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Le PEB des thèses électroniques : un exemple de régression numérique (et comment en sortir)

vendredi 12 février 2016 à 19:02

La numérisation des contenus devrait normalement faciliter les usages, en favorisant une meilleure circulation de la culture et du savoir. Or force est de constater que c’est loin d’être toujours le cas. On nous a vendu par exemple l’idée que les eBooks seraient des « livres augmentés », alors que comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, ils constituent trop souvent au contraire des « livres diminués » par rapport à leurs équivalents papier.

Il existe un autre objet pour lequel le passage en version numérique paraît constituer une régression plutôt qu’un progrès : ce sont les thèses de doctorat. En fin d’année dernière, un billet publié par Olivier Legendre sur le blog de la bibliothèque numérique de Clermont-Ferrand avait bien montré l’absurdité de la situation. Les doctorants sont traditionnellement tenus de déposer des exemplaires de leur thèse auprès de la bibliothèque de leur université afin qu’elle en assure la conservation, le signalement et la diffusion. Pendant des décennies, lorsqu’un usager d’une bibliothèque voulait accéder à une thèse conservée dans un autre établissement, il avait la possibilité de se la faire envoyer par le biais du service du PEB (Prêt entre Bibliothèques).

Or depuis un arrêté ministériel du 7 août 2006, le dépôt peut aussi avoir lieu sous forme électronique, et certains établissements ont même renoncé, pour des raisons de commodité évidentes, au dépôt sous forme papier. L’arrêté précise que lorsque le doctorant communique un fichier de sa thèse à la bibliothèque , il ne peut s’opposer, sauf pour des raisons de confidentialité reconnues par le jury de thèse, à ce qu’elle fasse l’objet d’un accès au sein de l’établissement de soutenance. Par contre, la mise en ligne du fichier sur Internet requiert l’autorisation explicite du doctorant, formalisée par un contrat signé au moment du dépôt.

Que se passe-t-il à présent si un doctorant a refusé la mise en ligne, mais qu’un usager d’un autre établissement demande à pouvoir consulter le fichier ? Voilà ce qu’Olivier Legendre répondait à cette question dans son billet :

En 2015, Pierre-Gilles s’adresse au service de prêt entre bibliothèques de Marseille. Ce service contacte celui de Paris, qui lui répond que la thèse n’est consultable que sur intranet. Et qui de ce fait, ne s’estime pas autorisé à l’envoyer par le PEB.

En 2015, Pierre-Gilles va devoir

prendre le TRAIN

pour aller CONSULTER

une thèse ÉLECTRONIQUE.

On est donc bien dans une situation absurde, où l’exemplaire papier de la thèse s’avère finalement plus facile à communiquer à distance que sa version numérique. Pourtant, on pourrait imaginer une solution bien plus logique, envisagée par Olivier Legendre dans son billet :

Le service de PEB de Paris va envoyer le fichier électronique à son homologue marseillais, comme il l’aurait fait d’une thèse imprimée ; à charge pour ce dernier d’offrir le fichier au lecteur dans ses locaux comme il l’aurait fait d’une thèse imprimée ; à charge pour Pierre-Gilles d’en faire bon usage, ce bon usage ne pouvant, du reste, exclure ni téléchargement, ni impression (ces mêmes droits qui s’appliquent dans l’université d’origine, tout simplement).

Le problème, c’est que même si cette solution paraît frappée du sceau du bon sens, elle soulève en l’état du droit plusieurs difficultés juridiques épineuses. Il est intéressant d’essayer de voir en quoi consiste le problème, pour comprendre ce qui provoque exactement cet effet de « régression numérique » à propos des thèses et essayer d’imaginer comment on pourrait éventuellement déverrouiller la situation.

L’implacable portée des droits exclusifs de l’auteur

L’arrêté de 2006 précise que l’autorisation de l’auteur de la thèse est nécessaire pour pouvoir diffuser celle-ci sur Internet (le texte parle exactement de « mise en ligne sur la Toile« ). Or le PEB ne constitue pas à proprement parler une diffusion sur le web, mais seulement une transmission du fichier à distance qui peut tout à fait s’opérer de manière sécurisée. Dès lors, l’arrêté ne prévoyant pas explicitement l’hypothèse du PEB, n’est-on pas en droit de faire prévaloir l’esprit du texte sur la lettre pour considérer que l’autorisation n’est requise que pour le cas particulier de la mise en ligne ?

Le problème, c’est que cette lecture se heurte d’emblée aux règles strictes prévues dans le Code de Propriété Intellectuelle concernant le formalisme des cession de droits et l’interprétation de la volonté des auteurs dans les contrats. En effet, l’article L. 131-3 indique que :

La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.

La jurisprudence interprète ces dispositions  comme exigeant que chaque usage d’une oeuvre fasse l’objet d’une autorisation explicite et précise dans les actes de cession ou de licence. Lorsqu’un flou subsiste dans un tel acte, il sera nécessairement interprété de manière restrictive par le juge, toujours dans un sens favorable à l’auteur. Cela signifie qu’un usage non explicitement prévu au contrat devra être réputé comme toujours interdit.

Or ce que l’on appelle un PEB pour d’une thèse électronique consiste en un acte de reproduction et de communication d’une oeuvre protégée. Ces actes doivent être autorisés en tant que tels par l’auteur pour pouvoir être effectués légalement. Certes, l’arrêté du 7 août 2006 (qui n’est pas une loi, mais un acte réglementaire) semble préciser que l’autorisation de l’auteur n’est requise que pour la mise en ligne sur Internet de la thèse.

Mais les dispositions du Code de propriété intellectuelle ont une valeur supérieure et elles demeurent actives en arrière-plan à ce texte. L’arrêté introduit une exception pour l’accès à la thèse électronique dans les emprises de l’établissement, mais il ne neutralise pas pour autant le droit exclusif des auteurs de thèses, qui continue à s’appliquer pour les actes liés à la fourniture à distance d’une thèse.

Pas de piste du côté des exceptions législatives

Dans le cas où on est confronté à un usage relevant d’un droit exclusif, on peut essayer de faire appel à une exception législative pour se dispenser de l’autorisation de l’auteur. Mais ici, aucune des exceptions prévues par le Code de propriété intellectuelle n’est mobilisable : que ce soit l’exception de copie privée, l’exception « conservation » ou l’exception pédagogique et de recherche qui ont des champs d’application différents. Cette dernière en particulier permet seulement l’utilisation d’extraits d’oeuvres à des fins d’illustration de la recherche et de l’enseignement. Des accords sectoriels signés entre le Ministère de l’Enseignement Supérieur et des sociétés de gestion collective prévoient également une série d’usages complémentaires, comme la diffusion d’oeuvres en classe ou durant des conférences, l’usage d’extraits dans des supports pédagogiques ou des sujets d’examen. Mais ces textes ne parlent à aucun moment de la communication à distance des thèses.

Le droit exclusif de l’auteur s’applique donc bien aux actes de reproduction et de communication impliqués dans le PEB de la thèse électronique. On pourrait cependant arguer que si le fichier est transmis à l’extérieur à une personne affiliée à l’Enseignement Supérieur, aucun préjudice n’est causé à l’auteur par rapport à un accès à la thèse sur l’intranet de l’établissement de soutenance. Le problème, c’est que l’application du droit d’auteur n’est pas conditionnée au fait de subir un préjudice. La loi dit bien qu’il s’agit d’un droit de propriété, « exclusif et opposable à tous« . S’il n’y a pas de préjudice, le titulaire de droits va être limité pour agir au civil et il ne pourra obtenir qu’une réparation symbolique. Mais cela ne l’empêche pas de demander au juge de faire cesser l’atteinte à ses droits, ni d’agir au pénal.

Si la thèse n’existe qu’en version électronique (ce qui sera de plus en plus le cas à l’avenir), il resterait peut-être l’expédient de l’imprimer en version papier et de l’envoyer par la poste au demandeur. Mais même là, le droit d’auteur fait barrage. Car l’impression de la thèse par les soins de la bibliothèque universitaire à partir du fichier n’est pas assimilable à une copie privée, étant donné que celle-ci implique que celui qui réalise la copie et celui qui utilise la reproduction subséquente soit la même personne, à l’exclusion des « utilisations collectives« .

Demander communication de la thèse en tant que document administratif ?

Si les choses s’avèrent relativement bloquées du côté des mécanismes du droit d’auteur, on pourrait envisager de changer le fusil d’épaule en considérant que la thèse n’est pas seulement une oeuvre de l’esprit, mais aussi un document administratif, nécessaire à l’obtention du doctorat. Or la loi française consacre au bénéfice des citoyens un droit d’accès aux documents administratifs, opposable aux administrations sous le contrôle de la CADA. De surcroît les conditions d’exercice de ce droit d’accès prévoient bien qu’il peut être demandé à l’administration de communiquer  par mail le document, s’il existe sous forme électronique. En refusant de communiquer une thèse électronique, la bibliothèque universitaire ne peut-elle pas être accusée de se mettre en faute pour « non-diffusion d’informations publiques » ?

Le problème ici, c’est que la thèse a bien une « double nature », à la fois oeuvre et document. Or la loi a prévu cette hypothèse et elle fait prévaloir dans ce cas le droit d’auteur sur le droit d’accès. La loi du 17 juillet 1978 indique à son article 10 que :

ne sont pas considérées comme des informations publiques […] les informations contenues dans des documents […] sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.

