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Rapport Toledano : Faire des fréquences hertziennes le support de nos libertés

jeudi 3 juillet 2014 à 10:21

Paris, 3 juillet 2014 — Faire des fréquences hertziennes un véritable bien commun pour les communications sans fil. C'est le sens des propositions portées par Joëlle Toledano, chargée d'une mission sur l'optimisation de la gestion des fréquences. Le rapport rendu hier par la mission Toledano s'inscrit dans la lignée des positions défendues par La Quadrature du Net depuis 2011 visant à promouvoir un accès ouvert à la ressource hertzienne, notamment dans le but de favoriser le développement d'un Internet citoyen. La balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics, qui doivent s'engager à rapidement faire évoluer les politiques en la matière, trop souvent inféodées aux intérêts commerciaux des grands opérateurs télécoms.

À l'issue d'une étude aux dimensions à la fois techniques, juridiques et économiques, la mission dirigée par Mme Toledano soumet huit propositions à l'attention d'Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. En premier lieu, le rapport identifie de nouvelles plages de fréquences susceptibles de faire l'objet d'un accès libre, sur le modèle du Wifi (sans octroi préalable de licence)1, propose d'étendre les fréquences allouées au Wifi2, et enfin d'ouvrir les fréquences allouées à la radiodiffusion mais non utilisées (les « espaces blancs ») à des projets d'expérimentation3. En second lieu, le rapport propose de rénover les politiques en la matière grâce à l'inscription dans la loi d'une incitation à l'ouverture et au partage des fréquences.

Ces propositions constructives vont dans le sens des positions exprimées en 2011 par le Parlement européen, ainsi que des recommandations d'une étude indépendante commanditée par la Commission européenne en 2012. Elles sont de nature à permettre à la France et à l'Europe de commencer à rattraper leur retard en la matière sur les États-Unis, en favorisant l'essor de nombreuses applications sans-fil.

« En se contentant de faire des fréquences hertziennes le pré-carré des opérateurs, les autorités françaises privent les citoyens d'une ressource fondamentale. L'étude réalisée par la mission dirigée par Mme Toledano démontre que gérer une plus grande partie du spectre comme un bien commun ouvert à tous va dans le sens de l'innovation, de la liberté de communication, et donc de l'intérêt général. Les propositions qui y sont faites marqueraient une rupture bienvenue avec les politiques actuelles si elles venaient à être appliquées. Outre les nombreuses PME qui pourront innover grâce à un accès élargi aux fréquences, un spectre plus ouvert facilitera le développement des fournisseurs d'accès associatifs qui déploient des réseaux sans-fil partout en France. À charge désormais pour le gouvernement et l'Arcep de se saisir des propositions qui leur sont faites pour réformer rapidement les politiques publiques dans ce domaine » déclare Jean Cattan, membre du conseil d'orientation stratégique de La Quadrature du Net.

Pour approfondir :

La Commission européenne cherche à faire revenir l'ACTA par la petite porte !

mercredi 2 juillet 2014 à 12:42

Paris, 2 juillet 2014 — Alors que l'actuelle Commission vit ses derniers jours suite aux dernières élections européennes, elle vient de publier « un plan d'action pour lutter contre les atteintes à la propriété intellectuelle » reprenant plusieurs des concepts figurant dans l'accord ACTA, rejeté en 2012 par le Parlement européen suite à une forte mobilisation citoyenne. Ses propositions pour lutter contre la contrefaçon à « échelle commerciale » s'inspirent également des propositions du rapport Imbert-Quaretta poussées par la France au niveau européen, qui font craindre une implication accrue des intermédiaires techniques dans l'application du droit d'auteur et leur transformation progressive en une police privée du copyright.

En reprenant comme objectif, la lutte contre la contrefaçon « à échelle commerciale », la Commission a choisi de réactiver l'un des pires mécanismes figurant dans l'accord anti-contrefaçon ACTA. Cette expression aux contours flous est en effet susceptible d'englober des activités non-commerciales de partage en ligne et elle introduit une insécurité juridique qui avait été au cœur de la mobilisation citoyenne contre ce texte, jusqu'à son rejet final par les représentants élus du Parlement.

