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« Information wants to be free », vous vous souvenez ?

vendredi 23 novembre 2012 à 18:22

C’est sans doute l’une des phrases les plus célèbres prononcées à propos d’Internet : en 1984, l’auteur américain Stewart Brand lance au cours de la première Hacher’s Conference organisée en Californie :

Information wants to be free.

Ces mots deviendront l’un des slogans les plus forts du mouvement de la Culture libre et ils rencontrent encore aujourd’hui des échos importants, avec l’affaire Wikileaks par exemple, les révolutions arabes ou le mouvement de l’Open Data. L’idée de base derrière cette formule consiste à souligner que l’information sous forme numérique tend nécessairement à circuler librement et c’est la nature même d’un réseau comme internet de favoriser cette libération.

Bits. Par sciascia. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr.

Mais les choses sont en réalité un peu plus complexes et Stewart Brand dès l’origine avait parfaitement conscience que la libre circulation de l’information était un phénomène qui engendrerait des conflits :

On the one hand information wants to be expensive, because it’s so valuable. The right information in the right place just changes your life. On the other hand, information wants to be free, because the cost of getting it out is getting lower and lower all the time. So you have these two fighting against each other.

D’un côté, l’information veut avoir un prix, parce qu’elle a une grande valeur. Obtenir la bonne information au bon endroit peut tout simplement changer votre vie. D’un autre côté, l’information veut être libre, parce que le coût pour la produire devient de plus en plus faible. Nous avons une lutte entre ces deux tendances.

Ce conflit latent traverse toute l’histoire d’Internet et il atteint aujourd’hui une forme de paroxysme  qui éclate dans une affaire comme celle de la Lex Google.

Encapsuler l’information

Pour obliger le moteur de recherche à participer à leur financement, les éditeurs de presse en sont à demander au gouvernement de créer un nouveau droit voisin à leur profit, qui recouvrira les contenus qu’ils produisent et soumettra l’indexation, voire les simples liens hypertexte, à autorisation et à redevance.

Il est clair que si de telles propositions se transforment en loi dans ces termes, la première tendance de Stewart Brand aura remporté une victoire décisive sur l’autre et une grande partie des informations circulant sur Internet ne pourra plus être libre. La Lex Google bouleverserait en profondeur l’équilibre juridique du droit de l’information.

En effet, c’était jusqu’alors un principe de base que le droit d’auteur protège seulement les oeuvres de l’esprit, c’est-à-dire les créations originales ayant reçu un minimum de mise en forme. Cette notion est certes très vaste puisqu’elle englobe toutes les créations quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destinationmais elle ne s’applique pas aux idées, aux données brutes et à l’information qui ne peuvent pas faire l’objet d’une appropriation et demeurent « de libre parcours ».

Ces éléments forment un « fonds commun », comme le dit le professeur Michel Vivant, dans lequel chacun peut venir puiser librement sans entrave pour alimenter ses propres réflexions et créations. Tout comme le domaine public, ce fonds commun joue un rôle primordial dans l’équilibre du système, afin que le droit d’auteur n’écrase pas d’autres valeurs fondamentales comme le droit à l’information ou la liberté d’expression.

Créer un droit voisin sur les contenus de presse reviendrait à « encapsuler » l’information dans une carapace juridique et à anéantir une grande partie de ce domaine public informationnel. L’information en elle-même, et non son expression sous forme d’articles, passerait subitement en mode propriétaire, avec peut-être même une mise en péril du simple droit à la citation.

Capsules. Par vinodw. CC-BY. Source : Flickr

A vrai dire, cette tendance à l’appropriation existe depuis longtemps. Elle s’est déjà manifestée par la création d’un droit des bases de données dans les années 90, dont l’application soulève de nombreuses difficultés. Des signes plus récents montrent qu’un revirement plus profond encore est en train de s’opérer dans la conception de la protection de l’information.

Les dépêches de l’AFP ont ainsi longtemps bénéficié d’une sorte de statut dérogatoire, comme si l’information brute qu’elle contenait et qu’elles étaient destinées à véhiculer primait sur le droit à la protection. Les juges considéraient traditionnellement que ces dépêches n’étaient pas suffisamment originales pour qu’on puisse leur appliquer un droit d’auteur, ce qui garantissait leur libre reprise. Mais l’AFP s’est efforcée de renverser le principe, en attaquant dès 2005 Google News devant les tribunaux, ce qui préfigurait d’ailleurs très largement les débats autour de la Lex Google.

Or en février 2010, le Tribunal de commerce de Paris a reconnu que les dépêches pouvaient présenter une certaine forme d’originalité susceptible d’être protégée :

[...] Attendu que les dépêches de l’AFP correspondent, par construction, à un choix des informations diffusées, à la suite le cas échéant de vérifications de sources, à une mise en forme qui, même si elle reste souvent simple, n’en présente pas moins une mise en perspective des faits, un effort de rédaction et de construction, le choix de certaines expressions [...]

L’affaire a été portée en appel, mais en attendant, l’information brute se trouve bien à nouveau recouverte par le droit d’auteur.

Demain, tous des parasites informationnels ?

Une affaire récente, qui a défrayé la chronique, va encore plus loin et elle pourrait bien avoir des retentissements importants, puisqu’elle tend à faire de chacun de nous des parasites en puissance de l’information, attaquables devant les tribunaux.

Jean-Marc Morandini vient en effet d’être condamné à verser 50 000 euros au journal Le Point, qui l’accusait de piller régulièrement la partie Médias 2.0 de son site, afin d’alimenter ses propres chroniques. Le jugement de la Cour d’Appel de Paris qui a prononcé cette condamnation est extrêmement intéressant à analyser, car il nous ramène au coeur de la tension autour de l’information libre formulée par Stewart Brand.

En effet, le juge commence logiquement par examiner si les articles repris sur Le Point peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur. Et là, surprise, sa réponse est négative, en vertu d’un raisonnement qui rappelle la position traditionnelle sur les dépêches AFP. La Cour estime en effet que les brèves figurant dans cette rubrique Medias 2.0 constituent des articles « sans prétention littéraire, ne permet[tant] pas à leur auteur, au demeurant inconnu, de manifester un véritable effort créatif lui permettant d’exprimer sa personnalité ». C’est dire donc qu’elles ne sont pas suffisamment originales pour entrer dans le champ du droit d’auteur, le journaliste qui les rédige (Emmanuel Berretta) se contentant de diffuser de l’information brute.

Parasite. Par Clearly Ambiguous. CC-BY. Source : Flickr.

Nous sommes donc bien en dehors de la sphère de la contrefaçon, mais les juges ont tout de même estimé que Morandini méritait condamnation, sur la base du fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme. La Cour reconnaît que le journaliste imite Le Point « avec suffisamment de différences pour éviter le plagiat, notamment en modifiant les titres des brèves et articles repris », mais elle ajoute qu’il tend ainsi ainsi « à s’approprier illégitimement une notoriété préexistante sans développer d’efforts intellectuels de recherches et d’études et sans les engagements financiers qui lui sont normalement liés ». Plus loin, elle explique qu’ « il ne suffit pas d’ouvrir une brève par la mention « Selon le journal Le Point » pour s’autoriser le pillage quasi systématique des informations de cet organe de presse, lesquelles sont nécessairement le fruit d’un investissement humain et financier considérable ».

On est donc en plein dans la première partie de la citation de Stewart Brand : « information wants to be expensive, because it’s so valuable« . L’avocat du Point commentait de son côté la décision en ces termes :

Qu’il y ait une circulation de l’information sur Internet, du buzz, des reprises…, c’est normal, c’est la vie du Web, reprend Me Le Gunehec. Nous l’avions dit franchement à la cour d’appel, et elle le sait bien. Mais elle a voulu rappeler qu’il y a une ligne jaune : se contenter de reprendre les informations des autres, sous une forme à peine démarquée, avec quelques retouches cosmétiques pour faire croire à une production maison, cela ne fait pas un modèle économique acceptable. Et on pourrait ajouter : surtout quand cette information est exclusive.

