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Fight Covid, Act Up

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Article de l'Association pour la Réduction des Risques Aéroportés (ARRA), sur les gestes à promouvoir pour lutter contre la pandémie de Covid. Article publié sur leur site

Fight Covid, Act up

En français : « Combattre le COVID, agir ».

Contexte : cet article a été rédigé entre décembre 2023 et février 2024.

Affiche réalisée par Keith Haring, intitulée « IGNORANCE = FEAR, SILENCE = DEATH Fight AIDS ACT UP » (Ignorance = Peur, Silence = Mort, Combattre le SIDA, Agir), en 1989 pour l'organisation ACT UP.
Affiche représentant 3 personnages jaunes : un se cache les yeux, l'autre les oreilles et le dernier la bouche. Ils ont une croix rouge sur le corps.

IGNORANCE = PEUR

J'ai écrit ce document parce que je tiens à toi et que j'ai envie de te partager un certain nombre d'informations pour que tu puisses te protéger face au Covid. La démarche doit te paraître étrange ou bizarre pour le moment. Il y a de grandes chances que le Covid ne soit plus une source d'inquiétude pour toi depuis longtemps déjà. La situation sanitaire actuelle est pourtant bien plus grave que ce que tu peux imaginer et il y a urgence à ce qu'un maximum de personnes en prenne conscience le plus rapidement possible.

Dans ce document, je vais m'appuyer sur les principes de l'autodéfense sanitaire et de l'éducation populaire, dans la continuité des luttes menées par ACT UP depuis la fin des années 80 contre l'épidémie de VIH-SIDA. Face à l'inaction des institutions, nous devons réduire les risques et prendre soin les un·e·s des autres en nous réappropriant le savoir médical, parce que personne d'autre ne le fera pour nous.

Tu vas peut-être ressentir un sentiment d'inconfort face au décalage entre les informations partagées et ce que tu fais ou ne fais plus pour te protéger du Covid. Il n'y a aucune volonté de te culpabiliser. La situation sanitaire actuelle est le résultat de problèmes structurels, pas de la faute des individus. Je ne m'attends pas non plus à ce que tu me croies sur parole et je t'invite au contraire à remettre en question tout ce que tu vas lire ici et à t'approprier par toi-même ces informations.

L'état des connaissances scientifiques sur le Covid et les moyens de protection disponibles sont suffisants pour vivre sans danger : ni être contaminé par ce virus, ni le transmettre aux autres.

J'espère te donner envie d'agir.

Gab

INFORMATION = POUVOIR

Assemblée Générale d'ACT UP LA. Crédit : Chuck Stallard.
Assemblée de plusieurs dizaines de personnes assises en rond sur des chaises dont une partie lève la main.

Est-ce que l'on est toujours en situation de pandémie de Covid ?

2024 marque l'entrée dans la 5e année de pandémie de Covid depuis l'émergence du virus SARS-COV-2 en 2019.

C'est ce qu'a rappelé Maria Van Kerkhove, Directrice technique de la gestion des épidémies, et Responsable de l'unité des maladies émergentes à l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le 31 décembre 2023 sur twitter [1]. Elle explique être préoccupée par la phase pandémique actuelle de Covid qui « reste une menace sanitaire mondiale causant bien trop de (ré)infections, d'hospitalisations, de décès et de covid long alors que les moyens pour empêcher cela existent ».

L'OMS n'a en effet jamais dit que la pandémie de Covid était terminée comme cela a été relayé par certains médias [2] et repris dans le langage courant. Le 5 mai 2023, l'institution a simplement mis fin au statut d'urgence sanitaire mondiale sur la promesse d'une immunité collective grâce aux vaccins, la baisse du nombre de décès et de la pression sur les hôpitaux, tout en rappelant que « La pire chose qu'un pays puisse faire maintenant est d'utiliser cette nouvelle comme une raison de baisser sa garde, de démanteler les systèmes qu'il a construits ou d'envoyer le message à sa population que le #COVID19 n'est pas un sujet de préoccupation. » [3]

Pour savoir si le Covid circule toujours activement en France, on peut d'abord regarder le nombre de cas confirmés par dépistage clinique (test antigénique/PCR).

Officiellement, voici la situation épidémique actuelle en France :

Nouveaux cas confirmés et journaliers de COVID-19 par million de personnes de mars 2020 à décembre 2023. Source : Tableau de bord COVID-19 de l'ONU.
Courbe des cas de COVID-19 en France de 2020 à fin 2023

On observe les différentes vagues épidémiques qui ont traversé le pays depuis 2020, y compris après la fin de l'état d'urgence sanitaire à l'été 2022, mais a priori plus rien depuis début 2023.

En juin 2020, Donald Trump expliquait que « Si nous arrêtions les tests maintenant aux USA, nous aurions très peu de cas de coronavirus. » [4] C'est exactement ce qui a été mis en pratique en France avec l'abandon de la politique de test systématique et le démantèlement progressif du principal outil de suivi des détections (SIDEP) qui permettait d'avoir une vision globale de l'évolution de la pandémie [5]. Par manque de prévention sur le sujet, il n'y a plus suffisamment de personnes qui se font dépister lorsqu'elles ont des symptômes évocateurs du Covid ou lorsqu'elles sont cas contact, et on ne peut plus évaluer correctement la circulation virale du Covid en France grâce au dépistage clinique.

Heureusement d'autres méthodes d'évaluation de la circulation du Covid existent comme la surveillance des eaux usées. Le virus se retrouve en effet dans les selles et l'urine des personnes infectées et en faisant des prélèvements réguliers dans différentes stations d'épuration réparties à travers le pays, on peut avoir une très bonne estimation de la circulation du virus et du nombre de personnes infectées.

Voici que l'on observe actuellement en France :

Moyenne des indicateurs de surveillance des eaux usées pondérée par la taille de population raccordée aux différents sites surveillés – 2022-2023 – France. Source : SUM'Eau. Indicateur eaux usées : ratio de concentration virale de SARS-CoV-2 sur concentration en azote ammoniacal.
Graphique présentant les indicateurs de surveillance des eaux usées

La surveillance des eaux usées (courbe rose en trait plein) confirme qu'il y a bien eu plusieurs vagues épidémiques en France depuis la fin de l'état d'urgence sanitaire à l'été 2022 : pendant l'été 2022, de septembre 2022 à janvier 2022, pendant l'été 2023, puis de septembre 2023 à janvier 2024. La vague épidémique de septembre 2023 à janvier 2024 est la plus forte connue depuis au moins l'été 2022.

Malheureusement, il n'est pas possible de comparer le niveau de ces vagues épidémiques avec le début de la pandémie : en France le suivi du Covid dans les eaux usées a été arrêté entre janvier et juillet 2022 et l'organisme public chargé du suivi a changé entre-temps. Mais on peut voyager à travers l'Europe pour aller voir ce qu'il se passe dans les autres pays qui ont surveillé leurs eaux usées depuis plus longtemps que nous.

En Autriche, la surveillance des eaux usées nous indique que la vague épidémique de fin 2023 est de loin la plus élevée mesurée depuis fin 2021 (vague du variant « Omicron »)  :

Surveillance des eaux usées en Autriche – Tendances pondérées par personne dans les Länder (et en Autriche dans son ensemble) entre octobre 2021 et janvier 2024.
Surveillance des eaux usées en Autriche de 2021 à début 2024

On voit les différentes vagues COVID en 2021, 2022. En 2023, il y en a une en janvier (fin de la vague de fin 2022), une en février-mars, et une qui commence vers septembre avec un gros pic en décembre (le plus important) qui continue, en baisse, sur janvier 2024.

Même constat aux Pays-Bas depuis le début des mesures fin 2020 :

Particules virales dans le traitement de l'eau aux Pays-Bas de septembre 2020 à début décembre 2023.
Particules virales dans le traitement de l'eau aux Pays-Bas de 2020 à 2023

On voit les différents pics de COVID. En 2023, il y a une fin de vague en janvier, puis une vague de février à mai (pic en mars). Une troisième vague commence fin juillet pour atteindre un pic en décembre, le plus haut jamais atteint et qui fait le double des précédents.