Or les doctorants sont bien considérés comme des tiers par rapport à l’administration et ils conservent un droit d’auteur plein et entier sur thèse. Dès lors, la nature d’oeuvre de l’esprit de la thèse l’emporte sur celle de document administratif et il n’est pas possible d’invoquer le droit d’accès pour en exiger la communication à distance.

Faire valoir le droit à l’information et la liberté de la recherche ?

Est-ce à dire que toutes les portes sont pour autant fermées pour le PEB des thèses électroniques ? Peut-être pas. Si l’on prend un peu de hauteur pour se placer au niveau du droit de l’Union européenne, peut-être qu’une piste se dessine actuellement autour de l’invocation du droit à l’information et de la liberté de la recherche.

En effet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme développe depuis plusieurs années une jurisprudence intéressante, qui cherche à définir un meilleur équilibre entre le droit d’auteur et les libertés fondamentales consacrées dans la Convention européenne des droits de l’Homme. J’ai déjà eu l’occasion d’en parler le mois dernier dans S.I.Lex à propos du droit au remix. En l’absence même d’une exception législative, la CEDH demande à ce que les juges opèrent un « juste équilibre » entre le respect du droit d’auteur et l’exercice des libertés fondamentales. La Cour de Cassation française semble progressivement se ranger à cette approche, en demandant aux juges inférieurs de mettre en balance le droit d’auteur et la liberté d’expression, y compris en dehors des cas couverts par une exception législative.

Concernant le PEB de thèses électroniques, nous avons vu qu’il n’existe actuellement pas d’exception dans la loi française que l’on puisse invoquer à l’appui de cet usage. Mais il paraît possible de faire valoir que la transmission du fichier à distance est nécessaire pour l’exercice du droit à l’information et la liberté de la recherche scientifique. Si cette communication est effectuée de manière sécurisée et si le bénéfice de cette faculté est réservé aux mêmes catégories d’usagers qui auraient pu consulter la thèse électronique sur place, il ne semble pas y avoir d’atteinte disproportionnée au droit d’auteur, mais au contraire un « juste équilibre » avec d’autres droits.

Ce type de raisonnement a déjà commencé à voir une réalisation concrète dans le champ de la recherche scientifique à propos d’une affaire ayant donné lieu à un jugement au Pays-Bas à la fin de l’année dernière. Un litige a en effet éclaté à propos du Journal d’Anne Frank entre le Fonds Anne Frank, détentrice des droits sur l’oeuvre, et la Maison Anne Frank qui conserve de son côté les manuscrits originaux. Cette dernière a réalisé une reproduction numérique de ces documents et l’a transmise à une équipe de chercheurs hollandais, notamment afin qu’ils puissent l’encoder en TEI pour procéder à des analyses du texte. Or saisi de cette affaire, un tribunal hollandais a considéré, en visant la Convention européenne des droits de l’Homme, que même en l’absence d’exception dans la loi nationale couvrant ce type d’actes, ils ne constituaient pas une contrefaçon dans la mesure où ils étaient nécessaires au libre exercice de la recherche et que les fichiers n’étaient pas mis en ligne sur Internet par les chercheurs.

Un raisonnement similaire pourrait très bien être appliqué au cas du PEB des thèses électroniques. Le problème, c’est qu’il est par définition difficile d’appréhender ce que l’équilibre entre le droit d’auteur et les libertés fondamentales justifie exactement. Seuls les juges pourront le déterminer avec certitude au fil de la jurisprudence. Il est donc encore trop tôt pour être certain que le PEB de thèses électroniques sera couvert par ce raisonnement, sachant que les premières affaires s’appuyant sur cette nouvelle démarche initiée par la CEHD ne sont pas encore allées à leur terme en France.

Que faire pour débloquer la situation ?

Si on veut éviter que pour les thèses, le numérique ne conduise à une régression, sur quels leviers peut-on agir ?

  1. Le plus évident est d’agir au niveau contractuel en incitant au maximum les doctorants à autoriser la diffusion en ligne de leur thèse sur Internet, comme le permet l’arrêté de 2006. La question du PEB ne se pose à vrai dire plus pour une thèse accessible en ligne et après tout, le PEB n’est qu’un « palliatif » à l’absence de diffusion sur Internet en Open Access. Néanmoins, il est aussi possible d’insérer dans les contrats signés par les doctorants au moment du dépôt des thèses une clause autorisant explicitement le PEB de la thèse sous forme électronique, à charge pour le doctorant de l’accepter. Le droit exclusif de l’auteur s’applique, mais il faut toujours se rappeler qu’il s’agit aussi bien d’un droit d’autoriser que d’interdire. Tout peut se régler par la voie contractuelle, mais cela représente néanmoins un gros travail de pédagogie pour faire évoluer des mentalités parfois encore assez frileuses.
  2. L’arrêté de 2006 pourrait ensuite être modifié pour indiquer que de la même manière que le doctorant ne peut pas s’opposer à la diffusion de sa thèse au sein de l’établissement de soutenance, il ne peut pas non plus s’opposer à sa transmission à distance à l’usager d’un autre établissement, à condition que celle-ci s’effectue de manière sécurisée. Cette hypothèse d’une modification de l’arrêté est sans doute la manière la plus simple de faire évoluer le droit dans le sens des usages, puisque qu’elle ne nécessite qu’une décision ministérielle et pas un passager au Parlement.
  3. On pourrait aussi envisager de modifier l’exception pédagogique et de recherche afin qu’elle couvre les actes de reproduction et de communication effectués par des bibliothécaires à la demande d’un usager pour la transmission d’une thèse électronique. Dans plusieurs pays d’Europe, et notamment en Angleterre, une exception au droit d’auteur permet aux bibliothèques de reproduire et transmettre des oeuvres à la demande de leurs usagers, à des fins de recherche et d’études privées. En général, la copie ne peut alors être intégrale, mais s’agissant du cas particulier des thèses, on pourrait imaginer que cela soit permis. Il est d’ailleurs dommage que cette question n’ait pas été traitée dans le cadre de la loi numérique en cours d’examen au Parlement, qui abordent plusieurs sujets en lien avec l’IST. Cela aurait pu être aussi l’occasion, au-delà des thèses, d’envisager un mécanisme législatif général pour la fourniture à distance de documents, qui peine à se sortir de l’ornière en France depuis des années.
  4. La dernière option consiste à considérer que même si l’usage ne respecte pas à la lettre le droit en vigueur, il appartient aux bibliothèques de prendre leurs responsabilités et de mettre quand même en oeuvre un PEB des thèses électroniques sur une base pragmatique et raisonnable. Après tout, plusieurs usages en bibliothèque s’opèrent toujours aujourd’hui sans aucune base légale (le prêt de CD, la mise à disposition de jeux vidéo ou d’applications pour tablettes, etc.). S’il avait fallu attendre que la loi change, les bibliothèques auraient été contraintes à renoncer à l’exercice d’une partie importante de leurs missions en faveur de l’accès à la culture et à la connaissance. Par ailleurs, la jurisprudence de la CEDH sur l’équilibre entre droit d’auteur et libertés fondamentales que j’ai signalée plus haut offre aujourd’hui une base pour agir en l’absence de mécanisme légal au niveau national. Certes, cette piste reste encore fragile, mais l’immobilisme du législateur étant ce qu’il est en France en matière de réforme du droit d’auteur, ce sera peut-être la seule voie pour sortir de l’impasse.

***

En 2000, l’IFLA avait produit une très belle déclaration à propos du droit d’auteur dans l’environnement numérique, qui proclamait ce principe : « Digital Is Not Different », au sens où les droits et libertés qui existaient dans le monde analogique ne devaient pas être compromis avec le passage au numérique. 15 ans plus tard, l’exemple des thèses électroniques montre que le risque de la régression est loin d’avoir été conjuré et il reste encore beaucoup de travail à faire au niveau légal et réglementaire pour arriver ne serait-ce qu’à une simple équivalence entre le papier et le numérique.

PS : ce billet a été très largement nourri par des échanges de courriels avec Olivier Legendre et David Aymonin. Merci à eux d’avoir partagé avec moi leurs réflexions et leurs expériences en la matière.


Classé dans:Penser le droit d'auteur autrement ... Tagged: Bibliothèques, document administratif, droit d'auteur, exception pédagogique, exceptions, PEB, recherche, thèse

Retour et métamorphoses du droit de glanage, racine historique des Communs

samedi 6 février 2016 à 18:58

En décembre dernier, Libération a publié un intéressant dossier consacré aux multiples pratiques alternatives qui se développent dans la sphère non-marchande. Un chiffre en particulier avait alors retenu mon attention : celui selon lequel 20% des français se livreraient aujourd’hui à des pratiques de « glanage ».

Le «glanage» se répand ainsi de plus en plus, une pratique qui consiste à récupérer de la nourriture non ramassée dans les champs, à la fin des marchés, dans les poubelles des commerçants ou dans les conteneurs des supermarchés. Elle concernerait plus de 20 % des Français, selon une récente étude de l’Observatoire des pratiques de consommation émergentes (Obsoco), qui montre aussi que plus d’un Français sur deux est passé à l’achat de produits bio ou issus du commerce équitable, ainsi qu’à l’achat direct auprès des producteurs.

Lorsque l’on pense au glanage, ce sont généralement des images de scènes rurales qui nous viennent à l’esprit, comme celle que l’on voit dans le tableau « Les glaneuses » de Millet.

Les glaneuses, par Jean-François Millet. Domaine public. Source : Wikimedia Commons.

