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Comment l’affaire Google Books se termine en victoire pour le Text Mining

mercredi 21 octobre 2015 à 10:29

Google a lancé son projet géant de numérisation des livres en 2004 et dès l’année suivante, un ensemble d’auteurs et d’éditeurs ont attaqué le moteur de recherche devant les tribunaux pour violation du droit d’auteur. Le procès Google Books a certainement été l’un des plus importants de ce  début du 21ème siècle, car il va redéfinir profondément les équilibres en matière d’adaptation du droit d’auteur à l’environnement numérique. Dix ans après le début de l’affaire, une Cour d’appel américaine a finalement donné raison à Google en lui reconnaissant la semaine dernière le bénéfice du fair use (usage équitable). Elle confirme la décision rendue en  2013 par le juge Denny Chin et elle pourrait bien marquer le point final de la procédure, les auteurs encore en litige face à Google n’ayant visiblement pas l’intention de saisir la Cour suprême après ces deux défaites cinglantes.

J’ai déjà beaucoup écrit sur S.I.Lex à propos de cette affaire Google Books (peut-être plus d’ailleurs que sur aucun autre sujet…) en m’efforçant de couvrir ses différentes phases, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Ce qui me frappe à la lecture de ce nouveau jugement, c’est le déplacement graduel des enjeux sous-jacents qui s’est opéré au fil du temps. En 2005, la question principale portait sur la réutilisations de contenus protégés ; aujourd’hui, le vrai problème concerne les données contenus dans les livres et l’usage qui peut en être fait. Le procès Google Books rejoint finalement la problématique du Text et Data Mining (fouille de textes et de données), dont on parle aussi beaucoup en ce moment au niveau européen et en France.

La décision Google Books va constituer un formidable vecteur pour les pratiques d’exploration de textes… aux Etats-Unis, en creusant encore plus l’écart avec l’Europe en la matière…

Des contenus aux données

C’est essentiellement à partir de cette question de l’usage  des données contenus dans les livres que les juges d’appel ont accordé le bénéfice du fair use à Google, en considérant que le service qu’il offrait à ses utilisateurs était susceptible d’apporter un bénéfice à la société en termes d’accès à la connaissance, justifiant que l’on écarte l’application des droits exclusifs des auteurs.

Mais ce faisant, ce jugement a écarté une des grandes craintes que l’on pouvait avoir à propos de cette affaire Google Books : il n’a pas accordé une sorte de privilège exclusif au moteur de recherche, bien au contraire. Le moteur de recherche ne sera en effet pas le seul dorénavant aux Etats-Unis à pouvoir numériser des livres protégés pour fournir des services de recherche et de d’exploration de données. Cette même faculté a été ouverte à tous ses concurrents commerciaux, aussi bien qu’aux bibliothèques publiques et aux chercheurs académique. L’issue de l’affaire Google Books va donc créer aux Etats-Unis un véritable écosystème ouvert en faveur de l’exploration de textes, qui libérera le potentiel offert par ces nouvelles technologies d’analyse computationnelle, sans en réserver les bénéfices à un seul acteur.

La situation outre-Atlantique offre un contraste saisissant avec l’Union européenne, où mis à part l’Angleterre qui a introduit en 2014 une exception en faveur du Text Mining à des fins de recherche, le reste de la zone se débat encore avec la difficulté à réformer le cadre du droit d’auteur. C’est particulièrement vrai pour la France, où la conception « propriétariste » étroite du droit d’auteur qui constitue l’idéologie dominante bloque toute possibilité d’évolution dans le sens des usages.

L’intérêt du public avant tout

L’un des points les plus intéressants de cette décision d’appel a été d’offrir aux trois juges qui composaient le tribunal l’opportunité de rappeler la philosophie générale de la loi sur le droit d’auteur aux Etats-Unis. Ils rappellent notamment que le monopole temporaire reconnu aux auteurs n’a été instauré que pour servir une cause plus élevée de diffusion de la connaissance dans un but d’intérêt général :

Le but ultime du droit d’auteur est de favoriser la progression du savoir et de la connaissance, ce que le droit d’auteur s’efforce d’atteindre en donnant aux créateurs potentiels un droit exclusif de contrôle sur les copies de leurs oeuvres, leur offrant par là une incitation à créer des oeuvres enrichissantes intellectuellement à destination du public […] Ainsi, si les auteurs sont sans aucun doute des bénéficiaires importants du droit d’auteur, le bénéficiaire ultime doit être le public et c’est pour favoriser l’accès du public à la connaissance que des récompenses sont accordées aux auteurs.

La Constitution américaine formulait déjà de tels principes, en affirmant que le droit d’auteur existe pour « favoriser le Progrès de la Science », mais jamais encore la jurisprudence n’avait eu l’occasion de dire aussi nettement que le copyright constitue en réalité avant tout un droit du public.

L’exploration de textes au regard de l’usage équitable

Sur la base de telles prémisses, la Cour d’appel s’est donc logiquement tournée vers une appréciation des buts poursuivis par Google dans son projet et de l’utilité sociale procurée par les services mis à disposition du public. Contrairement aux juges français lorsqu’ils ont été saisis de la même affaire lors du procès Google/La Martinière, les trois juges américains ne sont se pas simplement arrêtés au fait que Google a effectué des copies d’oeuvres protégées ; ils ont aussi cherché à savoir pourquoi il avait opéré ces reproductions.

Dans l’état actuel des choses, Google Books propose essentiellement une fonctionnalité de recherche en plein texte au coeur des livres numérisés, indiquant à l’utilisateur la localisation des occurrences des termes recherchés, ainsi que la visualisation de trois brefs extraits (snippets). Google propose aussi un service d’exploration de textes (Google Ngram Viewer) à part entière, permettant de visualiser sous forme de graphiques l’évolution des occurrences d’un terme au fil du temps sur l’ensemble des livres numérisés (ou au choix des sous-ensembles ciblés du corpus).

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Visualisation de résultats dans Google Ngram Viewer.

Pour les juges, résoudre l’affaire a consisté à déterminer si ces usages était bien « transformatifs » (un des quatre critères du fair use) ou s’il offrait au contraire à l’utilisateur un « substitut » aux livres originaux. La réponse à cette question a été que les fonctionnalités de recherche et de fouille de textes présentent en elles-mêmes un caractère « hautement transformatif » :

Le but de Google en copiant les livres originaux protégés est de rendre disponible des informations pertinentes à propos de ces livres, permettant à un chercheur d’identifier ceux contenant un mot ou une expression l’intéressant, tout comme ceux n’incluant pas une telle référence. De plus, avec l’outil Ngrams, Google autorise les lecteurs à connaître la fréquence des usages de mots sélectionnés dans le corpus global des livres publiés à différentes périodes historiques. Nous n’avons aucun doute que le but de ces copies correspond au type de but transformatif décrit [dans la jurisprudence sur le fair use].

