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Vu à la télé : le lobbying de Microsoft à l'école dévoilé dans un documentaire

mardi 30 septembre 2014 à 14:51

Alexis Kauffmann - Spécial Investigation - Canal+« Le logiciel libre, c’est la hantise des entreprises high-techs… »

Le 8 septembre a été diffusé sur Canal+ le documentaire « École du futur : la fin des profs ? » dans le cadre de l’émission Spécial Investigation. Il nous montre des expériences innovantes dans des classes en France et aux USA, s’intéresse aux marchés des manuels scolaires et accorde une large part à l’offre et aux stratégies commerciales de géants comme Apple ou Microsoft.

Pour avoir, ici-même sur le Framablog, souvent dénoncé des liens trop forts entre Microsoft et l’éducation au détriment de la nécessaire et légitime place à donner au Libre, j’ai été contacté par la réalisatrice Pascale Labout. Du coup j’apparais dans le documentaire (dont vous trouverez un extrait signifiant ci-dessous), tout comme la députée Isabelle Attard qui fait partie de ces trop rares politiques qui prennent le relais et interpellent les pouvoirs publics sur ces questions (le travail d’une structure comme l’April n’y étant pas pour rien).

Merci à la journaliste d’avoir estimé qu’il était important d’informer sur certaines pratiques un peu troubles, de questionner le ministère à ce sujet et d’accorder une place au logiciel libre dans son travail d’enquête.

Un extrait à voir et faire circuler si vous pensez comme nous que cela a assez duré.


Transcript

URL d’origine du document
Merci au groupe de travail transcriptions de l’April

Prof devant TBI : Vous ne voyez pas très bien, j’en suis navré. OK. Ces verbes sont au présent

Journaliste : La France entame aujourd’hui son virage numérique. Il va donc falloir acheter du matériel informatique : tablettes, ordinateurs, tableaux interactifs, mais aussi des logiciels éducatifs quasiment inexistants dans l’hexagone. Le marché anglo-saxon, en revanche, en déborde déjà. Nous sommes à Londres, au BETT, le salon des technologies de l’éducation. Tout le monde du numérique à l’école s’y est donné rendez-vous.

Des élèves anglais, en uniforme, chantent autour de tablettes.

Journaliste : On y retrouve madame Becchetti-Bizot, la toute nouvelle responsable du numérique au sein de l’Éducation nationale.

Intervenant : Je vous présente la société Education City.

Journaliste : Elle est venue découvrir ce qui pourrait demain équiper nos écoles.

Jamie Southerington, commercial d’Education City : Je voudrais vous montrer ce qu’on peut proposer en français. On a des activités pour les élèves de trois ans. Si vous avez un tableau blanc interactif dans vos classes, on a ce logiciel qui permet aux enfants d’apprendre l’alphabet en chantant. Voilà, il suffit d’appuyer là.

Catherine Becchetti-Bizot, responsable de la direction pour le numérique éducatif : Je suis très surprise par la richesse et la diversité de ce qui est proposé, par la vitalité des petites entreprises qui sont là et qui cherchent vraiment à s’adapter aux besoins de la communauté enseignante.

Journaliste : Aujourd’hui le ministère de l’Éducation nationale est prêt à fournir tous les enfants en tablettes ?

Madame Becchetti-Bizot : Le Ministère n’est pas prêt à acheter pour l’ensemble, ce serait impossible, vous imaginez le prix que ça représenterait ! En revanche il est prêt à nouer des partenariats, à imaginer des consortiums avec les collectivités et les entreprises, peut-être, peut-être ! Je ne sais pas si on va le faire, mais on va essayer de faire ça, pour qu’effectivement on puisse encourager, faciliter l’équipement.

Journaliste : Des partenariats qui font rêver les industriels car le marché à conquérir est énorme. Sur le plan mondial, il est estimé à 100 milliards d’euros et les prévisions de croissance donnent le tournis : plus de 1500 % pour les dix ans à venir.

Aujourd’hui le leader sur le marché de la tablette éducative, c’est Apple. Pourtant la marque n’a pas de stand officiel sur le salon, elle préfère mettre en avant ses partenaires fournisseurs de contenus, les fameux logiciels éducatifs.

Pourquoi la société Apple est-elle absente du salon ?

Mark Herman, directeur d’Albion : Parce qu’on n’a plus besoin d’expliquer ce qu’est un iPad. Tout le monde sait ce que c’est. En revanche on doit prendre les gens par la main et leur faire des démonstrations pour leur montrer le potentiel éducatif de nos logiciels. Ensuite ils pourront décider si ça les intéresse ou s’ils veulent acheter chez nos concurrents et c’est là qu’on est utile. On est là pour conseiller des écoles, pas pour leur forcer la main. Mais vous savez, dans les écoles qu’on a équipées, on a pu constater des changements incroyables et c’est une vraie motivation pour nous.

Journaliste : Pour les industriels, ces logiciels sont les meilleurs moyens d’attirer les clients dans leurs filets. Une fois achetés, vous devenez dépendants de leur système informatique. Dans la plupart des cas, votre logiciel Mac, n’est utilisable que par un ordinateur ou une tablette Mac. Idem pour les PC. Nous sommes allés voir l’autre géant du numérique, Microsoft. Pour découvrir leur stratégie de vente, ils nous invitent dans un showroom de logiciels et matériels éducatifs à Paris. Ce lieu a été baptisé la classe immersive.

Enseignante : Voilà. Vous vous asseyez par parterre, là.

Journaliste : Mis en place il y a deux ans au siège de l’entreprise, ici les profs et leurs élèves sont invités à découvrir l’école de demain selon Microsoft.

Robot Nao : Bonjour. Je suis Nao, un robot humanoïde. Je viens de la planète Saturne.

Journaliste : Ce jour-là, une prof à la retraite, engagée par la multinationale, nous fait une petite démonstration devant quelques cobayes.

Prof : Qu’est-ce que c’est ça ?

Enfants : C’est la terre.

Prof : Il va falloir écrire le nom des planètes. Vous prenez ce stylo,là, vous choisissez une couleur.

Journaliste : Le but : séduire les élèves et leurs profs pour vendre aux établissements scolaires une classe du futur, clefs en main.

Prof : On va aller sortir une image d’un livre.

Enfants : Oh ! De la lave et de la fumée !

Prof : Voilà, qui sort. Après ça sort d’où ?

Journaliste : L’homme qui a eu l’idée de showroom c’est Thierry de Vulpillières, le responsable éducation chez Microsoft France.

