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Du patrimoine culturel à la production scientifique : aspects juridiques

jeudi 27 juin 2013 à 08:24

Le 17 juin dernier, j’ai été invité dans la cadre du programme collectif « Archéologie dans les Humanités numériques » de l’unité de recherche ArScAn à donner une journée de formation à l’Université Paris Ouest, consacrée aux aspects juridiques des documents du patrimoine culturel et de la production scientifique. J’intervenais aux côtés de la juriste Anne-Laure Stérin, auteur de l’ouvrage "Guide pratique du droit d’auteur".

Nous devions traiter un ensemble de sujets très larges, liées aux pratiques de recherche :

Les aspects juridiques des documents culturels et scientifiques étant très variés, les interventions seront articulées autour des deux pôles de l’activité de recherche :

  • Le pôle “utilisation de données-documents du patrimoine culturel (objets archéologiques, documents ethnologiques, images, manuscrits, etc.)” : lesquels puis-je utiliser et reproduire, en tant que chercheur ou doctorant, et à quelles conditions ?
  • Le pôle “proposer la réutilisation des données-documents-résultats de recherche archéologiques” : à qui vais-je, moi chercheur ou doctorant ou organisme de recherche, proposer de consulter, de réutiliser peut-être, les données et résultats de recherche archéologiques que j’ai produits, et à quelles conditions ?

Nous avons choisi avec Anne-Laure de représenter l’ensemble des questions juridiques liées à ces problématiques par le biais d’une carte heuristique, que je poste ci-dessous. Anne-Laure s’est chargée des parties sur le droit à l’image des biens et des personnes, du droit des données personnelles et du droit des archives. Je me suis occupé de mon côté du droit d’auteur, du droit des bases de données et du droit à la réutilisation des informations publiques.

carte

Cliquez sur l’image pour accéder à la carte.

Il en résulte un document qui permet la découverte progressive de toutes ces notions. Il est placé sous licence CC-BY-SA et peut donc être réutilisé.


Classé dans:Formations et ressources pour se former Tagged: données personnelles, données publiques, droit à l'image, droit d'auteur, droit des archives, droit des bases de données, formation

Digital Humanities, Propriété intellectuelle et Biens communs de la connaissance

mardi 25 juin 2013 à 07:31

Le 28 mai dernier, j’avais été invité à intervenir lors d’une journée d’étude organisée par les doctorants de l’Université Toulouse II Le Mirail, sur le thème "Les Digital Humanities : Un renouvellement des questionnements et des pratiques scientifiques en SHS-ALL ?".

On m’avait demandé de traiter des aspects juridiques des Digital Humpanities et voici l’angle d’attaque que j’avais choisi d’aborder :

Le Manifeste des Digital Humanities affirme un engagement en faveur de « l’accès libre aux données et aux métadonnées », ainsi qu’une volonté d’œuvrer pour « la diffusion, à la circulation et au libre enrichissement des méthodes, du code, des formats et des résultats de la recherche ». Pour autant, la production du savoir par les communautés scientifiques en SHS-ALL s’inscrit dans un arrière-plan juridique qui saisit les connaissances à travers le prisme de la propriété intellectuelle. Cours, articles, ouvrages, images relèvent du droit d’auteur ; données de recherche et métadonnées relèvent du droit des bases de données et du régime des informations publiques. L’activité de recherche elle-même s’inscrit dans le cadre juridiquement contraint d’exceptions au droit d’auteur, conçues de manière restrictives en France. Des mouvements comme ceux de l’Open Access ou l’Open Data permettraient de mettre en œuvre les idéaux de partage et de diffusion des savoirs qui sont au cœur des Digital Humanities. Mais l’Open Access a toujours eu plus de difficultés à se développer dans le domaine des SHS que dans celui des sciences dures. L’Open Data en matière de données scientifiques tarde par ailleurs à produire des résultats concrets. Et les tensions autour de la question du plagiat et du « pillage » des résultats de recherche révèlent des rapports complexes et parfois ambigus entre les chercheurs et la propriété intellectuelle.

Face à ces obstacles, ne peut-on pas rapprocher les idéaux des Digital Humanities avec la problématique plus large des Biens Communs de la Connaissance ? Une telle convergence peut-elle permettre de dépasser ce que James Boyle a appelé le « Second Mouvement des Enclosures » qui a profondément modifié le statut de la connaissance ? Au-delà des réformes juridiques et institutionnelles, un tel effort passe sans doute avant tout par une nouvelle éthique de la recherche.

