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La Quadrature du Net

source: La Quadrature du Net

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[LaCroix] L’autorégulation des plates-formes est dangereuse et inefficace

lundi 8 juillet 2019 à 12:00

Entretien. Arthur Messaud, juriste de l’association La Quadrature du Net.

Laisser aux géants de l’Internet la mission de réguler leurs contenus est à la fois inefficace et liberticide. Facebook veut rassurer ses utilisateurs et passer pour une plate-forme sécurisée, pour que ces derniers continuent de l’utiliser. L’entreprise investit donc déjà des moyens importants au service de la modération. À ce titre, elle prétend utiliser des outils de pointe tels que l’intelligence artificielle, avec entre autres la reconnaissance automatique d’image, afin de repérer les publications haineuses ou les fausses informations. […]

https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Lautoregulation-plates-formes-dangereuse-inefficace-2019-06-18-1201029715

[NDLRP : Soutenons notre internet, La Quadrature a besoin de vos dons.]

[LeMoutonNumerique] Moutonery Report : quand la police prédictive entre dans nos vies

lundi 8 juillet 2019 à 11:00

Félix Tréguer est chercheur associé au Centre Internet et Société du CNRS, post-doctorant au Centre de recherches internationales (CERI Sciences Po), et membre fondateur de l’association La Quadrature du Net.

Il nous a rejoint pour ce premier podcast qui interroge un sujet essentiel pour l’organisation de nos sociétés technologiques : la police prédictive et le pré-crime. […]

http://mouton-numerique.org/podcast-mouton-numerique/felix-treguer/

NDLRP – À retrouver aussi sur le Peertube de La Quadrature du Net :

[Soutenons notre internet, La Quadrature a besoin de vos dons.]

Résumé de la loi « haine » avant le vote de demain

mardi 2 juillet 2019 à 14:17

L’Assemblée nationale discutera demain et après-demain la proposition de loi « contre la haine en ligne ». Débattue en procédure accélérée, il pourrait s’agir du dernier passage de ce texte devant les députés. Leur dernier occasion pour le corriger.

Résumons la loi et nos critiques (pour notre analyse complète, voir ici).

Délai de 24h

Contenus censurés

Sites miroirs

Internet transformé en TV

Interopérabilité

Notre proposition sur l’interopérabilité, qui pourrait rendre utile cette loi autrement vaine et dangereuse, a été reprise dans 7 amendements déposés pour le débat de demain. Ces amendements réunissent les signatures de 64 députés, allant du centre-droit à la gauche. L’Assemblée nationale doit les adopter.

À l’opposé, le groupe En Marche propose un amendement pour obliger les plateformes à détecter la réapparition de tout contenu préalablement censuré, et ce avant même que cette réapparition ne leur soit signalée. Il s’agirait d’une violation pure et simple de l’article 15 de la directive européenne eCommerce qui définit depuis 2000 le statut juridique des hébergeurs : « Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires […] une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». Cet amendement doit être rigoureusement rejeté.

Suivez le vote dès demain 16h30 sur le service vidéo de l’Assemblée. La lutte contre la haine ne doit pas être instrumentalisée pour renforcer le contrôle du Net par le gouvernement.

La loi « haine » va transformer Internet en télévision

lundi 1 juillet 2019 à 12:50

La proposition de loi portée par Laetitia Avia prétend vouloir faire du CSA « l’accompagnateur des plateformes » dans la lutte « contre la haine en ligne ». En réalité, la loi va beaucoup plus loin. Comme cela est redouté depuis plusieurs années, elle amorce la transformation de l’autorité en un grand régulateur de l’Internet, dans la droite lignée du « Comité Supérieur de la Télématique » fantasmé par François Fillon dès 1996. Entretenant la dangereuse confusion entre Internet et la télévision, la loi Avia participe à la centralisation et à l’extra-judiciarisation de l’Internet. Quitte à risquer de le transformer en une sorte de sombre ORTF 2.0.

La proposition de loi portée par Lætitia Avia doit être débattue à l’Assemblée Nationale le 3 juillet prochain. À côté des dangers que nous avons déjà soulignés (voir notre analyse juridique), la loi délègue un grand nombre de pouvoirs au CSA :

Il faut ranger ces pouvoirs à côté de ceux aussi acquis par le CSA dans la récente loi sur les fake news, (dite loi « relative à la lutte contre la manipulation de l’information »). Le CSA y avait en effet déjà récupéré des pouvoirs assez semblables, comme celui d’émettre des recommandations pour « améliorer » la lutte contre ces fausses informations.

Une vieille et mauvaise idée

Avant de comprendre les dangers qui pourraient résulter d’une telle délégation de pouvoirs, intéressons-nous rapidement à l’historique des relations entre le CSA et l’Internet. Car ce n’est pas la première fois que l’autorité veut s’arroger ce type de pouvoir.

