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La Quadrature du Net

source: La Quadrature du Net

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Décrets PASP : première bataille perdue contre le fichage massif des militants politiques

jeudi 7 janvier 2021 à 14:58

Le 4 janvier 2020, le Conseil d’Etat a rejeté les recours formés en urgence par plusieurs associations (et dans lesquels nous étions intervenus) contre les trois décrets PASP, GIPASP et EASP (plus d’explications ici).

Le fichage massif des militantes et militants politiques, de leur entourage, de leurs opinions politiques, de leurs données de santé ne sera donc pas suspendu. Comme il s’agit de fichiers étendus par un texte réglementaire, seul le Conseil d’État avait le pouvoir de freiner les ambitions sécuritaires du gouvernement – ce qu’il vient de refuser de faire, au moins pour l’instant. Ce refus révèle toute la défaillance du système qui prétend encadrer les fichiers de police : le seul contre-pouvoir placé face aux ambitions de la police est un Conseil d’État qui, sur les questions sécuritaires, démontre régulièrement son manque d’indépendance idéologique vis-à-vis du gouvernement et un certaine largesse dans l’application du droit (tel que dans la présente décision, où la démonstration juridique est aussi sommaire que confuse).

Cette décision marque par ailleurs une nouvelle étape dans la déchéance de la CNIL : outre ses avis bien timides sur les fichiers (avis non contraignants), la CNIL avait néanmoins émis un communiqué pour critiquer le fait qu’elle n’avait pu donner son avis sur le fichage des opinions politiques, convictions religieuses et appartenances syndicales. Le Conseil d’État a balayé cet argument en un paragraphe, sans réelle explication.

Ce n’est cependant qu’une décision visant le recours en référé-suspension (c’est-à-dire une demande visant à suspendre les décrets le temps que le juge administratif puisse examiner les recours au fond), qui n’augure en rien d’une possible annulation des décrets sur le fond. La bataille n’est donc pas entièrement perdue. Nous avons déposé fin décembre, en même temps que de nombreuses associations, nos trois recours contre ces décrets. Une décision devrait donc être rendue, sur le fond cette fois-ci, dans quelques mois.

Liberté pour Julian Assange

mardi 5 janvier 2021 à 17:47

Hier, la justice britannique a refusé la demande d’extradition de Julien Assange vers les États-Unis. Nous nous félicitons de cette décision, qui soulève cependant quelques questions. Car rappelons-le, Julian Assange est aujourd’hui inquiété du fait de son activité de journaliste, qui l’a amené à rendre publics notamment les crimes de guerre commis par l’armée américaine dans le cadre de ses opérations en Irak, mais aussi d’autres dossiers d’intérêt public.


Nous déplorons que le verdict ne s’appuie que sur les seuls risques qu’une extradition aurait engendrée sur l’état de santé mentale d’Assange. Nous rejoignons ainsi les critiques rappelant que le jugement n’a pas rejeté la demande américaine sur le fond, validant ainsi la pratique de procès politique remettant en question la liberté de la presse et le droit à l’information, principes pourtant au cœur de cette affaire. 

Nous appelons donc à la libération de Julian Assange dès aujourd’hui, pour lui permettre de continuer d’informer librement, et d’être jugé de manière équitable, sans subir les pressions des État-Unis, qui rappelons-le, ont déjà persécuté de nombreux lanceurs-ceuse d’alerte tel.le.s que Chelsea Manning.


Afin d’assurer sa protection, l’asile politique lui a été offert par le gouvernement mexicain, ce que nous saluons également. Nous regrettons que des pays dits « démocratiques » ne lui aient pas, eux aussi, offert asile.

Article de l’EFF sur le sujet : https://www.eff.org/deeplinks/2021/01/eff-statement-british-courts-rejection-trump-administrations-extradition-request
Notre article précédent en soutien à Assange : https://www.laquadrature.net/2020/09/08/freeassange/

Technopolice, villes et vies sous surveillance

dimanche 3 janvier 2021 à 09:41

Cet article a été écrit dans le courant de l’année 2019 et participe d’un dossier réalisé pour Ritimo “Faire d’internet un monde meilleur” et publié sur leur site.