Idem en Allemagne depuis l'été 2022 :

Charge virale dans les eaux usées en Allemagne de 2022 à 2023
Charge virale dans les eaux usées en Allemagne du 2 juin 2022 à fin 2023.

On voit 3 vagues en 2022 dont la dernière termine début 2023. Il y a ensuite une deuxième vague en 2023 puis une troisième qui démarre en milieu d'année pour atteindre son pic en fin d'année, point le plus haut qui représente le double des autres pics.

Idem en Catalogne depuis fin 2020 (courbe verte – celle qui passe au dessus de l'autre à partir de juillet 2022) :

Surveillance des eaux usées en Catalogne de juillet 2020 à novembre 2023 (courbe verte – celle qui passe au dessus de l'autre à partir de juillet 2022) associée aux cas cliniques (courbe grise).
Surveillance des eaux usées en Catalogne de 2020 à 2023

À partir de fin 2022, il y a une vague qui se termine début 2023. En 2023, on voit une autre vague de mars à juin, puis à partir de juillet jusqu'en novembre en restant à un niveau assez élevé. Fin novembre, il y a un énorme pic, le plus élevé, dont on ne voit pas la chute sur le graphique qui s'arrête là.

Idem au Luxembourg depuis 2020 (courbe bleue avec les points dessus) :

Dynamique nationale du SARS-CoV-2 dans les eaux usées au Luxembourg, de début 2020 à janvier 2024.
Dynamique nationale du SARS-CoV-2 dans les eaux usées au Luxembourg, de début 2020 à janvier 2024. La courbe bleue avec les points représente les données sur les eaux usées. Les barres grises représentent les cas journaliers signalés.

Dans les données des eaux usées, on voit les courbes des différentes vagues de Covid. Après l'été 2023, une vague commence avec un pic en octobre sans beaucoup redescendre. Fin 2023-début 2024, il y a le pic le plus important, légèrement en-dessous du pic de cas signalés début 2022.

Si l'on traverse l'Atlantique, on voit qu'aux États-Unis, la vague actuelle est la 2e plus grosse vague depuis le début de la pandémie avec environ 2 millions de personnes infectées par jour au moment du pic atteint le 5 janvier 2024 (1 personne sur 23) :

Surveillance des eaux usées aux États-Unis de début 2020 à début 2024.

On voit un énorme pic fin 2021-début 2022. Puis, il y a une longue vague de mi-2022 à mi-2023 avec deux pics. Il y a ensuite une reprise en été 2023 puis le deuxième pic le plus important fin 2023-début 2024 (un peu plus élevé que les deux pics de la longue vague précédente).

On peut également évaluer la circulation virale du Covid en pratiquant une enquête de prévalence. On prend tous les mois un échantillon représentatif de la population d'un pays et on fait passer un test antigénique/PCR à tous les individus de cet échantillon.

Si on prend l'Eurostar pour voyager au Royaume-Uni, on sait ainsi qu'environ 4% de la population britannique (2,5 millions de personnes) était infectée par le Covid mi-décembre 2023 soit 1 personne sur 24.

Prévalence du COVID en Angleterre de 2020 à 2023
Prévalence du COVID en Angleterre de 2020 à 2023 (taux hivernaux ajustés en fonction de la pondération supposée et de la sensibilité des LFT/PCR). Source ONS, UKHSA.

On voit les différences vagues de COVID jusqu'à mars 2023. De mars à mi-novembre 2023, il n'y a pas de données. Les données reprennent ensuite et on voit un pic très élevé (le quatrième plus élevé) en décembre 2023-janvier 2024.

Et le virus n'est pas devenu saisonnier comme la grippe puisque l'Australie connaît fin 2023 sa plus grosse vague épidémique depuis juillet 2022, en plein été austral :

Surveillance des eaux usées en Australie, 2022-2023
Tendances de la surveillance des eaux usées du SARS-CoV-2 et cas de Covid signalés dans la région métropolitaine de Perth, Australie occidentale, du 1er juillet 2022 au 1er janvier 2024.

Il y a un pic très élevé en été 2022, puis un plus bas fin 2022-début 2023. Fin 2023, il y a un nouveau pic qui est le deuxième plus élevé.

La pandémie de Covid ne s'est en en réalité jamais arrêtée depuis 2019 : dans la plupart des pays, il n'y a jamais eu autant de personnes (ré)infectées par le Covid que fin 2023. Les hôpitaux sont de nouveau surchargés par les infections respiratoires, notamment en Italie [6] ou en Espagne, ce qui a conduit par exemple la Ministre de la Santé espagnole à demander le retour du port du masque obligatoire dans les hôpitaux [7].

En France le virus circule toujours activement printemps/été/automne/hiver, à des niveaux comparables mais sûrement plus élevés que ceux connus quand tout le monde était confiné chez soi ou portait un masque. Mais la circulation du virus est largement invisibilisée par le manque de prévention et d'informations accessibles facilement, entravant la mise en place de mesures de protection collectives adaptées à la situation épidémique.

Mini-BD en deux cases avec un chien assis tranquillement sur une chaise, buvant un café.
Plein de virus SARS-CoV-2 volètent autour du chien qui dit « This is fine » (« Tout va bien. »)

Comment se transmet le Covid ?

Le Covid est un virus aéroporté qui se transmet par la simple respiration, comme la grippe ou la tuberculose.

Lorsque que l'on respire ou que l'on parle, on émet avec notre bouche et notre nez des aérosols, c'est-à-dire des petites gouttelettes très légères qui vont être projetées sur plusieurs mètres autour de nous et rester en suspension dans l'air, comme de la fumée de cigarette. Dans une pièce mal aérée, ces petites gouttelettes vont s'accumuler et remplir tout l'espace disponible, et cela pendant plusieurs heures.

En toussant ou en éternuant, on produit également des postillons, c'est-à-dire des grosses gouttelettes beaucoup plus lourdes qui vont aussi être projetées sur plusieurs mètres autour de nous, mais qui retombent rapidement sur le sol ou d'autres surfaces à cause de la gravité.

Lorsque l'on est infecté·e par le Covid, les aérosols et les postillons que l'on émet par la bouche et le nez deviennent infectieux. En période de pandémie, le risque de contamination est donc maximal lorsque nous nous trouvons sans masque dans une pièce non aérée remplie de personnes. Il suffit de quelques minutes à quelques dizaines de minutes pour inhaler une dose suffisante de Covid pour être infecté·e [8].

Les aérosols étant inodores et invisibles à l'œil nu, il est impossible de percevoir avec nos sens si l'on baigne ou pas dans un nuage d'aérosols infectieux. On peut par exemple être infecté·e en allant dans une pièce vide mal aérée où se trouvait une personne contagieuse (toilettes de restaurant, salle de réunion inoccupée…). L'agence publique de santé britannique a fait une vidéo de prévention qui permet de mieux visualiser les choses.

Capture de la vidéo du NHS où deux femmes d'un certain âge discutent assises en intérieur. Il y a des particules noires partout, dont d'un gros nuage sort de la bouche de la femme ayant la bouche ouverte.Capture de la vidéo du NHS, HM Government. Il est écrit : « Covid-19 gathers like smoke. Open windows to disperse the particles. Stop COVID-19 hanging around. », soit en français : « Le Covid-19 s'accumule comme de la fumée. Ouvrez les fenêtres pour disperser les particules. Empêchez le COVID-19 de traîner dans les environs. »

Même s'il y a un consensus scientifique depuis début 2020 sur le fait que le Covid est un virus aéroporté, l'OMS et les gouvernements ont longtemps focalisé la réduction des risques uniquement sur les postillons et les surfaces contaminées, niant ou en minimisant le rôle majeur joué par les aérosols. Pour rectifier le tir, il aura fallu une lettre ouverte [9] de plusieurs centaines de scientifiques adressée à l'OMS.