Pour autant au-delà de cette image d’Épinal, il faut nous souvenir que le glanage fut longtemps un véritable droit qui revêtait une importance fondamentale pour l’équilibre social. Il constitue même l’une des racines historiques des Communs et en tant que tel, on le trouve consacré dans la Charte de la forêt de 1217. Par ce texte complémentaire à la Magna Carta, le Roi reconnaissait au peuple anglais un ensemble de prérogatives destinées à lui permettre d’assurer sa subsistance et de conserver son indépendance. On considère aujourd’hui que la Charte de la forêt constitue l’une des premières formes de consécration juridiques des biens communs et il inspire de nombreuses réflexions sur sa transposition moderne.

Si comme le montre l’article de Libération, la pratique du glanage semble toujours vivante aujourd’hui, voire même en expansion, c’est en raison de plusieurs facteurs : d’une part, une crise économique tragique et un affaiblissement des protections sociales qui font que les individus les plus fragilisés se tournent à nouveau vers des pratiques ancestrales de subsistance ; et d’autre part (mais non sans lien direct) une crise de l’idéologie propriétaire poussant à la réinvention de nos pratiques de consommation et à l’exploration d’autres modes de gestion des ressources.

C’est avec ces éléments en tête que suite à la lecture de l’article de Libération, je me suis attelé ces dernières semaines à pousser des recherches sur le droit de glanage. Et j’ai pu ainsi découvrir un fantastique reportage d’Agnès Varda, que je ne connaissais pas jusqu’alors : « Les glaneurs et la glaneuses », sorti en 2000.

Partant des représentations anciennes du glanage dans la société rurale, Agnès Varda se lance sur les routes et part à la découverte des formes de subsistance de cette pratique. Elle collecte les témoignages et montre que si le glanage a beaucoup régressé dans nos campagnes, il s’est métamorphosé pour prendre d’autres visages, qu’il s’agisse de ramassage de restes alimentaires, de collecte des invendus à la fin des marchés ou de recyclage des encombrants dans les villes.

Le glanage a un lien avec les Communs, parce qu’il se développe partout où la propriété se trouve momentanément « suspendue » et parfois même, contre elle. La tolérance envers ces pratiques, et parfois même leur reconnaissance par le droit, met en lumière le fait que la propriété est rarement un droit absolu, mais se décompose souvent en un « faisceau de droits » détenus entre plusieurs acteurs.

Le glanage est toujours un droit aujourd’hui 

Un des enseignements les plus intéressants que je retire du reportage d’Agnès Varda, c’est qu’il semblerait bien que le droit de glanage soit toujours reconnu par le droit français. A un moment, la réalisatrice se demande en effet si la pratique consistant à pénétrer sur une propriété privée pour aller ramasser des récoltes tombées au sol est légale ou non. Elle pose la question à un avocat qui lui donne la réponse à l’occasion d’une promenade dans un champ de tomates, un Code pénal à la main !

Et ce qu’il explique est extrêmement intéressant. En effet, il cite l’article R26-10 du Code pénal, prévoyant que seront punis d’une amende :

Ceux qui, sans autre circonstance, auront glané, râtelé ou grappillé dans les champs non encore entièrement dépouillés et vidés de leurs récoltes, ou avant le moment du lever ou après celui du coucher du soleil.

A contrario, on peut donc en déduire que le glanage est autorisé, lorsque la « récolte normale » a été enlevée et uniquement du lever au coucher du soleil, y compris lorsque cette action implique de pénétrer sur une propriété privée. Par ailleurs, un édit royal du 2 novembre 1554 (adopté par Henri II) serait toujours en vigueur sur le territoire français, qui reconnaît le droit de glanage en l’assortissant de conditions :

…le droit de glaner est autorisé aux pauvres, aux malheureux, aux gens défavorisés, aux personnes âgées, aux estropiés, aux petits enfants. […] …le droit de glanage sur le terrain d’autrui ne peut s’exercer qu’après enlèvement de la récolte, et avec la main, sans l’aide d’aucun outils…

Le problème, c’est qu’en 1994 l’entrée en vigueur d’un nouveau Code pénal a abrogé cet article. Et par ailleurs, le Code civil consacre bien depuis 1804 à son article 520 un droit de propriété privée sur les récoltes, que celles-ci soient sur pied ou tombées à terre, ce qui devrait interdire leur prélèvement par tout autre que leur propriétaire légitime :

les récoltes sur pied sont des biens immobiliers, et les fruits et restes tombés sont des biens meubles.

La situation juridique du glanage semble donc quelque peu confuse, mais un arrêt de la Cour de Cassation, rendu le 17 septembre 1997, aurait établi que l’abrogation de l’article R26 du Code pénal n’aurait pas fait disparaître le droit de glanage que celui-ci consacrait « en creux » (voir ici).

Des pommes tombées sous un arbre, après la récolte et sur un terrain en accès libre, sans barrière. Il semblerait que vous ayez le droit d’y pénétrer pour les ramasser, à condition de le faire en journée et en utilisant uniquement vos mains (Apples on the ground. Par Connie Ma. CC-BY-SA. Source : Flickr)

Néanmoins, même s’il existe, le droit de glanage peut être sévèrement limité, que ce soit par les propriétaires privés ou par la puissance publique. Il suffit en effet aux premiers d’enclore leur terrain (avec des murs ou des barrières) pour interdire valablement l’entrée aux glaneurs et les communes peuvent elles aussi interdire de manière générale la pratique du glanage sur leur territoire, en adoptant un arrêté municipal en ce sens (loi du 9 juillet 1888).

On le voit donc, en tant que droit réellement opposable à celui d’un propriétaire, le glanage n’existe que de manière résiduelle en France et sur une base relativement fragile. Mais il semble bien qu’il ait tout de même survécu.

Quel statut juridique pour les déchets ?

Dans son reportage, Agnès Varda s’intéresse au-delà des prélèvements sur les terrains cultivés aux pratiques de récupération des déchets, qui constituent également une forme de glanage. Là aussi, un fondement juridique peut être invoqué, celui de Res Derelictae (statut des choses clairement abandonnées dont le premier à se saisir devient leur propriétaire légitime). C’est ce régime qui s’applique au contenu de nos poubelles et qui rend possible la fouille dans les bennes sur la voie publique ou le ramassage des objets abandonnés. Là encore, il existe des conditions et limitations, comme celle de ne pas disperser des déchets sur la voie publique à l’occasion de la récupération ou de ne pas pénétrer dans une propriété privée sur laquelle seraient situés les containers.

Image par Khalid Aziz. Source : Wikimedia Commons. CC-BY-SA.

Certaines communes, comme celle de Nogent-sur-Marne ont cependant cherché à interdire de manière générale par voie d’arrêté la fouille dans les poubelles, en s’appuyant sur leur pouvoir de police administrative leur permettant d’intervenir en matière de salubrité et de tranquillité publiques. La Ligue des droits de l’Homme a cependant obtenu en 2011 la suspension de cet arrêté de la part de la justice administrative, qui s’est appuyée sur « le contexte de la période hivernale et du droit des personnes en grande nécessité à utiliser librement le domaine public en récupérant des déchets qui sont considérés comme des biens sans maîtres« . Là encore, on est donc avec le ramassage des déchets en présence d’un droit opposable, ouvert dans un des interstices du droit de propriété.

Au-delà des personnes en grande nécessité, ce droit de ramassage des déchets est aussi de plus en plus revendiqué par certains qui souhaitent l’utiliser pour développer des formes de consommation alternatives. Un mouvement s’est même structuré autour de cette idée, celui du déchétarisme ou « glanage alimentaire » que Wikipedia définit comme :

le fait de fouiller dans les poubelles des magasins de grande distribution et des restaurants pour en extraire des aliments encore consommables par le déchétarien ou glaneur.

Aux Etats-Unis, cette pratique s’appelle le « Dumpster Diving » (plongeon dans les containers) ou encore « Freeganism« . Certains de ses pratiquant se revendiquent directement du mouvement des Communs,  avec une volonté de remettre en question la conception dominante de la propriété (voir ici) :

Nous plongeons dans les containers pour défendre les Communs. C’est un acte culturel qui remet en cause la propriété, un tabou dans la société capitaliste. Le développement durable et l’alimentation sont des questions pour les Communs et à moins que la société n’accepte de restructurer les rapports de propriété et le droit, ces enjeux seront relégués au fond des poubelles.

« Dive ! », documentaire de 2010 sur la mouvement du « Dumpster Diving ».

Vers une limitation du droit d’abusus

Ces évolutions n’interviennent pas sans provoquer des tensions. Agnès Varda filme pendant son reportage un groupe de jeunes itinérants ayant des ennuis avec la justice pour avoir sauté les grilles d’un supermarché afin d’aller fouiller dans ses poubelles pour récupérer des invendus. Le gérant les a traînés pour violation de propriété privée, alors qu’ils revendiquent de leur côté le besoin d’assurer leur subsistance et l’impératif d’éviter un gaspillage alimentaire inutile. On sait aussi que c’était devenu une pratique courante des grandes surfaces et des boutiques alimentaires de verser sur leurs invendus des substances toxiques afin de décourager la fouille dans leurs poubelles.

Mais cette semaine, le Parlement a adopté à l’unanimité une loi sur la lutte contre le gaspillage alimentaire, qui va modifier la situation. Celle-ci interdit justement aux grandes surfaces de jeter leurs invendus ou de les rendre impropres à la consommation. Au contraire, la loi « rend obligatoire le recours à une convention pour les dons réalisés entre un distributeur de denrées alimentaires et une association caritative » et elle « prévoit aussi une sanction pour éviter la destruction volontaire de denrées alimentaires encore consommables par les commerces de détail« .

