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Internet et la psychotherapie : quelques risques et quelques opportunites

jeudi 19 avril 2012 à 08:52

J’anime avec Cyrille Le Jamtel l’atelier “Nouvelles technologies” dans le cadre des 5ièmes entretiens francophones de la psychologie. Nous travaillerons sur la manière dont les matières numériques rencontrent les pratiques cliniques du psychologue. Il y a à mon sens beaucoup de nouveaux territoires à explorer.

Voilà un peu plus de 10 ans que l’Internet a rencontré le champ clinique, amenant des psychothérapeutes a inventer de nouveaux dispositifs psychothérapeutiques. Les réseaux sociaux apportent aujourd’hui de nouvelles questions.

La pratique de la psychothérapie est basée sur une dissymétrie : le patient s’ouvre et révèle des aspects de sa vie à une personne dont il ignore pratiquement tout. La visibilité des intérêts, des déplacements, des lectures, des amis, des achats … de l’Internet d’aujourd’hui peut considérablement changer la donne dans au moins deux directions. Les clients peuvent rechercher des informations sur leurs psychothérapeutes et les psychothérapeutes peuvent rechercher des informations sur leurs patients.

La recherche d’information n’est pas seulement le fait des clients. Elle concerne aussi les organismes de formation en psychothérapie puisque certaines n’hésitent pas à « googliser » les candidats. Dans le domaine de l’entreprise, cela pose déjà des problèmes en termes d’atteintes à la vie privée sans qu’il soit garanti que cette méthode soit efficace du point de vue du recrutement. Dans le cadre de la formation des psychothérapeutes, l’atteinte est encore plus grande puisque le contrat de formation n’est plus basé sur une confiance réciproque entre le formateur et le candidat. Que fera le formateur de ce qu’il récolte en ligne ? Comment le faire entrer dans la formation ?

A quel moment cesse-t-on d’être psychothérapeute et commence-t-on à être enquêteur ? Ou s’arrête l’investigation psychothérapeutique et ou commence l’enquêter de police ? Les psychothérapies commencent généralement par le recueil de l’histoire du client et de sa maladie. Il est parfois fait appel à un tiers du fait de la spécificité de la relation. Par exemple,  les parents ou les tuteurs de l’enfant détiennent des informations que l’enfant ne peut transmettre au psychothérapeute. Dans le cadre de pathologies du grand âge, ce sont les enfants du client qui vont aider à reconstruire son parcours de vie. Avec les réseaux sociaux, beaucoup d’informations sont disponibles sur l’Internet. Le niveau de revenu du client peut être reconstruit, tout comme ses gouts et ses déplacements. Certaines de ses pensées deviennent accessibles sur Facebook et Twitter. Jusqu’au s’étend le cabinet du psychothérapeute ? S’arrête-t-il ici et maintenant, dans le temps de la séance ? Ou peut-on l’étendre aux immensités numériques ?

La réponse n’est pas simple. D’un coté, prendre contact avec les traces laissées par le client, c’est aussi être en lien avec sa famille, ses amis, ses collègues. Il n’y a pas d’internaute seul. Une fois en ligne, un individu est pris dans un réseau inextricable de relations. De l’autre, la recherche en ligne peut être utile. La recherche d’informations en ligne peut être mise au service du client. Par exemple, il est possible de reconstruire l’histoire du patient à partir de recherches en lignes. Le compte Flickr de la personne comportera les grands et les petits évènements de sa vie. Il peut être extrêmement intéressant pour une personne de naviguer dans ces souvenirs en compagnie d’un psychothérapeute. Ce travail est déjà fait avec des personnes ayant été prise en charge dans le cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance. Lire son “dossier ASE”  avec un psychothérapeute est pour le client l’occasion de remémorations et de reconstruction de son histoire.

Mais si le client refuse toute collaboration ? Que faire, par exemple, dans le cadre d’une Enquête Socio Educative ordonnée par un juge ? Est ce que le psychologue peut « googliser » la personne après que celle-ci lui ait opposé un silence plus ou moins total sur son histoire ? Et que faire dans les situations de crise ? Les psychothérapeutes rencontrent des situations ou les informations trouvées sur l’Internet peuvent être utiles et parfois même vitales : fugues pathologiques, crises suicidaires, accès maniaques… toutes sortes de situations ou le client a besoin d’une aide aussi rapide que possible.