Ainsi, en 1996, François Fillon, alors ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace, dépose un amendement dans le cadre des débats sur le « projet de loi sur la réglementation des télécommunications ». Il y propose la création d’un « Comité supérieur de la télématique » (CST), placé auprès du CSA, chargé d’élaborer des recommandations « propres à assurer le respect, par les services de communication audiovisuelle […] des règles déontologiques adaptées à la nature des services proposés ». Comme le raconte Owni.fr, il s’agissait surtout d’obliger les fournisseurs d’accès à Internet, en échange d’une non-responsabilité pénale des contenus postés, à suivre les recommandations de ce Conseil. Ce dernier allait ainsi devenir, selon Lionel Thoumhyre, « l’organe directeur de l’Internet français, gouverneur de l’espace virtuel ». L’article de loi a été par la suite heureusement censuré par le Conseil constitutionnel.

Depuis, l’autorité n’a jamais baissé les bras, aidée par de nombreuses personnalités politiques 1Pour un récapitulatif et une analyse plus complète, voir notamment l’article de Félix Tréguer sur le sujet, en 2015 : « Le CSA et la régulation d’Internet : une erreur ontologique »).<script type="text/javascript"> jQuery("#footnote_plugin_tooltip_2564_1").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_2564_1", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] });. Citons Dominique Baudis (président du CSA de 2001 à 2007) qui énonce en 2001 : « Je considère que tout ce qui concerne les médias audiovisuels, qui s’adressent à une masse de gens et qui ne sont ni du ressort de la correspondance privée, ni du commerce en ligne, relève de notre compétence. Le fait qu’ils ne soient disponibles que sur internet n’y change rien ». Ou en 2004 également, le gouvernement qui tente de profiter de la loi LCEN pour faire du CSA un grand régulateur de l’Internet (ce qui est finalement rejeté par le Parlement après de nombreuses critiques). Les tentatives reviendront ainsi à chaque débat, notamment sur les lois de l’audiovisuel.

Plus récemment encore, c’est Emmanuel Macron en novembre 2017, qui instrumentalise les violences faites aux femmes pour légitimer l’extension des pouvoirs du CSA. Et en septembre 2018, c’est le CSA lui-même qui appelle à ce que la régulation audiovisuelle comprenne désormais « les plateformes de partage de vidéos, les réseaux sociaux et les plateformes de diffusion en direct », précisant même que « la régulation doit permettre d’assurer que ces nouveaux acteurs mettent en place les mesures appropriées en matière de protection des mineurs, de lutte contre la diffusion de contenus incitant à la haine et à la violence […] ».

Pourquoi le CSA pour Internet, c’est mal

En lisant la loi Avia et les pouvoirs qui lui sont délégués, on ne peut que faire ce ce constat déprimant que le CSA est en train, à l’usure, de gagner. En lui donnant le pouvoir d’apprécier si l’opérateur a correctement retiré un contenu considéré comme « haineux », en lui donnant un pouvoir de sanction, en lui permettant d’émettre des recommandations sur la haine en ligne (comme elle le fait déjà sur les « fausses informations »), la proposition de loi se rapproche dangereusement de l’idée du « Comité Supérieur de la Télématique » de 1996 et participe donc à la confusion grandissante qu’il y a entre Internet et la télévision.

Or, faire cette confusion, c’est insulter ce que représente au départ Internet : un moyen justement de se soustraire à l’information linéaire et unilatérale de la télévision par la multiplication des canaux d’expression. L’analyse que faisait LQDN sur le sujet il y a plusieurs années tient toujours, et donne d’ailleurs la douloureuse impression de tourner en rond : « Le CSA régule la diffusion de contenus, de façon centralisée, par des acteurs commerciaux. Tenter d’imposer le même type de règles à la multitude d’acteurs, commerciaux et non-commerciaux, qui constituent le réseau décentralisé qu’est Internet, dans lequel chacun peut consulter, mais également publier des contenus, est une aberration. Internet c’est aussi la diffusion de vidéos, mais c’est avant tout la mise en œuvre de nos libertés fondamentales, le partage de la connaissance et de la culture, la participation démocratique, etc ».

Au-delà de l’aberration, vouloir télévisionner l’Internet, c’est vouloir le centraliser. C’est un moyen pour le gouvernement de reprendre le contrôle sur ce moyen d’expression qu’il ne maîtrise pas et cela passe par la création de lois pour et avec les grandes plateformes, en ne voyant Internet que par le prisme faussé des géants du Net, avec la menace qu’elles s’appliquent un jour à tous. Car il est toujours plus facile de ne traiter qu’avec un nombre restreint de gros acteurs (d’ailleurs plus prompts que les autres à collaborer avec lui.).

C’est aussi mettre dans les mains de l’administration des pouvoirs qui appartenaient auparavant au juge. C’est bien au CSA et non à un juge qu’il reviendra de décider si un contenu est haineux et méritait donc pour un opérateur d’être retiré en 24h. Et c’est donc, comme c’est déjà le cas pour la télévision, à l’administration qu’il reviendra de dire ce qui peut être dit ou diffusé sur Internet. Difficile à ce titre de ne pas faire le lien avec les récentes déclarations du secrétaire d’État au numérique qui menace cette fois-ci la presse de donner au CSA le pouvoir de « décider ce qu’est une infox ou pas ».

