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Un logiciel médical libre contre l’emprise du privateur prédateur

vendredi 18 août 2017 à 08:18

Attention, c’est du lourd.

Ce qu’explique ici Jérôme a de quoi faire douter non de la médecine mais bien de l’intelligence et de la vigilance de nombreux praticiens.

Voilà des professionnels qui après de longues années études ont un haut niveau de compétence dans leur domaine, qu’ils soient spécialistes ou généralistes, mais qui sont d’une incroyable négligence sur la confidentialité des données de leurs patients (pourtant, le serment d’Hippocrate…)

Loin de rester dans la déclaration d’intention, le libriste convaincu auquel nous donnons la parole agit concrètement via son entreprise pour diffuser les bonnes pratiques au sein d’une profession qui selon lui a beaucoup de retard dans le domaine de l’informatique médicale.

Bonjour, pourrais-tu te présenter brièvement ?

Je m’appelle Jérôme Pinguet, j’ai 38 ans, je suis médecin généraliste, développeur de logiciel libre et entrepreneur.

C’est quoi cette histoire de médecine « libre », elle est prisonnière, la médecine ?

Les logiciels utilisés au quotidien par les professionnels de santé, par exemple pour conserver des notes à l’issue d’une consultation de médecine générale, pour visualiser les images d’un examen de radiologie, ou pour transmettre des données à un autre professionnel de santé sont dans leur immense majorité des logiciels privateurs, non libres.

Les médecins sont confrontés à des multiples tentatives d’influence dès le début de leurs études et jusqu’à la fin de leur carrière.

Dès les premiers stages à l’hôpital en tant qu’étudiants hospitaliers, l’industrie pharmaceutique envoie des visiteurs médicaux qui leur distribuent des documents, des livres ou des stylos siglés avec le nom de marque d’un médicament et le nom du laboratoire. Quand ils deviennent médecins en formation (internes) les méthodes d’influence incluent le financement de repas ou de formations, ou encore de l’aide pour leur thèse.

Aujourd’hui, des groupes d’étudiants comme la Troupe du RIRE, essaient de lutter contre cette influence néfaste et contre la présence de ces visiteurs au sein des hôpitaux universitaires.

Les médecins généralistes qui exercent en mode libéral, dans leurs cabinets, reçoivent la visite des représentants de l’industrie pharmaceutique qui font le pied de grue dans la salle d’attente et qui sont aguerris aux techniques de communication. Il est souvent difficile de refuser la visite médicale. Depuis quelques années, la communication de l’industrie pharmaceutique auprès des prescripteurs passe par des publicités au sein des logiciels professionnels.

La loi interdit la publicité au sein du module de prescription, mais un lobbying efficace de l’industrie pharmaceutique lui permet de s’associer aux éditeurs de logiciels pour proposer des bandeaux ou des économiseurs d’écran publicitaires qui apparaissent quelques secondes avant ou après la prescription. Ces méthodes sont efficaces, et en même temps que les plans sociaux diminuent le nombre des représentants qui viennent frapper à la porte des médecins, des partenariats entre l’industrie et les éditeurs font ressurgir l’influence par la fenêtre des logiciels.

Donc, malheureusement, la médecine n’est pas libre de l’influence néfaste des lobbies, et ce n’est pas limité à l’industrie pharmaceutique.

Tu es sans doute témoin quotidiennement des risques pour la confidentialité des données médicales que représentent l’usage du cloud, d’outils propriétaires opaques, voire des transmissions de fichiers ou leur croisement dans un dossier médical unique… peux-tu expliquer la situation et donner quelques exemples ?

Le système censé protéger la transmission des informations médicales le plus répandu s’appelle Apicrypt. L’entreprise qui édite cette solution au nom de l’association APICEM n’a jamais publié aucun audit. Le code n’est pas accessible. Les algorithmes utilisés ne sont pas publiés. Les quelques analyses de reverse engineering publiés par des informaticiens curieux sont très négatives. J’ai écrit de nombreux messages sur les forums et les listes de discussion qui regroupent des professionnels de santé pour tenter d’alerter mes collègues mais rien n’y fait. Cette solution qui véhicule 50 % des données médicales des français a tout de ce que les spécialistes en sécurité informatique et les cryptologues appellent la snake-oil crypto.

La plupart des logiciels médicaux distribués par les éditeurs français membres de la FEIMA (Fédération des Éditeurs d’Informatique Médicale et Paramédicale Ambulatoire) contiennent un module concocté par l’entreprise IMS Health, leader mondial de la vente de données santé à l’industrie pharmaceutique. Ce module ne peut jamais être supprimé par l’utilisateur. Les médecins reçoivent des propositions pour revendre les données médicales de leurs patients à cette entreprise IMS Health (récemment rachetée par Quintiles). Après activation du module, en échange de leur travail de codage et de l’envoi d’informations (notamment leurs prescriptions), ils reçoivent de l’argent ou des réductions sur le coût de l’abonnement au logiciel ou à la base de données sur les médicaments. Ils peuvent aussi recevoir des bons d’achats.

Je ne sais pas si les médecins qui font ça préviennent leurs patients.

Il est inacceptable d’imposer la présence d’un tel module dans le logiciel des médecins, même s’il n’est pas activé. Qu’arriverait-t-il si ce module, programmé pour transmettre des données vers l’extérieur, était détourné de son usage par un tiers malveillant ?

Il est également inacceptable que des médecins se prêtent à ce commerce : même s’ils sont une infime minorité, ils remettent en cause le caractère absolu du secret médical, qui est le fondement de la relation de soin.

La relation de confiance entre patient et médecin est compromise si nos données médicales ne demeurent pas strictement confidentielles. Photo par Vic  (CC BY-2.0)

 

Quelles sont les chances pour les logiciels libres de se faire une place dans le milieu médical, à commencer par notre médecin généraliste ?

Classiquement, dans beaucoup de domaines, la médecine a dix, vingt, trente ans de retard. C’est le cas pour l’informatique médicale. C’est une activité un peu à part. Parfois, il y a de bonnes raisons pour lesquelles les choses n’évoluent pas aussi vite que dans les autres secteurs du numérique. Le côté clunky des logiciels médicaux est parfois une fonctionnalité, pas un défaut : il s’agit d’éviter les erreurs médicales, au risque d’obtenir une expérience utilisateur désagréable par rapport à la dernière application pour smartphone.