Depuis plusieurs années, des projets de « Smart Cities » se développent en France, prétendant se fonder sur les nouvelles technologies du « Big Data » et de l’« Intelligence Artificielle » pour améliorer notre quotidien urbain. Derrière ce vernis de ces villes soi-disant « intelligentes », se cachent des dispositifs souvent dangereusement sécuritaires.

D’une part, car l’idée de multiplier les capteurs au sein d’une ville, d’interconnecter l’ensemble de ses réseaux et d’en gérer l’entièreté depuis un centre unique et hyper-technologique ne peut qu’entraîner une surveillance accrue de ses habitant·es. Mais d’autre part, car les promoteurs de tels projets ne s’en cachent pas et considèrent que le premier objectif d’une « ville intelligente » doit être la sécurité de ses habitant·es. C’est ainsi que Caroline Pozmentier, l’adjointe au maire de Marseille considère que : « La safe city est la première brique de la smart city », ou, que Marc Darmon, directeur général adjoint de Thales déclare que : « La sécurité est, avec la mobilité, le pilier le plus réaliste de la Smart City. »

Panorama de la Technopolice en France

Un ensemble de nouvelles technologies visant à la surveillance totale de l’espace public sont ainsi expérimentées en toute opacité sur le territoire français. C’est le cas de la vidéosurveillance automatisée (dit vidéosurveillance « intelligente ») qui vise à détecter certains comportements considérés comme suspects par ses promoteurs : détection de mouvement de foule, de personnes se mettant subitement à courir, ou suivi de silhouettes ou de démarches… De tels projets sont déjà à l’essai à Valenciennes, Toulouse, Nice et bientôt à Marseille. [1] La reconnaissance faciale est par ailleurs un type de vidéosurveillance automatisée qui connaît un développement inquiétant : au niveau national avec le TAJ (le fichier des « Traitements des Antécédents Judiciaires) qui concerne plusieurs millions de personne mais aussi à Nice, où la technologie a été testée sur la voie publique en 2019 ou dans la région Sud où un projet de portiques de reconnaissance faciale dans des lycées est encore en discussion.

Les drones font également partie intégrante de ces projets techno-policiers. Ils participent à l’idée de multiplier les flux de vidéo (avec les caméras fixes et les caméras-piétons) pour ne plus laisser aucun espace à l’abri du regard tout-puissant des autorités. L’image ne leur suffit d’ailleurs pas : les dispositifs de détection de sons se multiplient à leur tour. C’est ainsi que le projet « Serenicity » à Saint-Etienne, aujourd’hui abandonné, prévoyait d’installer des microphones dans les rues pour détecter les « bruits suspects » et aider à l’intervention automatisée de la police.

D’autres projets plus globaux sont en préparation. À Marseille, la ville cherche, à travers son projet d’ « Observatoire de la tranquillité publique », à agréger l’ensemble des données issues des services municipaux pour détecter et prévoir les incidents, dans l’objectif de « façonner la ville quasi-idéale ». À Nice, encore une fois, le projet « Safe City », porté par Thalès, veut « anticiper les incidents et les crises » et « collecter le maximum de données existantes » et « effectuer des corrélations et de rechercher des signaux faibles ».

Le fantasme d’une ville sécurisée

Le même objectif se retrouve à chaque fois dans ces différents projets : celui d’une ville totalement sécurisée, surveillée et fluidifiée à l’aide d’outils technologiques soi-disant miraculeux : reconnaissance faciale, vidéosurveillance « intelligente », police prédictive, application mobile de dénonciation citoyenne… Ces outils participent à la transformation de la ville en un espace où le hasard n’a plus sa place, où l’intelligence artificielle servira, comme l’annonçait Gérard Collomb, à « repérer dans la foule des individus au comportement bizarre », où l’on parle de l’« optimisation de la gestion [des] flux » : une ville finalement où l’humain n’a plus sa place mais devient un capteur comme les autres, pour un maire qui se voit maintenant qualifié de « CEO de la ville »…

Car c’est l’un des pendants du développement de ces projets : la délégation à des entreprises privées de la gestion de la ville. Se retrouvent dans l’administration de nos espaces publics des logiques de marché, de concurrence, de normalisation qui y sont totalement étrangères et qui ne peuvent conduire qu’à des dérives, la première étant d’en faire des terrains d’expérimentations pour ces start-up qui peuvent développer en toute impunité leurs outils de surveillance. Caroline Pozmentier, encore elle, n’hésite ainsi même pas à déclarer que « les villes sont des laboratoires » pour ces outils technologiques de surveillance.