La question de l’offre d’un substitut aux livres originaux se posait particulièrement à propos des entrefilets (snippets) affichés par Google en regard des réponses aux requêtes. Mais là encore, les juges admettent sans difficulté leur caractère « transformatif » quand bien même le texte d’origine est présenté à l’utilisateur :

La séparation des pages en courts entrefilets opérée par Google est conçue pour montrer au chercheur une portion suffisante du contexte dans lequel apparaît le terme recherché pour l’aider à évaluer si le livre correspond bien à ses centres d’intérêt (sans révéler suffisamment de contenus pour menacer les intérêts légitimes de l’auteur). Dès lors, les entrefilets contribuent de manière importante au caractère hautement transformatif du but consistant à identifier des livres correspondants aux centres d’intérêts du chercheur.

Entrefilets (snippets) affichés par Google en fonction d’une requête.

On notera aussi que le fait que Google soit une société commerciale n’a pas été retenu comme un critère pertinent pour écarter le bénéfice du fair use, pour deux raisons : 1) Google ne vend plus de livres protégés sans accord explicite des titulaires de droits, ni n’affiche de publicité dans l’interface même de Google Books, 2) de nombreux usages d’oeuvres protégées couverts par le fair use comme la citation, la critique, le commentaire ou la parodie peuvent tout à fait être réalisés dans un but de profit.

Un droit à l’extraction automatisée des informations

Lorsqu’on lit un livre papier, l’esprit humain est capable d’en extraire les informations pertinentes et c’est de cette manière que s’opère la transmission du savoir que favorise la lecture. Les partisans du Text et Data Mining que ce « Droit de Lire » doit être reconduit dans l’environnement numérique en permettant l’extraction automatisée d’informations à partir de reproductions d’oeuvres, sans interférence du droit d’auteur qui n’a pas à entraver ce type d’usages (voir la déclaration de La Haye et la campagne « The Right To Read Is The Right To Mine »).

C’est exactement ce qu’ont consacré les trois juges d’appel en rappelant que le droit d’auteur sur une oeuvre protégée ne s’applique pas aux informations sous-jacentes qu’elle peut contenir :

La faculté d’un entrefilet à satisfaire le besoin d’un chercheur pour un livre protégé donné découle du fait que l’entrefilet contient un fait historique que le chercheur a besoin de vérifier. Par exemple, un étudiant écrivant un travail sur Franklin D. Roosevelt peut avoir besoin de connaître l’année où Roosevlet a été frappé par la polio. En tapant « Roosevelt Polio » dans Google Books, l’étudiant sera conduit (parmi de nombreuses autres sources) vers un entrefilet correspondant à la page 31 du livre « The Making of Franklin D. Roosevelt » écrit par Richard Thayer Goldberg (1981), expliquant que cette attaque de polio est survenue en 1921. Cela répondra au besoin du chercheur, éliminant certes au passage tout besoin d’acheter ce livre ou de l’obtenir par le biais d’une bibliothèque. Mais ce que le chercheur a obtenu par le biais de l’entrefilet est un fait historique. Le droit d’auteur de Goldberg ne s’étend pas aux faits communiqués à travers son livre. Ils ne protègent que la manière dont l’auteur les a exprimés.

Dès lors les informations, même « encapsulées » dans les livres, doivent rester disponibles. Cela allait de soi à propos de l’opération de lecture individuelle, qui est toujours restée un acte entièrement libre et les juges américains n’ont fait que reconduire cette liberté fondamentale à propos de la lecture automatisée.

Un horizon qui s’ouvre pour l’exploration de textes… aux Etats-Unis !

Les acquis de cette décision Google Books vont profiter par ricochet à toutes les bibliothèques partenaires ayant reçu des doubles des copies numériques des ouvrages. Ces dernières pourront en effet offrir des services de recherche et de fouille de données à partir de ces corpus. Ce sera notamment le cas pour le grand entrepôt numérique Hathi Trust, née d’un regroupement d’institutions publiques partenaires de Google, qui a aussi été attaquée en justice par des auteurs américains lui contestant la possibilité d’utiliser ces reproductions.

Tous les chercheurs et équipes de chercheurs aux Etats-Unis se verront désormais  ouvrir d’énormes possibilités en matière de Text et Data Mining. En vertu de ce jugement, ils pourront en effet :

  1. Numériser des ensembles très larges de contenus protégées par le droit d’auteur dès lors qu’ils sont accessibles à partir d’une source licite ;
  2. Conserver ces corpus sans limite dans le temps et sans obligation des les détruire une fois utilisés ;
  3. Les transmettre à des tiers, comme l’a fait Google avec ses bibliothèques partenaires, les mutualiser au sein d’entrepôts partagés comme le fait Hathi Trust ;
  4. Développer des fonctionnalités de recherche au sein de ces ensembles ;
  5. Effectuer des analyses computationnelles, en soumettant ces contenus à des traitement opérés par des algorithmes ;
  6. Afficher des extraits des contenus, limités à de courts entrefilets, en regard des résultats de recherche pour les contextualiser.
  7. Et le tout, y compris si le projet de recherche possède, d’une manière ou d’une autre, une dimension commerciale, du moment que les contenus en eux-mêmes ne sont pas revendus.

Avec cette jurisprudence Google Books, les Etats-Unis viennent donc d’ouvrir à leurs chercheurs un champ immense pour pratiquer le Text Mining, leur conférant un avantage significatif sur leurs homologues européens, même par rapport à l’Angleterre où l’exception introduite l’an dernier est beaucoup moins souple que cette application du fair use américain.

Pendant ce temps, en France…

J’avais déjà analysé dans S.I.Lex une étude récente ayant montré que dans les pays dotés d’une exception dédiée ou d’un système de fair use, les recherches s’appuyant sur le Text et Data Mining étaient en moyenne trois fois plus nombreuses que dans les autres.

Trois fois plus de recherches utilisant le TDM dans les pays de fair use…

La France de son côté, comme souvent hélas pour tous les sujets touchant au droit d’auteur, fait pâle figure. La loi numérique préparée actuellement par Axelle Lemaire contenait bien à l’origine une exception en faveur de l’exploration de textes et de données, mais cette disposition a sauté au fil des pressions exercées par les éditeurs. La question est revenue sur le tapis à l’occasion de la consultation ligne sur le texte qui s’est achevée la semaine dernière. Mais il n’est pas assuré que le gouvernement trouve le courage politique de réintroduire cette exception dans le texte qu’il présentera au Parlement.

Le problème qui affecte la France est en réalité très profond. Là où la justice américaine est capable de dire que le droit d’auteur est avant tout un droit du public, nous restons paralysés par une vision « propriétariste » étriquée, qui rend imperméables les juges à la prise en compte de l’intérêt général. Les notions figurant dans le Code (la reproduction, la représentation, la courte citation et en général, notre conception étroite des exceptions) sont bien trop pauvres pour appréhender la complexité mouvante des réalités numériques par rapport à l’adaptabilité du fair use.

Mais le droit n’est pas le seul en cause et les œillères idéologiques jouent aussi un rôle puissant. Lorsque le CSPLA – organe rattaché au Ministère de la Culture – a produit par exemple un rapport sur le Text et Data Mining en 2014, le juriste Jean Martin à qui est confiée la mission a assimilé brutalement dès l’introduction l’exploration de textes et des données à une forme de « parasitisme » des oeuvres protégées pour recommander au final au gouvernement… de ne rien faire ! De son côté, l’avocat Richard Malka dans son pamphlet « La gratuité, c’est le vol » commandé par le SNE,  consacre des  développements particulièrement acerbes au Text et Data Mining :

Une possibilité serait donnée aux utilisateurs de reproduire gratuitement, dans des bases de données numériques, des œuvres protégées afin de permettre des recherches sur ces œuvres visant à produire, par extraction, des données nouvelles.