Les mêmes commissaires qui avaient porté l'ACTA, Karel de Gucht et Michel Barnier, semblent envisager cette fois de mettre en œuvre cette lutte contre la contrefaçon « à échelle commerciale » en contournant le Parlement européen. Leur plan envisage en effet de passer par des « mesures non-législatives », impliquant la signature de simples accords entre les représentants des industries culturelles et des intermédiaires techniques, comme les régies publicitaires et les services de paiements en ligne.

Ces dispositions sont directement inspirées des recommandations issues du rapport Lescure de mai 2013 et du rapport Imbert-Quaretta publié récemment en France, que La Quadrature a déjà dénoncé comme susceptible d'entraîner une dérive vers une application extra-judiciaire du droit d'auteur, transformant ces intermédiaires en une police privée du droit d'auteur. La Commission souhaite qu'un tel système soit généralisé au sein de l'Union européenne par le biais de « Memoranda of Understanding » encadrant des ententes contractuelles négociées entre acteurs privés.

La Commission propose également de renforcer la protection de la propriété intellectuelle au niveau international dans le cadre de négociations multilatérales. De tels propos font craindre qu'à nouveau comme avec l'accord ACTA, ou comme pressenti pour les accords CETA et TAFTA, les questions de « propriété intellectuelle » soient traitées de manière opaque dans le cadre d'accords commerciaux, laissant une marge de manœuvre minime aux parlements élus.

Ces annonces sont d'autant plus choquantes que la Commission a lancé fin 2013 une consultation publique sur l'évolution du droit d'auteur dans l'Union européenne. Un nombre sans précédent de réponses a montré l'intérêt que les citoyens européens portent à cette question. Au mépris de la société civile, la Commission a préféré publier son plan de lutte contre la contrefaçon avant le Livre blanc qu'elle s'était engagée à préparer suite à la consultation. Des fuites concernant ce Livre blanc ont de toutes façons déjà montré que la Commission n'envisage que des réformes cosmétiques, tout en recommandant un surcroît de mesures extra-judiciaires.

La Quadrature du Net dénonce ces agissements de la part d'une Commission déjà largement discréditée par son soutien à l'ACTA et qui n'aura su tirer aucune leçon du camouflet qui lui a été infligé en 2012 par le Parlement. La future Commission doit rejeter cette approche répressive et anti-démocratique pour mettre enfin à l'étude une réforme positive du droit d'auteur.

« La Commission européenne paraît penser que les citoyens européens dont la mobilisation a entraîné le rejet de l'accord ACTA n'ont aucune mémoire. Elle va jusqu'à employer les mêmes termes qui figuraient dans l'accord. Mais les mêmes causes produisent les mêmes effets, et la société civile européenne rejettera à nouveau cette vision dangereuse de l'application du droit d'auteur » déclare Lionel Maurel, cofondateur de l'association La Quadrature du Net.

Newsletter #57

mardi 1 juillet 2014 à 15:00

Bonjour à toutes et à tous !

Nous avons lancé la nouvelle campagne de soutien de La Quadrature du Net en fin de semaine dernière. Cette campagne doit permettre de financer les actions de l'association pour l'année en cours, et nous comptons sur votre appui pour nous aider directement, mais aussi pour relayer autour de vous cet appel et sensibiliser les personnes de votre entourage.

Vous le savez, la mobilisation de tous est cruciale pour défendre et étendre nos droits et libertés, à la vie privée, à l'expression, au partage, à l'information, au procès équitable, à la participation au débat démocratique… Les fronts sur lesquels nous mobiliser sont plus nombreux que jamais, et ce travail quotidien a évidemment un coût financier. Actuellement, celui-ci est supporté à plus de 50% par des citoyens, garantissant l'indépendance de l'action de La Quadrature du Net, mais rendant votre soutien indispensable. C'est pourquoi nous faisons appel à votre générosité et à votre engagement.

Le thème de la campagne de cette année est "deviens un super-héros du Net". Cela répond à notre conviction que chacun de nous est appelé à s'engager et à agir pour la défense de nos valeurs. Vous trouverez sur le site de soutien un rappel des campagnes passées et à venir de La Quadrature. Alors devenez vous aussi des héros du Net !