Cette dernière phrase est très importante. Ce qu’elle sous-entend, c’est que celui qui est à l’origine d’une information exclusive devrait pouvoir bénéficier d’un droit exclusif sur celle-ci pour pouvoir en contrôler la diffusion et la monétiser. La logique du droit jusqu’à présent était pourtant exactement inverse : pas de droit exclusif sur l’information elle-même… même (voire surtout) exclusive !

Sans avoir aucune sympathie particulière pour Morandini, il faut considérer qu’un tel raisonnement peut aboutir à faire de nous tous des parasites de l’information en puissance, car nous passons notre temps à reprendre des informations piochées en ligne sur Internet (moi le premier). Certains commentaires ont d’ailleurs fait remarquer à juste titre que cette jurisprudence heurtait de front le développement des pratiques de curation de contenus en ligne.

Revendiquer un droit exclusif sur l’information brute elle-même, différent du droit d’auteur sur son expression, c’est d’une certaine façon courir le risque de permettre l’appropriation de la réalité elle-même. Qu’adviendrait-il d’un monde où l’information serait ainsi protégée ? Certains ont essayé de l’imaginer.

Un monde où l’information est copyrightée ?

Il se trouve que la science-fiction a déjà exploré cette possibilité et la vision qu’elle nous livre est assez troublante. Elle donne beaucoup à réfléchir sur cette crispation que l’on constate à propos du droit de l’information.

Dans sa nouvelle d’anticipation  »Le monde, tous droits réservés«  figurant dans le recueil éponyme, l’auteur Claude Ecken imagine justement un monde dans lequel l’information pourrait être copyrightée et les conséquences que cette variation pourrait avoir sur les médias et la société dans son ensemble.

Dans un futur proche, l’auteur envisage que la loi a consacré la possibilité de déposer un copyright sur les évènements, d’une durée de 24 heures à une semaine, qui confère un droit exclusif de relater un fait, empêchant qu’un concurrent puisse le faire sans commettre un plagiat. A l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui avec la reprise des dépêches des agences AFP ou Reuters, les organes de presse se livrent à une lutte sans merci pour être les premiers à dénicher un scoop sur lequel elles pourront déposer un copyright.

L’intérêt de la nouvelle est de développer dans le détail les implications juridiques et économiques d’un tel mécanisme. Les témoins directs d’un évènement (la victime d’une agression, par exemple) disposent d’un copyright qu’ils peuvent monnayer auprès des journalistes. Lorsqu’une catastrophe naturelle survient, comme un tremblement de terre, c’est cette fois le pays où l’évènement s’est produit qui détient les droits sur l’évènement, qu’elle vendra à la presse pour financer les secours et la reconstruction.

Et immanquablement, cette forme d’appropriation génère en retour des formes de piratage de l’information, de la part de groupuscules qui la mettent librement à la disposition de tous sous la forme d’attentats médiatiques, férocement réprimés par le pouvoir en place, ce qui rappelle étrangement l’affaire Wikileaks, mais transposée à l’échelle de l’information générale.

Si Claude Ecken s’applique à démontrer les dangers d’un tel système, il laisse aussi son héros en prendre la défense :

Avant la loi de 2018, les journaux d’information se répétaient tous. Leur spécificité était le filtre politique interprétant les nouvelles selon la tendance de leur parti. Il existait autant d’interprétations que de supports. Le plus souvent, aucun des rédacteurs n’avait vécu l’évènement : chacun se contentait des télex adressés par les agences de presse. On confondait journaliste et commentateur. Les trop nombreuses prises de position plaidaient en faveur d’une pluralité des sources mais cet argument perdit du poids à son tour : il y avait ressassement, affadissement et non plus diversité. L’information était banalisée au point d’être dévaluée, répétée en boucle à l’image d’un matraquage publicitaire, jusqu’à diluer les événements en une bouillie d’informations qui accompagnait l’individu tout au long de sa journée. Où était la noblesse du métier de journaliste ? Les nouvelles n’étaient qu’une toile de fond pour les médias, un espace d’animation dont on ne percevait plus très bien le rapport avec le réel. Il était temps de revaloriser l’information et ceux qui la faisaient. Il était temps de payer des droits d’auteur à ceux qui se mouillaient réellement pour raconter ce qui se passait à travers le monde.

Dans un commentaire de la décision rendue à propos de Morandini, on peut lire ceci : « Même sur Internet, le journaliste se doit d’aller chercher lui-même l’information !« . Vous voyez donc que l’on n’est plus très loin de l’histoire imaginée par Claude Ecken…

***

L’information veut être libre. Par Pierre Selim. CC-BY. Source : Flickr.

Information wants to be free… c’était le rêve qu’avait fait la génération qui a assisté à la mise en place d’internet, puis du web, et ce rêve était beau. Mais la puissance de la pulsion appropriatrice est si forte que c’est une dystopie imaginée par la science-fiction qui est en train de devenir réalité, à la place de l’utopie d’une information libre et fluide. Avec l’information brute, c’est la trame de la réalité elle-même que l’on rend appropriable, ce qui rappelle également les dérives dramatiques que l’on avait pu constater lors des derniers Jeux Olympiques de Londres, à l’occasion desquels les autorités olympiques ont défendu leurs droits exclusifs sur l’évènement avec une férocité alarmante.

Il existe pourtant une autre façon de concevoir les choses, à condition de quitter le prisme déformant des droits exclusifs. Au début de la polémique sur la Lex Google, j’avais en effet essayé de montrer que l’on peut appliquer le système de la légalisation du partage non-marchand aux contenus de presse et, couplé à la mise en place d’une contribution créative, il pourrait même assurer aux éditeurs et aux journalistes des revenus substantiels tout en garantissant la circulation de l’information et la liberté de référencer.

L’information veut être libre, c’est sa nature même, mais il nous reste à le vouloir aussi…


Classé dans:Quel Droit pour le Web 2.0 ? Tagged: AFP, copyright, droit d'auteur, droit voisin, Google, information, Lex Google, morandini, presse, science-fiction

Rions un peu avec le web de données du Ministère de la Culture

jeudi 22 novembre 2012 à 18:37

[update du 26/11/2012 : le site data.culture.fr, cité ci-dessous, a été modifié le 22 novembre, après la parution de ce billet et ses mentions légales ont été supprimées. Les captures d'écrans figurant ci-dessous attestent encore de l'état antérieur]

En matière de diffusion des données culturelles en France, il y a hélas souvent bien plus d’occasions de pleurer que de rire.

Nightmare Fuel. Par michaeljesusday. CC-BY. Source : Flickr

Cette semaine était cependant un peu plus réjouissante, avec la signature d’une convention entre Wikimedia France, l’INRIA et le Ministère de la Culture autour du projet Semanticpédia, qui vise à sémantiser plusieurs jeux de données issues des projets de Wikimedia. Ce travail collaboratif représente un enjeu important afin que les données culturelles francophones investissent le web de données et il devrait permettre à terme aux institutions culturelles françaises de récupérer des données enrichies pour améliorer la diffusion de leurs contenus en ligne.

A cette occasion, Aurélie Filippetti a prononcé un discours dans lequel c’est la première fois qu’un Ministre de la Culture invite les établissements culturels français à contribuer à l’enrichissement des données de Wikipedia :

Mais ce partenariat ne saurait être à sens unique. Le savoir  accessible sur Wikipédia est en perpétuelle construction et peut bénéficier pleinement de l’expertise du ministère. C’est pourquoi nos établissements sont invités à leur tour à consolider, à enrichir ou à rectifier s’il y a lieu les données figurant sur Wikipédia, afin non seulement d’augmenter la qualité de ses articles en langue française, mais aussi son efficacité sur le Web sémantique.

Tout ceci est fort bien et fort beau et je ne conteste nullement que cette signature marque un jalon majeur pour la reconnaissance de Wikipédia, ni que le projet Semanticpedia ait un rôle important à jouer pour le rayonnement de la culture française.