Thierry de Vulpillières, responsable éducation de Microsoft France : On est chez Microsoft. Notre sujet c’est d’aider la passion pour l’éducation des enseignants et des élèves. 55 % des enfants français s’ennuient à l’école. C’est dommage. Eh bien c’est parce qu’on va déplacer la façon d’enseigner et on va impliquer davantage les élèves que ces outils viennent naturellement s’insérer dans ce nouveau mode d’apprentissage. Ce qu’on souhaite c’est qu’effectivement l’ensemble des élèves puisse bénéficier du numérique. Moi je serais enchanté qu’il y ait 11 millions de tablettes entre les mains de chaque élève.

Journaliste : La difficulté pour Thierry de Vulpillières : la loi interdit de faire de la pub dans les écoles. Alors pour contourner le problème, Microsoft a trouvé une autre stratégie. Nous allons vous montrer comment, depuis des années, l’entreprise américaine noyaute l’Éducation nationale pour vendre ses produits. L’homme qui a découvert le pot aux roses, c’est Alexis Kauffmann, un professeur de mathématiques. En 2008 il se rend sur le site du forum des enseignants innovants, un forum, parrainé par l’Éducation nationale, où les profs présentent des projets pédagogiques. Alexis y découvre une photo qui l’intrigue, celle de cette petite fille asiatique assise dans une classe.

Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques : J’ai pu montrer que le site du premier forum des enseignants innovants utilisait les images qu’on retrouvait sur les sites officiels de Microsoft. On voit qu’ils ont un petit bâclé le travail, ils n’ont même pas pris le soin de maquiller, le soin de changer les images.

Journaliste : Ah si, ils l’ont renversée.

Alexis Kauffmann : C’est vrai ils l’ont renversée.

Journaliste : Alexis veut savoir pourquoi une photo de Microsoft se retrouve sur le site. Il découvre alors que la multinationale est à l’origine de ces forums et qu’elle continue de les financer en toute discrétion.

Nous nous sommes rendus au dernier forum des enseignants innovants. Cette année il se tient au Conseil régional d’Aquitaine. Dans le hall, des professeurs présentent leurs projets.

Enseignant : Il n’y a pas de classe, en fait, c’est un espace qui est totalement ouvert sur la vie. On sort dans la vie…

Journaliste : Sur l’estrade des représentants des professeurs, du Conseil régional et du ministère de l’Éducation nationale

Jean-Yves Capul, sous-directeur du développement numérique, Éducation nationale : La direction du numérique pour l’éducation a été voulue par le ministre comme une direction à vocation pédagogique. C’est la pédagogie et pas la technique qui est au cœur de cette direction, même si l’ambition était de réunir les deux aspects, la pédagogie et les systèmes d’information et la technologie.

Journaliste : Dans l’auditoire, au premier rang, assis derrière la plante, Thierry de Vulpillières, monsieur Microsoft. Alexis Kauffmann est venu lui demander plus de transparence sur l’implication financière de la multinationale dans le forum.

Alexis Kauffmann : Quelle est la somme allouée par Microsoft à ce type d’événement, par exemple ?

Thierry de Vulpillières : Moi je ne donne pas de chiffre. La somme est marginale aujourd’hui sur l’organisation de ce forum. Malheureusement. Je suis très content que tu me demandes…

Alexis Kauffmann : Puisque la première fois, Serge Pouts-Lajus avait lancé un chiffre, c’était quasiment 50 % du budget.

Thierry de Vulpillières : Je pense qu’on n’a jamais excédé les 50 %, mais effectivement on a été dans l’ordre de 50 %.

Alexis Kauffmann : C’est quand même assez fort !

Thierry de Vulpillières : Absolument ! Et on est très fier de soutenir cet événement-là.

Alexis Kauffmann : D’accord.

Journaliste : Thierry de Vulpillières n’en dira pas plus. Son parrainage reste discret. Certains professeurs n’en ont même pas connaissance.

C’est un événement qui est en grande partie financé par Microsoft. Ça vous inspire quoi ?

Christophe Viscogliosi, professeur d’économie : Ça je ne savais pas, déjà, d’une part. Et d’autre part ça aurait été mieux que l’Éducation nationale finance intégralement ce type de forum.

Journaliste : Pourquoi ?

Professeur d’économie : Il y a un risque de conflit d’intérêt. Je n’ai pas envie nécessairement d’être obligé d’utiliser les produits Microsoft en cours.

Journaliste : Thierry de Vulpillières est le seul industriel du monde numérique présent ici. De stand en stand, il entretient son réseau avec le corps enseignant.

Thierry de Vulpillières : Laurence Juin. Ce n’est pas son premier forum.

Laurence Juin, professeur de français : Non.

Thierry de Vulpillières : Et donc paradoxalement on a l’impression qu’on est dans un stand de travaux manuels. Vous voyez des fils et de la laine. C’est une enseignante qui a été une des premières enseignantes à utiliser Twitter.

Professeur de français : Twitter ça permet aux élèves de communiquer, c’est-à-dire qu’on est dans une salle de classe mais ça permet d’ouvrir. On a fait des projets de communication où on communiquait avec des hommes politiques, des écrivains, des journalistes. Des échanges courts, qui nous ont amenés à faire des projets plus larges, des rencontres, des écrits, des échanges.

Journaliste : Adepte d’Internet, l’enseignante devient une cible pour le représentant de Microsoft. Ce matin même il a offert dix tablettes à sa classe Professeur de français : On a la chance d’avoir quinze postes informatiques, ce n’est pas le cas tout le temps. On va peut-être avoir des tablettes.

Journaliste : Microsoft ?

Laurence Juin, professeur de français : Oui.

Thierry de Vulpillières : Les petites surfaces vont débarquer chez elle.

Professeur de français : Les bonnes nouvelles. Les forums permettent aussi ces échanges-là.

Journaliste : Dix tablettes offertes pour essayer d’emporter le marché dans un établissement de sept cents élèves. Microsoft a mis en place un lobby bien rodé avec le corps enseignant et sa hiérarchie. Nous avons pu récupérer cette invitation envoyée à certains fonctionnaires de l’Éducation nationale. L’académie de Paris les invite à découvrir l’innovation numérique au siège de Microsoft. Au programme la classe immersive. Souvenez-vous, le showroom de Microsoft, inventé pour faire la promo de la classe du futur. Pour Alexis Kauffmann c’est la neutralité de l’école qui est mise à mal.