La révolution du logiciel libre aura lieu. Je fais tout pour qu’elle arrive vite. La médecine générale libérale, mon domaine de prédilection, est en crise. Une crise de vocation essentiellement. Les jeunes médecins généralistes diplômés n’ont plus envie de faire ce métier. 80 % font autre chose.

Donc, soit cette profession évolue, soit elle disparaît. J’aimerais participer modestement à redorer le blason de cette médecine en proposant des outils innovants mais sans concession sur l’éthique. La plupart des médecins ne le savent pas encore, mais ils ont un besoin vital de logiciels libres !

Tu as manifestement une double casquette, médecin la journée et développeur la nuit ? Quelle a été ta part de contribution (et celle d’autres contributeurs) dans la création de ce logiciel ?

J’ai été médecin remplaçant pendant 4 ans puis j’ai arrêté de pratiquer la médecine pour créer une société de service en logiciel libre en 2012. J’utilisais Ubuntu depuis 2008. En 2011, au cours d’un de mes remplacements où le logiciel de prescription était obsolète et inutilisable, j’ai découvert sur les forums francophones d’Ubuntu l’existence d’un logiciel libre de gestion des dossiers patients appelé Medintux qui fonctionnait avec un module de prescription libre appelé FreeDiams. Ca m’a rendu service et j’ai commencé à contribuer à la documentation, à faire remonter des bugs. FreeDiams pouvait être compilé en tant que logiciel indépendant mais c’était également un plugin au sein d’un projet d’EMR (Electronic Medical Record) appelé FreeMedForms créé par Eric Maeker, médecin aussi, en 2008.

Au début mon entreprise fournissait des services pour Medintux et FreeMedForms mais j’ai été rapidement frustré par le manque d’évolution du code de Medintux et je me suis consacré entièrement à FreeMedForms. J’ai pris des responsabilités croissantes au sein de la communauté en gérant le wiki, les forums, les mailings lists, en créant un VPS pour héberger certains de ces services de manière autonome, jusqu’à mes premiers commits C++/Qt en 2014.

En 2015 j’étais la seule personne à maintenir le projet et le code source, j’ai sorti deux nouvelles versions. J’ai aussi représenté le projet aux RMLL 2014 et 2015.

En 2016 j’ai décidé de forker FreeMedForms pour créer un nouveau projet appelé FreeHealth EHR (Electronic Health Record).

Au niveau des commits je suis le deuxième commiteur du projet, loin derrière Eric Maeker qui a écrit plus de 75 % du code. FreeHealth intègre le code, le design et la structure en plugins de l’IDE Qt (Creator) ainsi que de quelques autres projets libres. Mes derniers programmes, je les avais écrits en GFA Basic sur ATARI 520 STF il y a très longtemps ! J’ai dû réapprendre la programmation en urgence en 2014 avec comme langage C++/Qt et comme premier TP la gestion d’un logiciel de 600 000 lignes de code sans pouvoir bénéficier des conseils du créateur du projet qui s’était mis en retrait pour se consacrer à ses projets professionnels et personnels.

Ce ne fut pas facile mais ce fut une expérience unique. Un peu comme commencer à apprendre à naviguer puis avant même la fin de son premier stage de voile aux Glénans, se retrouver à la barre d’un Imoca de 60 pieds aligné au départ de la Route du rhum.

Des Imocas à l’entraînement, photo par JJ. Abalain (CC-BY-2.0)

 

L’application est-elle compatible avec le workflow de la Sécu, la carte Vitale, la carte bancaire, etc. ?

Pour l’instant, non. La prochaine version 0.11 se servira du code du logiciel libre CardPeek pour lire les Cartes Vitales.

Le but est de sécuriser l’ouverture du dossier pour éviter les erreurs d’identité et de faire gagner du temps au médecin qui pourra ouvrir le dossier en un clic au lieu de chercher un patient dans la liste en tapant son nom. C’est du temps gagné aussi au moment de la création d’un nouveau dossier patient. CardPeek est capable de récupérer les données d’identité, notamment le numéro de sécurité sociale, ce qui évitera de faire des erreurs à cause d’homonymes par exemple.

Gérer la télétransmission des feuilles de soins électroniques à l’Assurance Maladie est une tout autre histoire. Ça demande des ressources, du temps, une homologation par le mille-feuille administratif. Il faut savoir qu’il y a trois agences, en plus de l’assurance maladie, qui s’occupent des labels, certifications et homologation des logiciels médicaux. Pas de guichet unique, au contraire ! Pour les démarches les plus simples, l’Assurance Maladie, la Haute Autorité de Santé, le GIE Sesam Vitale, ASIP Santé se renvoient généralement la balle pendant des semaines. Il y a de quoi décourager les projets qui ne peuvent pas déployer une armée d’employés chargés de dialoguer avec le labyrinthe administratif de la e-santé française. Le résultat ne s’est pas fait attendre : deux acteurs concentrent 80 % du marché du logiciel métier pour les médecins libéraux, les solutions pour la télétransmission ou l’accès aux téléservices (comme faire un arrêt de travail dématérialisé) sont médiocres et coûteuses.

Ces agences gouvernementales mettent de telles barrières administratives et financières (il faut payer pour avoir droit à la documentation administrative, je me demande d’ailleurs si c’est bien légal) que les projets libres ou les startups jettent l’éponge rapidement et finissent par utiliser les logiciels existants.

À ces contraintes il faut en ajouter une qui résonne étrangement dans la communauté du logiciel libre : celle de signer des accords de non divulgation avant de pouvoir manipuler les documents administratifs, les bibliothèques logicielles et les jeux de cartes de test (cartes Vitale du patient et carte CPS du professionnel de santé).

Bref, tout est fait pour anéantir l’innovation en général et compliquer la tâche des libristes en particulier.

Mais nous ne nous avouons pas vaincus ! Je reste déterminé à tenter de regrouper tous les projets libres en santé français ainsi que les startups et tous ceux qui tentent de faire bouger ce système pour élaborer un projet commun de gestion de la CV et de la CPS. Si on réussit à développer un projet et un code open source commun, nous arriverons à créer une brèche dans la citadelle de la e-santé. Nous en discutons sur la liste de diffusion francophone de LibreHealthCare, ce collectif créé il y a deux ans et qui tentent de créer des synergies dans le domaine de l’open source pour la santé.

C’est bien joli tout ça, mais le logiciel est gratuit, comment la société que tu as créée peut-elle y trouver son profit ?