Néanmoins, je suis très loin de partager l’enthousiasme quelque peu débordant qui s’est manifesté notamment sur Twitter chez nombreuses personnes qui ont vu là le signe que le Ministère de la Culture s’apprêtait à « investir le web de données ».

Je resterai au contraire extrêmement prudent à ce sujet, étant donné le flottement qui caractérise la politique du Ministère de la Culture quant à la diffusion des données. La tentation semble en effet particulièrement forte de recourir aux technologies du web sémantique, sans pour autant s’engager dans une démarche d’ouverture de type Open Data.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, la Culture est le mouton noir de l’Open Data en France et cet état de fait était encore rappelé récemment par Claire Gallon de LiberTIC dans une tribune publiée sur OWNI, qui n’hésite pas à parler de « tartufferie » :

Pour preuve, les conflits liés aux données fermées se multiplient et l’absence de soutien politique pour l’extension de l’ouverture à des données d’intérêt général, ou permettant réellement de rendre compte de l’action publique risque de confiner le mouvement français à une logique de publication de données gadgets.

Un premier sujet de déception porte sur la position du ministère de la Culture qui s’est récemment déclaré “favorable à l’ouverture des données culturelles dans un cadre d’exception“. Entendez : oui à l’Open Data, mais sans toucher au cadre juridique actuel qui confère aux données culturelles le pouvoir de se soustraire à l’obligation d’ouverture.

La tartufferie était également au rendez-vous lors du lancement du Centre Pompidou Virtuel, à propos duquel j’ai déjà eu l’occasion de montrer que les données, pourtant sémantisées, sont demeurées sous un régime de fermeture, en dépit des artifices de communication déployés pour nous faire croire que le projet était dans une logique d’ouverture.

J’entends déjà les éminents spécialistes de ces questions m’expliquer, comme ils le font régulièrement dans les commentaires de ce blog, que la sémantisation et l’Open Data sont deux choses différentes et qu’on peut parfaitement faire l’un sans l’autre. Qu’on puisse le faire, c’est chose certaine, mais uniquement au prix d’une dénaturation de la logique du web de données, qui veut que les informations puissent être connectées entre elles et circuler le plus largement possible, afin que cette technologie produise son plein potentiel. Et pour ceux qui en douteraient, je les renvoie directement à Tim Berners-Lee, le père du web sémantique, qui ne sépare pas dans sa vision les considérations techniques de l’ouverture juridique = Open ET Linked Data.

Je vous promettais de rire dans ce billet, alors rions un peu quand même avec ce délicieux web de données à la sauce Ministère de la Culture. Vous allez voir que vouloir « investir le web de données » tout freinant des quatre fers sur l’ouverture peut produire des résultats absolument clownesques !

Un site intitulé data.culture.fr vient en effet d’ouvrir qui diffuse plusieurs thésaurus du Ministère de la Culture, passés au format SKOS, afin de permettre leur utilisation dans le cadre du web sémantique. On y trouve notamment le Thésaurus-matières pour l’indexation des archives locales ou le Thésaurus de la désignation des oeuvres architecturales et mobilières.

Fort bien, mais lorsque l’on essaie de savoir quels sont les conditions d’utilisation de ces jeux de données, on tombe sur une mention Droits indiquant : « Tous droits de reproduction interdits ».

Sémantisation sans Open Data, nous y sommes…

Mais l’amusant dans la chose, puisqu’il faut bien rire un peu au lieu de pleurer, c’est que la même page comporte en bas un point de téléchargement (un dump) pour reproduire ces jeux de données, ainsi qu’un Sparql endpoint, pour que des machines puissent venir s’y brancher. Or cela n’a juste aucun sens de proposer de telles fonctionnalités en maintenant une interdiction générale de reproduction. Ou alors il faut que l’on m’explique comment on peut faire pour télécharger sans copier !

Par ailleurs, pour rajouter une petite pincée de LOL dans ce delirium propriétaire, on notera que pour des gens qui s’intéressent au web sémantique, il y a comme un petit problème avec le sens de cette interdiction.

On nous dit en effet : « Tous droits de reproduction interdits ». Hum…

J’aimerais savoir ce que peuvent être des « droits interdits ». On peut dire que la reproduction est interdite ou que les droits sont réservés, mais des « droits interdits », c’est un oxymore qui me paraît hautement innovant d’un point de vue sémantique !

Tout cela en fait n’a aucun sens, car la politique du Ministère en matière de diffusion des données est complètement incohérente. Certes, on est avide de faire du web sémantique, parce qu’il faut bien en être, mais comme on conserve une conception boutiquière et épicière de la valeur de ces données, on s’arqueboute sur la fameuse exception culturelle pour les fermer, en espérant un jour les transformer en rivière de diamants.

Par ailleurs, on notera que l’interdiction ne mentionne aucun fondement juridique et que l’on ne daigne même pas indiquer aux pauvres citoyens que nous sommes sur la base de quelle loi nous sommes ainsi interdits de reproduction. Ça, dans une démocratie, ça n’est pas de l’exception culturelle, mais tout simplement un mépris pur et simple de l’Etat de droit, qui veut que les administrations doivent toujours s’appuyer sur la loi lorsqu’elles restreignent des libertés. On imagine que c’est la loi du 17 juillet 1978 qui est ici mobilisée, mais dans l’immédiat, nous n’aurons droit qu’au fait du Prince !

Franchement, je recommanderais plutôt à data.culture.fr de se tourner vers la licence CB – Complete Bullshit – inventée par Jérôme Choain. Au moins les choses seraient plus claires !

« Tout article ou image produite sous licence Complete Bullshit est reconnu d’inutilité publique. Tout y est ouvertement faux et scandaleusement mensonger, en général dans l’unique espoir d’aider à la LOLitude ambiante. »

D’ailleurs, le simple fait qu’il existe un data.culture.fr est en soi révélateur. Car les données publiques des administrations centrales doivent normalement rejoindre le portail data.gouv.fr. Sauf que cela implique que les données soient publiées sous la Licence ouverte d’Etalab et entrent dans une démarche d’Open Data, ce qui n’a pas l’air au goût du Ministère…

Toutes ces crispations découlent du fait que le Ministère de la Culture reste crispé sur la notion d’exception culturelle, qui permet aux établissements de décider du régime de réutilisation de leurs données. Une réponse récente d’Aurélie Filippetti à une question parlementaire posée par le député Marcel Rogemont l’a rappelé de manière éclatante :

la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 consacre en son article 11 un régime propre aux informations publiques culturelles. Il en résulte que les établissements, organismes ou services culturels ne sont pas soumis aux dispositions et principes résultant des autres articles du chapitre II de la loi de 1978 notamment son article 10 qui crée un droit, sous certaines conditions, à la réutilisation libre et gratuite des informations publiques.

Cette disposition leur sert, sauf exceptions rarissimes, à rester à l’écart du mouvement de l’Open Data, au nom d’un illusoire espoir de valorisation économique des données. Laurent Chemla a très bien dénoncé cette utilisation de l’exception culturelle dans un de ces papiers sur OWNI :

En France, la ministre de la Culture vient de répondre à la question que les données publiques culturelles sont exclues de la politique de l’Open Data, au nom de leur potentiel économique. Et de l’exception culturelle. Diversité culturelle ? Meilleure diffusion de la culture nationale ? No way les gars: il y a du fric en jeu, contentez-vous de la culture américaine.

De ce point de vue, on peut constater que l’alternance politique n’a absolument rien changé et que cette politique de fermeture et de marchandisation est strictement la même que celle du gouvernement précédent.

Alors même si je suis prêt à admettre que la signature de la convention Semanticpedia est un évènement important, je reste extrêmement sceptique sur la volonté du Ministère d’embrasser réellement les enjeux du web de données, avec toutes leurs conséquences.

Dans son discours, Aurélie Filippetti a pourtant reconnu l’importance des licences libres dans le fonctionnement de Wikipédia :

Le caractère libre et réutilisable des informations présentes sur l’encyclopédie Wikipédia, disponibles sous plusieurs licences ouvertes, est à cet égard un gage de diffusion aussi large que possible des données qu’elle rassemble.