Un autre pendant de ces projets, c’est la militarisation de notre espace public : les drones sont avant tout un outil militaire dont l’utilisation commence pourtant à se normaliser au cœur de nos villes. Qui était ainsi derrière le projet de « Serenicity » à Saint-Etienne ? L’entreprise Verney Carron, fabricant d’armes et fournisseur de lanceurs de balle de défense Flash-balls pour la police et la gendarmerie nationale.

Terrorisme et nouveaux marchés industriels

Pourquoi ces projets sont-ils mis en place ? La première réponse à apporter est devenue une évidence dans le contexte politique des dernières années : la « menace terroriste », érigée en grand ennemi public face auxquels tous les Français·es ont le devoir de se rallier, s’est imposée comme un argument politique imparable. C’est en son nom qu’ont été notamment adoptées la loi Renseignement en 2015 ou la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » en 2017. Ces textes, ainsi que d’autres à venir, nous amputent pourtant chaque fois d’un peu plus de liberté. Au nom de la lutte contre le terrorisme, tout est maintenant acceptable car la lutte contre le terrorisme fait élire.

Désormais tout ce qui permet aux élu·es de se revendiquer de la « sécurité » vaut le coup. Les caméras de surveillance, qui sont présentes par dizaines de milliers dans nos villes, n’ont jamais réellement fournit la preuve de leur efficacité mais continuent pourtant de se multiplier. Nice est la ville la plus équipée en caméras de France, et elle l’était déjà en juillet 2016 lors de l’attentat sur la promenade des Anglais, sans qu’elle n’ait permis d’éviter quoi que ce soit.

Qu’importe, les choix d’augmentation des dispositifs de surveillance ne sont jamais faits dans le but d’augmenter de façon effective la sécurité. Si c’était le cas, cet argent serait orienté vers la rénovation des immeubles proches de l’effondrement à Marseille au lieu de l’être dans le projet de l’ « Observatoire de la tranquillité publique ». Le but des élu·es est finalement beaucoup plus clair : augmenter le sentiment de sécurité, et cela dans un objectif purement électoraliste.

La deuxième réponse est d’ordre économique. Derrière la mise en place de ces technologies se cache l’ouverture de nouveaux marchés : Thalès, Cisco, Huawei et d’autres industriels préparent ces projets depuis longtemps avec la volonté de vendre, clés en main, de nouveaux équipements aux villes qui le souhaiteraient. L’idée est de généraliser ces systèmes au maximum. Thalès a par exemple finalisé en avril le rachat de l’entreprise Gemalto, à l’origine du système PARAFE, qui gère le contrôle d’identité aux frontières dans les aéroports afin de se positionner en leader de la sécurité de la surveillance. Pour s’ouvrir à ce marché des villes sécuritaires, les industriels, les élu·es et les start-ups nous inondent de discours sur la ville intelligente et leur progrès technique inéluctable au service d’une soi-disante sécurité.

Enfin le dernier argument – le plus inquiétants au regard du respect de nos droits et libertés – est d’ordre politique. Ces technologies ont pour but de rendre l’espace urbain plus contrôlable et prévisible. Pour certain·es élu·es, les technologies de surveillance couplées à l’intelligence artificielle sont les outils parfaits pour l’exécution de leur fantasme sécuritaire. Christian Estrosi déclare ainsi vouloir « suivre, grâce au logiciel de reconnaissance faciale dont est équipé [le] centre de supervision urbain [de Nice], toutes les allées et venues des [fichés S] ». Dans le cadre de mouvements sociaux de plus en plus difficiles à réprimer, les outils de surveillance ont un impact normatif sur la société dont les dirigeant·es sont bien conscient·es : se savoir surveillé·e est en effet bien souvent aussi efficace que la surveillance en elle-même.

Dans cette atmosphère de progrès technologique fantasmé, les solutions techno-sécuritaires pré-fabriquées proposées par ces différents industriels se présentent comme la solution de facilité pour se faire élire et contenir plus facilement la population. Les argumentaires de lutte contre le terrorisme et de développement économique finissent d’entériner l’idée de contrôle total et massif de l’espace public.