Pour ce qui est de la communauté : le logiciel n’est pas gratuit. Il est libre et il est mis à disposition au téléchargement sur le site à prix libre. La plupart des utilisateurs choisissent un prix libre de 0€ mais celles et ceux qui le souhaitent peuvent faire un don ou devenir contributrices ou contributeurs.

Pour ce qui est de mon entreprise : je facture l’installation et la maintenance. Je vends des serveurs Debian ou Ubuntu pour stocker les bases de données sur un SGBD (MySQL ou MariaDB) dans le cabinet et j’en assure la maintenance. Je réalise également des développements spécifiques de formulaires pour des cabinets ou des centres de santé. Sous licence libre aussi, et j’essaie de convaincre mes clients de me laisser publier le code source, avec 100 % de succès jusqu’à présent. Quand ces formulaires (xml, html, JavaScript et CSS) sont mûrs et traduits en anglais, ils finissent par fusionner avec le code source principal du projet.

Bientôt je proposerai un système de prise de rendez-vous en ligne hébergé, payant pour les cabinets, basé sur un logiciel libre et sur des standards libres (iCal, ics, calDAV) bien sûr !

La documentation a l’air assez complète et l’ergonomie est pensée pour faciliter la vie à l’utilisateur, mais la gestion avancée demande tout de même des manipulations qui peuvent faire peur ou décourager les médecins qui ne veulent pas passer leur temps à tripoter les lignes de commande, que leur conseilles-tu ?

Il est possible pour tout utilisateur d’installer le logiciel en mode monoposte aussi facilement que n’importe quel autre logiciel.

L’installation en mode réseau, pour un cabinet avec plusieurs soignants et plusieurs postes de travail, peut présenter des difficultés pour une personne qui n’est pas à l’aise avec l’informatique.

Par contre, l’utilisation quotidienne classique du logiciel ne nécessite aucune connaissance particulière : rien à tripoter. Juste cliquer et entrer les données médicales avec le clavier.

Tu parles peut-être du système d’alertes programmables ? Il pourrait être simplifié à l’avenir pour ne pas perdre trop de monde en route. Mais c’est un plugin totalement optionnel.

Si des utilisateurs ont envie de faire l’installation eux-mêmes, de s’auto-gérer pour les sauvegardes, d’apprendre à bidouiller et d’y passer du temps, la communauté peut les aider et les aiguiller.

S’ils préfèrent consacrer leur temps et leur énergie au travail purement clinique et médical, je leur conseille de faire appel à une société de service en logiciel libre qui connaît bien le projet. ;-)

Pourquoi avoir fait le choix du libre et de l’open source ? Il existe certainement des tas de logiciels performants fournis par les grands distributeurs de logiciels ?

Je suis hackeur/bidouilleur depuis l’âge de 7 ans et libriste depuis le début de mes études médicales. Participer à des projets libres était une évidence. Je n’ai jamais écrit une ligne de code qui ne soit pas libre. Et j’espère n’avoir jamais à le faire.

La qualité des logiciels qui dominent le secteur laisse à désirer. Ils sont devenus gros non pas en attirant de nouveaux médecins grâce à leurs qualités mais en rachetant les petits éditeurs. Ce que les deux grands groupes (Cegedim et CompuGroup Medical) rachètent, ce n’est pas un logiciel souvent obsolète et en perte de vitesse. En réalité, ils achètent les médecins captifs de ces logiciels privateurs. Après avoir passé des années à entrer des données dans leur logiciel, les médecins, à l’annonce du rachat, ne sont souvent pas très chauds pour se rebeller. Ils n’ont pas vraiment le choix. Aucun standard d’échange des dossiers médicaux n’a été développé en France. Changer de logiciel est une opération périlleuse et coûteuse. Certains éditeurs font payer les médecins pour récupérer leurs propres données (et celle des patients) ! Et ensuite, il faudra payer aussi l’éditeur du nouveau logiciel, pour qu’il effectue l’opération d’importation des données. Les SGBD sont divers et variés, souvent propriétaires, parfois protégés par des mots de passe que l’utilisateur ne connaît pas. Écrire des scripts ou du code pour récupérer les données depuis un tel logiciel est une opération longue et complexe et donc coûteuse.

Après le rachat, la multinationale rassure faussement les médecins en disant qu’elle va continuer à maintenir et améliorer le logiciel racheté. Et puis, après quelques mois ou années, les nouvelles fonctionnalités se font attendre, les corrections de bugs sont lentes, jusqu’à rendre l’expérience utilisateur catastrophique. C’est à ce moment que le médecin reçoit l’offre avantageuse (une réduction) pour passer au logiciel vedette du groupe. Encore un non-choix.

Et tout ça, c’est pour les médecins qui ont eu la chance d’avoir un éditeur avec une liste de patients à racheter suffisamment longue. Pour les autres, après la faillite de l’éditeur, ils se retrouvent avec un logiciel orphelin. Et ce cycle se répète tous les dix ans, ponctué d’illusions et de naïveté de la part des médecins et de fausses promesses ou de mensonges commerciaux de la part des éditeurs.

Le logiciel libre peut briser ce cercle vicieux en rendant les rapports entre les utilisateurs et les développeurs plus égalitaires et plus justes. Plus de rachat possible du code source puisqu’il est libre ! En cas de mauvaise direction prise par le projet, de rachat ou de fermeture de l’entreprise qui développe ou assure le support du logiciel libre, les médecins peuvent s’adresser à une autre entreprise ou forker !

En pratique, se regrouper et confier le développement à une entreprise, peut-être via une association. Le risque de logiciel orphelin diminue. Il existe déjà des logiciels édités par des associations de médecins, mais, malheureusement, ils ne sont pas libres.

Caducée par Chlopaya – Bibliothèque OpenClipart (CC0 1.0)

 

Du coup, si on veut aider/participer au code, cela se fait sous quelle licence ? Et comment fait-on pour apporter sa pierre ?

La licence principale est la GPLv3. Pour contribuer au code il suffit de forker le code sur GitHub et d’envoyer un pull request. La communauté FreeHealth est très ouverte aux contributeurs extérieurs. Pour le code par exemple, nous acceptons les commits d’emblée, puis nous voyons ce que ça donne, et si nécessaire nous engageons une discussion avec le contributeur pour modifier certaines choses. Seulement si c’est nécessaire et en dernier recours, nous annulons le commit.