Que n’applique-t-on pas ces belles paroles aux données culturelles elles-mêmes en les plaçant sous la Licence ouverte Etalab et en les diffusant sur data.gouv.fr, plutôt qu’en inventant des conditions burlesques pour les fermer, avec un amateurisme juridique flagrant !

Aurélie Filippetti s’est même risquée à parler de « partage des connaissances » et de « bien commun », à propos du développement du web 3.0 :

Ce système est amené à jouer un rôle essentiel dans la navigation sur
l’Internet, dans la transmission et le partage des connaissances, dans les interactions entre langues et cultures médiatisées par les outils numériques. Pour qu’il participe pleinement au bien commun, il doit être pensé comme un lieu d’échange ouvert, et il importe évidemment que notre langue et notre culture y trouvent leur place.

C’est fort bien de prôner l’ouverture, de parler de bien commun, mais n’oublions pas que dans la réponse à la question parlementaire évoquée ci-dessus, la même Aurélie Filippetti admet que le gouvernement français agit au niveau européen pour maintenir les données culturelles sous un régime d’exception :

[La France] a plaidé pour que ce régime tienne pleinement compte des spécificités de ce secteur et de son économie, qui se caractérise par des besoins élevés d’investissement dans des opérations de numérisation complexes. La France a par conséquent demandé une exemption large et souple au principe de tarification au coût marginal pour les musées, archives et bibliothèques.

J’encourage donc tout le monde à bien prendre en considération ces éléments et à toujours garder en tête quelle est la politique défendue par ce gouvernement en matière de données culturelles.

Il serait souhaitable également que l’engouement pour ces foooormidables technologiques du web sémantique n’agissent pas comme un narcotique puissant, faisant passer au second plan les enjeux de l’ouverture des données.

Des pistes pour débloquer la situation ont été avancées dans le rapport Open GLAM pour l’ouverture des données et des contenus culturels. Ce rapport a été transmis au Ministère, mais il semble bien qu’il n’y ait eu aucun retour à ce jour et ces propositions n’ont pas fait dévier d’un iota la position du Ministère si l’on en croit la réponse faite par Aurélie Filippetti à la question parlementaire de Marcel Rogemont, intervenue après la transmission.

C’est bon de rire parfois, mais c’est mieux encore de pouvoir se réjouir.

Red Noses. CC-BY-NC-ND. Par forchaza. Source : Flickr

A ce titre, la nouvelle récente qui m’a le plus réjoui, c’est d’apprendre que le département du Rhône avait accepté de délivrer une autorisation gratuite pour une réutilisation commerciale de données d’archives. Cette avancée vers l’ouverture est d’autant plus méritoire qu’elle intervient dans un domaine où des questions épineuses de protection des données personnelles se posaient et où la situation avait dégénéré en contentieux, mais le département a prouvé que des solutions pratiques pouvaient être trouvées, au-delà du blocage induit par l’exception culturelle.

C’est un signe fort que les choses peuvent changer par la base, malgré les errances de la politique gouvernementale et peut-être que le projet Semanticpedia pourra aussi aider à aller dans ce sens, comme l’espèrent ses promoteurs.

Mais comme il serait plus simple, plus cohérent et plus bénéfique pour l’intérêt général de sortir par le haut de tout cet imbroglio et par un geste politique clair et fort, de mener enfin de front l’investissement du web sémantique et l’ouverture des données culturelles !


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Bibliothèques, musées : exemples de bonnes pratiques en matière de diffusion du domaine public

dimanche 11 novembre 2012 à 22:51

J’ai reçu ces derniers temps plusieurs demandes de conseil concernant la manière de rédiger les conditions d’utilisation d’une bibliothèque numérique de manière à respecter l’intégrité du domaine public en cas de diffusion d’oeuvres numérisées.

J’ai proposé une série de suggestions en vue d’introduire une loi pour le domaine public en France, mais il n’est bien entendu par nécessaire d’attendre qu’une telle réforme soit conduite pour agir au niveau de chaque établissement culturel, afin de protéger le domaine public et de favoriser la réutilisation des oeuvres. C’est même sans doute la chose la plus utile à faire dans l’immédiat, afin de préparer le terrain, si un jour une telle loi venait à être discutée.

Cette magnifique nature morte est librement réutilisable depuis le site du Rijksmuseum d’Amsterdam, qui utilise la licence CC0 pour la diffuser (Stilleven met vruchten, oesters en een porseleinen kom, Abraham Mignon, 1660. Riksmuseum. CC0).

Beaucoup de professionnels ont néanmoins le sentiment que ces questions juridiques sont très complexes et ne savent pas quelles types de conditions d’utilisation adopter pour diffuser les contenus qu’ils proposent à leurs publics via leur site internet en respectant le domaine public.

Le plus simple et le plus sûr consiste à se tourner vers une licence déjà mise en place et de l’adopter pour sa propre bibliothèque numérique. Il y a plusieurs solutions envisageables et je vous propose ici d’examiner trois exemples de mises en œuvre par des musées ou des bibliothèques :

1) Usage de la Public Domain Mark à la Bibliothèque Sainte Geneviève ;

2) Usage de la Licence Ouverte Etalab à la Bibliothèque numérique du Limousin ;

3) Usage de la licence CC0 au Rijksmusuem d’Amsterdam.

Ces trois licences, chacune avec leurs propres variantes, peuvent être considérées comme des bonnes pratiques en manière de diffusion du domaine public dans la mesure où :

- Elles sont assises sur des fondements juridiques valables ;

- Elles respectent l’intégrité du domaine public numérisé et évitent de tomber dans le copyfraud ;

- Elles indiquent avec clarté ce que les utilisateurs peuvent faire des contenus numérisés en cas de réutilisation.

Ces trois instruments ont néanmoins des effets ou des portées légèrement différentes et il appartient à chaque établissement de faire son choix, en fonction de ses besoins propres.

J’espère que ce billet s’avérer utile pour les professionnels qui se posent ce genre de questions. N’hésitez pas à poser des questions en commentaires si vous souhaitez des précisions supplémentaires.

I Public Domain Mark

La Public Domain Mark est un instrument de signalisation, créé par Creative Commons, pour « étiqueter » le domaine public en ligne. Elle a été conçue spécifiquement pour permettre aux institutions culturelles d’indiquer clairement à leurs usagers qu’une œuvre qu’elles diffusent appartient au domaine public. La marque du domaine public certifie ce statut juridique et permet donc aux internautes de réutiliser les œuvres numérisées librement, y compris à des fins commerciales.

Il ne s’agit pas à proprement d’une licence, puisque l’établissement n’est pas titulaire des droits sur l’oeuvre numérisée. Les droits patrimoniaux sont éteints du fait du passage de l’oeuvre dans le domaine public et c’est ce que la Public Domain Mark indique.

Concernant le droit moral, la Public Domain Mark a été conçue pour s’adapter aux différentes législations dans le monde. Elle indique explicitement que dans certaines juridictions le droit moral peut subsister au-delà de l’entrée des oeuvres dans le domaine public (ce qui est le cas en France). Les utilisateurs sont donc tenus de respecter les obligations découlant du droit moral, notamment le fait de citer le nom de l’auteur (paternité).

J’avais consacré un billet à la Public Domain Mark en décembre 2011, où je signalais qu’elle commençait à être adoptée en France, par exemple pour la diffusion des Carnets Géologiques de Philippe Glangleaud à l’Université de Clermont Ferrand ou sur la plateforme MediHAL du CNRS, où elle est proposée comme une option aux chercheurs.

Il existe un autre exemple d’usage important en France. Comme le signale ici Mathieu Andro, la Bibliothèque Sainte Geneviève diffuse sur Internet Archive ses collections numérisées sous Public Domain Mark depuis février 2010. On peut y retrouver des incunables, des livres de voyage nordique et des livres rares du 19ème siècle, tous librement réutilisables. Comme on le voit ci-dessous, les ouvrages sont disponibles au format PDF, mais aussi en ePub, pour plus de confort de lecture sur les supports mobiles.