Sans surprise, le projet de loi dit « pour l'égalité entre les femmes-hommes » vient d'être adopté en seconde lecture à l'Assemblée Nationale. Tel qu'il a été voté, son article 17 modifie le régime de responsabilité des intermédiaires techniques de l'Internet, et élargit leurs missions de surveillance et de censure des communications à tous les propos incitant aux discriminations diffusés en ligne. Comme l'a dénoncé La Quadrature du Net tout au long du processus législatif, une telle extension de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) incitera les hébergeurs à censurer les contenus qui leurs seront signalés sans l'aval d'un juge, afin d'éviter tout risque juridique, portant gravement atteinte à la liberté d'expression et au droit au procès équitable des citoyens. Alors que l'adoption finale du texte ne semble n'être plus qu'une formalité et que des mesures similaires sont déjà annoncées dans d'autres textes (lutte contre la prostitution, le terrorisme, au nom du droit d'auteur…) La Quadrature du Net appelle à l'ouverture de l'indispensable débat pour mieux protéger les droits et libertés des citoyens.

Depuis un an déjà, l'actualité est marquée par les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden sur la surveillance massive et généralisée mise en place par les États avec la complicité des entreprises exploitant nos données personnelles. Cet anniversaire a été l'occasion de réaffirmer l'exigence de la fin de la surveillance de masse et de la protection des lanceurs d'alerte par les États, à commencer par la France, notamment en leur accordant l'asile politique lorsque nécessaire. C'est également l'occasion de poursuivre la remise en question de notre rapport à la technologie, au niveau individuel et collectif, afin d'en reprendre le contrôle pour remettre les machines à notre service.

Au niveau européen, l'élection du nouveau Parlement a mis en pause les travaux de la précédente législature. L'actualité est tout de même marquée par la publication de documents fuités et d'annonces de la Commission européenne à propos de la réforme du droit d'auteur annoncée. Malheureusement, les premiers éléments laissent craindre des mesures directement inspirées d'ACTA, SOPA et des rapports de Pierre Lescure et Mireille Imbert Quaretta. Une fois encore, la plus grande vigilance citoyenne sera nécessaire pour éviter l'imposition de mesures attaquant nos droits fondamentaux au nom de la protection des intérêts des ayants droit, et arriver enfin à une réforme positive du droit d'auteur.

Enfin, le prochain Quadr'apéro aura lieu le 4 juillet, à partir de 19h au local de La Quadrature du Net (19 *rue* Richard Lenoir 75011 Paris), et ailleurs. Cet événement festif sera l'occasion de nous rencontrer et de discuter autour d'un verre. N'hésitez pas à vous joindre à nous ou à signaler votre propre évènement sur la page wiki !

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[DebatPublic] Neutralité des plateformes ?

vendredi 27 juin 2014 à 16:21

Billet publié le 18 juin 2014 par Philippe Aigrain (cofondateur de La Quadrature du Net) sur son blog, en réaction au rapport du Conseil National du Numérique sur la neutralité des plateformes. Pour rappel, le concept de la neutralité du Net garantit la non discrimination des communications sur Internet, que ce soit en fonction de la source, du destinataire ou de la nature même de l'information transmise.

Le Conseil National du Numérique vient de publier un rapport sur la neutralité des plateformes numériques1. Ce rapport fait suite à un précédent rapport sur la neutralité du net dans lequel le conseil avait proposé d'étendre le concept de neutralité, au-delà des réseaux, aux plateformes. Le sous-titre du présent rapport est « réunir les conditions d'un environnement numérique ouvert et soutenable ». Il paraît indiscutable que les motivations des rédacteurs sont nobles, et c'est donc dans un esprit constructif que je vais exprimer pourquoi, dans son état actuel, le rapport me paraît manquer sa cible et même promeut une vision erronée de l'écosystème numérique et de son rapport avec le développement humain et social.

Plateformes ?