Si de tels investissements pouvaient être légalement pillés, aucun éditeur n’engagerait désormais le moindre financement pour créer de tels outils. Il n’existe, en réalité, aucune activité économique au monde dont les productions peuvent être librement expropriées pour cause d’utilité publique et sans dédommagement.

[…] Cette destruction de valeur ne profiterait en réalité qu’à des acteurs tels que Google, qui ne tirent pas leur rémunération des banques de données elles-mêmes, qu’ils pourraient ainsi «aspirer», mais de la monétarisation publicitaire du contenu qu’ils offrent. Un tel processus reviendrait ainsi à confier un pouvoir exorbitant sur la connaissance à quelques sociétés, ce qui serait l’opposé de l’objectif affiché.

Le problème, c’est que l’issue du procès Google Books contredit complètement ces prédictions quasi-eschatologiques. Par le biais du fair use, les Etats-Unis ont justement redistribué équitablement la capacité d’explorer automatiquement les textes et les données à tous les acteurs commerciaux sans discrimination, mais aussi à leurs institutions publiques et à leurs équipes de chercheurs afin de maximiser l’utilité sociale de ces nouvelles technologies. Quelque part, cette issue est l’une des pires possibles pour Google, qui a longtemps cherché dans cette affaire à s’arroger une exclusivité pour rentabiliser les investissements énormes avancés pour la numérisation des livres. La combinaison de la transmission de doubles des fichiers à des établissements publics et des possibilités d’usage garanties par le fair use maintient l’ouverture du système, en permettant à une pluralité d’acteurs d’opérer dans le champ du Text et Data Mining.

***

Il devient urgent que les pouvoirs publics français se libèrent de l’emprise des maximalistes du droit d’auteur qui leur hurlent des contre-vérités à l’oreille, avant que les dégâts à l’échelle internationale, notamment pour la recherche, ne deviennent irréversibles.

 

 

 


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Pourquoi nous avons besoin d’un droit de citation audiovisuelle

samedi 17 octobre 2015 à 11:58

Dans le cadre de la consultation en cours sur le projet de loi numérique, le collectif SavoirsCom1 a fait une proposition visant à instaurer un droit de citation audiovisuelle en France. C’est une idée qui figurait aussi initialement dans le rapport proposé par l’eurodéputée Julia Reda, mais qui n’a hélas pas été retenue suite au vote du Parlement européen.

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Image par ClkerFreeVectorImages. CC0 Public Domain. Source : Pixabay.

La conjonction de deux actualités, l’une venant de France et l’autre venant des États-Unis, me donne l’occasion une nouvelle fois de montrer pourquoi nous avons réellement besoin d’un droit de citation audiovisuelle pour protéger la liberté d’expression et comment il est possible de l’instaurer dès maintenant en utilisant les marges de manoeuvre appréciables offertes par le droit français et européen.

Le droit de citation audiovisuelle contre la censure

La première histoire concerne à l’origine un reportage diffusé en septembre 2013 par l’émission Envoyé Spécial sur France 2, intitulé « Villeneuve, le rêve brisé ». Dépeignant la question de la violence dans une banlieue de Grenoble de manière particulièrement caricaturale, cette émission avait déclenché la colère des habitants qui ont attaqué en justice la boîte de production pour « diffamation ». Les juges ont finalement rejeté en 2014 leur plainte pour des raisons de procédure (défaut d’intérêt pour agir de l’association représentant les habitants), mais sans se prononcer sur le fond. En revanche, le CSA a adressé un avertissement à la chaîne pour « manquement aux obligations déontologiques » pour ce reportage jugé « discriminant », preuve d’un profond malaise…

L’affaire ne s’arrête cependant pas là, puisque la chaîne Public Sénat a l’intention de diffuser ce soir à 22h00 une contre-enquête intitulée « La Villeneuve, l’utopie malgré tout » destinée à dénoncer la stigmatisation des banlieues et à « poser les bases d’une nouvelle relation constructive entre médias et quartiers populaires ». Ce beau projet porté par la société de production ON Y VA! a été financé en partie suite à une opération de crowdfunding sur KissKissBankBank.

Le problème, c’est qu’Amandine Chambelland, la réalisatrice du reportage diffusé en 2013 dans Envoyé Spécial ne l’entend pas de cette oreille. Elle reproche à ON Y VA! d’avoir utilisé des extraits de deux minutes pour illustrer son propos et elle va même jusqu’à invoquer une atteinte à son « droit moral » pour « atteinte à l’intégrité » de son oeuvre. Elle est visiblement allée jusqu’à menacer de déposer une action en référé devant la justice pour essayer d’empêcher la diffusion du reportage par Public Sénat ce soir  (même si elle semble avoir renoncé depuis). De son côté, ON Y VA! se défend en faisant valoir la liberté d’expression et un « droit à la citation » des images.

Hélas, un tel « droit de citation » n’existe pas actuellement dans la loi française. On trouve seulement une exception de courte citation dans le Code de Propriété Intellectuelle, étroitement limitée et interprétée de manière restrictive par la jurisprudence. Si la citation de courts extraits de texte est permise pour critiquer une oeuvre ou illustrer une analyse, il n’en est pas de même pour les images fixes, la vidéo ou la musique. Il en découle une situation profondément déséquilibrée, puisque là où la critique est possible pour un livre, elle devient beaucoup plus difficile ou risquée pour un reportage. Cette affaire montre bien comment le droit d’auteur – et jusqu’au droit moral – peut être instrumentalisé à des fins de censure, ce qui est inacceptable au regard de la liberté d’expression.

Ici, la réalisatrice n’a certes pas osé aller jusqu’au bout en saisissant la justice, mais c’est sans doute par peur de provoquer un effet Streisand plus qu’en raison de doutes sur ses chances de succès, car en l’état actuel du droit français, les juges auraient très bien pu lui donner raison..

L’usage équitable pour la liberté d’expression

Cette affaire « La Villeneuve » fait écho à une décision de justice, rendue cette fois aux Etats-Unis, dont on a appris l’existence cette semaine (merci @Pouhiou !). Elle concerne Equals Three, une des chaînes mythiques sur YouTube, créée à l’origine par Ray William Johnson, dont le format a inspiré chez nous des vidéastes français comme Antoine Daniel avec What The Cut ou Mathieu Sommet avec Salut les Geeks. Le principe consiste à chaque épisode à commenter de manière humoristique trois vidéos repérées sur Internet, en réutilisant des extraits (voir ci-dessous).

Néanmoins, une société appelée Jukin media, dont j’ai déjà parlé dans un billet précédent ce mois-ci, s’est spécialisée dans l’obtention des droits sur des vidéos virales qu’elle repère, en négociant un partage des recettes publicitaires avec leurs créateurs. Elle agit ensuite comme un agent en envoyant des plaintes pour violation du copyright, notamment sur des plateformes comme Youtube ou Facebook qui mettent à sa disposition des outils automatisés de filtrage (les fameux « robocopyrights »).