Contrairement à certaines recommandations gouvernementales passées ou actuelles, se tenir à deux mètres de distance dans une salle pleine de Covid n'a donc jamais permis de se protéger ou de protéger les autres, pas plus que d'être séparé par une vitre en plexiglass à la caisse d'un supermarché ou au comptoir d'une pharmacie. Se laver régulièrement les mains est utile pour réduire la contamination des maladies se transmettant par les mains comme la gastro, mais n'est pas un outil de lutte prioritaire contre un virus aéroporté. Porter un masque chirurgical est également insuffisant face à un virus aéroporté car ce type de masque fuite de partout et protège donc peu la personne qui le porte.

Schéma de deux personnes qui discutent dans une pièce fermée. Chacune des deux personnes est recouverte des particules virales que l'autre envoie dans l'air en parlant. Il y en a plein dans l'air.
Les deux personnes recouvertes de virus se disent :
— T'es-tu lavé les mains ?
— Ouais, mec, littéralement à l'instant. Je ne voudrais pas attraper le Covid.

Combien de personnes sont infectées par le Covid sans le savoir ?

Les personnes asymptomatiques et pré-symptomatiques jouent un grand rôle dans la propagation du Covid.

Environ 50% des personnes infectées par le Covid ne développent pas du tout de symptômes visibles après avoir été infectées et ne savent donc pas qu'elles sont porteuses du virus [10]. On dit qu'elles sont asymptomatiques.

Cela signifie que leur système immunitaire combat le virus mais qu'elles n'ont pas de fièvre, pas de toux, pas de maux de tête, pas de perte d'odorat ou autres symptômes que l'on associe habituellement à une personne malade du Covid. Malgré cette absence de symptômes, une personne asymptomatique a une charge virale équivalente à celle d'une personne symptomatique [11]. Elle est donc tout aussi contagieuse.

De plus, parmi les personnes qui développent des symptômes, le moment entre l'infection et l'apparition des symptômes peut durer de 2 à 3 jours. La particularité du Covid c'est que les personnes infectées sont déjà contagieuses pendant cette phase d'incubation de la maladie [12].

Au total, une personne infectée par le Covid, qu'elle soit symptomatique ou asymptomatique, est contagieuse pendant environ 10 jours après l'infection, y compris si elle a eu des symptômes légers qui se sont estompés au bout de quelques jours.

Tester et isoler uniquement les personnes symptomatiques ou porter le masque seulement lorsque l'on est visiblement malade ne permet pas d'enrayer la pandémie de Covid. En période de circulation active du virus, il est impossible de savoir qui est contagieux·se juste en se basant sur le « bon sens ». On peut soi-même être infecté·e par le virus sans le savoir et infecter nos ami·e·s, nos collègues, notre conjoint·e, nos enfants, nos parents…

Un homme regarde dans la bouche d'un autre grâce à une lampe frontale.« Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent. » Knock Acte I scène I, Jules Romains

Quels sont les symptômes du Covid ?

L'infection par le Covid est très souvent asymptomatique. Mais lorsque l'on développe des symptômes, ce sont souvent les mêmes qu'un simple rhume ou que la grippe [13] : fièvre, toux, gorge qui gratte, maux de têtes, fatigue.

En fonction des variants du virus, des symptômes plus atypiques peuvent se manifester : perte du goût et de l'odorat, éruptions cutanées, maux d'estomac, diarrhée… Les symptômes peuvent être très légers et présents de façon isolée ou combinée.

Lorsque que l'on est « un peu enrhumé·e » en temps de pandémie de Covid, il est impossible d'éliminer la possibilité d'avoir le Covid sans pratiquer un dépistage. Avec le dernier variant en circulation, même des symptômes digestifs qui feraient davantage penser à une gastro peuvent en réalité être le signe d'une infection au Covid.

Le test PCR est le seul test de référence pour dépister le Covid. Il s'effectue en laboratoire médical (et non en pharmacie). Il convient de réaliser ce test au bon moment pour s'assurer d'un résultat fiable, c'est-à-dire immédiatement (J+0) si l'on présente des symptômes évocateurs du Covid ou entre J+5 et J+7 du contact à risque si l'on est asymptomatique.

Les tests antigéniques (effectuées en pharmacie) ou les autotests ne sont informatifs que s'ils sont positifs c'est-à-dire qu'ils génèrent beaucoup de faux négatifs. Leur sensibilité aux derniers variants en circulation s'est effondrée, et il est maintenant plus efficace de tirer une pièce à pile ou face pour savoir si on a le Covid que de se fier à un autotest ou à un test antigénique négatif [14].

Aussi, et contrairement à ce que dit l'expression populaire, il n'est pas possible d'attraper froid [15]. Le froid affaiblit les portes d'entrées de l'organisme pour les bactéries et les virus, mais ces derniers sont toujours responsables de ce que l'on appelle dans le langage courant des rhumes, angines, bronchites, rhinopharyngites… Si on tombe plus souvent malade en hiver c'est parce que le froid conserve bien les virus et aussi parce que l'on adopte des modes de vie où on se retrouve plus souvent dans des espaces clos mal aérés avec beaucoup de personnes.

Est-ce que c'est grave d'attraper le Covid ?

Attraper le Covid fait beaucoup moins peur aujourd'hui qu'en 2020. Il est devenu très commun d'avoir été infecté·e 1 fois, 2 fois, 3 fois voire plus et d'avoir eu pas ou peu de symptômes. Pourtant, le Covid n'a rien à voir avec un simple rhume ou la grippe.

Dès le début de la pandémie, les scientifiques ont prévenu que le Covid pouvait entraîner des séquelles à long terme [16]. On parle de Covid Long pour désigner la persistance pendant plusieurs mois ou années de symptômes respiratoires, cardiaques, neurologiques, vasculaires, dermatologiques, ORL, digestifs… suite à une infection au Covid.

D'après l'OMS [17], les symptômes les plus courants associés au Covid Long sont :

  • fatigue intense ;
  • essoufflement ou difficultés respiratoires ;
  • problèmes de mémoire, de concentration ou de sommeil ;
  • toux persistante ;
  • douleurs thoraciques ;
  • difficultés d'élocution ;
  • douleurs musculaires ;
  • perte de l'odorat ou du goût ;
  • dépression ou anxiété ;
  • fièvre.

Les symptômes peuvent être isolés ou combinés et apparaître au moment où l'on a été infecté·e par le Covid ou plusieurs mois après rétablissement. Il est donc parfois difficile de faire le lien entre ces symptômes et une (ré)infection passée.

Dans les faits, avoir un Covid Long après une (ré)infection Covid peut se manifester de plein de façon différentes : être plus souvent fatigué·e, avoir des difficultés à se concentrer (brouillard mental) ou des trous de mémoire, faire un malaise après une séance de sport normale, avoir l'impression de tomber tout le temps malade… Dans les formes les plus invalidantes, le Covid Long empêche de travailler, d'aller à l'école, de faire du sport ou même de simplement faire ses tâches ménagères.

Toujours d'après l'OMS, l'état des connaissances scientifiques ne permet pas de savoir avec certitude qui est le plus susceptible d'être touché. Autrement dit, tout le monde peut développer un Covid long, y compris les enfants et les jeunes adultes en bonne santé. Les personnes les plus à risque de développer des troubles persistants de la Covid-19 sont ainsi les femmes actives sans comorbidités dont la médiane d'âge est de 45 ans [18].

Encore d'après l'OMS, environ 10 à 20 % des (ré)infections conduisent à un Covid Long. Il faut prendre le temps de se représenter ce que signifie ce chiffre : à chaque fois que l'on attrape le Covid, c'est comme si on tirait un dé avec dans le meilleur des cas 1 chance sur 10 de développer des symptômes persistants très invalidants. Et les probabilités se cumulent : au bout de 3 infections, on a entre 27 et 49% de chances d'avoir développé un Covid Long.