La Public Domain Mark constitue sans doute le moyen le plus clair d’indiquer qu’une oeuvre appartient au domaine public et de le diffuser « à l’état pur ». Sa seule limite réside dans le fait qu’elle n’est applicable qu’aux oeuvres en elles-mêmes et non au métadonnées associées. Par ailleurs, elle ne concerne que le champ du droit d’auteur, alors qu’il existe d’autres formes de droits qui peuvent saisir une oeuvre numérisée et restreindre sa diffusion (droit des bases de données, droit des informations publiques, etc).

Cela ne constitue pas une raison pour ne pas utiliser la Public Domain mark, mais il existe néanmoins d’autres moyens de diffuser le domaine public numérisé.

II La licence ouverte Etalab

La Licence Ouverte/Open Licence est un instrument contractuel, mis au point par la mission Etalab, pour encadrer la diffusion des données publiques sur le portail data.gouv.fr. Elle n’est pas assise sur le droit d’auteur, mais sur la loi du 17 juillet 1978 relative à la réutilisation des informations publiques.

Son utilisation repose sur l’idée qu’à l’occasion de leur numérisation, les oeuvres du domaine public sont transformées en informations publiques, pour lesquelles la loi a instauré un droit à la réutilisation que les administrations peuvent encadrer. La Licence Ouverte constitue une manière de faciliter la réutilisation des données, en compatibilité avec les principes de l’Open Data.

De fait, la licence ouverte permet la libre réutilisation des informations publiques, y compris à des fins commerciales, à la condition de citer leur source (paternité appliquée aux données). Elle est donc légèrement plus contraignante que la Public Domain Mark, dans la mesure où le réutilisateur est tenue d’indiquer sur quel site il a récupéré l’oeuvre numérisée, mais il peut s’acquitter de cette obligation par un lien hypertexte.

J’avais consacré un billet à la licence ouverte en mars 2012, lorsque la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg a choisi de l’adopter pour la diffusion des images du domaine public qu’elle diffuse sur son site. Depuis, on peut citer au moins un second établissement qui a choisi de l’utiliser de cette façon : la Bibliothèque numérique du Limousin.

le Graduel de Fontevraud. Vers 12501260. Atelier de Nicolas Lombard. Provenance : Bibliothèque francophone multimedia (cote : MS 2), Limoges. Source : Bibliothèque numérique du Limousin. Licence Ouverte.

Bien que conçue spécifiquement pour le portail data.gouv.fr, l’usage de la Licence Ouverte n’est pas réservée aux administrations d’Etat. Elle peut tout à fait être employée par des établissements relevant de la tutelle du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (comme la BNUS) ou de collectivités territoriales (comme la Bibliothèque numérique du Limousin).

Sur le plan des principes, si l’on voulait vraiment être « puriste », cette licence a pour effet de rajouter une légère couche de droits sur le domaine public, puisqu’elle oblige à citer la source du document. Il convient cependant à mon sens d’être raisonnable, car cette obligation ne saurait être considérée comme une atteinte réelle à l’intégrité du domaine public, surtout quand on la compare avec les pratiques de copyfraud éhontées qui ont cours dans un grand nombre d’établissements où le domaine public termine frappé d’un « Copyright : tous droits réservés » !

La Licence Ouverte a également un avantage : elle est applicable aussi aux oeuvres numérisées qu’aux métadonnées qui les accompagnent. Ainsi en plaçant ses dernières également sous Licence ouverte, on aboutit à un régime homogène et ouvert à la fois pur les oeuvres et pour les métadonnées associées, ce qui facilite les choses pour les utilisateurs. C’est le choix qui a été fait par la BNUS par exemple.

III  Creative Commons Zéro (CC0)

Creative Commons Zéro (CC0) est un autre instrument développé par Creative Commons pour permettre aux titulaires de droits sur un objet de renoncer à leurs prérogatives pour le verser volontairement au domaine public et en autoriser la réutilisation sans aucune restriction.

CC0 n’a pas été conçu à l’origine pour la diffusion d’oeuvres numérisées qui appartiendraient déjà au domaine public. Il s’agissait plutôt de donner un moyen aux créateurs pour placer leurs oeuvres par anticipation dans le domaine public de leur vivant, sans attendre l’expiration des droits. C’est ce que vient de faire par exemple l’auteur Pouhiou pour son roman #Smartarded, publié chez Framabook sous CC0 (une première en France).

Néanmoins, les institutions culturelles peuvent aussi se tourner vers cet instrument pour la diffusion du domaine public numérisé, comme vient de le démontrer de fort belle manière le Rijksmuseum d’Amsterdam.

Ce dernier vient en effet de lancer un espace sur son site, intitulé le Rijksstudio, sur lequel il propose plus de 125 000 chef-d’œuvre numérisés, en incitant explicitement les visiteurs à les réutiliser à leur propres fins. Pour enclencher le mouvement, le Musée s’est mis en partenariat avec plusieurs créateurs pour remixer les oeuvres de manière surprenante et décalée, sur des scooters, des cravates ou des tatouages ! Les résultats sont somptueux et cette expérience ouvre des portes insoupçonnées en matière de médiation numérique et d’appropriation des contenus par les utilisateurs.

Techniquement, c’est par le biais de l’outil Creative Commons Zéro que le Rijksmuseum indique à ses usagers qu’ils peuvent réutiliser les oeuvres numérisées sans restriction. Ici, l’institution n’impose aucune obligation, y compris celle de citer la source du document.

Dans les mentions que je reproduis ci-dessous, qui accompagnent le fameux tableau de Rembrandt « La Ronde de Nuit« , on peut lire « CopyrightPublic Domain » et le lien renvoie vers Creative Commons Zéro.

Officieren en andere schutters van wijk II in Amsterdam onder leiding van kapitein Frans Banninck Cocq en luitenant Willem van Ruytenburch, bekend als de ‘Nachtwacht’, Rembrandt Harmensz. van Rijn, 1642 (Source de l’image : Rijksmuseum – Rijksstudio. Domaine public).

Lorsque j’ai vu ce dispositif pour la première fois, mon premier mouvement a été de rester un peu dubitatif, car le musée n’étant pas titulaire des droits par définition sur une œuvre du domaine public, j’avais un peu de mal à voir comment CC0 pouvait être utilisé ainsi.

Mais à la réflexion, cette utilisation est tout à fait possible et elle est même très intéressante. En effet, comme je me suis efforcé de le montrer dans les propositions que j’ai faites pour la loi sur le domaine public, il existe beaucoup de manière de recouvrir le domaine public numérisé par de nouvelles couches de droits qui vont entraver sa réutilisation : droits des base de données, droit des informations publiques, droit de la domanialité publique, clauses contractuelles, etc.

Avec une licence CC0, une institution culturelle indique non seulement qu’elle n’applique pas un nouveau copyight sur l’oeuvre du domaine public (copyfraud proprement dit), mais aussi qu’elle renonce à utiliser d’autres droits issus d’autres terrains juridiques annexes. Le fichier numérique est donc bien librement réutilisable, sans entrave et l’instrument CC0 permet de le garantir à l’utilisateur.

Autre avantage : CC0 peut également être employé pour diffuser les métadonnées et c’est ce qu’a choisi de faire le Rijksmuseum. Celles-ci sont en effet disponibles via une API (Application Programming Interface) qui est placée sous CC0.

On peut donc aisni par ce biais conduire à la fois une politique d’Open Content et d’Open Data, en proposant un régime juridique unifié à ses usagers.

Ajoutons que CC0 est également le statut recommandé par Europeana pour les métadonnées des institutions partenaires.

***

Paradoxalement, d’un point de vue juridique, il est toujours plus simple de fermer que d’ouvrir. Appliquer un « copyright : tous droits réservés », cela peut paraître une solution de facilité (bien qu’en réalité, dans de nombreuses hypothèses, une telle mention est sans valeur juridique…). Mais il existe à présent des instruments sûrs et balisés, disponibles pour les institutions culturelles pour diffuser le domaine public, sans entraver sa réutilisation, dans un cadre juridique clair et lisible pour leurs usagers.