Alexis Kauffmann : Ce qui est scandaleux c’est qu’une journée académique d’information, formation, étude, autour du numérique se retrouve chez Microsoft. Elle n’a absolument rien à faire chez Microsoft, tout simplement. Est-ce qu’on imagine le ministère de l’Agriculture organiser ses journées d’étude chez Monsanto par exemple ? Non !

Journaliste : Nous sommes allés présenter l’invitation à la nouvelle directrice du numérique éducatif.

Le 28 mai il y avait l’académie de Paris qui organisait une journée sur l’innovation au siège de Microsoft.

Catherine Becchetti-Bizot : Oui, effectivement, le rectorat de Paris a fait cette manifestation au siège de Microsoft.

Journaliste : Vous ne trouvez pas que ça fait un peu beaucoup, il y a peut-être une collusion d’intérêt.

Catherine Becchetti-Bizot : Effectivement, moi je l’ai découvert le jour même.

Journaliste : Vous y étiez ?

Catherine Becchetti-Bizot : Ah je n’y étais pas ! Je n’y serais pas allée, parce que je pense que là on une confusion des genres. Je ne désapprouve pas le recteur, je pense qu’il y a une forme de naïveté, qu’il n’y avait pas la volonté de promouvoir Microsoft. Journaliste : Mais vous êtes contre ?

Catherine Becchetti-Bizot : Je ne suis ni pour ni contre. Je pense que ça n’est pas du tout une politique du ministère de l’Éducation nationale que d’organiser, avec Microsoft en particulier, des choses de ce type-là, et qu’il faudra cadrer effectivement. Ça fait d’ailleurs partie des projets immédiats que j’ai en ouvrant cette direction, c’est de cadrer clairement nos partenariats avec les entreprises.

Journaliste : Les multinationales ont des lobbies puissants et rien ne semble les arrêter dans leur conquête de l’école du futur. Récemment ils se sont attaqués à un amendement de la loi de refondation de l’école. L’amendement proposait que notre école utilise en priorité les logiciels libres. Les logiciels libres c’est la hantise des entreprises high-tech. Ils peuvent être créés, partagés, et modifiés par n’importe qui et ils sont presque toujours gratuits. Un système qui vient concurrencer les géants du numérique. C’est la députée écologiste Isabelle Attard qui propose à l’Assemblée cet amendement en faveur des logiciels libres.

Isabelle Attard, députée du Calvados : Cet amendement a été entièrement validé par la Commission culture et éducation en première lecture à l’Assemblée, au Sénat également. Et lorsque le texte revient en deuxième lecture à l’Assemblée, on s’aperçoit que le syndicat du secteur du numérique, le Syntec, vient d’envoyer un communiqué de presse qui alerte, justement sur cette amendement accepté par l’Assemblée et le Sénat, sur la loi refondation de l’école.

Journaliste : Voici ce communiqué du syndicat des entreprises du numérique. Un communiqué très alarmiste : « Ces dispositions handicaperont gravement la plupart des entreprises déjà présentes sur cette filière ». Il a été envoyé à la presse, à tous les députés et au ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Vincent Peillon. Alors que l’amendement d’Isabelle Attard aurait permis à l’État de faire des économies importantes, Vincent Peillon recule.

Comment vous expliquez cette situation ?

Isabelle Attard : Parce qu’il y a un lobby et une pression incroyable de la part des plus gros éditeurs de logiciels propriétaires et, comme je le disais, Microsoft est le plus gros.

Journaliste : Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre l’ancien ministre pour qu’il nous explique sa marche arrière. Il a refusé.

Quelques liens connexes pour aller plus loin

Alexis Kauffmann

Et si on faisait le point sur le réseau social libre Diaspora*

lundi 29 septembre 2014 à 19:10

En 2010, 4 étudiants New Yorkais lançaient un pari fou : créer un réseau social similaire à Facebook, mais cette fois libre et décentralisé.

Avec Diaspora* (c’est le nom du logiciel, “*” compris), non seulement il deviendrait possible d’installer son propre réseau social (pour sa famille, son entreprise, sa communauté), mais les différentes installations de Diaspora* (ces instances sont appelées des “pods”) seraient capable de discuter entre elles. Cela signifie que vous pouvez avoir créé votre compte sur le pod francophone https://framasphere.org, tout en échangeant avec des amis brésiliens (par exemple) hébergés eux sur https://diasporabrazil.org/

Estimant qu’ils avaient besoin de 10 000 $ pour financer leur projet, ces étudiants firent appel à un mode de financement original pour l’époque, le financement participatif. Annoncé en avril 2010, la somme fut atteinte en 12 jours seulement, mais les financements continuèrent d’affluer jusqu’à atteindre plus de 200 000 $, faisant de Diaspora* un des premiers logiciels à être financé ainsi par le public, mais aussi l’un des rares logiciels libres disposant de fonds non négligeables. Autant dire que les attentes étaient énormes, notamment par tous les détracteurs de Facebook qui en avaient assez d’être traqués dans leurs moindres “J’aime”.

La fin de l’année 2011 fut particulièrement rude pour le projet : critique d’internautes trouvant que le projet n’avançait pas suffisamment rapidement, première version bêta repoussée de plusieurs mois et décès de l’un des fondateurs. En août 2012, le projet fut confié à la communauté via une fondation, créée pour l’occasion.

Et depuis ? … Peu de nouvelles, en fait. Le projet continue pourtant non seulement d’exister, mais de s’améliorer, et compte plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs a travers le monde.

Récemment, le projet a de nouveau fait parler de lui : une dépêche AFP reprise sur de nombreux médias pointait du doigt Diaspora* et sa décentralisation comme un lieu d’expression pour les djihadistes de l’Etat Islamique.

Flaburgan, qui contribue activement au projet Diaspora* depuis deux ans, a bien voulu répondre à nos questions et nous dire où en est le projet aujourd’hui.




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Bonjour Flaburgan, avant tout, peux-tu te présenter aux lecteurs du Framablog et nous dire comment tu es venu à contribuer à Diaspora* ?