L’internet dessine de nouvelles frontières pour la psychologie clinique et la psychothérapie. Il n’y a pas de réponse simple a un problème complexe. Mais ces questions doivent être suffisamment travaillées par les psychologues pour éviter que l’Internet ne fasse bruyamment irruption dans nos pratiques cliniques

L’academie de medecine recommande l’utilisation de l’expression « pratiques excessives » et l’abandon de l’expression « addiction aux jeux video »

mercredi 4 avril 2012 à 23:11

A l'Académie de Médecine (journée du Patrimoine)

 

L’académie de médecine a publié le 1er mars 2012 des recommandations sur les jeux vidéo.

Elle rappelle qu’il faut traiter différemment les cas des adultes et des enfants. S’agissant des plus jeunes elle recommande l’utilisation du terme “jeu excessif” plutôt que celui d’addiction au jeu vidéo

Il n’y a pas de consensus scientifique sur l’existence de réelles addictions aux jeux vidéo. En l’absence d’études précisant leurs critères, il est préférable d’utiliser le terme de pratiques excessives, moins stigmatisant.

 

Elle rappelle le “rôle primordial” des parents et encourage les familles à s’informer sur les jeux et leurs contenus afin que l’enfant soit en contact des contenus adaptés à son âge

 

Pour ce qui est des adultes, elle rappelle le risque de dépendance aux jeux d’argent. Il n’est pas question des autres jeux.

Mediations numeriques au COPES

mardi 27 mars 2012 à 07:53

Les mondes numériques sont devenus un monde banal d’interaction. Ils font partie de la culture et ils contribuent à la modifier. Les jeunes en ont des usages particuliers parce qu’ils n’ont connu que l’ère du “toujours connecté”. Les personnes en charge d’éducation et de soin des enfants et des adolescents ont à connaitre ces mondes numériques et les pratiques des digiborigènes afin de pouvoir intégrer ces connaissances à leur travail

J’interviens demain au COPES dans le cadre de la formation  SM12-13 Les adolescents et les écrans organisée par et autour de Serge Tisseron.  La formation dure quatre journées. Elle s’adresse aux professionnels de la relation et de la relation (assistants sociaux, psychologues, médecins, éducateurs, enseignants) . Elle est à ce jour la formation la plus complète que l’on puisse trouver en  France.

J’ai pu constater que quelques participants ce ces formations pouvaient avoir une connaissance de l’Internet et du jeu vidéo très restreinte. Entendre parler d’Alex et Joan, de la Guerre des Miaou Miaou, de la manière dont nous mélangeons nos psychismes aux matières numériques les intéressent, mais pour certains, cela reste une expérience exotique.  Aussi, j’ai organisé cette journée autour d’une expérience concrète. Une session dans Wold of Warcraft lancera la journée et permettra de travailler plus facilement certains points.

La journée est organisée autour des temps suivants :

Une session de World of Warcraft

Un stagiaire démarre une session de World of Warcraft à partir du bureau. Son objectif est de créer un personnage et d’arriver jusqu’au Level 5.

Le but pédagogique est de faire connaitre ce que sont ces fameux MMORPG dont la presse se fait parfois l’écho. L’expérience permettra d’approcher

Les dispositifs numériques

Les dispositifs numériques sont présentés dans leur histoire et dans leurs caractéristiques. Le but pédagogique est donner des repères sur les différents lieux de l’Internet

Phénomènes numériques

L’Internet est un espace massivement groupal. Nulle par ailleurs, nous pouvons interagir avec des groupes aussi importants. Cela donne aux interactions sur le réseau des colorations et des saveurs particulières.

Les médiations numériques

Les médiations numériques peuvent être hors ligne ou en ligne. Les médiations hors ligne concernent plus particulièrement les jeux vidéo qui peuvent être utilisés comme médiateurs ou comme médiation.

Les médiations numériques en ligne concernent le travail d’information, d’aide et de soutien que l’on peut faire par le réseau Internet.

Psychologues rech. desesperement addiction internet et jeux video

dimanche 25 mars 2012 à 11:05

La longue traque a commencé en 1995. Depuis l’ile de Manhattan, le docteur Yvan Golberg avait lancé une première note dans le cyberespace. Le phénomène n’ayant encore jamais été observé, il lui revenait le droit de le nommer. Il l’appela IAD, trois lettres pour décrire platement ce qui allait devenir les 20 années suivantes une des questions chaudes de la psychologie. L’Internet Addiction Disorder été né, et avec lui, une des plus longues traques de la psychologue.