Technopolice contre surveillance

La campagne Technopolice, lancée en septembre 2019 par La Quadrature du Net et d’autres associations, a pour objectif de mettre en lumière le développement de ces dispositifs, de partager les informations et de mettre en place la résistance nécessaire face à ces nouveaux outils de surveillance. De telles mobilisations ont déjà porté leurs fruits : les projets de portiques de reconnaissance faciale à Nice et de microphones dans les rues de Saint-Etienne ont été pour l’instant arrêtés en France par la Cnil. Ces projets craignent en effet la lumière, et le débat public peut y mettre un premier frein. Aux États-Unis, des mobilisations semblables ont par exemple conduit de nombreuses villes à prendre des arrêtés interdisant l’utilisation de la reconnaissance faciale.

Le but de la plateforme Technopolice est ainsi double : documenter de la manière la plus rigoureuse possible le déploiement de ces projets de surveillance à travers le pays, et construire ensemble des outils et des stratégies de mobilisation capables de les tenir en échec. L’enjeu, c’est de parvenir à organiser des résistances locales en les fédérant afin qu’elles puissent se nourrir les unes les autres. Vous pouvez dès à présent nous rejoindre sur forum.technopolice.fr pour participer à l’analyse et à la lutte contre le développement de ces projets sécuritaires.

Contre cette dystopie que préparent ceux qui prétendent nous gouverner, nous appelons à une résistance systématique.

Interdiction des drones : victoire totale contre le gouvernement

mardi 22 décembre 2020 à 15:25

Le Conseil d’État vient d’exiger que la préfecture de police de Paris cesse sa surveillance par drones des manifestations (voir sa décision). Allant encore plus loin que son interdiction de mai dernier, la plus haute juridiction administrative est particulièrement virulente contre l’utilisation de drones en manifestation, laissant peu de place au gouvernement pour autoriser ceux-ci dans sa PPL Sécurité Globale. Le rapport de force s’inverse enfin : engouffrons-nous dans la brèche !

Comme nous le racontions, à la suite de la première interdiction exigée par le Conseil d’État en mai dernier, la préfecture de police de Paris a continué à utiliser les drones pour surveiller, notamment, les manifestations. Nous avons été donc forcé·es de former un nouveau recours contre cette surveillance illégale, recours que nous venons donc de gagner devant le Conseil d’Etat.

La préfecture de police avait tenté, pour contourner l’interdiction faite par le Conseil d’État d’utiliser des drones, d’ajouter un dispositif de floutage par intelligence artificielle. Aujourd’hui, le Conseil d’État a entièrement rejeté cette tentative grotesque d’esquiver la loi. La préfecture de police est donc enjointe d’arrêter immédiatement le déploiement de drones en manifestation.

Le Conseil d’État va même plus loin et dénonce le dispositif dans son essence : « le ministre n’apporte pas d’élément de nature à établir que l’objectif de garantie de la sécurité publique lors de rassemblements de personnes sur la voie publique ne pourrait être atteint pleinement, dans les circonstances actuelles, en l’absence de recours à des drones ».

En droit des données personnelles, si l’utilité d’un dispositif de surveillance n’est pas clairement démontrée, il ne peut jamais être autorisé (en matière de données sensibles, telles que les opinions politiques captées en manifestation, il faut même que le dispositif soit « absolument nécessaire » au maintien de l’ordre).

En dénonçant l’absence d’une telle preuve, le Conseil d’État prive donc l’article 22 de la proposition de loi Sécurité Globale de tout fondement. Cette décision du Conseil d’État est une double claque pour le gouvernement : non seulement les drones sont interdits, mais le gouvernement a perdu toute légitimité juridique à vouloir les autoriser dans la loi (à moins d’apporter l’impossible preuve d’une « nécessité absolue »).

Après de longues semaines douloureuses à subir une série de projets autoritaires et de violences en manifestation, il se pourrait que le rapport de force commence enfin à s’inverser, le camp sécuritaire connaissant sa première défaite majeure. L’année 2021 commencera dans cette optique et, avec vous, nous vaincrons !

Pour documenter la lutte, nous détaillons ci-dessous l’ensemble du débat juridique contre le gouvernement qui, commençant il y a 6 mois, a conduit à la victoire d’aujourd’hui.