Dans un billet (en anglais) de janvier 2013, j'avais souligné le besoin d'étendre aux terminaux le principe d'analyse de bout en bout (end-to-end analysis) qui est la base fondamentale de toute réflexion sur la neutralité du Net. Il s'agit d'analyser les conditions de transmission ou d'accès à un contenu sur internet en considérant toute la chaîne qui va de l'usager à une source ou une destination. Lorsque ce principe a été formulé en 1981 par David Clark et Jerome Saltzer, ils considéraient à bon droit qu'il suffisait d'analyser de bout en bout ce qui se passait dans les réseaux, les terminaux (informatiques) étant sous le contrôle de leurs usagers. Or cette hypothèse n'est plus aujourd'hui fondée : avec le développement des dispositifs mobiles propriétaires (smartphones, tablettes, liseuses), le remplacement des modems par des boîtes contrôlées par les fournisseurs d'accès, la mise en place de boutiques d'applications étroitement liées aux terminaux, ceux-ci sont devenus un lieu essentiel de contrôle propriétaire de l'ensemble de l'écosystème numérique. Il est donc très étonnant que le CNN passe totalement à côté dans son rapport des enjeux majeurs de l'ouverture des terminaux. Cette omission est en réalité le produit de l'obsession fascinée qui frappe les décideurs français face aux grands services Web centralisés. Seuls ces derniers sont considérés comme plateformes, même lorsque pour Google, Amazon et Apple, leurs positions dominantes dans certaines activités sont étroitement liées au contrôle plus ou moins direct des terminaux. C'est donc d'abord cette omission qui doit être relevée, mais passons au contenu du rapport.

Les services Web doivent-ils être « neutres » ?

Il faudrait être fou pour penser qu'il n'y a pas de problème. Un acteur comme Google est en Europe en situation monopolistique sur une fonction clé de l'écosystème numérique (le moteur de recherches universel). Cette position a des effets très aggravés par l'opération de gmail, Google Docs, Google+, le contrôle sur la géolocalisation et GooglePlay pour les dispositifs Android, la position dominante dans la distribution de la musique pour YouTube, les GoogleGlass, GoogleCar et diverses plateformes de commerce, etc. Et Google n'est qu'un exemple : Apple déjà nommé, Amazon, Facebook et bientôt Netflix exercent un contrôle très significatif sur quels contenus, services ou applications sont portés à l'attention et rendus accessibles au public. Il en résulte une évasion fiscale très importante, une exploitation éhontée des données personnelles (inefficace macro-économiquement mais très rentable pour quelques acteurs dominants) et des risques majeurs pour la vie privée et l'espace des interactions sociales (cette zone intermédiaire entre le privé et le public). Mais est-ce que la neutralité est la bonne approche pour traiter cette situation ?

La réponse à cette question dépend de deux autres : qu'attendons-nous de l'intermédiation et de l'interaction sociale ? La centralisation des services qui nous la rendent possible est-elle inéluctable et lorsque non, quelles trajectoires de transition sont-elles envisageables ?

Biais, parti et neutralité

Lorsqu'un intermédiaire technique entend nous aider à nous mettre en contact avec des informations, créations, expressions ou connaissances ou avec d'autres personnes, il me semble qu'il faut distinguer avec soin différentes propriétés possibles de cette intermédiation. Il est évidemment détestable que cette intermédiation soit biaisée pour des motifs de gain financier (par exemple publicitaire) ou de censure. Cela signifie-t-il que la neutralité soit pour autant désirable ? Dans le cas de services à prétention d'universalité (encyclopédie, moteur de recherche indexant tout le Web) la neutralité est l'un des choix qui présente un intérêt (pour l'usager tout comme le producteur de contenu). Mais même dans ces cas, ce n'est qu'un parti parmi d'autres, qu'un choix sur la relation entre la représentation du monde et celui-ci. Qui plus est, il faut distinguer la neutralité résultant d'un choix algorithmique (construit et perfectionné bien sûr par des êtres humains mais appliqué mécaniquement) et celle qui fait l'objet d'une application humaine (et d'un débat permanent) comme le principe de neutralité de Wikipédia. Enfin, le biais commercial, celui lié à la censure ou au filtrage tendent comme la surveillance à être systématiquement dissimulés autant que se peut. A l'opposé, les partis peuvent être assumés, rendus visibles et vérifiables dans une certaine mesure.