Il y a très peu de contraintes. Utiliser l’anglais est indispensable pour le code mais je peux traduire depuis le français si nécessaire. Tout le monde peut contribuer mais les contributions sont vérifiées par des personnes qui doivent avoir déclaré leurs liens d’intérêts avec les entreprises, les organisations, les agences du monde de la santé.

Nous sommes aussi favorables aux forks et nous sommes en train d’améliorer le code pour le rendre plus facile à forker.

Forker, c’est exercer la liberté 3 du logiciel libre. Vive le fork ! Bien sûr, si les développeurs préfèrent rejoindre la communauté FreeHealth et travailler avec nous, c’est encore mieux. Et comme le code est sous GPLv3, les forks sont tenus de publier leur code s’ils publient la version compilée, donc, avec ou sans leur collaboration, on peut récupérer les bonnes idées !

Le code, les variables les commentaires, la documentation du code, la documentation du logiciel, le site web, la mailing list dev et le forum principal et le compte Twitter et Mastodon sont 100 % en anglais. Il existe aussi bien sûr une traduction du site web (dokuwiki) en français et un forum francophone. Bon, il reste peut-être 0,5 % de mots français ou mal traduits dans les commentaires du code, mais ce pourcentage se réduit à chaque nouvelle version.

Les professionnels de santé qui ne connaissent rien au code peuvent contribuer en proposant des améliorations, des nouvelles fonctionnalités, en faisait remonter des bugs qui peuvent être des bugs au sens médical : mauvaise ergonomie, mauvais workflow.

Récemment par exemple @drmathieu nous a rejoints et il a proposé une liste de choses qui fonctionnent bien dans son logiciel actuel (non libre) pour que nous les intégrions dans FreeHealth. Je n’ai pas le temps d’essayer toutes les nouvelles versions de tous les logiciels concurrents existants. Cette initiative est donc une aide précieuse. Les éditeurs privateurs payent très cher des médecins pour faire ce que fait @DrMatthieu bénévolement. Ainsi, il souhaite participer à la construction d’un outil de qualité et il espère réussir à convaincre ses collègues de passer au libre quand il estimera que le projet lui convient.

Donner l’opportunité aux médecins de participer à la construction de leur outil de travail est un des avantages majeurs du logiciel libre. A contrario, certains des bugs qu’il a signalés à son éditeur actuel il y a des années n’ont toujours pas été corrigés.

Des chiffres ? Quelle est la base utilisateurs courante ?

Difficile à savoir. Par principe, nous ne conservons aucune statistique ni aucun log concernant les téléchargements. Le logiciel peut vérifier, si l’utilisateur le souhaite, l’existence d’une nouvelle version en lisant un fichier texte sur le site web. Nous n’analysons pas les connexions à ce fichier.

Parfois je reçois un tweet d’un médecin d’une région de l’Inde ou d’un pays africain qui me dit qu’il aime utiliser FreeHealth (ou FreeMedForms).

J’ai une vague idée du nombre d’utilisateurs français via les forums, les mailing lists, les retours de bugs.

À vrai dire les chiffres m’importent peu, je continuerai à porter ce projet quoi qu’il arrive jusqu’à ce qu’il devienne un outil performant que chaque médecin aura envie de choisir en priorité face aux solutions non libres.

Des projets de développement ? Prochaines étapes ?

La prochaine étape est d’intégrer une base de données sur les médicaments à jour. Nous avons choisi la base Thériaque, éditée par une association regroupant de nombreux hôpitaux. L’avantage de Thériaque par rapport aux trois autres bases concurrentes est son indépendance. Elle n’a aucune relation avec l’assurance maladie, l’industrie pharmaceutique, l’industrie des données de santé ou les éditeurs privateurs de logiciels médicaux. Les trois autres bases de données ont des liens d’intérêts ou appartiennent en partie à un ou plusieurs de ces acteurs.

Un autre changement fondamental va intervenir dans la structure du logiciel. Je suis partisan du mouvement OpenNotes qui permet aux patients de lire le contenu de leur dossier médical. C’est très important pour améliorer la relation patient/médecine et la qualité des soins. Des études ont montré que les patients qui avaient accès à leur dossier relevaient de nombreuses erreurs et aidaient à les corriger. C’est une manière de diminuer le risque d’événements indésirables liés aux soins.

Par ailleurs, je me suis aperçu que traiter patients et soignants différemment au niveau du code n’avait pas beaucoup de sens. De nombreuses classes sont redondantes. En fait, le patient doit devenir un utilisateur à part entière du logiciel. Cette évolution va entraîner de gros changements structuraux et la nécessité de gérer les accès aux données différemment. Mais au final le code sera plus simple et plus facile à maintenir. Évidemment, comme toutes les fonctionnalités du logiciel, l’utilisateur reste le décideur. Nous respecterons le libre-arbitre des médecins qui ne souhaiteront pas activer cette fonctionnalité.

Pour ce qui concerne mon entreprise, j’aimerais la transformer en SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) pour que les utilisateurs soient encore plus impliqués dans la construction de leurs outils et pour qu’ils financent eux-mêmes les développements futurs, afin de garantir l’indépendance financière du logiciel.

Le mot de la fin ?

Ni la santé, ni la médecine, ne sont un commerce ou une industrie. Les valeurs du logiciel libre et open source nous permettront d’apporter des solutions éthiques, indépendantes, performantes, respectueuses du secret médical, des droits et des libertés de toutes les personnes : personnes en bonne santé et qui souhaitent le rester, patients et professionnels de santé.

La relation de soin est basée sur la confiance, notamment sur la certitude que ce qu’on confie au soignant ne sortira pas du cadre du soin. Seuls des outils libres et open source peuvent garantir de manière vérifiable que cette relation de confiance ne risque pas d’être brisée.

Vive le logiciel libre, vive Framasoft !

 

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Médecine libre a un compte Mastodon

 

Antoine Moreau : « l’infini est en cours »

mercredi 16 août 2017 à 13:00

 

Personnage atypique dans notre galerie de portraits des dessinateur-ice-s qui publient sous licence libre, Antoine Moreau partage en copyleft des dessins réalisés par des personnes de rencontre. Entre autres activités.

Une démarche artistique hors normes, qui dure depuis super longtemps !

Nous avons déjà longuement parlé d’Antoine en 2011.

Salut Antoine ! Est-ce que tu peux te présenter ?

Je suis un artiste peut être. J’ai été à l’initiative et co-rédacteur de la Licence Art Libre en 2000. J’ai mis en place l’association Copyleft Attitude.