En 1996, le phénomène est repéré par une psychologue américaine, Kimberley Young. Elle en donne une description au congrès annuel de l’American Psychological Association. Elle décrit “l’émergence d’une nouvelle pathologie” qu’elle nomme Internet Addiction. Elle reprend sous ce chapeau des observations indiquant que des personnes pouvaient être addictes à l’internet comme d’autres pouvaient être addicts à des drogues. Elle adapte les critères du jeu pathologique du DSM-IV pour construire un sondage proposé 396 dépendants à l’internet qu’elle compare à 100 non-dépendants. Elle trouve des différences entre les différents groupes

L’article de Kimberley Young condense une série de préoccupations des psychologues autour de l’Internet. Celles-ci vont croitre avec le développement du réseau. Au départ, les problèmes étaient limités a un nombre restreint de personnes. L’accès personnel au réseau Internet était encore rare et il concernait plutôt des universitaires ou des cadres d’entreprise. La démocratisation du réseau va donner au phénomène l’aspect d’une épidémie, et les recherches vont se multiplier. L’intéret d’un nombre de plus en plus important de chercheurs produisait une accumulation des recherches. L’Internet Addiction Disorder était le témoin de l’excitation d’une communauté de recherche autour de ce travail

En 2009 le volume des études est suffisant pour faire une métasynthèse. Une métasynthèse est une ressentions des travaux faits dans un domaine donné. Elle procède par accumulation et déconstruction afin de faire apparaitre des éléments qui étaient encore insuffisamment pris en compte. Dans le domaine de l’addiction à l’Internet et aux jeux vidéo, ce travail est particuièrement bienvenu.

La métasynthèse se donne pour objet d’examiner les aspects de l’addition à l’Internet, la manière dont elle a été mesurée et les méthodes d’analyse qui ont été utilisés. Les conclusions sont assez sévères. Une dizaine d’années d’études n’ont pas permis la construction d’un espace méthodologique cohérant et satisfaisant : « Les analyses montrent que les études précédentes ont utilisé des critères inconsistants pour définir les addicts à l’Internet, appliqué des méthodes de recrutement qui peuvent causer de sérieux biais d’échantillonnage, et examiné les données en utilisant préférentiellement des techniques d’analyse exploratoires plutôt que confirmatoire pour enquêter sur le degré d’association plutôt que les relations de causalité entre les variables. »

Plus récemment Griffiths et Kuss ont donné une revue systématique des recherches empiriques sur la dépendance aux jeux vidéo sur Internet <ref>. Ils arrivent à des conclusions similaires. D’abord, ils constatent qu’il est difficile de comparer les résultats des études parce que les auteurs ne mentionnent pas le type de jeu étudié. Or, le démineur, Skyrim, Minecraft ou World of Warcraft nécessitent des habilités et des compétences différentes. Ensuite, les facteurs culturels et sociaux sont également à prendre en compte. L’internationalisation de la recherche a considérablement étendu les sphères culturelles considérées. Or, le jeu en Asie du Sud-Est n’est certainement pas exactement le même sens et les même fonctions que jouer en Occident. Les instruments d’évaluation sont également disparates, et beaucoup n’ont pas été validés. Les échantillons sont aussi non-représentatifs, auto-sélectionnés, et de petites tailles finissent par rendre impossible toute comparaison des résultats.

Devant tant de biais, Griffiths et Kuss font une recommandation : « Les futurs chercheurs sont priés de ne pas développer des instruments supplémentaires, mais d’évaluer la validité et la fiabilité de ceux qui sont déjà construits en fonction des critères officiels de la dépendance à une substance établie par l’American Psychiatric Association (2000) ». En d’autres termes, malgré le volume des recherches, les biais méthodologiques rendent toute avancée sur la question de l’addiction au jeu vidéo problématique

Plus récemment, Mark Griffiths a donné six caractéristiques définissant la dépendance (le repli sur soi, la modification de l’humeur, l’augmentation irrésistible du temps de jeu, le manque, la génération de conflits, le phénomène de rechute).  Il insiste sur le fait que « Tout comportement qui présente ces six caractéristiques doit être assimilé à une dépendance (…) or le risque de rechute n’existe pas dans les jeux vidéo » (Griffiths, 2012 pp. 52-53)