Premier confinement : le déploiement sauvage de drones déclaré illégal

En avril 2020, alors que la France connaissait un premier confinement , nous documentions comment les différentes forces de police en profitaient pour mettre à l’essai un usage totalement sauvage et opaque des drones. La tentation sécuritaire derrière cette initiative était très forte et assumée : celle de surveiller tout, tout le temps, par des moyens toujours plus intrusifs. C’est début mai, suite à un article de Mediapart qui avait obtenu des détails sur les drones parisiens, que nous attaquions en urgence cet usage aux côtés de la Ligue des droits de l’Homme dans la ville de Paris. Au-delà de ce cas particulier, le but de ce recours était d’obtenir une décision de justice démontrant l’illégalité de l’ensemble des déploiements de drones.

Le Conseil d’État nous a donné raison. Par une ordonnance de mai 2020, il enjoignait ainsi à la préfecture de police de Paris de cesser d’utiliser ses drones pour faire respecter les mesures sanitaires. Le juge estimait que les drones, en l’absence de tout encadrement, portaient atteinte aux libertés fondamentales et devaient être interdits. Si la décision de mai ne concernait que les drones utilisés à Paris pour faire respecter les règles propres au confinement, le raisonnement affiché par le Conseil d’Etat pouvait être utilisé de façon plus large et s’appliquer contre tout type d’usage. Ce qui n’a pas empêché le préfet Lallement de l’ignorer de façon délibérée.

Les manifestations : nouveau terrain de surveillance par drones

Avec l’assouplissement des mesures sanitaires et la ré-autorisation des manifestations, la préfecture de police ne s’est pas privée d’utiliser les drones pour surveiller ces rassemblements. Cet usage n’était pas nouveau (les manifestations de gilets jaunes ont quelquesfois été surveillées par drones avant le confinement), mais il venait cette fois-ci violer frontalement la décision du Conseil d’État qui venait de déclarer leur utilisation illégale quelques semaines plus tôt.

C’est grâce à votre aide que nous avons pu documenter cet usage par la préfecture de police : en juin, juillet, septembre, octobre. Lors de la procédure, la préfecture de police n’a jamais contesté cette utilisation systématique des drones en manifestation.

Surtout, si cette surveillance des manifestations restait illégale, elle questionnait l’usage des drones sous un angle nouveau : les opinions politiques n’ont pas à être surveillées. C’est pour cela que nous avons déposé un nouveau recours en urgence devant le Tribunal administratif de Paris.

Le floutage des personnes : un artifice dangereux

Grâce à cette nouvelle procédure, il nous a été révélé que la préfecture de police de Paris a tenté de contourner la première ordonnance de mai en mettant en place un dispositif de floutage par intelligence artificielle : une fois captées, les images des drones étaient transmises à un serveur chargé de flouter les personnes, avant de retransmettre les informations (images floutées et non-floutées) au centre de commandement de la police.

Mediapart analysait en novembre les documents de la préfecture tentant de justifier et d’expliquer ce procédé. Ce dispositif de floutage, réversible et soumis au seul bon vouloir de la police, était une tentative grossière de la préfecture de police de tromper les juges. Le Conseil d’État, contrairement au tribunal administratif de Paris, n’est pas tombé dans le piège : le rapporteur public1Le rapporteur public est un magistrat chargé de donner une première analyse juridique de l’affaire, avant que la formation de jugement rende sa décision.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_16744_1').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_16744_1', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], }); estimait à l’audience que la préfecture de police avait commis une erreur de lecture de l’ordonnance de mai et que le fait de flouter les personnes souligne le problème intrinsèque aux drones : ce genre de dispositif a bien une capacité très importante de surveillance et un floutage a posteriori n’enlève rien à cela.

La CNIL doit mettre fin à la mauvaise foi de la police

Cette affaire met en lumière l’incroyable mauvaise foi de la préfecture de police qui, durant toute la procédure, a tenté de sauver son dispositif à l’aide d’indignes pirouettes, faisant ainsi évoluer sa doctrine d’utilisation des drones au gré des débats2Fort heureusement, comme en mai dernier, le Conseil d’État n’a donné aucune valeur à cette doctrine qui n’a aucune portée juridique.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_16744_2').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_16744_2', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });, ou n’hésitant pas à contredire de manière éhontée ses propres documents quand nous les retournions contre elle pour appuyer l’illégalité du déploiement des drones.