Ce texte est très intéressant à examiner d’un point de vue juridique et il a à nouveau plus d’un lien avec les Communs. En effet normalement, le propriétaire d’un bien dispose d’un droit complet sur la chose, comportant comme disent les juristes l’usus, le fructus et l’abusus. Ce dernier attribut du droit de pleine propriété implique pour son titulaire la possibilité de se séparer de son bien en le vendant, en le donnant ou en l’abandonnant, mais aussi celui de le détruire. Or ici la loi va justement apporter une nouvelle limitation à l’abusus en interdisant la destruction des aliments au nom de l’intérêt général.

A nouveau, on est encore du côté de la propriété comprise non comme un pouvoir absolu, mais comme un « faisceau de droits » (Bundle of Rights), pierre angulaire de la théorie des communs.

Quels liens entre droit de glanage et Communs ?

Néanmoins, il ne suffit pas qu’un droit de glanage s’exerce pour que l’on puisse parler d’un Commun en tant que tel. Au sens moderne du terme, un « Commun » est constitué par le réunion de trois éléments : une ressource partagée, une communauté rassemblée autour de la ressource qui se dote d’une gouvernance et un ensemble de règles destinées à assurer la durabilité de la ressource et son partage équitable.

Dans le documentaire d’Agnès Varda, on voir des situations de glanage qui ne conduisent pas à la constitution de Communs, ou seulement à des Communs instables et imparfaits. Par exemple, elle se rend sur l’île de Noirmoutier, où après des tempêtes ou de grandes marées, des habitants se rassemblement sur les plages pour ramasser des huîtres échappées de parcs d’élevage (voir ci-dessous à partir de 2,30 mn).

Varda interrogent des ramasseurs et des éleveurs d’huîtres et on se rend compte que ni les uns, ni les autres ne savent exactement quelles sont les règles encadrant cette pratique. Des rangées de poteaux entourent les parcs et certains éleveurs estiment que les ramasseurs ne doivent pas les franchir, mais cette règle tacite n’est pas toujours respectée, ce qui va jusqu’à déclencher des bagarres. D’autres disent qu’une distance de 10 mètres doit être respectée, mais ce sera 15 ou 25 mètres pour d’autres. Le même flou règne quant aux quantités d’huîtres que les ramasseurs peuvent emporter : 3 kilos selon les uns, 5 kilos selon les autres, 3 douzaines chez d’autres encore…

On est donc dans une situation où une ressource en accès libre est bien présente (les huîtres échappées des parcs), mais il n’existe pas réellement de communauté autour de cette ressource (les éleveurs ne parlent visiblement pas aux ramasseurs, ni les ramasseurs entre eux). Il en résulte que même si tout le monde a conscience que la pratique doit faire l’objets de règles, personne ne sait exactement ce qu’elles sont. Et lorsqu’un litige survient, il se règle par la violence (des bagarres). On est donc typiquement dans une situation dans laquelle les 8 conditions dégagées par la chercheuse Elinor Ostrom pour la gestion durable des Common-Pool Resources (CPR) ne sont pas réunies et en général, ces situations ambiguës se soldent à la longue par une « Tragédie des Communs » (épuisement de la ressource ou privatisation intervenant pour mettre fin aux pratiques de partage).

Un autre exemple filmé par Varda est également intéressant : celui d’un verger de pommiers dont le propriétaire accepte largement la pratique du glanage (voir ci-dessous à partir de 3,30 mn).

Dans ce champ de 3 hectares, les cueilleurs du propriétaire laissent en moyenne 10 tonnes de pommes sur les arbres à chaque récolte. Plutôt que de les laisser pourrir, le propriétaire autorise les habitants alentours à venir les « grappiller ». Mais les règles sont cette fois très strictement établies : ceux qui veulent se livrer à cette pratique doivent venir s’enregistrer auprès du producteur, qui leur demande de fournir une pièce d’identité. Ils peuvent ensuite aller ramasser les pommes, de telle date à telle date, mais seulement en se tenant à 10 mètres derrière les employés du propriétaires et en utilisant uniquement leurs mains et des paniers ou des sacs qu’ils peuvent porter.

Ces règles précises permettent au grappillage de se dérouler sans heurt, ni tension, mais on ne peut pas ici non plus parler d’un véritable Commun. En effet, la définition des règles restent l’apanage du seul propriétaire. Il n’existe aucune délibération collective au sein d’une communauté, qui aboutirait à l’établissement de règles partagées. La pratique du glanage est donc ici bien présente, mais en dehors des modes de gouvernance ouverte qui caractérisent les Communs au sens moderne du terme.

Quid du droit de glanage culturel ?

Un des aspects les plus intéressants du documentaire d’Agnès Varda, c’est qu’elle ne cesse de faire tout au long du film un parallèle entre les pratiques de glanage qu’elle observe et son propre processus de création. Par exemple, on la voit plusieurs fois filmer ses mains – outils traditionnels du glanage – et dans une séquence sur l’autoroute, elle fait semblant d’essayer d’attraper à la main des camions qui passent (voir ci-dessous).

Comme le titre le suggère (« Les Glaneurs et la Glaneuse »), Varda se considère elle-même comme une glaneuse, par la récolte d’images à laquelle elle procède pour faire son film. A un autre moment, la réalisatrice fait exprès de laisser des images tournées par sa caméra, alors qu’elle avait oublié de l’éteindre. On voit ainsi rebondir pendant une minute le cache de l’objectif pendu au bout d’une ficelle. Cela peut sembler incongru, mais Varda inclut par là dans son oeuvre ce que d’autres auraient considéré comme un « déchet » ou un « rebus », à couper au montage. Là encore, elle dresse un parallèle intéressant entre sa production artistique et les pratiques de récupération et de recyclage qu’elle a observées dans son film.

Cela nous amène à une question intéressante : pourrait-on envisager un droit de « glanage culturel » et si oui, y a-t-il un lien avec les Communs ? Personnellement, il m’est déjà arrivé par exemple de dire que les bibliothèques publiques matérialisaient une forme de droit de glanage culturel, ouvert à la population pour satisfaire ses besoins en matière d’accès à la connaissance. De la même manière, les exceptions au droit d’auteur – comme le droit de citation ou l’exception pédagogique – permettent d’aller « grappiller » des extraits d’oeuvres pour les incorporer dans de nouvelles créations. Des pratiques comme le remix ou le mashup revendiquent d’ailleurs aujourd’hui la possibilité que ce « glanage » puissent s’exercer plus largement, y compris contre le droit d’auteur. De son côté, le domaine public assure une forme de « recyclage » de la culture à l’issue de la période de protection du droit d’auteur, sans lequel les oeuvres anciennes finiraient, faute d’être exploitées, par devenir aussi inutiles que les déchets au fond de nos poubelles.

Pour filer cette métaphore jusqu’au bout, la reconnaissance ultime du « droit de glanage culturel » consisterait en la légalisation du partage non-marchand des oeuvres entre individus, telle qu’elle se pratique sur les réseaux de P2P. Et qu’ai-je fait moi-même pour illustrer ce billet sinon d’aller glaner ici et là sur la Toile des images et des vidéos, parfois en puisant dans des sources illégales…


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Et si la justice française s’apprêtait à reconnaître un droit au remix ?

vendredi 29 janvier 2016 à 23:44

Open Data, Open Access, Text and Data Mining, Domaine public : plusieurs avancées significatives ont pu être obtenues la semaine dernière à l’occasion du vote de la loi numérique à l’Assemblée nationale (voir la synthèse réalisée par le CNNum). Mais il est un sujet important qui est malheureusement resté au point mort : celui du droit au mashup, au remix et plus largement à la création transformative, dont j’ai souvent parlé dans S.I.Lex ces dernières années.

En 2013, le rapport Lescure s’était pourtant prononcé en faveur de l’introduction d’une nouvelle exception au droit d’auteur visant à sécuriser les usages transformatifs. Mais l’idée s’est perdue ensuite dans les méandres d’un rapport du CSPLA et elle a eu bien des difficultés à se frayer un chemin jusqu’au débat parlementaire. Lors de la consultation qui a précédé la loi numérique, le collectif SavoirsCom1 a avancé une proposition d’exception de citation audiovisuelle, qui a été reprise et défendue à l’Assemblée nationale par la députée Isabelle Attard, hélas sans succès.

Au niveau européen, les perspectives ne sont guère plus réjouissantes. L’eurodéputée Julia Reda a proposé l’an dernier d’élargir les exceptions de citation et de parodie pour qu’elles puissent accueillir plus largement les usages transformatifs. Mais cet aspect de son rapport n’a pas été retenu par le Parlement européen et il ne fait pas partie des pistes de réforme du droit d’auteur annoncées par la Commission européenne en décembre dernier.

On pourrait donc penser que la question du droit au remix risque à présent de rester sous la glace pendant de nombreuses, étant donné que toutes les fenêtres législatives au niveau national et européen se sont refermées. Sauf que les choses ne sont pas aussi simples et que la surprise pourrait bien malgré tout venir de France…

Changement d’approche à la Cour de Cassation

Pour comprendre de quoi il retourne, il faut remonter à un arrêt de la Cour de Cassation daté du 15 mai 2015. L’affaire portait sur un litige survenu entre le photographe de mode Alix Malka et le peintre Peter Kalsen. Le second avait réutilisé sans autorisation des photographies de visages féminins réalisés par le premier pour un magazine, afin de les incorporer dans des collages (voir un exemple ci-dessous). Accusé de contrefaçon devant la Cour d’Appel de Paris, le peintre a tenté d’invoquer sa liberté d’expression, en arguant qu’il avait eu besoin de réutiliser ces images « symboles de la publicité et de la surconsommation » pour provoquer « une réflexion, un contraste conduisant à détourner le thème et le sujet initial exprimant quelque chose de totalement étranger ». On est donc bien typiquement dans un usage transformatif d’une oeuvre préexistante.