Voici-ci dessous le support que j’avais utilisé :

Et la capture vidéo de l’intervention :

Les vidéos de la journée sont disponibles à partir à cette adresse, et un blog a été ouvert par les organisateurs du colloque pour prolonger la réflexion sur les Humanités numériques.

Je vous recommande notamment cette intervention de Philippe Aigrain "Comment articuler l’économie et les communs numériques dans les humanités".

Merci à Marc Lavastrou en particulier pour l’invitation !


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La propriété intellectuelle, c’est le LOL !

dimanche 23 juin 2013 à 10:06

Hier grâce @Skhaen (merci à lui !), nous avons été invités, Thomas Fourmeux et moi, à faire une présentation sur le Copyright Madness dans le cadre de Pas Sage en Seine 2013.

Pierre-Joseph Proudhon avait dit "La propriété, c’est le vol !". Nous disons aujourd’hui "La propriété intellectuelle, c’est le LOL !" ;-)

Au risque d’infliger des dommages irréparables à notre santé mentale, nous nous sommes donc replongés dans les archives que nous avons accumulées depuis six mois, pour vous proposer une radiographie des délires et dérapages en tous genres de la propriété intellectuelle.

Voici donc ci-dessous le support que nous avions concoctés, qui se termine aussi par quelques pistes esquissées pour essayer de sortir de cette spirale délirante…

Et voici le lien vers la capture vidéo de l’intervention.

canvas

Cliquez sur l’image pour voir la vidéo.

L’humour peut être une arme puissante et c’est le parti que nous avons pris avec le Copyright Madness de tourner en dérision ces excès de la volonté d’appropriation. Mais l’accumulation de tous ces dérapages laisse quand même une sensation de malaise désagréable et doit nous inciter à aller plus loin…

Une fois que vous aurez visionné cette présentation, je vous invite à cliquer sur ce lien qui exprime à mon avis exactement le sens caché derrière ce phénomène grandissant d’accaparement des connaissances humaines.

Réagir ou laisser faire, telle est la question…


Classé dans:CopyrightMadness : les délires du copyright Tagged: brevets, copyright, copyright madness, droit d'auteur, droit des marques

Pourquoi les vidéos font six secondes sur Vine (et pourquoi Facebook prend un vrai risque en passant à 15)

samedi 22 juin 2013 à 17:31

 A grand renfort de communication, Facebook a donc annoncé cette semaine l’arrivée du partage de vidéos sur Instagram. Cette décision a été prise pour riposter au succès grandissant du service Vine lancé il y a quelques mois par Twitter, qui avait déjà dépassé Instagram en terme de volume d’échanges. Visiblement le succès semble au rendez-vous, puisque 5 millions de vidéos avaient déjà été téléchargées 24 heures seulement après le lancement de l’option.

Pourtant, Facebook va peut-être rapidement s’exposer à des ennuis en justice, car pour se démarquer de son concurrent, il a été annoncé que les vidéos partagées sur Instagram pourraient atteindre une durée de quinze secondes, alors qu’elles sont limitées à six secondes seulement sur Vine.

Dans une interview donnée à l’occasion du lancement, Kevin Systrom, l’un des fondateurs d’Instagram, explique que cette durée de 15 secondes aurait été choisie plus ou moins au hasard :

[...] c’est un chiffre que nous avons choisi de manière totalement arbitraire. Cela aurait tout aussi pu être plus ou moins. Je sais que cela n’a pas l’air très sérieux, mais c’est la vérité. On avait juste le sentiment que cette longueur serait suffisante pour pouvoir s’exprimer, sans perdre le côté instantané.

Du côté de Vine, il semble au contraire qu’on puisse trouver des raisons au fait que les vidéos partagées ne peuvent durer que six secondes et elles découlent visiblement des restrictions imposées par les règles découlant du copyright aux Etats-Unis. En effet, le fait de tourner des vidéos avec son téléphone n’est pas complètement anodin du point de vue du droit d’auteur, car il est possible par ce biais de reproduire des oeuvres protégées, notamment lorsque l’on assiste à un concert ou quand on réalise un montage à partir d’oeuvres préexistantes.