Souvent négligée, l’ouverture juridique est une étape importante pour développer une politique de médiation numérique ambitieuse autour des contenus numérisés et tisser de nouvelles relations avec les utilisateurs et l’écosystème global du Web.

Les exemples cités ci-dessus en attestent et j’espère qu’ils pourront inspirer d’autres établissements.


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Peer Production Licence : une licence conçue pour les biens communs ?

samedi 10 novembre 2012 à 20:35

Dans une chronique précédente, j’avais pris parti dans le débat à propos de la clause Non-Commerciale des Creative Commons, dont certains réclament la suppression à l’occasion du passage à la version 4.0 des licences.

Je défendais l’idée que cette clause doit être maintenue, dans l’intérêt même de la Culture libre, notamment parce que la notion de Non Commercial est importante pour espérer parvenir un jour à une légalisation des échanges non marchands, seule solution pour mettre fin à la guerre au partage qui sévit actuellement.

L’un des arguments les plus forts avancés par les détracteurs de la clause NC consiste à dire qu’elle est incompatible avec la notion de biens communs, alors que celle-ci figure pourtant dans le nom-même des Creative « Commons ». C’est ce qu’avance notamment Rufus Pollock, co-fondateur de l’Open Knowledge Foundation, dans ce billet :

C’est un point crucial [...] Les Creative Commons ne permettent tout simplement pas la constitution de biens communs. Les licences NC (Non-Commercial) et ND (Pas de modification) empêchent les oeuvres placées sous CC de constituer un commun numérique unifié que tout le monde serait en mesure d’utiliser, de réutiliser et de partager [...] Le fait que Creative Commons  paraît promouvoir un commun (qui n’en est pourtant pas un) s’avère en définitive avoir un effet négatif sur la croissance et le développement de biens communs numériques.

Dans mon précédent billet, j’étais déjà en désaccord avec cette analyse, estimant que toute forme de mise en partage des contenus par le biais de licences s’inscrit dans le mouvement de constitution des communs numériques.

Depuis, j’ai découvert une nouvelle licence – la Peer Production Licence – qui me conforte grandement dans cette analyse, en permettant d’élever le débat à un niveau encore plus général. Ce nouvel instrument a été créé en adaptant la licence CC-BY-NC-SA (Creative Commons -  Paternité – Pas d’usage commercial – Partage à l’identique). Il s’inspire des conceptions de Dmitry Kleiner, fondateur du collectif Telekommunisten, qui prône l’avènement d’une nouvelle conception des licences libres : le Copyfarleft (« au-delà du Copyleft ») dans le but de permettre la création de biens communs à une échelle supérieure.

Son approche est sensiblement différente de celle qui a présidé à la création des licences libres dans le secteur du logiciel, comme la GNU-GPL de Richard Stallman. La Peer Production Licence n’entend pas en effet rejeter la clause Non Commerciale, mais l’adapter afin de promouvoir le développement d’une nouvelle économie, organisée sur un mode décentralisé et tournée vers la production de biens communs.

Cette licence est soutenue par d’autres penseurs importants du mouvement des biens communs et de l’économie numérique, comme le belge Michel Bauwens, théoricien de la Peer to Peer Economy et fondateur de P2P Foundation.

Contrairement aux arguments « libristes » traditionnels, la Peer Production Licence prouve que non seulement le Non-Commercial n’est pas incompatible avec la notion de biens communs, mais qu’il pourrait bien être indispensable à l’avènement de nouveaux modèles économiques centrés sur leur production, à condition d’en revoir la définition.

Redéfinir la clause Non-Commerciale en faveur des biens communs

Dans les licences Creative Commons, la clause non-commerciale soumet à autorisation préalable les usages commerciaux, conçus d’une manière très large :

L’Acceptant ne peut exercer aucun des droits qui lui ont été accordés [...] d’une manière telle qu’il aurait l’intention première ou l’objectif d’obtenir un avantage commercial ou une compensation financière privée.

Un des reproches fréquemment adressés à cette définition du NC est d’être trop floue et de s’appliquer indistinctement à une société commerciale qui voudrait utiliser une oeuvre pour en faire profit, ou à une association caritative, qui pourrait ponctuellement avoir une activité commerciale, sans que son but soit lucratif.

La Peer Production Licence (Licence de production de pair à pair) fonctionne justement en prenant en compte la nature de la structure qui fait un usage commercial de l’oeuvre. Inspiré par la théorie des biens communs, son principe consiste à permettre aux commoners (ceux qui participent à la création et au maintien d’un bien commun), aux coopératives et aux organismes à but non-lucratif d’utiliser et de partager les oeuvres, y compris à des fins commerciales, mais les entités commerciales qui chercheraient à faire du profit en utilisant le bien commun ne pourrait le faire que dans le cadre d’une stricte réciprocité, en contribuant financièrement à l’entretien du commun.

Sharing. Par Toban Black. CC-BY-NC. Source : Flickr

Pour ce faire, la Peer Production Licence redéfinit la clause Non-Commerciale de cette façon :

c. Vous pouvez exercer les droits qui vous sont conférés à des fins commerciales seulement si :

i. Vous êtes une entreprise ou une coopérative dont la propriété appartient aux travailleurs (workerowned) ; et

ii. Tous les gains financiers, surplus, profits et bénéfices générés par la société ou la coopérative sont redistribués aux travailleurs.

d. Tout usage par une société dont la propriété et la gouvernance sont privées et dont le but est de générer du profit  à partir du travail d’employés rémunérés sous forme de salaires est interdit par cette licence.

L’usage par une structure à but lucratif est interdit, mais cela ne signifie pas qu’il est impossible : il faut que la société commerciale négocie une autorisation et verse le cas échéant une rémunération, si le titulaire des droits sur l’oeuvre l’exige.

Au vu de ces éléments, on comprend mieux l’appellation de cette licence : Licence de production de pair à pair. Ses termes sont asymétriques et l’effet de sa clause NC à géométrie variable. Pour les acteurs qui se comportent comme des « pairs » et sont structurés organiquement pour ce faire, l’usage commercial est possible et la licence est identique à une licence Copyleft classique. Pour les acteurs structurés dans le but de faire du profit, la Peer Production Licence leur impose les contraintes classiques du copyright (autorisation préalable et paiement).

Ces mécanismes sont particulièrement intéressants et ils s’inscrivent dans le cadre d’une philosophie particulière des licences libres : le Copyfarleft.

Au-delà du copyleft…

Dmitry Kleiner, qui est à l’origine de cette conception, en a énoncé les grandes lignes dans un article intitulé Copyfarleft and Copyjustright, paru en 2007, qui critiquait à la fois les licences Copyleft et les licences de type Creative Commons.

Kleiner faisait tout d’abord remarquer que le Copyleft dans le secteur du logiciel a profondément bouleversé le paysage en permettant la mise en place d’une propriété partagée. Mais de nombreuses firmes privées, parfaitement capitalistes, ont fini par trouver un intérêt à contribuer au développement de logiciels libres, afin de bénéficier d’outils performants à moindre coût. Ces sociétés vont jusqu’à embaucher et rémunérer des développeurs afin qu’ils améliorent le code, même si elles ne bénéficient pas en retour de la propriété exclusive sur celui-ci.

Ces relations entre les biens communs que constituent les logiciels libres et les entreprises capitalistes sont certainement bénéfiques aux deux parties et elles font partie intégrante de l’écosystème de l’Open Source. Mais d’un certain côté, elles sont aussi le signe que le Copyleft n’a pas abouti à une remise en cause fondamentale des structures même de l’économie de marché : ces firmes restent formatées pour maximiser leurs profits et les salariés qu’elles emploient demeurent des employés comme les autres.