En réalité, il semble pertinent de viser un écosystème d'intermédiations présentant une diversité de partis, dont la neutralité pour les services n'est que l'un de ceux qui présentent un intérêt et encore seulement dans certains cas. Qui voudrait d'un site de critique littéraire qui traiterait à égalité n'importe quelle œuvre ? Même une archive de publications scientifiques ouvertes aux publications informelles visera à donner à ses usagers des indications contextuelles pour leur permettre de donner plus ou moins de crédit à une publication, indications qui ne sont pas neutres.

En matière d'intermédiation sociale, il est souhaitable que nous puissions nous-mêmes définir les personnes avec qui nous formerons des liens sociaux (sans interférence des modèles commerciaux sur le nombre de ces liens ou leur nature). Cette capacité suppose la possibilité pour l'usager de mettre en œuvre un projet donné en la matière. Mais comment une plateforme centralisée le rendra-t-il possible ? Plus que probablement en pratiquant comme le font les moteurs de recherche universels une naturalisation des indications déjà présentes dans les données indexées par le service de liens sociaux ou intérêts. En ce sens le pacte faustien originel de Google doit être bien compris  « donne-moi ce que tu as de plus secret (ce que tu cherches) et je te fournirai un service aussi neutre que possible par rapport à ce que le Web dit déjà (par ses liens par exemple) agrémenté de quelques liens publicitaires et suivi de nombreuses publicités ciblées. » C'est précisément parce que Google est neutre dans ce sens qu'il a conquis une telle position dominante2. Le fait que Google se soit départi de son parti de neutralité au fur et à mesure de la montée d'autres intérêts commerciaux dans le groupe ne doit pas nous faire oublier que d'invoquer la neutralité des services Web, c'est appeler Google ou ses frères de ses vœux, tout comme dans le champ scientifique, ce serait promouvoir le Science Citation Index et les facteurs d'impact. On peut analyser la neutralité de Google d'un autre point de vue, celui du producteur de contenus qui souhaite que son contenu soit accessible à hauteur de l'intérêt qu'il peut susciter, et les conclusions seront les mêmes.

La position de neutralité dans le sens de « naturalisation des relations déjà algorithmiquement lisibles dans le Web » a fait l'objet des critiques acérées de deux philosophes : Barbara Cassin dans son livre Google-moi puis, plus récemment Antoinette Rouvroy qui a développé une remarquable critique de la gouvernementalité algorithmique, de la perte de distance entre la représentation du monde et le monde lui-même.

D'autres approches ?

Comment pourrions-nous donc assurer l'existence d'un écosystème d'intermédiation présentant une diversité de partis, dont ceux de naturalisation, mais avec une diversité d'offre et d'usage effectif suffisante ? Les biais ou la naturalisation algorithmique ne posent problème que lorsqu'ils se produisent dans des services ou pratiques dominantes. Cela signifie que les politiques réglementaires ou incitatives devraient suivre deux approches complémentaires : assurer une décentralisation et une diversité des plateformes d'intermédiation et réglementer les plateformes dominantes centralisées. Le rapport du CNNum se préoccupe du premier aspect dans son volet IV, recommandation 133 et partie de la recommandation 14. Il faut l'en féliciter, d'autant plus que ces recommandations ne supposent en rien une extension de l'exigence de neutralité aux plateformes. Il faut aussi remarquer qu'on est très loin du compte, et que par exemple il n'est pas recommandé de soutenir les projets d'alternatives décentralisées déjà en cours4.

L'essentiel des recommandations du rapport vise à permettre de vivre le moins mal possible en situation d'intermédiation centralisée. C'est là que la faiblesse du concept de neutralité des plateformes est le plus perturbante. Le CNNum a utilisé le terme de neutralité dans un contexte où il n'a rien à faire probablement en raison de l'influence qu'ont exercée certains acteurs qui veulent développer des services liés aux plateformes de services Web dominants. La plupart des recommandations n'ont rien à voir avec une neutralité de quelque sorte qu'elle soit, mais plutôt avec les divers aspects d'ouverture des plateformes à travers leurs conditions d'utilisation, leurs API (Application Programming Interfaces permettant de construire de nouveaux logiciels ou services accédant aux contenus et services des plateformes), la stabilité de ces deux éléments, la transparence, etc. Ce sont des mesures classiques en termes d'interopérabilité mais qui sont, par nature, d'efficacité limitée :