Une des toiles du peintre Peter Klasen, en cause dans cette affaire. Les images de visages féminins ont été colorées en bleu, découpées et intégrées dans cette composition.

Le peintre était contraint d’invoquer pour sa défense l’argument de la liberté d’expression, à défaut de pouvoir s’abriter derrière les exceptions au droit d’auteur actuellement consacrées par la loi française (courte citation et parodie). En effet, la jurisprudence de la Cour de Cassation n’admet pas la citation graphique et la parodie doit viser un but humoristique ou de raillerie, ce qui n’était pas le cas de ses collages. La Cour d’Appel de Paris a accueilli fraîchement cette argumentation, en déployant un raisonnement classique. Elle a considéré que la liberté d’expression pouvait être limitée par d’autres droits légitimes comme le droit d’auteur et qu’il n’y avait pas de raison de faire céder les droits du photographe devant ceux du peintre.

L’arrêt de la Cour d’appel tendait donc à faire prévaloir le droit d’auteur sur la liberté d’expression, en considérant qu’il n’y a pas lieu de les mettre en balance en dehors des hypothèses limitées fixées dans les exceptions au droit d’auteur prévues par le Code de Propriété Intellectuelle. Mais la Cour de Cassation ne l’a pas suivie dans cette approche : elle a estimé que les juges auraient dû justifier « en quoi la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation qu’elle a prononcée ». En d’autres termes, la Cour d’appel aurait bien dû mettre en balance le droit d’auteur et la liberté d’expression, à partir d’une appréciation concrète des faits de l’espèce.

Cela peut vous paraître une nuance quelque peu ésotérique, mais en réalité, ça change tout…

Répercussion d’une évolution de la jurisprudence européenne

En effet, dans l’approche qui prévaut en France, les exceptions ne constituent pas de véritables droits des utilisateurs, mais seulement des facultés « résiduelles » que les juges sont tenus d’interpréter restrictivement (voir la fameuse affaire Mullholland Drive relative à l’exception de copie privée). Or ici la Cour de Cassation semble justement rompre avec cette approche : elle reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir concrètement recherché à opérer un équilibre entre le droit d’auteur et la liberté d’expression, ce qui signifie qu’elle les regarde comme deux principes d’égale valeur.

Vers un nouvel équilibre entre droit d’auteur et liberté d’expression ? (Image par Hans Splinter. CC-BY-ND. Source : Flickr).

Cette nouvelle approche adoptée par la Cour de Cassation suit en réalité une jurisprudence rendue en 2013 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Ashby Donald et autres c. France). Cette affaire concernait également des photographes de mode, accusés cette fois de contrefaçon par des maisons de couture pour avoir diffusé des photos de vêtements apparaissant dans un défilé sans leur consentement. Les photographes invoquaient eux aussi la liberté d’expression, consacrée à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

La CEDH décida de donner raison aux maisons de couture en retenant la contrefaçon, mais au passage, elle a formulé la nécessité de mettre en balance le droit d’auteur et la liberté d’expression pour recherche dans chaque cas un juste équilibre.

Un renversement de perspective en faveur des usages transformatifs ?

C’est ce renversement de perspective que l’on retrouve dans la décision Klasen c. Malka de la Cour de Cassation et il est loin d’être anodin. Voyez par exemple ce qu’en dit la juriste Valérie Varnerot dans un ouvrage récent :

Enjoignant désormais au juge de rechercher « un juste équilibre » entre deux droits d’égale valeur préalablement à toute condamnation pour contrefaçon – notamment à raison d’un usage dérivatif non autorisé-, [l’arrêt Malka] opère un renversement de perspective. Il augure de la transition d’un système fermé, où les exceptions limitativement énumérées définissent le cadre dans le droit d’auteur doit s’incliner devant la liberté d’expression et de création, à un système ouvert.

Dans le système ouvert esquissé par l’arrêt Malka, la liberté d’expression et de création déborde de ce cadre étroit pour paralyser le monopole, en dehors d’une quelconque exception, dès lors que la sanction d’un usage contrefaisant romprait le « juste équilibre » recherché ». Le droit d’auteur n’est donc plus assuré de sa prééminence face à une liberté d’expression d’autant plus impérieuse qu’elle constitue le « fondement essentiel de nos sociétés démocratiques ». Ainsi libérée du carcan des exceptions, la liberté de création pourrait , à la faveur du « juste équilibre » ou de la « balance des intérêts », constituer le socle inattendu de l’épanouissement des usages transformatifs.

Couverture de (l’excellent) ouvrage dont est tirée la citation ci-dessus.

Suspens dans l’attente du jugement final…

Suite à l’arrêt de la Cour de Cassation rendu en mai 2015, l’affaire Klasen c. Malka a été renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles, qui devra trancher le litige en s’appuyant sur ces nouvelles directives en matière d’équilibre à trouver entre le droit d’auteur et la liberté d’expression. En réalité, il n’existe aucune assurance que ce jugement donne raison à Peter Klasen contre Alix Malka : la Cour pourrait très bien considérer que l’exercice de la liberté d’expression du peintre ne justifiait pas une telle atteinte au droit d’auteur du photographe. Tout sera affaire d’appréciation, avec ce que cela peut comporter d’imprévisibilité et d’incertitude.

Mais au fond, l’essentiel n’est pas là. Cette évolution des mécanismes de la jurisprudence est importante parce qu’elle montre que même en l’absence de réforme législative, une voie s’est ouverte dans le système juridique français pour que les usages transformatifs acquièrent enfin « droit de cité » en dehors du cadre étriqué des exceptions au droit d’auteur. Peut-être même que cette approche directement ancrée dans la liberté d’expression et de création sera au final plus forte que tout ce que l’on aurait pu obtenir au Parlement avec de nouvelles exceptions.

La loi sur la Création, qui est actuellement en cours d’examen devant le Parlement, proclame à son article premier que : « la création artistique est libre« . Si l’on suit la Cour de Cassation, voilà un point d’ancrage solide sur lequel les usages transformatifs pourront à l’avenir s’appuyer en justice pour revendiquer leur légitimité !

L’année 2016 pourrait donc nous réserver une jolie surprise…

PS : étant donné que l’exception de citation ne s’applique pas aux images, je suis moi-même dans ce billet en infraction au droit d’auteur pour vous avoir montré le tableau de Peter Klasen. Et peut-être aussi simplement pour avoir fait figurer la couverture de l’ouvrage du CEPRISCA dont j’ai tiré une citation. Vivement que les choses changent…


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Open Law : un modèle exemplaire de partenariat Public-Privé-Communs

lundi 25 janvier 2016 à 06:51

L’introduction des « Communs informationnels » en tant que nouvelle catégorie juridique dans la loi française n’a pas été retenue par les députés la semaine dernière, à l’occasion de l’examen de la loi Lemaire. Néanmoins cette loi aura tout de même un effet puissant de promotion des Communs, notamment grâce à ses dispositions instaurant un principe d’Open Data « par défaut ». Aussi bien au niveau national que local, un nombre important de nouveaux jeux de données devraient être libérés en ligne dans les mois qui suivront l’entrée en vigueur du texte. En soi, l’ouverture des informations publiques constitue pour les personnes publiques un manière de « contribuer aux Communs », dans la mesure où cette démarche élargit les droits d’usage sur les données mises en partage.

Cependant, l’existence de jeux de données réutilisables n’est pas en elle-même suffisante pour constituer des Communs, au sens propre du terme. Il n’en sera ainsi que si des communautés réelles apparaissent et se structurent autour des données ouvertes pour les réutiliser effectivement, assurer leur enrichissement et participer à leur gouvernance. Jusqu’à présent, si le mouvement d’ouverture des données publiques a bien progressé en France, on peut dire que ce sont à propos de ces derniers points que la dynamique d’Open Data pêche encore assez largement.

« Open Law – Le droit ouvert » constitue une initiative qui montre une voie pour associer acteurs publics, entreprises privées et  société civile autour de données ouvertes dans le but explicite de produire de nouveaux communs. Elle constitue un modèle de ce que l’on pourrait appeler un « Partenariat Public-Privé-Communs », dont la vidéo ci-dessous vous présente les grandes lignes :

Le secteur de l’information juridique en voie de recomposition

Le champ d’intervention du projet Open Law est celui de l’information juridique. Ce domaine a connu de profonds bouleversements ces dernières années avec l’ouverture en Open Data des grandes bases de données de législation et de jurisprudence. Jusqu’alors ces éléments clés n’étaient réutilisables qu’à la condition de s’acquitter d’une redevance versée à la DILA (Direction de l’Information Légale et Administrative), administration centrale rattachée aux services du Premier Ministre. Cette situation faisait que ces données étaient en pratique réservées à un groupe d’éditeurs juridiques (Lexis Nexis, Dalloz, Lextenso, etc.), qui s’en servaient pour proposer des bases de données sous forme de produits commerciaux.

Avec le passage en Open Data des mêmes jeux de données, les différents acteurs de ce champ doivent se repositionner. Le « coût d’entrée » sur ce secteur de l’information juridique a été fortement abaissé, ce qui permettra à davantage de petits acteurs innovants de l’investir. L’acteur public conserve une position centrale en matière de production des jeux de données essentiels de l’information juridique, mais la possibilité pour des entreprises, des associations ou de simples citoyens de contribuer est dorénavant largement plus ouverte.