On en vient alors à se demander si, à travers cette loi, le gouvernement n’est pas en train d’instrumentaliser les débats sur la haine en ligne, ses victimes et Laetitia Avia elle-même pour reprendre la main sur Internet.

En déléguant au CSA de tels pouvoirs, avec l’objectif d’en faire le grand gendarme de l’Internet, la loi « haine » est un nouveau pas vers l’ORTF 2.0.

References   [ + ]

1. Pour un récapitulatif et une analyse plus complète, voir notamment l’article de Félix Tréguer sur le sujet, en 2015 : « Le CSA et la régulation d’Internet : une erreur ontologique »).
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La CNIL veut autoriser les sites Internet à nous tracer sans notre consentement

vendredi 28 juin 2019 à 14:24

Hier, Mme Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL, a expliqué en commission de l’Assemblée nationale que la CNIL prendrait le 4 juillet une décision injustifiable (voir la vidéo de 00:59:50 à 01:01:30). Aujourd’hui, la CNIL vient de préciser cette décision : au mépris total du droit européen, elle souhaite attendre juillet 2020 pour commencer à sanctionner les sites internet qui déposent des cookies sans respecter les nouvelles conditions du RGPD pour obtenir notre consentement.

Ces nouvelles conditions sont pourtant une des avancées majeures de ce texte : y renoncer revient à le vider de sa substance. Depuis l’entrée en application du RGPD le 25 mai 2018, notre consentement ne peut plus être « déduit » du simple fait que nous sommes informé·es par un vulgaire « bandeau cookie » et que nous ne prenons pas les mesures techniques nécessaires pour empêcher le dépôt des-dits traceurs. Notre silence ne vaut plus acceptation, enfin ! Désormais, tant que nous ne cliquons pas explicitement sur un bouton « j’accepte », il est strictement interdit de nous pister et de réaliser des profits sur nos données personnelles (précisons au passage que notre consentement ne doit pas seulement être « explicite » mais aussi « libre » : un bouton « je refuse » doit être proposé et le site doit rester accessible même si on ne clique pas sur « j’accepte »). Il s’agit là de l’une des principales avancées que nous avons obtenues au cour de la lutte menée dès 2014 au Parlement européen pour renforcer le RGPD, et que nous devons veiller à faire appliquer scrupuleusement (lire notre bilan).

C’est précisément en application de cette nouvelle règle du « consentement explicite » que la CNIL a sanctionné Google d’une amende de 50 millions d’euros en janvier dernier, dans le cadre de nos plaintes collectives et de celle de NOYB contre l’entreprise : le consentement qu’obtient Google n’est pas explicite mais déduit implicitement de notre absence d’opposition, en violation du RGPD. Aujourd’hui, la CNIL semble vouloir appliquer un droit différent entre Google et les médias français qui, eux, pourraient se contenter d’un consentement « implicite », violant tranquillement nos libertés fondamentales dans la poursuite de profits publicitaires intolérables.

À écouter la présidente de la CNIL, cette direction résulte de négociations avec le GESTE, un syndicat français de médias en ligne que nous avons l’habitude de combattre en matière de données personnelles. Ce dernier criait déjà victoire le mois dernier quand la CNIL avait commencé à céder à ses demandes et lui promettait : « le scroll et/ou le clic sur un élément de la page visitée, reste un mode valable d’expression du consentement, et ce jusqu’à juin 2020 ». Autrement dit : « la CNIL démissionne, ruons-nous pour tondre les moutons ! ».

En droit, les choses sont pourtant simples : il n’existe aucune possibilité laissée à la CNIL pour repousser jusqu’à juillet 2020 l’application du RGPD. Ce texte européen, adopté en 2016, prévoyait déjà une « période de transition », qui a entièrement pris fin le 25 mai 2018. La décision que la CNIL s’apprête à prendre violerait de plein front le droit européen et justifierait un recours en manquement contre la France par la Commission européenne.

De notre côté, si cette décision devait être prise, nous n’aurions guère le choix que de l’attaquer devant le Conseil d’État, de la même façon que nous avons pris l’habitude d’attaquer de nombreux actes du gouvernement (nous avions d’ailleurs déposé une demande CADA à la CNIL il y a un mois pour obtenir la décision révélée par le GESTE, afin de l’attaquer le cas échéant). En cas de victoire de notre part devant le Conseil d’État, difficile d’imaginer comment la présidente de la CNIL pourrait conserver suffisamment de légitimité pour ne pas démissionner.

Le collège de la CNIL se réunira ce 4 juillet pour choisir d’entériner ou non cette décision. Nous appelons chacune et chacun des 18 membres de la CNIL à s’y opposer vigoureusement. Au contraire, elles et ils doivent décider de la poursuite immédiate des sites Internet violant la loi. La lettre du RGPD est parfaitement claire, a déjà été expliquée en long, en large et en travers par le Comité européen à la protection des données et ne nécessite aucune précision supplémentaire pour être respectée. La protection de nos libertés fondamentales ne saurait connaître aucun sursis.