Je suis maître de conférences au département Multimédia de l’Université Franche-Comté. En mai de cette année j’ai organisé, avec le soutien de l’université, un festival d’art contemporain numérique transmédia et libre copyleft à Montbéliard.

Raconte-nous comment est né ton projet, et depuis combien de temps tu fais ça ? (j’ai vu des dessins de 1982 !)

De 1982 à 1997 j’ai demandé à des personnes de rencontre de me dessiner quelque chose sur une feuille vierge A4. Elles signaient, je contresignais et conservais la feuille.

En février 2008 je reprends cette activité avec quelques changements :

Je pense que si j’ai été amené à faire ces dessins c’est pour répondre à un problème simple : que dessiner et comment le faire ?
En confiant la réalisation du dessin à qui veut bien le faire à ma demande, je découvre ma part d’auteur excédant visiblement l’auteur que je suis censé être et reconnu comme tel par ce qu’il a en propre.

Aux RMLL en 2009 je présentais ainsi (avec une touche de Lao Tseu) ce que j’allais faire :
Antoine Moreau se promène avec des feuilles vierges copyleft selon les termes de la Licence Art Libre pour les offrir à qui veut dessiner dessus.
Il adopte la tactique du non-agir, et pratique l’enseignement sans parole.
Toutes choses du monde surgissent sans qu’il en soit l’auteur.
Il produit sans s’approprier, il agit sans rien attendre, son œuvre accomplie, il ne s’y attache pas.

Tu es vraiment à l’origine du copyleft ?

Non, c’est Don Hopkins, artiste et programmeur, ami de Richard Stallman qui, un jour de 1984, lui a envoyé une lettre avec noté sur l’enveloppe cette phrase : « Copyleft — all rights reversed ». « Copyleft » est alors devenu le mot qui allait désigner l’idée du logiciel libre tel qu’il a été formalisé par la General Public License.

Est-ce que tu es toi-même dessinateur ? J’ai vu des sculptures, aussi.

Je confie des sculptures à des personnes de rencontre en leur demandant de la confier également à quelqu’un d’autre et ainsi de suite, sans qu’il n’y ait de propriétaire définitif ni de point de chute final. Je demande simplement à ce qu’on m’informe de l’histoire de la sculpture :
à qui elle a été confiée, où elle se trouve et quand s’est passée la transmission, de façon à avoir un historique de l’œuvre itinérante.

Peinture : une peinture de peintres. Je propose à des peintres de se peindre les uns par dessus les autres sur une toile. Cette peinture n’aura pas de fin, pas d’image arrêtée. C’est la peinture sans fin par la fin de la peinture. Chaque couche de peinture d’un peintre différent fait disparaître, entièrement ou en partie la couche précédente.Des traces photo demeurent.

Tu as fait des expositions physiques, aussi. Beaucoup ?

Fatalement, un artiste est amené à montrer son travail. Je me suis appliqué à cette convenance.

Tu as besoin de contributeurices ? D’aide financière ? D’admiration ? De câlins ?

Après avoir soutenu ma thèse en 2011  « Le copyleft appliqué à la création hors logiciel. Une reformulation des données culturelles ? » il y a eu le projet d’en faire un framabook. Il y a eu enthousiasme et débat et tentative de passage à l’acte. Plutôt que de réviser moi-même le texte pour l’adapter au format livre j’avais proposé l’idée de laisser la communauté Framasoft le faire : couper dans le texte, choisir les passages à conserver, etc. en ayant, bien sûr, un droit de regard. Un wiki a été mis en place mais sans suite.

Eh bien je n’étais pas là à ce moment-là…

Ce Framabook serait semblable, dans son process, aux dessins dont je propose la réalisation. J’offre la matière, vous réalisez la forme que ça va prendre.

Comme d’habitude dans le Framablog, nous te laissons le mot de la fin.

Il n’y a pas de mot de la fin. L’infini est en cours. Tout se poursuit. D’une façon ou d’une autre.

 

Tous les dessins sont extraits de la collection d’Antoine.

Fête de l’Huma 2017 : les nouveautés de l’Espace numérique

lundi 14 août 2017 à 09:03

Comme chaque année maintenant, la Fête de l’Humanité hébergera un espace numérique largement dédié aux associations du libre.

Et c’est devenu une sorte de tradition aussi, le Framablog fait le point avec Yann Le Pollotec sur la programmation et les nouveautés.

Nous avons déjà évacué les questions des grincheux qui nous reprochaient une collusion politique avec le PCF.

Quand on fait de l’éducation populaire, il ne faut pas perdre une occasion d’aller parler à un public qui reçoit le discours avec plaisir.

La campagne Dégooglisons avait été extrêmement bien accueillie l’an dernier, notamment. Nous n’avions pas le moindre tract à ranger le dimanche soir.

 

Alors, Yann, verrons-nous de nouvelles têtes cette année ?

Nous aurons en particulier le projet Coopcyle de plateforme alternative et coopérative : pour un Pari(s) anti-uberisation !

Il s’agit d’une plateforme numérique développée en logiciel libre avec une condition d’utilisation : créer une coopérative. Le code ne peut être utilisé que dans le cadre d’une entreprise collective appartenant à ses travailleurs. Il a suffit qu’un développeur s’y mette pour qu’on ait la plateforme Coopcycle. Encore perfectible, elle est tout de même d’ores et déjà utilisée par une association à Toulouse. Les bases sont jetées, il reste alors à diffuser ce projet pour que coursiers et clients se les approprient.

Derrière cette plateforme l’idée est d’ouvrir une alternative concrète et viable aux coursiers en leur permettant de sortir de l’auto-entrepreneuriat sans passer par la case « salariat formel », en constituant leur propre coopérative. Au-delà du seul cas des coursiers, il s’agit de créer un nouveau bien commun, utilisable par tou.te.s, monopolisable par personne, et de participer à la construction d’un numérique au service de l’intérêt général.

Et nous présenterons aussi en démonstration permanente l’anti-Monopoly en version française : le Commonspoly. Il s’agit d’un nouveau jeu de plateau qui est une transgression du Monopoly car pour gagner il faut coopérer.

Pour en savoir plus :

Le projet WikiDébats sera aussi à l’honneur. Il s’agit d’une encyclopédie en ligne de débats libre et collaborative. Chaque page rassemble et résume les arguments « pour » et « contre » d’un débat, ainsi que leurs objections, pour permettre à chacun de se forger une opinion « éclairée », en connaissance de cause.