Open Law, une démarche de coopération pour la création des « Communs du droit »

Dans ce nouveau contexte, l’initiative Open Law a été lancée sous la forme d’une association pour fédérer ces partenaires publics et privés autour d’une dynamique de coopération. L’originalité principale de la démarche consiste à favoriser la production de « Communs du droit », visant à faciliter la réutilisation des informations juridiques et à exprimer leur plein potentiel :

Rendus possibles par l’ouverture des données juridiques, les communs sont construits, enrichis, gouvernés et maintenus au bénéfice de tous par des communautés d’acteurs.

Ils nourrissent l’innovation et servent de socles au développement de services innovants, par les entreprises et par la société civile.

Open Law Europa a permis l’émergence et la conception de 5 nouveaux communs pour le droit ouvert, dont la construction se poursuivra au fil des prochains mois.

Ces 5 Communs du droit sont les suivants :

  1. HUB : un catalogue des ressources juridiques librement accessibles en France et à l’étranger, placé en Open Access et construits de manière collaborative ;
  2. PARIS : une norme permettant l’identification des sources du droit à l’échelle européenne par le biais d’un standard unique, ouvert et pérenne d’URI ;
  3. CORE : une ontologie visant à permettre le traitement automatisé des données juridiques et leur inscription dans le web de données ;
  4. CROWD : des interfaces web pour l’annotation collaborative des textes juridiques, au moyen de mots-clés et de vocabulaires contrôlés ;
  5. SOCLE : une suite logicielle Open Source pour le droit ouvert.

Comme on le voit, ces Communs constituent en réalité des standards, des normes, des inventaires, des logiciels qui forment les « briques de base » indispensables à la construction d’un « Réseau de données liées ouvertes et exploitables par tous », que ce soit dans un but commercial ou non.

Financer le développement d’une infrastructure commune

Il est clair que l’utilité de cette couche d’enrichissement construite au-dessus des jeux de données en Open Data ne peut être optimale que si elle est elle-même ouverte. Même les acteurs commerciaux ont intérêt par exemple à ce qu’un standard émerge pour pouvoir désigner les ressources juridiques par le biais d’identifiants contrôlés ou à ce qu’une ontologie du droit soit mise en place pour pouvoir investir le web de données.

Mais pour que ces ressources communes existent, il est nécessaire de consentir des investissements financiers, techniques et humains, qui peuvent s’avérer conséquents. L’acteur public n’en a pas forcément les moyens, en plus de la production des données de base qui lui incombe. Les acteurs privés n’ont de leur côté pas naturellement intérêt à le faire, s’ils restent dans leur logique traditionnelle de compétition, car cela reviendrait à produire des ressources utilisables par leurs concurrents. Du coup, il fallait monter une infrastructure permettant à chacun de ces acteurs de dépasser leur approche traditionnelle pour leur faire voir l’intérêt de mutualiser les moyens en vue de la production de ces « briques essentielles » pour tout l’écosystème.

L’association Open Law joue ce rôle. Elle sert d’abord de cadre de rencontre et de discussion entre acteurs publics et privés pour identifier les Communs à faire émerger dans le domaine de l’information juridique. Elle sert ensuite de « pot commun » rassemblant des financements publics et privés pour lancer des appels à contributions visant à la construction de ces Communs. Un peu à la manière de ce qu’est le W3C à l’échelle du web, Open Law joue aussi le rôle d’instance de gouvernance pour cette nouvelle infrastructure.

Ces Communs une fois mis en place, développés et maintenus par Open Law, chacun est libre de les réutiliser pour développer des projets concrets de services construits sur les données juridiques ouvertes. Open Law en signale déjà un certain nombre sur son site comme RIPSA (un répertoire permettant de connaître simplement les procédures administratives pour lesquelles le silence de l’administration vaut accord) ou DroitDirect.fr (une plateforme pour faciliter l’accès des personnes au droit, notamment celles en position précaire comme les étrangers et demandeurs d’asile).

On notera également qu’Open Law innove dans la manière dont le projet souhaite favoriser et récompenser les contributions apportées par les individus à ces Communs identifiés comme essentiels pour l’écosystème du droit ouvert. En effet, Open Law a mis en place un statut de « contributeur rémunéré aux communs ». Les sommes mutualisées par les partenaires servent en partie à verser une rémunération aux contributeurs individuels donnant de leur temps et de leurs compétences pour réaliser les objectifs déterminés par la structure. Open Law implémente ainsi l’idée d’une « réciprocité pour les Communs » ou d’un revenu contributif, sans avoir pour cela à inventer de nouvelles licences.

Pour une généralisation des partenariats Public-Privé-Communs

En 2014, l’italien Tommaso Fattori avait proposé le concept de « Partenariats Public-Communs » (Public-Commons Partnerships) comme une alternative aux partenariats Public-privé classiques, trop souvent à l’origine de formes de privatisation ou d’accaparement de ressources communes. L’initiative Open Law constitue à mon sens à la fois une réalisation et un enrichissement de cette idée, en montrant comment des Partenariats Public-Privé-Communs peuvent être mis en place autour des données ouvertes.

Comme je le disais au début de ce billet, avec la loi numérique de nombreux jeux de données publiques devraient être ouverts dans les mois qui suivront l’entrée en vigueur du texte. On peut dès lors se demander si ce qu’a réalisé Open Law dans le secteur de l’information juridique ne pourrait pas être répliqué dans d’autres domaines. Il existe en effet de nombreux champs où l’on retrouve des écosystèmes similaires, avec un rôle central joué par l’acteur public en matière de production de jeux de données essentiels, un tissu d’entreprises réutilisant ces données pour offrir des produits et une communauté d’utilisateurs capables de contribuer à leur enrichissement. Le secteur de la santé par exemple, celui de l’énergie ou des transports, mais aussi ceux de l’éducation, de l’enseignement supérieur ou de la culture présentent des caractéristiques assez similaires.

Or dans ces domaines, le besoin existe aussi de créer des répertoires des ressources libres, de produire des référentiels et des ontologies partagées, d’élaborer des standards et des normes d’identification ou de produire des solutions logicielles en Open Source. De nombreux « communs informationnelles » essentiels font encore défaut pour que l’Open Data donne la pleine mesure de son potentiel. Cette voie des partenariats Public-Privé-Communs ouverte par Open Law mérite donc sans doute d’être généralisée et approfondie.


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Archives ouvertes et licences Creative Commons : des synergies à conforter

mardi 19 janvier 2016 à 22:40

En décembre dernier, une journée d’étude a eu lieu au CNRS à Paris pour célébrer les 10 ans de l’archive ouverte HAL-SHS. On m’avait demandé d’intervenir à la table-ronde juridique de la matinée pour faire une présentation sur l’utilisation des licences Creative Commons dans le cadre des archives ouvertes. J’avais déjà eu l’occasion d’écrire sur ce blog à propos des liens entre licences libres et Open Access, mais cette invitation au CNRS m’a permis de refaire un point sur la question. A la demande des organisateurs de la journée, je publie ci-dessous une synthèse de mon allocution, remise en forme et détaillée à partir de mes notes.

halshs

Une des nouveautés importantes de la v3 du portail HAL mise en production l’année dernière a justement consisté à permettre aux chercheurs d’associer clairement aux contenus qu’ils déposent sur la plateforme une licence Creative Commons pour en favoriser la réutilisation. Cette fonctionnalité faisait défaut auparavant et les chercheurs qui souhaitaient utiliser les Creative Commons étaient obligés de « bricoler » pour faire figurer cette mention dans les fichiers déposés, sans que ce choix soit clairement répercuté dans les métadonnées associées au contenu. La situation a heureusement évolué et on peut maintenant s’attendre à ce que les chercheurs puissent plus facilement se poser la question du statut juridique sous lequel ils souhaitent diffuser leurs travaux.

En l’état du droit, les chercheurs demeurent cependant entièrement libres de choisir d’opter pour une des six licences Creative Commons existantes, tout comme leur appartient le choix de déposer ou non leurs productions dans une archive ouverte.

cc graph

La future loi numérique, en cours d’adoption au Parlement, va vraisemblablement faciliter le dépôt en archives ouvertes des articles publiés dans des revues commerciales. Elle prévoit en effet d’instaurer un nouveau droit au dépôt pour le chercheur 6 mois après la publication de l’article pour les sciences exactes et 12 mois pour les SHS, quelles que soient par ailleurs les cessions de droits consenties par contrat avec les éditeurs scientifiques. Il en résultera une plus grande liberté pour le chercheur de diffuser ses travaux en Open Access dans une archive ouverte comme HAL et partant, d’opter pour une licence Creative Commons s’il le souhaite.

Je ne reviens pas plus en détail avant d’aller plus loin sur ce que sont les licences Creative Commons. Si vous n’êtes pas familier avec ces outils juridiques, je vous recommande de regarder cette vidéo introductive, réalisée par le Ministère de la Culture.