A part cela le rapport du CNNum contient de nombreuses recommandations de bon sens (portabilité, interopérabilité, CGU, etc.) et certaines très loufoques comme l'idée de transformer des associations de défense des droits en agences de notation. Gardons-leur une fonction de gardien libre de ses mouvements, et évitons de créer de nouveaux monstres asservis à ceux qu'ils sont supposés domestiquer et producteurs d'illusions quantitatives comme les agences de notation financières.

http://paigrain.debatpublic.net/?p=8724

Censure privée adoptée à l'Assemblée. Libertés en danger !

vendredi 27 juin 2014 à 10:00

Mise à jour — Le 23 juillet 2014, le Parlement a finalement adopté la version du texte de la commission mixte paritaire conservant la version de l'article 17 votée à l'Assemblée nationale.

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Paris, 27 juin 2014 – Discuté au Parlement depuis le mois de septembre 2013, le projet de loi dit « pour l'égalité entre les femmes et les hommes » a été adopté durant la nuit en seconde lecture par l'Assemblée nationale. Légèrement modifié, l'article contenant les dispositions encourageant l'extra-judiciarisation de la lutte contre les propos haineux sera à présent examiné en commission mixte paritaire, qui – sauf surprise ­– l'adoptera tel quel. Ce vote illustre une nouvelle fois la profonde crise politique contemporaine et la dangereuse incompréhension de nos dirigeants face aux enjeux liés au numérique.

À l'issue de près d'un an de travail parlementaire, le projet de loi « pour l'égalité entre les femmes et les hommes » déposé par Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des Droits des femmes, vient d'être adopté en seconde lecture à l'Assemblée nationale. De manière prévisible, le vote d'aujourd'hui entérine l'article 17 du texte modifiant le régime de responsabilité des intermédiaires techniques de l'Internet pour élargir leurs missions de surveillance et de censure des communications à tous les propos incitant aux discriminations diffusés en ligne, les incitant à censurer ces derniers sans l'aval d'un juge. Comme l'a dénoncé La Quadrature du Net tout au long du processus législatif, une telle extension de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) porte gravement atteinte aux droits fondamentaux des citoyens, et notamment à la liberté d'expression et au droit au procès équitable (voir cette analyse).

Si la commission mixte paritaire devra encore examiner l'article en question, il parait peut probable qu'il soit remis en question à ce stade, tant les élus – à commencer par les rapporteurs du texte1 – se sont accordés sur son contenu du début à la fin du processus, à quelques exceptions près2.

Malheureusement, ce débat conduisant à accentuer les dérives de la LCEN aura été marqué par de nombreuses incohérences :

Le vote d'aujourd'hui symbolise une fois de plus la dérive d'un pouvoir qui n'hésite plus à porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens qu'il est censé représenter et protéger, soutenu par un Parlement où la logique de groupe a depuis longtemps pris le pas sur la défense de l'intérêt collectif. Alors que l'adoption de l'extension de la LCEN par la Commission Mixte Paritaire ne semble n'être plus qu'une formalité, La Quadrature du Net appelle à l'ouverture de l'indispensable débat pour mieux protéger la liberté d'expression sur Internet et garantir le droit au procès équitable.

« Le vote d'aujourd'hui est à la fois extrêmement regrettable, et en même temps guère surprenant vu l'obstination des élus en charge de ce texte. Les débats ont témoigné d'un inquiétant aveuglement face aux risques inhérents à la censure privée, et d'une coupable surdité face aux propositions alternatives visant à renforcer les moyens de la justice. La lutte contre les discriminations est une cause trop importante pour servir de paravent à des politiques attentatoires aux droits fondamentaux. Car en parallèle, cette tendance à l'extrajudiciarisation de la répression sur le Net se retrouve dans le rapport "cybercriminalité", la proposition de loi contre le système prostitutionnel ou encore le projet de loi contre le terrorisme. Le gouvernement et les parlementaires doivent mettre fin à cette fuite en avant et poser les jalons d'une protection pleine et entière de la liberté d'expression sur Internet, notamment à l'occasion du débat à venir sur la loi numérique » conclut Félix Tréguer, cofondateur de La Quadrature du Net.