Sur cette base, Jukin Media a agi à 41 reprises à l’encontre de la chaîne Equals Three, en lui envoyant des notifications de retrait de vidéos réutilisant des contenus sur lesquels elle bénéficie des droits. Equals Three a réussi à obtenir le rétablissement en ligne de ces vidéos en contestant les signalements, mais elle a perdu au passage les revenus publicitaires engendrés par leur diffusion, ce qui a fini par lui causer de sérieux soucis. Elle a donc choisi de contre-attaquer Jukin Media en justice pour revendiquer le bénéfice du fair use (usage équitable), prévu dans la loi américaine sur le droit d’auteur.

Ce dispositif, destiné à protéger la liberté d’expression, permet à un utilisateur de s’exonérer de sa responsabilité pour violation du droit d’auteur lorsque son usage d’une oeuvre protégée peut être dit « loyal », à partir de l’application d’un certain nombre de critères (comme la proportion utilisée ou le but poursuivi). Les juges accordent notamment de l’importance au fait que l’utilisateur ait cherché à critiquer ou à commenter l’oeuvre, ainsi qu’à produire une création « transformative » (pas de reprise telle quelle, mais avec une valeur ajoutée propre).

C’est précisément ce qu’a fait le juge saisi par Equals Three dans cette affaire. Il a estimé que dans 19 cas la réutilisation des vidéos par la chaîne était bien couverte par le fair use et que les notifications envoyées par Jukin Media étaient donc sans fondement. C’est notamment le caractère « transformatif » de l’usage qui a emporté sa décision et le fait d’avoir utilisé les images pour produire un commentaire (je traduis) :

La narration opérée par le plaignant ne se contente pas de décrire simplement ce qui est montré dans les vidéos de Jukin ; Au contraire, le plaignant fait des commentaires à propos des vidéos de Jukin pour faire ressortir leur caractère ridicule en produisant des dialogues fictifs mettant en lumière la manière dont les événements apparaissent, en opérant des comparaisons ou en se moquant directement des événements décrits et des personnes impliquées.

En revanche (et c’est intéressant), il a refusé de reconnaître le bénéfice du fair use à la reprise d’une vidéo (celle – célèbre ! – où l’on voit le premier acheteur d’un iPhone 6 le faire tomber par-terre en ouvrant fébrilement la boîte), parce qu’elle n’était pas accompagnée de suffisamment de commentaires pour considérer qu’il y a « transformation » (voir ci-dessous à partir de 1m45).

On voit bien ici que ce que le fair use autorise – à l’inverse droit français -, c’est un usage « citationnel » des images, comme le décrit le chercheur spécialisé en culture visuelle André Gunthert dans cet article, en montrant qu’il est indispensable au libre exercice de la critique.

Instaurer un droit de citation audiovisuelle en France

Nous avons cherché du côté de SavoirsCom1 à apporter une réponse à ce problème, non pas en proposant la reconnaissance d’un « fair use à la française » (idée qui heurte la tradition juridique continentale), mais en agissant simplement sur le champ d’application de l’exception de citation figurant dans notre Code. Nous nous sommes basés notamment sur les conclusions du rapport rendu par la juriste Valérie Laure Benabou au CSPLA à propos des « oeuvres transformatives » fin 2014. Ce travail a notamment montré qu’il existait de réelles marges de manoeuvre pour faire évoluer la loi française dans le respect du droit européen. L’idée consiste à aller moins loin que l’introduction d’une exception en faveur des mashups ou des remix, mais simplement de permettre l’exercice du droit de citation pour tous les types de contenus, au-delà du seul texte.

Je reproduis ci-dessous notre proposition de nouvelle rédaction de l’exception de citation, ainsi que l’explication qui l’accompagne :

Créer un droit de citation audiovisuelle :

A l’article L. 122-5 du Code de Propriété Intellectuelle, le a) du 3° est supprimé et remplacé par :

a)      Les analyses et citations concernant une oeuvre protégée au sens des articles L.112-1 et L. 112-2 du présent Code, justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées et effectuées dans la mesure justifiée par le but poursuivi.

Explications :

La jurisprudence actuelle de la Cour de Cassation réserve l’application de l’exception de courte citation au domaine de l’écrit exclusivement. Cette restriction constitue une contrainte importante pour la création et interdit de réaliser des citations musicales, graphiques ou audiovisuelles. Néanmoins, la Cour de Justice de l’Union Européenne a clairement spécifié dans sa décision Eva-Maria Painer qu’il n’y a pas lieu pour les Etats-membres de restreindre l’application de l’exception de citation au domaine de l’écrit. Le rapport Lescure, ainsi que le rapport remis par la juriste Valérie Laure Benabou au CSPLA sur les œuvres transformatives, recommandent de réformer l’exception de citation dans le sens des usages. L’amendement proposé s’appuie sur les marges de manœuvre laissées par la directive européenne sur le droit d’auteur pour étendre l’exception de citation à tous les types d’œuvres et remplacer la« courte citation » par une citation « proportionnée au but poursuivi ». Il résultera de cette modification une plus grande latitude ouverte aux créateurs pour citer des oeuvres préexistantes de tous types afin de les commenter ou de s’en servir pour illustrer un propos critique.

***

Si vous estimez que cette proposition mérite d’être soutenue, vous pouvez encore le faire jusqu’à ce soir, sur la plateforme de consultation du projet de loi numérique. 

 

 

 

 

 


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Propriété intellectuelle et Communs de la connaissance dans l’environnement numérique (conférence)

mardi 13 octobre 2015 à 06:50

J’ai eu l’occasion le mois dernier d’intervenir pour la première fois devant une université populaire, dans le cadre d’une conférence organisée à la médiathèque Jean-Jacques Rousseau de Chambéry sur le thème « Propriété intellectuelle et Communs de la connaissance dans l’environnement numérique ».  Grâce à des membres de l’association Alpinux, cette intervention a pu être filmée, et je poste ci-dessous la vidéo montée par Damien Jost (merci à lui !).

Je poste également ci-dessous le support qui m’a servi pour cette conférence (sous licence CC-BY).

Sur le sujet des biens communs, un certain nombre d’articles intéressants ont été publiés ces derniers jours, à l’occasion du festival le Temps des Communs, qui bat son plein depuis 15 jours et qui va se prolonger jusqu’au 18 octobre.

Je vous recommande notamment ces lectures pour prolonger cette vidéo :

L’émission Pixel de France Culture consacre également un dossier complet aux biens communs :


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Résoudre le casse-tête du financement de la numérisation patrimoniale ?

jeudi 8 octobre 2015 à 22:51

Lorsque l’on revendique que le produit de la numérisation du patrimoine soit rendu librement réutilisable par les institutions culturelles, le principal argument qui nous est opposé est d’ordre budgétaire : les crédits publics alloués à la numérisation sont – comme les autres – en voie de réduction et le volume des collections restant à convertir au format numérique est immense. Dès lors, il serait indispensable qu’un retour sur investissement demeure possible, sous une forme ou une autre, et cela justifierait que les institutions culturelles continuent à appliquer des redevances pour la réutilisation des fichiers, en s’appuyant sur divers fondements juridiques.