L’absence d’une addiction aux jeux vidéo avait déjà été repérée par les spécialistes des addictions. Au plus fort de la fièvre de l’addiction aux jeux vidéo, le Smith & Jones Center d’Amsterdam ferme sa consultation. Le Smith and Jones Center a été créé par un ancien toxicomane, Keith Bakker. Les prises en charge sont courtes, de quatre à six semaines, et les traitements sont organisés sur la base sur modèle en 12 étapes du Minnesota. A l’été 2006, une consultation est ouverte pour les joueurs de jeux vidéo. En 2008, elle est fermée. Keith Bakker s’appuie sur 18 mois de travail et une centaine de cas traités pour affirmer : « plus nous travaillons avec ces enfants, moins je pense que nous puissions appeler cela une addiction. Ce dont ces enfants ont besoin, c’est de leurs parents et de leurs enseignants. C’est un problème social » (lien)

  Ce n’est pas tout à fait une nouveauté. Dans un livre consacré aux nouvelles addictions, Marc Valleur et Jean-Claue Matysiak étaient dès 2004 arrivés à une conclusion similaire : « Disons-le clairement, nous n’avons pas connaissance de dépendance ou d’addiction aux jeux vidéo parmi les enfants, mais certains abus, certaines pratiques frénétiques témoignent d’un malaise et souvent d’un dysfonctionnement au sein du cercle familial. » Valleur & Matysiak, 2004

17 ans de recherche

Après 17 ans d’une recherche qui s’est produite aux quatre coins du monde, la communauté des psychologues n’a pas trouvé autre chose que des liens faibles entre jeux vidéo et dépendance. Certains joueurs se comportent comme des toxicomanes. Leurs conduites évoquent ce que l’on sait par ailleurs des addicts. Mais on ne connait pas la proportion de joueurs incriminés car les chiffres vont de 0% à 30% de la population. On ne connait pas non plus leurs traits de personnalité car ils couvrent toute la psychopathologie. On ne sait d’ailleurs même pas ce que l’Internet Addiction Disorder recouvre car chacun donne sa propre définition.

Après 17 ans d’une recherche enfiévrée, il est toujours possible de conclure par le classique “More research is needed” qui est à la fois un appel au financement à des travaux ultérieur et l’aveu que l’étude présente a manqué son objectif. Un article scientifique se doit en effet de préciser clairement les inconnues et proposer les manières dont les choses peuvent être clarifiées.

Nous aurions pu nous éviter ce détour de presque deux décennies en prenant en compte deux choses. D’abord le fait que une des origines  l’Internet Addiction Disorder soit une plaisanterie aurait pu alerter. Au lieu de cela, une partie de la communauté des psychologues s’est conduite comme des zoocryptologistes. S’ils ne trouvaient pas leur Nessie numérique, c’est qu’ils avaient mal cherché.  Les comportements ont ainsi alors pathologisés sans que l’on en comprenne tout à fait la logique.  Par exemple, le temps de jeu ou de connexion a ainsi été un élément de l’IAD dans les années 2000, puis, lorsque la connexion est devenu presque permanente avec les smartphones, il n’en a plus été question. Le problème est que ni la pathologisation de la durée de connexion, ni sa “dépathologisation” n’ont fait l’objet de discussions.

Ensuite, nous aurions pu mieux prendre en compte que toute nouvelle technique change les comportements individuels et collectifs. L’Internet étant une technologie massivement sociale, elle ne pouvait que bouleverser les comportements et les imaginaires. Les joueurs eux-même ont convoqué l’image du junkie pour rendre compte de leur relation à la machine.  Mais ils ont puisé dans un imaginaire qui leur permettait de donner sens et de comprendre  ce qui était en train de se passer pour eux. Ils ont fait un travail de métaphorisation en portant dans le monde des machines des représentations qui venaient du cyberpunk. Les psychologues ont alors fait une erreur assez banale. Ils ont pris une métaphore – les jeux vidéo sont comme une drogue – pour conclure Les joueurs sont des junkies. Pour les psychologues, il y avait là une économie de pensée. Ceux qui ne connaissaient pas les environnements et les objets numériques pouvaient se représenter ce dont il s’agissait puisqu’ils avaient des idées plus précises sur la toxicomanie. En parlant d’addiction aux jeux vidéo, des psychologues ont pris l’image pour la chose elle-même.

Il se trouve encore quelque personnes pour voir Nessie dans le lac du Loch Ness. Mais on peut espérer que le nombre de psychologues croisant l’addiction à l’Internet et aux jeux vidéo va continuer à diminuer.