Copyleft Tattoo. Par Bovinity. CC-BY-SA. Source : Flickr

Par ailleurs – et c’est aussi un aspect que j’avais développé dans ma chronique précédente sur le Non-Commercial, le Copyleft avec son effet viral fonctionne bien pour les logiciels, mais il n’est pas forcément adapté pour les autres formes de création, surtout lorsqu’il s’agit d’assurer une rémunération aux auteurs :

[...] Il y a un problème : l’art ne constitue pas, dans la plupart des cas, un facteur pour la production comme peuvent l’être les logiciels. Les propriétaires capitalistes peuvent avoir intérêt à soutenir la création de logiciels libres, pour les raisons décrites plus haut. Pourtant, dans la majorité des cas, ils ne soutiendront pas la création artistique sous copyleft. Pourquoi le feraient-ils ? Comme toutes les informations reproductibles, l’art sous copyleft n’a pas directement de valeur d’échange, et contrairement aux logiciels, il n’a pas non plus généralement de valeur d’usage pour la production. Sa valeur d’usage existe uniquement parmi les amateurs de cet art, et si les propriétaires capitalistes ne peuvent pas imposer à ces amateurs de payer pour avoir le droit de copier, en quoi cela pourrait-il leur être utiles ? Et si les propriétaires capitalistes ne soutiennent pas l’art sous copyleft qui est gratuitement diffusé, qui le fera ?

Le Copyleft, tel que développé par la communauté du logiciel, n’est donc pas une option viable pour la plupart des artistes. Et même pour les développeurs de logiciels, il ne modifie pas la loi d’airain des salaires, qui fait qu’ils sont capables de gagner leur vie, mais rien de plus, tandis que les propriétaires capitalistes continuent à capter toute la valeur du produit de leur travail.

Les licences Creative Commons classiques, que Kleiner appelle « Copyjustright », ne sont à ses yeux pas plus capables de changer la donne, notamment parce que leur clause Non-Commercial est trop large.

Pour changer les règles du jeu en faveur du développement des biens communs, il est nécessaire selon Kleiner d’adopter la nouvelle conception du Copyfarleft, qui passe par un Non-Commercial à deux vitesses que nous avons décrit ci-dessus :

Pour que le copyleft développe un potentiel révolutionnaire, il doit devenir Copyfarleft, ce qui signifie qu’il doit insister sur la propriété partagée des moyens de production.

Pour arriver à ce but, la licence ne doit pas avoir un seul jeu de règles identiques pour tous les utilisateurs, mais elle doit avoir des règles différentes selon les différentes catégories d’utilisateurs. Concrètement, cela veut dire un jeu de règles pour ceux qui fonctionnent à partir de la propriété partagée et de la production en commun et un autre pour ceux qui utilisent la propriété privée et le travail salarié dans la production.

Une licence Copyfarleft doit permettre aux producteurs de partager librement, tout en réservant la valeur de leur travail productif. En d’autres termes, il doit être possible pour les travailleurs de faire de l’argent en consacrant leur travail à la propriété commune, mais il doit être impossible pour les titulaires de la propriété privée de faire de l’argent en employant du travail salarié.

Il n’est pas étonnant que la Peer Production Licence soit soutenue par un penseur comme Michel Bauwens, qui consacre ses travaux à la nouvelle économie collaborative. Pour que les pratiques de pair à pair (Peer to Peer Economy) constitue à terme un véritable système de production viable, fonctionnant selon des principes différents des structures capitalistes classiques, l’effet dissymétrique de la Peer Production Licence est indispensable :

Si un individu contribue au commun, il peut aussi l’utiliser gratuitement ; en revanche, s’il profite sans contribuer, il contribue sous forme de paiement. De cette façon, les commoners (ce qui développent des biens communs) seraient facilités dans leur propre production sociale en lien direct avec la création de valeur. Il devrait également être possible de changer les formes légales des entreprises qui occupent la sphère du marché, en opérant un déplacement des entreprises profit-maximizers à des product-maximizers, favorisant la synergie entre consommateur et producteur. Il faut que les entreprises ne soient pas structurellement incitées à être des requins, mais des dauphins.

L’objectif du Copyfarleft n’est pas seulement de faire en sorte que les produits du travail créatif deviennent des biens communs partageables, mais que les structures de production elles-mêmes s’organisent sous la forme de biens communs. Cela va dans le sens des principes de l’économie sociale et solidaire, en ajoutant la dimension propre aux licences libres. Pour Michel Bauwens, l’objectif final est que les structures de l’économie collaborative puissent se rendre peu à peu autonomes du marché et prendre leur essor en temps qu’alternatives viables, capables de rémunérer les créateurs en dépassant le simple « bénévolat ».

Ces considérations peuvent paraître utopiques et on peut se demander si de telles sociétés ou coopératives, dans lesquelles les moyens de production appartiendraient vraiment aux travailleurs, ne sont pas qu’une vue de l’esprit.

Or ce n’est pas le cas. Il existe d’ores et déjà de nouvelles formes d’entreprises qui fonctionnent selon des principes révolutionnaires.

Entreprise collaborative et ouverte

Un exemple frappant de ces nouveaux types d’organisation en gestation est la start-up SENSORICA, basée à Montréal, oeuvrant dans le secteur de l’invention et de la fabrication de senseurs et de capteurs, notamment à destination de la recherche bio-médicale.

SENSORICA se définit elle-même non comme une entreprise classique, mais plutôt comme « un réseau de valeur ouvert, décentralisé et auto-organisé » ou encore « un réseau de production en commun de pair à pair« . La start-up est innovante dans le sens où  toutes ses productions sont placées en Open Source et où elle emploie elle-même des technologies ouvertes, comme les puces Arduino.

Mais c’est surtout dans son mode d’organisation que SENSORICA est proprement révolutionnaire. SENSORICA n’est pas incorporée sous la forme d’une société. Elle n’a pas en elle-même de personnalité juridique et ses membres forment plutôt un collectif, fonctionnant de manière horizontale, sans hiérarchie. L’équipe n’a d’ailleurs pas de frontières strictement délimitée : il s’agit d’une entreprise ouverte et toutes les personnes intéressées peuvent venir collaborer à ses projets.

SENSORICA n’a pas d’employés, mais des contributeurs, qui peuvent apporter selon leurs possibilités de leur temps, de leurs compétences ou de leur argent. Pour rétribuer financièrement les participants, la start-up utilise un système particulier qu’elle a créé et mis en place, dit Open Value Network.

Ce système consiste en une plateforme qui permet de garder trace des différentes contributions réalisées par les participants aux projets de SENSORICA. Un dispositif de notation permet aux pairs d’évaluer les contributions de chacun de manière à leur attribuer une certaine valeur. Cette valeur ajoutée des contributions confère à chacun un score et lorsqu’une réalisation de SENSORICA atteint le marché et génère des revenus, ceux-ci sont répartis entre les membres en fonction de ces évaluations.

Chacun est donc incité à contribuer aux développement des biens communs ouverts que produit l’entreprise et celle-ci est donc bien organisée pour que ses membres se partagent réellement la propriété des moyens de production.

Ce système de production décentralisée en commun n’est donc plus une utopie et on trouvera d’autres exemples de ces Open Format Compagnies sur le wiki de la P2P Foundation. C’est pour favoriser le développement de telles structures alternatives que l’assymétrie de la Peer Production Licence pourrait s’avérer précieuse.

***

Dans sa dernière chronique sur OWNI, consacrée à la révolution numérique, Laurent Chemla termine en ces termes :

Les nouvelles structures se mettent en place, tranquillement, en dehors des modèles anciens. AMAPs, SELs, logiciels et cultures libres, jardins partagés… l’économie solidaire est en plein développement, hors des sentiers battus du capitalisme centralisateur.

[...] il manque encore pour bien faire, un moyen d’assurer le gîte et le couvert [...]

Ce dernier point est essentiel. Le Copyleft et les licences Creative Commons ont permis la mise en place de nouvelles façons de créer de la valeur, de manière collaborative et décentralisée. Mais ces formules n’assurent que rarement aux créateurs un moyen de subsistance, leur donnant l’indépendance nécessaire pour contribuer à la constitution de biens communs, en dehors d’un « bénévolat » qui est forcément inscrit en creux dans le système classique et accessible uniquement à un nombre réduit.