À quoi ressemble le Covid long ? Version texte de l'infographie.
Infographie : à quoi ressemble le Covid long ?

Le fait d'avoir manifesté peu ou pas de symptômes lors d'une précédente contamination ne veut absolument pas dire que ce sera le cas lors de la suivante et que l'on serait immunisé·e contre le Covid Long. Un exemple parmi tant d'autres : Riley Lapham, une danseuse australienne professionnelle de 23 ans en parfaite santé et qui, après 3 infections COVID avec peu ou pas de symptômes, développe un Covid Long au bout de sa 4e infection Covid en avril 2023. Elle est maintenant incapable de danser et s'estime déjà heureuse de pouvoir continuer à se faire à manger, faire les courses et se doucher [19].

Surtout qu'il n'y a jamais eu d'immunité collective face au Covid. Même en étant vacciné·e, l'immunité acquise face au virus a toujours été passagère et on peut se réinfecter encore et encore, y compris après seulement quelques semaines ou quelques mois. On peut même être infecté·e par plusieurs variants en même temps.

Pour comprendre pourquoi, il faut se représenter le système immunitaire un peu comme un album photo. Normalement, à chaque fois qu'un virus entre dans notre corps, notre système immunitaire s'active pour le combattre et il prend au passage une photo de ce virus, ce qui lui permet de le combattre plus rapidement et plus efficacement s'il rencontre de nouveau ce virus dans le futur. C'est pour cela que les vaccins fonctionnent : ils montrent une version sans danger du virus à notre système immunitaire afin qu'il puisse s'en souvenir s'il rencontre le virus pour de vrai.

Le problème c'est que le Covid ne cesse d'évoluer et de muter, et il évolue et mute d'autant plus qu'il y a régulièrement des millions de personnes qui sont infectées à cause de sa contagiosité et de l'absence de mesures de protection collectives. Les variants qui circulent actuellement n'ont plus grand chose à voir avec les photos conservées par notre système immunitaire lors de vaccinations ou d'infections ultérieures : ils ne sont plus reconnus par notre système immunitaire. D'autant plus, que la plupart des gens n'ont pas fait de rappels vaccinaux depuis très longtemps et que la dernière version du vaccin a toujours un train de retard sur le dernier variant en circulation.

Pire, les connaissances scientifiques s'accumulent sur le fait que les (ré)infections au Covid épuisent et font vieillir prématurément le système immunitaire, exposant les personnes contaminées à d'autres maladies infectieuses après leur guérison [20]. Si on a l'impression qu'autour de nous nos collègues de travail, nos ami·e·s, nos enfants, nos parents sont plus souvent malades après 5 ans de pandémie, ce n'est pas une illusion d'optique.

Et contrairement à la falsification scientifique relayée par certains médias français [21], il n'y a aucune « dette immunitaire » contractée à cause du port du masque et le respect des gestes barrières pendant l'état d'urgence sanitaire et qu'il faudrait maintenant rembourser en arrêtant de se « surprotéger ». Le système immunitaire n'est pas un muscle qui s'affaiblit lorsqu'on ne l'utilise pas. Lorsque l'on tombe malade c'est que notre système immunitaire est dépassé. Mais heureusement pour nous, il n'y a pas besoin de tomber malade pour stimuler notre système immunitaire. Sinon est-ce qu'on imagine reboire de l'eau non potable, ne plus se laver les mains après être allé aux toilettes, lécher volontairement les barres de métro ou s'exposer délibérément à la tuberculose pour stimuler son système immunitaire et rembourser sa « dette immunitaire » ? Si nous avons été moins malades lorsque l'on portait le masque, c'est que notre système immunitaire a été moins dépassé que d'habitude. Mais il a été en permanence stimulé, y compris par les masques qui ne sont pas stériles : on inhale la flore microbienne présente dessus, ce qui stimule l'immunité… mais sans nous rendre malades.

De manière générale, il y a une vaste littérature scientifique qui s'accumule depuis 2020 sur le fait que le Covid n'est pas une maladie respiratoire comme la grippe mais une maladie systémique qui va aller se loger dans la plupart des organes du corps (cœur, cerveau, système digestif, reins…) et les endommager [22]. En particulier, chaque (ré)infection augmente les risques d'avoir des problèmes pulmonaires, cardiovasculaires, gastro-intestinaux ou encore neurologiques et ces risques ont été observés chez les individus vaccinés aussi bien que chez les non-vaccinés, de manière plus prononcée au moment de l'infection, mais jusqu'à six mois après [23]. Une réinfection par le SARS-CoV-2 double les risques de décès et triple ceux d'hospitalisation et de problèmes cardiaques.

De plus en plus de liens sont faits entre les (ré)infections Covid et la détérioration globale présente ou future de la santé des gens : davantage d'arrêts cardiaques (y compris chez les jeunes entre 25 et 44 ans [24]), d'accidents vasculaires cérébraux, mais aussi le développement sur le temps long de maladies auto-immunes, de maladies chroniques comme le diabète ou neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson [25]. Encore une fois rien à voir avec la grippe ou un simple rhume.

S'il ne fallait retenir qu'une chose, c'est que le Covid invalide et handicape massivement. Et il n'y a pas d'un côté les personnes « fragiles », « vulnérables », « à risque » et de l'autre les personnes « bien portantes ». Tout le monde est fragile, vulnérable et à risque face à ce virus. Même si on est vacciné·e, même si on est jeune et en bonne santé, même si on a eu des formes légères ou asymptomatiques dans le passé. Encore plus si on a déjà eu plusieurs fois le Covid et que l'on se rappelle que la moitié des infections sont asymptomatiques. Il n'y a rien dans l'histoire de l'espèce humaine qui indique que se faire (ré)infecter par un pathogène est une bonne chose. On devrait toujours essayer de prévenir toutes les (ré)infections, même celles qui semblent bénignes.

L'OMS reconnaît officiellement le Covid Long depuis 2020. En France, les institutions de santé ont longtemps expliqué aux personnes touchées par le Covid Long que le problème était « dans leur tête » et il a fallu attendre le 7 novembre 2023 pour que le Comité de Veille et d'Anticipation des Risques Sanitaires (COVARS) reconnaisse enfin la réalité « organique » du Covid Long. C'est en grande partie grâce au combat mené pendant plusieurs années par des associations de malades. Il faut néanmoins garder en tête qu'il n'existe aujourd'hui aucun traitement efficace contre le Covid Long [26].

Le seul moyen connu de ne pas être handicapé·e à vie par le Covid c'est de ne pas l'attraper.

Pancarte en faveur du port du masque dans les lieux de soin
Pancarte en anglais qui dit : « You're only a COVID-19 infection away from disability and/or long-term health consequences. #KeepMasksInHealthcare », soit « Vous n'êtes qu'à une infection COVID-19 du handicap et/ou des conséquences sur la santé à long terme. #Garder Les Masques Dans Les Services De Santé ».

Risque = Aléa × Exposition × Vulnérabilité

Aléa

Le Covid circule activement en France et dans le monde toute l'année : il y a régulièrement davantage de personnes infectées autour de nous qu'à l'époque où tout le monde portait un masque ou était confiné chez soi.