Wikidébats sera présenté, à partir de divers supports de communication, de textes présentant les motivations et les enjeux du projet, et d’ordinateurs connectés à internet permettant de voir directement à quoi ressemble le site.

Côté lieux de fabrication numérique, le Fablab des Fabriqueurs sera présent pour la première fois au côté du Petit Fablab de Paris.

Stand du Petit Fablab de Paris : réalisation d’une machine infernale – Espace Logiciel Libre / Hackers / Fablabs de la fête de l’Huma 2016

 

Enfin la webradio Libre à Toi qui maintenant émet aussi sur la bande FM, s’installera sur place et suivra en directe les trois d’activité de l’Espace.

 

Et de nouvelles initiatives ?

Trois grands débats :

 

Stand Apedec/Ecodesign Fablab en 2016

 

Comme toujours, l’espace est auto-géré et nécessite un petit coup de pouce financier au-delà de ce qui est fourni par l’organisation de la Fête. C’est finalement un tout petit budget pour un si grand village du Libre, comment est-ce possible ?

La fête de l’Huma a un petit côté Robin des Bois puisqu’il y a une péréquation des coûts entre ceux qui peuvent le plus et ceux qui peuvent le moins. Cependant ce système de solidarité a des limites d’autant qu’en raison des événements tragiques des années 2015 et 2016 les coûts globaux de la fête liés à la sécurité ont augmenté de 400.000 €. C’est pourquoi nous devons financer de manière participative l’électricité, la liaison internet haut débit, la location du mobilier, les places de parkings exposants, les passes d’entrée pour les associations qui ne peuvent se les payer, et divers autres frais.

Et comme l’an dernier, les militant-e-s libristes sont cordialement invité-e-s à venir donner un coup de main, pour une journée ou pour une heure entre deux concerts, deux débats…

En effet, l’espace mobilise une bonne cinquantaine de bénévoles dans la joie et la bonne humeur… avec la présence déjà confirmée de l’April, du CECIL, de Creative Commons France, de Coopcycle, du Collectif Emmabuntüs, de la FDN/Franciliens.net, de Framasoft, de L’autre Net, de La Mouette, de Libre à toi, de Mageia, d’Open Edge, des Ordis libres, de Parinux, du Petit Fablab de Paris, des Fabriqueurs, d’Ubuntu, de Wiki Débat… [note du Framablog : on ne vous met pas tous les liens, hein, Tonton Roger est votre ami]

Donc rendez dès le vendredi 15 septembre sur l’Espace du numérique libre, des communs et des fablabs. Bonne fête de l’Huma 2017 à toutes et tous.

Affiche de l’Espace de la Révolution Numérique réalisée par Péhä (interviewé dans le Framablog ce mois-ci) l’année dernière

 

En savoir plus

Fête de l’Humanité : 15-16-17 septembre 2017 – Parc départemental Georges Valbon à La Courneuve (93) – Pass 3 jours 35€ – http://fete.humanite.fr/

Espace numérique de la Fête : http://fete.humanite.fr/La-planete-numerique

Gwenn Seemel, artiste lumineuse

samedi 12 août 2017 à 13:10

Gwenn est une artiste franco-américaine qui vit à aux États-Unis.

Elle milite activement dans différents domaines en plus de dessiner super bien et d’avoir toujours un grand sourire lumineux.

Portrait d’une belle personne.

 

Bonjour Gwenn. Est-ce que tu peux te présenter ?

J’ai 36 ans, mais j’ai toujours l’impression d’avoir 12 ans, surtout quand je parle en français. J’ai vécu en Bretagne avec mes grands-parents de temps en temps quand j’étais plus jeune, mais sinon j’étais plutôt aux États-Unis. Le français reste un peu la langue de mon enfance.

Tu veux bien nous en parler de tes militantismes ?

On se connaît à cause du travail que je fais autour du droit d’auteur, mais ce travail existe dans un contexte plus large. Je veux vivre dans un monde où l’artiste — et, en particulier, l’artiste indépendant — est pris au sérieux. Dénoncer le droit d’auteur comme le mensonge qu’il est fait partie de ce travail. L’idée de la propriété intellectuelle déboussole beaucoup d’artistes, en leur faisant croire qu’ils ne font que produire des objets et les vendre. En fait, les artistes créent des liens avec les autres à travers leur art et c’est à cause de ces liens que les artistes se font payer. Si tout le monde comprenait mieux le fait que l’art est beaucoup plus qu’un objet ou une œuvre, l’artiste sera vu autrement.

Bien sûr, l’art n’est pas tout. :) Le féminisme, l’anti-racisme, les droits LGBTQ, et l’environnement me passionnent aussi et j’en parle beaucoup dans mon art et sur mon blog.

 

Tu donnes l’impression de vivre dans une grande sérénité joyeuse. Tes portraits sont pleins de lumière et de couleurs. Est-ce qu’il y a des choses qui te blessent ? Qui te rendent triste ?

C’est un effort de me présenter comme quelqu’un qui vit dans une grande sérénité, donc d’abord je te remercie de l’avoir remarqué ! :) Après, la vérité c’est qu’il y a trop de choses qui me blessent. C’est pour ça que je travaille autant pour être une source de joie.

Les choses qui me rendent triste commencent avec tous les domaines dans lesquels je suis militante, mais n’en finissent pas là. En ce moment, l’aversion que je ressens envers le gouvernement aux États-Unis submerge le reste. C’est au point où je n’ai même plus honte du Président et de son régime parce que le problème est beaucoup trop grave pour un sentiment comme l’embarras.

Ceci dit, les difficultés quotidiennes de la vie de l’artiste pèsent aussi. Cela fait deux ans que j’ai quitté la côte ouest des USA pour la côte est, et j’ai toujours du mal à situer mon art et mon business dans ce nouvel endroit. Petit à petit je reconstruis une communauté autour de mon art, et tous les jours je suis reconnaissante envers la communauté en ligne qui n’a pas cessé de me soutenir. You’re the best !

Qu’est-ce qui t’a amenée au dessin ? Comment as-tu appris ?

J’ai un frère aîné, et comme tous frères aînés il me taquinait beaucoup quand on était plus jeune. Un jour — il avait 9 ans, moi 6 — on jouait ensemble. On s’était construit un vaisseau spatial avec les coussins du canapé. Il pilotait, et je faisais semblant de participer à l’aventure mais en réalité je dessinais quelque chose. Quand mon frère a vu ce que je faisais, il s’est arrêté pour me faire un compliment. Depuis, je fais de mon mieux pour que les autres soient obligés d’arrêter de piloter leur vaisseau spatial pendant deux minutes pour voir le monde différemment.