Le genre de geste qui peut poser problème vis-à-vis du droit d’auteur (Par The Hamster Factory. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr)

En avril dernier, le chanteur Prince, traditionnellement très agressif dans la défense de ses droits d’auteur, a été le premier à adresser une demande de retrait à Vine, en s’appuyant sur la loi DMCA pour des vidéos prises lors d’un de ses concerts. L’utilisateur aurait pu invoquer une défense sur la base du fair use (utilisation équitable), mais il a visiblement préféré obtempérer sans discuter.

Pourtant, on peut se poser la question de savoir s’il est vraiment possible de violer des droits d’auteur en seulement six secondes ? La réponse est en réalité assez complexe. Plusieurs articles sont parus à ce propos sur des sites américains, qui font un parallèle entre le partage de courtes vidéos via les réseaux sociaux et le phénomène du sampling musical qui s’est développé à partir des années 80-90. Celui-ci a en effet donné lieu à de nombreuses batailles devant les tribunaux, à propos de la reprise de parfois seulement quelques notes de musique, au point de peser lourdement sur l’évolution de genres comme le hip-hop ou le rap.

L’une des affaires les plus importantes qui aient eu lieu en la matière a impliqué le groupe Beastie Boys, pour leur morceau Pass The Mic, tiré de l’album Check Your Head publié en 1992. Cette chanson contient une reprise de trois notes empruntées au morceau "Choir" du flutiste de jazz James Newton (voyez ci-dessous les deux vidéos).

James Newton décida d’attaquer les Beasties Boys pour violation de son droit d’auteur, alors même que ceux-ci avaient bien payé son label pour l’utilisation de l’enregistrement, mais pas l’auteur lui-même pour la "composition" sous-jacente (c’est-à-dire l’oeuvre).

Saisis de cette question, les tribunaux américains devaient conclure en 2003 que l’utilisation de ces trois notes n’étaient pas constitutive d’une violation des droits d’auteur, en application de la théorie de l’usage de minimis. Or il se trouve que l’extrait de trois notes employé par les Beastie Boys durait exactement six secondes.

C’est visiblement en ayant cette jurisprudence en tête que les fondateurs de Vine ont décidé de limiter les vidéos à six secondes seulement quand ils ont créé leur service, afin de limiter les risques juridiques. C’est le site GigaOM qui avance cette thèse, en affirmant tirer l’information d’une source autorisée :

Fortunately, in the case of the Beastie Boys, a California appeals court took a more rational approach to the issue and ruled that a six second (the same length as a Vine video!) flute sample on the song “Pass the Mic” didn’t infringe on copyright. The Supreme Court, in 2005, refused to reconsider the decision.

The upshot, however, is that today we still don’t know for sure how long a sample can be before it infringes copyright. Twitter declined to comment on whether it believes Vine videos are covered by copyright law’s “fair use” exception, but a source familiar with the company told me that the decision to make the videos six seconds long was not a coincidence.

En autorisant la publication sur le service Instagram de vidéos de 15 secondes, Facebook prend donc le risque non négligeable de flirter avec les limites tracées par la jurisprudence.

Ces questions se posent d’abord dans un contexte américain, mais je cadre juridique est encore plus restrictif en France, où la courte citation n’est pas admise en matière de musique et très difficilement pour l’audiovisuel. D’où l’importance de consacrer par le biais d’une exception la possibilité de réutiliser des contenus à des fins créatives ou transformatives, comme j’ai essayé d’en faire la proposition cette semaine.

Mise à jour du 19/07/2013 : on a bien la preuve que la violation de droit d’auteur est possible en 15 secondes sur Instagram, puisque des demandes de retrait ont été formulées, à propos d’extraits de l’épisode IV de Star Wars qu’un utilisateur avait commencé à charger sur son compte.


Classé dans:Quel Droit pour le Web 2.0 ? Tagged: copyright, courte citation, droit d'auteur, Facebook, fair use, hip-hop, Instagram, musique, partage, vidéo, vine

Pour un droit au mashup, mashupons la loi !

jeudi 20 juin 2013 à 10:14

Le week-end dernier se tenait au Forum des Images la troisième édition du Mashup Film Festival, qui fut une nouvelle fois l’occasion de découvrir l’incroyable foisonnement de créativité que les pratiques transformatives en ligne favorisent (un aperçu ici). Mais comme ce fut le cas lors les éditions précédentes, le constat était toujours patent d’un décalage énorme entre la rigidité du droit d’auteur et la diversité des pratiques de réutilisation des contenus.