Pour dépasser cet état, il faut explorer de nouvelles voies et la Peer Production Licence en est une, parmi d’autres, pour que se mette en place une économie des communs.


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Pour un droit au partage des livres numériques

jeudi 8 novembre 2012 à 17:53

Philippe Aigrain a réagi sur blog à l’annonce de la plainte déposée par les éditeurs français contre le site de la Team AlexandriZ, ainsi qu’aux discussions qui s’en sont suivies sur les réseaux.

Il y défend l’idée qu’un droit au partage doit être reconnu pour les livres numériques, thèse qu’il avait déjà mise en avant dans un billet publié au début de l’année :

La prévisibilité de cette guerre au partage m’a poussé depuis longtemps à estimer que c’est aussi et même particulièrement dans le domaine du livre numérique qu’il faut d’urgence reconnaître un droit au partage non-marchand entre individus associé à de nouvelles rémunérations et financements, faute de quoi le déploiement massif des DRM et la guerre au partage feront régresser tragiquement les droits des lecteurs - et parmi eux des auteurs - même par rapport aux possibilités du livre papier.

Flying Books. Par graymalkn. CC-BY. Source : Flickr.

C’est la raison pour laquelle plusieurs points des Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées, publiés cet été, font référence directement au secteur du livre. La contribution créative notamment, qui serait mise en place avec la légalisation du partage non-marchand, aurait pleinement vocation à s’appliquer aux échanges de livres numériques.

Je souscris pleinement aux analyses développées par Philippe Aigrain, et notamment à la critique des modes d’échange centralisés, auxquels la Team AlexandriZ concoure par certains aspects de son fonctionnement. Je conteste cependant que l’on puisse assimiler le partage des objets numériques à du vol. D’un point de vue légal, c’est faux, puisque la contrefaçon d’oeuvres protégées constitue un délit distinct du vol, définie comme « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui » et donc inapplicable aux biens immatériels.

Copier n’est pas voler. C’est un des principes de base qu’il faut garder à l’esprit lorsqu’on réfléchit à la question du droit d’auteur dans l’environnement numérique.

Par ailleurs, je souscris à l’appel que Philippe Aigrain adresse aux « éditeurs équitables » de s’emparer de la question du partage en ligne des oeuvres, car c’est un des points essentiels de la recomposition du pacte de lecture entre les auteurs, les éditeurs et les lecteurs.

Je reproduis ci-dessous le billet de Philippe Aigrain, placé sous licence CC-BY-SA.

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Les enseignements des affaires TeamAlexandriz

Il y a la grande affaire, la plainte du SNE et des grands groupes éditoriaux qui en sont membres contre TeamAlexandriz. Et la petite affaire, celle de la colère de François Bon quand il a trouvé des eBooks de publie.net sur les sites centralisés de partage de fichiers référencés par TeamAlexandriz. Au-délà du commentaire qu’en a déjà fait Hubert Guillaud, ces affaires méritent qu’on revienne sur le partage des livres numériques et la guerre qui va continuer à se développer contre celui-ci. Et aussi que l’on réfléchisse à la situation des entreprises d’édition équitable, dont publie.net.1

Comme je l’annonçais, la guerre au partage des livres numériques est commencée à l’initiative des grands groupes éditoriaux. Contrairement à ce que ces éditeurs affirment, ils sont en train de répéter en pire l’erreur des majors musicales. Ils s’imaginent qu’il est possible et prétendent qu’il est souhaitable d’installer la rareté des copies des œuvres dans le monde numérique par une combinaison de verrous technologiques et d’actions judiciaires et politiques. Contre cela, je réaffirme avec force que le partage avec d’autres individus d’une œuvre qui est entrée en notre possession est un droit culturel essentiel, dont la portée est plus étendue dans le monde numérique. Pour concilier l’exercice de ce droit culturel fondamental avec une économie culturelle numérique soutenable, j’ai proposé de le reconnaître en le restreignant, d’une part aux activités hors marché et d’autre part au partage entre individus sans centralisation de contenus sur un site de prestataire. Dans mes propositions, j’ai même précisé la définition de cette absence de centralisation en spécifiant que le partage devrait être autorisé « d’un espace de stockage placé sous le contrôle souverain de l’individu à un espace placé sous le contrôle souverain d’un autre individu ». TeamAlexandriz ne centralise pas de contenus, mais utilise des sites centralisés comme hébergeurs de contenus (des usagers). On peut considérer (sous réserve de ma bonne compréhension), que TeamAlexandriz est un agrégateur de liens vers des contenus mis en ligne sur des sites centralisés commerciaux.2

Ce que nous révèle la plainte du SNE et de ses principaux membres, c’est la guerre contre les droits du public qu’ont décidé de conduire ces groupes, avec l’appui des plate-formes propriétaires contrôlées par des distributeurs. Ceux-ci leur mangeront la laine sur le dos quand ils auront fait le sale boulot contre les citoyens lecteurs. Je n’apprécie pas le mode de partage promu par TeamAlexandriz avec son utilisation dérivée de sites centralisés. Pour les exemples audiovisuels et musicaux, on peut considérer que c’est la guerre au partage pair à pair qui a poussé les utilisateurs vers les sites centralisés type Megaupload ou autres. Dans le cas des livres, on ne peut pas vraiment invoquer ce motif. Cependant, TeamAlexandriz a aussi fait un travail apprécié de production et mise à disposition d’eBooks de livres indisponibles, dans divers champs dont la science-fiction.3 Tout ceci étant dit, tant que l’on aura pas défini un droit au partage dans la sphère numérique, et forcé les plateformes d’eBooks à respecter les droits élémentaires des lecteurs, je continuerai à m’opposer (dans la limite de mes moyens) à toute action judiciaire contre ceux qui compensent partiellement ces limites, même s’ils le font de façon maladroite ou inappropriée.

Passons maintenant au cas des ePub de publie.net. Ceux-ci sont diffusés sans DRM (seuls les versions Kindle ou pour d’autres plate-formes propriétaires en ont). Rien n’empêche matériellement le possesseur d’un ePub publie.net de le transmettre à un autre lecteur, et c’est très bien ainsi. On peut donc considérer que l’argument que je développe plus haut de la correction d’une situation inacceptable ne s’applique pas et que la promotion de la mise en ligne (à ma connaissance on ne sait pas qui l’a effectuée) de ces ePub était inamicale à l’égard d’un modèle commercial parfaitement légitime parce que respectueux à la fois du public et des auteurs. Mais François Bon a-t-il eu raison de traiter de voleurs ceux qui avaient rendu accessibles ces copies ? Et ceux qui les ont référencées ? L’existence d’une copie numérique non-autorisée d’une œuvre numérique n’enlève rien à personne. La seule question qu’on puisse se poser est celle de l’équilibre entre le bénéfice d’accessibilité et de notoriété de l’œuvre et les pertes éventuelles de revenus résultant de ventes non réalisées. En l’espèce, je doute que cette perte de revenus existe, mais je reste ouvert à l’apport de preuves contraires.4

En d’autres termes, il est urgent que les éditeurs numériques équitables s’emparent eux-mêmes de la question de quel partage ils veulent voir exister. Faute de quoi leur mécontentement de voir le partage se développer de façon anarchique sera utilisé comme prétexte pour de nouvelles actions répressives par les oligopoles de l’édition et les éditeurs équitables perdront l’occasion de développer une synergie entre partage et ventes.

  1. Disclosure: publie.net est en train d’éditer en eBook un de mes livres : Cause commune, paru en version papier chez Fayard (éditeur membre du groupe Lagardère), et diffusé en PDF sous licence Creative Commons sur Internet. []
  2. Le cas de certains services comme dropbox étant complexe à analyser car les individus semblent y avoir un authentique contrôle sur l’espace de stockage qui leur est propre. []
  3. Le lecteur découvrira peut-être avec surprise qu’un livre comme la traduction française des Clans de la lune alphane de Philip K. Dick est indisponible, mais c’est bien le cas. []
  4. En tout état de cause, la mise en place de la contribution créative telle que je la défend créerait une source de revenus supplémentaire largement supérieure. []

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