Exposition
  • Le Covid est un virus aéroporté : en respirant et en parlant, une personne infectée émet des petites gouttelettes infectieuses qui occupent pendant plusieurs heures tout le volume d'une pièce non aérée, comme de la fumée de cigarette.
  • Plus de la moitié des personnes infectées par le Covid ne savent pas qu'elles sont infectées (asymptomatiques ou pré-symptomatiques) mais sont tout aussi contagieuses que les personnes symptomatiques.
  • Les éventuels symptômes du Covid sont souvent les mêmes qu'un simple rhume ou la grippe.
  • Les personnes restent contagieuses environ 10 jours après l'infection, même si elles se sentent mieux au bout de quelques jours.
  • Il n'y a presque plus aucune mesure de protection collective en France depuis la fin de l'état d'urgence sanitaire en 2022.
Vulnérabilité
  • D'après l'OMS, tout le monde peut développer un Covid Long et ni les enfants, ni les jeunes adultes en bonne santé ne sont épargné·e·s.
  • D'après l'OMS, entre 10 et 20% des (ré)infections au Covid conduisent à un Covid Long.
  • Chaque (ré)infection augmente considérablement le risque de développer des séquelles cardiovasculaires, neurologiques, intestinaux… et affaiblit le système immunitaire, que l'on soit vacciné ou pas, que l'on soit symptomatique ou pas, que l'on ait eu une forme légère ou pas.
  • Les taux de rappels vaccinaux actuels dans la population générale sont très faibles.
  • En situation de libre-circulation, le Covid mute et évolue régulièrement ce qui change sa transmissibilité, sa gravité, sa résistance aux vaccins et l'efficacité du système immunitaire pour le combattre (et pas dans le bon sens).
  • Actuellement il n'existe aucun traitement contre le Covid long.
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[11] « SARS-CoV-2 Viral Load in Upper Respiratory Specimens of Infected Patients », 19 février 2020, dans The New England Journal of Medicine.

[12] « Presymptomatic Transmission of SARS-CoV-2 — Singapore, January 23–March 16, 2020 », 10 avril 2020, dans Centers for Disease Control and Prevention (CDC).

[13] « Tout savoir sur le Covid-19 », 9 février 2023, Ministère de la Santé.

[14] Sensibilité des tests antigéniques COVID (vidéo), Saiyan Bio, 22 décembre 2023.

[15] « Peut-on tomber malade parce qu'on a « attrapé froid » ? », Léa Deseille, 11 janvier 2024, dans FranceInfo.

[16] « Les maladies post-infection, comme la COVID longue, plus fréquentes qu'on le pense », Mélanie Meloche-Holubowski, 8 décembre 2023, dans Radio-Canada.

[17] « Maladie à coronavirus (COVID-19) : affection post-COVID-19 » (voir la question « Qu'est-ce que l'affection post-COVID-19 ? »), 28 mars 2023, Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

[18] Avis du Comité de Veille et d'Anticipation des Risques Sanitaires (COVARS) du 7 novembre 2023 sur le syndrome post-COVID, ses enjeux médicaux, sociaux et économiques et les perspectives d'amélioration de sa prise en charge.

[19] « Rising Australian ballet star's ongoing nine-month battle with long COVID », Kate McIlwain, 24 janvier 2024, dans Illwarra Mercury.

[20] « COVID-19 et dysrégulation immunitaire : Résumé et ressources », Andrew Ewing, 3 décembre 2023, dans Cabrioles.

[21] « Covid-19 : non, notre système immunitaire n'a pas été affaibli par les mesures sanitaires », David Simard, Frédéric Fischer, Lonni Besançon, Michaël Rochoy, 2 février 2023, dans The Conversation.

[22] Veille scientifique, ApresJ20.

[23] « Covid-19 : chaque réinfection augmente le risque de complications », Delphine Roucaute, 11 novembre 2022, dans Le Monde.

[25] « Les maladies post-infection, comme la COVID longue, plus fréquentes qu'on le pense », Mélanie Meloche-Holubowski, 8 décembre 2023, dans Radio-Canada.

Semaine Italienne - Nouveaux fascismes, Nouveaux antifascismes

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

La Semaine italienne 2024 se tiendra la semaine prochaine à l'ENS, du lundi 22 au vendredi 26 avril. Ayant pour thème « Nouveaux fascismes, nouveaux antifascismes », elle explorera cette année l'héritage de la Résistance dans l'Italie contemporaine selon une approche académique également attentive aux réponses des artistes qui croisera de nombreux champs disciplinaires.
Le programme comporte des conférences, des ateliers, un concert ainsi qu'un dîner solidaire le vendredi soir en partenariat avec MigrENS.

À l'occasion de la « Festa della Liberazione » célébrée ce jeudi 25 avril dans la péninsule en commémoration de la victoire sur le nazi-fascisme, la Semaine italienne de l'ENS propose une programmation qui examine l'héritage des luttes résistantes dans l'Italie contemporaine en s'intéressant également de plus près aux phénomènes sociaux et politiques qui ont pu être qualifiés de néofascistes dans l'actualité transalpine récente.

La semaine déclinera cette thématique selon plusieurs volets : s'ouvrant sur l'analyse philosophico-politique du fascisme, elle insistera sur l'investissement de la musique par les luttes partisanes tout en abordant les thématiques du crime organisé, du genre et de l'immigration. Elle sera ainsi l'occasion de faire connaître des thèmes de recherche souvent méconnus en France et mettra en lumière des modalités d'engagement socio-politique spécifiquement italiennes. Surtout, navigant entre passé et présent, la semaine envisagera avec un regard informé et critique les débats contemporains sur l'actualité de la lutte antifasciste.

La participation de la compagnie La Maggese à l'événement permettra au public de découvrir que la Résistance a laissé un patrimoine musical vivant qui ne se limite pas à la peut-être trop fameuse « Bella Ciao ». Enfin, le dîner solidaire du vendredi 26 avril servira à la collecte de fonds pour une association de sauveteurs en mer opérant en Sicile.

Tous les événements sont gratuits ou à prix libre et ouverts à tou·te·s. Nous vous invitons à réserver votre place afin de pouvoir au mieux anticiper les détails pratiques de ces rencontres. Pour plus d'informations, n'hésitez pas à consulter le site internet.

En espérant vous y voir nombreuses et nombreux,
l'équipe de la Semaine italienne

Vous pouvez retrouver toutes les informations utiles sur le site internet de l'événement : https://semaineitalienne-ens.wordpress.com/ et https://linktr.ee/semaineitalienne

Rassemblement reconnaissance et justice pour Amara, sa famille, et tous les morts invisibles au travail

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Amara Dioumassy, habitant d'Aubervilliers et travailleur de la construction, est mort le 16 juin 2023 sur un chantier destiné à rendre la Seine plus propre pour les JO 2024. Rassemblement samedi 27 avril au square Albert Tournaire (Paris 12e) à 14h

Amara, victime de graves manquements à la sécurité

Le 16 juin 2023, Amara Dioumassy, chef d'équipe de Darras et Jouanin, co-traitant de l'entreprise Sade, a perdu la vie, percuté par un camion de chantier qui faisait marche arrière sans bip de recul, sans homme trafic pour guider le chauffeur et sécuriser la manœuvre, sans marquage au sol de sens de la circulation, sans protection de délimitation pour les piétons et sans aucune marge de manœuvre. Ces graves manquements à la sécurité de l'employeur sont inacceptables.

Hommage à Amara

Amara est mort au pied de l'institut médico-légal lieu du chantier ou son corps a été monté à pieds, sans même faire retentir les sirènes des pompiers, et envoyé au Mali pour les funérailles sans que ses proches et ses collègues puissent le voir une dernière fois.

Nous, ses amis, ses collègues, sa famille, nous avons besoin de nous recueillir et d'honorer sa mémoire. Nous lui devons la reconnaissance pour son existence, pour son travail et pour les conditions dans lesquelles il a perdu la vie. Rendons hommage à Amara !

Les donneurs d'ordre responsables

Le chantier du bassin d'Austerlitz sur lequel Amara travaillait a pour objectif de rendre la Seine baignable pour les épreuves des Jeux Olympiques 2024. Chantier dont la Sade, Filiale du groupe Veolia, a la direction, avec la ville de Paris pour donneur d'ordre.

La mort d'Amara est une mort modeste qui contraste avec les Jeux Olympiques grandioses. Les chantiers concernant directement les JO, supervisés par la Solideo ont bénéficié d'une protection, de suivi par l'inspection du travail et les organisations syndicales à travers une charte Sociale, qui a divisé par 4 le nombre d'accidents du travail : pourquoi la charte sociale n'est-elle pas appliquée sur tous les chantiers liés aux JO et au Grand Paris ? Cela épargnerait des vies !