J’avais d’ailleurs eu l’occasion auparavant de produire ce pearltrees, à propos des créations produites par les fans, qui permet de faire un tour détaillé de la question :

Créations par les fans : quels enjeux juridiques ?

Créations par les fans : quels enjeux juridiques ?

Samedi 15 juin, les organisateurs du Festival avaient convié un ensemble d’intervenants pour une Conférence-Manifeste intitulée "Demain, l’art sera libre et généreux", à laquelle j’ai eu le plaisir de participer pour évoquer ces aspects juridiques. Ce fut l’occasion de débattre, notamment avec André Gunthert, de l’opportunité et de la faisabilité d’une modification du cadre législatif pour sécuriser les pratiques de remix et de mashup.

Il se trouve que cette année, la situation a évolué, et nous sommes peut-être même à la croisée des chemins. Car un évènement nouveau est survenu, avec la sortie du rapport Lescure qui consacre plusieurs de ses recommandations aux pratiques transformatives, en appelant à des réformes :

Le développement des pratiques transformatives illustre à la fois l’apport des technologies numériques à la création culturelle et les difficultés du cadre juridique actuel à appréhender le renouvellement des usages. Ces pratiques, symbole de la vitalité de la création à l’ère numérique, doivent être encouragées et sécurisées, dans un cadre qui respecte les droits des créateurs des œuvres adaptées sans entraver la création d’œuvres dérivées.

La proposition n°69 envisage notamment une modification de l’exception de courte citation :

69. Expertiser, sous l’égide du CSPLA, une extension de l’exception de citation, en ajoutant une finalité « créative ou transformative », dans un cadre non commercial.

Cette proposition constitue une piste tangible et on ne peut nier que le rapport Lescure ait consacré une véritable attention au phénomène du remix et du mashup. Mais je voudrais montrer ici quelle est la marge de manoeuvre réelle qui existe en droit français pour modifier la loi dans un sens favorable aux pratiques.

Pour de nombreux sujets, le cadre des directives européennes et de la Convention de Berne auxquelles la France est soumise, constitue un obstacle qui empêche d’agir au niveau national. Mais il n’en est pas de même en matière de mashup et de remix, pour lesquels on peut envisager des réformes importantes de la loi française, avec un résultat concret à la clé.

Le fait que le rapport Lescure ait émis des recommandations en faveur d’une réforme crée un contexte favorable et une opportunité politique, dont les acteurs de la société civile devraient se saisir pour faire avancer la question. La loi telle qu’elle est rédigée actuellement ne veut pas du mashup, alors mashupons la loi ! Le Canada a déjà réussi l’année dernière à introduire une exception spécifique en faveur du remix et une campagne a été lancée en Allemagne par la Digitale Gesellschaft pour réclamer un droit au mashup.

Un tel changement ne peut à mon sens advenir que s’il est porté largement par la société civile, par les créateurs eux-mêmes et par le public, qui doivent faire entendre leur voix. Il ne faut surtout pas laisser une telle question être instruite seulement au CSPLA, trusté de longue date par les titulaires de droits, comme le préconise le rapport Lescure. C’est aux acteurs directement impliqués dans ces pratiques de s’emparer du sujet et de saisir les parlementaires de propositions concrètes. Les auditions récentes devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée ont montré que plusieurs représentants sont sensibles à cette question des usages transformatifs. Il faut passer à l’action si l’on veut que le processus qui conduira à la reconnaissance d’un droit au mashup s’enclenche !

Il y a trois pistes principales qui peuvent être envisagées et je terminerai par une question importante à trancher :

  1. Élargir l’exception de courte citation
  2. Limiter la portée du droit moral
  3. Permettre le contournement des DRM pour la création d’oeuvres transformatives
  4. La question importante de l’usage commercial

1) Élargir l’exception de courte citation

L’exception de courte citation est actuellement rédigée ainsi, à l’article L 122-5 du Code de propriété intellectuelle :

Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :

3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :

a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ;

La manière dont cette exception est formulée en droit français est hautement problématique, car si elle convient à la citation de textes, les juges ont développé une interprétation restrictive qui exclut que l’on puisse "citer" des images ou des oeuvres musicales et n’admet la citation d’oeuvres audiovisuelles que dans des limites très étroites. La Cour de Cassation a d’ailleurs confirmé l’année dernière qu’elle refusait toujours la citation graphique, alors que les juges de première instance essayaient pourtant d’ouvrir une brèche en ce sens.