Alors, je suis un jeune développeur web et Libriste avant tout (merci à l’IUT de Grenoble qui m’a bien éduqué en utilisant exclusivement du libre !) et je cogite un peu sur le fonctionnement actuel de notre société numérique, particulièrement l’approche que nous avons de la notion de vie privée. Je me suis donc engagé dans le projet Mozilla, et vous m’avez peut-être croisé aux conférences « Web et Vie privée » que je donne dans ce cadre (au Fosdem, aux JDLL ou ailleurs). Ma contribution au Logiciel Libre est donc orientée éducation et services. Pour moi, l’objectif du Libre est de proposer une alternative solide. Le but n’est donc pas le Graal « tout le monde n’utilise que du code Libre », mais plus simplement « si tu ne veux pas utiliser du logiciel propriétaire / non respectueux, nous avons quelque chose d’autre à te proposer ». Voici pour “alternative”. Par “solide”, j’entends utilisable sans avoir à faire de compromis (comprendre, sans perte de fonctionnalités ni d’utilisabilité).

Pour moi, le Libre remplit déjà cet objectif sur le desktop (Ubuntu / Firefox / Thunderbird / VLC / LibreOffice remplissent 90% des usages sans être plus compliqués ou plus pauvres que leur équivalent propriétaire, au contraire) et est en passe de réussir sur le mobile (au travers de projets comme Cyanogenmod et Firefox OS). Par contre, concernant les services (partage de photos, fournisseur de mail, réseaux sociaux…), il n’y a que peu d’alternatives libres, et elles sont en général plus pauvres. De plus, si on n’a aucune garantie sur ce que fait de nos données un logiciel propriétaire (mais on pourrait lui laisser le bénefice du doute), ce n’est pas le cas pour un service propriétaire, dont on est sûr qu’il exploite nos données. C’est sur ce secteur que les libristes devraient concentrer leurs efforts, Framasoft a d’ailleurs un raisonnement similaire puisque l’association réfléchit à un “Plan de Libération du Monde”[1] pour mettre en place des services Libres.

Quelle est la première brique à poser parmi tous ces services à libérer ? Le social, qui va permettre à chacun de se retrouver, d’échanger et de réfléchir pour construire ensuite notre idéal numérique. Il est pour moi capital de pouvoir accéder à tous ces échanges sans dépendre d’une entreprise à but lucratif. Le choix de diaspora* en soi s’est fait naturellement, c’est le projet le plus connu dans ce domaine, et il suffit de s’y connecter et de voir l’énergie et l’engouement des gens pour trouver du courage à contribuer. Me voici donc à suivre le projet depuis maintenant 3 ans, et à écrire du code (principalement front-end) depuis 2 ans. Comme j’avais besoin d’un endroit pour tester mon code en production, j’ai installé il y a un an le serveur diaspora-fr.org qui est sur la branche de développement de diaspora*, et je travaille maintenant avec Framasoft à la mise en place de Framasphère, un serveur diaspora* stable où tous seront les bienvenus.

Diaspora* souffre encore aujourd’hui d’une image un peu sulfureuse : il s’agissait de la première réussite d’envergure de crowdfunding logiciel, ce qui avait généré une énorme attente de la part des contributeurs. Avec le recul, beaucoup de gens semblent avoir été déçus avec un sentiment de « tout ça pour ça ? ». À juste titre, selon toi ?

Tordons le cou une fois pour toute aux rumeurs : $200k, cela fait $180k une fois que KickStarter a pris sa commission. Les fondateurs étaient 4, en ne se payant que $30k chacun, quand un salaire de développeur débutant à San Francisco est autour de $80k par an, il ne reste déjà plus que $60k. Oui, la somme récoltée était énorme pour un crowdfunding à l’époque, mais elle est ridicule lorsque l’on lance une startup, encore plus quand on la compare aux moyens de Facebook. Donc, je n’ai aucun doute en la bonne volonté des fondateurs, et ce ne sont certainement pas des voleurs comme on les a parfois injustement qualifiés.

Cependant, on ne peut pas dire que diaspora* au bout de deux ans de développement (2012) a été la réussite que l’on espérait. De mon point de vue (extérieur au projet à l’époque), il y a eu deux problèmes majeurs : une mauvaise communication et une absence de financement durable (il n’y avait à ma connaissance aucun autre business model que les dons). Il faut dire que lorsqu’ils ont demandé $10k sur KickStarter, les 4 étudiants pensaient faire une expérience pendant l’été, entre deux années de leurs cours, et n’envisageaient pas de laisser tomber leurs études pour lancer une start up. Ils l’ont finalement fait face au succès du crowdfunding. Le cocktail « beaucoup de pression + peu d’expérience » donne rarement de bons résultats, pour autant, d’un point de vue technique, la majorité des choix faits ont du sens, et la base de code aujourd’hui est saine : nous ne sommes pas dans un sac de nœuds rempli de hacks inmaintenables.

On peut donc reprocher leur manque de communication aux fondateurs, mais une chose est sûre, ils ont été les premiers à se lancer et à porter pour nous cette pression. Peut-être que sans eux, nous serions toujours là à nous plaindre à chaque changement un peu plus intrusif de Facebook sans pour autant faire quelque chose. Diaspora* a été une étincelle, un élément déclencheur : oui, on peut faire quelque chose, et oui, de nombreuses personnes pensent que cela est important. C’est en effet la première fois que l’on voyait un crowdfunding de cet ampleur, et chaque jour qui passe un nouveau scandale éclate en nous rappelant que ce projet n’est pas important mais carrément essentiel.

Par la suite, le décès d’un des fondateurs, puis le transfert du code (sous licence libre) à la communauté, via une fondation chapeautée par la FSSN a un peu donné l’impression d’un logiciel… abandonné. Rassure-nous : le projet est-il toujours actif ?

Lorsque les fondateurs ont souhaité arrêter en 2012, quelques courageux ont repris le flambeau, et la communauté de diaspora* reprend vie de plus en plus chaque jour. L’euphorie du départ n’est plus la même, mais on sait que l’on va dans la bonne direction, et de nombreux contributeurs nous rejoignent. Nous sommes aujourd’hui 446 sur loomio, l’outil que nous utilisons pour gérer le projet et prendre des décisions, et 47 personnes différentes ont participé au code depuis Août 2012, date où le projet a officiellement été transféré de Diaspora Inc à la communauté. Le projet a toujours été sous licence libre (AGPL) et plusieurs personnes qui sont aujourd’hui au cœur de la communauté travaillaient déjà avec les fondateurs à l’époque. Nous avons mis en place des numéros de versions en suivant semver, donc majeure.mineure.hotfix, en gardant un 0. en premier pour montrer que le projet n’est pas encore en “1.0”, c’est-à-dire complètement stable et prêt à être installé par tous, car s’il est prêt à être utilisé même par les plus novices, installer son instance de diaspora* est encore trop compliqué à notre goût. Nous avons sorti début septembre la version 0.4.1.0 de diaspora*, soit une version mineure après la sortie de la 0.4.0.0 fin Juin. En deux ans, nous avons donc sorti 4 versions majeures soit 2405 commits depuis la 0.0.0.0 le 15 octobre. Vous pouvez retrouver chaque release sur github. Je pense qu’on peut le dire, le projet est actif :)

Par ailleurs, les critiques techniques relatives au logiciel ont toujours été présentes : diaspora* utilise Ruby et Postgresql ou Mysql, alors que d’autres lui préféreraient XMPP et ou CouchDB. Même s’il faut reconnaître que critiquer les choix technologiques d’un logiciel est pour le geek l’équivalent sportif de la critique des choix d’un sélectionneur d’une équipe de foot, peut-on considérer que Diaspora* est construit sur des bases solides ?