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Par Angelolucas. CC0. Source : Pixabay

Sur le fond, cette question du modèle économique de la numérisation patrimoniale ne doit pas être niée ou escamotée. Il faut au contraire la regarder en face, car dans le contexte de morosité budgétaire que nous traversons, il s’agit bien d’un problème central. Mais deux séries de contre-arguments (au moins) peuvent être opposés à cette « doctrine » de l’application systématique de redevances de réutilisation :

  1.  Il est extrêmement douteux que ces redevances puissent efficacement contribuer au financement de la numérisation, alors qu’elles provoquent dans le même temps des dommages collatéraux considérables (notamment une destruction de valeur sociale liée à la disparition du domaine public sous forme numérique et des libertés associées) ;
  2. Il est possible d’envisager d’autres modèles économiques que les redevances de réutilisation, mieux à même de concilier une soutenabilité budgétaire à long terme et la libre réutilisation du produit final de la numérisation.

J’ai déjà beaucoup écrit sur à propos du premier volet de ces contre-arguments, notamment les problèmes posés par le copyfraud des institutions culturelles et les atteintes au domaine public. Aussi, je voudrais dans ce billet me consacrer davantage au second volet, en partant d’un exemple de nouveau modèle économique mis en œuvre par une institution culturelle qui me paraît hautement intéressant. Il s’agit du dispositif de numérisation à la demande de documents développé par les Archives Départementales des Hautes-Alpes (AD05) dans le cadre d’une nouvelle politique de services aux publics. Cette stratégie de numérisation a fait l’objet d’une présentation détaillée vendredi dernier par le directeur de cette institution, Gaël Chenard, à laquelle j’ai pu assister à l’occasion du colloque « Consommateurs ou acteurs ? Les publics en ligne des archives et des bibliothèques patrimoniales ».

Articuler numérisation de masse et numérisation à la demande

Actuellement, le modèle économique de la numérisation patrimoniale le plus répandu en France parmi les institutions culturelles repose sur deux présupposés :

La présentation de Gaël Chenard a commencé par une remise en cause du premier présupposé, appuyée sur une analyse pointue des statistiques de consultation des documents numérisés mis en ligne par son institution. Celles montrent en effet que certains types de documents font l’objet d’une forte consultation par le public (Etat civil ou Registres matricules, notamment), chaque document numérisé pouvant être consulté plus de 5 fois par an. Mais d’autres pans des collections, comme les actes notariés par exemple, sont au contraire beaucoup moins consultés (parfois moins d’une fois par an en moyenne).

Une priorisation paraît dès lors souhaitable dans la numérisation des collections : il semble en effet plus intéressant que les crédits publics aillent en priorité à la numérisation des documents les plus consultées. Mais pour ceux dont l’usage est plus confidentiel, cet investissement public est « moins rentable » en termes d’utilité sociale. Et c’est d’autant plus vrai que les actes notariés aux AD05 représentent un énorme volume à numériser, qui pourrait occuper le service d’archives pendant 10 ans, en monopolisant ses crédits et les ressources humaines pouvant être consacrées à la numérisation.

Sur la base de ce constat, Gaël Chenard explique que le choix a été fait par le département de mettre l’accent sur la numérisation à la demande pour les collections les moins consultées en ligne. L’établissement mobilise ses chaînes internes pour dématérialiser les documents non-disponibles au format numérique demandés par les usagers, en leur fournissant les fichiers à distance à l’issue de l’opération. Pour que ce service soit attractif, les AD des Hautes Alpes ont aussi baissé substantiellement leurs tarifs en les divisant par 4, de 1 euro à 25 centimes d’euros la page, avec un tarif maximum bloqué à un forfait de 20 euros pour inciter les utilisateurs à commander des numérisations intégrales de documents.

Renverser le mode de financement de la numérisation patrimoniale

Le point le plus intéressant dans cette stratégie de numérisation réside sans doute dans le statut juridique des fichiers produits à l’issue de ces opérations de numérisation à la demande. Voici ce que l’on peut lire à ce sujet sur le site des AD05 :

QUE FAITES-VOUS DES IMAGES QUE J’AI PAYÉES ? QUE PUIS-JE EN FAIRE ?

Nous les livrons sur votre espace personnel pour vous permettre de les télécharger librement. Si les documents que vous avez commandés sont susceptibles d’intéresser un public plus large, ils sont ensuite publiés sur notre site internet six mois après votre demande. Vous pouvez également publier librement ces images sur votre propre site : la réutilisation est libre et gratuite dès livraison.

Le « règlement de réutilisation des informations publiques contenues dans les documents des Archives départementales des Hautes Alpes » précise que le produit de la numérisation est placé sous la Licence Ouverte/Open Licence d’Etalab et que le département se refuse à concéder des exclusivités à des tiers :

En dehors du cas des informations comportant des informations personnelles protégées au titre de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, la réutilisation est libre et gratuite, et placée sous le régime de la « licence ouverte » élaborée par Etalab dans sa version 1.0. La « licence ouverte » est annexée au présent règlement

Le Conseil Général des Hautes-Alpes exclue toute possibilité d’exclusivité d’exploitation des informations publiques produites, reçues et conservées par les Archives départementales des Hautes-Alpes, y compris dans les cas prévus à l’article 14 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.

Concrètement, cela signifie que les documents numérisés peuvent être librement réutilisés sans avoir à verser de redevances, y compris à des fins commerciales, à condition de mentionner leur source (condition posée par la licence Etalab). C’est le cas pour les personnes qui commandent des numérisations à la demande pour les fichiers qui leur sont transmis. Mais c’est aussi le cas in fine pour l’ensemble du public, puisque les AD05 indiquent que lorsque les documents commandés sont susceptibles d’intéresser le plus grand nombre, ils sont mis en ligne en accès gratuit sur le site de l’institution à l’issue d’un délai de 6 mois.

Ce modèle aboutit à un renversement de perspective intéressant dans le financement de la numérisation. Plutôt que de lever ex post des redevances sur la réutilisation des documents numérisés, l’établissement fait payer une prestation ex ante pour le service rendu au premier utilisateur. Ce paiement est donc effectué une fois et il s’éteint ensuite. L’avantage réside dans le fait que ce modèle préserve le principe de réutilisation des informations publiques et l’intégrité du domaine public (lorsque la numérisation porte sur des œuvres). Cette formule paraît aussi infiniment supérieure aux partenariats de numérisation public-privé – type Accords Proquest/BnF – qui suppriment la gratuité de l’accès en ligne aux documents numérisés pendant une période d’exclusivité accordée à la société privée, sans pour autant garantir une fois celle-ci achevée que l’institution culturelle ne continuera pas à appliquer une redevance pour la réutilisation des documents (double peine pour les droits du public).

Ce passage d’une forme de « vente des données » à la facturation d’un service rendu correspond à ce que nous préconisons dans le Manifeste de SavoirsCom1 à propos des modèles économiques compatibles avec la préservation des Communs de la connaissance :

9. Placer les communs au cœur des modèles économiques de l’information. 

[…]  Le collectif déclare encourager des modèles qui valorisent économiquement des services, à la différence de ceux qui vendent des données. Il refuse catégoriquement tous les dispositifs techniques (DRM) qui limitent les usages de l’information et, par conséquent, entravent le développement de biens communs de la connaissances.

