aura discuté de trois textes différents qui portent tous en partie sur Internet. Chacun a pour effet, notamment, d’augmenter le pouvoir de censure et de surveillance de l’État sur les réseaux.

Difficile de ne pas angoisser quand on essaie de suivre (et surtout de lutter contre) les multiples projets de lois du gouvernement touchant au numérique en France.

Après une année 2020 particulièrement éprouvante (crise sanitaire, loi sécurité globale, loi Avia…), l’année 2021 ne baisse pas en intensité, au contraire. C’est ainsi que trois textes ont été en débat ce mois-ci devant le Parlement sur nos sujets : une nouvelle loi concernant (entre autres) les services de renseignement, une nouvelle loi concernant le « piratage » et la loi dite « Séparatisme » qui prévoit notamment un régime important de « régulation » des plateformes. Même si chacune de ces lois aura un effet significatif sur nos libertés, l’anéantissement du débat parlementaire, le mépris du débat public et l’épuisement des associations rendent le combat particulièrement difficile.

Si chacun de ces textes mériterait une analyse approfondie, nous vous proposons ici une revue rapide de leur contenu qui permet toutefois d’alerter sur leurs dangers et les dispositions à surveiller.

Notons que tous ces textes sont passés en « procédure accélérée », c’est-à-dire qu’il n’y a, sauf surprise, qu’une lecture par chambre, et donc réduction d’autant du débat parlementaire. Ce régime d’exception est devenu la normalité depuis le début du quinquennat – sans que personne ne s’en émeuve plus vraiment.

Loi sur la prévention d’actes de terrorisme et renseignement

Déposée le 28 avril 2021, débattue dans la foulée à l’Assemblée en seulement deux jours, et adoptée hier par le Sénat, la nouvelle loi anti-terrorisme et renseignement continue son avancée aussi rapide que discrète : vous en trouverez une analyse complète ici (et une tribune signée avec d’autres associations ici).

En résumé : pour la partie « renseignement », la loi n’est pas une simple mise à jour. Elle pérennise les « boîtes noires » (en étendant leur capacité de surveillance aux URL) et réaffirme – en le modifiant à la marge – le régime français de conservation des données de connexion. Le tout en pleine opposition avec l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (et dont on parlait ici).

Dans le même temps, elle donne de nouveaux pouvoirs aux services : facilitation des échanges d’informations entre la DGSI et la DGSE mais aussi avec des services publics comme la CAF ou Pôle Emploi, possibilité de conserver des données à des fins de recherche pour 5 ans, surveillance des communications satellitaires, possibilité de dupliquer l’ensemble du trafic vers les locaux du gouvernement et enfin possibilité de forcer les opérateurs à coopérer sur des techniques d’intrusion informatique.

Le projet a donc été adopté hier par le Sénat, en pleine nuit, dans un hémicycle quasi-vide. En tout : un peu plus de deux mois laissés au Parlement pour voter ces mesures profondément liberticides.

Loi anti-piratage

Formellement, cette loi est relative à « la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique ». Elle a été déposée au Sénat le 8 avril 2021, votée le 20 mai, transmise ensuite à l’Assemblée nationale qui l’a votée le 23 juin. Le texte est aujourd’hui en commission mixte paritaire, pour que les deux chambres s’entendent sur leurs versions. Deux mois et demi donc pour voter la loi.

Cette loi est en réalité la reprise partielle d’une ancienne loi sur l’audiovisuel abandonnée du fait de la crise sanitaire (que nous avions déjà commencé à analyser ici). Même si on pourra se réjouir du symbole que représente de la disparition de feu l’HADOPI (fusionnée avec le CSA pour créer l’ARCOM), la loi cherche en fait à accentuer la lutte contre le piratage. Le texte veut notamment permettre à la nouvelle ARCOM d’éditer des « listes noires » des « pires » sites de piratage (et de les rendre publiques – en espérant assécher ainsi le financement par la publicité de ces sites) et de demander à un opérateur (et à un juge si besoin) le blocage d’un site qui reprendrait totalement ou partiellement un site déjà jugé illégal (ce qu’on appelle les sites miroirs). Il crée aussi un dispositif spécifique pour le piratage des retransmissions sportives : la possibilité de saisir un juge et d’obtenir de lui une ordonnance dite « dynamique », c’est-à-dire une décision de justice pouvant être utilisée contre des sites qui n’ont pas encore été individuellement désignés mais qui pourront cependant faire l’objet d’un blocage (car retransmettant la même compétition que celle visée dans la décision de justice).

Bref, au lieu de supprimer HADOPI (on en parlait ici), ce projet la transforme en lui donnant un nouveau nom et de nouveaux pouvoirs. La seule réponse qu’a su donner le gouvernement aux changements apportés par Internet (et ses possibilités de partage non-marchand) a toujours été la même : non pas, par exemple, une réflexion sur le financement de la culture (on en parlait ici il y a déjà longtemps), mais toujours plus de surveillance, toujours plus de pouvoir à l’administration – multipliant les cas de censure sans juge.

Seul motif de soulagement : la « transaction pénale » voulue par le Sénat (qui revient à donner à l’ARCOM un pouvoir de sanction financière) a été supprimée par l’Assemblée nationale.

Loi Séparatisme

Dernière loi : celle sur le « séparatisme », devenue depuis loi sur « le respect des principes de la République ». Outre ses dispositions gravement liberticides hors Internet (voir par exemple les tribunes ici, ici ou encore ici), le projet contient tout un volet concernant les réseaux sociaux, notamment :

Sur cet article 19 bis, il est la transposition « en avance » d’un texte européen en construction, la directive « Digital Services Act ». Oui, le gouvernement a choisi de faire adopter en France un texte européen qui vient juste d’être proposé par la Commission européenne et qui doit encore faire l’objet de plusieurs mois (si ce n’est années) de discussions, et donc de modifications. Qu’importe, comme le dit Sacha Houlié (député LaREM), « si pour une fois nous pouvons prendre un peu d’avance, ça ne sera pas du luxe ».

Ce choix interviendra néanmoins au détriment de l’exercice des libertés sur le Net : le texte ne remet pas une seule fois en cause le modèle toxique des plateformes (et leurs modes de financement par la publicité ciblée) et préfère appliquer une succession d’obligations de transparence que Facebook et consorts appliquent sans doute déjà en partie (et en y soumettant Wikipédia, à l’encontre de toute compréhension de leur modèle – voir leur note de blog ici). Nous reviendrons sur l’ensemble de ces nouvelles obligations dans un autre article dédié ultérieurement.

Le texte a déjà fait un tour complet devant l’Assemblée et le Sénat, mais les parlementaires n’ont pas réussi à s’entendre et doivent maintenant repasser dessus au moins une fois. Il doit être débattu cette semaine à l’Assemblée avant de retourner de nouveau devant le Sénat.

Trois textes donc, tous traités en vitesse accélérée et qui risquent de transformer toujours plus Internet en un outil de surveillance de masse, géré par une autorité administrative toute-puissante, l’ARCOM. La stratégie d’épuisement du gouvernement marche à plein régime. Après la loi Avia et la loi Sécurité Globale en 2020, le gouvernement cherche à épuiser les oppositions en multipliant les fronts. Il révèle par la même occasion son mépris du débat public et parlementaire, à laquelle sa majorité dévouée lui permet d’échapper.