Justice pour Amara !

Malgré nos cris d'alerte via les media, les réseaux sociaux, et l'interpellation de la plus grande instance représentative du groupe Véolia- le comité de groupe européen- nous n'avons encore rien fait pour rendre justice à Amara.

La Sade et la ville de Paris doivent s'expliquer : Nous demandons les résultats de l'enquête de l'inspection du travail et de la gendarmerie. Les manquements à la sécurité de l'employeur doivent conduire à sa condamnation pour faute inexcusable et aboutir à une démarche au pénal.

Si les conclusions le permettent, il s‘agira de faire reconnaître pénalement la faute inexcusable de l'employeur.

Amara laisse derrière lui 5 enfants, dont un bébé. Orphelins de père, ils doivent être indemnisés. Réparation intégrale pour la famille d'Amara !

Eux ont la puissance financière, nous, nous avons la détermination et le nombre .

Pour que cesse le scandale des morts au travail

Amara n'est qu'un mort parmi tant d'autres. 1 mort par jour dans la construction, c'est inacceptable. Amara est symbolique de toutes les victimes du travail qu'on cite dans la rubrique faits divers des journaux, alors que les responsables s'en sortent souvent en toute impunité. Cela aussi doit cesser !

Le tract en pdf

Conflit de classes inversé, l'épine dans le pied des luttes sociales

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Hiver 2023, mouvement social contre la réforme des retraites. Fonctionnaires, salarié·e·s d'entreprises publiques, étudiant·e·s sont en grève et dans la rue. Caissier·ères, ouvrier·ères du bâtiment, femmes de ménage, livreurs deliveroo et autres salarié·e·s de la « deuxième ligne » sont au taf. Les classes moyennes peuvent-elles faire seules la révolution ?

Le grand vainqueur

13 avril 2023, 6h30 du matin, en périphérie d'une agglomération française. Un petit groupe de syndicalistes et de militant·e·s mobilisé·e·s contre la réforme des retraites s'est réuni pour bloquer l'une des principales entrées de la ville. Un embouteillage s'est formé, qui s'allonge de minute en minute. Au bout d'un quart d'heure, le chauffeur d'une camionnette de livraison sort brusquement de son véhicule et se dirige en gesticulant et en hurlant vers les bloqueurs. Il est hors de lui. Seul le rapport de force déséquilibré le retient de frapper le premier bloqueur qui lui tombe sous la main. « Mais c'est pour vous aussi qu'on fait ça », essaient les militant·e·s pour le calmer. Au contraire, ça redouble sa colère : il est en période d'essai ; à cause d'eux, il va perdre son job ! Qu'est-ce qu'il va faire ? Il a une femme et des gosses à nourrir ! Les militant·e·s échangent des regards gênés, ne savent plus quoi dire. Finalement, l'un d'eux lui dit de ne pas s'en faire, qu'ils vont bientôt lever le barrage. Le livreur retourne à sa camionnette en gesticulant et en maugréant toujours. Du côté de la mini-barricade de poubelles et de palettes qui barre la chaussée, l'ambiance est plombée.

Pourtant, les sondages publiés par les médias montrent semaine après semaine que la population est massivement opposée à la réforme, notamment au relèvement à 64 ans de l'âge de départ à la retraite. Environ les deux tiers des personnes interrogées sont contre. Ce chiffre est même beaucoup plus élevé chez les actifs, où l'on parle parfois de plus de 90 % de rejet. Et une majorité des personnes sondées soutient également le mouvement syndical de grèves et de manifestations.

Alors les militant·e·s s'interrogent : pourquoi ce livreur qui, a priori, devrait être du côté des opposant·e·s à la réforme, est-il aussi remonté contre celles et ceux qui bloquent la route pour « bloquer l'économie » ? Certains avancent une explication : « C'est peut-être un facho ?... » Il est vrai que tout le monde a lu ou entendu ces derniers temps dans les médias que le Rassemblement national était « le grand vainqueur de la contestation sociale » : « Selon une étude de la fondation Jean-Jaurès (...), le RN est le seul parti politique qui sort renforcé de la crise autour de la réforme des retraites. Si de nouvelles élections législatives avaient lieu, il gagnerait 7 points par rapport à son score de juin 2022 et obtiendrait 26 % des voix. » (tf1info.fr, 4 avril 2023).

Certes, on peut penser, comme l'association de critique des médias Acrimed, que l'éditocratie médiatique fait preuve de complaisance à l'égard du RN [1] : « Diabolisation de la gauche ; normalisation de l'extrême droite : deux faces d'un même discours qui, loin d'être cantonné à la télé-comptoir de Vincent Bolloré, est rabâché par l'intégralité des professionnels du commentaire. » Mais tout de même. Il y a assez longtemps que le parti d'extrême-droite monte régulièrement dans les urnes pour qu'on se demande sérieusement si, de la même manière que tous les reculs sociaux semblent lui profiter depuis 40 ans, cette réforme impopulaire ne lui profite pas aussi. Lors de l'élection présidentielle de 1988, 4,4 millions d'électeurs appartenant principalement aux classes moyennes et supérieures avaient glissé un bulletin dans l'urne pour Jean-Marie Le Pen, unique représentant de l'extrême-droite. En 2022, ce sont 11 millions de personnes qui ont voté pour le RN et Reconquête réunis. Mais ce qui est peut-être plus inquiétant encore que cette progression fulgurante, c'est que la base électorale de l'extrême-droite a glissé peu à peu. Aujourd'hui, ce sont principalement les travailleurs et travailleuses les plus modestes qui la constituent : alors qu'en 1981, 72 % des ouvrier·ère·s et 62 % des employé·e·s auraient voté à gauche [2], en 2022, respectivement 65 % et 57 % d'entre eux ont déclaré voter Le Pen au 2e tour de la présidentielle [3].

Est-ce que ce changement dans les urnes se reflète dans les mobilisations sociales comme ce mouvement contre la réforme des retraites ? En ce qui concerne la grève, si des prolétaires la font aujourd'hui, c'est essentiellement dans les services publics (les éboueurs, par exemple). Mais dans le privé, selon le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux, il y a très peu de grévistes [4]. Une estimation qu'on pourrait penser partisane, mais qui correspond malheureusement à ce qu'on observe sur le terrain : les personnels de supermarché, les travailleurs du bâtiment et les employé·e·s des PME ne semblent pas faire grève, à quelques rares exceptions près. Quant aux personnes en CDD, aux intérimaires, aux sous-traitants à leur compte (du type livreurs deliveroo), qui constituent le sous-prolétariat moderne, leur précarité est telle que la question ne se pose même pas.

Lors des manifestations, dans les grandes villes, on a donc un peu l'impression de défiler dans des cortèges principalement constitués de gens appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+). Il est vrai que dans les plus petites, les interviews de manifestant·e·s réalisées au hasard des cortèges ont montré qu'on y retrouvait aussi des personnes de classe sociale moins favorisée. Par exemple, un reporter a trouvé aux côtés d'un prof d'histoire un jardinier, une femme de ménage et une infirmière à domicile [5]. Pour autant, le fait qu'ils et elles participent aux manifestations contre la réforme signifie-t-il leur adhésion à des idéaux de gauche ? Rien n'est moins sûr. Dans un reportage de RTL au sein d'une manif, le journaliste dit avoir « surtout rencontré des électeurs de gauche, des étudiants… » mais aussi « Ingrid, [qui] elle, ne votera même plus à gauche. Aide soignante, 58 ans, avec pourtant un drapeau syndical dans la main », elle déclare qu'elle « opterait pour Mme Le Pen » [6]. Sympathie éditoriale, ou glissement réel ?