Par ailleurs, on ne peut faire des citations en droit français qu’en visant certains buts précis : critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information. Or cette restriction téléologique empêche de citer dans un but créatif, ce qui est le propre justement de la pratique du mashup et du remix.

Le Cri de Munch, une photo de Marilyn, une image (le pull rouge) tirée du film “Maman, j’ai raté l’avion !” et une image tirée du film 300. Voilà un exemple d’usage "citationnel" d’images à des fins transformatives et créatives, qui ne peut être actuellement couvert par notre exception de courte citation et qui ne cadre sans doute pas non plus avec l’exception de parodie telle qu’elle est conçue. Le but est précisément d’arriver à ce que des montages de ce type puissent être légaux.

De quelle marge de manoeuvre bénéficions-nous en droit français pour faire évoluer la situation ? La directive européenne de 2001 qui encadre la possibilité d’introduire des exceptions au droit d’auteur évoque en ces termes la citation :

(34) Les États membres devraient avoir la faculté de prévoir certaines exceptions et limitations dans certains cas tels que l’utilisation, à des fins d’enseignement ou de recherche scientifique, au bénéfice d’établissements publics tels que les bibliothèques et les archives, à des fins de compte rendu d’événements d’actualité, pour des citations, à l’usage des personnes handicapées, à des fins de sécurité publique et à des fins de procédures administratives ou judiciaires.

[...]

3. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants:

d) lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une oeuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi;

Vous noterez immédiatement que la directive européenne ne parle à aucun moment de "courte" citation, mais qu’elle porte simplement sur les citations, en ajoutant qu’elles doivent être effectuées "dans la mesure justifiée par le but poursuivi" pour introduire une idée de proportionnalité. Par ailleurs, concernant la finalité, elle indique que les citations peuvent être effectuées "par exemple, à des fins de critique ou de revue". Le "par exemple" est ici essentiel, car cela signifie que la critique et la revue ne sont citées que de manière indicative et que les Etats sont libres de prévoir d’autres buts.

On arrive donc à la conclusion qu’il est possible de modifier de manière importante l’exception de citation telle qu’elle est prévue en droit français, en supprimant la condition de brièveté et en ajoutant un but créatif ou transformatif, tel que le recommande le rapport Lescure.

Par ailleurs, rien n’indique non plus dans la directive que la citation doive se limiter au texte. Elle peut tout à fait s’appliquer à tous les types d’oeuvres telles qu’elles sont visées par les articles L. 112-1 et L. 112-2 de notre Code de propriété intellectuelle, qui listent tous les types d’oeuvres possibles.

Partant de ces considérations, on arriverait à une reformulation de l’exception qui pourrait prendre la forme suivante :

Les analyses et citations concernant une oeuvre protégée au sens des articles L. 112-1 et L. 112-2 du présent Code, justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique, d’information, créatif ou transformatif de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées et effectuées dans la mesure justifiée par le but poursuivi.

Ces quelques modifications auraient sans doute pour effet de conférer une base légale à un grand nombre de mashup, remix et autres réutilisations créatives et transformatives, basées sur un usage "citationnel" des contenus (ce qui est généralement le cas). Elles s’appliqueraient aussi bien au mashup vidéo qu’au remix de musiques, en passant par les détournements d’images ou de jeux vidéo.

Pour donner un exemple concret, la première journée du Mashup Film Festival s’est conclue par la projection du film Final Cut : Ladies & Gentlemen, du réalisateur hongrois Gyorgi Palfi, constitué par plus de 1500 extraits de films préexistants montés bout à bout pour raconter une histoire.

Tous sont dûment crédités dans le générique de fin et on est bien ici dans le cadre d’un usage créatif ou transformatif. La nature même du projet artistique à l’origine de ce film est d’utiliser uniquement des extraits, aussi l’usage est "justifié par le but poursuivi". Sur la base de l’exception de citation ci-dessus reformulée, je pense qu’une telle création serait légale.

Toujours sur le terrain des exceptions, il n’est sans doute pas utile de retoucher l’exception de parodie, pastiche, caricature qui existe dans le Code et qui couvre elle aussi un certain nombre de pratiques, complémentaires à celle de l’usage "citationnel" (ou pouvant parfois se recouper).