 Un point sur l’adoption des licences Creative Commons

Les licences Creative Commons ne constituent plus aujourd’hui une nouveauté. Elles ont déjà plus d’une décennie d’existence et la fondation Creative Commons estimait lors de son dernier pointage à la fin de l’année 2015 que plus de 1,1 milliards d’oeuvres étaient diffusées sous CC dans le monde, avec un taux d’accroissement constant.

cc2015

Creative Commons constate également qu’au fil du temps, les utilisateurs optent pour des licences de plus en plus ouvertes, notamment en ce qui concerne la modification et l’usage commercial. On voit sur le graphe ci-dessous que la majorité des licences retenues en 2015 correspondent à des licences « libres » au plein sens du terme (CC-BY, CC-BY-SA ou CC0).

ccfree

Enfin un dernier point intéressant est à relever dans ces statistiques : l’usage des Creative Commons est le plus fort dans les domaines de la diffusion de photographies et de textes en ligne. Mais les articles scientifiques commencent à apparaître de manière significative.

ccstats

L’étude fait état de 1, 4 millions d’articles scientifiques diffusés sous licence Creative Commons dans le monde. Le principal réservoir d’articles sous CC est le site de la mega-revue américaine PLoS (Public Library of Science) avec 140 000 articles. La base de données bibliographiques DOAJ (Directory Of Open Access Journals) signale de son côté 1, 3 millions d’articles sous Creative Commons (dont 675 000 sous CC-BY). Ce site présente d’ailleurs l’intérêt de permettre des recherches au sein des articles selon les conditions de réutilisation (ce qui n’est pas encore hélas possible de son côté HAL).

Quelques idées reçues à dissiper concernant les Creative Commons

Malgré cette large adoption, on entend encore trop souvent – notamment en France – des idées reçues à propos des licences Creative Commons, qu’il paraît important de dissiper. C’est notamment essentiel pour que les chercheurs puissent faire leur choix en pleine connaissance de cause.

Les Creative Commons ne constituent pas un renoncement au droit d’auteur

On entend parfois que les auteurs qui choisissent de diffuser leurs oeuvres sous Creative Commons « renoncent » à leur droit d’auteur. C’est complètement inexact. Les licences Creative Commons constituent un moyen parmi d’autres pour les créateurs d’exercer leur droit d’auteur, qui doit être compris comme une faculté d’autoriser autant que d’interdire. Avec une licence CC, le créateur fait ainsi connaître de manière publique son intention d’autoriser la réutilisation de son oeuvre en exerçant son droit d’auteur.

Toutes les licences Creative Commons permettent la reproduction et la rediffusion des oeuvres (y compris en ligne). Mais l’auteur garde la faculté de maintenir des conditions à la réutilisation en sélectionnait certaines des options proposées par les licences (NC=pas d’usage commercial, ND=pas de modification, SA= partage à l’identique). Ces restrictions maintenues par le créateur trouvent pleinement leur fondement dans le droit d’auteur.

Par ailleurs, il ne saurait être question de « renoncement » dans la mesure où les licences Creative Commons prévoient explicitement que les auteurs ont la faculté de modifier leur choix pour changer de licence ou refaire passer leurs créations sous un régime classique « Tous droits réservés ». Dans le cas où ils choisissent d’opter pour un régime de réutilisaion plus restrictif, ils ne peuvent cependant remettre en cause les réutilisations effectuées de bonne foi sous la licence précédente, ce qui est logique pour préserver la sécurité juridique. En revanche à l’avenir, les utilisateurs seront bien obligés de respecter les nouvelles conditions retenues par l’auteur.

Les Creative Commons sont valides juridiquement et opposables en justice

Les Creative Commons constituent des contrats de droit d’auteur, par lesquels l’auteur et les réutilisateurs de l’oeuvre se reconnaissent des droits et obligations respectifs, variables selon les licences retenues. Le Code de propriété intellectuelle permet aux auteurs d’utiliser de tels procédés pour la diffusion de leurs créations, notamment par le biais de l’article L. 122-7-1 :

L’auteur est libre de mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues.

Il en résulte qu’en cas de violation des conditions posées par les licences, l’auteur a la faculté de s’en plaindre auprès du réutilisateur et de saisir la justice au cas où celui-ci refuserait d’obtempérer. Plusieurs affaires de ce type ont déjà été examinées par les tribunaux dans le monde, qui ont conclu à chaque fois à la validité des licences, y compris dans des pays comme l’Espagne, les Pays-Bas ou l’Allemagne aux systèmes juridiques proches de la France.

case

Une liste de cas où la validité des Creative Commons a été reconnue en justice

Aucun contentieux n’a jamais encore eu lieu en France au sujet de l’application d’une licence Creative Commons. Mais pour ceux qui douteraient encore de leur validité juridique, il suffit de faire remarquer que le propre site du Ministère de la Culture est placé sous CC-BY depuis 2014 !

Les Creative Commons ne constituent pas une incitation au plagiat

En aucune façon, les Creative Commons ne constituent une incitation au plagiat des travaux scientifiques et une oeuvre placée sous Creative Commons n’est pas plus facile à plagier que si elle était maintenue sous un régime « Tous droits réservés ».

En effet, toutes les licences Creative Commons imposent comme condition de respecter la paternité de l’auteur en cas de réutilisation (condition BY – Attribution). C’est une exigence imposée en France au titre de la protection du droit moral de l’auteur et les licences Creative Commons ne changent rien à cela. Au contraire, elles expriment formellement cette obligation de citer l’auteur original en cas de réutilisation. Dans le cas où un réutilisateur omettrait de mentionner la paternité de l’auteur ou – pire – remplacerait le nom de l’auteur par le sien, cet acte serait bien illégal et constituerait une violation de la licence, opposable au besoin en justice comme nous l’avons vu ci-dessus.

Les choses sont identiques en cas de modification des oeuvres. Lorsque l’auteur ne retient pas la condition ND (No Derivative = Pas de modification), il autorise les modifications et adaptations de son oeuvre. Mais lorsqu’un réutilisateur produit une telle modification, il reste obligé d’une part d’indiquer la source de l’oeuvre dont il s’est servi et d’autre part d’indiquer clairement que sa production constitue une oeuvre dérivée, distincte de l’oeuvre originale. Il ne doit pas y avoir de doutes quant à la nature de la nouvelle oeuvre et laisser penser par exemple qu’elle est le fruit de l’auteur original. Un peu comme c’est le cas en matière de citation, les licences CC imposent donc bien de faire la distinction entre la création originale et ses dérivés subséquents.

Une article placé sous Creative Commons dans une archive ouverte n’est donc en rien plus « facile » à plagier qu’un article laissé sous un régime « Tous droits réservés ».

Les Creative Commons sont compatibles avec une publication chez un éditeur commercial (et ce sera d’autant plus le cas à l’avenir). 

Les chercheurs concluent avec les éditeurs scientifiques des contrats par lesquels ils leur cèdent tout ou partie de leurs droits et cette problématique est centrale pour l’Open Access. Ces cessions peuvent empêcher ou retarder le dépôt en archive ouverte des articles, à l’issue d’une période variable d’embargo. On peut se demander – et on entend aussi dire parfois – que publier un article chez un éditeur commercial empêcherait ensuite la diffusion de l’article sous Creative Commons.

La vérité est plus nuancée. En effet, si l’auteur cède tous ses droits à l’éditeur, il est vrai qu’il n’a plus alors la faculté d’utiliser de son côté une licence Creative Commons (mais il ne pourra alors pas non plus déposer son article dans une archive ouverte de toutes façons). Lorsque l’éditeur accepte le dépôt d’une version de l’article en archive ouverte, il assortit généralement cette autorisation de conditions. Pendant longtemps, il a donc été préférable de faire explicitement figurer dans le contrat d’édition la possibilité pour l’auteur d’utiliser une licence Creative Commons pour le dépôt en archive ouverte. Des modèles d’addendum aux contrats d’édition avaient même été produits pour faciliter pour les chercheurs cette négociation.

Avec la future loi numérique, les choses vont vraisemblablement s’avérer plus simples à l’avenir. La loi devrait en effet, à l’issue d’une période d’embargo (6 mois en Sciences dures, 12 mois en SHS), donner aux chercheurs le « droit de mettre à disposition gratuitement sous une forme numérique […] la version finale du manuscrit acceptée pour publication » à la condition que cette diffusion ne puisse donner lieu « à une activité d’édition à caractère commercial« .

On en déduit donc que par défaut les chercheurs pourront utiliser sans avoir à revenir vers leur éditeurs les licences Creative Commons comportant la clause NC (Pas d’usage commercial), type BY-NC, BY-NC-SA ou BY-NC-ND. Ce n’est que s’ils souhaitent pouvoir employer une licence plus ouverte (BY, BY-SA) qu’il sera nécessaire que ce soit explicitement mentionné dans le contrat d’édition.

Les Creative Commons peuvent permettre de construire des modèles économiques 

On entend aussi parfois que les Creative Commons seraient nécessairement synonymes de gratuité et qu’ils ne permettraient pas la mise en place de modèles économiques pour soutenir la création de contenus.

C’est également une affirmation fausse. Je vous recommande à ce sujet de consulter l’ouvrage « Open Models : les modèles économiques de l’Open » publié (sous CC et en Open Access) par Without Model, qui contient une partie sur l’Open Science et l’Open Education. Il montre que des modèles économiques sont possibles à partir de contenus ouverts.

Dans le domaine de l’Open Access, on peut par exemple citer le projet Knowledge Unlatched qui propose à des établissements de recherche et à des bibliothèques de financer par souscriptions des monographies scientifiques placées ensuite sous Creative Commons.

Quels bénéfices attendre de l’usage des Creative Commons ?

Le bénéfice principal que l’on peut attendre de l’Open Access est de favoriser l’accès en ligne aux articles scientifiques, sans avoir à se heurter à des paywalls. Déposer un article dans une archive ouverte comme HAL, sans opter pour une licence Creative Commons, c’est déjà bien sûr oeuvrer pour une diffusion plus large de la Science.