J’ai appris à dessiner en copiant. Oui, j’ai fait des études à la fac et j’ai eu plein de profs extraordinaires, mais ce n’est qu’en imitant les autres que je suis arrivée là où je suis.

 

Des sources d’inspiration ? Des artistes qui t’ont donné envie de les égaler ?

En ce moment, je regarde beaucoup l’œuvre de Joi Murugavell, Ashley Ja’nae, et Jan Heaton sur Instagram. L’artiste franco-américaine Louise Bourgeois m’inspire énormément, tout comme les écrivains Octavia Butler et Cory Doctorow.

 

Pourquoi publier sous licence libre ?

Pourquoi publier avec copyright ?

Je rigole. :) Mais c’est comme ça que je préfère répondre à cette question quand je parle avec quelqu’un qui affirme le copyright. C’est une manière de leur montrer tout de suite qu’on peut aussi questionner leur position. Même si leur choix représente la norme, ça reste un choix.

Ma vraie réponse remonte toujours à la source —c’est à dire, à toutes les sources pour mon art. Puisque je ne peux pas créer sans toute la culture qui m’entoure, il me semble malhonnête d’essayer d’enlever mon art de cette même culture qui inspire les autres.

 

Quelles sont les licences que tu utilises ?

Je mets mon art dans le domaine public et j’essaie d’être aussi claire que possible sur ce sujet. Je n’utilise pas la licence CC0 parce que, même si je crois que Creative Commons est une super idée qui mérite d’être répandue dans le monde entier, il ne va pas assez loin pour moi. Ceci dit, cela ne me dérange pas qu’on parle de mon art comme étant sous licence CC0. :)

 

Est-ce que tu arrives à vivre de ton art ou est-ce que tu as un vrai travail sérieux à côté ? :)

Cela fait 14 ans que je vis de mon art exclusivement. Mon mari est freelance aussi et parfois c’est lui tout seul qui paie le loyer, mais souvent c’est moi toute seule qui le paie. Travailler pour soi-même n’est jamais facile, mais c’est un défi fascinant et une aventure qui est sûrement plus agréable à deux.

 

Comment dessines-tu ? Est-ce que tu travailles avec un ordinateur ou à la main ?

À la main. Cela m’arrive d’utiliser l’ordinateur pour manipuler les images, puis travailler à la main à partir de ses images. Et parfois je dessine quelque chose sur papier puis je la scanne pour pouvoir la manipuler sur l’ordinateur. Je n’ai fait qu’un dessin numérique directement sur une tablette et le processus me paraît toujours assez mystérieux.

C’est un peu comme la différence entre écrire à la main et taper à la machine. Quand on fait quelque chose à la main, on a un peu l’idée de l’ensemble avant même de commencer. Il faut imaginer la place que le dessin ou le texte va prendre, et il faut être conscient qu’on ne va jamais pouvoir effacer les traits complètement. Dans le numérique il y a une liberté que j’apprécie, mais qui ne me convient pas toujours…

 

On peut te suivre quelque part ? Un blog, les réseaux sociaux ?

Je publie des articles et des vidéos au moins une fois par semaine sur mon blog :
http://www.gwennseemel.com/index.php/blog/

J’ai un profil sur Patreon (le Tipeee des États-Unis) :
https://www.patreon.com/gwenn

Je suis « Gwenn Seemel » sur Facebook et « gwennpaints » sur Twitter, Instagram, et YouTube.

 

Qu’est-ce qui te motive à publier autant sur ta démarche, ton travail ?

La plupart des gens travaillent pour une entreprise ou une institution. Autrement dit, ils remplissent un siège qui existe déjà et qui pourrait être rempli par n’importe qui du moment où la personne a les qualifications. L’artiste doit inventer lui-même son siège. Il doit persuader tout le monde que non seulement l’art en général compte pour quelque chose, mais son art en particulier a un sens. Autrement dit, l’artiste doit devenir une sorte d’institution en lui-même.

Souvent les artistes arrivent à cela en travaillant avec des institutions—en exposant dans des galeries, en faisant des conférences à des universités, et en vendant de l’art à des entreprises. Et parfois j’ai suivi ce chemin, mais je préfère devenir une institution en m’engageant directement avec le public. D’une part, c’est ça le but en publiant autant sur le Web.

 

Tu as écrit un livre sur le droit d’auteur que notre Pouhiou a sur sa table de chevet. Quelles ont été les réactions à la suite de sa parution ?

Idiote ou prophète. Voilà comment on me décrit après ce livre. Je crois que la réalité se trouve entre les deux extrêmes. :)

 

Quand aurons-nous la chance de te croiser en France ? La dernière fois, c’était aux RMLL 2015, je crois.

Quand je serai invitée à nouveau pour parler du copyright et de la créativité ! :) La France, la Suisse, la Belgique, le Québec —tous ces voyages magnifiques ne se sont faits qu’avec le soutien d’une super communauté qui croit en moi et en ce que je crée.

Et comme d’habitude sur le Framablog, on te laisse le mot de la fin.

On ne peut pas convaincre un autre de son point de vue. Plutôt le but —de la discussion, de l’art, de la vie !— est de donner à l’autre envie de questionner ses idées et à voir le monde à nouveau.

 

Pour en savoir plus

Les livres de Gwenn Seemel

Ses explications sur sa démarche, en vidéo et en français

Péhä : il lisait des Picsou, il dessine des gnous !

mardi 8 août 2017 à 13:00

 

Des développeurs de logiciels libres, on en trouve presque à la pelle. Des artistes libres… ça se complique, mais on en trouve ! Bien évidemment, il y a Gee et vous avez déjà lu l’interview de David Revoy ici même à l’occasion de la sortie papier de Pepper & Carrot, mais d’autres se cachent encore dans les tréfonds des Internetz !

Nous passons l’été à les chercher pour vous les présenter. Samedi dernier, vous avez pu découvrir Nylnook et nous avons encore quelques surprises en prévision.

Voici Péhä ! Vous avez peut-être aperçu ses dessins ces derniers temps sur les réseaux sociaux via nos comptes. En effet, il a illustré les articles écrit par Emmabuntus et Arpinux dans L’Âge de faire à propos de certains de nos services.