La vidéo ci-dessous, qui mélange des extraits de Star Wars et d’Ace Ventura, est à mon sens parodique, mais sa légalité en France serait bien mieux assurée si elle pouvait se prévaloir en plus d’une exception de citation élargie aux usages créatifs et transformatifs.

2) Limiter la portée du droit moral

Le droit moral, telle qu’il est conçu de manière quasi absolue en droit français, pose problème vis-à-vis des pratiques transformatives. C’est en particulier le cas pour le droit à l’intégrité de l’oeuvre, comme l’explique l’avocate Ismay Marcay, dans cette interview donnée au Mashup Film Festival :

l’auteur de l’œuvre seconde se doit de respecter le droit moral de l’auteur de l’œuvre première, ce qui par principe pose difficulté dans la mesure où le mash-up implique en lui-même une atteinte à l’intégrité de l’œuvre et sa destination.

Il faut cependant savoir que ce droit à l"intégrité des oeuvres repose très largement sur une construction de la jurisprudence et que la Convention de Berne n’impose nullement aux Etats d’aller jusque là.

Voici ce que dit très exactement le texte de la Convention :

Indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation.

Comme l’explique cette fiche juridique de la SCAM, le droit français va beaucoup plus loin :

Le droit moral est reconnu par la convention de Berne conclue en 1886,à laquelle ont adhéré 152 pays, mais il n’y est pas reconnu avec l’ampleur ni la portée que lui reconnaît le droit français.
D’après ce traité international, l’auteur ne peut notamment revendiquer son droit moral au respect de l’œuvre que dans la mesure où la dénaturation de sa création porte atteinte à son honneur ou à sa réputation, ce qui est beaucoup plus restrictif. Il s’exerce d’ailleurs de cette façon au Royaume Uni et dans les pays scandinaves.

La Convention de Berne permettrait parfaitement de revenir sur cette conception "absolutiste" du droit moral, qui en fait un pouvoir arbitraire de l’auteur sur le contrôle de son oeuvre. Afin d’instaurer un meilleur équilibre avec la liberté d’expression et de création, il serait possible de conditionner l’exercice du droit moral au fait pour l’auteur de pouvoir prouver une atteinte à son honneur ou à sa réputation. Cela aurait pour effet de lui laisser une possibilité d’action en cas d’abus flagrant, mais ouvrirait grandement les usages.

La directive européenne de 2001 ne serait pas non plus un obstacle à une telle réforme puisqu’elle prévoit qu’en matière de droit moral, le cadre de référence est bien la Convention de Berne :

(19) Le droit moral des titulaires de droits sera exercé en conformité avec le droit des États membres et les dispositions de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. Le droit moral reste en dehors du champ d’application de la présente directive.

Le droit à l"intégrité de l’oeuvre ne figure pas en toute lettres dans le Code de propriété intellectuelle (c’est la jurisprudence surtout qui l’a dégagé). Pour introduire une conception modifiée, il conviendrait d’ajouter un article L. 121-10, pour compléter le chapitre 1er, rédigé comme suit :

L’auteur jouit du droit au respect de l’intégrité de son oeuvre. Il peut s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre, dans la mesure où elles sont préjudiciables à son honneur ou à sa réputation.

Un très grand nombre de mashup et de remix, notamment tous ceux qui sont réalisés en hommage à une oeuvre, gagneraient ainsi une base légale et le droit moral serait ramené à une conception plus raisonnable et équilibrée. Par exemple, ce mashup réalisé en hommage à Bruce Lee à l’occasion des 40 ans de sa disparition ne froisse en aucune façon l’honneur ou la réputation des auteurs des films réutilisés :

Mais l’auteur aurait toujours la possibilité d’agir lorsqu’un usage serait susceptible de lui causer un réel préjudice en terme d’honneur et de réputation, comme par exemple une reprise qui laisserait entendre qu’il soutient une cause ou des idées politiques.

3) Permettre le contournement des DRM pour la création d’oeuvres transformatives

L’un des participants du Mashup Festival Film confessait qu’il lui était aujourd’hui à l’heure du numérique presque plus difficile de faire des mashups à cause de la prolifération des verrous et des marquages qui prolifèrent sur les images.