La question centrale de l’efficacité économique

Visiblement, l’efficacité économique est au rendez-vous avec ce dispositif. Gaël Chenard a indiqué vendredi que son service d’archives se plaçait dans le peloton de tête des établissements qui numérisent le plus de vues chaque année et que l’abaissement des tarifs avait permis d’augmenter suffisamment le volume des demandes pour parvenir à un équilibre budgétaire. Le point de tension réside cependant dans la capacité de la chaîne interne à absorber les demandes, en maintenant des délais de réponse suffisamment courts pour que le service reste attractif. Le site des AD05 annonce qu’il est en mesure de servir les commandes en 2 ou 3 jours en moyenne, mais on imagine qu’il faut consacrer des ressources humaines conséquentes pour arriver à ce résultat et c’est sur ce point que ce dispositif peut s’avérer difficile à implémenter.

Si la question de l’efficacité économique est centrale dans ce débat sur le financement de la numérisation patrimoniale, force est de constater qu’à l’inverse, le modèle de l’application de redevances de réutilisation est très loin d’avoir apporté la preuve de sa capacité à assurer le financement durable de la numérisation patrimoniale. C’est notamment ce qui ressort assez nettement d’un rapport publié – avec une surprenante discrétion – par le Ministère de la Culture en juin dernier, consacré à« l‘Evaluation du développement des ressources propres des établissements culturels de l’Etat ».

On peut notamment y lire ce constat, assez éloquent, sur l’efficacité relatives des différentes sources d’auto-financement utilisées par les institutions culturelles :

Seules trois activités (la location d’espaces, les redevances de concessions et le mécénat, sous réserve de la dépense fiscale et des contreparties offertes aux mécènes qu’il induit) contribuent systématiquement à l’équilibre financier des établissements. L’ensemble des autres activités (les activités annexes telles que la gestion d’un auditorium, les expositions itinérantes, la gestion en direct d’une boutique, l’ingénierie culturelle, les éditions, les activités numériques et la gestion des droits de propriété intellectuelle) présentent, en moyenne sur l’échantillon analysé, un résultat déficitaire. Ces résultats posent la question du maintien et du développement de ces activités à l’équilibre financier fragile lorsqu’il n’apparaît pas qu’elles participent significativement aux missions de service public de l’établissement.

Les redevances (englobées de manière surprenante dans le rapport dans le volet « gestion des droits de propriété intellectuelle) » ne sont donc pas citées comme un moyen de financement efficace et pour cause ! Une série de focus sur diverses institutions (RMN, BnF, Musée d’Orsay, Quai Branly, etc.) figurant dans les annexes le confirme complètement : les recettes tirées des redevances de réutilisation restent marginales pour ces établissements, eu égard aux coûts importants découlant de la numérisation. C’est particulièrement clair à propos de l’agence photographique de la RMN, dont le déficit se creuse chaque année de manière assez inquiétante, alors qu’elle reste la « championne nationale » du modèle des redevances (et donc du copyfraud…). Voir notamment le schéma ci-dessous tiré de l’annexe V du rapport).

Des chiffres encore plus précis avaient été fournis en janvier dernier à la députée Isabelle Attard en réponse à une question parlementaire posée au Ministère de la Culture à propos du bilan économique de l’agence photo de la RMN, montrant un déficit croissant chaque année s’élevant à plus de 3,5 millions d’euros pour 2014.

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Ces constats sur l’inefficacité économique des redevances rejoignent plus largement les conclusions du rapport Trojette rendu à la fin de l’année 2014, qui s’était livré à une évaluation globale du modèle économique des redevances mises en place par les administrations pour la réutilisation des informations publiques. Hormis quelques rares hypothèses où les redevances se justifient encore (temporairement), le rapport Trojette préconise de placer les données publiques en Open Data pour maximiser leur utilité sociale, en abandonnant les tarifs de réutilisation. Le secteur culturel présente certes la spécificité de devoir assumer des coûts importants pour la numérisation des collections. Mais nous avons vu qu’il est loin d’être prouvé que les redevances de réutilisation puissent constituer une solution satisfaisante et des exemples comme celui des Archives Départementales des Hautes Alpes montrent qu’au moins une partie de ces coûts peut être amortie par la facturation de services plutôt que par des entraves à la réutilisation des fichiers.

Quelle équité dans l’appel à contribution du public ?

La numérisation a un coût important et il est clair qu’en l’état des finances publiques, il ne sera pas possible de faire porter l’intégralité de l’effort sur le budget des collectivités. Le public doit prendre sa part dans ce financement, mais il existe plusieurs façons de le mettre à contribution : certaines paraissent équitables, tandis que d’autres ne le sont manifestement pas.

A vrai dire, les services de numérisation à la demande existent depuis longtemps dans les institutions culturelles, qui sont nombreuses à disposer de départements dédiés à la reproduction. Mais en général, le produit de cette numérisation n’est pas libéré sous une licence garantissant les droits d’usage du public et, parfois, il n’est même pas mis en ligne une fois le service rendu. En somme, ce qui est payé directement avec l’argent du public ne respecte pas au final les droits du public. Les individus sont appelés à contribuer pour financer leur propre expropriation du patrimoine commun et sous couvert de « rendre un service », les institutions culturelles alimentent en réalité une véritable machine à enclosures…

Or il devient de plus en plus à la mode dans le champ culturel de faire appel au « mécénat » du public sous diverses formes : formule de parrainage de la numérisation de documents avec le service « Adopte un livre » à la BnF ; financement participatif pour l’achat de pièces rares et précieuses (au Louvre ou à la BnF) couplé à des opérations de numérisation ; appel aux dons pour la restauration d’œuvres emblématique (au Louvre ou au Musée d’Orsay). Ces dispositifs participatifs rencontrent souvent l’enthousiasme d’un public attaché au patrimoine, mais on peut clairement poser la question de l’équité de ces modes de financement quand les droits d’usage ne sont pas respectés. C’est ce qu’a fait par exemple brillamment Hervé Le Crosnier à propos du recours au crowdfunding pour la restauration du tableau « l’Atelier du peintre » de Courbet au Musée d’Orsay :

[…] la moindre des choses serait de rendre au public autre chose que des « cartes pass » à bon prix (une fois déduite la participation de 2/3 de l’État au travers des réductions d’impôts) et l’affichage du nom des donateurs sur Facebook.

Comme ce genre d’opération va se multiplier, ne devrions-nous pas exiger que l’ensemble des droits sur les reproductions de ces œuvres aidées soient directement posées dans le domaine public ?

Dans le dispositif mis en place par les Archives des Hautes Alpes, il me semble au contraire que l’appel à contribution du public est équitable. L’établissement tarifie un service rendu à l’usager (numérisation d’un original non-disponible sous forme numérique dans un délai donné et transmission du fichier), ce qui est entièrement légitime. Par ailleurs, le paiement par l’usager a aussi le sens d’un « micro-mécénat » contribuant à la numérisation globale des collections pour tous. Et au final, il n’y a pas d’enclosure instaurée par l’établissement culturel, puisque la licence ouverte garantit les droits du public à la réutilisation des contenus et la préservation de l’intégrité du domaine public.