La gauche [7] et les classes populaires

Il faut dire que si les milieux populaires se détournent aujourd'hui des organisations politiques de la gauche électoraliste (comme le montre le vote ouvrier), ils ont de bonnes raisons : lorsqu'en 1981, le Parti socialiste de François Mitterrand, allié au Parti communiste, est arrivé au pouvoir en France grâce, comme indiqué plus haut, aux votes des ouvrier·ère·s et des employé·e·s, ces derniers étaient remplis d'espoir. L'annonce des résultats a entraîné des scènes de liesse populaire dans les rues de tout le pays. Mais ils ont vite déchanté.

Dès l'été 1981, le gouvernement décidait, plutôt que de nationaliser les banques pour que l'État puisse s'endetter sans risque et mener une politique sociale, de fixer arbitrairement le déficit public maximal à 3 % du PIB, choisissant de s'inféoder à la politique monétaire de rigueur imposée par la Communauté européenne. En 1982, il mettait fin à l'indexation des salaires sur les prix. Des décisions de nature à favoriser les profits des grandes entreprises au détriment des travailleurs et travailleuses [8].

Au cours des deux mandats de Mitterrand (81-88 et 88-95), une part importante des classes populaires comprendront qu'elles n'ont rien à attendre de cette gauche de gouvernement. Et les derniers espoirs que beaucoup de prolétaires français plaçaient dans la gauche ont semblé s'éteindre en 1990, avec la chute des régimes soviétiques du bloc de l'Est. Puisque le changement de société promis par la gauche révolutionnaire avait débouché sur une dictature et que les promesses réformistes de la gauche de gouvernement n'étaient qu'un leurre, les classes populaires se sont rabattues sur leurs chances limitées de réussite individuelle, c'est-à-dire de parvenir à un minimum de bien-être matériel.

Avec le temps, plutôt que d'essayer de reconquérir leur cœur, le Parti socialiste français assumera : en 2012, juste avant l'élection présidentielle, une note du think-tank socialiste Terra Nova estimait que le parti devait prendre « acte du divorce entre le PS et la classe ouvrière (…). Mai 68 a entraîné la gauche politique vers le libéralisme culturel (…). En parallèle, les ouvriers font le chemin inverse. Le déclin de la classe ouvrière (...) donne lieu à des réactions de repli : contre les immigrés, contres les assistés, contre la perte de valeurs morales et les désordres de la société contemporaine ». Arrivé au pouvoir, François Hollande apportera sa pierre à l'édifice avec la « loi travail », qui détricote le code du travail au détriment des plus vulnérables.

Les preneurs d'otages mal aimés

Une autre cheville ouvrière de la gauche, les syndicats, souffrent eux aussi d'un désamour qui a été croissant au cours de la deuxième moitié du siècle dernier : la confédération générale du travail (CGT) comptait 5 millions d'adhérents à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, elle n'en compte plus que 650 000 à l'heure actuelle. Mais surtout, sa base ouvrière s'est effilochée avec le temps, et c'est dans le public que la cégète reste majoritaire. Si les renoncements des centrales syndicales et l'abus de pouvoir de certains potentats syndicaux ont pu participer à discréditer les syndicats, le rouleau compresseur de la propagande de droite est probablement le principal responsable de cette désertion : à l'image du livreur du début de ce texte, les travailleurs·euses se sentent aujourd'hui moins protégé·e·s par les syndicats que « pris·es en otage » par les grèves et les tentatives de blocage de l'économie – et peu importe si la métaphore est totalement hors de propos. Dans le privé, l'immense majorité des salarié·e·s est désormais persuadée qu'il est juste de faire corps avec le patronat face à la prétendue crise économique, qui n'empêche pourtant pas les plus riches de s'enrichir de manière exponentielle. Incapables de s'adapter à cette évolution et de contrer cette propagande, les syndicats se retranchent derrière des modes d'action qui les coupent toujours davantage des classes populaires.

De la coopération à l'économie sociale et solidaire

La prise de pouvoir par des partis et la grève n'ont pas toujours été les seules perspectives de progrès social de la gauche. Historiquement, les valeurs du camp anticapitaliste se sont aussi incarnées dans le mouvement coopératif et autogestionnaire. Celui-ci était à l'origine fortement implanté dans la classe ouvrière. Il permettait aux prolétaires d'envisager un meilleur sort que celui que leur réservait le travail dans les usines des grands industriels.

Mais au XXe siècle, certaines coopératives grandiront au point de devenir des mastodontes économiques de mieux en mieux accordés au grand concert du capitalisme (cf Lactalis, bien sûr), et de plus en plus éloignés des principes du socialisme utopique. Même le mouvement des Scop (sociétés coopératives ouvrières de production), le plus anticapitaliste dans son esprit, s'éloignera peu à peu de sa base ouvrière pour se tourner vers les classes moyennes supérieures. En 2010, la confédération générale des Scop a d'ailleurs décidé de changer la signification de l'acronyme, qui veut désormais dire « société coopérative et participative » – exit les ouvriers. Et de fait, la majorité des Scop exerce aujourd'hui une activité dans le domaine des services, leurs coopérateurs appartenant aux CSP+, la principale catégorie sociale visée par la note de Terra Nova.

Radicaux vs prolos

Si la gauche de gouvernement, les syndicats et le mouvement coopératif ont pris leurs distances avec les classes populaires de manière plus ou moins assumée, qu'en est-il des mouvements de la gauche radicale et anti-autoritaire, qui continuent de se réclamer de la lutte contre le classisme [9] ? Force est de constater qu'il est loin, le temps des « établis », qui se faisaient embaucher dans les usines pour y pousser les ouvriers à se révolter [10]. Aujourd'hui, les milieux révolutionnaires et anarchistes sont composés de personnes très majoritairement issues de la classe moyenne supérieure, et qui y appartiennent pour ainsi dire toutes [11]. Leurs liens avec les milieux prolétaires sont devenus ténus, et souvent compliqués. Depuis les années 60 et 70, les militant·e·s radicaux, peu ou pas concerné·e·s par les problèmes sociaux, la précarité, le manque d'instruction, les emplois pénibles et la pauvreté, se sont tourné·e·s vers des questions qui les touchent davantage, et qui présentent aussi de plus importantes perspectives de victoires, telles que les luttes contre les discriminations sexiste et LGBTQI-phobes. Si ces combats ont toute leur place dans les mouvements de gauche, qui visent à l'émancipation, ils se sont malheureusement souvent accompagnés d'un délaissement des luttes contre la structure socio-économique capitaliste et contre l'exploitation, ce qui a pu donner aux classes populaires l'impression que cette gauche-là non plus ne souciait pas de leurs problèmes.

L'impossible révolte des classes moyennes supérieures

Ce divorce n'est pas sans conséquences sur la capacité de la « gauche » à amener un changement social, sans parler de révolution. Le fait que, comme ça a été évoqué plus haut, les personnes engagées à gauche aujourd'hui appartiennent à des catégories de la population avantagées socialement [12] a une conséquence : quoi que nous pensions du système socio-économique, quelle que soit l'indignation qu'il soulève en nous et notre conviction qu'il est néfaste, il ne nous atteint pas physiquement. Si nous sommes donc prêt·e·s à nous engager dans la lutte contre ce système, et parfois à prendre certains risques, nous sommes tout de même rarement prêt·e·s à perdre notre situation financière, matérielle et sociale, ou encore notre liberté. Si bien que nos actions restent logiquement le plus souvent symboliques.

C'est très vraisemblablement en grande partie la raison pour laquelle la Macronie a eu beaucoup plus peur du mouvement des Gilets jaunes que, par exemple, des manifs sauvages contre la réforme des retraites. Les GJ étaient, pour beaucoup, des galérien·ne·s, des gens qui n'avaient pas grand-chose à perdre, et ne luttaient pas avant tout par désaccord idéologique, mais parce que leur vie était rendue invivable par la politique de favoritisme classiste du pouvoir. Ils n'avaient rien à perdre, et étaient donc plus imprévisibles que nous. De plus, ils et elles étaient aussi potentiellement plus sympathiques aux yeux d'une part importante de la population.