La préfecture de police est en roue libre et il est fondamental de mettre fin à cette impunité. Le préfet de police, après près de deux mois continue de violer en quasi-impunité les libertés. La CNIL doit passer à l’action et sanctionner les forces de police nationale et de gendarmerie qui continuent d’utiliser des drones ou des hélicoptères pour surveiller les manifestations ou faire appliquer les règles sanitaires. Nous lui avons mâché le travail, à elle de prendre le relais.

Cette nouvelle interdiction des drones intervient alors que la proposition de loi Sécurité Globale a déjà été votée en première lecture à l’Assemblée nationale et arrivera à la rentrée devant le Sénat. Après les critiques des rapporteur·es des Nations Unies de la Défenseure des droits et de 188 organisations, et les manifestations qui ont eu lieu partout en France contre ce texte, son rejet est d’autant plus important. Non seulement cette loi légalise les usages policiers de drones et accentue une fois de plus la pression sécuritaire sur les citoyen·nes, mais elle fait également fi de la protection la plus élémentaire des libertés fondamentales.

References

1 Le rapporteur public est un magistrat chargé de donner une première analyse juridique de l’affaire, avant que la formation de jugement rende sa décision.
2 Fort heureusement, comme en mai dernier, le Conseil d’État n’a donné aucune valeur à cette doctrine qui n’a aucune portée juridique.
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Contre la politique de maintien de l’ordre en ligne

lundi 21 décembre 2020 à 18:24
Photo by Ralph (Ravi) Kayden on Unsplash

Depuis un mois nous vous parlons de la loi Sécurité Globale, de fichiers de police étendus, des nouveaux moyens donnés à la police pour réprimer les manifestants et des moyens de dénonciation des violences policières qui leur sont retirés. Aujourd’hui nous abordons les stratégies de maintien de l’ordre en ligne.

La censure, première arme de maintien de l’ordre sur internet

Depuis la création d’Internet, il semble que nos gouvernants n’aient eu de cesse de le présenter comme un « espace de non-droit » qu’il faudrait au plus vite « re-civiliser », y rétablir l’ordre. Si l’année 2000 a d’abord vu apparaître un statut européen protecteur des hébergeurs, préservant ces derniers de toute obligation de contrôle actif des contenus publiés sur leurs infrastructures sauf à « retirer promptement un contenu manifestement illicite qui leur aurait été désigné », différentes lois se sont enchaînées depuis pour renforcer la censure d’État.

La police est ainsi la première entité à bénéficier d’un très fort pouvoir de censure au prétexte de lutter contre le « terrorisme ». Lorsque la police demande à ce qu’un contenu soit censuré, elle s’adresse directement à l’hébergeur. Aucun juge n’intervient alors à ce stade et la police est la seule à décider de la nature d’un contenu qu’elle veut faire censurer, sur la base d’une notion de « terrorisme » particulièrement large, floue et sujette à l’arbitraire. Le seul recours offert est la contestation devant les tribunaux de la demande de censure mais cette possibilité est dérisoire : le juge arrive après la demande de la police, des mois voire des années plus tard. Ce mécanisme, dans lequel le juge n’intervient qu’en cas de contestation, prive les hébergeurs de toute marge de manœuvre quant à ces demandes, et les place dans une position de faiblesse. De l’autre coté, ce système offre à la police de vastes capacités d’abus et de censures politiques1L’affaire d’IndyMedia Nantes un exemple d’abus assez parlant : la police voulait censurer une revendication de sabotage et la justice, parce que l’hébergeur est allé jusqu’au bout et a tenu, a fini par déclarer abusive la demande de la police.<script type="text/javascript"> jQuery('#footnote_plugin_tooltip_16710_1').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_16710_1', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.

Les géants du Net, bras armé de l’État

Loi haine, Règlement européen de censure terroriste, loi Fake News, Directive Copyright, toutes ces lois de censure de ces dernières années remettent en question la protection du statut d’hébergeur, en leur confiant le rôle de police sur Internet. 1h pour censurer les contenus considérés comme « terroristes », 24h pour censure les contenus ciblés comme « haineux », la mission confiée ici aux géants du web à travers cette exigence de délais si courts est de créer une police robotisée pour automatiser la censure. Sous couvert de lutte contre la haine ou le terrorisme, ce sont bien souvent les opposants politiques qui sont visés.