Chaque technologie a ses avantages et ses inconvénients. Si diaspora* avait été écrit en PHP, il aurait été beaucoup plus facile d’installer un serveur, car les mutualisés ont tous PHP disponible. De même, il y a beaucoup plus de monde qui connaît PHP que Ruby, donc nous aurions certainement eu plus de contributions. Pour autant, maintenir une grosse application en PHP est un véritable calvaire, et même si Ruby reste le langage principal de diaspora*, 30% du code est aujourd’hui du JavaScript avec Backbone. Il n’y a pas de technologie parfaite, chacune a ses avantages et ses inconvénients. Les choix faits ici ne sont ni meilleurs ni pires qu’autre chose. La seule problématique importante pour moi est celle du protocole utilisé pour communiquer entre les nœuds. Il n’existe pas de protocole parfaitement adapté pour faire du social de manière décentralisé. Des projets comme Movim ou Libertree se sont basés sur XMPP. Cela a l’avantage d’avoir un chat et une gestion des contacts déjà en place et interopérable avec de nombreux autres services, d’ailleurs, nous travaillons en ce moment à l’intégration d’un chat basé sur XMPP dans diaspora*. Mais XMPP n’est pas non plus le protocole miraculeux : il n’est notamment pas prévu pour gérer la notion de messages “publics”, c’est à dire sans destinataire particulier. Je n’ai cependant pas étudié suffisamment le fonctionnement de ces protocoles pour en parler en détail (à quand une interview de Timothée sur le Framablog ?) En tout cas, l’idée de partir sur quelque chose de nouveau (mais basé sur Salomon) pour diaspora* puis de l’améliorer au fur et à mesure avant de le faire devenir un standard “De Facto” est une manière de faire classique sur le web. Donc, pourquoi pas.

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Les expérimentations d’autres réseaux sociaux fédérés et décentralisées sont nombreuses. Que penses-tu, à titre personnel, de tels projets, comparés à Diaspora* ?

La réponse précédente explique mon point de vue sur la question. Il est rare de voir des gens travailler d’abord sur un standard puis les projets l’implémenter, même si c’est ce que cherchent à faire les gens de Tent.io. En général, on voit plutôt chaque projet se développer dans son coin, et celui qui fonctionne le mieux devient un standard et il est adopté par les autres. La diversité est toujours bonne quand la concurrence est saine. Ce qui est certain, c’est qu’on aimerait bien avoir une plus grande interopérabilité entre les projets, nous travaillons notamment un peu avec Friendica / la RedMatrix et GNU Social, mais on manque vraiment de monde pour travailler sur ces sujets.

Très récemment, Diaspora* est revenu sur le devant de la scène médiatique : les réseaux sociaux décentralisés seraient devenus un repaire pour djihadistes en mal d’hébergement et de visibilité. Peux-tu nous en dire plus sur cette affaire ?

Nous avons vu arriver en quelques jours environ 200 comptes qui diffusaient du contenu de propagande pour l’État Islamique. La communauté s’est très vite mobilisée pour lister les contenus susceptibles d’être illégaux puis nous avons averti chaque administrateur. Selon le pays où il se trouve, un hébergeur est responsable du contenu sur ses serveurs. À ma connaissance, les podmins ont donc choisi de supprimer les contenus litigieux. C’est un choix que chaque administrateur a eu à faire, de par la nature décentralisée du réseau diaspora*, la fondation n’est pas responsable des contenus et n’a donc pas eu de rôle légal dans l’histoire. Vous pouvez en savoir plus en lisant les articles rédigés sur le blog pour l’occasion : https://blog.diasporafoundation.org/

Diaspora*, c’est une poignée de développeurs bénévoles sur leur temps libre, et très, très peu de fonds. Facebook, c’est plus de 7 000 employés à temps plein et un chiffre d’affaires de près de 8 milliards de dollars en 2013. Les réseaux sociaux libres ont-t-il une chance face au mastodonte Facebook ?

Tout dépend où l’on fixe l’objectif. Comme je l’ai dit dans la première question, si le but est d’avoir plus d’utilisateurs que Facebook, probablement pas. Mais notre but est-il là ? Pour moi, notre but est de permettre aux gens qui veulent quitter Facebook de le faire facilement. Si nous arrivons à offrir un équivalent de qualité facile à utiliser, nous aurons réussi, peu importe le nombre d’utilisateurs. Il y en a déjà bien assez pour ne pas se sentir seul.

Il y a ces derniers jours un gros buzz autour d’Ello, un nouveau réseau social qui se veut une alternative à Facebook, avec plus de liberté pour l’utilisateur (possibilité d’utiliser un pseudo, moins strict sur le contenu autorisé (pornographique notamment), pas de pub ni de revente de données). Est-ce que tu penses que de nombreuses personnes vont migrer de Facebook vers ce projet, nouveau concurrent de diaspora* ?

Le seul avantage que je vois à Ello est la facilité à comprendre le projet pour les Mme Michus : un site, une entreprise, un compte à se créer bref, aucun nouveau concept à assimiler pour l’utiliser, à la différence des réseaux décentralisés qui sont différents de ce à quoi les gens sont habitués. Mais l’intérêt s’arrête là. La comparaison ne tient sur aucun des autres points : les avantages mis en avant par Ello et cités dans la question sont présents dans tous les réseaux sociaux Libres que je connais. Pour autant, Ello ne propose aucune garantie :

Bref, Ello n’est clairement pas la solution que l’on attend pour remplacer Facebook, et je crois que beaucoup l’ont déjà compris. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que depuis que ce buzz a commencé, nous avons vu plus de 3 000 personnes inactives depuis longtemps se reconnecter sur diaspora*, lisant les articles sur Ello et se rappelant qu’elles avaient déjà entendu parler d’une vraie alternative libre à Facebook. L’annonce de ce projet est donc une bonne nouvelle pour Diaspora*, cela démontre qu’aujourd’hui encore nous avons besoin d’une alternative solide.