Or, aucun mouvement social ne peut être victorieux s'il n'est composé que de personnes qui ne souffrent pas dans leur chair du système économique et social. Pour que des révoltes soient suffisamment larges et combatives pour entraîner une transformation sociale, elles doivent se faire avec les précaires des villes et des campagnes, comme l'étaient beaucoup de Gilets jaunes. C'est ce qu'ont bien compris certains politiciens de la gauche de pouvoir, qui s'attellent à ramener vers eux les brebis égarées des classes populaires. Avec plus ou moins de bonheur, comme Fabien Roussel, le nouveau boss du PCF depuis 2018, dont le leitmotiv semble être : « faire revenir les prolos au Parti communiste en leur tenant des discours d'extrême-droite », ou comme François Ruffin qui, même s'il ne s'égare pas autant, est empêtré dans la « valeur travail », dont il voudrait faire une valeur de gauche pour plaire aux prolos parce qu'il appartient à un courant politique qui a renoncé depuis longtemps à proposer une alternative à l'exploitation capitaliste.

Conclusion

Nous ne vivons pas une période révolutionnaire. Ou si on est, comme certain·e·s le pensent, dans une période pré-insurrectionnelle, ce sont plutôt les nervis fascistes qui menacent de se soulever. Eux s'arment, s'entraînent, se préparent. Un groupe armé proche des mouvements néonazis a même été arrêté en France en 2021 alors qu'il préparait un coup d'État sous le nom de code d'« opération Azur » [13]. Mais même ce rocambolesque complot ne serait pas aussi inquiétant si les idées réactionnaires ne s'étaient pas répandues bien au-delà du RN et de ce genre de groupuscule. Car si le gouvernement macroniste a osé proposer une loi immigration qui satisfaisait l'extrême-droite et son électorat, c'est qu'il savait qu'une telle politique recevrait le soutien d'une grande partie des classes populaires blanches, dont le vote lui fait cruellement défaut.

De toute évidence, l'ensemble de la « gauche » a fait fausse route ces 40 ou 50 dernières années en s'éloignant de sa base historique, les milieux ouvriers, et en les laissant basculer à la droite de la droite. Au point qu'aujourd'hui, le conflit de classes s'est en quelque sorte inversé : tandis qu'une majorité de celles et ceux qui se trouvent au bas de l'échelle sociale adhèrent aux idées de droite favorables aux classes supérieures, ce sont des personnes plutôt bien placées dans la hiérarchie sociale qui constituent les forces vives de la gauche égalitariste. Avec pour corollaire le fait que, comble des combles pour les secondes, elles sont souvent assimilées par les premiers au camp macroniste, c'est-à-dire à des « bobos » éduqués, aisés financièrement, cultivés, qui ne connaissent ni leurs modes de vie ni leurs problèmes, et les méprisent. [14]

S'il est vrai, comme les statuts de l'AIT rédigés par Karl Marx l'affirmaient, que « l'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes », alors la gauche de classe moyenne supérieure du XXIe siècle n'a aucune chance de vaincre le capitalisme, et le monde se dirige inexorablement vers une nouvelle période d'autoritarisme, de repli sur soi xénophobe et de guerres mondialisées, qui pourrait aller plus loin encore dans l'horreur que les précédentes du fait des moyens financiers et technologiques inédits dont disposent les puissants.

Cette évolution est-elle inéluctable ? Quelle que soit la force des grandes tendances qui traversent une société, rien n'est jamais joué à l'avance. On peut se mettre un peu de baume au cœur en se rappelant que l'Internationale n'était pas elle-même constituée que de prolétaires : elle comptait de nombreux intellectuels dans ses rangs (dont Marx, qui était fils d'avocat, et Bakounine, issu d'une famille aristocratique). Or, si ces différences d'origine sociale ont parfois provoqué des conflits, elles ne l'ont pas empêchée d'être à l'origine d'un mouvement révolutionnaire qui a, dans la première moitié du XXe siècle, renversé les tsars et fait vaciller la bourgeoisie à plusieurs reprises en différents points du globe.

Pour inverser la tendance actuelle et pouvoir espérer un avenir à la hauteur de ce passé, la « gauche » d'aujourd'hui n'a pas d'autre choix que de faire son autocritique et de s'atteler au plus vite à combler le fossé qui la sépare des classes populaires. Ce qui suppose de questionner nos modes d'organisation relevant d'habitus ou de codes sociaux excluants (omniprésence de l'écrit, réunionnite, etc.) ainsi que notre idéalisme et notre dogmatisme, qui sont des postures intellectuelles marquées socialement, pour renouer avec le pragmatisme dans les luttes (les plus précaires ont besoin de manger et de se loger, très concrètement) et porter en actes une critique du capitalisme susceptible d'emporter l'adhésion de ses laissés pour compte. Le défi est considérable, mais il constitue peut-être notre seul espoir.

Un transclasse inquiet mais résolu


[2] Selon Bruno Amable dans l'article Majorité sociale, minorité politique du Monde diplomatique (mars 2017).

[7] Dans ce texte, le mot « gauche » est délibérément employé dans un sens historique qui diffère de son utilisation habituelle dans le contexte de la politique politicienne française : ici, on désigne par ce terme l'opposition au capitalisme industriel qui s'est incarnée au XIXe siècle dans les mouvements syndicaux, mutualistes, coopératifs et autogestionnaires anglais, français, suisse, allemand et italien notamment, fédérés en 1864 au sein de l'association internationale des travailleurs (AIT, ou « Internationale ») dans l'objectif d'instaurer une société socialiste égalitaire et émancipatrice. Cette gauche a ensuite scissionné en trois grandes familles : les réformistes (électoralistes), les communistes (révolutionnaires et étatistes, emmenés par Marx) et les anarchistes (révolutionnaires et anti-autoritaires, emmenés par Bakounine).

[8] Pour l'analyse détaillée de la politique antisociale du gouvernement socialiste-communiste dès 1981, voir la bande dessinée Le Choix du chômage de Benoît Collombat et Damien Cuvillier.

[9] La discrimination basée sur l'appartenance à une classe sociale supposément inférieure.

[10] Voir entre autres le livre L'Établi, de Robert Linhart.

[11] D'après la thèse de Simon Luck La Sociologie de l'engagement libertaire dans la France contemporaine, environ 70 % des militants de la gauche anti-autoritaire viennent de familles de la classe moyenne (avec une importante prédominance des enfants de profs et de fonctionnaires), et près de 99 % y appartiennent.

[12] Y compris l'auteur de ce texte : quoi qu'ayant grandi dans un milieu ouvrier (d'où sans doute mon souci de les voir exclus des luttes « de gauche »), mes études m'ont permis d'accéder à la classe moyenne supérieure, dont j'ai adopté les codes.

[14] Pour une analyse plus élaborée de cette inversion sociale gauche-droite, il est intéressant de lire Pourquoi les pauvres votent à droite de Thomas Franck, même s'il parle des États-unis, car beaucoup de ses constats sont transposables en France ; et en ce qui concerne la France, on ne saurait trop conseiller la lecture de Retour à Reims de Didier Eribon.

Projection du film « Les mains invisibles »

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Projection du film « Les mains invisibles » le 21 avril de 15h à 17h à la MJC des Hauts de Belleville, suivie d'une discussion avec le réalisateur et le personnage principal du film.

Présentation du film « Les mains invisibles » de Hugo Dos Santos

Le 21 avril de 15h à 17h à la MJC Les Hauts de Belleville, rue du Borrégo, dans le XXe.

La projection sera suivie d'une discussion avec le réalisateur et le personnage principal du film.

Entrée libre et gratuite.

Résumé :
Dans les années 1970, une maison à Paris a accueilli des dizaines de déserteurs portugais qui échappaient à la guerre coloniale. Aujourd'hui, seules les archives de la police politique portugaise témoignent de leurs activités anticoloniales. De personnage en personnage, à partir de témoignages et d'images amateurs, je reconstitue cette mémoire clandestine.

Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=Ui4mzYkhphQ