La vraie question pour les chercheurs, c’est de savoir ce que les licences Creative Commons peuvent apporter en plus pour la diffusion de leurs travaux, par rapport au fait de laisser leurs articles sous un régime « Tous droits réservés ». On peut commencer à répondre en disant qu’avec les CC, les archives ouvertes ne sont plus seulement un lieu d’accès aux productions scientifiques ; elles deviennent aussi des réservoirs de ressources réutilisables.

Or cette question de la réutilisation devient de plus en plus importante aujourd’hui, notamment par qu’elle est poussée au niveau de l’Union européenne à travers la notion d’Open Science qu’entend promouvoir la Commission à travers le programme H2020 (voir à ce sujet, ce support de Pierre Naegelen, présenté également lors de la journée des 10 ans SHS).

Voici ci-dessous une liste (non exhaustive) des bénéfices que l’on peut attendre de la diffusion des contenus scientifiques sous licence Creative Commons :

Favoriser la republication des articles

Il est bien sûr essentiel que les chercheurs déposent prioritairement leurs productions dans HAL (notamment parce que ce portail garantit une préservation à long terme des contenus). Mais opter pour les Creative Commons permet aussi de rendre les contenus plus circulants et de maximiser ainsi leur visibilité et leur diffusion sur d’autres sites.

Cette faculté de republication qu’autorisent toutes les licences Creative Commons peut notamment servir à mieux valoriser les contenus figurant dans les archives ouvertes, ce qui constituera un des enjeux essentiels à l’avenir.

On pense notamment aux projets de développement des « épi-revues » que le CCSD expérimente déjà dans le cadre du projet Episciences :

[…] il s’agit de permettre l’émergence « d’épirevues », à savoir des revues électroniques en libre accès, alimentées par les articles déposés dans les archives ouvertes telles que HAL ou arXiv, et non publiés par ailleurs […] Les épirevues peuvent ainsi être considérées comme une « sur-couche » aux archives ouvertes ; ils y apportent une valeur ajoutée en apposant la caution scientifique d’un comité éditorial à chaque article validé.

A partir d’articles scientifiques déposés en CC, les épi-revues pourraient se développer en reprenant les contenus en plein texte, et pas simplement sous la forme de collection de liens hypertexte.

Favoriser les rematérialisations et les réimpressions 

HAL contient principalement des articles, mais on y trouve aussi une proportion notable de contributions à des monographies, de communications effectuées dans des colloques ou de rapports de recherche.

Un des avantages des licences Creative Commons, c’est qu’elles autorisent toutes la reproduction, et donc l’édition et l’impression, d’ouvrages papier à partir des contenus en ligne. La diffusion des CC au sein de HAL permettrait donc de transformer l’archive ouverte en réservoir dans lequel puiser pour créer des ouvrages à partir de compilations d’articles (ou autres contenus) sur un sujet donné et les diffuser en version papier, ce qui présente aujourd’hui encore un intérêt certain malgré la bascule vers le numérique.

Par ailleurs pour les monographies elles-mêmes, il y a un intérêt également à utiliser les Creative Commons pour lutter contre le phénomène de l’indisponibilité, fréquent dans le domaine de l’édition scientifique où les tirages sont généralement très limités. Diffuser un ouvrage sous Creative Commons, c’est la garantie qu’il ne sera jamais épuisé, puisque des tiers seront toujours à même de procéder à une réédition (et c’est aussi un des intérêts de ne pas utiliser la clause NC).

Favoriser les traductions 

Sauf lorsqu’elles comportent une clause ND (No Derivative – Pas de modification), les licences Creative Commons autorisent la traduction des oeuvres. On imagine là aussi l’intérêt qu’il peut y avoir pour un chercheur – notamment francophone – à autoriser a priori la traduction de ses articles par des pairs pour favoriser leur diffusion dans des pays étrangers.

On pourrait imaginer d’ailleurs des projets de traduction de contenus scientifiques diffusés dans HAL sous Creative Commons, en mobilisant la communauté des chercheurs. Et ce type d’actions serait d’autant plus faciles à monter que les autorisations sont données a priori par les auteurs grâce à une licence CC.

Développer le Text and Data Mining, sans attendre une exception législative 

Voilà un des enjeux liés aux licences qui pourraient devenir absolument décisif pour l’avenir. On parle beaucoup de l’importance de favoriser le développement de la fouille de texte et de données (Text and Data Mining – TDM) pour ouvrir de nouveaux champs à la recherche. Or le TDM se heurte actuellement à de nombreuses barrières juridiques, car il n’est pas possible d’entreprendre des fouilles à partir de contenus ou de bases protégées, sans enfreindre le droit d’auteur ou le droit sui generis des bases de données.

L’introduction d’une exception législative en faveur du TDM a été envisagée dans le cadre de l’examen de la loi numérique (à l’instar de ce qui existe au Royaume-Uni), mais elle ne sera hélas visiblement pas adoptée par le Parlement. Une piste existe aussi au niveau européen pour adopter une telle exception, mais cela risque encore de prendre plusieurs nombreuses années pendant lesquelles la recherche sera toujours entravée.

Dans l’intervalle, les archives ouvertes pourraient constituer des réservoirs de contenus utilisables pour effectuer de la fouille de textes et de données, en garantissant aux chercheurs une bonne sécurité juridique. Mais pour cela, il est nécessaire qu’un maximum de contenus soient placés par les chercheurs-déposants sous licence Creative Commons.

En autorisant par défaut la reproduction des oeuvres, les CC permettent en effet de constituer légalement des corpus de sources pour effectuer du Text and Data Mining. Par ailleurs depuis la version 4.0 de 2014, les Creative Commons prennent aussi en compte le droit des bases de données, ce qui veut dire que les licences sont aussi utilisables pour la diffusion des données de la recherche. L’une des ambitions de HAL étant de s’ouvrir à la diffusion des données liées aux articles de recherche, on comprend que les CC pourraient constituer un outil extrêmement précieux pour favoriser la fouille de textes et de données, sans attendre que la loi change.

Une des limites de la démarche risque d’être cependant l’hétérogénéité du contenu de HAL. Les auteurs restant libres d’utiliser les Creative Commons ou pas (et de choisir une licence parmi les six), on aura donc fatalement dans l’archive des contenus sous des statuts juridiques différents, sans compter que la grande masse du rétrospectif va rester sous un régime « Tous droits réservés » (qui interdit par défaut le TDM). On mesure là la différence avec un site comme PLoS aux Etats-Unis où dès l’origine les articles étaient nécessairement diffusés sous Creative Commons, et tous sous la même licence (CC-BY).

Favoriser le travail collaboratif 

A plus long terme, on peut imaginer que l’usage des Creative Commons finisse par changer le mode de production des publications scientifiques, en favorisant la coopération et le travail collectif. Je vous renvoie sur ce point à l’article que j’ai écrit cet été à propos de la « wikification de la Science comme nouvel horizon pour l’Open Access« .

Pour en finir avec le paradoxe des Creative Commons et de la Voie Verte (Green Road)

Je voudrais terminer en soulignant un paradoxe qui mérite d’être questionné. A l’origine du mouvement de l’Open Access  dans la déclaration de Budapest de 2001, un lien très fort était établi entre Libre Accès et licences libres, pour que les articles deviennent non seulement accessibles en ligne, mais réutilisables :

Par « accès libre » à cette littérature, nous entendons sa mise à disposition gratuite sur l’Internet public, permettant à tout un chacun de lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces articles, les disséquer pour les indexer, s’en servir de données pour un logiciel, ou s’en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet. La seule contrainte sur la reproduction et la distribution, et le seul rôle du copyright dans ce domaine devrait être de garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités.

Ce lien s’est hélas rapidement distendu – et tout particulièrement en France – où l’on a fini par se « contenter » d’un Open Access sans licence libre, en se disant que c’était déjà une manière de faire avancer la cause. Certains acteurs éminents de l’Open Access français prônent même à présent une véritable distinction entre l’accès libre et l’accès ouvert.

Le problème, c’est que du coup, les Creative Commons sont encore relativement absents du côté de la « Voie Verte » (Green Road) de l’Open Access, alors qu’ils se développent au contraire du côté de la « Voie Dorée » (Gold Road). J’ai déjà cité ici l’exemple de la mega-revue PLoS qui a d’emblée fait un choix très fort en faveur des Creative Commons. Et paradoxalement, même des éditeurs commerciaux comme Springer peuvent être à présent des acteurs importants de la diffusion de contenus libres (voir par exemple le programme Springer OpenBooks). Le problème, c’est que ces formes de Gold Open Access s’inscrivent aussi dans des modèles économiques « auteurs-payeurs » soulevant à juste titre de nombreuses critiques, en raison des coûts qu’ils continuent à faire peser sur les finances publiques.

C’est la raison pour laquelle il existe un enjeu majeur à « reconnecter » l’usage des licences Creative Commons avec la Voie verte de l’Open Access. Et c’est bien la plateforme HAL à présent qui peut constituer l’instrument de cette réconciliation en France. Sachant qu’HAL n’est qu’un outil technique et que la décision reste dans les mains des chercheurs ou dans la définition de politiques ambitieuses au niveau des établissements (comme on peut le voir à l’INRIA par exemple, qui a mis en place une obligation de dépôt des publications dans HAL avec une préconisation forte en faveur de la licence CC-BY).

Il faudra sans doute beaucoup de pédagogie, d’accompagnement, mais aussi de volontarisme politique, pour que les synergies entre les Creative Commons et l’Open Access puissent pleinement s’exprimer, mais sans cela l’Open Science est condamnée à rester un vain mot.


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