La légitimité du système deviendrait contestable si la stratégie des AD05 consistait à substituer intégralement la numérisation de masse, couverte par les crédits publics de la collectivité, à ce service de numérisation à la demande financé par le paiement direct des usagers. Mais tel n’est pas le cas, puisque la numérisation à la demande vise prioritairement à faire passer au format électronique des pans spécifiques des collections que les archives ne seraient pas à même de numériser autrement. Sans doute faudra-t-il rester vigilant pour qu’un phénomène de bascule ne s’opère pas et que ces solutions de numérisation à la demande ne deviennent pas un prétexte au désengagement financier des pouvoirs publics.

Mais tel n’est pas le cas pour les AD05, qui me paraissent avoir trouvé un équilibre satisfaisant. Il ne s’agit pas de dire que la numérisation  à la demande doit devenir LE modèle exclusif de financement de la numérisation du patrimoine, mais il y a là assurément une piste intéressante à creuser, notamment en ce qui concerne l’offre de services à valeur ajoutée autour des données.

La numérisation du patrimoine à la croisée des chemins législatifs

On constate donc que sur le terrain, des institutions culturelles comme les AD05 explorent actuellement de nouveaux modèles économiques pour assurer la pérennité du financement de la numérisation. C’est d’autant plus stimulant que les positions émises sur le sujet par le Ministère de la Culture traduisent en revanche un immobilisme inquiétant, confinant parfois au dogmatisme. La « doctrine de la redevance » et le mépris pour la question du respect du domaine public et du principe de libre réutilisation restent obstinément la règle, alors que le rapport produit par le Ministère lui-même (cité ci-dessus) montre que cette voie constitue une impasse budgétaire.

En août dernier, Fleur Pellerin a répondu à une question parlementaire posée par le député Olivier Falorni qui insistait sur l’importance de libérer la réutilisation des oeuvres numérisées du domaine public et appelait le Ministère à mettre fin aux pratiques de tarification de la RMN. La réponse de la Ministre, non seulement légitime le copyfraud auquel se livre dans leur très grande majorité les musées, mais manifeste également un attachement sans faille à la « doctrine des redevances ».

La numérisation du patrimoine se trouve à présent à la croisée des chemins législatifs. Le projet de loi numérique portée par les services d’Axelle Lemaire du côté du Ministère de l’Economie (et c’est loin d’être innocent…) contient en effet une définition positive du « domaine public informationnel », visant à interdire les pratiques de copyfraud et la réapparition d’exclusivités sur les éléments du patrimoine culturel qui devraient rester communs à tous. Si cette notion venait à être consacrée par la loi, il est clair que les institutions culturelles seraient rapidement obligées de revoir en profondeur leurs pratiques de diffusion des documents numérisés, sauf pour elles à courir le risque d’affronter des recours contentieux que la loi va ouvrir.

 Mais dans le même temps, une autre loi est en train de progresser, portée par Clotilde Valter au secrétariat à la réforme de l’Etat, qui s’appuie sur une logique rigoureusement opposée. Alors que toutes les autres administrations publiques vont être soumises à un principe de gratuité pour la réutilisation des informations publiques, avec des possibilités exceptionnelles d’instaurer des redevances, la loi Valter graverait dans le marbre une faculté discrétionnaire pour les établissements culturel de lever des redevances sur la réutilisation du patrimoine numérisé, ainsi que d’accorder des exclusivités à des partenaires privés de numérisation. Si c’est cette seconde loi qui prévaut, alors une forme de « domaine public payant » sera instaurée en France, au bénéfice des institutions culturelles.

***

Ne nous y trompons pas : cette « doctrine des redevances » a beau se draper – mais de plus en plus difficilement – dans des arguments de rationalité budgétaire, elle traduit surtout une vision idéologique du patrimoine conçu comme « actif immatériel » à valoriser, qui est tout sauf innocente. Le pire, c’est que cette politique sera incapable d’assurer la durabilité de la numérisation à long terme, mais elle conduira immanquablement à une adultération profonde de l’identité des institutions culturelles et de leurs missions de service public.

Heureusement que des services comme celui des Archives départementales des Hautes Alpes montrent concrètement qu’une autre voie est encore possible !

 

 


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Nous rendons le Journal d’Anne Frank au domaine public ! Serez-vous des nôtres ?

mercredi 7 octobre 2015 à 22:38

Il y a eu le cas de Guillaume Apollinaire, sur l’oeuvre duquel l’éditeur Gallimard a conservé les droits pendant plus de 94 ans après sa mort, alors que le poète était disparu sans enfant. Il y a ensuite celui d’Antoine de Saint-Exupéry, entré dans le domaine public partout dans le monde… sauf en France, parce que notre loi « remercie » les auteurs morts pour leur pays en empêchant pendant 30 années supplémentaires que leur oeuvre ne devienne le bien de tous.

Et désormais, il y aura aussi l’histoire du Journal d’Anne Frank, peut-être plus choquante encore. Disparue en 1945 dans l’horreur des camps nazis, Anne Frank aurait dû rejoindre le domaine public au 1er janvier de l’année 2016. Mais il n’en sera pas ainsi, comme nous l’apprend cet article de Livres Hebdo paru aujourd’hui. Les ayants droit de l’auteur et l’éditeur du Journal vont invoquer une législation bizantine sur les oeuvres posthumes pour prolonger leurs droits exclusifs jusqu’en 2030, alors qu’ils ont déjà vendu plus de 30 millions d’exemplaires du livre.

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Image par Turelia. CC-BY-SA Source : Wikimedia Commons.

Pire, un autre raisonnement, complètement hallucinant, pourrait empêcher l’oeuvre d’entrer dans le domaine public jusqu’en… 2051 ! Otto Frank, le père d’Anne, a en effet expurgé les écrits de sa fille de certains passages qu’il jugeait choquants pour la morale car trop intimes, notamment ceux où la jeune fille raconte ses premiers émois d’adolescente et son éveil à la sexualité. Sur la base de cet acte – qu’on peut assimiler à une forme de censure patriarcale – la Fondation Anne Frank et l’éditeur du Journal estiment que cette version constitue une « nouvelle oeuvre » sur laquelle ils seraient en mesure de revendiquer des droits d’exploitation pour des décennies, Otto Frank étant mort seulement en 1980…

Anne Frank est hélas déjà revenue plusieurs fois dans les colonnes du Copyright Madness. La fondation qui gère les droits d’auteur et celle qui s’occupe de la fameuse Maison d’Anne Frank transformée en musée, se sont battues comme des chiffonniers pendant plus de 15 ans pour contrôler une marque de commerce déposée sur « Le Journal d’Anne Franck ». Il aura fallu l’intervention de la justice pour mettre fin à ces querelles indignes, en rappelant qu’une telle marque purement descriptive est invalide. C’est dire à quel point ces « ayants droit » se préoccupent d’honorer la mémoire d’Anne Frank…

Mais il y a un moment un moment où la goutte d’eau fait déborder le vase et c’est ce qui est en train de se produire ce soir. Olivier Ertzscheid a publié sur son blog Affordance un billet magnifique pour s’indigner contre ces pratiques. Et il a choisi en signe de protestation de publier en ligne le Journal d’Anne Frank en version numérique. En soutien à sa démarche, je publie également ces deux fichiers sur S.I.Lex :

Un tel acte est illégal, mais il arrive un point où l’absurdité de la règle de droit mérite qu’on lui oppose des actes de désobéissance civile. La députée Isabelle Attard a essayé lors du récent débat sur la loi Création à l’Assemblée nationale d’obtenir la suppression des blocages ineptes qui empêchent encore les oeuvres d’entrer dans le domaine, comme les prorogations de guerre affectant l’oeuvre de Saint-Exupéry. Mais elle s’est heurtée une nouvelle fois à l’immobilisme du Ministère de la Culture et de la majorité des députés, qui ont refusé de toucher à quoi que ce soit… comme si tout était pour le mieux dans le monde enchanté de la propriété intellectuelle.