Lire notre article Une loi contre la haine anti-macron ? »

Les géants, tout à fait enclins à obéir aux États tant qu’ils conservent leur position dominante sur le marché illégal des données personnelles, font même du zèle appliquant ces lois avant même leurs applications.

Contre la censure et la surveillance en ligne, la décentralisation

Depuis quelques jours nous avons vu s’inscrire sur notre instance Mastodon, mamot.fr, plus de mille personnes ayant souffert de la censure politique de Twitter. Beaucoup d’entre eux nous ont demandé quelle était notre politique de conservation des données et de censure. Il y a trois ans nous avons fait l’objet d’une réquisition concernant les données personnelles d’un utilisateur de mamot. Si la loi française « pour la confiance en l’économie numérique » demande aux hébergeurs de conserver les données des utilisateur·ices pendant un an, La Quadrature a choisi de respecter le droit européen et de ne conserver ces données que 14 jours.

Lire notre article Réquisition de mamot.fr, LQDN s’en tient aux droits fondamentaux

Qu’il s’agisse de régime de conservation et de communication à la police de données personnelles ou de modération et de filtrage des contenus publiés, nous gagnerons toujours à avoir une diversité d’hébergeurs et à lutter contre la centralisation des contenus et des personnes. C’est pourquoi, même si les nouveaux venus sur mamot.fr sont les bienvenus, nous vous encourageons à ne pas vous concentrer sur ce serveur : de nombreuses instances existent et vous pouvez aussi créer les vôtres afin d’utiliser les nombreuses possibilités de modération qu’offre la décentralisation, et surtout créer des espaces dont vous choisissez les règles. Nous envisageons d’ailleurs de clore bientôt les inscriptions sur mamot.fr afin d’éviter qu’elle ne devienne une instance trop grosse.

Interopérabilité

Sur tous les réseaux, le poids de l’organisation verticale décidée unilatéralement se fait de plus en plus sentir. Il nous revient à toutses de créer ou de trouver des espaces pour communiquer qui ne soient plus assujettis aux principes économiques des plateformes ou aux principes sécuritaires des États. Mais quitter les plateformes des géants revient souvent à abandonner des liens importants et nombreux sont ceux qui choisissent de céder un peu de leur libertés pour préserver ces liens.
Pour permettre à tout le monde de préserver ses liens sociaux et ses libertés, La Quadrature propose depuis deux ans de contraindre les géants à devenir interopérables. C’est-à-dire, de les forcer à communiquer avec l’extérieur comme c’est le cas pour le mail : peut importe votre hébergeur mail, vous pouvez écrire à n’importe quel autre adresse email car le protocole est ouvert.
Pour les réseaux sociaux c’est possible aussi : le protocole ActivityPub permet par exemple aux différentes instances Mastodon de communiquer entre elles. Ce protocole permet même de faire communiquer des réseaux qui ont des activités différentes (publications d’images, de vidéos, de billets de blogs…). Si les plateformes géantes étaient interopérables, il deviendrait possible de supprimer nos compte et de refuser de se soumettre entièrement à leur Conditions Générales d’Utilisation, pour passer sur des services qui respectent nos droits, voire même héberger soi-même son propre compte !

Lire notre lettre commune Pour l’interopérabilité des géants du web

Forcer les géants du Net à devenir interopérable est un projet probablement aussi ambitieux que d’imposer la neutralité du Net. L’Union européenne pourrait commencer à se saisir de cet enjeu dans son récent Digital Market Act, qu’il faudra pleinement investir dans les mois à venir.

Depuis 2008, La Quadrature se bat contre la surveillance et la censure sur Internet, nous dénonçons les loi liberticides et tentons de faire pression sur nos représentant·es pour qu’iels préservent nos droits. Pour que La Quadrature continue ses combats nous avons besoin d’énergie et d’argent. Pour nous aider à lutter contre ces futurs sécuritaires, parlez de nos combats autour de vous et faites un don si vous le pouvez sur laquadrature.net/donner

References

1 L’affaire d’IndyMedia Nantes un exemple d’abus assez parlant : la police voulait censurer une revendication de sabotage et la justice, parce que l’hébergeur est allé jusqu’au bout et a tenu, a fini par déclarer abusive la demande de la police.
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