Où peut-on tester Diaspora* aujourd’hui ?

Il y a de nombreux serveurs ouverts à l’inscription, le site officiel indique bien (et en français) comment commencer dans l’univers de diaspora*. Si vous ne savez pas lequel choisir et que vous avez confiance en Framasoft pour héberger vos données, alors framasphere est le serveur qu’il vous faut !

Merci Flaburgan, quelque chose à ajouter ?

Bien sûr : si vous aussi vous pensez que le Web a besoin d’un endroit où tous peuvent communiquer sans que leurs données soient analysées à des fins publicitaires ou autres, venez nous donner un coup de main ! Nous avons un wiki très complet et besoin de tout type de contributeurs, développeurs (Backbone, Bootstrap, Rails ou SQL) comme traducteurs, communicants / marketing, blogueurs, sysadmin et autre ! Découvrez comment contribuer au code ou de manière non technique.

Notes

[1] Note de Framasoft : on vous en reparle très bientôt ! :-)

Geektionnerd : Shellshock

vendredi 26 septembre 2014 à 17:40

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Sources sur Numerama :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)

Enercoop : libérer les énergies

lundi 22 septembre 2014 à 12:33

Enercoop est un fournisseur français d’électricité d’origine renouvelable.

Depuis fin 2006, cette coopérative permet donc aux français d’approvisionner leur foyer ou leur entreprise en énergie dont les sommes facturées sont ensuite reversées auprès de producteurs d’énergies “100% verte”.

Les valeurs portées par Enercoop (et les partenaires qui la soutienne) ne sont pas sans rappeler celles du logiciel libre. Il ne s’agit en effet pas juste de dénoncer la position de monopole (de fait) d’EDF en proposant de déconcentrer le marché de l’éléctricité, mais bien aussi de proposer une autre façon de produire et de consommer de l’énergie. La production est ainsi centrée sur les énergies renouvelables exclusivement, et la consommation est elle axée sur une transparence entre les producteurs et clients, en réalité tous sociétaires de la coopérative. Le paralèlle peut donc être fait avec le libre où les licences permettent intrinsèquement la copie, la collaboration et la réutilisation de code source (avec une tracabilité des auteurs), et où les utilisateurs ne sont pas considérés comme des clients, mais comme une communauté (avec souvent une entraide entre utilisateurs, et la possibilité d’une communication directe entre les développeurs et les utilisateurs finaux).

Au-delà de ces valeurs communes et du “100% énergie verte”, Enercoop vise le “100% logiciel libre”.

A l’occasion de la première “Journée de la transition citoyenne”, ce 27 septembre, à laquelle Juilen Noé, Directeur d’Enercoop, invite les associations du libre à participer, nous avons donc souhaiter interroger David Affagard, responsable des Systèmes d’Informations de la coopérative.

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Bonjour David, peux-tu te présenter en quelques phrases ?

Je suis arrivé chez Enercoop il y a un an pour le développement d’une application de type ERP, mais très vite le projet, par nécessité, s’est étendu à la refonte globale du SI Enercoop. Je me suis toujours défendu d’être un informaticien, gêné par le côté réducteur de cette qualification. Mais je suis aussi ce que mes collègues font de moi… J’ai donc été le premier “informaticien” à avoir intégré Enercoop, et, heureusement, je ne suis déjà plus le seul.

J’ai une formation initiale d’ingénieur polyvalent, Arts et Métiers avec une spécialisation en énergétique. J’ai investi le monde de l’informatique dès ma sortie de l’école dans le monde de l’industrie, mais j’ai réellement commencé à le faire avec plaisir au milieu des années 90 avec le multimédia et l’arrivée d’internet. J’ai participé à de nombreux projets multimédia avec Infogrames jusqu’en 1997 avant de créer avec un ami notre propre “maison”. Pendant 15 ans nous avons développé des applications internet/intranet pour les entreprises sur des technologies reines de l’open source internet (linux, perl, python, php, postgreSQL,…). Ce projet est arrivé à son terme de manière accidentelle en 2013. Il était alors nécessaire pour moi de tourner une page. Militant Greenpeace depuis longtemps, je connaissais Enercoop sans y être client ou sociétaire, donc, quand je suis tombé sur l’annonce, je me suis vraiment pris à rêver d’un projet qui rassemblerait mes connaissances et mes convictions personnelles. À 50 ans, après une longue période d‘“indépendance”, je goûte maintenant aux délices de la coopération au sein d’une grande équipe pour un projet de société que je souhaite voir émerger.

Enercoop, ça fonctionne comment ?

Enercoop est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif. Son objet est de fournir aux citoyens une électricité produite à 100% par des énergies renouvelables : hydraulique, solaire, éolien et biomasse. Enercoop est une alternative concrète à la civilisation de la combustion. Nous fournissons une énergie électrique libérée du nucléaire et des énergies fossiles. Le capital d’Enercoop est distribué en parts sociales dont l’acquisition est ouverte à toute personne physique ou morale qui veut trouver sa place et soutenir le projet. Les sociétaires répartis par collèges sont les consommateurs (clients pour la fourniture d’électricité), les producteurs, les porteurs (créateurs du projet), les partenaires,les salariés et les collectivités. L’achat de parts sociales n’est pas limité en quantité. Un sociétaire possède une voix quelque soit le nombre de parts sociales qu’il détient. De fait l’investissement de chaque sociétaire est l’expression de son soutien au projet, mais il ne lui donne pas de pouvoir proportionnel à son investissement. Ce principe place Enercoop à l’abri d’une prise de pouvoir par le capital.

Aujourd’hui Enercoop est un fournisseur d’électricité au niveau national qui fonctionne avec un réseau de coopératives locales. En 2006 l’ouverture du marché de l’électricité a ordonné la séparation du réseau de distribution (ERDF) de celui de la fourniture (EDF). La fourniture d’électricité consiste à apporter au réseau de distribution une production électrique égale aux besoins de consommation des clients. Le réseau de distribution (ERDF) est l’infrastructure physique qui permet l’acheminement de l’électricité jusqu’aux compteurs, il ne produit pas d’électricité. Le fournisseur (Enercoop) apporte l’énergie au réseau de distribution.