Comme il a un joli coup de patte, nous avons décidé de lui poser quelques questions pour en savoir plus sur lui.

Bonjour Péhä. Est-ce que tu peux déjà te présenter ? (et d’où vient ton pseudo avec les accents extra-terrestres ?)

Hello Framasoft, je suis donc Péhä, j’ai 32 ans, je vis près d’Angers (c’est dans l’ouest de la France pour Pouhiou :-) ). Le pseudo avec les accents c’est un petit jeu de mot avec les initiales de mon prénom. Ça date d’il y a quelques années quand je faisais du volley, c’était pour rigoler mais comme tout mon entourage irl m’appelle comme ça depuis, j’ai gardé ce pseudo sur le net.

Qu’est-ce qui t’a amené au dessin ? Comment as-tu appris ?

Comme tous les gosses, j’ai pas mal dessiné étant gamin. J’ai fais arts plastiques comme tout le monde au collège/lycée (surtout parce qu’à l’époque le pc de la salle d’art était pas surveillé et que c’était une bonne bécane pour télécharger des roms de Mégadrive ni vu ni connu…), mais je n’ai jamais suivi de cours ou fait les beaux-arts. Je le regrette aujourd’hui un peu, car je fais pas mal d’erreurs (anatomie, proportions, perspectives) et je suis lent dans l’exécution d’un dessin.

Des sources d’inspiration ? Des dessinateurs qui t’ont donné envie de les égaler ?

Comme j’ai pas assez de bases, je m’inspire beaucoup de certains dessinateurs dont Moebius (Jean Giraud), Georges Herriman, Bill Watterson, Serre et bien sûr Franquin. Dans un genre tout autre, je voue un culte aux estampes d’Hiroshige, notamment les séries sur le tokaido ou les scènes de la vie quotidienne d’Edo.

 

Uderzo, aussi, manifestement…

Les tac au tac de Jean Frapat que j’ai découvert sur le site de l’INA m’inspirent également beaucoup.

 

Tu lisais quoi comme BD quand tu étais plus jeune ?

Ça va faire sourire mais j’ai commencé par Donald, les histoires de Carl Barks son créateur. Et puis La jeunesse de Picsou de Don Rosa qui a été une première claque pour moi. (j’avais dans les 8-9 ans.). Un soir une voisine m’a passé deux BD de sa collection. c’était des Gaston Lagaffe. J’avais 10 ans. J’ai lu la série d’une traite. Quelques jours plus tard ma mère m’abonnait à Spirou. J’ai essayé les mangas (Gunnm) mais sans trop accrocher. Je ne lis pas beaucoup de BD en fait, ou bien juste pour observer le dessin et les trucs et astuces des dessinateurs.

Pourquoi publier sous licence libre ?

Pour la liberté d’utilisation et de modification. Je veux que mes personnages puissent être repris par d’autres sans restriction. C’est ce que moi en tant que lecteur j’aurais aimé pouvoir faire avec Donald et Picsou (sans rire j’avais un scénario du tonnerre !). J’ai du mal avec l’idée même de propriété intellectuelle ou bien de création artistique. On ne crée rien, on adapte, on remixe, on ajoute son originalité rien de plus. Voilà pourquoi je publie sous licence libre car je ne possède rien, j’emprunte à tous donc je redonne.

Quelles sont les licences que tu utilises ?

J’ai commencé par la CC-BY-SA et la LAL et puis je suis passé en CC-BY lors de la publication de certains de mes dessins sur gnu.org. Mais rien n’est définitif ça peut changer.

Est-ce que tu arrives à vivre de ton art ou est-ce que tu as un vrai boulot honnête à côté ?

Je suis amateur. J’ai un travail culinaire, qui me sert à faire vivre ma petite tribu à côté gentiment. J’ai une page liberapay. (je remercie au passage mes 3 donateurs anonymes) avec le secret espoir de pouvoir couvrir mes dépenses pour le dessin avec les dons. Même si ce n’est pas beaucoup c’est toujours ça de moins sur le budget familial.

Comment t’es-tu retrouvé à faire les dessins des articles dont on parlait dans l’intro ? (et d’ailleurs, merci)

Ça c’est grâce à Patrick d’Emmabuntus qui est depuis un an notre manager/attaché de presse/impresario à Arpinux et moi. ;)

L’année dernière Patrick m’avait demandé une affiche pour la fête de l’Huma et en septembre avec Arpinux ils ont commencé à travailler sur les articles de l’âge de faire. Par charité ils m’ont proposé de faire des dessins en bas de leurs articles :) J’ai accepté et voilà. J’en profite pour les saluer eux et toute l’équipe, car bosser sur ces articles était vraiment très plaisant, un vrai travail d’équipe.

Parlons technique : comment dessines-tu ? Krita comme David ? Inkscape comme Gee ? Avec du charbon sur les murs d’une grotte comme les hommes de Cro-Magnon ? (eh oui, les dessins des hommes de Cro-Magnon sont dans le domaine public, donc sont libres 😉)

Ça dépend du moment, mais habituellement je fais mon crayonné/encrage sur papier au feutre calibré puis je fais les couleurs sous Krita (je suis nul pour faire les couleurs à l’aquarelle) et je découpe/cadre/ajoute du texte avec Gimp. J’utilise également un peu Inkscape mais pas au même niveau que Nylnook ou Gee ou bien Odysseus. J’utilise une tablette graphique qui m’a été offerte par le fondateur de PrimTux. J’ai également mes crayons de couleurs mais essentiellement pour des dessins qui n’ont pas vocation à être numérisés.

Un peu de satire ne peut pas faire de mal…

On peut te suivre quelque part ? Un blog peut-être ? (On pose la question pour la forme mais Tonton Roger a su te trouver)

Oui j’ai un blog mais super mal alimenté. Je suis surtout sur Framasphère (Mastodon aussi mais je galère). Le plus simple étant également de m’envoyer un e-mail ou de venir prendre un thé ou un café à la maison.

Et comme d’habitude, on te laisse le mot de la fin.

Je laisse mes deux compères conclure…

Allez, avant de partir je salue l’équipe historique d’Handylinux ( Fibi, Trefix, Starsheep, Thuban, Coyotus, Bruno Legrand, ceux que j’oublie (n’hésitez pas à m’envoyer des mails d’insultes) et bien sûr Arpinux. C’est grâce à eux et à leur confiance que mes dessins ont pu être diffusés lors des publications de version, un grand Merci.