S’il en est ainsi, il ne reste plus qu’à rendre au domaine public ce que la loi lui arrache illégitimement. Si vous voulez vous aussi envoyer un message clair de désapprobation, je vous invite à republier ces fichiers le plus largement possible par tous les moyens en votre possession.

Serez-vous des nôtres ? C’est ainsi qu’Aaron Swartz a terminé son Open Access Guerilla Manifesto pour inciter à la désobéissance citoyenne en faveur du libre accès à la connaissance :

Nous avons besoin de récolter l’information où qu’elle soit stockée, d’en faire des copies et de la partager avec le monde. Nous devons nous emparer du domaine public et l’ajouter aux archives. Nous devons acheter des bases de données secrètes et les mettre sur le Web. Nous devons télécharger des revues scientifiques et les poster sur des réseaux de partage de fichiers. Nous devons mener le combat de la guérilla pour le libre accès.

Lorsque nous serons assez nombreux de par le monde, nous n’enverrons pas seulement un puissant message d’opposition à la privatisation de la connaissance  : nous ferons en sorte que cette privatisation appartienne au passé. Serez-vous des nôtres  ?

Ci-dessous, je colle le texte du superbe billet d’Olivier Ertzscheid. Merci à lui pour son geste et soyons nombreux à le suivre !

Très chère Anne,

Comme une immensité de collégiens et de lycéens j’ai d’abord découvert ton journal en cours de français à l’âge où tu mourrais dans un camp de concentration. Te voilà depuis des décennies régulièrement inscrite dans les programmes scolaires. La première fois que l’on lit ton journal (en tout cas la première fois que je l’ai lu), il s’agit presque d’un texte comme les autres, un texte du « programme », qu’il faut lire « pour le cours de français ». Alors on le lit. Plus ou moins attentivement. Et quelque chose en nous change. Oh bien sûr on ne s’en aperçoit pas immédiatement. On ne le comprendra que plus tard. Lorsque avec quelques années de plus nous serons de nouveau confrontés à ton texte. A ton récit. A ton journal. Au souvenir de cette lecture. Lorsque nous en saisirons toute la force, ce récit ordinaire d’un tragique extra-ordinaire, ce récit d’une très jeune femme, conduite à la mort par la folie des hommes. Morte en 1945.

Une jeune femme dont le récit à permis à des milliers d’élèves, qui deviendront des milliers de citoyens de grandir, tout simplement. De s’élever.

Très chère Anne, ton journal, comme toute autre oeuvre littéraire devait lui aussi s’élever dans le domaine public l’année prochaine, en 2016, soixante-dix ans après la mort de son auteur, soixante-dix ans après ta mort. L’entrée d’une oeuvre dans le domaine public est toujours, toujours, une chance. Parce qu’à compter de ce jour il ne s’agit plus simplement d’une oeuvre mais d’une part de notre mémoire et de notre histoire collective. Mais je te parle de mémoire, à toi, très chère Anne, voilà qui doit te faire sourire. Qui mieux que toi sait à quel point la mémoire est importante. A quel point elle est un devoir. Ce devoir de mémoire. Qui mieux que toi y a contribué, au sacrifice de sa vie.

Très chère Anne, je viens d’apprendre que ton éditeur et les gens qui gèrent ton oeuvre, le « fonds Anne Franck » s’opposaient à l’entrée de ton journal dans le domaine public l’année prochaine. Ils ont, chère Anne, tout une série d’arguments juridiques et légaux, qui semblent juridiquement et légalement indiscutables. Il faudra donc attendre. Attendre encore 50 ou peut-être même 70 ans après ce qu’ils considèrent comme la « première » édition de ton journal, qui d’après eux remonte à 1980. Tu imagines un peu Anne ? Ton journal n’entrerait dans le domaine public qu’en 2030, voire en 2050. Plus d’un siècle après ta mort dans ce camp.

Attendre un siècle après la mort d’une jeune femme juive de 16 ans dans un camp de concentration pour que son témoignage, son journal, son oeuvre, puisse entrer dans le domaine public.

Qui sont-ils Anne pour s’opposer ainsi à l’entrée de ton journal dans le domaine public. Le fait que tu sois morte depuis 70 ans ne leur suffit donc pas à ces éditeurs et à ces gestionnaires de droits ? De quels « droits d’auteur » veulent-ils maintenir la rente après avoir déjà vendu plus de 30 millions d’exemplaires de ton journal ? A qui bénéficient ces droits ? Aux enfants que tu n’as pas eu ?

Anne, très chère Anne, je t’écris cette lettre pour te demander la permission de ne pas attendre 2050. A la fin de ce message, je mettrai en ligne ton journal. En faisant cela j’accomplirai un acte illégal. Il est probable que « ton » éditeur ou que ceux qui se disent gestionnaires du fonds qui porte ton nom, il est probable qu’ils m’envoient leurs avocats, me somment de retirer ce texte, me condamnent à payer une amende.

Je m’en moque Anne. Car le temps qu’ils le fassent, ce texte, ton texte, ton journal aura déjà été copié par des centaines de gens, qui à leur tour, je veux le croire, le mettront alors également en ligne.

Je sais que tu ne m’en voudras pas. Il ne me faut aucun courage pour le faire. En le faisant je n’entre pas en résistance. Je ne prends d’autre risque que celui d’offrir à ton texte, quelques mois avant le délai légal de 70 ans, un peu de lumière.

Il y a ce texte, ton texte Anne. Après ces années de cave, d’obscurité, cette obscurité si pesante dans ton journal, il est temps que tu retrouves ta place. Et puisque le domaine public t’es refusé, puissions-nous collectivement avoir l’intelligence de t’offrir enfin la lumière que tu mérites, celle que ton journal mérite, celle de l’espace public.

Bienvenue dans la lumière, chère Anne.

Dimanche 13 décembre 1942.
« Chère Kitty,
Je suis confortablement installée dans le bureau de devant, et je peux regarder dehors par la fente de l’épais rideau. Bien que dans la pénombre, j’ai encore assez de lumière pour t’écrire. »

Extrait de: Anne Frank. « Le Journal d’Anne Frank. »

Nota-Bene : les versions diffusées ici le sont donc illégalement. Parce que je juge cette « illégalité » crapuleuse, et me tiens prêt à en assumer les conséquences. Je m’excuse en revanche auprès des traducteurs du journal d’Anne Franck, Ph. Noble et Isabelle Rosselin-Bobulesco, leurs droits d’auteur à eux, sont parfaitement justifiés mais diffuser la version néerlandaise originale n’aurait guère eu de sens.

 


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