Enercoop est un concurrent direct d’EDF, de Direct Energie, etc… Notre particularité est d’être le seul à proposer une fourniture d’électricité 100% renouvelable. Nos consommateurs savent que nous ne sommes pas dans le groupement des fournisseurs affiliés au nucléaire (ARENH). Chaque euro dépensé en consommation électrique Enercoop est intégralement fléché vers la production verte. Certains fournisseurs proposent une offre d’énergie verte tout en achetant de la production « grise » (nucléaire, charbon, pétrole). En France, un producteur d’énergie verte a le droit de vendre sa production sans sa « garantie d’origine verte », il peut vendre cette « garantie d’origine » par ailleurs à un autre fournisseur, sans la production ad hoc. Ceci permet au fournisseur d’accoler cette « garantie verte » à une production qui ne l’est pas… Enercoop milite contre ces méthodes.

Enercoop est un militant écologiste. Notre militantisme ne s’arrête pas au simple marché de l’énergie. Au travers de notre développement, nous défendons un modèle de société et de vivre ensemble. Dans une logique capitaliste, un fournisseur d’électricité serait amené à concentrer ses moyens techniques et organisationnels en un point du territoire afin de rentabiliser son infrastructure et ses équipes. Enercoop choisit une autre voie : le développement du cycle court. Il s’agit au contraire de déconcentrer nos infrastructures pour les distribuer et les rapprocher de nos acteurs : producteurs et consommateurs. Ainsi depuis 2009, Enercoop a essaimé, non pas en créant des agences dépendantes d’une coopérative mère, mais en créant des coopératives de région indépendantes . Aujourd’hui, Enercoop national concède à la coopérative Enercoop de région un droit d’exploitation de la marque Enercoop. Sept coopératives en région sont déjà installées et deux autres sont sur le point de naître.

D’après Wikipédia, Enercoop compterait 20 000 sociétaires en 2014. C’est à la fois beaucoup, et très peu face à l’opérateur historique, EDF, qui servirait près de 40 millions de clients au niveau mondial. Cela n’est pas sans rappeler la position du libre face aux géants du logiciel (Microsoft, Adobe, etc) et de l’internet (Google, Facebook, etc). Les communautés “alternatives” ont-elles vraiment une chance face aux industriels installés depuis des décennies ?



Avec Enercoop nous sommes concurrents d’EDF, mais nos valeurs et nos méthodes sont très différentes.

Nous avons la volonté de grandir, certes parce que le projet nous tient à cœur, mais plus encore pour représenter un poids politique et peser sur la transition énergétique et les grandes décisions stratégiques gouvernementales. Aujourd’hui, le Kwh Enercoop coûte plus cher que le Kwh EDF. Chaque fois que le gouvernement applique une augmentation de l’électricité, ceci n’affecte que le prix régulé du Kwh EDF. Le nôtre est inchangé depuis 2006 essentiellement parce qu’il n’est pas influencé par le financement de la filière nucléaire. En conséquence l’écart se réduit… petit à petit les règles changent. Aujourd’hui 20.000 clients nous ont choisi. Parmi nos clients nous comptons bon nombre de particuliers militants, mais aussi de collectivités et de professionnels qui ont compris la nécessité de construire une économie vertueuse et équilibrée. Espérons que dans quelques années nous ne soyons plus les seuls à proposer notre modèle, ce sera un succès pour nous, partagé avec d’autres fournisseurs, producteurs et consommateurs.

Notre adhésion au mouvement du logiciel libre n’est pas dirigée contre les géants. Elle est dirigée pour soutenir le partage et la diversité de nos intelligences.

Quels sont les types de logiciels utilisés par Enercoop ?

Nous utilisons un mix de logiciels entre applications standard et applications spécifiques métier.

Nous avons entamé il y a un an un refonte de notre Systèmes d’Informations poussée par la nécessité de déployer un ERP métier spécifique à la gestion de l’énergie. Nous avons pris le parti de recourir systématiquement au monde du libre. Notre objectif est d’interfacer chacune de nos applications avec notre openLdap d’une part pour bénéficier de l’authentification unique avec notre CAS et d’autre part pour réaliser, quand c’est nécessaire (et possible), des transferts de données d’une application à une autre.

Sur ce principe, voici la suite exhaustive de nos applications collaboratives et standard connectées à notre LDAP :

Les applications que nous envisageons de connecter à LDAP : (pas encore réalisé, faute de temps…)

Dans le cadre de la refonte SI, nous développons avec la société Axelor et notre partenaire Sorégies une applications métier sur un framework libre développé en Java/XML sous PostgreSQL. Il s’agit d’un ERP baptisé CoopEner qui couvre :

CoopEner est bien sûr interconnecté sur notre LDAP, il nourrit LDAP.

Depuis sa création en 2006, Enercoop a, de manière naturelle, déployé des machines sous Windows.
Depuis un an, nous avons lancé la migration de notre parc sous Linux.
Nous avons opté pour une distribution Linux/Debian optimisée pour nous par Easter Eggs.
Nous faisons une sélection de logiciels libres que nous installons dans une configuration unique que nous déployons pour tous les salariés Enercoop.
Nous retrouvons tous les standards du libre : ThunderBird, Iceweasel (Firefox), Filezilla, Linphone, Gimp, Okular, QGIS, Notes Tomboy, LibreOffice, etc…
La migration n’est pas chose simple. À ce jour nous avons migré la moitié de notre parc (25 postes sur 50). Nous avons résolu les problèmes techniques de migration logiciel, mais la difficulté chronophage est la réorganisation et la gestion du changement. La gestion de parc est techniquement facilitée avec GLPI.
Linux ne nous empêche pas d’utiliser ponctuellement des applications Windows auxquelles nous ne pouvons échapper (il y en a encore :))
Pour des applications métier “historiques” nous avons optimisé notre configuration Linux afin d’utiliser ces outils en session à distance… Ainsi nous n’avons pas besoin de Windows sur les postes de travail ce qui est un gain substantiel pour la gestion du parc.

Nos prestataires :

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Quelle est la politique de la coopérative vis-à-vis du logiciel libre ?

Notre objectif est d’avoir recours à 100% aux solutions libres et d’apporter notre participation en terme d’intelligence et de financement.