L’année dernière, il s’est pourtant produit quelque chose d’important aux Etats-Unis. Les défenseurs des usages transformatifs ont obtenu ce que l’on appelle là-bas une exemption DMCA qui autorise à contourner légalement un DRM sur un DVD, si le but de la manoeuvre est d’intégrer des extraits d’une oeuvre dans un mashup ou un remix, à la condition qu’il soit diffusé à des fins non commerciales.

Il devrait en être de même en France, car les DRM ne devraient avoir jamais pour effet d’empêcher l’exercice légitime d’une exception au droit d’auteur. On pourrait pour ce faire agir sur l’article L. 331-6 du Code de propriété intellectuelle, par l’ajout d’une disposition similaire à celle qui existe aux Etats-Unis. Ce qui pourrait donner :

Ne constitue pas une violation de l’article L. 331-5 le fait de contourner une mesure technique de protection dans le but de bénéficier de l’exception de citation à des fins créatives ou transformatives, dans le respect des conditions fixées à l’article L. 122-5 du présent Code.

Vos commentaires sont bienvenus sur cette question !

4) La question importante de l’usage commercial

La grande question que soulève un tel projet de réforme réside dans le point de savoir si l’on doit étendre le périmètre de l’exception reformulée aux pratiques transformatives exercées dans un cadre marchand.

L’exception de courte citation telle qu’elle existe actuellement s’applique en effet tout à fait aux usages marchands (exemple : citation d’extraits de textes dans un livre ou un article publiés et vendus). Et l’exception de parodie, pastiche ou caricature n’est pas limitée elle-non plus aux usages non-commerciaux.

Néanmoins, il faut avoir conscience que l’introduction d’exceptions par les États est limitée par le mécanisme du test en trois étapes, qui prévoit que les exceptions "ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur". C’est la raison pour laquelle le rapport Lescure préconise de limiter l’ouverture de l’exception de citation qu’aux seuls usages non commerciaux. C’est aussi le choix qui a été fait au Canada l’année dernière lorsqu’une exception spécifique en faveur du remix a été introduite :

Toutefois, afin de prévenir les risques d’abus, de protéger les intérêts de l’auteur de l’œuvre originelle, et de respecter le test en trois étapes de la convention de Berne, la citation à finalité créative pourrait être restreinte aux pratiques non commerciales (c’est-à-dire aux œuvres transformatives dont la diffusion ne procure à leurs auteurs aucun revenu direct ou indirect). Les usages commerciaux, par exemple la diffusion des contenus transformatifs sur une plateforme moyennant partage de recette publicitaires, ne seraient pas couverts par l’exception ; ils pourraient toutefois être autorisés au titre des accords conclus entre les plateformes et les ayants droit.

Ces "accords concluent entre les plateformes et les ayants droit" renvoient à ceux qui existent entre Youtube ou Dailymotion et plusieurs sociétés de gestion collective comme la SACEM afin de permettre un partage des recettes publicitaires.

Si l’on estime qu’il faut limiter l’exception en faveur du remix et du mashup aux usages non-commerciaux, on pourrait pour cette reformulation de l’exception de citation :

Les analyses et citations concernant une oeuvre protégée au sens des articles L. 112-1 et L. 112-2 du présent Code, effectuées dans la mesure justifiée par le but poursuivi et justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique, d’information ou, lorsqu’elles ne donnent lieu à aucune exploration commerciale,  créatif ou transformatif de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées.

Sur ce point, il me semble cependant qu’un débat doit avoir lieu. Qu’en pensez-vous ? Faut-il ou non élargir l’exception en faveur du remix aux usages commerciaux ou bien la limiter à la sphère non-marchande ?

***

Ce billet ne vise qu’à ébaucher des pistes et à montrer l’étendue réelle de ce que l’on peut faire dans le cadre du droit français, sans attendre un hypothétique changement du droit européen. Il est clair que la question des usages transformatifs est directement liée à celle de la reconnaissance des échanges non marchands, mais elle s’en distingue à mon sens suffisamment pour pouvoir faire l’objet d’une action séparée et immédiate.

Alexis de Tocqueville a dit : "La politique est l’art du moment opportun". Pour consacrer un droit au mashup et au remix en France, le moment opportun d’agir est certainement venu, après tant d’années à avoir dû subir en serrant les dents la prohibition culturelle qui frappe ces pratiques légitimes !

Si nous ne le faisons pas, personne d’autre ne le fera à notre place !


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