Les prestations que nous finançons peuvent être reversées à la communauté du libre, nous encourageons nos prestataires à le faire.
Développer le logiciel libre au cœur de notre activité suppose aussi une collaboration de confiance avec nos prestataires informatiques, la mise en place d’un éco-système stable où chaque acteur trouve les éléments de son équilibre.
Dans cette approche, nous souhaitons soutenir directement des projets de développement libre qui nous sont servis “sur un plateau”.
Nous soutenons financièrement des projets de production d’énergie verte, ça nous semble cohérent de soutenir aussi pour des projets qui nous permettent de développer notre SI, cœur de notre activité.

Quels arguments donnerais-tu à un responsable S.I. qui pourrait le pousser à utiliser du logiciel libre dans son infrastructure informatique ?

Le logiciel libre permet aux travailleurs modernes de sortir du prolétariat.

Le prolétaire est un mot antique que Marx a fait resurgir pour qualifier le travailleur qui ne possède pas son outil de travail et qui, pour vivre, doit mettre à disposition du capital son énergie personnelle et son intelligence sans qu’elles soient capitalisées. Le logiciel propriétaire est un logiciel qui entretient la dualité capitaliste / prolétaire : il conduit les SI des entreprises à n’être que des acheteurs, intégrateurs, consommateurs et promoteurs de solutions informatiques clef-en-main sur lesquels il n’y a pas d’emprise, sur lesquels les SI n’apportent aucne valeur, aucune énergie, aucune intelligence.

Le logiciel propriétaire fait de l’informaticien un prolétaire.

Le logiciel libre donne à tous salariés d’Enercoop et aux informaticiens en particulier, les moyens de domestiquer, de comprendre et d’enrichir les systèmes qu’ils utilisent.
Le logiciel libre signifie le partage de la connaissance, c’est la base de l’enseignement, du développement d’une culture libre et de l’épanouissement intellectuel de chacun.
Ce n’est pas un choix facile car nous sommes tous sollicités par des solutions propriétaires alléchantes et performantes. Mais si nous nous comportons comme des consommateurs avides de se satisfaire de solutions toutes faites et rapides dans lesquelles nous ne sommes plus acteur, certes nous serions heureux d’apporter des solutions rapides à nos collègues et dirigeants, mais nous perdrions la maîtrise et la richesse de ce que nous faisons.
Le fait de choisir des solutions libres à tous les niveaux de notre SI nous permet de maitriser la construction globale de notre ouvrage. Si nous avons besoin de faire communiquer des solutions entre elles, nous avons des possibilités, nous ne sommes pas coincés par le bon vouloir d’un éditeur, nous sommes guidés par une imagination que nous partageons avec nos prestataires. Sur le développement de notre infrastructure et la refonte de notre SI logiciel, nous sommes aujourd’hui réellement dans cette capacité.

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Le Collectif pour une Transition Citoyenne, dont Enercoop est partenaire, organise ce 27 septembre une “Journée de la Transition citoyenne”. Peux-tu nous en dire plus ?

Initiés par le Collectif pour une Transition Citoyenne qui regroupe à ce jour 16 structures (la Nef, Terre de Liens, Enercoop, Biocoop, les Amis de la Terre, etc.), les événements du 27 septembre se donnent pour objectif d’inviter les citoyens à s’engager de manière concrète dans la transition : donner du sens à son argent, s’approvisionner en énergie renouvelable, en produits sains et locaux…

Depuis le printemps dernier, chaque structure membre du Collectif et d’autres partenaires invitent leurs réseaux à se mettre en lien localement pour organiser une Journée de la Transition. Ces synergies aboutissent depuis à l’organisation de plus de 150 Journées de la Transition sur les territoires !

Le 27 septembre, c’est donc l’occasion de faire connaître au plus grand nombre les acteurs qui composent ce mouvement, de montrer que la transition est en marche et qu’elle doit se faire par les citoyens, pour les citoyens !

Les associations du libre sont invitées à participer à ces journées, pour sensibiliser le public sur les enjeux numériques et les alternatives existantes à l’informatique propriétaire/privatrice. Comment peuvent-elles participer ?

Les associations du libre sont effectivement les bienvenues !

Pour participer, c’est simple, il suffit de prendre contact avec l’organisateur de l’événement et voir comment il est possible de s’intégrer dans leur programme. La participation le jour J peut prendre différentes formes : projection-débat, stands, animations… à chacun de trouver le format idéal pour faire passer son message !

Les coordonnées des organisateurs se trouvent sur la page dédiée à chaque événement. http://www.transitioncitoyenne.org/27septembre2014-journees-transition/

Merci David ! Un dernier mot pour la fin ?

Puisque j’en ai l’opportunité ici, je vais reprendre André Gorz. Cet extrait argumente, pour moi, la substance du projet Enercoop ; il explique le lien évident que nous souhaitons cultiver entre le projet Enercoop et le monde du logicel libre.

Une économie au-delà du travail emploi, de l’argent et de la marchandise, fondée sur la mise en commun des résultats d’une activité comprise d’emblée comme commune, s’annonce possible : une économie de la gratuité.
C’est la fin du travail ? Au contraire : c’est la fin de la tyrannie qu’exercent les rapports de marchandise sur le travail au sens anthropologique. Celui-ci peut s’affranchir des «nécessités extérieures» (Marx), recouvrer son autonomie, se tourner vers la réalisation de tout ce qui n’a pas de prix, ne peut être ni acheté ni vendu; devenir ce que nous faisons parce que réellement nous désirons le faire et trouvons notre accomplissement dans l’activité elle-même autant que dans son résultat.

La grande question est : que désirons-nous faire dans et de notre vie ? Question que la culture économiste du «plus vaut plus» empêche de poser
Il s’agit là, c’est entendu, d’une utopie. Mais d’une utopie concrète. Elle se situe dans le prolongement du mouvement des logiciels libres qui se comprend comme une forme germinale d’économie de la gratuité et de la mise en commun, c’est-à-dire d’un communisme. Et elle se situe dans la perspective d’une élimination de plus en plus complète du travail emploi, d’une automatisation de plus en plus poussée qui fera (et fait déjà) de la conception de logiciels de loin la plus importante activité productive - productive de richesse mais non de « valeur ».”

CRISE MONDIALE, DECROISSANCE ET SORTIE DU CAPITALISME - André Gorz, 2007 http://www.esprit68.org/deuxtextesgorz.html


Geektionnerd : Projet de loi « terrorisme »

vendredi 19 septembre 2014 à 13:51

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Sources :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)